Chapitre V. Au-delà et en-deçà du 38e parallèle : les multiples contours de la communauté politique coréenne au prisme de la jurisprudence constitutionnelle
p. 153-178
Résumé
La division qui sépare le Nord du Sud de la péninsule coréenne apparaît comme l’une des plus hermétiques et conflictuelles de l’époque contemporaine, rendant a priori vaine toute tentative de s’affranchir des frontières pour penser la communauté politique. Imprégnée par la Guerre froide tout en étant irréductible à son histoire, la partition symbolisée par la césure du 38ème parallèle n’épuise cependant pas les contours de la communauté politique telle qu’elle est définie dans la Corée du Sud de l’ère post-autoritaire. La jurisprudence de la Cour constitutionnelle de Corée représente à cet égard l’un des sites à partir duquel les multiples délinéations du corps collectif peuvent être interrogées. La pertinence de ce site est double dans la mesure où la jurisprudence constitutionnelle représente non seulement un lieu de fabrique mais de contestation des limites de la communauté politique. Celle-ci est à la fois projetée au-delà et en-deçà du 38ème parallèle comme en témoignent les décisions de la cour et son élaboration de la différence entre communauté nationale (inclusive des « résidents » du Nord sur la base d’une conception ethno-historique de l’identité coréenne) et communauté démocratique (de laquelle non seulement les Nord-Coréens mais les citoyens du Sud dont le comportement est considéré comme « anti-national » peuvent être tenus à la marge). La présente étude de cas a donc pour vocation de restituer les ambiguïtés et instabilités qui structurent le tracé de la frontière et la circonscription de la communauté politique au gré des définitions mouvantes de qui, et ce qui, relève du « national » ou de son antithèse dans la Corée du Sud contemporaine.
Texte intégral
Introduction
1La frontière qui sépare le Nord du Sud de la péninsule coréenne apparaît comme l’une des plus hermétiques et conflictuelles de l’époque contemporaine. Imprégnée par la Guerre froide tout en étant irréductible à son histoire, la division inter-coréenne semble à première vue renvoyer à elle-même toute interrogation concernant le sens et la fonction des frontières pour penser la communauté politique. Sa permanence depuis 1945 paraît en effet opposer une résistance implacable à la tentation de s’affranchir des frontières pour appréhender les nouvelles échelles et nouveaux espaces de déploiement du projet politique. Pris sous cet angle, le contexte coréen dessinerait un cas limite où une même communauté ethnolinguistique demeure politiquement scindée en deux États historiquement antagonistes, reconduisant l’analyse aux concepts classiques de territoire, sécurité et souveraineté dont elle aurait pu vouloir se défaire à l’heure de la mondialisation et du transnationalisme2.
2C’est la réification du cas coréen à cette fixité que le présent chapitre invite à dépasser. Sans abolir ni la notion ni la réalité de la frontière, l’analyse se propose de cartographier ses possibles déplacements au sein de l’imaginaire juridique sud-coréen. En effet, la partition incarnée par la césure du 38ème parallèle et les impératifs contradictoires qui lui sont liés (défendre la sécurité nationale et œuvrer à la réunification) n’épuisent pas les contours de la communauté politique telle qu’elle est définie dans le droit constitutionnel de la Corée du Sud. La jurisprudence de la Cour constitutionnelle de Corée (hŏnpŏp chaep’anso) représente à cet égard l’un des sites à partir duquel les multiples délinéations du corps collectif peuvent être interrogées. La pertinence de ce site est double dans la mesure où la jurisprudence constitutionnelle représente non seulement un lieu de fabrique mais de contestation des limites de la communauté politique.
3Cette dernière est à la fois projetée au-delà et en-deçà du 38ème parallèle comme en témoignent les décisions de la cour et son élaboration de la différence entre communauté nationale (inclusive des « résidents » du Nord sur la base d’une conception ethno-historique de l’identité coréenne) et communauté démocratique (à la marge de laquelle peuvent être tenus non seulement les Nord-Coréens mais les citoyens du Sud dont le comportement est considéré comme « anti-national »). La présente étude de cas a donc pour vocation de restituer les ambiguïtés et instabilités qui structurent le tracé de la frontière et la circonscription de la communauté politique au gré des définitions mouvantes de qui, et ce qui, relève du « national » ou de son antithèse. Pour ce faire, l’analyse reviendra d’abord sur le processus à l’œuvre dans la formation et le maintien de la division inter-coréenne, pour ensuite se concentrer sur les déplacements intangibles mais non moins réels et litigieux des contours d’inclusion et d’exclusion dans la Corée du Sud contemporaine.
I. La frontière inter-coréenne, par-delà la Guerre froide
4La division inter-coréenne est souvent appréhendée comme un vestige anachronique et anormal de la Guerre froide, perpétuant la séparation d’une même nation en deux États, la République populaire démocratique de Corée, au Nord, et la République de Corée, au Sud. La partition elle-même est antérieure à leur création en 1948 : elle a été façonnée dans les semaines qui ont suivi la défaite du Japon en août 1945 par les deux grandes puissances issues de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis et l’Union soviétique. La question du sort de la Corée, colonie japonaise depuis 1910, avait été préalablement évoquée lors de la Conférence du Caire en 1943 qui décide la « mise sous tutelle » de l’ensemble du pays jusqu’à ce qu’il recouvre, « en temps voulu », son indépendance. La division apparaît quant à elle comme une construction imposée en 1945 par les États-Unis qui, à leur propre surprise, obtiennent de l’Union soviétique à la veille de la capitulation du Japon (15 août 1945) d’occuper conjointement la péninsule. Conçue pour être provisoire, la frontière délimitant les deux zones d’occupation épouse alors le tracé linéaire du 38ème parallèle.
5Si la rivalité entre les deux blocs a indéniablement contribué à l’enracinement et au maintien de la division, cette dernière a aussi été structurée par des forces et des logiques qui, sans être étrangères à la Guerre froide, la dépassaient. Ainsi, les germes de la fracture entre forces de gauche et forces de droite, sur lesquels est venue se greffer l’occupation militaire partagée de la péninsule coréenne par l’Union soviétique au Nord et les États-Unis au Sud, étaient présents et actifs bien avant la Libération. Ce schisme politique correspond notamment à l’un des héritages de l’expérience coloniale. A leur arrivée dans la péninsule coréenne, Américains et Soviétiques ont ainsi rencontré des forces prêtes à se mobiliser autour de l’un des deux pôles et de leurs projets idéologiquement antagonistes3.
6Ces clivages se traduisent par l’effervescence et la fragmentation qui règnent dans la péninsule à la Libération : politiquement, surgissent de nombreuses factions notamment issues des divers mouvements d’indépendance, dont l’éventail comprend aussi bien des forces communistes, elles-mêmes éparses selon leur berceau (russe, chinois, mandchou ou coréen), que des nationalistes conservateurs (parmi lesquels Rhee Syngman, futur président de la République de Corée de 1948 à 1960) ; socialement, le pays est en proie aux intenses conflits de classes qu’ont exacerbés les transformations de la période coloniale4. Ainsi, les millions de paysans convertis en ouvriers par l’économie de guerre du Japon, et notamment affectés dans ses mines de Mandchourie, retournent en Corée pour s’y découvrir privés de terres au profit de grands propriétaires, d’où leur revendication d’une réforme agraire. La frontière est alors encore poreuse et traversée par d’importants mouvements de population à mesure que les individus menacés au Nord fuient vers le Sud, et vice versa, compte tenu des mesures rivales qui sont adoptées dans chacune des deux zones d’occupation. Convergent ainsi deux processus qui se sont renforcés mutuellement, l’un propre aux dynamiques internationales et à l’amorce de la Guerre froide, l’autre lié aux configurations de la société coréenne post-coloniale et à ses déchirements internes5.
7D’un point de vue matériel, la frontière qui sépare la République populaire démocratique de Corée (Corée du Nord) et la République de Corée (Corée du Sud) consiste aujourd’hui en une bande de terre de 239 kilomètres de long et 4 kilomètres de large serpentant de part et d’autre du 38ème parallèle. Elle correspond à la ligne de cessez-le-feu fixée le 27 juillet 1953 à l’issue de la guerre de Corée, front pionnier du conflit Est-Ouest autant que guerre civile. Ironiquement baptisée la « DMZ » (demilitarized zone), la frontière inter-coréenne s’apparente à un champ de mines le long duquel se font face en permanence deux armées techniquement en état de guerre puisque le conflit dont la péninsule a été le théâtre de 1950 à 1953 ne s’est soldé par la conclusion d’aucun traité de paix. Elle appartient donc à la catégorie géopolitique des frontières chaudes. Sa délinéation maritime demeure contestée par la Corée du Nord et est régulièrement parcourue d’incidents6.
8Si la division inter-coréenne n’a pas été emportée par la fin de la Guerre froide, c’est bien que les dynamiques qui la sous-tendent, et la maintiennent, ne correspondent plus aux logiques de l’affrontement entre les deux blocs. Certes, le rôle de la Guerre froide fut structurant dans la genèse comme dans la perpétuation de la division mais la rivalité Est-Ouest ne peut rendre compte de toute la complexité de cette frontière au regard de l’histoire politique de la péninsule dans son ensemble et de chacune des deux Corées en particulier. S’interroger sur le sens et la fonction de la frontière dans le contexte sud-coréen revient donc à s’aventurer non seulement par-delà la Guerre froide mais également par-delà la division, afin de restituer les logiques domestiques d’inclusion et d’exclusion qui en font une construction socio-historique imaginée mouvante, irréductible au 38ème parallèle.
II. La Corée comme réalité fictionnelle
9La réalité que recouvre le terme « Corée », en français comme dans d’autres univers linguistiques, est fictionnelle, dans la mesure où la Corée comme entité politique unifiée n’existe plus depuis 1945. La langue coréenne porte l’empreinte de ce dédoublement puisqu’il est impossible d’y désigner « la Corée » sans faire référence au système de la division. Deux vocables sont ainsi disponibles en coréen pour exprimer une totalité qui ne peut être que partiellement nommée : han’guk, soit « la Corée » dans les termes du Sud, et chosŏn, soit « la Corée » dans les termes du Nord. Chacune de ces appellations est également vouée à se dédoubler puisque les deux Corées disposent de référents différentiels pour renvoyer au Nord et au Sud : pukhan et namhan, soit « Corée du Nord » et « Corée du Sud » dans les termes du Sud, par opposition à pukchosŏn et namchosŏn, soit « Corée du Nord » et « Corée du Sud » dans les termes du Nord7.
10A défaut d’imprégner le registre linguistique, la fiction de l’unité coréenne est en partie maintenue dans un autre système symbolique que celui de la langue : le droit, que Clifford Geertz définit comme un langage, c’est-à-dire une « manière distinctive d’imaginer le réel8 ». L’article 3 de la constitution sud-coréenne stipule ainsi que le territoire de la République de Corée comprend non la moitié mais l’ensemble de la péninsule coréenne et les îles qui lui sont adjacentes9. Cette aspiration à incarner la seule Corée légitime reflète la position officielle qui était celle des deux États coréens lors de leur fondation concurrente en 1948. Bien que la négation de leurs souverainetés respectives ait disparu du discours politique notamment depuis le sommet inter-coréen de juin 2000 et la rencontre historique du président sud-coréen Kim Daejung (1998-2003) et du leader nord-coréen Kim Jong-il (1994-2011) à Pyongyang, elle demeure inscrite dans la constitution sud-coréenne, qui a été amendée neuf fois mais jamais remplacée depuis sa promulgation en 194810.
11Les conséquences de cette négation sont multiples et ambiguës. En découle tout d’abord le statut d’ennemi que la loi de sécurité nationale (kukka poanpŏp), également promulguée en 1948, assigne à la Corée du Nord en sa qualité d’« organisation anti-étatique » (pan'gukka tanch’e) « revendiquant le titre de gouvernement », et par extension aux Nord-Coréens, conçus comme membres de cette organisation. Cette configuration n’épuise cependant pas la réalité juridique de la division, à laquelle le texte de la constitution ne peut se soustraire.
12Comme souligné ci-dessus, le langage dans lequel est écrite la norme fondamentale n’emprunte qu’au lexique du Sud pour désigner la Corée elle-même (han’guk et non chosŏn) ou la notion de peuple (kungmin et non inmin).
13De surcroît, les références à la division qui émaillent la constitution sont non seulement indirectes ou implicites, mais également contradictoires. En effet, si l’article 3 susmentionné assimile le territoire de la République de Corée à l’intégralité de la péninsule, le préambule et l’article 4 prennent acte de cette fiction en reconnaissant à l’État la mission de mener à bien l’unification (t’ongil) pacifique de la péninsule11. Le droit sud-coréen, et son imaginaire constitutionnel en particulier, font donc preuve d’ambivalence dans la manière dont ils représentent, et contribuent à (re)produire, la division et les dynamiques d’inclusion ou d’exclusion au sein du corps collectif qui lui sont liées. Ces dynamiques ne peuvent cependant être réduites à la ligne de séparation sinuant le long du 38ème parallèle, dont elles s’écartent au-delà et en-deçà pour révéler les ambiguïtés et instabilités de la notion de frontière et des contours de la communauté politique dans la Corée du Sud contemporaine.
III. Dynamiques d’inclusion et d’exclusion politiques après la transition démocratique de 1987
A. Incarner le « national » : une mésentente inter- et intra-coréenne
14La topographie politique qui émerge de la jurisprudence constitutionnelle sud-coréenne dévoile les déplacements immatériels mais non moins réels d’une frontière réputée être l’une des plus fixes et hermétiques de l’époque contemporaine. Au nom du « national », les contours de la communauté politique peuvent être d’une part projetés au-delà de la frontière et embrasser l’ensemble de la péninsule, c’est-à-dire englober dans la communauté identitaire des membres de la nation coréenne le Nord et ses « résidents » aux yeux du droit ; d’autre part, les critères d’inclusion au sein de l’espace démocratique peuvent être projetés en-deçà et rejeter comme « anti-nationaux » les groupes ou individus sud-coréens tenus pour menaçants et donc à l’écart de la communauté citoyenne des sujets de droit(s). Cette irréductibilité de la frontière à son tracé physique traduit combien la partition de la péninsule, établie de facto en 1945 et entérinée de jure en 1948, a engendré une division plus insidieuse que celle des deux États coréens, une division non seulement entre mais au sein de chacune des deux Corées concernant la détermination de qui, et ce qui, constitue l’ennemi.
15Ce désaccord quant à la définition de qui est inclus ou exclu du corps collectif ne s’apparente pas qu’à un conflit entre deux interlocuteurs aux positions adverses, mais bien à une mésentente dans le sens défini par Jacques Rancière :
Par mésentente on entendra un type déterminé de situation de parole : celle où l’un des interlocuteurs à la fois entend et n’entend pas ce que dit l’autre. La mésentente n’est pas le conflit entre celui qui dit blanc et celui qui dit noir. Elle est le conflit entre celui qui dit blanc et celui qui dit blanc mais n’entend point la même chose ou n’entend point que l’autre dit la même chose sous le nom de la blancheur. C’est dire aussi que la mésentente ne porte point sur les seuls mots. Elle porte généralement sur la situation même de ceux qui parlent. [...] La situation extrême de la mésentente est celle où X ne voit pas l’objet commun que lui présente Y parce qu’il n’entend pas que les sons émis par Y composent des mots et des agencements de mots semblables aux siens. [...] Les structures de mésentente sont celles où la discussion d’un argument renvoie au litige sur l’objet de la discussion et sur la qualité de ceux qui en font un objet12.
16Cette situation de parole concurrente n’a pas seulement caractérisé le conflit des deux États coréens avec leurs aspirations rivales à incarner l’unique et légitime « Corée », dans sa totalité fictionnelle. La dispute sur ce qu’est le « national » et sur qui en est l’incarnation « authentique » et « véritable » a aussi été en jeu au sein de la Corée du Sud. De ce point de vue, la transition démocratique dont le pays a fait l’expérience en 1987 n’a fait qu’aviver le désaccord autour de qui, et ce qui, constitue l’ennemi entre l’État sud-coréen et une partie de la société civile articulant un imaginaire national discordant : l’imaginaire minjung.
17L’émergence de ce discours alternatif date du début des années 1980 et se revendique du « peuple » ou des « masses » (minjung) dans le but de mener à bien leur triple libération : de la domination politique des régimes militaires et autoritaires qui se sont succédé de 1948 à 1987 ; de l’asservissement économique aux conglomérats sud-coréens (chaebǒl) et à un modèle de développement industriel fondé sur le sacrifice unilatéral de la classe ouvrière ; et de la subordination nationale aux puissances étrangères (à commencer par les États-Unis) tenues pour responsables de la division imposée en 1945 et de son maintien contre la volonté et l’aspiration à l’unité du peuple coréen13.
18Aux yeux du mouvement minjung essentiellement composé d’étudiants, d’ouvriers et d’intellectuels dont la mobilisation a précipité la chute du régime de Chun Doo-hwan (1980-1987), le processus de la transition lui-même (négocié par les élites politiques de l’ancien régime et du parti d’opposition) et l’institutionnalisation de la démocratie n’ont entraîné qu’un changement politique de nature procédurale, d’où l’activisme continu de ses militants (notamment étudiants) après 198714. Pour les forces minjung, la communauté politique de l’ère post-autoritaire était en effet nécessairement appelée à connaître une double recomposition frustrée par le conservatisme de la transition, à savoir la réunification nationale et l’élimination des éléments associés au maintien de la division, notamment l’élite de l’ancien régime et la présence militaire américaine15.
19Ce projet de refondation de la société en rupture avec l’ordre hérité de l’ancien régime s’est d’emblée heurté à la résistance des intérêts politiques et économiques contraires que la transition a davantage contribué à renforcer qu’à affaiblir16. A cet égard, le déploiement des instruments répressifs issus de la période autoritaire (à commencer par la loi de sécurité nationale) a assumé une fonctionnalité nouvelle dans la période post-transitionnelle : sanctionner, au nom de la sécurité nationale, les acteurs, les revendications et les formes d’imaginaire politique qui transgressent et menacent une certaine idée du « national » plutôt qu’ils ne mettent en péril l’existence ou la sûreté de l’État. La décennie qui a suivi le changement de régime a en effet coïncidé avec la persistance, voire même la détérioration, des dynamiques de répression mises en œuvre au nom de la sécurité nationale17.
B. Mise en œuvre et contestation par le droit des mécanismes de répression
20L’application faite de la loi de sécurité nationale en vigueur depuis décembre 1948 a continué à se traduire par un nombre élevé d’incriminations au lendemain de la transition18. En témoignent les 1 529 poursuites engagées pour infraction de la loi de sécurité nationale entre 1988 et 1992, lesquelles ont dépassé les 1 093 procédures recensées entre 1980 et 1986 sous le régime de Chun Doo-han19. Cette tendance ne s’est pas seulement vérifiée sous le gouvernement de Roh Tae-woo (1988-1993), ancien général et successeur désigné de Chun Doo-hwan dont l’élection à la présidence en décembre 1987 personnifiait les limites de la transition démocratique20. La continuité incarnée par l’application de la loi de sécurité nationale a également persisté sous l’administration de Kim Young-sam (1993-1998), qui a marqué le retour d’une figure civile à la tête de l’État sud-coréen, sous la férule de leaders militaires depuis le coup de Park Chung-hee en mai 196121.
21De manière plus inattendue, les courbes de la répression n’ont pas fléchi de façon significative sous le gouvernement de Kim Dae-jung (1998-2003), symbole vivant du combat pour les droits de l’homme ayant lui-même été persécuté sous les divers régimes autoritaires. Si son élection a consacré la première alternance politique au pouvoir, elle n’a pas pour autant entraîné de rupture fondamentale dans l’économie répressive de la démocratie sud-coréenne. Ainsi, si le nombre de poursuites engagées pour violation de la loi de sécurité nationale a atteint 1 989 entre 1993 et 1997, il s’élevait encore à 1 058 entre 1998 et 200222.
22L’analyse des dynamiques de la période post-autoritaire gagne cependant à être affinée par la prise en compte des dispositions de la loi de sécurité nationale les plus sollicitées. En effet, les comportements majoritairement incriminés après le changement de régime n’ont correspondu ni aux infractions criminalisées par l’article 3 du texte sanctionnant la formation de groupes dits « anti-étatiques » ; ni par l’article 4 relatif à la commission de crimes contre l’État ; ni par l’article 6 relatif à l’espionnage et à l’évasion vers, ou l’infiltration depuis, « un territoire sous le contrôle d’une organisation anti-étatique » (expression qui définit au sein du texte la Corée du Nord et s’appuie sur la non-reconnaissance de sa souveraineté par l’article 3 de la constitution sud-coréenne) ; ni par l’article 8 prohibant les communications avec des groupes anti-étatiques ou leurs membres ; ni par l’article 9 interdisant d’apporter une aide matérielle ou logistique à ces mêmes groupes ou membres ; ni par l’article 10 censurant la dissimulation de crimes contre l’État.
23Au lieu de ces actes, ce sont ceux couverts par l’article 7 de la loi de sécurité nationale qui ont été principalement visés depuis la fin des années 1980, à savoir « faire l’éloge ou la propagande d’une organisation anti-étatique », transgressions passibles de sept ans d’emprisonnement23. A travers ces dispositions, c’est avant tout un certain ordre du discours que les autorités sud-coréennes ont cherché à discipliner et punir : celui nourri par l’imaginaire national dissident des acteurs qui n’ont cessé de se mobiliser contre les confins de l’espace national et démocratique tel qu’il a été institutionnalisé et perpétué par les élites politiques après le changement de régime24.
24Empêché de faire irruption dans la sphère publique par le déploiement des instruments répressifs hérités de la période autoritaire (1945-1987) et de l’expérience coloniale avant elle (1910-1945), le conflit post-transitionnel lié aux dynamiques d’inclusion et d’exclusion dans la communauté politique a été amené à se déplacer vers l’arène constitutionnelle sous la pression du recours stratégique d’associations tel le Rassemblement des avocats pour une société démocratique (minju sahoe rŭl wihan pyŏnhosa moim, plus connu sous le nom de Minbyun). Ce collectif initialement composé d’une cinquantaine d’avocats et fondé en 1988 avait ainsi pour vocation de représenter les forces minjung marginalisées par l’institutionnalisation de la démocratie et le déploiement continu des mécanismes de répression25.
25Justifiée au nom de la sécurité nationale dans le cadre de la division inter-coréenne, l’application continue de dispositifs tels que la loi de sécurité nationale après 1987 témoigne donc d’un désaccord profond sur le sens et le partage entre ce qui relève du « national » et de son antithèse dans la Corée du Sud de l’ère post-autoritaire. Soulever la validité des instruments répressifs devant la justice constitutionnelle a donc contribué à convertir cette dernière en l’un des principaux sites de contestation des contours de la communauté politique après la transition. Comme lieu de redéfinition et de fabrique de ces contours, la jurisprudence de la Cour constitutionnelle met en scène un certain nombre de déplacements tour à tour inclusifs et excluants des limites du corps collectif, projetant la communauté politique à la fois au-delà et en-deçà du 38ème parallèle.
IV. Inclusion et exclusion au-delà du 38ème parallèle : les frontières de l’espace national revisitées
A. Le statut ambivalent de la Corée du Nord, entre « organisation anti-étatique » et « partenaire en vue de la réunification »
26L’un des objets de dispute que la transition a d’emblée fait surgir concerne la réunification de la péninsule coréenne, que les forces minjung mobilisées contre le régime autoritaire tenaient pour annexée au processus de démocratisation. La fin des années 1980 a ainsi été marquée par une succession d’initiatives non autorisées par le gouvernement pour promouvoir le rapprochement entre le Nord et le Sud de la péninsule, notamment symbolisées par le franchissement de la frontière en 1989 par le révérend Mun Ik-kwan ou l’étudiante Im Su-gyŏng afin, respectivement, de rencontrer Kim Il-sung et de participer au Treizième festival mondial de la jeunesse et des étudiants organisé à Pyongyang.
27A leur retour, Mun, Im et tous ceux qui comme eux ont entrepris de se rendre en Corée du Nord ont été arrêtés et emprisonnés dans le cadre de la loi de sécurité nationale dont l’article 6 prohibe de « s’enfuir à destination de ou [d’] infiltrer à partir d’un territoire sous le contrôle d’une organisation étatique » et dont l’article 8 proscrit l’acte de « rencontrer, correspondre ou communiquer par d’autres moyens avec une organisation anti-étatique ou ses membres » (c’est-à-dire criminalise tout contact avec des Nord-Coréens)26.
28Promulguée en 1948 dans le contexte de la fondation de la République de Corée et de la double contestation de sa légitimité (par l’« autre » Corée, négatrice de sa souveraineté, ainsi que par les groupes qui au Sud s’opposaient au gouvernement conservateur de Rhee Syngman, président de 1948 à 1960), la loi de sécurité nationale, conformément à son article 1, a pour vocation de « supprimer les actes anti-étatiques ». Sa validité constitutionnelle a cependant été contestée à plusieurs reprises depuis la fin des années 1980, notamment au motif que la loi contredit la mission d’unification pacifique inscrite dans le texte et préambule de la norme fondamentale. La conciliation de ces deux impératifs à valeur constitutionnelle (d’une part, défendre la sécurité et l’intégrité de l’État sud-coréen et, d’autre part, œuvrer à la réunification de la péninsule) se traduit par l’ambivalence avec laquelle le statut de la Corée du Nord est appréhendé d’un point de vue juridique.
29A cet égard, la jurisprudence de la Cour constitutionnelle et de la Cour suprême (taebŏbwŏn) sud-coréennes convergent pour conclure que si la Corée du Nord peut être considérée comme un « partenaire en vue de la réunification », elle n’a pas pour autant perdu son caractère d’« organisation anti-étatique » et donc son statut d’ennemi27. Le droit sud-coréen perpétue ainsi une vision de la division inter-coréenne fondée sur la négation de la souveraineté du Nord, dimension qui s’est effacée du discours politique depuis le début des années 200028. De surcroît, la défense par les deux cours du rôle de la loi de sécurité nationale dans la protection de l’ordre démocratique fondamental participe du renforcement de sa fonctionnalité en dehors du cadre de la division comme il sera analysé plus loin.
B. Les contours de la nation coréenne : un imaginaire politique partiellement déterritorialisé
30Le prolongement de la négation par le droit sud-coréen de la souveraineté du Nord est au moins double, productrice d’exclusion mais aussi d’inclusion du point de vue de l’imaginaire national articulé par la jurisprudence. Non seulement la Corée du Nord est maintenue dans un rôle d’altérité hostile bien qu’ambivalente (celle d’un ennemi potentiellement partenaire), mais le statut des Nord-Coréens eux-mêmes est instable dans le cadre de cette configuration, oscillant entre la figure de l’Autre et du Même. En l’absence de reconnaissance juridique de la République populaire démocratique de Corée, le droit sud-coréen appréhende en effet les habitants du Nord comme les « résidents » d’un territoire sur lequel la souveraineté du Sud s’étend de jure. Tout Nord-Coréen s’apparente donc de droit à un national de la République de Corée29.
31Ce dépassement de la frontière inter-coréenne repose sur la conception organique de la nation comme minjok (terme qui connote également le sens d’« ethnie »), et plus particulièrement comme tanil minjok (où tanil exprime la notion d’unité ou de pureté). La nation coréenne est donc conçue à la fois comme ethniquement homogène et distincte, d’où l’idée de « communauté de sang » dont elle est évocatrice. Apparu au tournant du XXe siècle, cet imaginaire national a triomphé de visions concurrentes lors du moment colonial, période dont le nationalisme s’est approprié les termes racialisants pour contester le projet d’assimilation et de domination des autorités japonaises30.
32Cette conception ethnique de la communauté sur laquelle repose la subversion de la frontière inter-coréenne par l’imaginaire national n’échappe cependant pas entièrement à toute logique territoriale. Si elle s’étend aux Coréens du Nord, elle ne dépasse pas pour autant le cadre de la péninsule, c’est-à-dire les contours du royaume coréen millénaire tel qu’il existait comme entité souveraine et unifiée jusqu’à la colonisation. Il existe ainsi en droit sud-coréen un régime d’inclusion différencié au sein du corps national selon l’appartenance géographique des groupes coréens considérés. Ceux du Nord bénéficient à ce titre d’un statut privilégié que ne partagent pas les diasporas coréennes de Chine (chosŏnjok en coréen ou chaoxianzu en chinois), du Japon (chae’il kyop'o en coréen ou zainichi en japonais), et même des États-Unis (chae’mi kyop'o en coréen ou Korean-Americans en anglais, auxquels les lois migratoires concèdent néanmoins un traitement de faveur).
33En 2001, le dispositif selon lequel certaines opportunités économiques et financières n’étaient réservées qu’aux Coréens ayant émigré après 1948 (essentiellement des Coréens-Américains) et non avant (essentiellement des Coréens de Chine) a été invalidé par la Cour constitutionnelle « dans une perspective humanitaire et nationale31 ». L’issue libérale de ce jugement masque néanmoins les prémisses conservatrices du récit nationaliste sur lequel le raisonnement de la cour se fonde, considérant les Coréens ayant émigré avant 1948 comme dignes de protection en tant que patriotes partis pour rejoindre le mouvement d’indépendance ou pour fuir la conscription militaire et la participation à l’économie de guerre imposées par le Japon. Cette reconstruction du passé colonial est en effet prisonnière d’un certain nombre d’apories et de distorsions, à commencer par le fait que la plupart des flux de la période n’ont pas été liés à l’exil de groupes résistants ou d’objecteurs de conscience comme l’avance le jugement mais aux déplacements forcés d’ouvriers et de soldats coréens ayant dû contribuer à l’effort de guerre japonais, notamment en Mandchourie.
34Environ deux millions de Coréens étaient ainsi présents dans l’archipel nippon en 1945, où près d’un tiers est demeuré après la Libération32. A la fondation des deux États coréens trois ans plus tard, cette diaspora a été confrontée à la nécessité d’opter pour la nationalité de l’une des deux républiques, choix non entériné par l’autre en l’absence de reconnaissance de leurs souverainetés respectives. La question des droits et devoirs civiques dont sont titulaires les nationaux qui résident à l’étranger a été constitutionnellement soulevée au milieu des années 2000. Au nom de la sécurité nationale, la Cour constitutionnelle a alors justifié la nécessité de priver du droit de vote non seulement les Coréens du Nord mais également cette partie de la communauté coréenne installée dans l’archipel et historiquement affiliée à Pyongyang via l’Association générale des Coréens résidant au Japon (chae ilbon chosŏnin ch’ongnyŏnhaphoe, dénomination couramment abrégée en ch’ongnyŏn). La cour a cependant estimé que cette double exception ne suffisait pas à restreindre la capacité à voter des autres nationaux qui vivent à l’étranger et constituent des sujets de droit(s) à part entière33.
C. Être Nord-Coréen au Sud : imaginaire national inclusif et réalité sociale excluante
35Jusqu’au début des années 1990, l’appartenance imaginée des Nord-Coréens à la communauté nationale était encore largement imaginaire, dans la mesure où moins de mille personnes étaient parvenues à franchir la frontière pour s’installer au Sud. La famine nord-coréenne provoquée par l’effondrement du système de distribution publique, qui a sévi du milieu à la fin des années 1990 et fait de 600 000 à un million de victimes, a contribué à accélérer le rythme des migrations, permises par une plus grande perméabilité de la frontière entre la République populaire démocratique de Corée et la République populaire de Chine34.
36A l’heure actuelle, le nombre de réfugiés s’élève environ à 27 000, dont la plupart sont des femmes (70 % en moyenne) et proviennent des régions nord-coréennes transfrontalières avec la Chine35. A leur arrivée en Corée du Sud, les réfugiés sont soumis à des procédures de contrôle strictes et intenses. En 1999, neuf d’entre eux ont obtenu des réparations en compensation des dommages physiques et psychologiques occasionnés par les mauvais traitements reçus au cours de ces interrogatoires36. L’objectif de ces derniers est autant d’établir que les individus en question ne sont ni des espions mettant en péril la sécurité nationale, ni des Coréens issus de la diaspora, notamment de Chine, cherchant à bénéficier des politiques migratoires préférentielles réservées aux réfugiés en provenance du Nord en termes d’allocations et de prestations gouvernementales.
37Une fois cette étape révolue, les nouveaux arrivants sont confiés à un centre d’adaptation spécialisé pour une durée de douze semaines, Hanawŏn, à l’issue desquelles leur intégration dans la société sud-coréenne peut théoriquement commencer. Ce processus s’avère cependant difficile et limité dans la très grande majorité des cas, les réfugiés constituant un groupe socialement et économiquement marginalisé, particulièrement affecté par le chômage, la discrimination et la précarité37. Cette ségrégation reflète les oscillations des dynamiques d’inclusion et d’exclusion au sein du corps collectif non seulement par-delà la frontière inter-coréenne, mais également en-deçà.
V. Inclusion et exclusion en-deçà du 38ème parallèle : les frontières de l’espace démocratique en question
A. La loi de sécurité nationale : de l’ennemi de l’État à l’adversaire de l’ordre démocratique
38La période post-transitionnelle a été caractérisée par un déplacement de la figure de l’ennemi et des contours d’inclusion et d’exclusion au sein de la communauté politique. Ce déplacement a largement laissé les acteurs porteurs des revendications et de l’imaginaire national associés au mouvement minjung « sans part » dans l’ordre démocratique négocié par les élites politiques, celles de l’ancien régime et de l’opposition38. Si les rouages démocratiques ont permis la rotation de ces élites au pouvoir avec l’élection à la présidence de Roh Tae-woo en décembre 1987, de Kim Young-sam en décembre 1992 et de Kim Dae-jung en décembre 1997, l’appareil répressif hérité du système autoritaire a quant à lui continué de policer une certaine distribution de ce qui relève du « national » et de son antithèse dans la Corée du Sud contemporaine39.
39Comme précédemment décrit, la loi de sécurité nationale et son article 7 sanctionnant l’acte de « faire l’éloge ou la propagande d’une organisation anti-étatique », loin d’avoir été déployés contre les actes mettant en danger la sauvegarde de l’État, ont été bien plus fréquemment utilisés sous les gouvernements démocratiques successifs pour sanctionner les discours menaçant une certaine idée du « national ». Déféré dès 1989 devant la justice constitutionnelle, l’article 7 de la loi de sécurité nationale a depuis fait l’objet d’attaques répétées40. Son application, qui s’étend désormais à internet et a connu une recrudescence sous le gouvernement conservateur de Lee Myung-bak (2008-2013), continue d’être controversée. Bien que la Cour constitutionnelle ait très tôt reconnu les risques qu’une interprétation excessive de la loi fait encourir à la liberté d’expression, le texte a été jugé conforme à la constitution dans la mesure où son application est restreinte aux actes qui présentent un « danger clair » pour l’existence et la sécurité de l’État ou pour l’ordre démocratique fondamental (chayu minjujŏk kibon chilsŏ, littéralement « l’ordre fondamental de la démocratie libérale »)41.
40Ce faisant, la jurisprudence constitutionnelle sud-coréenne a produit une dualité d’effets. Elle a d’une part contraint les possibilités d’interprétation associées à la loi de sécurité nationale afin de juguler les usages abusifs (notamment en matière de liberté artistique et scientifique) qui étaient faits de l’article 7 par les institutions en charge d’assurer son respect à la fin des années 1980, en particulier l’Agence pour la planification de la sécurité nationale (kukka anjŏn kihoekpu) qui a succédé en 1981 à la CIA sud-coréenne. La cour a cependant également contribué à consolider la fonctionnalité de la loi de sécurité nationale dans l’ère post-autoritaire, convertissant le dispositif en un instrument non seulement au service de la protection de l’État mais de la défense de l’ordre démocratique issu de la transition.
41Cette dimension de sa jurisprudence est également celle dont les effets se sont maintenus sur le long terme, le langage militant introduit par la cour pour justifier la permanence de la loi de sécurité nationale ayant été inséré dans le corps du texte à la suite d’une révision législative intervenue en 1991. Les efforts censeurs de la cour à l’égard des institutions en charge d’assurer l’application de la loi se sont par contre heurtés au refus des acteurs incriminés de réformer leurs pratiques. En conséquence, le parquet, la police, l’agence de sécurité nationale et l’administration pénitentiaire, ainsi que les branches politiques elles-mêmes, ont à maintes reprises résisté à l’interprétation et aux changements préconisés par la Cour constitutionnelle42.
42Lors du débat suscité en 2004 par le souhait du président Roh Moohyun (2003-2008) d’abolir la loi de sécurité nationale et d’incorporer les provisions nécessaires à la sauvegarde de l’État dans le Code pénal, la Cour constitutionnelle a fortement réaffirmé sa position en faveur du texte et de sa nécessité dans la période démocratique contemporaine, mettant en exergue le caractère contraignant, sinon juridiquement du moins moralement, de sa jurisprudence pour le parlement43. Au final, c’est la pertinence domestique de l’économie répressive post-transitionnelle et des mécanismes d’exclusion sur lesquels elle se fonde que la Cour constitutionnelle de Corée a ainsi renforcée à travers ses décisions, comme l’illustre également l’affaire relative au système de conversion idéologique.
B. Le système de conversion idéologique : faut-il punir les crimes de pensée ?
43A la fin des années 1990, les prisons sud-coréennes renfermaient les détenus politiques aux peines les plus prolongées à l’échelle mondiale, certains individus étant incarcérés depuis l’époque de la guerre de Corée (1950-1953). Leur maintien en prison était permis par le système de conversion idéologique (sasang chŏnhyang) rendant possible la détention indéfinie de tout individu condamné sous la loi de sécurité nationale tant que ce dernier refuse de rédiger une confession déclarant son renoncement au communisme, une procédure transformée en 1998 en un serment d’engagement à respecter les lois de la Corée du Sud. Mis en place par les autorités japonaises au milieu des années 1920 pour lutter contre les mouvements radicaux de tous bords (anarchiste, communiste et socialiste) dans la métropole et pour faire face au mouvement d’indépendance dans la Corée coloniale, le système de conversion idéologique a survécu, comme l’ensemble de l’appareil répressif, à une double rupture politique : celle de la libération en 1945 et celle de la transition démocratique en 198744.
44Le nouveau système de conversion idéologique, le serment d’allégeance aux lois, a été contesté en 1998 devant la Cour constitutionnelle de Corée. Son jugement, rendu en 2002, a confirmé la validité du dispositif par un vote de sept juges contre deux45. Cette issue confirme la manière paradoxale dont la cour a assumé son rôle de gardien de l’ordre constitutionnel. Tout en s’efforçant de démanteler un certain nombre de dispositions abusives et de procédures arbitraires léguées par la période autoritaire, notamment dans le champ du droit pénal et en relation avec les droits de la défense dont la cour a entrepris l’extension et la protection même pour les individus suspectés de crimes contre l’État, la jurisprudence constitutionnelle a également contribué à légitimer la permanence des mécanismes d’exclusion déployés au nom de la sécurité nationale mais assurant la défense d’une certaine idée de ce que le « national » est46.
45A la double question juridique consistant à déterminer si conditionner la libération des détenus s’étant rendus coupables d’infraction contre la sécurité nationale à un serment d’allégeance aux lois enfreignait leur liberté de conscience et instituait un traitement discriminatoire à leur égard, les juges de la cour ont répondu par une analyse historique du système de conversion concluant par sept voix contre deux à la suffisance des changements apportés par la réforme de 1998 pour différencier ce serment d’allégeance de sa version liberticide antérieure. En dépit de la dissonance de leurs conclusions sur ce point, la décision de la majorité comme l’opinion de la minorité s’inscrivent cependant dans un ordre discursif largement partagé et fondé sur le postulat que tout crime contre la loi de sécurité nationale représente également un « crime de pensée » nécessairement commis par un individu qui rejette les valeurs démocratiques à la défense desquelles la cour se consacre47.
46Ce faisant, les deux camps ont écarté un ensemble de faits liés à l’histoire même du système de conversion et ses dérives, symbolisées par le plaignant principal dans le recours en question et tenant à l’application indifférenciée du dispositif à tout auteur d’infraction contre la loi de sécurité nationale, quelle que soit l’idéologie dont il est porteur – non pas seulement communiste mais simplement dissidente. Paradoxalement, c’est donc à travers son rôle de gardien et d’interprète de ce qui constitue l’ordre démocratique et ses valeurs fondamentales que la cour a le plus profondément contribué à renforcer les logiques d’inclusion et d’exclusion qui structurent la Corée du Sud contemporaine et font de l’articulation d’un imaginaire politique discordant une menace « anti-nationale ».
C. Menace et tolérance des objecteurs de conscience
47Si le rejet du discours et de l’identité minjung hors du corps politique circonscrit par les autorités sud-coréennes et l’appareil répressif a marqué les années 1990, l’essoufflement du mouvement à la fin de cette décennie et la crise économique qui a ébranlé le continent asiatique ont entraîné la reformation d’un consensus autour du projet national promu par l’État depuis les années 1960 : la priorité accordée au développement économique et donc à la poursuite d’une logique néo-libérale, à laquelle est désormais subordonnée la politique de réunification sud-coréenne48. Dans ce contexte, le principal affront à l’imaginaire national provient d’une nouvelle source que le discours minjung. Il émane du refus d’effectuer leur service militaire chaque année par plusieurs centaines d’objecteurs de conscience, dont l’écrasante majorité s’identifie aux Témoins de Jéhovah.
48L’objection de conscience au service militaire, long de deux années, est criminalisée par l’article 88 de la loi sur le service militaire (pyŏngyŏkpŏp) et punie par une peine de dix-huit mois d’emprisonnement. Ce dispositif a été attaqué devant la justice constitutionnelle en 2002, au motif qu’il enfreignait la liberté de conscience et de religion garantie par la constitution49. La décision rendue par la cour en 2004 révèle à nouveau l’ambivalence qui imprègne son rôle. Tout en s’affirmant critique du système actuel et en invitant le parlement à considérer l’éventualité d’une réforme, la jurisprudence constitutionnelle énumère les raisons pour lesquelles une telle réforme peut s’avérer compromise dans les circonstances actuelles. Ces raisons ne renvoient pas seulement à la situation de crise exceptionnelle dans laquelle se trouve la République de Corée selon la description de la cour, à savoir le contexte de la division et l’hostilité continue du Nord, mais également à un ensemble de considérations liées à la cohésion du lien social au Sud.
49La frontière inter-coréenne n’est ainsi pas la seule invoquée pour défendre la criminalisation persistante de l’objection de conscience au service militaire. Comme l’évoque la décision, la réunification ne constitue pas une condition sans laquelle la réforme du service militaire ne peut être envisagée. Le spectre d’un risque plus insidieux se profile dans le jugement, celui d’une possible désagrégation de la cohésion nationale si se soustraire au service militaire au nom de principes moraux ou religieux venait à être toléré, signalant la reconnaissance d’un ordre de valeurs qui transcenderait celui de l’État-nation.
50C’est en effet toute une chaîne de solidarité mise en place dans les années 1960 entre la mobilisation par le service militaire, la production de citoyens loyaux et le développement national que l’acceptation des objecteurs de conscience risquerait de rompre50. L’appréhension de la cour manifeste à cet égard combien les dynamiques d’inclusion et d’exclusion qui structurent le corps collectif tel que défini en Corée du Sud ont toujours été irréductibles au seul problème de la division. La question de l’appartenance à la communauté politique des sujets investis de droits et de devoirs ne renvoie donc pas qu’à la préservation des conditions nécessaires pour garantir la sécurité nationale. Cette question pose également celle du rapport des élites et institutions sud-coréennes au pluralisme, c’est-à-dire à la tolérance de communautés de valeurs alternatives dont le contenu ne saurait être juridiquement prescrit51.
Conclusion
51En dépit de la prégnance de la division inter-coréenne, le 38ème parallèle n’apparaît pas comme la frontière qui délimite, in fine, les contours de la communauté politique telle qu’elle est définie au Sud. Celle à qui ce rôle est échu est avant tout immatérielle, s’apparentant à une frontière imaginée sans être pour autant imaginaire. Elle s’impose ainsi comme une construction non pas fixe mais mouvante, une réalité instable et ambiguë mais constamment productrice d’effets, tour à tour inclusifs et excluants, au nom de l’appartenance au « national ». Cette frontière est à l’œuvre dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle de Corée, lieu privilégié de contestation autant que de fabrique de la communauté politique et de ses limites depuis la transition démocratique. Cette dualité se traduit par le paradoxe dans lequel la Cour constitutionnelle a été prise depuis la fin des années 1980 : sans cesse investie par les acteurs porteurs d’un imaginaire discordant dans le but de subvertir et déplacer les contours de ce qui relève du « national » et de son antithèse, la cour a néanmoins confirmé et consolidé les logiques d’inclusion et d’exclusion qui sont le legs de la transition de 1987 et de son institutionnalisation d’une communauté politique aux confins non-pluralistes.
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Notes de bas de page
2 Bigo (Didier), « Frontières, territoire, sécurité, souveraineté », in Durand (Marie-Françoise) et Lequesne (Christian) dir., Ceriscope Frontières, publication en ligne, 2011. Consulté le 9 novembre 2014 à l’adresse suivante : http://ceriscope.sciences-po.fr/content/part1/frontieres-territoire-securite-souverainete
3 Cette approche historiographique de la division est apparue au début des années 1980 suite à la publication par l’historien américain Bruce Cumings du premier volume consacré à sa magistrale étude des origines de la guerre de Corée. Cf. Cumings (Bruce), The Origins of the Korean War, Vol. 1. Liberation and the Emergence of Separate Regimes, 1945-1947, Princeton, Princeton University Press, 1981. Le paradigme initié par Cumings a été décrit par Henry Em comme une vision « critique– interactive » (critical-interactive) de la division, distincte des approches uniquement centrées sur ses facteurs domestiques ou sa dimension internationale, telles que la perspective « orthodoxe– internationale » (orthodox-international) épousée par l’historiographie officielle de la Corée du Sud et attribuant la partition aux ambitions géostratégiques de l’Union soviétique, soutenue par le « régime fantoche » de la Corée du Nord, ou encore l’approche « libérale– internationale » (liberal-international) selon laquelle Soviétiques et Américains ont une responsabilité partagée. Em (Henry), « “Overcoming” Korea’s division : narrative strategies in recent South Korean historiography », Positions : East Asia Cultures Critique, vol. 1, no 2, 1993, p. 453-456.
4 Robinson (Michael), Korea’s Twentieth-Century Odyssey. A Short History, Honolulu, University of Hawai‘i Press, 2007.
5 Cumings (Bruce), op. cit.
6 U.S. Congressional research service, North Korean Provocative Actions, 1950-2007, Washington, U.S. Library of Congress, 2007.
7 Gélézeau (Valérie), « La Corée dans les sciences sociales : les géométries de la comparaison à l’épreuve d’un objet dédoublé », in Renaud (Olivier), Schaub (Jean-Frédéric), Thireau (Isabelle) dir., Faire des sciences sociales, Volume 3. Comparer, Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, coll. « Cas de figure », 2012, p. 255-284.
8 Geertz (Clifford), « Local knowledge : fact and law in comparative perspective », in Local Knowledge. Further Essays in Interpretive Anthropology, New York, Basic Books, 1983, p. 182.
9 Une traduction en anglais du texte de la constitution de la République de Corée est accessible sur le site de la Cour constitutionnelle à l’adresse suivante : http://english.ccourt.go.kr/cckhome/eng/index.do
10 Au contraire, la constitution de la République populaire démocratique de Corée a été remplacée en 1972. Cf. Yoon (Dae-Kyu), « The constitution of North Korea : its changes and implications », Fordham International Law Journal, vol. 27, no 4, 2003, p. 1289-1305.
11 Le français comme l’anglais traduisent par le vocable de « réunification » ce que la langue coréenne, comme la langue chinoise dans un autre contexte (celui de la partition entre la République de Chine, soit Taiwan, et la République populaire de Chine, soit la Chine continentale), désigne sans faire appel au préfixe « ré- ». Cf. Mengin (Françoise), Fragments d’une guerre inachevée. Les entrepreneurs taiwanais et la partition de la Chine, Paris, Karthala, 2013, p. 13. L’usage du préfixe a par ailleurs été interrogé dans le débat politique allemand comme le souligne cette déclaration de l’ancien chancelier fédéral Willy Brandt : « J’ai des difficultés en ce qui concerne le “ré-”. Ce préfixe suggère que l’on pourrait restaurer les choses telles qu'elles ont déjà existé ». Cité in Teichmann (Christine), « Dire la réunification allemande au quotidien », Mots, no 34, 1993, p. 89.
12 Rancière (Jacques), La mésentente. Politique et philosophie, Paris, Galilée, 1995, p. 12-14.
13 Sur la genèse, l’évolution et les manifestations du mouvement minjung, cf. Wells (Kenneth) dir., South Korea’s Minjung Movement. The Culture and Politics of Dissidence, Honolulu, University of Hawai‘i Press, 1995 ; Abelmann (Nancy), Echoes of the Past, Epics of Dissent. A South Korean Social Movement, Berkeley, University of California Press, 1996 ; ou encore Lee (Namhee), The Making of Minjung. Democracy and the Politics of Representation in South Korea, Ithaca, Cornell University Press, 2007.
14 Kim (Sunhyuk), The Politics of Democratization in Korea. The Role of Civil Society, Pittsburgh, University of Pittsburgh Press, 2000. Pour une analyse détaillée du processus par lequel la réforme constitutionnelle a été négociée par le parti au pouvoir et celui d’opposition au cours de l’été 1987, cf. CHO (Jung-Kwan), « The politics of constitution-making during the 1987 democratic transition in South Korea », Korea Observer, vol. 35, no 2, 2004, p. 171-206.
15 A l’heure actuelle, les États-Unis maintiennent un contingent d’environ 28 500 militaires en Corée du Sud.
16 Choi (Jang-Jip), Democracy After Democratization. The Korean Experience, Stanford, Walter H. Shorenstein Asia-Pacific Research Center, Stanford University, 2012.
17 L’analyse de l’économie politique répressive sud-coréenne après la transition de 1987 n’a fait l’objet que de peu d’études approfondies. Parmi les tentatives pionnières, cf. Shaw (William) dir., Human Rights in Korea. Historical and Policy Perspectives, Cambridge, Harvard University Press, 1991.
18 La matrice de la loi de sécurité nationale provient de la loi pour la préservation de la paix promulguée par les autorités japonaises au milieu des années 1920 afin de lutter contre l’éclosion de groupuscules socialistes, communistes et anarchistes dans l’archipel avant d’être appliquée à la Corée coloniale pour faire face au mouvement d’indépendance lui-même principalement composé de forces de gauche à partir des années 1930. Sur le thème de l’économie répressive coloniale coréenne et ses effets « productifs » dans une perspective foucaldienne, cf. Lee (Chulwoo), « Modernity, legality, and power in Korea under Japanese rule », in Shin (Gi-Wook), Robinson (Michael) dir., Colonial Modernity in Korea, Cambridge, Harvard University Press, 2001, p. 21-51.
19 Commission nationale des droits de l’homme de la République de Corée, Rapport sur la situation des droits de l’homme engendrée par l’application de la loi de sécurité nationale (kukka poanpŏp chŏgyongsa esŏ nat’anan inkwŏn silt’ae), Séoul, Minjuhwa silch'ŏn kajok undong hyŏbŭihoe, 2004, p. 30 et 36 respectivement.
20 La victoire de Roh Tae-woo peut être principalement attribuée à la candidature séparée des deux figures-clé de l’opposition, Kim Young-sam et Kim Dae-jung. Le vote lors de l’élection présidentielle de décembre 1987 au suffrage universel direct a été réparti de la manière suivante : 36,6 % pour Roh Tae-woo, 28 % pour Kim Young-sam, 27 % pour Kim Dae-jung, 8,1 % pour Kim Jong-pil et 0,2 % pour Shin Jung-il.
21 L’élection de Kim Young-sam n’a cependant pas signifié l’alternance politique en vertu de l’alliance de son camp avec les conservateurs. Leurs partis respectifs ont ainsi fusionné en 1990 pour former le Parti démocratique libéral (minju chayudang) sur le modèle du Parti libéral-démocrate japonais qui a occupé le pouvoir quasiment sans interruption depuis sa fondation en 1955.
22 Commission nationale des droits de l’homme de la République de Corée, op. cit., p. 44 et 66 respectivement.
23 1 791 des 1 989 poursuites engagées pour violation de la loi de sécurité nationale entre 1993 et 1997 (soit 90 %) l’ont été sur la base de l’article 7 et 971 des 1 058 poursuites engagées entre 1998 et 2002 (soit près de 92 %) l’ont été sur la base du même article. Ibid., p. 45 et p. 67 respectivement.
24 Pour une analyse des dynamiques répressives comme réponse à la menace discursive et non aux tactiques supposément plus radicales du mouvement minjung, cf. Lee (Jung-Eun), « Categorical threat and protest policing : patterns of repression before and after democratic transition in South Korea », Journal of Contemporary Asia, vol. 43, no 3, 2013, p. 475-496.
25 Goedde (Patricia), « Lawyers for a Democratic Society (Minbyun) : the evolution of its legal mobilization process since 1988 », in Shin (Gi-Wook) et Chang (Paul) dir., South Korean Social Movements. From Democracy to Civil Society, Abingdon, New-York, Routledge, 2011, p. 224-244.
26 Shin (Gi-Wook), Chang (Paul), Lee (Jung-Eun), Kim (Sookhyung), South Korea’s Democracy Movement (1970-1993). Stanford Korea Democracy Project Report, Stanford, Walter H. Shorenstein Asia-Pacific Research Center, Stanford University, 2007.
27 Yoon (Dae-Kyu), Law and Democracy in South Korea. Democratic Development since 1987, Séoul, Kyungnam University Press, 2010.
28 La première étape de cette reconnaissance politique mutuelle a coïncidé avec l’accession de chacune des deux Corée au statut de membre des Nations unies le 17 décembre 1991 (par contraste, Pékin s’est substitué à Taipei pour seul représenter la Chine depuis 1971). Ont suivi deux rencontres des chefs d’État à Pyongyang, en 2000 (Kim Jong-il et Kim Dae-jung) et 2007 (Kim Jong-il et Roh Moo-hyun).
29 12-2 KCCR 167, 97Hun-Ka12, 31 août 2000. Cette position de la Cour constitutionnelle de Corée confirme celle de la Cour suprême.
30 Shin (Gi-Wook), Ethnic Nationalism in Korea. Genealogy, Politics, and Legacy, Stanford, Stanford University Press, 2006.
31 13-2 KCCR 714, 99Hun-Ma494, 29 novembre 2001.
32 CHUNG (Erin Aeran), Immigration and Citizenship in Japan, New-York, Cambridge University Press, 2010.
33 19-1 KCCR 859, 2004Hun-Ma644, 28 juin 2007.
34 Haggard (Stephan), Noland (Marcus), Famine in North Korea. Markets, Aid, and Reform, New York, Columbia University Press, 2007.
35 Ces statistiques sont disponibles sur le site du Ministère de l’unification de la République de Corée, accessible en anglais à l’adresse suivante : http://eng.unikorea.go.kr
36 Seok (Kyong-Hwa), « North Korean defectors sue South Korea », Associated Press, 19 février 1999.
37 O (Tara), « The integration of North Korean defectors in South Korea : problems and prospects », International Journal of Korean Studies, vol. 15, no 2, 2011, p. 151-169.
38 Rancière (Jacques), op. cit.
39 Choi (Jang-Jip), op. cit.
40 Par exemple, cf. 4 KCCR 4, 89Hun-Ka8, 28 janvier 1992 ; 8-2 KCCR 283, 95Hun-Ka2, 4 octobre 1996 ; 14-1 KCCR 279, 99Hun-Ba27, 25 avril 2002 ; 16-2 KCCR 297, 2003Hun-Ba85, 26 août 2004.
41 2 KCCR 49, 89Hun-Ka113, 2 avril 1990.
42 Cho (Kuk), « Tensions between the National Security Law and constitutionalism in South Korea », Boston University International Law Journal, vol. 15, no 1, 1997, p. 125-174.
43 6-2 KCCR 297, 2003Hun-Ba85, 26 août 2004.
44 Pour une description du système de conversion idéologique et notamment de sa réactivation dans les années 1970, cf. Commission présidentielle de vérité sur les morts suspectes de la République de Corée, A Hard Journey to Justice. First Term Report by the Presidential Truth Commission on Suspicious Deaths of the Republic of Korea, Séoul, Samin Books, 2004.
45 14-1 KCCR 351, 98Hun-Ma425, 25 avril 2002. La décision a été annulée l’année suivante, le Ministère de la justice ayant aboli le système de conversion en 2003.
46 La jurisprudence de la Cour constitutionnelle a par exemple consacré le droit de tout suspect d’avoir recours à un avocat pendant sa garde à vue (4 KCCR 51, 91Hun-Ma111, 28 janvier 1992 et 6-2(A) KCCR 543, 2000Hun-Ma138, 23 septembre 2004) ou le droit de tout inculpé d’avoir accès à son dossier d’instruction (9-2 KCCR 675, 94Hun-Ma60, 27 novembre 1997).
47 L’opinion dissidente de deux juges a néanmoins conclu que même les individus coupables de crimes de pensée ne peuvent être punis que pour leurs crimes de fait dans une société démocratique.
48 Park (Hyun Ok), « The politics of unification and neoliberal democracy : economic cooperation and North Korean human rights », in Ryang (Sonia) dir., North Korea. Toward a Better Understanding, Lanham, Lexington Books, 2009, p. 109-128.
49 16-2(A) KCCR 141, 2002Hun-Ka1, 24 août 2004.
50 Moon (Seungsook), Militarized Modernity and Gendered Citizenship in South Korea, Durham, Londres, Duke University Press, 2005.
51 Plusieurs décisions de la Cour constitutionnelle de Corée illustrent cette résistance au pluralisme et concernent son refus de décriminaliser des pratiques relevant du choix individuel et de la sphère privée. Il aura ainsi fallu attendre le début de l’année 2015 pour que la cour invalide une loi des années 1950 sanctionnant pénalement l’adultère et dont la constitutionnalité avait été à plusieurs reprises réaffirmée par sa jurisprudence. L’avancée que représente l'annulation de la loi ne suffit pas à masquer l’orientation conservatrice des décisions récentes relatives à la criminalisation continue de l’avortement ou des actes homosexuels au sein de l’armée. Cf. respectivement 24-2(A) KCCR 471, 2010Hun-Ba402, 23 août 2012 et 23-1 KKCR 178, 2008Hun-Ka21, 31 mars 2011.
Auteur
Justine Guichard a obtenu son doctorat en science politique de Sciences Po et Columbia University. Elle continue de poursuivre ses recherches au sein du Centre d’études et de recherches internationales (CERI) de Sciences Po où elle a notamment contribué au CERISCOPE Frontières (2011). Elle est l'auteure de Regime Transition and the Judicial Politics of Enmity. Democratic Inclusion and Exclusion in South Korean Constitutional Justice (Palgrave Macmillan, 2016).
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