– 1 – Éclairage historique : de l’homme « de bien » au juge professionnel ou l’histoire ambivalente d’un désenchantement ?63
p. 73-97
Texte intégral
1Il n’est guère possible de retracer minutieusement, dans le cadre de cette contribution, tous les aléas de l’histoire de la justice de paix en Belgique de 1830 à nos jours. Quel intérêt présenterait d’ailleurs l’égrènement fastidieux de toutes les lois judiciaires et autres législations civiles qui ont concerné le juge cantonal ? Au lieu de procéder à une accumulation érudite, on a préféré scruter le passé à partir d’interrogations contemporaines, nées de la lecture de la doctrine et confrontées aux données factuelles du passé. Ce n’est donc pas à un cheminement linéaire auquel l’on vous convie mais bien à une démarche quelque peu vagabonde, cultivant un va-et-vient constant entre le donné passé et son inscription dans la mémoire contemporaine.
Section 1. La persistance du mythe originaire, malgré la réalité
2De toutes les institutions judiciaires, la justice de paix semble subir le plus directement le poids de son histoire tant dans les législations touchant à son fonctionnement que dans la représentation que les auteurs en donnent dans leurs commentaires. Il suffit d’ouvrir un traité de droit judiciaire pour aussitôt relever, à propos des juges de paix, non seulement un vocabulaire et une formulation très historiquement datés, comme si la loi fondatrice de 1790 marquait cette juridiction de son sceau indélébile, mais aussi un discours traversé par quelques paradoxes.
3Prenons un grand classique du droit judiciaire paru en 1954, celui de M. A. Pierson, De l’organisation judiciaire et de la compétence64. Au chapitre II, l’auteur, après avoir constaté que la création de la justice de paix fut une des plus heureuses inspirations de la Constituante et en avoir esquissé sommairement les principales caractéristiques conclut son « digest » historique par cette observation : « cette création révolutionnaire a résisté à l’épreuve du temps ». Et d’ajouter dans la foulée cette appréciation : « toutefois, la situation actuelle des juges de paix n’est plus du tout comparable à ce qu’elle fut aux premiers temps de l’institution ». Quel étonnant paradoxe que d’affirmer dans le même temps et la pérennité d’une institution et sa profonde transformation au point qu’elle apparaisse aujourd’hui comme nouvelle institution incomparable à son ancêtre. Pourquoi et comment expliquer la nécessité d’arrimer la justice de paix à son origine, quoique celle-ci apparût comme irrémédiablement révolue ?
4Dix ans plus tard, Ch. Van Reepinghen, Commissaire royal à la réforme judiciaire, dresse le même constat et conclut de la même façon. Prenant acte que la magistrature cantonale ne ressemble plus guère à l’institution que ses protagonistes avaient rêvée, il précise aussitôt : « Il importe donc de conserver les bienfaits d’une telle institution. Le projet répond à ce vœu et il va au-delà »65.
5Ce qui fut effectivement réalisé. Le Code Judiciaire de 1967 accentua en effet encore davantage cette évolution vers un accroissement des attributions du juge de paix : en plus de ses nombreuses charges tutélaires, le juge de paix devint le juge ordinaire de droit commun de tous les litiges tant d’ordre civil que commercial dont la valeur ne dépassait pas 50.000frs, sans oublier ses compétences dites exceptionnelles dont certaines s’étendirent par rapport au passé66. On pourrait multiplier les citations d’auteurs qui, tout en prenant acte de la surcharge des tâches incombant au juge de paix depuis près de deux cents ans, en confortent cependant l’institution au nom même de ses spécificités telles que stipulées dans la loi du 16-24 août 179067.
6Cette valorisation de l’action du juge de paix s’accompagna cependant d’un certain nombre de critiques. Le procureur général près la Cour d’appel de Bruxelles en a dressé l’inventaire quasi exhaustif dans sa mercuriale de rentrée de 196068. Retenons-en l’une d’entre celles que l’on retrouve mentionnée de manière récurrente dans plusieurs débats parlementaires du XIXe siècle et parce qu’elle touche à une caractéristique essentielle de la justice de paix : elle concerne le statut de juge unique qui caractérise le juge de paix69.
7Celui-ci, on le sait, est par définition un juge unique ; il n’est pas seulement appelé à juger seul mais il est aussi seul juge dans sa juridiction ; la justice de paix s’incarne dans son titulaire70. « Seigneur et maître dans son canton, il l’organise souverainement et en assume seul toutes les responsabilités »71, avec tous les risques inhérents que comporte cet isolement : une plus grande vulnérabilité, l’absence de collégialité lui permettant de mesurer la portée de ses décisions ; point non plus de ministère public à ses côtés. On n’entourera jamais le juge de paix de garanties comparables à celles que l’on imposera au juge unique en première instance en 191972.
8Malgré ces critiques et les nombreuses invitations à ravaler quelque peu l’institution de la justice de paix73, on ne manqua point de rendre un « hommage sans réserve à l’action accomplie du juge de paix »74. Voilà un nouveau paradoxe qui consiste à élargir et à valoriser une institution qui par ailleurs souffre de tant de dangers, de risques de dérapage et de dysfonctionnement.
9Cette référence aux origines, il convient de le noter, est loin d’être un phénomène récent. Lors de la parution du premier numéro du Journal des juges de paix, l’éditorial contenait notamment les réflexions suivantes : « De ses anciennes et primitives attributions, cette magistrature n’a plus conservé aujourd’hui que le nom seul [...]. Malgré sa modeste origine le juge de paix a grandi [...] et loin d’être entravée, sa mission pacificatrice a bénéficié [...] de toute la clairvoyance et de tout le prestige que donne immanquablement la science ! Dès lors, rien n’empêchait plus que le juge de paix ne vît étendre ses attributions »75.
10On pourrait encore proposer un florilège bien étoffé de citations extraites cette fois de travaux parlementaires ou de commentaires à propos de ces travaux. A titre d’exemple, retenons cette appréciation de F. Poelman à propos des compétences nouvelles que la loi de 1976 attribua aux juges de paix : « le législateur a pensé - à tort ou à raison, notre but n’est pas d’en discuter ici - que rapprocher le justiciable d’un juge dont la fonction est très largement conciliatrice de sa nature, l’en rapprocher dans l’espace et - parfois - dans le temps, faciliterait l’accès à sa juridiction et serait sans doute bénéfique pour les ménages frôlant l’abîme »76.
11Ainsi, jadis comme aujourd’hui, les discours sur les juges de paix apparaissent à chaque fois comme chargés d’un poids historique particulièrement pesant. Nonobstant l’analyse qui admet que le juge de paix est un juge à part entière, qu’il faut considérer sur le même pied que ses pairs des autres juridictions, et quoique l’on explicite dans les détails, sans omettre la moindre chausse-trappe technique, les arcanes de ses compétences, confirmant ainsi que le juge de paix est devenu un professionnel de la justice, chargé par conséquent de traiter les affaires de manière technique, l’on continue à emprunter à l’histoire la terminologie et les valeurs de la loi de 1790 et des discours qui l’accompagnent. On retient de cette origine que le juge de paix est le juge de la famille, sous-entendant par cette expression son insertion de proximité ; qu’il est paternel et donc d’un accès aisé, proche des justiciables. Juge de la quotidienneté en quelque sorte.
12La démarche qui consiste d’une part à reconnaître une spécificité au juge de paix et d’autre part, au nom de cette même spécificité, à lui confier de plus en plus de compétences au point d’en faire un juge dont on peut se demander s’il est encore apte à assumer le rôle qu’on lui impose au nom de sa réussite attestée par l’histoire, ne peut qu’attiser la curiosité de l’historien et soulever quelques questions. Pourquoi cette référence constante à l’acte fondateur ? La justice de paix aurait-elle traversé, intacte, le flot de l’histoire, à l’inverse des autres juridictions ? Ou bien est-ce la fascination d’un paradis perdu qui imprégnerait le discours sur la justice de paix de cette historicité dont il conviendrait d’analyser le rôle dans la perception que l’on a du fonctionnement de la justice contemporaine ? Le modèle retenu par les auteurs correspond-il bien à celui des origines ou, au contraire, sous un vocabulaire identique, ne sont-ce pas d’autres désirs que ceux de 1790 qui sont exprimés ? Le bien est-il donc si précieux qu’il faille non seulement en cultiver le souvenir mais également en perpétuer les effets au risque de vider l’institution de la justice de paix de sa substance originaire ? Ou sert-il de terreau duquel devrait surgir un modèle alternatif de justice ?
13Pour répondre à ces questions, reportons-nous aux origines de la justice de paix ; et d’abord aux discours qui en ont façonné les traits essentiels afin de vérifier le bien fondé des références contemporaines au modèle premier, pour ensuite essayer de dégager les facteurs qui furent à l’origine de cet éloignement par rapport à l’utopie originaire.
Section 2. L’acte fondateur : l’utopie dans son environnement
14Le texte est célèbre mais il mérite d’être une nouvelle fois cité tant il constitue le socle autour duquel toute la mythologie de la justice de paix n’a pas cessé de tourner depuis deux cents ans.
15Dans la séance du 7 juillet 1790, Thouret présente ainsi le projet de loi sur les juges de paix :
« Le désir le plus général [...] est de procurer aux habitants des campagnes une justice prompte, facile, et, pour ainsi dire, domestique, qui n’exige pas l’appareil d’une procédure ruineuse, et qui ne demande pas d’autres lois que les indications du bon sens [...]. On ne verra plus les chemins qui conduisent des villages aux villes couvertes de plaideurs, allant consulter des juges faits plutôt pour embrouiller que pour décider les différends. Pour être juge de paix, il suffira d’avoir les lumières de l’expérience et un bon jugement [...]. Ces juges seront semblables aux citoyens qui décident aujourd’hui en qualité d’arbitre. La justice sera dégagée des frais qui absorbent les capitaux qui sont l’objet des contestations [...].
La justice de paix ne doit point être sujette aux rigueurs de la procédure ; un règlement très simple en doit faire tout le code ; il faut aussi en écarter les formes, parce qu’elle doit être bonne, prompte et exempte de frais ; il faut que tout homme de bien, pour peu qu’il ait d’expérience et d’usage, puisse être élu juge de paix. »77
16Et un autre député de peindre ainsi le portrait du juge de paix :
« Représentez-vous un magistrat qui ne pense, qui n’existe que pour ses concitoyens. Les mineurs, les absents, les interdits, sont l’objet particulier de ses sollicitudes. C’est un père au milieu de ses enfants. Il dit un mot, et les injustices se réparent, les divisions s’éteignent, les plaintes cessent : ses soins constants assurent le bonheur de tous. Voilà le juge de paix. »78
17On pourrait multiplier les citations. Toutes vont dans le même sens : paisibilité, juridiction paternelle, juge du fait et non du droit, juge en équité, arbitre, accessibilité sans forme, compétence limitée à l’essentiel, tels sont les maîtres mots des révolutionnaires de 1790 lorsqu’ils parlent des justices de paix. Pour eux, il s’agit d’injecter dans les rapports judiciaires le même ferment de clarté et de simplicité que celui que l’on attend de la loi : ici point d’interprétation de la part du juge qui dégénérerait le sens de la norme ; là point d’intermédiaire d’avoué dont le recours obscurcirait les rapports sociaux. Place au contact direct et immédiat79. C’est le modèle du juge de proximité qui est proposé, proximité qui se déploie dans un triple registre : géographique, par la présence sur tout le territoire d’une « armée » de juges issus du canton et jugeant dans ce même canton ; judiciaire que favorisent et l’absence de tout formalisme procédural et le champ limité des compétences « juges-arbitres » ; humaine enfin, sollicitée et même imposée par ce qui constituera un des fondements de la justice de paix et, plus tard, une des assises de la procédure : la conciliation comme étape obligée avant tout procès. En 1790, la justice de paix est d’abord un bureau de paix au sein duquel le juge joue le rôle de conciliateur dans les procès où il siège comme juge et devant lequel les parties doivent se présenter obligatoirement avant toute action auprès d’une autre juridiction80.
18Pour réaliser ce projet, le législateur décida de ne point requérir de formation spécifique pour accéder à cette magistrature. Il suffit d’être « un homme de bien », expérimenté, dont l’élection garantit que ses « justiciables » le reconnaissent parmi les plus aptes. De là aussi une législation minimale bornant, en matière de justice contentieuse, l’action du juge de paix aux « petits litiges », aux affaires domestiques81 et aux actions possessoires.
19Il s’agit en somme, face au droit devenu synonyme, au vu de son fonctionnement sous l’ancien régime, de chicane, d’embrouille et d’exploitation judiciaire, de développer et d’entretenir un espace de pureté et de regénération qui se traduit par le concept d’équité. L’équité face au droit, la sagesse opposée à la loi, tel est bien l’enjeu de cette première loi. Et pour asseoir plus sûrement l’équité, le législateur français introduira quelques mois plus tard, dans la loi créatrice du tribunal de cassation un article interdisant à la Cour suprême de connaître des jugements rendus en dernier ressort par les juges de paix82.
20L’équité et la conciliation apparaissent bien comme les deux caractères les plus remarquables de cette juridiction. Que le préliminaire de conciliation soit devenu dans le droit intermédiaire un principe constitutionnel suffit à montrer l’importance singulière qu’on y attachait83. Il représentait pour l’assemblée constituante la raison d’être du juge de paix.
21Ainsi, à l’idéologie de la pureté, qui se traduit notamment par une survalorisation de la campagne perçue comme le lieu préservé des miasmes de la ville, siège pervers des tribunaux et du droit, s’ajoute le rêve d’une société sans lois ni contraintes. Les historiens n’ont d’ailleurs pas manqué de tracer un parallèle entre cette utopie judiciaire révolutionnaire et la république platonicienne « professant l’inutilité des lois clamant que pour que l’idée du Bien triomphe, il faut annihiler toutes les lois et faire de l’âme de la cité une toile nue »84. Et il n’est pas sûr que ce ne soit pas cette idéologie-là que les commentateurs futurs aient entretenue dans leur imaginaire comme référence à l’impossible paradis judiciaire à réaliser.
22On pourrait s’en tenir strictement aux intentions exprimées et aux textes législatifs proprement dits et considérer qu’ils expriment non seulement l’utopie fondatrice de la justice de paix mais aussi les objectifs réels du législateur révolutionnaire. Mais ce serait nier d’autres réalités que ce discours rousseauiste tend à occulter.
23Il ne faut pas perdre de vue que la loi sur la justice de paix s’inscrit dans un ensemble législatif plus vaste qui concerne non seulement l’organisation judiciaire comme telle mais aussi les rapports entre le pouvoir judiciaire et les autres pouvoirs.
24L’on sait, et les récentes études menées à l’occasion du bicentenaire de la Révolution française l’ont amplement démontré85, que pour les révolutionnaires français, il s’agissait avant tout de borner l’action du pouvoir judiciaire, considérée, selon le mot de Bergasse, comme un terrible pouvoir : il fallait, pour Duport, « retirer des campagnes tous les agents, tous les éléments de l’ordre judiciaire et les renfermer dans les villes »86. Parmi les remèdes pour y parvenir, on décida de limiter le nombre de tribunaux civils au strict nécessaire87. Cela offrait l’avantage de mieux surveiller l’action des juges. Encore convenait-il d’en limiter l’accès ou, tout au moins, de le rendre moins immédiat et moins tentant. D’où l’efflorescence des justices cantonales dont les décisions en dernier ressort, on l’a vu, furent mises à l’abri de tout recours en cassation. Pour ce faire, la conciliation et l’arbitrage se révélèrent les deux filtres idéaux non seulement pour mieux maîtriser les vaines querelles et les procédures abusives mais aussi, - surtout ? - pour maintenir le juge civil dans un champ étroit, mieux contrôlé et davantage subordonné.
25Ainsi, il apparaît que la justice de paix doit également s’analyser de manière systémique. Elle ne prend son sens que dans un rapport aux autres juridictions : dans cette perspective, la survalorisation de son action ne s’expliquerait, pour partie, que dans la dévalorisation correspondante du corps judiciaire. Quant à la valorisation de la justice de paix, ne peut-on également se demander si d’avoir à ce point limité sa compétence, d’y avoir maintenu le principe de l’élection du juge à l’instar des autres cours et tribunaux et d’avoir flanqué le juge de paix de deux assesseurs ne signifie pas que même le juge de paix n’échappa point à la volonté de brider tout qui, d’une manière ou d’une autre, était amené à rendre décision de justice, sous quelque forme que ce soit88 ? Ch. Van Reepinghen s’étonnait que l’idéal de la justice de paix fut limité aux différends dont l’enjeu était le plus médiocre89. Mais n’était-ce pas là le signe d’une défiance à l’égard de tout ce qui pouvait, d’une manière ou d’une autre, rappeler le gouvernement des juges ? De la même manière, l’idéologie de la proximité, véritable pierre angulaire du système, peut également être lue comme l’expression dans le champ spatial et relationnel d’une volonté de contrôle et de surveillance.
26La législation sur la justice de paix nous apparaît donc à la fois comme la mise en place d’un nouveau mode de rapports judiciaires, fondé sur l’équité et la proximité, cette dernière constituant un des axes majeurs de la politique légistique en la matière pendant les deux siècles à venir, et comme un moyen d’enfermer les autres corps de justice dans un champ strictement borné. Mais afin d’éviter que les justices de paix ne deviennent à leur tour des lieux de pouvoir non contrôlés, on en fragilisera ses composantes et par une limitation de leurs attributions judiciaires et par une précarité du statut de leurs titulaires.
Section 3. L’éloignement progressif du modèle en France : par-delà le bien, la réalité
27Du projet initial à la fin de l’empire, comment évolua la justice de paix ? Il convient d’en esquisser brièvement le trajet et surtout de mesurer le sort que le Code de procédure civile réserva à cette institution dans la mesure où la Belgique héritera en 1830 de cette situation-là.
28Les auteurs relèvent le peu de succès qu’ont connu, au départ, les justices de paix90 et Henrion de Pansay en attribue les causes au défaut de condition d’éligibilité, au peu de durée de leurs fonctions ainsi qu’à l’insuffisance et à l’obscurité qui les concernent91. Sans nous attarder à ce dernier aspect qui nécessiterait de longs développements techniques, retenons que le statut de juge de paix l’a transformé en agent révocable du pouvoir exécutif et l’a exposé au contrecoup des fluctuations politiques. Si Napoléon décida de nommer les juges de paix par terme de dix ans et de leur enlever les assesseurs - ce qui en fit les juges uniques que nous connaissons aujourd’hui - la charte de 1814 ne leur reconnut point l’inamovibilité alors que les autres magistrats bénéficièrent de cette mesure comprise comme une réaction aux atteintes portées à l’indépendance du pouvoir judiciaire par le régime impérial92. On expliqua cette exception par le fait que le juge de paix exerce d’autres fonctions que judiciaires, notamment en matière de police et qu’on n’exige de lui aucune condition particulière de capacité.
29Quant aux deux piliers de la justice de paix, la conciliation et l’équité, ils furent également battus en brèche, sans cependant s’écrouler entièrement. Des pans subsistèrent qui permirent, plus tard et grâce à des facteurs nouveaux, aux justices de paix de connaître un regain d’intérêt et de faveur auprès des justiciables et des législateurs.
30A propos de la procédure en conciliation ou, plus exactement, de celle du préliminaire de conciliation qui était imposé au justiciable préalablement à tout procès devant les juridictions de première instance93, les travaux préparatoires au Code de procédure montrent à l’envi qu’elle n’avait plus guère de partisans ; elle avait fait naître des abus suffisamment graves pour que, dès l’an IV, le ministre de la justice fût obligé de les réprimer en rappelant que le juge de paix était d’abord un simple médiateur94 ; et comme très peu d’affaires se conciliaient, on y voyait une perte de temps et une augmentation de frais95. Toutefois, le Tribunat, très opposé cependant au préliminaire de conciliation, maintint la procédure dans le Code de procédure civile au motif qu’elle constituait un principe constitutionnel96, mais, comme en témoigne la longue énumération de l’article 49 de ce code, elle fut assortie de conditions d’exercice telles, et de si nombreuses exceptions, que cette institution était loin de correspondre à sa signification et à sa portée originaire97. Le Code de procédure civile a ainsi fait écrouler un des pans essentiels de la justice de paix de 1790.
31Toutefois, et on retrouve ici ce mouvement de balancier qui caractérise les législations sur les juges de paix, en même temps que le Code de procédure civile limitait de manière drastique les affaires soumises à la conciliation préliminaire obligatoire, il étendit le pouvoir du juge de paix en matière d’exécution provisoire98 en même temps qu’il permit que celui-ci fut commis rogatoirement par le tribunal saisi d’un litige pour procéder à une enquête, à l’assermentation des experts, à l’interrogatoire sur faits et articles99. Autant de mesures visant à favoriser la proximité et à restreindre les procès onéreux.
32Quant au jugement d’équité fondé sur l’interdiction de tout recours en cassation pour les jugements des juges de paix rendus en dernier ressort, l’article 77 de la loi du 27 ventôse an VIII, en stipulant qu’il peut y avoir ouverture à cassation pour cause d’incompétence ou d’excès de pouvoir100, limita le caractère absolu du principe, qui avait donné naissance à plusieurs excès.
Section 4. Le juge de paix en Belgique : en route pour le juge professionnel
33Si le comportement de certains juges de paix comme l’ambiguïté de certaines normes qui les régissaient aboutirent progressivement à une dégradation de l’image de marque de la justice de paix, aucun pouvoir politique ne songea cependant un instant à supprimer cette institution. Au contraire, on assistera en France, aux Pays-Bas comme en Belgique, à sa réhabilitation progressive sous l’effet de la croissance du contentieux générée par le développement économique et surtout parce que la justice de paix était toujours considérée, malgré ses limites et ses dérives, comme l’expression judiciaire d’un certain idéal de la justice et comme le moyen le plus adéquat de rendre celle-ci accessible au justiciable « commun ».
34Sans sous-estimer l’apport de la loi hollandaise d’organisation judiciaire de 1827101, on peut estimer que ce mouvement s’amorça, en Belgique, dès le lendemain de l’indépendance de 1830. D’abord sur le mode mineur dans les toutes premières années du jeune État belge, puis, à partir des années 1840, de manière accélérée, au point de faire du juge de paix une sorte de magistrat « à tout faire », combiné parfait de « fast food » judiciaire et d’hypertechnicité.
35Il revenait au Constituant d’assurer la stabilité institutionnelle du juge cantonal. Ce qu’il fit en l’arrimant solidement au pouvoir judiciaire : la Constitution l’intègre explicitement dans la hiérarchie judiciaire dont il constitue le premier niveau (art. 99) et l’article 100 lui accorde l’inamovibilité, à l’instar des autres magistrats des cours et tribunaux dont il devint l’alter ego102.
36Fort de cette assise constitutionnelle, il convenait ensuite de lui procurer une crédibilité juridique, c’est-à-dire de lui imposer les mêmes exigences d’aptitudes que celles demandées aux autres magistrats103.
37Les parlementaires ne franchirent pas cette étape décisive qui aurait permis de parachever l’œuvre constitutionnelle. Malgré les efforts de Raikem104, ministre de la justice de l’époque et le principal artisan de la réforme du pouvoir judiciaire, la loi d’organisation judiciaire du 4 août 1832 demeura muette sur ce problème : l’article 48 ne statue que sur la question de l’âge minimum d’accès à la charge105.
38Pourquoi cette réticence ? Pourquoi cet inachèvement ? L’explication officiellement avancée était qu’il convenait, préalablement à toute nouvelle modification de statut du juge de paix, de régler la délimitation des circonscriptions judiciaires. Celles-ci devaient être remodelées non seulement pour corriger certains découpages opérés sous le régime hollandais pour des raisons linguistiques mais aussi pour les adapter à l’évolution démographique et aux besoins exprimés106. De plus, comme la circonscription judiciaire devait coïncider avec la circonscription électorale, les limites des cantons judiciaires dépendaient du sort que le parlement réserverait à la loi provinciale. C’est donc bien à une gestion provisoire des justices de paix qu’on assista107, le destin de celles-ci étant lié à un problème politique dont on sait qu’il fut, avec celui de la loi communale, un des points chauds de la politique belge des années 1830-1840.
39Ces raisons extrinsèques n’expliquent pas à elles seules l’absence de toute initiative législative en vue de professionnaliser complètement le juge de paix. Il faut également en rechercher la cause dans la permanence d’une conception de la justice de paix conçue comme une juridiction dont il faut conserver la spécificité originaire. A preuve, le maintien, dans la loi d’organisation judiciaire de 1832, du principe qui soustrait à la Cour de cassation la connaissance des jugements rendus en dernier ressort par les juges de paix. Le jugement en équité demeure donc un élément caractéristique de la juridiction cantonale108.
40Certains discours parlementaires prononcés lors de l’examen d’une proposition de loi relative à l’expulsion des fermiers et locataires, présentée en 1833, en témoignent également109.
41La proposition de loi avait pour but de mettre fin à une jurisprudence divergente au sujet de la compétence du juge cantonal en matière de déguerpissement en permettant à celui-ci de connaître de ce type d’action réservée jusqu’alors au tribunal de première instance. Se trouvait ainsi posée la question d’un transfert possible de compétence au juge de paix, et partant, d’une extension de sa compétence. Le débat aurait pu demeurer au plan de la pure technicité s’il n’avait soulevé le problème suivant : le traitement du contentieux du déguerpissement se ramenait-il à un simple examen d’une situation de fait ou, au contraire, exigeait-il des connaissances juridiques particulières ? Ce qui revenait non seulement à soulever la question de la compétence professionnelle du juge de paix mais aussi celle de sa spécificité.
42Au lieu de mettre à profit cette occasion pour légiférer sur la matière des conditions d’aptitudes, les opposants à cette proposition défendirent le principe d’un juge de paix cantonné à l’examen du fait et, par voie de conséquence, celui d’un juge auquel il ne convenait pas d’exiger une quelconque compétence juridique. Bien plus, certains voulurent même abroger les quelques dispositions de la loi de 1790 qui lui donnaient la possibilité d’examiner les litiges d’un point de vue juridique. Et, pour étayer leur point de vue, de rappeler fidèlement les arguments de Thouret et consorts : conserver à cette juridiction son caractère de justice rapide, peu coûteuse, accessible à tous et limitée à trancher des questions de fait et non de droit110.
43Jugement en équité et jugement du fait : on réaffirme les deux piliers de la loi de 1790. Le plus remarquable, c’est qu’on observe que ce sont sur les mêmes arguments et sur les mêmes principes, déduits de la même loi - celle de 1790 - que les défenseurs de l’extension des compétences des juges de paix appuieront leur démarche pour induire une politique législative radicalement opposée.
44Sous la pression des propriétaires et au nom du sacro-saint principe de la sécurité juridique qu’une jurisprudence éclatée avait quelque peu ébranlée, la Chambre aboutit à un compromis : au juge de paix la connaissance de ces litiges même s’il est amené à apprécier, en droit, la portée des titres qui lui sont soumis mais pour autant que la valeur des loyers contestés n’excède pas son taux de compétence fixé par la loi de 1790 ; au juge de référé de trancher au provisoire si les intérêts sont plus élevés et si la procédure devant les tribunaux de première instance est trop lente. La justification de cette dernière option est révélatrice de l’enjeu du débat : « le juge du référé occupe un rang dans la magistrature qui offre toutes les garanties désirables et à cet avantage se joindra celui de la procédure la plus éclairée et la moins coûteuse »111.
45Ce débat marque un moment important dans l’évolution de la justice de paix en Belgique : c’est la première fois qu’on y discute des compétences des juges de paix mais ce sera aussi la dernière fois qu’on y exprimera autant de réticences à lui voir attribuer un supplément de compétence. La solution adoptée ouvrira une brèche dans laquelle s’engouffreront les partisans de la professionnalisation du juge de paix. Le compromis auquel on aboutit exprime en fait davantage la percée des tenants de la professionnalisation de la justice cantonale que celle des partisans du statu quo. La décision du Ministre de la justice de ne nommer de facto que des licenciés ou des docteurs en droit conforta leur position.
46A partir de cette date, l’histoire du juge de paix se confond avec l’histoire d’un mouvement législatif qui lui conférera de plus en plus de compétences. La première étape de cette histoire, la seule qui nous retiendra quelque peu, dans la mesure où son analyse nous permettra de repérer les facteurs ainsi que l’argumentaire qui servit de soutien à la transformation des esprits, est l’adoption de la loi sur la compétence civile de 1841112.
47Cette loi introduit, pour la première fois dans notre pays, des modifications importantes aux dispositions issues du moment révolutionnaire français et partiellement amendées dans le Code de procédure civile de 1806. Pour nous en tenir aux juges de paix, signalons : l’extension de leur compétence quant à la valeur de chaque contestation qui peut leur être soumise ; l’élargissement de la compétence à diverses contestation qui jusqu’alors étaient restées en dehors de la juridiction de ces magistrats ; la nécessité de l’évaluation du litige par le demandeur113.
48L’effet le plus notable de ces innovations fut d’avoir amorcé une transformation du rôle et de la mission du juge de paix tels que fixés par la loi révolutionnaire de 1790.
49Or, à propos de ces innovations, on ne peut qu’être surpris de voir les auteurs du projet de loi s’efforcer non seulement d’en minimiser l’étendue et d’en borner strictement le champ114 mais surtout d’en justifier la portée par une référence à son esprit originaire. Tel est bien le sens de l’intervention du ministre de la justice Mathieu Leclercq, futur procureur général près la Cour de cassation : « nous sommes ralliés au projet de la commission parce que nous avons considéré la loi [...] comme une mesure destinée à ramener cette législation à son esprit primitif »115. Et, comme pour bien convaincre l’assemblée parlementaire de la parfaite fidélité du projet par rapport à la loi fondatrice, d’insister : « Il doit être bien entendu [...] qu’il s’agit non pas d’étendre ou de modifier dans ses dispositions essentielles la législation en vigueur mais simplement de les ramener à leur esprit primitif »116.
50On retrouve ici le même paradoxe que celui entretenu par la doctrine contemporaine : proposer dans un même temps un ensemble de dispositions novatrices tout en affirmant s’en tenir strictement à l’esprit de la législation originaire.
51Les commentateurs de l’époque ne s’y sont d’ailleurs pas trompés. Le premier de ceux-ci Cloes, président du tribunal de Liège, note en 1846 : « ces observations que M. Leclerq recommandait de ne pas perdre de vue, lors de la discussion du projet, ont-elles été rigoureusement suivies ? Non, puisque le projet s’en écartait déjà et que la loi, telle qu’elle a été adoptée, au moins en ce qui concerne les juges de paix, met dans leurs attributions des contestations qui jusqu’alors étaient de la compétence des tribunaux de première instance »117. De même, vingt ans plus tard, A. Adnet, avocat à la Cour d’appel de Bruxelles et un des commentateurs les plus avertis de cette loi, observait, avec l’avantage que lui donnaient quelques années d’application de la loi, « que les nouvelles attributions confiées aux juges de paix élèvent leurs fonctions beaucoup au-dessus de cette magistrature de famille que la loi du 16-24 août 1790 a voulu créer. Aujourd’hui, il ne suffit plus aux juges de paix d’être hommes de sens et de conscience. Il faut encore qu’ils soient hommes de savoir, de travail et d’étude »118.
52A quoi correspond, pour Leclercq, cet esprit primitif ? Essentiellement, selon nous, à la procédure de conciliation. C’est déjà cette idée qui avait traversé les débats parlementaires en 1833 mais à ce moment-là, elle était davantage assénée qu’étayée. Or, en 1840-1841, l’importance de la conciliation ressort très nettement des statistiques judiciaires. On ne soulignera jamais assez combien le développement de l’outil statistique contribua, ici comme dans d’autres secteurs du judiciaire, à conforter des positions ou à susciter des initiatives. En l’occurrence, les premiers comptes de l’administration civile119 montrent que le préliminaire de conciliation était encore très largement pratiqué, même si le Ministre de la justice ne peut que regretter la croissance du nombre de comparutions non volontaires, indice de l’amorce d’une désaffection pour ce type de procédure120. Mais surtout, d’autres chiffres indiquent l’importance des décisions obtenues à l’amiable en ce qui concerne les litiges relevant exclusivement de la compétence des juges de paix121.
53D’autres éléments venaient renforcer cette crédibilité du juge de paix : le nombre insignifiant de recours en appel contre ses décisions122, celui peu élevé des jugements réformés123 ainsi qu’une politique de nomination de juges licenciés ou docteurs en droit, bien que la loi dispensât le ministre de cette obligation124.
54Enfin, dernier facteur d’évolution : l’accroissement important de l’arriéré judiciaire 1830 - autre révélation tirée des statistiques judiciaires - dont on ne pouvait obtenir la réduction, estimait-on, que par un glissement de certaines compétences du tribunal de première instance vers le juge de paix.
55Tous ces éléments ont concouru à profiler les premiers traits de cette tension que l’on a identifiée dans la doctrine au début de cette étude : magnifier le rôle du juge au nom des principes qui ont présidé à sa création pour lui étendre des compétences, au risque de voir sa spécificité s’étioler au contact de la technicité.
56A partir de l’adoption de la loi sur la compétence civile de 1841, le mouvement vers la professionnalisation du juge de paix ne connut plus de frein. Il se manifeste sous deux formes.
57En premier lieu, par une extension continue de sa compétence. La liste des lois est longue, depuis cette date, qui confièrent aux juges de paix des tâches de plus en plus nombreuses et surtout de plus en plus techniques125. La loi la plus importante est sans conteste celle du 25 mars 1876 exclusivement consacrée à la compétence126 et dont l’innovation principale, en matière de justice de paix, consista à lui reconnaître une compétence générale, c’est-à-dire à lui attribuer la connaissance de toutes les actions civiles, aussi bien réelles que personnelles, mobilières qu’immobilières dans les limites du taux de sa compétence127. En d’autres matières, cette compétence est totale. Tel est le cas des contestations relatives aux baux à loyer, aux baux commerciaux et à ferme, aux opérations de vente à tempérament, aux accidents de travail128, aux cotisations de sécurité sociale129, etc… Dans cette perspective, la suppression du préliminaire obligatoire de conciliation en 1911130 apparaît plutôt comme une mesure destinée à dégager le juge de paix d’une procédure peu rentable en vue de lui attribuer d’autres charges que comme une décision visant à le soulager de ses attributions.
58Le deuxième moyen d’accroître cette professionnalisation consista à intégrer davantage le juge de paix dans le pouvoir judiciaire pour en faire un juge identique aux autres magistrats. Tout d’abord, en exigeant de lui, à partir de 1869131, un diplôme d’aptitude pour accéder à la charge, ce qui ne faisait que traduire en droit une situation de fait ; en soumettant ensuite ses jugements à la censure de la Cour suprême, à l’instar des décisions des autres cours et tribunaux132 ; et enfin en alignant, en 1889133, le mode de rémunération des juges de paix sur celui des autres magistrats, par la suppression des casuels et autres émoluments qui composaient auparavant la part essentielle du traitement du juge cantonal.
59Cette professionnalisation aura pour effet de produire un profond malentendu entre les attentes du justiciable, fondées sur un désir d’arrangement à l’amiable, et le rôle de plus en plus technique que le pouvoir public enjoint au juge de paix de remplir. Cette distorsion est parfaitement illustrée dans une lettre d’un juge de paix publiée dans un numéro de 1862 de La Belgique judiciaire134.
60Le souhait émis par ce juge de paix de Passendaele est déjà en soi révélateur de l’évolution de la justice de paix en moins de cent ans : « Ce serait au magistrat d’initier les populations aux arcanes du droit écrit et ce rôle [...] devrait échoir celui qui, le plus approché de la foule, est le plus apte à connaître ses aspirations ». Et de citer un exemple illustrant ce décalage entre la perception d’un juge de paix comme juge du fait et la technicité de plus en plus grande à laquelle on soumet le juge de la proximité : « N’aurait-il pas aussi pour devoir de faire connaître aux détaillants qui viennent sans la moindre preuve, souvent sur la présentation d’une feuille volante, voire même d’une ardoise, réclamer paiement d’une fourniture de denrées ou de marchandises, que les registres des commerçants font légalement preuve des livraisons qu’ils constatent : preuve complète quant aux marchands, preuve incomplète quant aux particuliers non marchands, mais susceptible d’être suppléée par la délation du serment ? Ne pourrait-on pas ajouter aussi que faire foi en justice, ces livres doivent être revêtus des formalités prescrites l’article 11 du Code de commerce ? ».
61Le juge de paix comme pédagogue des arcanes du droit, voilà un nouvel aspect de la proximité que les révolutionnaires n’avaient guère imaginé !
62On perçoit à travers cet exemple la tension qui traverse la justice de paix en ce dernier tiers du XIXe siècle : le juge de paix est devenu celui qui dit le droit et dont la parole s’impose au nom d’une compétence technique mais c’est encore et toujours le père – héritage de 1790 – proche des siens, chargé d’éduquer et d’éclairer le justiciable venu à lui en toute confiance. Paternalisme dans la manière et technicité dans l’effectivité. L’héritage du passé coulé dans le moule de la modernité qui ne retient plus du passé que le mode de relation. De là l’ambiguïté de contemporaine du juge de paix.
En guise de conclusion : une origine à revisiter
63De ce rapide survol, une constante se dégage : à chaque moment-clef de notre histoire judiciaire surgit l’inévitable discours de référence à l’origine du juge cantonal. Encore convient-il de circonscrire non seulement la signification de cette pratique - qui ne nous paraît pas être que purement incantatoire - mais aussi le contenu.
64La référence au passé a été utilisée chaque fois que l’on a proposé un accroissement des attributions du juge de paix. En d’autres termes, chaque fois qu’il s’est agi d’éloigner le magistrat cantonal de son rivage révolutionnaire, on a ancré la décision aux valeurs originaires de l’institution.
65La valeur communément évoquée est celle de la proximité dont on a vu qu’elle revêtait à l’origine au moins une triple signification : géographique, procédurale et relationnelle.
66En 1790, c’est par l’absence de professionnalisme que l’on veut rendre la justice de paix attractive. La proximité n’est réalisable que si la technicité est évacuée du débat judiciaire ; ce sont les qualités humaines du juge-arbitre qui doivent l’emporter sur le savoir. L’objectif visé est de favoriser au maximum la conciliation, remède miracle, envisagé et pour pacifier les rapports humains et pour éloigner le justiciable des autres tribunaux. La proximité comme mode de régulation de la fonction de justice dans un contexte où le pouvoir judiciaire était tenu en suspicion et qu’il fallait par conséquent contrôler et domestiquer.
67Mais on a vu que ce mythe de la conciliation ne s’est guère concrétisé aussi largement que ne le souhaitaient les révolutionnaires. La méfiance à l’égard d’un juge non professionnel en est certainement une des explications principales. Le Code de procédure civile de 1806 entérine, à sa façon, ce constat.
68Toutefois – et pour des raisons qui ne tiennent d’ailleurs pas nécessairement à une adhésion à ce type de justice –, le maintien du préliminaire de conciliation, malgré les restrictions apportées par le code, ainsi que la stabilisation du statut du juge de paix, ont eu pour effet de ne pas éliminer le recours à ce type de justice comme l’attestent les premières statistiques de l’administration de la justice civile en Belgique dans les années 1832-1840.
69A partir de ce moment-là, fort de ce constat, c’est au nom de cette même conciliation que les législateurs étendront progressivement la compétence des juges de paix et accéléreront l’intégration de celui-ci dans le système judiciaire. Avec cet effet inversé, par rapport à la situation de départ, que, si la professionnalisation accrue du juge de paix l’éloignait de plus en plus de ce qui faisait sa spécificité, c’est cette même professionnalisation qui le para de vertus telles qu’il devint de plus en plus attractif. Il est vrai que malgré cette spécialisation de plus en plus poussée, on conserva toujours à la justice cette caractéristique d’être facilement accessible ou, à tout le moins, davantage accessible que les tribunaux de première instance. Donc plus proche. Mais la proximité tant vantée par la doctrine recouvre-t-elle la même réalité que celle prônée en 1790 ? Il nous semble que c’est moins le souci de promouvoir la conciliation qui fonde les discours contemporains que celui de conserver à tout prix un mode de fonctionnement de la justice basée sur une proximité procédurale et, peut-être, langagière. Ce déplacement de sens ne s’explique-t-il par une modification du contexte ? La proximité du juge de paix de 1790 s’exprimait dans le contexte d’une justice encadrée et contrôlée. Celle d’aujourd’hui semble davantage se mouvoir dans le cadre d’une justice éclatée, complexifiée et dépersonnalisée. Aux juristes et aux sociologues de s’interroger sur le sens de ce recours contemporain au mythe fondateur du juge de paix et d’en tracer les enjeux à l’aune de l’européanisation croissante de la justice135.
Notes de bas de page
63 Cet article a été publié initialement dans Compétences des juges de Paix et des Juges de Police - Bevoegdheden van de vrederechters en politierechters. 1892-1992, dir. G. Benoit, F. Lievens, L. Lousberg, Bruges, la Charte, 1992, p. 17-38. Il a été approfondi par Jean-Pierre Nandrin dans « La justice de paix en Belgique de 1830 à 1848. Les raisons et les effets d'une professionnalisation », dans Le juge de paix. Nouvelles contributions européennes, dir. S. Dauchy, S. Humbert, J.P. Royer, Lille, Centre d’histoire judiciaire, 1995, p. 155-166 ; par « La professionnalisation de la magistrature belge aux premiers temps de l’indépendance de la Belgique », dans Juges, avocats et notaires dans l'espace franco-belge. Expériences spécifiques ou partagées (XVIIIe-XIXe siècle), dir. H. Leuwers Bruxelles, Archives générales du Royaume, 2010, p. 113-137 (Justice & Society, 2) ; et par « La professionnalisation des justices de paix. De l'utopie à la rigueur », dans Scènes uit de geschiedenis van het vrederecht/Scènes de l'histoire de la justice de paix, dir. G. Martyn, Bruxelles, la Charte, 2011 p. 83-100 (Les dossiers du Journal des Juges de Paix et de Police, 16).
64 Pierson (M.A.), Procédure civile, t. I : De l’organisation judiciaire et de la compétence, Bruxelles, Larcier, 1954, p. 100.
65 Van Reepinghen (Ch.), Rapport sur la réforme judiciaire, Bruxelles, Le Moniteur belge, 1964, p. 73.
66 « Elle [la justice de paix] est également la seule dont la mission n’est point réduite à l’application d’une législation spéciale et au jugement d’une catégorie limitée de justiciables : elle partage avec le tribunal de première instance, la vocation de juge du droit commun » (Cambier (C.), Droit judiciaire civil, t. II : La compétence, Bruxelles, 1981, p. 387). On pourrait y ajouter la procédure sommaire d’injonction de payer qui est une procédure vraiment nouvelle instaurée en justice de paix. Pour une vue synthétique des modifications apportées par le Code Judiciaire aux compétences des juges de paix, outre le rapport de Van Reepinghen (Ch.), op. cit., t. I, p. 72-74, p. 111-117 et p. 224-227, voir Lahaye (M.), « Le juge de paix », Annales de droit de Louvain, 1968, p. 315-329.
67 Il suffit de relire les diverses lettres envoyées au Journal des Juges de Paix, 1951, p. 342 et s. A l’occasion du soixantième anniversaire de cette revue, et plus particulièrement, aux pages 351, la lettre de Théo Collignon, bâtonnier et président de la Fédération des avocats belges.
68 de le Court (E.), « Considérations sur la justice de paix », J.T., 1960, p. 553-557. Mercuriale prononcée le 1er janvier 1960 à l’audience solennelle de rentrée de la Cour d’appel Bruxelles.
69 Ce sera notamment un des arguments avancés lors des débats sur la loi de compétence de 1876 pour rejeter la proposition qui consistait à étendre la compétence de la justice de paix aux contentieux commerciaux, même limités à un taux réduit (Voir les débats à la Chambre des Représentants lors des séances des 17 et 18 novembre 1874 dans Ann. Parl., Ch., session 1874-1875, p. 14-26).
70 Cambier (C.), Droit judiciaire civil, t. II : La compétence, Bruxelles, Larcier, 1981, p. 387.
71 de le Court (E.), op. cit., p. 554.
72 Sur l’introduction du juge unique en première instance en 1919, voir Nandrin (J.P.), « Le juge unique en Belgique », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 1989, no 23, p. 97-113.
73 « Quoique l’institution de la justice cantonale s’avère aujourd’hui une réussite, grâce sans doute aux hautes qualités de conscience professionnelle de ceux qui y remplissent leurs fonctions, l’on ne peut néanmoins se dissimuler que certains de ses rouages portent les marques du temps qui, hélas, n’épargnent pas plus les institutions que les hommes » (de le Court E., op. cit., p. 555).
74 Van Reepinghen (Ch.), op. cit., p. 73.
75 Journal des juges de paix, 1892-1893, p. 9
76 Poelman (F.), « Les compétences nouvelles du juge de paix en matière familiale », J.T., 1976, p. 703.
77 Le Moniteur universel, 8 juillet 1790, p. 67.
78 Cité par Henrion de Pansey (P.P.N.), De la compétence des juges de paix, Bruxelles, 1829, p. 242.
79 De là l’obligation de la comparution personnelle des parties lors du préliminaire de conciliation. On craint en effet que la présence des praticiens ne mette un obstacle au désir des plaideurs de se concilier. On tolère cependant, par exception, les fondés de pouvoir pour autant qu’ils aient le pouvoir de transiger (Eisenzimmer (G.), Les transformations de la justice de paix depuis son institution en France, Mulhouse, 1925, p. 47).
80 Titre X de la loi du 16-24 août 1790, article 1er : « Dans toutes les matières qui excéderont la compétence du juge de paix, ce juge et ses assesseurs formeront un bureau de paix et de conciliation » ; et article 2 : « Aucune action principale ne sera reçue au civil devant les juges de district (…) si le demandeur n’a pas donné, en tête de son exploit, copie du certificat du bureau de paix, constatant que sa partie a été inutilement appelée à ce bureau ou qu’il a employé sans fruit sa médiation » (Pasin., édit. de 1833, t. I, p. 326).
81 L’article 9, 5 de la loi porte que le juge de paix connaîtra « du paiement des salaires des gens de travail, des gages des domestiques et de l’exécution des engagements respectifs des maîtres de leurs domestiques ou gens de travail ». Les commentateurs ont bien soin de préciser que sous le terme de gens de travail, « on ne doit entendre que les terrassiers, les moissonneurs, les vendangeurs, les faucheurs et en général tous les journaliers, c’est-à-dire ceux dont l’engagement peut commencer et finir dans la même journée » et non les ouvriers qui sont sous contrat Henrion de Pansey (P.P.N.), De la compétence des juges de paix, Bruxelles, 1829, p. 338-339.
82 Article 4 du décret du 27 novembre-1er décembre 1790 portant institution d’un tribunal de cassation : « On ne pourra pas former la demande en cassation contre les jugements rendus en dernier ressort par les juges de paix ; il est interdit au tribunal de cassation d’admettre de pareilles demandes » (Pasin., t. II, 23).
83 Article 60 de la Constitution du 22 frimaire an VIII (13 décembre 1799) : « Chaque arrondissement communal a un ou plusieurs juges de paix, élus immédiatement par les citoyens pour trois années. Leur principale fonction consiste à concilier les parties [...] ».
84 Royer (J.P.), « Les innovations des constituants en matière de justice civile ou la Cité idéale », dans Une autre justice. Contribution à l’histoire de la justice sous la Révolution française, dir. R. Badinter, Paris, Fayard, 1989, p. 64.
85 Voir les travaux de Royer (J.P.), op. cit., et, du même auteur « L’Assemblée au travail », dans La révolution de la justice. Des lois du roi au droit moderne, dir. Ph. Boucher, Paris, 1989, p. 128-159.
86 Royer (J.P.), op. cit., p. 62.
87 Lire à ce sujet le discours de Thouret à l’Assemblée nationale prononcé le 24 mars 1790 dans Le Moniteur Universel, 6 avril 1790, t. IV, p. 44-46. Ceci explique aussi que les premiers réformateurs se sont montrés très hostiles aux juridictions d’appel « qui non seulement ne sont pas justifiées dans leur principe puisque rien n’établit que les seconds juges sont plus avisés que ceux qui se sont prononcés en première instance, mais ne sont en outre qu’illusion pour le plaideur qui risque d’engloutir en procédures bien plus que l’objet même du litige » (Royer (J.P.), op. cit., p. 62).
88 Il suffit de lire les débats sur cette loi pour en deviner l’enjeu. Plusieurs intervenants n’acceptèrent pas la compétence judiciaire du juge de paix ; pour eux, le juge de paix ne devait être qu’exclusivement conciliateur, arbitre et titulaire d’une juridiction gracieuse mais certainement pas un juge du contentieux (Voir les arguments dans Le Moniteur Universel du 9 juillet 1790, t. V, p. 72-74).
89 Van Reepinghen (Ch.), op. cit., p. 72.
90 Garsonnet (E.), Traité théorique et pratique de procédure, t. I, 2e éd., Paris, 1898, p. 94-95.
91 Henrion de Pansey (P.P.N.), op. cit., p. 248.
92 Bonnier (E.), Éléments d’organisation judiciaire et de procédure civile, t. I, Paris, 1847, p. 66-67 et p. 153.
93 Cette procédure avait pour but d’essayer, devant le juge de paix, une transaction et d’éviter procès. Précisons que la tentative de conciliation était obligatoire lorsque la loi l’imposait et non pas facultative. Elle était un acte de juridiction gracieuse et n’avait en rien le caractère acte de procédure préparatoire, ni d’un acte introductif d’instance (Beltjens (G.), Encyclopédie du droit civil belge, 4e partie : Code de procédure civile, t. I, Bruxelles, 1897, 375, no l).
94 « Les juges de paix déployaient un zèle par trop indiscret pour amener les parties à conclure arrangement » (Eisenzimmer (G.), op. cit., p. 72).
95 Voir les discussions au Conseil d’État et les observations du Tribunat dans Locre (G.), La législation civile, commerciale et criminelle de la France, t. XXI, Paris, 1830, p. 248, 250 et 393.
96 « Toutes ces considérations doivent céder à une raison d’ordre supérieur : c’est que la tentative de conciliation est prescrite par l’acte constitutionnel du 22 frimaire an VIII. La section donc forcée d’examiner le fond du projet » (Locre (G.), op. cit., p. 394).
97 Il s’agit des articles 48 et 49 du Code de procédure civile de 1806. Sont ainsi dispensées préliminaire de conciliation, notamment les demandes qui intéressent l’État et le domaine, les communes, les établissements publics, les interdits, les curateurs aux successions vacantes ; les demandes qui requièrent célérité ; les demandes en matière de commerce ; les demandes de mise en liberté ; celles en mainlevée de saisie ou opposition, en payement de loyers, arrérages de rentes ou pensions ; celles des avoués en payement des frais, etc.
98 Articles 571, 587, 591 et 594 du Code de Procédure civile.
99 Articles 1035, 245, 305 et 326 du Code de Procédure civile.
100 La distinction entre la notion d’incompétence et celle d’excès de pouvoir donna lieu à de nombreuses controverses. Sur les interprétations successives de ces concepts, voir Eisenzimmer (G.), op. cit., p. 163-182.
101 Cette loi aurait dû sortir ses effets en 1830. Du fait de la révolution, elle ne fut jamais d’application en Belgique.
102 La section centrale du Congrès national résolut à l’unanimité qu’on ne ferait pas exception pour le juge de paix et qu’il fallait entendre par le terme de « juge nommé par le Roi », tous les magistrats, y compris les juges de paix.
103 La loi hollandaise de 1827 était demeurée bien timide à ce propos ; elle se contentait de proposer de choisir des citoyens « parmi les plus notables et aisés, qui se seraient distingués par leur capacité et leur connaissance [...] mais de préférence parmi les docteurs ou licenciés en droit » (art. 38).
104 Dans l’article 93, 2° de son projet de loi d’organisation judiciaire (M.B. du 21 septembre 1831) Raikem avait proposé comme condition à la nomination pour un poste de juge de paix l’obtention d’un diplôme de docteur ou de licencié en droit. Notons cependant la rédaction quelque peu frileuse de l’article : « Nul ne peut être suppléant dans une justice de paix s’il n’est âgé de vingt-cinq ans accomplis. Nul ne peut être juge de paix, s’il n’est en outre, docteur ou licencié en droit ou s’il n’a été suppléant pendant deux ans au moins ». Cette dernière stipulation rend perméable la condition de capacité énoncée dans un premier temps.
105 « Nul ne peut être juge de paix ou suppléant, s’il n’est âgé de vingt-cinq ans accomplis ».
106 De très nombreuses pétitions émanant de villes et d’associations furent envoyées au Parlement pour exiger l’aménagement des cantons.
107 Le gouvernement sollicita les avis de tous les conseils provinciaux et des différents corps judiciaires sur son projet de réorganisation des circonscriptions. A plusieurs reprises, il se plaignit des retards apportés à cette demande d’avis.
108 Loi du 4 août 1832, art. 16 : « Il n’y a point ouverture à cassation contre les jugements rendus en dernier ressort par les juges de paix dans les matières civiles, si ce n’est pour excès de pouvoir, absence de publicité, ou défaut de motifs ».
109 Cette proposition de loi devint la loi du 5 octobre 1833 ; c’est la première loi qui accorda une extension - minime encore - de compétence au juge de paix (Pasin., 1833, p. 247-250).
110 Pour une synthèse de ces arguments, voir les deux interventions de Liedts, l’auteur de la proposition, dans les séances de la Chambre du 19 juin 1833 (M.B. du 25 juin 1833) et du 7 août 1833 (M.B. du 9 août 1833).
111 Rapport de la section centrale de la Chambre rédigé par I. Fallon et présenté à la séance 5 août 1833 (M.B. du 8 août 1833).
112 Il s’agit de la loi du 25 mars 1841 relative à la compétence en matière civile (Pasin., 1841, p. 57-103). Le projet de loi fut déposé dès 1835 (Doc. parl., Ch., session 1835-36, séance 12 novembre 1835, no 44).
113 Nous nous référons ici aux premiers commentateurs de cette loi dont nous mentionnerons plus loin les ouvrages.
114 Telle est l’opinon de Liedts, rapporteur de la commission parlementaire, appelée à l’époque section centrale : « Toucher le moins possible au texte des lois existantes (…) et prendre les mesures les plus propres à prévenir l’encombrement des affaires dans les cours d’appel » (Doc. parl., Ch., session 1838-39, séance du 23 janvier 1839, no 79, 2).
115 Intervention à la Chambre dans la séance du 5 mai 1840 (M.B. du 7 mai 1840).
116 Ibidem.
117 Cloes (J.J.R.), Loi sur la compétence en matière civile, commentée par ses motifs combinés avec la jurisprudence et la doctrine des auteurs, Liège, 1846, p. 11.
118 Adnet (A.), De la loi sur la compétence civile du 25 mars 1841 mise en rapport avec les différents codes, ainsi qu’avec toutes les lois qui tiennent à la matière, Bruxelles, 1866, p. 13.
119 C’est en 1837 qu’est publié le premier compte de l’administration de la justice civile en Belgique couvrant les années judiciaires 1832-1833 à 1835-1836.
120 Voici l’évolution du pourcentage des refus de comparaître par rapport à l’ensemble des affaires soumises à la conciliation : 1832-1833 : 25 % ; 1833-1834 : 24 % ; 1834-1835 : 23 % ; 1835-1836 : 31 % ; 1836-1837 : 28 % ; 1837-1838 : 25 % ; 1838-1839 : 29 %.
121 Certaines années, le nombre de solutions obtenues à l’amiable dépasse même celui des jugements proprement dits. L’on comprend dès lors, au vu de ces données, que l’essentiel de l’argumentation de la mercuriale de Raikem de 1840 fut consacré à glorifier et à vanter les mérites de la conciliation (Raikem (J.J.), Sur l’institution des juges de paix, Liège, 1840. Discours prononcé à l’audience de rentrée de la Cour d’appel de Liège le 15 octobre 1840).
122 De 5 à 7 % des jugements entre 1834 et 1840.
123 Moins de 50 % des jugements soumis à l’appel.
124 L’examen des dossiers de nomination des juges de paix conservés aux Archives Générales du Royaume montre que dès 1833, les ministres de la justice avaient pris l’option de nommer des jurisconsultes. Cette tendance s’accentua pour devenir de facto la règle dominante.
125 En 1960, de le Court (E.), op. cit., p. 554, dénombrait plus de cent cinquante lois conférant à la justice de paix compétence en matière civile.
126 Cette loi contient en fait le titre l du livre préliminaire de ce qui devait être le Code de procédure nouveau dont tous les autres titres ne furent jamais promulgués.
127 Pour un commentaire de cette loi, voir notamment Bontemps (A.), Traité de la compétence en matière civile ou commentaire doctrinal, législatif et de jurisprudence de la loi du 25 mars 1876, 2 t., Liège/Bruxelles, 1884.
128 Loi du 24 décembre 1903, art. 24.
129 Arrêté-loi du 28 décembre 1899, art. 12.
130 Loi du 12 août 1911 (Pasin., 1911, p. 298-300).
131 Loi du 18 juin 1869, art. 3 : « Nul ne peut être juge de paix s’il n’est âgé de vingt-cinq accomplis et s’il n’a obtenu le grade de docteur en droit ».
132 Loi du 25 mars 1876, art. 19 : « La Cour de cassation connaît : 1° Des demandes en contre les arrêts et contre les jugements rendus en dernier ressort ». Par cet article se donc supprimées les restrictions apportées par le Code de procédure civile et par la loi de 1832 au droit de se pourvoir contre les décisions des tribunaux de paix. Cette suppression fut proposée, sous forme d’amendement, durant les débats à la Chambre, par le ministre de la justice De Lantsheere au motif que « le projet nouveau donne à la compétence des juges de paix une telle extension que nous exposerions au danger de voir, dans des matières importantes l’uniformité de l’application des lois mise en péril si nous n’étendons aussi le contrôle de cour suprême » (Ann. parl., Ch., séance du 19 novembre 1874, p. 38).
133 Loi du 25 novembre 1889 portant réorganisation des traitements des juges de paix et greffiers et suppression de leurs émoluments, et établissant des droits de greffe au profit l’État.
134 Van Alleynes (G.), « Enseignement populaire du droit. Mission du juge de paix », La Belgique judiciaire, 1862, p. 414-416.
135 Voir notamment Commaille (J.), « Éthique et droit dans l’exercice de la fonction de justice », Sociétés contemporaines, no 7, septembre 1991, p. 87-101.
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