1 Comme mentionné dans la préface‚ cet article est paru en 2016 : Vogliotti (M.)‚ « Pour une formation juridique interdisciplinaire » ‚ in Pratique(s) et enseignement du droit. L’épreuve du réel‚ sous la direction de Sueur (J. J.)‚ Farhi (S.)‚ Paris‚ Lextenso‚ 2016‚ p. 277-303.
2 Voir‚ en ce sens‚ Cassese‚ Conti‚ Craveri et Rodotà 1965‚ c. 22.
3 Ainsi Felix Frankfurter‚ professeur au début du siècle dernier à la Harvard Law School‚ dans une lettre du 13 mai 1927 adressée à Mr. Rosenwald.
4 Dans le modèle des révolutions scientifiques de Thomas Kuhn‚ la phase de la « science normale » est celle qui fait suite à une révolution scientifique. Dans cette période‚ les chercheurs s’occupent du « nettoyage » du paradigme et s’efforcent d’encadrer la nature dans les cases‚ préfabriquées et relativement rigides‚ de celui-ci. Toutefois‚ à un certain moment‚ les anomalies du paradigme se multiplient poussant certains chercheurs‚ normalement les plus jeunes‚ à suivre d’autres parcours et à avancer d’autres théories : c’est la phase de la « science extraordinaire » ‚ caractérisée par une grande effervescence de la communauté scientifique et par la floraison de théories nouvelles qui conduiront à la formation d’un paradigme nouveau (Kuhn 1970).
5 Selon Émilie Biland et Liora Israël – qui ont observé‚ en 2009 et 2010‚ des cours de droit assurés à l’École des hautes études commerciales de Paris (HEC)‚ la plus prestigieuse des écoles de commerce françaises‚ et à l’École de droit de Sciences po – le modèle d’enseignement y pratiqué véhiculerait « une vision instrumentale du droit » (« le droit comme ressource pragmatique pour l’action économique »)‚ qui prend sens « dans la perspective pluridisciplinaire développée au fil de ces cours : loin d’être un savoir autosuffisant‚ le droit doit satisfaire des exigences non juridiques‚ à la fois stratégiques et financières. En somme – poursuivent-elles – la technique juridique mise au service de l’économie contribue à la légitimation d’un capitalisme financier dont les finalités ne sont qu’exceptionnellement discutées ». À ce propos‚ elles rappellent une phrase significative dite par un professeur de l’HEC selon laquelle celle-ci serait une école « sans éthique mais qui n’en impose aucune » ‚ phrase qui refléterait leur « perception lors des cours : le droit ne justifie pas‚ en lui-même‚ l’économie financière‚ il se présente simplement comme une technique utile à celle-ci. C’est bien l’absence d’éthique alternative qui rend ce savoir si facilement adaptable à l’idéologie dominante » (Biland & Israël 2011‚ p. 651 et 656).
6 Comme l’on sait‚ en Angleterre la formation juridique a suivi un autre parcours‚ lié à l’idée que le droit est une discipline pratique : longtemps apanage des seuls professionnels du droit‚ la formation des barristers et des solicitors ne se faisait pas dans les universités‚ mais dans les Inns of Court (pour les premiers) et dans le College of Law (pour les seconds). Aujourd’hui encore l’obtention d’un diplôme en droit n’est pas une condition nécessaire : des diplômés dans d’autres disciplines peuvent rejoindre les professions juridiques après avoir suivi un « conversion course » d’une année et passé un examen attestant leur compétence juridique. Pour une première introduction en français‚ voir Samuel & Millns 1998.
7 Avec le mot de « paradigme » Kuhn désigne un ensemble de théories (mais aussi de valeurs) qui‚ pour un temps‚ fournissent à un groupe de chercheurs des problèmes-types et des solutions.
8 Sur la formation du paradigme juridique moderne voir Villey 2003 et la belle synthèse de Grossi 2007‚ p. 67-216 (une traduction en français de cet ouvrage est sortie en 2011 au Seuil).
9 Ethique à Nicomaque I 1‚ 1094 b 25-27.
10 Sur le paradoxe de la modernité juridique qui‚ croyant pouvoir donner un fondement solide au droit grâce à l’adoption de la méthode forte des sciences théorétiques‚ a déclenché un processus d’affaiblissement du droit et du savoir juridique‚ amenant certains juristes contemporains à formuler la thèse du « nihilisme juridique » ‚ voir Vogliotti 2007‚ p. 169-182.
11 Aristote‚ Métaphysique II 1‚ 993 b 19-23 et Ethique à Nicomaque VI 5‚ 1140 b 3-7.
12 Sur ces deux catégories « hybrides » de la pensée juridique médiévale‚ voir Grossi 1995‚ p. 162 et s.
13 Grotius 1984 [1625]‚ p. 35.
14 Sur la transfiguration du droit naturel par la modernité qui prépare l’avènement du positivisme juridique‚ voir Piovani 1961‚ p. 111 et s.
15 La figure paradigmatique de l’homme moderne est l’homo faber de Pic de la Mirandole. Sur le rôle que cette faculté a joué dans la construction du paradigme juridique moderne‚ voir Grossi 2007‚ p. 69 et s.
16 C’est le cas‚ entre autres‚ de l’École libre des sciences politiques (Sciences po)‚ créée en 1872 pour faire face aux lacunes des programmes des facultés de droit françaises (voir Favre 1989‚ spéc. p. 88-89) et de la sociologie du droit‚ marginalisée dans les facultés de droit‚ ce qui poussera les sociologues du droit à se réfugier au CNRS‚ « en un lieu où l’on ne les incitera guère à l’étude interne du droit‚ ce qui les bornera au seul regard externe » (Jamin 2012‚ p. 63).
17 Jamin 2012‚ p. 50 et 155.
18 Latour 1991.
19 Cet ordre arborescent – qui traverse toute la modernité juridique jusqu’à la métaphore kelsenienne de la pyramide (voir‚ à ce propos‚ Ost & van de Kerchove 2000‚ p. 43 et s.) – est la conséquence du renouvellement des études de logique des humanistes (sur ce renouvellement et‚ en particulier‚ sur la nova methodus de Pierre de la Ramée‚ voir Piano Mortari 1978).
20 À ce propos‚ est particulièrement significatif le discours du premier président de la Cour de Cassation‚ Ballot-Beaupré‚ à l’occasion de la cérémonie du centenaire du code civil. Après avoir rendu hommage à une œuvre « digne d’être admirée » aujourd’hui encore‚ Ballot-Beaupré poursuit son discours en faisant l’éloge de la jurisprudence que « dans le cours du siècle dernier‚ plusieurs générations de praticiens – notaires‚ avoués‚ avocats‚ magistrats – ont‚ avec le concours de la doctrine‚ contribué à former ». En présence de « tous les changements qui‚ depuis un siècle‚ se sont opérés dans les idées‚ dans les mœurs‚ dans les institutions‚ dans l’état économique et social de la France‚ la justice et la raison commandent d’adapter libéralement‚ humainement‚ le texte aux réalités et aux exigences de la vie moderne ». Partant‚ le juge « ne doit pas s’attarder à rechercher obstinément quelle a été‚ il y a cent ans‚ la pensée des auteurs du Code en rédigeant tel ou tel article ; il doit se demander ce qu’elle serait si le même article était aujourd’hui rédigé par eux » (Ballot- Beaupré 1969 [1904]‚ p. 24‚ 36‚ 27-28).
21 Voir la loi Le Chapelier du 14-17 juin 1791 qui affirme que « l’anéantissement de toutes les espèces de corporations des citoyens du même état et profession‚ étant une des bases fondamentales de la constitution française‚ il est défendu de les rétablir de fait‚ sous quelque prétexte et quelque forme que ce soit ».
22 Voir la leçon inaugurale de l’année académique 1909-1910 tenue par Santi Romano à l’Université de Pise (Romano 1969) et sa thèse de la pluralité des ordres juridique énoncée dans l’ouvrage L’ordinamento giuridico publié‚ dans sa première version‚ en 1917-1918 (Romano 1946).
23 C’est le cas‚ par exemple‚ de l’homme travailleur (et du travailleur mineur ou femme)‚ dont le statut particulier (et son droit‚ le droit du travail) ne sera élaboré qu’à la fin du XIXe siècle. Voir‚ à ce propos‚ Grossi 2007‚ p. 201-208.
24 Voir‚ amplius‚ Vogliotti 2013‚ p. 194-203‚ où je précise qu’il s’agit des premiers signes (très contrastés) du tournant contextuel qui ne se déploiera qu’après la seconde guerre mondiale (voir infra).
25 Gény 1919 [1899]‚ I‚ § 35‚ p. 70.
26 Ibidem‚ § 61‚ p. 127.
27 Saleilles 1902‚ p. 318-319.
28 Ibidem‚ p. 319-321.
29 Ibidem‚ p. 324-325.
30 Ibidem‚ p. 321 et 328.
31 Saleilles‚ Préface de l’ouvrage de Gény 1899‚ p. XII.
32 JAMIN 2012‚ p. 47.
33 Morin 1927‚ p. 145-159.
34 Bachelard 1980‚ p. 13 et s.
35 Jamin 2012‚ p. 52.
36 Ibidem‚ p. 51.
37 Même les « déformations morbides » du « bon juge » Magnaud pouvaient susciter la crainte de ces juristes‚ tel Gény‚ qui‚ pour conjurer le risque que le recours aux sciences sociales n’ouvre la voie à une trop grande subjectivité des interprètes‚ revalorise la technique‚ cette part propre à l’activité des juristes qu’il oppose « aux sciences (avant tout sociales) reléguées au rang de sources d’informations – autrement dit‚ de “sciences annexes” (p. 53).
38 Frank 1970 [1930]‚ p. IX-XI.
39 CAO 1931‚ p. 23. En italien la phrase sonne encore plus péremptoire : « L’antropologia e la psichiatria sloggiano il diritto ».
40 Jamin 2012‚ p. 53.
41 Ibidem‚ p. 57.
42 Capitant 1898.
43 JAMIN 2012‚ p. 57.
44 Ibidem‚ p. 52.
45 En Italie‚ le programme d’une science pure du droit‚ fondé sur le pandectisme pratiqué par les civilistes‚ est inauguré par Vittorio Emanuele Orlando (pour le droit public) et par Arturo Rocco (pour le droit pénal). À l’aube du XXe siècle‚ Rocco voit une science pénale « tâtonnante‚ doutant d’elle-même et de ses buts ; elle paraît encore en quête de soi ». Il y a « de l’anthropologie‚ de la psychologie‚ de la statistique‚ de la sociologie‚ de la philosophie‚ de la politique : bref‚ tout‚ quelque fois‚ sauf du droit ». Le remède pour sortir de la crise dans laquelle le droit pénal serait tombé‚ à cause‚ notamment‚ de la méthode des juristes de l’école positive‚ est celui-ci : « se tenir fermement‚ religieusement et scrupuleusement attachés à l’étude du droit ». Et il précise tout de suite : « le droit positif en vigueur ». La science du droit pénal‚ selon Rocco‚ doit « se limiter à étudier le délit et la peine d’un point de vue purement et simplement juridique. […] Il faut séparer la démarche proprement et strictement juridique de celle philosophique et politique‚ si l’on veut éviter une intrusion illicite et dangereuse d’éléments philosophiques et politiques dans la limpidité logique de la recherche juridique » (Rocco 1910‚ p. 3‚ 9-10‚ 20 et 24).
46 En 1951‚ la Faculté de droit de l’Université de Padoue consacra un cycle de conférences à la question de la « crise du droit » ‚ rassemblant les meilleurs juristes de l’époque (G. Balladore Pallieri‚ P. Calamandrei‚ G. Capograssi‚ F. Carnelutti‚ G. Delitala‚ A.C. Jemolo‚ A. Rava‚ G. Ripert). Les conférences furent publiées en 1953 sous le titre La crisi del diritto‚ par la maison d’édition Cedam de Padoue.
47 Voir‚ sur ce mouvement‚ Volpi 1980.
48 Voir‚ amplius‚ Vogliotti 2007.
49 Un événement marque‚ en Italie‚ une étape fondamentale dans la prise de conscience du rôle nouveau assigné à la magistrature par l’État constitutionnel issu du régime fasciste : le XIIe congrès de l’Association nationale des magistrats italiens‚ qui s’est tenu à Gardone en 1965. Dans la motion finale‚ les magistrats‚ à l’unanimité‚ rejettent la conception traditionnelle de l’interprétation‚ réduite à une activité formaliste‚ indifférente au contenu et aux conséquences concrètes des normes dans la société‚ et affirment que la tâche de la fonction judiciaire est de protéger et de contribuer à réaliser le programme politique contenu dans la Constitution (soit par l’application directe de la Constitution‚ soit par l’interprétation conforme à celle-ci‚ soit‚ le cas échéant‚ en soulevant la question de constitutionnalité).
50 Ost 1996.
51 J’ai développé ce sujet dans Vogliotti 2007‚ p. 299-317.
52 Duguit 1888‚ p. 154. Après avoir noté que l’enseignement dispensé dans les facultés de droit de son époque n’était « à la fois ni assez historique‚ ni suffisamment pratique » ‚ Duguit observe que les facultés de droit « ont pour mission de préparer leurs élèves aux diverses professions dont l’exercice implique des connaissances juridiques ; mais en même temps elles doivent donner aux étudiants des connaissances historiques sérieuses‚ base de toutes les études pratiques et indispensables pour comprendre l’état social de notre époque. L’enseignement des Facultés de droit doit être pratique et historique‚ parce qu’il doit être à la fois professionnel et scientifique ».
53 Gleizal 1978‚ p. 78. Sur le programme pédagogique du mouvement « Critique du droit » ‚ voir notamment Chevallier 2011. Cet Auteur observe que le diagnostic fait il y a trente ans par « Critique du droit » reste d’actualité et que le souhait formulé par ce mouvement d’un « “décloisonnement” de l’enseignement juridique‚ devant être “ouvert sur la vie et sur l’ensemble des sciences sociales” » ‚ s’est heurté « aux résistances d’un corps enseignant attaché à une conception fermée de l’enseignement du droit » ; tandis que « la spécificité de l’enseignement du droit est plus que jamais affirmée » et que « son contenu reste pour l’essentiel inchangé » (p. 110 et 105).
54 Millard 2007‚ p. 349.
55 Jamin 2010‚ p. 135.
56 Axée sur l’analyse contradictoire de cas pratiques en vue d’une solution persuasive‚ c’est-à-dire fondée sur de bonnes raisons‚ la méthode de la quaestio disputata peut être définie comme l’examen d’une question douteuse par le moyen d’une discussion du pour et du contre‚ appuyée sur les deux types d’arguments employés par les juristes médiévaux‚ les auctoritates et les rationes. Une fois la « disputatio » parmi les étudiants terminée‚ le maître proposait une « solutio » qui n’était pas présentée comme la seule solution correcte (la solution « vraie » ‚ selon la méthode des sciences théorétiques qui s’imposera avec la modernité)‚ mais comme la solution la plus persuasive‚ la mieux argumentée‚ la plus équitable. En un mot : la plus raisonnable. Voir‚ sur cette méthode‚ Kantorowicz 1938.
57 Les moots‚ héritiers des disputationes médiévales‚ étaient l’une des deux activités principales des Inns of Courts londoniens (l’autre était les readings) et se retrouvent aujourd’hui dans les facultés de droit anglaises. Il s’agissait d’un procès simulé relatif à un cas concret‚ hypothétique ou authentique (voir‚ sur l’histoire de cette pratique pédagogique‚ Holdsworth 1971‚ p. 481 et s.). Les legal clinics‚ qui‚ récemment‚ ont fait l’objet d’un intérêt croissant dans les facultés de droit européennes (voir‚ parmi les premiers textes qui en parlent en France‚ Hennette-Vauchez & Roman 2006 et‚ plus récemment‚ l’ouvrage dirigé par Aurey 2015)‚ nous viennent de la legal education américaine‚ grâce‚ notamment‚ au courant réaliste des années 1930 (voir Frank 1933).
58 WICKERS 2012.
59 Scarpelli 1968‚ p. 23. Dans une perspective similaire voir aussi les remarques sur les « attentes des praticiens » de Jamin 2012‚ p. 125 et s.
60 Ainsi l’éditorial du 25 novembre 2011 du New York Times‚ intitulé Legal Education Reform‚ qui‚ suite à la crise économique qui a laissé « many recent law graduates saddled with crushing student loans and bleak job prospects » ‚ plaidait pour une formation juridique « more practice oriented ». Voir‚ infra‚ à la note 63‚ la réponse de Bruce Ackerman.
61 White 1993‚ p. 1972.
62 Edwards 1992.
63 WHITE 1993‚ p. 1972.
64 Ainsi Bruce Ackerman dans un article (« The Law School Experience ») publié dans le New York Times du 26 novembre 2011 en réponse critique à l’éditorial cité supra‚ dans la note 59.
65 Ainsi Fian 2015‚ p. 181.
66 C’est‚ par exemple‚ le programme de l’École analytique italienne présenté par Norberto Bobbio dans son essai manifeste « Scienza del diritto e analisi del linguaggio » ‚ publié en 1950 dans la Rivista trimestrale di diritto e procedura civile (Bobbio 1976).
67 Cela a été le cas‚ en France‚ de la grande réforme de 1954 (sur laquelle‚ voir le rapport de Trotabas 1953)‚ où‚ comme le dit Christophe Jamin‚ « nous sommes désormais très loin des interrogations qui avaient affleuré durant les premières années du XXe siècle sur une éventuelle rupture avec le discours doctrinal : l’autonomie du droit n’est plus contestée et il ne s’agit plus d’y faire pénétrer les sciences sociales nouvelles autrement que sous la forme des fameuses sciences auxiliaires. En un mot‚ il s’agit tout au plus de former des juristes cultivés‚ mais nullement de changer la matrice disciplinaire des facultés de droit » (Jamin 2012‚ p. 68). L’insuffisance de cette réforme est vite dénoncée par André Tunc dans un passionnant article‚ de grande ampleur et à (re)lire dans son intégralité. En se référant aux enseignements de Holmes et en partageant la critique de Pound selon laquelle la France de son époque « n’a plus de philosophie juridique » ‚ l’Auteur insiste sur le rôle social‚ politique et critique des juristes‚ sur la « responsabilité » qu’ils ont de « diminuer les injustices et les tensions sociales » et sur l’utilité « d’inscrire au programme des études juridiques un ou plusieurs enseignements de sociologie » et de prolonger les « travaux pratiques » (introduits de façon obligatoire avec la réforme de 1954) par des « enquêtes sociales » qui « assureraient à nos étudiants une meilleure formation humaine et politique » ; connaissant « la réalité par expérience directe » ‚ les étudiants ainsi formés auraient‚ « comme citoyens‚ comme chefs d’entreprise‚ avocats ou magistrats » ‚ une « valeur technique et humaine supérieure à celle des étudiants actuels‚ trop fermés “dans” nos facultés ». Et il conclut en disant que « l’orientation de la recherche juridique et de l’enseignement du droit vers les droits et les civilisations étrangères‚ vers les problèmes sociaux et la philosophie du droit‚ nous semble la tâche essentielle et primordiale de l’heure présente » (Tunc 1957‚ p. 76‚ 71‚ 75‚ et 78). À ces directives pédagogiques ambitieuses – auxquelles s’ajoute le souhait que les cours magistraux soient‚ « en troisième et quatrième année‚ largement remplacés par un ensemble de cours approfondis‚ de direction d’études‚ de discussions portant sur des arrêts‚ des cas ou des problèmes théoriques » (p. 78) – trois éminents professeurs mettent immédiatement un frein‚ en soutenant‚ de façon rassurante et en s’appuyant sur les mots d’un conseiller d’État‚ que « les facultés de droit ont formé depuis cinquante ans des élèves dont elles ont le droit d’être fières et elles ont accompli une œuvre scientifique qui appelle l’éloge » (Batiffol‚ Ourliac & Timbal 1957‚ p. 208).
68 Pour une ouverture de l’enseignement du droit à d’autres disciplines plaident‚ en Allemagne‚ le récent rapport du Wissenschaftsrat du 9 novembre 2012 (traduit en anglais l’année suivante : « Prospects of Legal Scholarship in Germany. Current Situation‚ Analyses‚ Recommendations ») et‚ en France‚ le très intéressant rapport de la Commission de Réflexion sur les Études de droit‚ instituée par Jack Lang‚ à l’époque ministre de l’éducation nationale‚ et présidée par Antoine Lyon-Caen. Dans ce rapport‚ déposé en avril 2002‚ on lit que dans l’état actuel « les “matières” non juridiques souffrent en général de l’indifférence des étudiants et provoquent même une certaine aversion. Leur rôle dans la formation des juristes n’est pratiquement jamais explicité ». La recommandation de la Commission est d’introduire ces enseignements‚ considérés comme « indispensables » ‚ « dès la phase initiale » des études et d’éviter le piège de la simple juxtaposition : « il ne s’agit pas de juxtaposer disciplines juridiques et disciplines non juridiques générales. Par les enseignements pluridisciplinaires‚ il s’agit de proposer un regard particulier sur un objet pertinent pour les juristes‚ alors même que les savoirs sollicités ne conçoivent pas de la même manière cet objet » (p. 13 et 40)
69 Scarpelli 1968‚ p. 24.
70 White 1993‚ p. 1972-1973.
71 Ibidem‚ p. 1973.
72 Ibidem‚ p. 1974.
73 Sur laquelle voir Ost & van de Kerchove 2002.
74 Sur cette notion‚ voir Pariotti 2000.
75 Scarpelli 1968‚ p. 24.
76 Ibidem‚ p. 25.
77 De ce modèle‚ bien présenté par Christophe Jamin (2012‚ p. 105-123)‚ s’est inspirée l’École de droit de Sciences po (voir p. 171 et s.).
78 Saleilles 1902‚ p. 317.
79 Scarpelli 1968‚ p. 25-26.
80 Selon Scarpelli‚ ces cours devraient être spécifiquement conçus‚ au sein des facultés de droit‚ pour la formation des juristes (p. 26-27).
81 Le rapport Lyon-Caen déjà rappelé a fait le choix radical d’en finir avec l’enseignement traditionnel par branches ou matières au profit d’un enseignement par des grands thèmes fondamentaux ou « piliers ». Cette méthode nouvelle (et révolutionnaire)‚ va au-delà‚ lit-on dans le rapport‚ « d’un simple regroupement de “matières existantes” selon les thèmes ; elle suggère des changements de frontières‚ de contenus et de manières d’enseigner. Au morcellement des enseignements en une grande variété qui rend difficile‚ sinon impossible‚ l’intelligence des liaisons‚ la méthode propose de substituer un cadre propice à l’articulation réfléchie et explicite entre les différents enseignements » (p. 14).
82 La même directive venait déjà de Duguit à la fin du XIXe siècle : « il serait dangereux de surcharger l’enseignement de détails historiques ou juridiques‚ qui fatigueraient leur mémoire sans développer leur esprit. On devra s’arrêter avant tout aux grandes lignes‚ donner aux élèves des cadres et des idées générales‚ qui leur permettent de faire plus tard des études approfondies ». Et il conclut : « les cours sont assurément une excellente chose ; mais en les multipliant‚ on courrait peut-être le risque d’absorber le temps des élèves et d’entraver chez eux l’initiative dans le travail et l’originalité dans les idées » (Duguit 1888‚ p. 154).
83 À ce propos‚ je me souviendrai toujours d’un cours de droit civil sur la possession donné par Rodolfo Sacco à la faculté de droit de Turin pendant l’année académique 1989-90. De tous les cours de droit positif (sous-entendu : étatique) que j’ai suivis à la faculté de Turin (qui‚ après l’Université de Trente‚ était la faculté italienne où l’enseignement du droit comparé était le plus développé)‚ le cours de Sacco était le seul à être abordé dans une perspective à la fois historique et comparative. Pour un modèle encore plus poussé de dénationalisation de l’enseignement du droit‚ axé sur un renversement de perspective (« former d’abord les étudiants à être des juristes du monde‚ sauf à les spécialiser ensuite dans tel ou tel droit national »)‚ voir Ancel 2013‚ p. 90 et s.‚ où il présente‚ outre les expériences novatrices de l’Université de Maastricht et de McGill (sur celle-ci‚ voir‚ plus diffusément‚ Ancel 2011)‚ l’expérience de l’Université de Luxembourg‚ en mettant en lumière tous les enjeux (avantages‚ limites‚ difficultés de réalisation…) de ce type d’enseignement. Sur ces expériences de « transnationalisation » de l’enseignement du droit voir aussi l’important ouvrage dirigé par Ancel & Heuschling 2016. Sur le sens et les enjeux de l’internationalisation de l’enseignement du droit cf. Belley 2016 (en référence‚ notamment‚ à l’expérience « transsystémique » de McGill) et Vogliotti 2018.
84 Ainsi le rapport Lyon-Caen‚ qui continue : « sauf sans doute si les raisons d’être desdites réformes sont expliquées et débattues là où elles doivent être mises en œuvre et si elles sont accompagnées d’encouragements » (p. 7). La condition d’abandon dans laquelle se trouvent actuellement l’institution universitaire et ses libertés dans plusieurs pays européens (voir‚ pour la France‚ Beaud 2010) n’encourage pas – c’est le moins qu’on puisse dire – l’investissement personnel dans le métier d’enseignant‚ qui‚ pour bien l’exercer‚ requiert des motivations continues‚ du temps et des efforts considérables.
85 En ce qui concerne la situation italienne‚ il suffit de rappeler ici la récente proposition de réforme du cours de « laurea in Giurisprudenza » provenant de la Commission des représentants des Doyens et des Directeurs‚ où la place consacrée aux enseignements historiques‚ philosophico-théoriques et comparatifs a été réduite au profit d’une pléthore d’enseignements de droit positif étatique (voir‚ à ce propos‚ le document très critique de la « Società italiana di filosofia del diritto » ‚ signé par son président de l’époque‚ Francesco Viola‚ en ligne‚ www.sifd.eu/wp-content/uploads/2015/11/All.- 7-SIFD.pdf).