1 L’image du « tissu résultant de fils tressés par plusieurs mains » est employée aussi par Pastore 2009‚ p. 279.
2 L’ordre juridique médiéval était le résultat de cette relation intime entre auctoritates et rationes. Comme le souligne Gino Gorla‚ « les auctoritates étaient un dépôt de rationes ; ou bien‚ si elles ne l’étaient pas à l’origine ou si elles ne l’étaient plus car elles n’étaient pas à jour‚ on pouvait toujours les critiquer ou les mettre à jour avec les rationes » (Gorla 1981 [1969]‚ p. 449). Les « autorités » se distinguaient en « nécessaires » (la lex‚ selon la notion médiévale du mot‚ comprenant‚ outre les normes du princeps‚ les coutumes‚ les statuts et le corpus iuris) et en « probables » (les opinions des docteurs et les décisions des tribunaux). Les « raisons » ne reposaient pas « sur le libre raisonnement individuel‚ sur le sens individuel de la justice‚ sur un critère purement subjectif de décision » (p. 448). Elles étaient tirées du fondement axiologique de l’ordre juridique médiéval : l’aequitas ou le droit naturel-divin. Parmi les rationes‚ il faut rappeler aussi les arguments employés pour « coudre » les auctoritates‚ dont le plus important était l’argument a similibus ad similia qui était le reflet‚ sur le plan gno-séologique‚ de la structure relationnelle de l’univers juridique médiéval. Pour bien comprendre le phénomène récent‚ de plus en plus diffus et étudié‚ du « dialogue des juges » (réincarnation postmoderne de l’usage‚ très courant dans l’ancien régime‚ de se référer dans les arrêts à la lex alii loci) il faut avoir à l’esprit cet entrelacement – prémoderne et postmoderne – entre l’autorité et la raison‚ un lien intime qui a été brisé par les Lumières. Les autorités étrangères (lois et‚ plus souvent‚ jugements) que nos tribunaux citent toujours plus volontiers dans leurs arrêts depuis le début du nouveau millénaire entrent‚ dans l’ordre juridique interne‚ sous la forme de « raisons ». Ces autorités‚ qui sont dépourvues‚ dans l’ordre juridique interne‚ de validité juridique formelle‚ représentent une sorte de réservoirs de solutions juridiques déjà expérimentées et‚ lorsqu’elles proviennent de cours prestigieuses comme la Cour suprême américaine‚ jouent le rôle de sources de légitimation de décisions jurisprudentielles en quête d’un ancrage normatif que le système juridique interne‚ quand il s’agit d’hard cases‚ n’est pas en mesure de fournir. Sur le dialogue des juges voir‚ dans la littérature juridique française‚ Allard & Garapon 2005.
3 Si la légalité est « mesure‚ voire critère de mesure » ‚ elle renvoie à un « point idéal auquel on rapportera chaque activité concrète que nous voulons évaluer à la lumière de ce critère » (Rescigno 1995‚ p. 262). Selon la manière dont on envisage ce « point idéal » (lex‚ dans le sens monodimensionnel de droit ex parte potestatis‚ ou ius‚ dans le sens bidimensionnel de droit ex parte potestatis et societatis)‚ la manière dont se mesure la conformité à ce paramètre des actes singuliers d’exercice du pouvoir change.
4 Nigro 1983‚ p. 250.
5 Ibidem‚ p. 251.
6 C’est la thèse de Lorenza Carlassare‚ selon laquelle « si la loi ne contient aucun élément qui puisse limiter le pouvoir discrétionnaire de l’administration‚ elle ne sera pas utilisable devant le juge comme terme de comparaison pour évaluer la légitimité des actes pris sur la base de cette même loi » (Carlassare 1966‚ p. 153). Le fait de tirer de l’article 113 de la Constitution italienne‚ qui garantit la protection juridictionnelle des droits et des intérêts légitimes‚ le principe de légalité « substantielle » ‚ selon lequel il faut une loi « qui règlemente de façon assez précise‚ substantielle‚ la matière qui fait l’objet du pouvoir octroyé à l’administration » (p. 118)‚ signifie réduire la légalité à un critère qui mesure la correspondance de l’acte à la norme législative et réduire‚ en conséquence‚ la justice administrative à une activité de vérification de l’adaequatio de l’acte administratif à la « chose » loi. Une notion différente de la légalité (ouverte à la seconde dimension du droit) et une représentation différente du contrôle juridictionnel‚ conçu moins comme un instrument de protection de la loi contre les abus de l’administration et de la juridiction que comme une protection effective des droits des individus‚ empêchent de lire de cette manière l’art. 113 de la Constitution.
7 Ost 1996.
8 Dans un article fort polémique‚ l’important pénaliste Giorgio Marinucci‚ récemment disparu‚ relance la solution traditionnelle pour sauvegarder l’intégrité de la littera legis contre les dérapages des juges‚ à savoir « une technique législative qui assure le maximum de précision possible » (Marinucci 2007‚ p. 1268).
9 Mayr 1988 [1986]‚ p. 209.
10 Ibidem.
11 Cassese 2006‚ p. 111.
12 Cassese 2002‚ p. 77.
13 Sur ces aspects de l’administration dans l’État libéral‚ voir Nigro 1983‚ p. 250.
14 Sordi 2008‚ p. 56.
15 Gény 1919 [1899]‚ I‚ § 35‚ p. 70 et § 61‚ p. 12.
16 Ballot-Beaupré 1969 [1904]‚ p. 24 et p. 27.
17 Mannori & Sordi 2001‚ p. 470. L’hybridation entre le domaine public et le domaine privé est le résultat de deux phénomènes opposés mais convergents : d’un côté‚ l’adoption de la part de l’administration des catégories du droit privé‚ de l’autre‚ l’entrée de l’intérêt public (le pôle de l’autorité) dans le champ du droit privé (qui jusqu’alors était conçu comme le domaine de la liberté). Suite à la crise de l’État libéral‚ on introduit‚ dans le sanctuaire de la propriété privée‚ des contraintes sociales (à l’aube du siècle dernier‚ l’art. 153 de la Constitution de Weimar établit le principe que la « propriété oblige. Son usage doit être en même temps un service rendu au bien commun ») et‚ « dans certaines matières particulièrement importantes pour l’État providence contemporain‚ le principe général de la liberté est supprimé‚ sauf disposition contraire de la loi ». C’est le cas des activités « qui concernent l’utilisation de biens rares d’intérêt public » ‚ comme le sol et l’environnement en général. On a tendance à les « considérer comme interdites de manière générale‚ sauf autorisation explicite accordée au cas par cas par l’administration lorsqu’elle estime que l’exercice de ces activités est compatible avec l’intérêt public » (Zagrebelsky G. 2000 [1992]‚ p. 37).
18 Mannori & Sordi 2001‚ p. 471.
19 Ibidem‚ p. 474.
20 Ibidem‚ p. 475.
21 Ibidem‚ p. 482.
22 Lorsqu’en France‚ à cheval entre le dix-neuvième et le vingtième siècle‚ Hauriou d’abord et Duguit ensuite (avec des parcours théoriques différents : le premier s’inspirant de « prémisses théoriques qui accordent à l’État une position centrale » ‚ le second sur la base d’une « approche socio-centrique ») donnent un sens nouveau à la « notion indéfinie » de « service public » ‚ en fournissant un fondement théorique aux nouvelles fonctions sociales de l’État providence (qui vont devenir des nouvelles sources de légitimation de l’activité administrative)‚ le régime administratif est encore unitaire et « entièrement bâti sur le principe de spécialité et sur les catégories du droit public » (p. 419-427 et passim).
23 Ibidem‚ p. 483.
24 Nigro 1983‚ p. 254.
25 Ibidem.
26 Zagrebelsky G. 2000 [1992]‚ p. 36.
27 Borsi 1920‚ p. 13.
28 Nigro 1983‚ p. 254.
29 Voir supra‚ le chap. III‚ par.4‚ de la première partie.
30 Bruti Liberati Ed. 1997‚ p. 159.
31 Associazione Nazionale Magistrati 1966‚ p. 310.
32 Bassi 2001‚ p. 251 et note 175‚ où l’on peut trouver des références jurisprudentielles précises.
33 Conseil d’État‚ section consultative pour les actes normatifs‚ 9 juin 2009‚ 1943/09‚ avis sur le projet de décret législatif en application de l’art.4 de la loi4 mars 2009‚ n° 15‚ en matière de recours pour l’efficience des administrations et des concessionnaires publics‚ p. 6.
34 Ibidem‚ p. 5.
35 Cimellaro 2006‚ p. 138. Voir‚ dans le même sens‚ Lazzara 2006‚ p. 453‚ qui remarque comment « l’exécution des missions de service public et la satisfaction finale des besoins sociaux sont les facteurs qui légitiment la structure publique et justifient‚ au fond‚ l’existence de l’appareil administratif ».
36 La jurisprudence et la doctrine‚ à l’unanimité‚ attribuent aux principes généraux le rôle de paramètres de légalité de l’activité administrative. Voir‚ par exemple‚ Levi 1974‚ p. 136‚ Cavallo Perin 1990‚ p. 223 et s.‚ Cassese 1995‚ p. 795-796 et Morbidelli 2007‚ p. 754-758.
37 Iannotta 2000‚ p. 37.
38 Sur la gestion par résultats‚ voir Iannotta 2003 et Immondino & Police 2004.
39 MARINO 2004‚ p. 164.
40 Cimellaro 2006‚ p. 144.
41 Légalité et efficience sont considérées comme deux valeurs opposées par LEDDA 1997‚ qui‚ cependant‚ après avoir considéré comme « inacceptable l’échange entre l’efficience et la légalité » ‚ conclut en assimilant la première à la seconde : « Il n’y a aucun contraste entre ces deux termes ; au contraire‚ la légalité représente la seule véritable garantie de l’efficience‚ la non efficience étant presque toujours l’effet de la violation d’une loi » (p. 3309). Cette position est un clair exemple de ce que le Conseil d’État‚ dans l’avis cité auparavant‚ considère comme « une vision formelle du principe du bon fonctionnement » prévu à l’art. 97 de la Constitution italienne. Une vision qui a « conduit à dévaloriser le principe du bon fonctionnement‚ si bien que‚ au lieu de concevoir la légalité comme un principe orienté vers l’efficience‚ on a interprété l’efficience comme un corollaire de la légalité‚ en soutenant que le simple respect de la loi est gage de résultat » (Conseil d’État‚ Section consultative pour les actes normatives‚ 9 juin 2009‚ n° 1943/09‚ cit.‚ p. 5).
42 Cimellaro 2006‚ p. 146.
43 Conseil d’État‚ Section consultative pour les actes normatifs‚ 9 juin 2009‚ cit.‚ p. 5. La valorisation d’une notion non formelle‚ mais substantielle‚ du principe du bon fonctionnement a été retenue aussi par la loi n° 15 de 2005 qui a modifié la loi de 1990 sur la procédure administrative. D’après cette loi‚ « l’acte administratif adopté en violation de normes relatives à la procédure ou à la forme des actes n’est pas annulable si‚ vu la nature de l’acte administratif‚ il est évident que son dispositif n’aurait pas pu être différent de celui qui a été concrètement adopté. L’acte administratif n’est en tout cas pas annulable par défaut de communication de l’ouverture de la procédure si l’administration démontre devant le juge que le contenu de l’acte n’aurait pas pu être différent de celui qui a été concrètement adopté » (art. 21 octies‚ alinéa 2‚ loi n° 241 de 1990‚ introduit par la loi du 11 février 2005‚ n° 15).
44 Iannotta 2000‚ p. 40.
45 Ibidem‚ p. 37. En s’appuyant sur les politiques législatives orientées vers la simplification et l’efficience (qui‚ au cours de ces vingt dernières années‚ ont permis de parvenir à l’introduction des critères d’économie et d’efficience dans l’art. 1 de la loi n° 241 de 1990‚)‚ plusieurs auteurs soutiennent la nécessité de sortir de la logique qui oppose des valeurs en apparence inconciliables‚ comme l’efficience et la légalité‚ et d’essayer de les intégrer « dans le cadre de la directive fondamentale du bon fonctionnement et de l’impartialité de l’action administrative » (Lazzara 2006‚ p. 453). Dans la même perspective‚ voir Bruti Liberati Eu. 2006‚ p. 130-138‚ qui critique les positions de ceux qui‚ poussant à son extrême le principe de légalité (dans la version « correspondantiste » de la légalité)‚ estiment que les raisons de l’efficience ne peuvent pas être mises en balance avec celles de la légalité-typicité (l’essai critiqué est celui que nous avons déjà cité de Bassi 2001).
46 IANNOTTA 2000‚ p. 44.
47 Conseil d’État‚ section consultative pour les actes normatifs‚ 9 juin 2009‚ cit.‚ p. 6.
48 Chieppa 2010‚ p. 674.
49 L’influence du procès (et de ses catégories) sur la configuration du droit pénal – qui a fait ces dernières années l’objet d’une attention croissante de la part de la doctrine pénaliste (voir‚ par exemple‚ pour une perspective critique‚ Padovani 1999) – avait déjà été mise en évidence‚ dans les années soixante-dix‚ par certains magistrats et‚ au sein de la doctrine‚ par un important essai – nourri de connaissances sociologiques et historiques – d’un jeune professeur de procédure pénale : Nobili 1977.
50 Pour Iannotta 2000‚ p. 44‚ l’interprétation conforme « est la règle dans le paradigme de la gestion par résultats » ‚ paradigme qu’il faut interpréter comme la manifestation de la nouvelle légalité téléologique propre à l’État constitutionnel de droit.
51 Comme le souligne Nigro 1980‚ p. 268‚ « dans l’exercice de ses pouvoirs‚ l’administration n’applique pas au fait un droit préfabriqué‚ mais tisse pour ainsi dire une trame qui va du droit au fait et du fait au droit pour préciser l’un à travers l’autre et vice versa ».
52 Ibidem‚ p. 261-262.
53 Sur la figure du « narrateur omniscient » ‚ qui caractérise les grands romans du dix-neuvième siècle‚ et sur la contestation de celui-ci par d’autres perspectives narratologiques‚ voir Vogliotti 2018‚ où nous avons essayé de dégager les analogies entre la narratologie littéraire et la narratologie juridique.
54 Le protagoniste de l’expérience juridique contemporaine est sans aucun doute le juge et‚ en particulier‚ le juge qui siège dans les « Grands Tribunaux » nationaux‚ supranationaux et internationaux. Ce sont eux (avec les nombreux organismes judiciaires et quasi-judiciaires qui peuplent la scène du global law) les acteurs qui tissent les relations entre les différents ordres juridiques de la globalisation‚ en se chargeant de la tâche de « combler les vides entre les différents systèmes ; de réduire leur fragmentation ; de les pousser à coopérer ; d’établir des hiérarchies de valeurs et de principes ; d’introduire des règles de reconnaissance et des critères pour établir la validité et l’efficacité des normes » (Cassese 2009b‚ p. 3‚ auquel on renvoie pour son analyse‚ riche en exemples‚ de ce travail complexe de tissage – et de traduction de langages normatifs et de styles juridiques différents – qui demande un « effort constant de coopération pour éviter des collisions » ‚ p. 6). Le protagonisme actuel des juges de ces Grands Tribunaux rappelle‚ d’une certaine façon‚ le protagonisme des juges des Tribunaux Suprêmes de l’ancien régime (Parlements‚ Sénats…)‚ véritables « héros culturels » ‚ d’après la formule de Gino Gorla‚ de l’Europe des XVIe-XVIIIe siècles (voir‚ à ce propos‚ Gorla & Roselli 1986).
55 Conseil d’État‚ section VI‚ 17 octobre 2005‚ n° 5827. Sur ce point voir Morbidelli 2007‚ p. 719 et s.
56 Sur la jurisprudence constitutionnelle dans ce domaine‚ cf. De Pretis & Marchetti 2006‚ p. 369.
57 Ibidem‚ p. 373‚ où l’on observe que pour la Cour constitutionnelle « la technique » ne constitue pas seulement « une limite au pouvoir discrétionnaire » du juge‚ mais représente aussi une « source de légitimation du pouvoir de choisir attribué à l’administration publique ».
58 Merusi 2011‚ p. 13‚ qui intitule le paragraphe 2 « Norme desunte dalla natura delle cose » ou‚ comme il le dit aussi‚ règles dégagées « de la logique de la matière à régler ». Sur ce sujet‚ voir aussi Morbidelli 2007‚ p. 720-721. Sur la notion ancienne mais‚ comme on peut le voir‚ tout à fait vitale‚ de la « nature des choses » ‚ relancée en Allemagne notamment après la Seconde Guerre mondiale comme un critère d’interprétation du droit positif et « comme une limite lato sensu technique à l’arbitraire du législateur » (en présupposant que « la connaissance des rapports de vie » fournisse au législateur et à l’interprète un critère normatif fiable)‚ voir l’anthologie dirigée par Mazzei & Opocher 2011 (la citation est tirée de l’essai de Baratta Natura del fatto e diritto naturale‚ publié en 1959 dans la Rivista internazionale di filosofia del diritto et reproduit dans cet ouvrage à la p. 131).
59 De Pretis & Marchetti 2006‚ p. 383.
60 La Cour constitutionnelle italienne considère comme légitime l’utilisation de la loi pour opérer des choix qui normalement appartiennent au pouvoir discrétionnaire de l’administration‚ « mais seulement dans certaines limites ». Plus précisément‚ « à condition que les règles‚ de participation notamment‚ et les caractères de la procédure administrative soient‚ d’une manière ou d’une autre‚ respectés‚ soit au cours de la même procédure législative soit dans une phase qui la précède au niveau administratif ». À cette condition la Cour en ajoute une autre : que le législateur assure « le respect‚ d’une part‚ de la fonction juridictionnelle (en relation aux décisions dans les procès en cours) et‚ d’autre part‚ le respect des principes de ragionevolezza et de non arbitrarietà ». (De Pretis & Marchetti 2006‚ p. 345) Voir‚ également‚ Lazzara 2006‚ p. 399 et s.
61 Merusi 2007‚ p. 11‚ qui considère les lois provvedimento avec lesquelles le législateur octroie « directement les ressources en sautant l’intermédiation de l’administration publique » ‚ comme un des « nombreux attentats au principe de légalité » ‚ démontrant ainsi qu’il adhère‚ implicitement‚ à une notion de légalité qui va au-delà de la loi et finit par coïncider avec le respect du droit (à deux dimensions). En effet‚ ce n’est pas le principe de légalité‚ au sens moderne‚ qui représente un obstacle aux leggi provvedimento (lesquelles‚ au contraire‚ comme nous l’avons déjà remarqué‚ en représentent la pleine réalisation)‚ mais un ensemble de principes‚ parmi lesquels ceux de la séparation des pouvoirs et de l’impartialité de l’administration‚ qui sont considérés par Merusi‚ de façon emblématique‚ comme « une des composantes du principe de légalité » (p. 10)‚ d’une légalité‚ faut-il préciser‚ renouvelée.
62 Cour constitutionnelle‚ arrêt du 2 mars 1962‚ n° 13‚ Giurisprudenza costituzionale‚ 1962‚ p. 141‚ qui considère la procédure équitable (giusto procedimento) comme un principe général de l’ordre juridique de l’État (voir également‚ à ce propos‚ la note de Crisafulli 1962).
63 Cassese 2002‚ p. 131-132.
64 Ibidem‚ 133-134.
65 Cour constitutionnelle‚ arrêt du 31 janvier 1991‚ n° 37‚ in « Giurisprudenza costituzionale » ‚ 1991‚ p. 236.
66 Cassese 2002‚ p. 87.
67 Voir les exemples cités ibidem‚ p. 90 et s.
68 Ibidem‚ p. 93.
69 Ibidem‚ p. 98.
70 Sbriccoli 2002‚ p. 167 et s. Voir supra‚ première partie‚ chap. II‚ par. 3‚ note 35.
71 Damaška 1991 [1986]‚ p. 249-299. Dans la perspective de Damaška‚ le procès comme « mise en œuvre de choix politiques » est le modèle procédural caractéristique de l’État « actif » ‚ celui qui vise à « diriger la société » (p. 133) et qui conçoit le droit comme l’expression de la volonté de l’État. Dans ce genre d’État‚ « les règles et l’organisation du procès […] jouent un rôle beaucoup moins important et autonome : la procédure est essentiellement en fonction du droit substantiel ». Si le but du procès « est de mettre en œuvre les choix politiques de l’État » ‚ la procédure la plus appropriée est celle « qui augmente la probabilité – ou maximise la possibilité – de parvenir à un résultat exact sur le plan substantiel‚ plutôt que celle qui s’inspire de principes de fairness ou qui protège d’autres valeurs substantielles collatérales » (p. 251).
72 Voir‚ sur ce point‚ Garapon 1996‚ p. 31 et s.‚ qui‚ à propos des cas toujours plus nombreux d’enquêtes ouvertes à l’encontre d’hommes politiques‚ depuis les années 1990 notamment‚ parle de « fin des immunités ».
73 Depuis les années 1980‚ la justice négociée a fait sa réapparition dans l’univers pénal de civil law‚ au début de façon prétorienne (c’est le cas de la médiation)‚ ensuite par la voie formelle de la législation (en Italie‚ le code de procédure pénale de 1988 a introduit différentes procédures alternatives au jugement qui s’inspirent de ce modèle de justice). Voici les caractéristiques du paradigme médiéval de la justice négociée‚ très proche des formes contemporaines de justice reconstructive‚ telle la célèbre Commission sud-africaine vérité et réconciliation : « L’idée que le délit est en premier lieu un préjudice (iniura)‚ qu’il faut moins le punir que le réparer‚ que la réparation consiste en la satisfaction et que la satisfaction doit passer à travers une négociation » (Sbriccoli 2002‚ p. 165).
74 Il convient de préciser que le fait de mettre l’accent sur l’idée de la justice plutôt que sur celle de la vérité ne signifie pas du tout négliger le rôle de cette dernière‚ mais veut dire souligner que la finalité propre à un procès qui s’inspire des caractéristiques des sciences pratiques n’est pas la vérité (qui‚ au contraire‚ est le but du procès inquisitoire‚ en phase avec les caractéristiques des sciences théorétiques‚ procès‚ celui-ci‚ qui arrive à subordonner des droits et des garanties fondamentaux de l’accusé à l’impératif – extrêmement problématique d’un point de vue épistémologique – de la soi-disant vérité matérielle)‚ mais la « juste résolution » des conflits (le « procès équitable »). Normalement‚ bien sûr‚ pour atteindre cette finalité il faut passer par une procédure qui vise à établir la vérité‚ mais cela toujours à travers un itinéraire cognitif respectueux de certains principes et valeurs fondamentaux (iuxta propria principia)‚ des principes et des valeurs qui‚ dans certains cas‚ peuvent entraver ou‚ à la limite‚ empêcher la recherche de la vérité dans le sens des sciences théorétiques (c’est le cas‚ par exemple‚ du droit au silence du prévenu et du principe de l’autorité de la chose jugée). Dans certains paradigmes procéduraux‚ par ailleurs‚ la nature instrumentale et non pas finale (dans le sens de but ultime et spécifique) de la vérité est encore plus évidente : il suffit de rappeler‚ parmi les exemples les plus connus‚ la médiation et les commissions « vérité et réconciliation » où le but ultime n’est pas la vérité‚ mais la réconciliation‚ un bien qui est le résultat de la reconnaissance de la responsabilité de la part de l’auteur de l’infraction‚ de la réparation (même symbolique) et du pardon‚ d’un regard rénové tourné vers l’avenir au lieu d’un regard obsessif fixé sur le passé‚ en quête d’une vérité qui est souvent un miroir brisé‚ faite non pas d’une seule image‚ mais de plusieurs.
75 Selon le vocabulaire de Damaška‚ le modèle du procès comme résolution des conflits est propre à l’État « réactif » ‚ c’est-à-dire à un État qui tend à « ne fournir que la structure pour l’interaction sociale » et d’après lequel « toute violation de l’ordre est l’effet de la violation d’un droit individuel‚ si bien que l’État déclenche les poursuites seulement lorsque quelqu’un se plaint et demande protection ». Dans ce modèle d’État‚ « les décisions se justifient moins sur le plan de la qualité des résultats obtenus que sur celui du respect des procédures suivies ». Il s’ensuit que « le droit processuel‚ qu’il soit préfabriqué par l’État ou modelé ad hoc par les parties‚ acquiert une consistance propre et une indépendance par rapport au droit substantiel » ‚ au point que « dans le cas limite d’un État réactif pur‚ les problèmes processuels éclipsent presque entièrement les problèmes substantiels » (Damaška 1991 [1986]‚ p. 133‚ 136‚ 251‚ 180 et 182).
76 En Italie‚ la médiation pénale – expérimentée d’abord dans les États-Unis (et ce n’est pas un hasard‚ car il s’agit d’un pays appartenant au modèle d’État « réactif » qui a choisi‚ par conséquent‚ un type de procès qui s’inspire du modèle accusatoire‚ fortement marqué par des éléments de négociation) et largement pratiquée en Europe – a été jusqu’à présent cantonnée aux sous-systèmes processuels de la justice des mineurs et du juge de paix‚ et cela à cause notamment du conditionnement‚ qui est encore très fort chez nous‚ des catégories théoriques et mythologiques du paradigme pénal moderne.
77 Cette évolution n’est certes pas sans contradictions‚ sans revers ou‚ voire‚ sans véritables démentis. C’est le cas‚ par exemple‚ des politiques sécuritaires qui se sont imposées dans toute l’Europe depuis les années 1990 et des mesures qui‚ sous la pression du terrorisme international‚ s’inspirent du paradigme du « droit pénal de l’ennemi » (sur ce dernier voir Donini 2007‚ p. 79 et s.). À bien y regarder‚ toutefois‚ ces phénomènes ressemblent plutôt à des aberrations qu’à des réfutations du trend auquel nous avons fait allusion ci-dessus. Ces politiques continuent de s’adresser à la société plutôt qu’au pouvoir‚ mais à une société qui‚ au lieu de montrer le visage accueillant de l’inclusion‚ dévoile le visage méfiant et effrayé de l’exclusion‚ du repli égoïste et xénophobe. Voir pour une analyse convaincante de l’insécurité de nos sociétés contemporaines et des politiques sécuritaires qui en découlent‚ Bauman 1999.
78 Ce processus d’ouverture à la société civile et de démocratisation de la police a abouti à la loi n° 121 de 1981 qui a démilitarisé la police d’État. Voir‚ à ce sujet‚ Della Porta & Reiter 2003. Même dans ce cas‚ les contradictions et les démentis (même spectaculaires) ne manquent pas. Un exemple entre tous : la gestion de l’ordre public à l’occasion du G8 qui s’est déroulé à Gênes en 2001.
79 Nombreux sont les tribunaux et les parquets qui‚ de leur propre initiative ou bien poussés par le Conseil Supérieur de la Magistrature‚ se sont dotés de structures administratives pour gérer la masse des dossiers de manière raisonnable‚ transparente‚ impartiale et efficiente. Voir‚ pour ce qui concerne les parquets‚ Sarzotti 2007 et Vogliotti 2004. En général‚ sur l’introduction d’une culture de type managériale dans l’institution judiciaire (avec ses lumières et ses ombres)‚ voir Garapon 2010.
80 CHIAVARIO 1998. Voir également l’essai fort lucide de Fassone 1991.
81 L’art. 112 de la Constitution italienne formule de façon péremptoire le principe de légalité des poursuites : « Le ministère public a l’obligation d’exercer l’action pénale » (c’est nous qui soulignons). La première mesure officielle adoptée par un procureur afin de ne pas laisser au hasard ou aux choix arbitraires des substituts la gestion concrète de l’action pénale (étant donné l’impossibilité de donner suite à toutes les notitiae criminis parvenues‚ comme le voudrait la lecture traditionnelle et courante de l’art. 112)‚ est la fameuse « Circulaire Zagrebelsky » du 16 novembre 1990‚ signée par le chef du parquet auprès de la « Pretura » de Turin‚ Vladimiro Zagrebelsky‚ futur juge italien à la Cour de Strasbourg (la circulaire est publiée dans la revue Questione giustizia‚ 1991‚ p. 419 et s.). Cette circulaire‚ dont s’inspireront ensuite d’autres procureurs‚ se basait‚ en particulier‚ sur les « valeurs du bon fonctionnement et de l’impartialité de l’administration » prévues à l’art. 97 de la Constitution italienne. Selon Zagrebelsky‚ ces valeurs excluent que la « gestion des dossiers puisse être effectuée de manière aléatoire ou bien laissée aux choix de chaque magistrat du parquet » (p. 421). Sur la law in action relative au principe de légalité des poursuites en Italie et sur quelques suggestions pour gérer ce principe de manière raisonnable‚ en conciliant indépendance (une des valeurs protégées par le principe de légalité des poursuites) et responsabilité des magistrats du parquet‚ voir Vogliotti 2004‚ p. 465-476 et le livre‚ sous la forme d’un dialogue‚ de deux importants magistrats du parquet de Turin‚ Borgna & Maddalena 2003.
82 D’importantes directives nous viennent‚ encore une fois‚ de la Cour de Strasbourg. C’est le cas‚ par exemple‚ de la notion substantielle de « matière pénale » (voir‚ à ce propos‚ Delmas-Marty 1987) et de la notion de « substance de l’incrimination » ‚ que la Cour utilise‚ avec le critère de la « prévisibilité raisonnable » ‚ pour tracer les limites‚ floues‚ du droit jurisprudentiel (une approche bien différente de celle des pénalistes modernes qui se focalisent sur le critère purement linguistique et formel de la littera legis (sur ce point‚ voir Vogliotti 2011‚ p. 121 et s.).
83 Cette approche formelle et littérale‚ propre au paradigme pénal des Lumières et en phase avec une notion pure et correspondantiste de la légalité‚ est encore la plus suivie en Italie. Voir‚ par exemple‚ Marinucci 2007‚ p. 1268‚ selon lequel il faudrait « fermer les portes à ceux qui renvoient à la ratio legis‚ utilisée hier comme aujourd’hui comme outil pour corriger les limites trop étroites tracées par la lettre de la loi ». Pour une approche différente‚ qui s’inspire de la perspective herméneutique‚ voir‚ Vogliotti 2011 et 2015.
84 « Dominé par une confiance totale dans le législateur‚ le pénaliste moderne‚ héritier naïf de Beccaria‚ a toujours tenu le principe de la réserve de loi comme l’instrument incontournable de la garantie des droits individuels et comme le trait distinctif‚ tout aussi incontournable‚ d’un droit pénal qui est l’expression d’une civilisation juridique avancée. La confiance dans le législateur et dans la loi s’est toutefois transformée en croyance incontestable‚ en dogme‚ en mythologie‚ jusqu’à refuser‚ de manière dogmatique‚ toute hypothèse de nuancer ce principe à la lumière du devenir de l’itinéraire historique » (Grossi 2009‚ p. 1901).
85 Voir‚ à ce propos‚ Vogliotti 2015.
86 PALAZZO 2008‚ p. 274‚ qui – à titre d’exemple – souligne comment « cette recherche de conciliation des différents intérêts en jeu représente la tâche quotidienne de la jurisprudence lorsqu’elle est appelée à concrétiser des notions floues comme celles de la faute et du devoir de protection dans les infractions de commission par omission. Au regard de ces notions‚ un durcissement excessif des textes législatifs serait voué à l’échec et deviendrait même totalement contre-productif ».
87 Paliero 2003‚ p. VIII.
88 PALAZZO 2008‚ p. 274. Sur le rôle que‚ dans cette perspective‚ devrait jouer la juridiction pénale à l’égard des « délits culturels » ‚ voir Pastore 2006‚ qui souligne comment‚ « face à un horizon pluraliste hautement composite et complexe‚ où sont en jeu des nœuds délicats » (difficilement dénouables au niveau général et abstrait de la loi)‚ la voie qui « apparait la plus appropriée pour aborder les questions qui concernent la différence et les conflits identitaires semble être celle de la juridiction » (p. 3034).
89 Voir‚ à propos de la métaphore de la balance‚ Mayr 1988 [1986]. Selon Palombella 2006‚ la valeur de la sécurité juridique (une valeur‚ comme nous l’avons vu‚ typiquement moderne et liée à la métaphore de l’horloge) aurait cédé le pas à celle de l’équilibre (liée à la métaphore de la balance). Ce passage serait le signe d’un véritable « changement de paradigme » dont on n’aurait pas encore pleinement conscience (p. 5). Sur cette métaphore‚ en relation aux formes d’organisation du pouvoir‚ voir également Panebianco 2004‚ p. 171 et s.