1 C’est la position de Bernardi 2009‚ p. 46.
2 C’est justement sur ce deficit de légitimation démocratique de l’Union (privée‚ aujourd’hui encore‚ d’un authentique démos européen) que s’appuie l’importante décision de la Cour constitutionnelle allemande du 30 juin 2009 pour interpréter de manière restrictive la compétence pénale européenne (même indirecte)‚ prévue par le Traité de Lisbonne. Pour un commentaire de la décision‚ voir Böse 2009.
3 Sur l’évolution normative et sur l’architecture institutionnelle de l’Union après le Traité de Lisbonne‚ voir Piroddi 2011.
4 Dans cette perspective‚ Palazzo 2007‚ p. 1300-1301‚ observe que « le fait que certains choix de pénalisation ne relèvent plus de la compétence exclusive du législateur national ne signifie pas‚ en soi‚ une chute de l’esprit démocratique. Que l’Europe ait son mot à dire et conditionne ainsi notre législateur signifie que outre le forum parlementaire s’est ouvert un autre forum de débat sur les choix pénaux : et quel forum ! ». Après avoir fait allusion aux caractéristiques de la méthode décisionnelle européenne‚ Palazzo conclut ainsi : « Comme l’a montré l’expérience de la dernière législature‚ il n’est pas si improbable que cela de voir se former une agrégation parlementaire d’intérêts homogènes voire personnels‚ qu’il serait non seulement difficile d’imaginer au niveau des organes européens‚ mais qui peut trouver‚ au contraire‚ auprès du siège européen‚ un antidote de signe franchement démocratique ».
5 À la légitimation découlant de la limitation et de la diffusion du pouvoir‚ il faut ajouter‚ dans le cadre institutionnel de l’Union européenne‚ la légitimation qui vient de la participation de la société civile. Sur l’importance de la participation des citoyens européens à la gouvernance communautaire – mise en évidence par la Commission dans le Livre blanc sur la gouvernance européenne‚ COM (2001)428 def./2‚ du 25 juillet 2001 : « La démocratie dépend de la possibilité pour tout le monde de participer au débat public » (point 3.1) et renforcée par le Traité de Lisbonne – voir Piroddi 2011‚ p. 815 et s. Sur les deux modèles de démocratie (« majoritaire » et‚ d’après Dahl‚ « madisonienne »)‚ voir La Spina & Majone 2000‚ p. 167 et s. Selon les partisans du modèle madisonien de démocratie – considéré plus approprié « à des sociétés complexes et pluralistes » (p. 171) – la diffusion du pouvoir parmi une pluralité d’institutions différentes s’avèrerait « une forme de contrôle démocratique plus efficace que la responsabilité directe envers les électeurs ou envers les représentants élus en exercice » (p. 168). L’importance croissante‚ dans tous les pays démocratiques‚ d’institutions non majoritaires comme les Banques centrales‚ les autorités indépendantes et la Commission européenne‚ « montre que dans de nombreux domaines s’en remettre à des qualités comme l’expertise‚ la discrétionnarité professionnelle‚ la cohérence des choix de policy‚ l’équité et l’indépendance de jugement est considérée une chose plus importante que de s’en remettre à la responsabilité politique directe » (p. 169). Sur le savoir technique comme facteur légitimant même dans le domaine pénal (face‚ notamment‚ à la forte délégitimation du mécanisme de la représentation politique et aux dérives populistes‚ auxquelles on a déjà fait allusion)‚ voir Fiandaca 2011‚ p. 89-90‚ qui‚ en se référant à la question controversée de la compétence pénale européenne (et après avoir souligné que le modèle de démocratie évoqué par la décision susmentionnée de la Cour constitutionnelle allemande pour limiter la compétence pénale de l’Union européenne se trouve « plus dans le ciel de la philosophie politique que dans la réalité concrète des démocraties d’aujourd’hui »)‚ se demande : « Pourquoi donc une délibération de type démocratique-parlementaire devrait être préférable – malgré tout – à une procédure de codécision européenne concernant des normes pénales ? En fin de compte‚ le véritable problème concerne‚ bien avant la détermination de l’organe ou des organes politico-institutionnels idéalement plus appropriés pour délibérer‚ la qualité (de la culture politique et) de la culture pénale de la classe politique et des opinions publiques des pays européens ».
6 Arrêt du 25 juillet 2002‚ Unión de Pequeños Agricultores c. Conseil‚ affaire C-50/00 P‚ Rec. I-6677 suiv.‚ par. 38. À ce propos‚ voir Alì 2005‚ p. 56 et s.
7 Adinolfi 2008‚ p. 92.
8 Ibidem. L’Auteure‚ après avoir rappelé l’absence ou l’étroitesse de la compétence de la Cour‚ dénonce le déficit de légalité qui était présent dans la discipline du deuxième et du troisième pilier avant le Traité de Lisbonne qui‚ comme on le sait‚ a mis fin au système « par piliers » (p. 93-94).
9 Dans ce sens‚ Adinolfi 2008‚ p. 96‚ où l’on remarque qu’« il est difficile de configurer un principe unique de légalité ; on constate plutôt un ensemble de règles et de principes‚ différents dans leur finalité spécifique et dans leur origine‚ qui convergent tous dans l’assurance que le système juridique communautaire garantit la sécurité juridique et fonctionne sur la base de règles raisonnables et non arbitraires ».
10 Arrêt du 22 mai 1990‚ affaire C-70/88‚ Parlement européen c. Conseil des communautés européennes‚ Rec.‚ I-2041 suiv.‚ § 22. Les rapports entre les institutions de l’Union européenne sont réglementés aussi par le principe de « coopération loyale » ‚ que la Cour a dégagé par voie d’analogie de l’art. 10 du Traité‚ qui le prévoit seulement dans le cadre des rapports entre la Communauté et les États membres (l’art. 10 a été repris ensuite par l’art. 4 § 3 du Traité UE).
11 Sur ces principes qui composent la légalité européenne à l’intérieur du système européen et dans ses rapports avec les États membres‚ voir Adinolfi 2008‚ p. 97 et s.
12 Sordi 2008‚ p. 38.
13 Adinolfi 2008‚ p. 109‚ qui donne de nombreux exemples.
14 Dans cette perspective‚ il faut signaler également que le Traité énonce parmi les vices de légitimité de l’acte la violation des formes « substantielles » (art. 263 § 2 Tfue‚ ex-art. 230 Traité Ce). En attribuant à la Cour de Justice le pouvoir discrétionnaire d’établir « quelles sont les formes qui possèdent un caractère substantiel » ‚ on introduit dans le système européen de la légalité « un facteur ultérieur de flexibilité » (Adinolfi 2008‚ p. 99).
15 Travi 1995‚ p. 93.
16 Bassi 2001‚ p. 249‚ qui voit dans la source législative du pouvoir de l’administration la véritable garantie du principe de légalité : « La véritable forme de garantie pour le citoyen n’est pas tellement dans le fait que soit présente une norme ou un principe capable de réglementer de quelque manière l’action de l’appareil administratif lorsqu’il exerce des pouvoirs d’autorité‚ mais plutôt dans la circonstance que cette norme ou ce principe puissent être ramenés à la volonté de l’organe que le citoyen peut contrôler et conditionner de la manière la plus incisive » ‚ le Parlement (p. 147-148).
17 Travi 1995‚ p. 99.
18 Cassese 1995‚ p. 796‚ qui remarque comment‚ « dans le prisme de la jurisprudence » ‚ cette « notion passe-partout que nous continuons‚ par paresse‚ à appeler principe de légalité » est‚ « parfois‚ contrôle du critère de choix de la bonne loi‚ d’autres fois‚ vérification du respect de paramètres ou de principes juridiques (mais pas législatifs)‚ d’autres fois encore‚ contrôle de l’évaluation‚ de la part de l’administration‚ des coûts et des bénéfices ». Et il ajoute que « l’hommage nominaliste fait au législateur […] finit par pousser au second plan d’autres méthodes de contrôle‚ plus subtiles et efficaces‚ des pouvoirs publics » (p. 795).
19 Bassi 2001‚ p. 250.
20 Pour les références à la jurisprudence voir Vacirca 2008 et Travi 1995. À la note 21‚ p. 102‚ ce dernier rappelle‚ par exemple‚ une décision du Tribunal administratif régional (Tar) de la Sicile du 7 mars 1984‚ n° 283‚ « qui annule un acte d’imperium de l’administration pour violation du principe de légalité‚ après avoir constaté que cet acte avait été adopté sans avoir respecté les dispositions qui prévoyaient la double obligation de disposer une instruction spécifique et d’assurer un débat contradictoire avec les parties intéressées avant d’adopter l’acte en question ». Voir également Bassi 2001‚ qui cite une série de décisions du Conseil d’État dans lesquelles on peut lire que le principe de légalité « exige aussi que‚ dans le cas concret‚ le pouvoir de l’administration soit exercé dans le but d’assurer la satisfaction de l’intérêt public spécifique en vue duquel le pouvoir même a été octroyé » (p. 251‚ note 175). Dans le même ouvrage est rappelée aussi une décision du Conseil d’État (section VI‚ 6 juin 1984‚ n° 365) dans laquelle le principe de légalité coïncide avec le principe d’impartialité qui exige la fixation préalable de paramètres normatifs ou de critères généraux qui limitent l’action de l’autorité administrative (p. 249‚ note 171).
21 Vacirca 2008‚ p. 448 et471. La référence à la légalité avec d’autres principes parait inutile ou surabondant car le principe de légalité‚ dans l’usage que la jurisprudence en fait‚ n’a plus le sens traditionnel qu’on retrouve encore dans le droit des manuels. La légalité est devenue‚ dans la pratique des juges‚ un principe de synthèse qui fait référence au respect des auctoritates et des rationes qui constituent les deux dimensions du droit. Il en découle que la question du respect du principe de la légalité de la part de l’administration est abordée‚ dans la pratique juridictionnelle quotidienne‚ en faisant spécifiquement référence aux auctoritates et aux rationes jugées pertinentes dans le cas concret. Comme le remarque Aldo Travi‚ « le dialogue Administration-citoyen se focalise désormais sur d’autres problèmes‚ et le terrain du contentieux correspond à des questions plus subtiles‚ qui impliquent le rapport entre l’acte administratif et l’interprétation des normes et des principes qui le concernent‚ plutôt que l’absence radicale d’une norme » autorisant l’administration à agir (Travi 1995‚ p. 96). Dans ces cas‚ l’appel au principe de légalité‚ bien qu’il soit dépourvu de toute valeur opérationnelle (la question est résolue par les juges en faisant appel‚ par exemple‚ à une de ses rationes‚ comme les principes d’impartialité ou de ragionevolezza)‚ ne doit pas être tout simplement interprété comme une clause de style‚ comme un hommage formel à la tradition ou‚ pire‚ comme l’utilisation impropre d’un principe vétuste et vénéré. L’usage que la jurisprudence en fait est plutôt le symptôme‚ probablement inconscient‚ de la transfiguration de la légalité‚ du passage d’une légalité pure – centrée sur la loi et conforme aux postulats théoriques et mythologiques du paradigme juridique moderne – à une légalité hybride‚ fondée sur une conception renouvelée du droit découlant du rétablissement de sa double dimension.
22 Travi 1995‚ p. 96. Le regard de Travi est conditionné par la notion moderne du principe de légalité. Il en souligne « la valeur d’outil fondamental pour réaliser le principe de la souveraineté populaire et pour assurer au pouvoir administratif une légitimation démocratique » (p. 121). Dans cette perspective‚ la référence que la jurisprudence fait aux principes généraux en tant que sources d’attribution du pouvoir à l’administration ne peut qu’« affaiblir la valeur du principe de légalité‚ dont devraient être déduites la typicité et la prégnance de l’attribution du pouvoir à l’administration » (p. 117). On ne peut pas accepter‚ conclut Travi‚ que « le critère de la légitimation démocratique du pouvoir de l’administration soit remplacé par des valeurs qui‚ parfois‚ risquent d’être seulement le résultat contingent d’une façon de penser des juges » (p. 121).
23 Ibidem‚ p. 103.
24 Même la Cour constitutionnelle italienne s’est appropriée de cette conception pluraliste de la légalité. Selon la Cour‚ dans les matières couvertes par la « réserve de loi » le pouvoir octroyé par le législateur à l’administration ne doit pas être « libre et‚ pour qu’il ne soit pas libre‚ il est nécessaire que la norme qui le reconnait soit intégrée par d’autres éléments qui le circonscrivent. Ces éléments peuvent être dégagés‚ satisfaisant ainsi les exigences de la réserve de loi‚ en se référant à l’ordre juridique dans son ensemble ; ces éléments‚ donc‚ ne doivent pas être nécessairement contenus dans la norme spécifique qui établit le pouvoir de l’administration qu’ils visent à limiter » (arrêt n° 383 de 1998‚ § 4.2. ; c’est nous qui soulignons). En particulier‚ la Cour a estimé que « les principes non écrits d’origine jurisprudentielle doivent être reconnus comme des paramètres de l’exercice correct de l’activité administrative » (Morbidelli 2007‚ p. 756‚ qui rappelle‚ sur ce point‚ les arrêts409/1988 et 103/1993). Ces principes‚ ajoute-il‚ ne représentent pas seulement une « limite » à l’activité administrative (comme‚ par exemple‚ le principe de non-rétroactivité) ou un « critère » pour son exercice correct (par exemple la proportionnalité ou l’impartialité)‚ mais ils peuvent être aussi une source d’« attribution du pouvoir ».
25 Voir‚ à ce sujet‚ Zagrebelsky V. 2011‚ p. 74 et s.‚ où il rappelle l’arrêt du 25 mars 1985‚ Barthold c. Allemagne‚ dans lequel la Cour a reconnu comme « loi » les règles disciplinaires du Conseil des Vétérinaires‚ et l’arrêt du 17 février 2004‚ Maestri c. Italie‚ où la Cour a attribué la qualité de loi aux délibérations de nature générale du Conseil Supérieur de la Magistrature italien.
26 Voir‚ dans l’ordre‚ l’arrêt du 15 novembre 1996‚ Cantoni c. France‚ par. 29 et l’arrêt du 25 novembre 1996‚ Wingrove c. Grande Bretagne‚ par.40 (l’allusion au droit non écrit n’est pas limitée aux pays de common law‚ mais vaut aussi pour les pays de civil law : cf.‚ par exemple‚ l’arrêt du 22 mars 2001‚ Streletz‚ Kessler et Krenz c. Allemagne‚ par. 57).
27 Sur la signification médiévale du mot « lex » ‚ voir Grossi 1995‚ p. 135 et s. Dans la culture juridique médiévale‚ nous dit-il‚ « les leges peuvent être produites par une pluralité de sujets politiques : le populus‚ la plebs‚ le senatus‚ le princeps‚ la civitas et toute communauté dotée d’autonomie ; on parlera en toute tranquillité de lex scripta ou non scripta en relativisant encore la notion‚ mais l’on prétendra toujours qu’elle soit caractérisée par un contenu déterminé » (p. 136).
28 Viganò 2011b‚ p. 2654‚ auquel on renvoie pour les références doctrinales et jurisprudentielles pertinentes (le leading case étant l’arrêt du 26 mars 1985‚ X et Y c. Pays Bas‚ resté sans suite pendant dix ans). Parmi ces dernières‚ il cite aussi des arrêts‚ particulièrement marquants‚ de la Cour interaméricaine des droits de l’homme.
29 Sur la métaphore du « bouclier » et de l’« épée » ‚ voir Cartuyvels 2005.
30 Arrêt du 2 novembre 2004‚ Abdülsamet Yaman c. Turquie‚ par. 53. Dans ce but‚ la Cour a élaboré une catégorie autonome d’obligations dites « procédurales » qui incluent le caractère ex officio de l’instruction‚ sa transparence‚ diligence et rapidité‚ l’indépendance effective (« pratique ») des autorités chargées des enquêtes et la possibilité de participation active de la victime à toute la procédure.
31 Voir à ce sujet‚ l’arrêt déjà mentionné Abdülsamet Yaman c. Turquie‚ confirmé par toute la jurisprudence suivante (voir‚ par exemple‚ l’arrêt du 17 octobre 2007‚ Okkali c. Turquie‚ par. 76 et l’arrêt du 10 mars 2009‚ Turan Cakir c. Belgique‚ par. 69). Même l’Italie a été condamnée pour violation de l’article 2 de la Convention « en son volet procédural » (arrêt du 29 mars 2011‚ Alikaj c. Italie‚ par. 112)‚ car les défauts de la procédure et l’acquittement par prescription d’un agent de police responsable d’homicide n’auraient pas satisfait « l’obligation positive de protéger la vie par la loi » (par. 94). La Cour souligne qu’une « réponse rapide des autorités lorsqu’il s’agit d’enquêter sur le recours à la force meurtrière peut généralement être considérée comme essentielle pour préserver la confiance du public dans le respect du principe de légalité et pour éviter toute apparence de complicité ou de tolérance relativement à des actes illégaux » (par. 98).
32 Viganò 2011b‚ p. 2654.
33 Sur le paradigme de la restorative justice‚ voir‚ dans la littérature italienne‚ Mannozzi & Lodigiani 2015.
34 VIGANÒ 2011b.
35 La question des obligations de protection pénale dégagées de la Constitution avait été abordée par la science pénale italienne suite à l’arrêt de la Cour constitutionnelle allemande (BVerfG 25 février 1975) qui‚ en matière d’avortement‚ y avait donné une réponse positive. Un premier essai de Pulitanò 1983‚ résume bien la question et le débat. Sur ce sujet‚ voir‚ plus récemment‚ Paonessa 2009 et Manes 2012‚ p. 93 et s. Notre Cour constitutionnelle‚ fidèle à la version traditionnelle du principe de légalité‚ exclut l’admissibilité de questions de légitimité constitutionnelle visant à introduire de nouvelles incriminations‚ tâche réservée uniquement au législateur national. Toutefois‚ dans le dernier quart du siècle dernier‚ une première‚ importante‚ ouverture à l’égard de la possibilité de contester les choix législatifs de ne pas punir a eu lieu avec la jurisprudence relative à ce qu’on a appelé « les normes pénales de faveur » ‚ jurisprudence inaugurée par l’arrêt n° 148 de 1983 et récemment précisée par l’arrêt n° 394 de 2006. En suivant le précédent de 1983‚ la Cour a réaffirmé‚ dans cette décision‚ que « le principe de légalité n’exclut pas le contrôle de constitutionnalité‚ même in malam partem‚ des normes pénales de faveur : c’est-à-dire des normes qui prévoient‚ pour des sujets ou des hypothèses spécifiques‚ un traitement pénal plus favorable que celui qui résulterait de l’application de normes générales ou communes ». Cette position‚ poursuit la Cour‚ « se relie à l’incontournable exigence d’éviter de créer des “zones franches” dans l’ordre juridique (d’après l’arrêt n° 148 de 1983)‚ soustraites au contrôle de constitutionnalité‚ au sein desquelles le législateur pourrait de fait agir de façon libre‚ délié de toute règle‚ compte tenu de l’absence d’un instrument permettant à la Cour de réaffirmer la primauté de la Constitution sur la législation ordinaire. Au cas où un caractère absolu serait attribué à l’exclusion du contrôle de constitutionnalité in malam partem‚ cela entrainerait‚ en effet‚ une situation clairement incohérente : car‚ en définitive‚ on reconnaîtrait que le législateur serait tenu de respecter les préceptes constitutionnels s’il effectue des choix d’aggravation du traitement pénal‚ tandis qu’il pourrait les violer sans conséquences quand de ses options découlerait un traitement plus favorable » (par. 6.1). Les effets de cette jurisprudence ont été jusqu’à présent assez contenus‚ conformément à l’appréciable position de self-restraint de la Cour‚ soucieuse de préserver les délicats équilibres constitutionnels et de respecter la marge de pouvoir discrétionnaire du législateur‚ mais il est incontestable que « la brèche est ouverte dans le mur de la légalité » (Palazzo 2007‚ p. 1304). En effet‚ les rationes de la Cour‚ bien récapitulées dans le dernier arrêt cité et renforcées par la jurisprudence de Strasbourg‚ se prêtent à des développements plus pénétrants et courageux (sur lesquels voir Viganò 2011b‚ p. 2678 et s. ; dans une perspective différente‚ voir Manes 2012‚ p. 123 et s.‚ selon lequel la Cour constitutionnelle ne pourrait pas prononcer de jugements d’inconstitutionnalité in malam partem sur la base des arrêts de la Cour européenne qui dégagent de la Convention des obligations de protection pénale).
36 Les conditions qualitatives de l’accessibilité et de la prévisibilité de la « loi » sont rappelées dans toutes les décisions de la Cour. Cf.‚ parmi les dernières‚ l’arrêt du 25 juin 2009‚ Liivik c. Estonie‚ par. 93.
37 Déplacer l’accent de la disposition légale abstraite à la connaissabilité in concreto du précepte (son accessibilité et sa prévisibilité raisonnable) signifie : (i) focaliser l’attention sur la norme telle qu’elle résulte des précédentes sédimentations interprétatives‚ (ii) valoriser le contexte de la réception‚ (iii) prendre en considération la typologie de l’incrimination et (iv) veiller aux caractéristiques des sujets destinataires de la disposition normative. Pour un approfondissement (et pour toutes les références jurisprudentielles pertinentes) voir Vogliotti 2011‚ p. 53-57.
38 Arrêt du 22 novembre 1995‚ S.W. c. Royaume Uni‚ par. 36.
39 Arrêt du 10 octobre 2006‚ Pessino c. France‚ par. 31. Voir aussi‚ à ce sujet‚ l’arrêt Scoppola qui met en garde contre des conceptions maximalistes de la valeur de la « certitude » ‚ qui poussent le législateur à écrire des normes trop rigides. La valeur de la « certitude‚ bien que hautement souhaitable‚ s’accompagne parfois d’une rigidité excessive ; or‚ le droit doit savoir s’adapter aux changements de situation » (Grande Chambre‚ Scoppola c. Italie‚ 17 septembre 2009‚ par. 100).
40 En ce sens Palazzo 2007‚ p. 1318.
41 Sur la question (restée longtemps cachée au pénaliste de civil law car elle n’était pas prise en compte par le paradigme pénal moderne) de la rétroactivité des revirements jurisprudentiels in malam partem‚ voir Vogliotti 2002).
42 Selon la Cour européenne‚ le droit pénal jurisprudentiel est conforme au principe de légalité s’il est « cohérent avec la substance de l’incrimination » (et s’il est « raisonnablement prévisible »). Palazzo 2007‚ p. 1321‚ observe que la notion de « substance de l’incrimination » ‚ très proche de l’idée de tipo criminoso (le Typus des allemands : voir Hassemer 1968)‚ représente un instrument opérationnel efficace pour distinguer l’analogie admissible (celle qui ne sort pas du Typus) de l’analogie non admissible (celle qui ne respecte pas les limites‚ floues‚ du Typus). Sur la notion herméneutique de tipo criminoso‚ un « concept aux contours flous » ‚ comme dirait le Wittgenstein des Recherches philosophiques‚ autour desquels passe la frontière qui délimite le champ de l’interprétation admissible en droit pénal‚ voir Vogliotti 2011‚ p. 61 et s. et Carlizzi 2016.
43 La « prévisibilité raisonnable » de la reconstruction herméneutique du juge est le second test (le premier étant celui‚ déjà mentionné‚ de la « cohérence avec la substance de l’incrimination ») que doit réussir le droit jurisprudentiel afin d’être conforme aux exigences de la nouvelle légalité pénale. Les deux critères sont rappelés dans tous les arrêts de la Cour ; voir‚ par exemple‚ l’arrêt du 22 novembre 1995‚ S.W. c. Royaume-Uni.
44 Pour une tentative de reconfiguration du principe moderne de l’interdiction de l’analogie‚ qui soit cohérent avec la nature analogique de l’interprétation (et de l’ontologie) juridique et qui soit en mesure de protéger les valeurs véritablement fondamentales que le pénaliste moderne visait à protéger avec le principe de l’interdiction de l’analogie (la liberté d’autodétermination de l’individu et le principe d’extrema ratio)‚ voir Vogliotti 2011.
45 Arrêt du 20 janvier 2009‚ Sud Fondi SRL et autres c. Italie‚ par. 116. Bien que l’art. 7 de la Convention « ne mentionne pas expressément le lien moral entre l’élément matériel de l’infraction et la personne qui en est considérée comme l’auteur » ‚ la Cour observe que « la logique de la peine et de la punition ainsi que la notion de guilty (dans la version anglaise) et la notion correspondante de personne coupable (dans la version française) vont dans le sens d’une interprétation de l’article 7 qui exige‚ pour punir‚ un lien de nature intellectuelle (conscience et volonté) permettant de déceler un élément de responsabilité dans la conduite de l’auteur matériel de l’infraction ».
46 Sur la crise du principe de légalité et sur le système in action des sources dans le domaine pénal‚ voir‚ récemment‚ Paliero et al 2016. Sur le passage‚ dans le domaine pénal‚ d’un système pyramidal des sources à une modalité de production du droit en réseau‚ voir Vogliotti 2002b‚ Donini 2004‚ p. 141-196 et Manes 2012‚ qui‚ s’inspirant de la métaphore du « labyrinthe » (qui figure dans le titre de l’ouvrage)‚ intitule le premier chapitre Il reticolo normativo). Sur le rôle de l’archipel des sources infra-législatives dans la définition de l’incrimination‚ voir Manes 2010. Sur les marges d’écriture de la norme pénale par les autorités indépendantes voir Notaro 2010. Sur les décisions de la Cour constitutionnelle – qui « ont peut-être influencé le système plus que n’a su le faire‚ durant les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale jusqu’à aujourd’hui‚ un législateur occupé ailleurs et en général peu clairvoyant et peu éclairé » (M. Romano 2006‚ p. 47) – voir Bertolino 2011. Sur le rôle‚ toujours plus pénétrant‚ que jouent les sources de l’Union européenne (qui intègrent les normes pénales‚ influencent les reconstructions herméneutiques des juges‚ imposent des obligations d’incrimination au législateur étatique et‚ suite au Traité de Lisbonne‚ possèdent‚ horribile dictu‚ une compétence pénale directe dans certaines matières)‚ voir‚ ex plurimis‚ Bernardi‚ 2004 et 2016 ; Sotis 2007 ; Grandi 2010 et Viganò 2017a (le texte de Viganò se concentre notamment sur l’affaire Taricco et sur les effets dans le système pénal italien de l’arrêt du 5 décembre 2017 de la Grande Chambre de la Cour de Justice de l’Union européenne : M.A.S. et M.B.‚ C-42/17). En ce qui concerne les effets de la Convention européenne et des arrêts de la Cour de Strasbourg sur le droit pénal national‚ voir Di Giovine 2011 et 2013 ; Ubertis & Viganò 2016 et Viganò 2017b. Sur le sujet de l’interprétation conforme aux sources européennes‚ voir Manes 2012‚ p. 43-90 et Bernardi 2015.
47 Sur le droit pénal jurisprudentiel‚ un véritable oxymore pour la science pénale moderne qui attribuait uniquement au législateur étatique le pouvoir de créer le droit pénal‚ la bibliographie‚ presque inexistante en Italie jusqu’à la fin des années 80 du siècle dernier‚ est maintenant très abondante (voir‚ à ce propos‚ Vogliotti 2015). Les premières contributions importantes sur le sujet sont les travaux de Giovanni Fiandaca et Francesco Palazzo. En ce qui concerne le premier‚ nous nous limiterons à rappeler Fiandaca 2002 et 2005 ; du second‚ voir‚ notamment‚ Palazzo 2003 et 2008. Sur ce sujet‚ voir aussi Cadoppi 1999 et 2017 ; Donini 2011 et 2017 ; Vogliotti 2011 et 2016a.
48 Cour de Cassation‚ Chambres pénales réunies‚ 21 janvier 2010 (13 mai 2010) n° 18288‚ par. 4 et 7 de la partie « en droit » (l’arrêt est publié dans la revue Cassazione penale‚ 2011‚ p. 17 et s.).
49 Un frein partiel à cette ouverture de la Cour de cassation (suivie par de nombreux juges du fond) a été mis par la Cour constitutionnelle qui‚ avec l’arrêt n° 230 de 2012‚ a rejeté une question prioritaire de constitutionnalité visant à inclure‚ parmi les deux hypothèses de révision de l’arrêt de condamnation prévue à l’art. 673 du code de procédure pénale (abolitio criminis disposée par la loi ou par une décision de la Cour constitutionnelle)‚ le revirement jurisprudentiel opéré par un arrêt des Chambres réunies de la Cour de cassation‚ qui ont pour fonction d’assurer l’uniformité de l’interprétation de la loi (voir‚ pour un premier commentaire‚ Napoleoni 2012). La Cour constitutionnelle a fondé son refus d’accueillir la thèse du juge qui avait soulevé la question de constitutionnalité (le juge a quo avait soutenu que‚ sur la base de la notion européenne de « loi » ‚ le revirement in bonam partem des Chambres réunies de la Cour aurait dû produire les mêmes effets d’une abolitio criminis disposée par le législateur) en s’appuyant sur la circonstance que la Cour européenne ne s’était jamais prononcée sur une hypothèse similaire (depuis le leading case du 22 novembre 1995‚ S.W. c. Grande Bretagne‚ la Cour s’est toujours prononcée sur des cas de revirements in malam partem) et sur le fait que dans l’arrêt Scoppola c. Italie (dans lequel la Cour a dégagé de l’art. 7 de la Convention le principe de la lex mitior) la Cour de Strasbourg ne fait pas référence à l’hypothèse de la révocation de l’arrêt définitif de condamnation (la res iudicata). Derrière le raisonnement formaliste de la Cour constitutionnelle italienne il n’est pas difficile de discerner les raisons profondes du rejet de la question de constitutionnalité‚ à savoir la volonté de résister à la transfiguration du principe de légalité mise en œuvre par la Cour européenne et le refus d’attribuer une force contraignante au précédent jurisprudentiel (cf.‚ pour une analyse critique de cette décision‚ Vogliotti 2015‚ p. 168-174). Sur la question‚ voir aussi le récent arrêt des Chambres réunies de la Cassation‚ déposé le 23 juin 2016‚ n° 26259‚ qui‚ en suivant un autre parcours argumentatif (où la notion européenne de légalité n’est plus mentionnée)‚ arrive à la même conclusion envisagée par le juge qui avait soulevé la question prioritaire de constitutionnalité.
50 Sur l’interprétation tassativizzante des juges (celle qui précise les contours sémantiques de l’énoncé normatif)‚ voir Palazzo 1991 (avec de nombreux exemples tirés de la jurisprudence) et 2007‚ p. 1313-1318. Dans cet essai‚ publié seize ans après le premier‚ l’accent critique que l’Auteur avait mis sur l’opération de la Cour constitutionnelle disparaît. Tout au contraire‚ la position de la Cour est maintenant appréciée et interprétée comme un symptôme éloquent de la transfiguration du principe de clarté et précision de la loi pénale (en italien‚ principe de determinatezza) : de la « primauté de la loi » à la « liberté d’autodétermination de l’individu » (p. 1319). Dans le texte de 1991‚ Palazzo affirmait par contre que « l’argument du droit vivant » ‚ par lequel la Cour constitutionnelle évite de prononcer un jugement pour violation de l’art. 25 de la Constitution et sauve‚ de cette manière‚ des normes qui devraient être annulées par contraste avec le principe de determinatezza‚ donne « un rôle excessif à la jurisprudence ordinaire‚ à laquelle on finit par attribuer une responsabilité et une fonction de suppléance par rapport à l’obligation du législateur de formuler de façon précise les normes pénales » (p. 352).
51 Le point de l’arrêt n° 364 de 1988 sur lequel on peut s’appuyer pour aborder la question des conflits de jurisprudence (même diachroniques) est représenté par le passage où la Cour considère comme une source « d’erreur inévitable » de la loi pénale la présence d’une jurisprudence « gravement chaotique » (par. 27). Voir‚ à ce propos‚ le commentaire positif de Grande 1990 et les remarques de Vogliotti 2001‚ p. 81 s. Pour une lecture critique de l’arrêt de la Cour constitutionnelle voir‚ en revanche‚ Stortoni 1988. Cet Auteur‚ s’inspirant de la notion moderne‚ pure‚ de la légalité pénale (qui n’octroie aucun droit de cité à la source jurisprudentielle)‚ censure l’opération de la Cour dans la mesure où elle attribue au droit jurisprudentiel la fonction de remédier de manière pragmatique à des défauts qui sont la conséquence du non-respect‚ de la part du législateur‚ de son obligation d’écrire la norme pénale de façon précise (selon le principe‚ dégagé de l’art. 25 de la Constitution‚ de tassatività ou determinatezza).