1 Sur ces deux figures de la loi-garantie et de la loi-puissance‚ voir Costa 2007‚ p. 17.
2 C’est ce que dit l’art. 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 24 juin 1793.
3 Schmitt 1996 [1943-44]‚ p. 57.
4 Schmitt 2018 [1932]‚ p. 43.
5 Ibidem‚ p. 55.
6 Sordi 2008‚ p. 58.
7 Calamandrei 1945‚ p. 92.
8 L’aporie est résolue par Jellinek de la seule façon possible‚ c’est-à-dire en sortant des frontières du droit et en faisant appel aux ressources morales et civiles d’un peuple qui sait opposer aux lois injustes de l’État – inattaquables d’un point de vue juridique – ses valeurs fondamentales‚ profondément gravées dans le tissu de la société. Sur la théorie de l’autolimitation de Jhering et Jellinek‚ voir Costa 2002‚ p. 115-118.
9 Paolo Grossi insiste particulièrement sur la séparation entre le droit et la société opérée par la modernité et sur l’attraction du droit dans la sphère du pouvoir politique. Voir‚ par exemple‚ Grossi 2003‚ p. 6 et s.
10 Capograssi 1959 [1950]‚ p. 175.
11 Ibidem‚ p. 175-177.
12 Ibidem‚ p. 180-182.
13 Sur le rôle que la pensée de Guillaume d’Ockham a joué pour la formation de la modernité juridique‚ voir Villey 2003‚ p. 220-268.
14 Ibidem‚ p. 231. À ce sujet‚ voir également Fassò 2001 [1968]‚ p. 7-8.
15 Cattaneo 1966‚ p. 13.
16 Piovani 1961‚ p. 111-112.
17 Dans le cas où la loi aurait bafoué les droits (dont la protection était considérée comme la raison d’être de la machine étatique)‚ le droit de résistance serait entré en jeu : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté‚ la propriété‚ la sûreté et la résistance à l’oppression » (art. 2 de la Déclaration de 1789).
18 Zagrebelsky G. 2008a‚ p. 112.
19 L’incorporation des droits dans la loi se reflète dans la conception de la légitimation du « pouvoir » judiciaire‚ liée à la subordination rigoureuse de l’autorité judicaire à la loi.
20 Sur le Tribunal de Cassation et sur sa fonction‚ voir Gorla 1981‚ p. 459-464.
21 Cattaneo 1966‚ p. 149.
22 Ibidem‚ p. 150.
23 Ferrajoli 1999‚ p. 7-8.
24 L’éclipse du droit naturel est aussi l’effet du changement du climat culturel induit par le positivisme philosophique qui voit le jour en France pendant la première moitié du dix-neuvième siècle. En attribuant le statut de science seulement à ce qui peut être vérifié par la méthode positive (c’est-à-dire à ce qui est « réel » ‚ « effectif » ‚ « expérimental »)‚ le mouvement en question ne pouvait que bannir une catégorie comme celle du droit naturel dépourvue de toute base empirique.
25 Sur l’évolution de la pensée de Savigny – en harmonie‚ d’ailleurs‚ avec les transformations sociales et politiques de la région allemande (la montée en puissance de la bourgeoisie d’affaires et le renforcement croissant de l’État prussien) – voir Grossi 2007‚ p. 165-168‚ qui voit‚ dans le System‚ les signes de « la réévaluation évidente de l’État et de la loi » et « le déplacement de l’axe principal de l’ordre socio/politico/ juridique de la société vers l’appareil étatique » (p. 167).
26 Costa 2002‚ p. 113.
27 Gerber 1971 [1865]‚ p. 95‚ où il ajoute que dans l’État « un peuple obtient une organisation qui permet de valoriser toutes ses forces éthiques pour le bien commun ».
28 La tension entre la volonté suprême de l’État et le droit‚ entre la norme et la souveraineté‚ que les constitutionnalistes allemands ont tenté en vain de résoudre avec la catégorie de l’« État de droit » ‚ est atténuée‚ dans cette perspective‚ en identifiant dans le peuple et dans son histoire (en dehors‚ donc‚ du droit) la garantie ultime à l’égard de la souveraineté absolue de l’État : « Que la législation ne soit pas soumise à des limites formellement contraignantes n’est pas décisif‚ pour la culture juridique du dix-neuvième siècle‚ non pas parce que le problème apparaît sans importance ou inexistant‚ mais parce que la réponse à ce problème est donnée‚ en dernier ressort‚ par l’histoire‚ qui dicte à l’État les contenus incontournables de la civilisation. L’horizon commun de l’époque est une philosophie optimiste du progrès qui embrasse tous et tout : l’État‚ le droit‚ la liberté et la propriété » (Costa 2002‚ p. 120).
29 Pour une présentation de la classification aristotélique des sciences et pour une introduction claire à la philosophie pratique‚ voir Berti 2004.
30 À propos de la signification des catégories fondamentales d’interpretatio et d’aequitas dans la pensée juridique médiévale‚ voir Grossi 1995‚ p. 162-182.
31 De cette caractéristique du savoir pratique découle l’impossibilité de séparer nettement l’activité de connaissance de la norme (l’interprétation dans le sens moderne de description‚ la plus objective possible‚ d’une substance sémantique perçue comme étant complètement définie a priori par son auteur et opposée au sujet interprétant) de son application (une séparation qui est au contraire le postulat théorique du modèle syllogistique du raisonnement du juge et qui est à la base de la conception kelsenienne de l’interprétation de la science juridique : v. Kelsen 1966 [1960]‚ p. 381-390). Comme l’on sait‚ le lien étroit entre la compréhension et l’application d’un texte est particulièrement souligné par Gadamer qui revendique le lien entre l’herméneutique et la tradition aristotélicienne de la philosophie pratique. Selon Gadamer‚ « pour qu’il soit interprété de manière adéquate‚ c’est à dire conformément à la manière dont il se présente‚ le texte‚ que ce soit la loi ou la révélation divine‚ doit être compris à chaque moment‚ à savoir dans chaque situation concrète‚ de manière nouvelle et différente. Comprendre signifie toujours‚ nécessairement‚ appliquer » (Gadamer 1983 [1960]‚ p. 360).
32 La « question de la méthode » est centrale dans la recherche des humanistes qui la percevaient comme « le véhicule pour construire le droit nouveau » (Birocchi 2002‚ p. 19).
33 La plume acérée de Montaigne exprime de manière efficace le malaise humaniste à l’égard de la méthode des bartoliens : « On donne authorité de loy à infinis docteurs‚ infinis arrests et à autant d’interpretations […]. Il y a plus affaire à interpreter les interpretations qu’à interpreter les choses‚ et plus de livres sur les livres que sur autre subject : nous ne faisons que nous entregloser » (Montaigne 1988 [1588]‚ Livre III‚ chap. XIII‚ p. 1067-1069). Sur le renouveau méthodologique des juristes du Mos Gallicus‚ voir Piano Mortari 1978.
34 Pour une théorie du droit fondée sur une perspective épistémologique constructiviste‚ voir Villa 1999.
35 Sur le modèle médiéval de « justice négociée » – héritier de la vengeance et fondé sur l’idée que « le droit est en premier lieu une injure (iniura) qu’il vaut mieux réparer plutôt que punir‚ que la réparation consiste en la satisfaction et que la satisfaction doit passer par une négociation » – et sur le modèle moderne de « justice hégémonique » ‚ caractérisé par une nette empreinte publiciste (action ex officio‚ indisponibilité du procès‚ recherche de la vérité et punition du coupable)‚ voir Sbriccoli 2002‚ p. 163 et s. Sur ce sujet‚ qui sera repris infra‚ dans le chap. III‚ par. 3‚ de la seconde partie‚ voir aussi Damaska 1991 [1986]‚ qui reconstruit les racines historiques‚ théoriques et politiques (dans le sens de l’organisation du pouvoir) des modèles procéduraux de common law (qui a gardé le lien avec la tradition aristotélicienne de la philosophie pratique et avec le modèle de la justice négociée) et de civil law (fruit de la rupture épistémologique moderne et du modèle de « justice hégémonique ».
36 Sur les retombées procédurales de l’adoption de la méthode des sciences théorétiques‚ on renvoie à ce que nous avons écrit dans Vogliotti 2007‚ p. 92-111.
37 Volpi 1995‚ p. 334.
38 Weber 1948 [1919]‚ p. 3-43.
39 Dans cette perspective‚ qui sépare nettement le monde de l’être (connaissable par la raison) du monde des valeurs (dominé par la volonté)‚ il n’y a pas de place pour une « raison pratique » ‚ qui est pour Kelsen un concept contradictoire (Kelsen 1985 [1979]‚ p. 128-129).
40 Kelsen 1952 [1945]‚ p. 13.
41 La réduction du droit à une seule dimension appartient aussi à la version réaliste du positivisme du vingtième siècle‚ qui réduit le droit au fait des décisions des juges et la validité à l’effectivité.
42 Par l’énonciation d’une telle dichotomie (science du droit/politique du droit) s’ouvre la Théorie pure du droit de Kelsen. Dans la science pénale italienne du début du vingtième siècle‚ cette distinction est clairement thématisée par Arturo Rocco dans sa célèbre leçon inaugurale prononcée à l’Université de Sassari le 15 janvier 1910. Lisons‚ par exemple‚ l’extrait suivant : « Il faut séparer la démarche proprement et strictement juridique de celle philosophique et politique‚ si l’on veut éviter une intrusion illicite et dangereuse d’éléments philosophiques et politiques dans la limpidité logique de la recherche juridique ; et il ne faut pas oublier que le droit est une chose‚ la philosophie une autre et la politique une autre encore » (Rocco 1910‚ p. 520).
43 Voir‚ par exemple‚ la réprimande d’Arturo Rocco à l’égard de ceux qui se laissent aller « à la volupté effrénée de la critique législative et de la réforme des lois pénales en vigueur‚ à une critique qui‚ bien souvent‚ dans ses visées réformatrices démesurées‚ ne trouve pas de limites‚ qui méconnait parfois la loi‚ avant même de la connaître‚ et qui vise à miner les fondations de presque tout l’édifice du droit positif » (ibidem‚ p. 499).
44 Calamandrei 1965 [1942]‚ p. 509 et 511. Sur les racines idéologiques du « tourment de la légalité » de l’éminent juriste et avocat‚ liées à la mythification de la loi par les Lumières et le Risorgimento‚ sur les premières fissures dans son culte de la légalité et sur le tournant « substantialiste » de sa pensée‚ qui coïncida avec son cours universitaire de 1944 (où vit le jour le texte Appunti sul concetto di legalità)‚ voir Grossi 1986‚ le chapitre intitulé Calamandrei e l’assillo della legalità. Sur l’idée que Calamandrei avait de la légalité‚ voir aussi l’introduction de Gustavo Zagrebelsky à la conférence de 1940 Fede nel diritto‚ prononcée au siège florentin de la Federazione Universitaria Cattolica Italiana (FUCI) et publiée après sa mort‚ en 2008‚ par les soins de Silvia Calamandrei (le texte en question est précédé‚ en guise d’épigraphe‚ par une note écrite par Calamandrei dans son journal après la conférence ; une phrase de cette note – sollicitée peut-être par la discussion qui a suivi – est le signe évident que quelque chose était en train de changer dans son approche à l’égard de la légalité : « Mais sommes-nous dans le vrai en défendant la légalité ? »). Zagrebelsky tient à souligner que la légalité était pour Calamandrei « un élément moral » inhérent à « la forme-loi en tant que telle‚ c’est-à-dire à la forme générale et abstraite » qui se distingue‚ pour cela‚ « du commandement singulier ou de la décision au cas par cas ». Dans cette perspective‚ la loi est vue comme une défense (« une ligne de défense ultime et minimale »)‚ « si ce n’est contre l’autoritarisme ou le totalitarisme‚ au moins contre le caractère arbitraire du pouvoir ». À l’aune de cette notion formelle de loi‚ caractérisée par son caractère général et abstrait‚ « des lois comme les lois raciales‚ qui sont des lois discriminatoires par antonomase » ‚ ne pouvaient pas se prévaloir‚ pour Calamandrei‚ du statut de « loi » (Zagrebelsky G. 2008b‚ p. 6‚ 11 et 9). Dans le même texte‚ Zagrebelsky rappelle‚ en guise de témoignage du tournant de Calamandrei à l’égard de la légalité‚ dû‚ en grande partie‚ à l’entrée en vigueur de la Constitution‚ un passage du plaidoyer tenu à Palerme le 30 mars 1956 à l’occasion du procès contre Danilo Dolci‚ chef de file du mouvement non-violent en Italie : « Les lois sont vivantes parce que dans ces formules il faut faire circuler la pensée de notre époque […] sinon les lois ne sont que des formules vides » ‚ ajoutant que « la fonction des juges est moins celle de défendre une légalité décrépite que celle de créer progressivement la nouvelle légalité promise par la Constitution ». Et il conclut d’une façon qui renverse complètement la perspective de la conférence prononcée à la FUCI et de ses trente ans de foi en la légalité (formelle) : « Qu’est-ce que la liberté‚ qu’est-ce que la démocratie ? Ces mots signifient avant tout confiance du peuple dans ses lois : il faut que le peuple perçoive les lois de l’État comme étant les siennes‚ comme étant issues de sa conscience et non pas imposées d’en haut » (p. 22).
45 De Oñate 1968 [1942]‚ p. 161.
46 Pour Kelsen‚ la description objective du contenu sémantique des énoncés normatifs‚ rigoureusement neutre du point de vue axiologique‚ « peut montrer à l’autorité qui crée le droit à quel point son œuvre est inférieure à l’exigence‚ requise par la technique juridique‚ de formuler des normes avec la plus grande clarté possible ou‚ du moins‚ d’une façon telle que soit réduite à son minimum la polysémie inévitable des mots‚ assurant ainsi le degré maximum de sécurité juridique » (Kelsen 1966 [1960]‚ p. 390). De manière analogue‚ Bobbio‚ dans l’essai-manifeste de l’école italienne de philosophie analytique du droit‚ attribuait à la science juridique la tâche de « faire du discours législatif un discours rigoureux » ‚ et cela par le biais de la purification‚ de la systématisation et du comblement des lacunes du langage législatif (Bobbio‚ 1976‚ p. 306).
47 Petrocelli 1941‚ p. 20.
48 Schmitt 1996 [1943-44]‚ p. 79.
49 Comme l’on sait‚ pour Weber l’incorporation de la légitimité dans la légalité est le résultat du processus de modernisation du droit : « Aujourd’hui‚ la forme la plus courante de légitimité est la croyance en la légalité – c’est-à-dire la disponibilité à obéir à des dispositions formellement correctes et établies en respectant les règles de la procédure » (Weber 1968 [1922]‚ p. 35).
50 Schmitt 1996 [1943-44]‚ p. 86.
51 Ibidem‚ p. 86.
52 Ibidem‚ p. 49.
53 Ibidem‚ p. 81.
54 Capograssi 1959 [1950]‚ p. 182.
55 Voir le deuxième chapitre de Vogliotti 2007.
56 Irti & Severino 2001‚ p. 7-8.
57 Irti‚ (2002) 2017‚ p. 61-62‚ 68‚ 70‚ 62‚ 70. Sur le nihilisme de Natalino Irti voir Grossi 2003b‚ p. 48-49‚ selon lequel ceux qui‚ comme Natalino Irti‚ « ont voulu‚ avec une cohérence admirable‚ chevaucher » le formalisme légaliste « jusqu’au bout‚ ont abouti à des positions ouvertement nihilistes ». À vrai dire‚ souligne Grossi‚ il n’y a pas d’autres manières d’éviter ces dérives si ce n’est d’agir sur les prémisses‚ c’est-à-dire « regarder au-delà du droit formel‚ […] ne pas se contenter de sa manifestation formelle et normative‚ […] en saisir ces racines qui‚ qu’on le veuille ou non‚ puisent toujours aux sources cachées des valeurs ». Sur le nihilisme juridique‚ dans une perspective critique‚ voir Zagrebelsky G. 2007‚ p. 57-88‚ Possenti 2012 et Vogliotti 2019b.