1 L’abdication de la légalité au profit de l’effectivité (conçue comme critère qui‚ « en opposition radicale au principe de légalité » ‚ transforme en droit ce « qui a eu la force de s’imposer dans les faits » avait déjà été mise en évidence par Fois 1973‚ p. 698-699. Voir aussi‚ récemment‚ Rescigno 2009‚ p. 346‚ qui souligne comment la « constitution vivante‚ en opposition à celle écrite‚ vide de son sens‚ élude‚ contourne sans cesse le principe de légalité‚ ayant souvent comme complice‚ c’est un paradoxe‚ le Parlement même ».
2 Voir le titre du livre de Merusi 2007 : Sentieri interrotti della legalità.
3 Les « maxi-amendements » sont des stratégies parlementaires consistant à « présenter‚ lors de l’examen d’un projet de loi par le Parlement‚ une proposition de modification d’un texte en cours de votation qui en altère radicalement sa structure normative‚ affectant plusieurs articles simultanément. Du point de vue technique‚ ces maxi-amendements sont structurés comme des amendements entièrement substitutifs et‚ bien qu’ils renvoient formellement à un seul article‚ ils mettent‚ de fait‚ tout le texte en discussion (ou du moins une grande partie de celui-ci) » (Griglio 2005‚ p. 807- 808). En posant la question de confiance sur l’approbation des maxi-amendements‚ le Gouvernement parvient à faire tomber toutes les propositions de modifications (même celles qui ont été éventuellement présentées par des parlementaires de la majorité) et à éviter les risques liés au vote de confiance sur chaque amendement proposé par le Gouvernement.
4 Selon Rescigno 2009‚ p. 351.
5 Par la locution decreto legislativo on fait référence à un acte ayant force de loi adopté par le Gouvernement sur la base d’une loi du Parlement (legge delega) qui fixe le cadre normatif contraignant. Comme le précise l’art. 76 de la Constitution italienne « l’exercice de la fonction législative ne peut être délégué au Gouvernement qu’avec la détermination de principes et de critères directeurs et seulement pour une durée limitée et pour des objets définis ».
6 Modugno 2000‚ p. 42-43. Par ces decreti legislativi correttivi le Gouvernement peut « corriger » ‚ pendant un certain temps après l’entrée en vigueur d’un décret législatif‚ le contenu normatif de ce dernier. Dans le domaine pénal‚ même si l’utilisation des décrets-lois et des décrets législatifs s’est imposée depuis longtemps dans la pratique et a été cautionnée par la Cour constitutionnelle‚ une partie (minoritaire) de la doctrine italienne considère que cet usage est incompatible avec le principe de légalité (voir‚ en ce sens‚ Marinucci & Dolcini 2001‚ p. 31 et s.). Bien qu’accepté‚ pour des raisons pragmatiques‚ par la majorité de la doctrine‚ cet usage ne cesse de susciter des perplexités. C’est le cas‚ par exemple‚ de Palazzo 1993‚ p. 346-347‚ qui constate que le décret-loi « se révèle bien peu cohérent avec les caractéristiques d’un droit pénal rationnel » et que le mécanisme de la délégation législative « est en réalité celui qui s’éloigne le plus de l’esprit du principe de légalité ».
7 Modugno 2000‚ p. 18-19.
8 On estime que le principe de la « réserve de loi relative » (qui couvre‚ selon la doctrine italienne‚ les matières dans lesquelles des marges d’appréciation sont laissées au pouvoir exécutif) est respecté « même lorsque la loi se limite à déterminer l’objet qui doit être réglementé‚ en indiquant tout au plus quelques critères très généraux et vagues‚ et que‚ pour tout le reste‚ la discipline est entièrement confiée au règlement » (Rescigno 2009‚ p. 352‚ qui‚ à la note 62‚ observe que cette notion très large de la riserva relativa explique pourquoi « on n’a pratiquement jamais fait appel au règlement autonome prévu par la loi n° 400 de 1988 : on n’en avait et on n’en a aucunement besoin‚ les règlements communs‚ appelés règlements d’application‚ ou bien les règlements délégalisants étant suffisants ; ils sont tellement libres qu’on peut les considérer comme pratiquement autonomes »).
9 Manes 2010‚ p. 84 et s. Par cette locution (riserva di legge assoluta)‚ la doctrine italienne exprime l’idée que‚ dans le domaine pénal‚ la seule source légitime est la loi du parlement.
10 Rescigno 2009‚ p. 353.
11 Ibidem. L’art. 76 de la Constitution italienne dispose que « l’exercice de la fonction législative ne peut être délégué au Gouvernement qu’avec la détermination de principes et de critères directeurs et seulement pour une durée limitée et pour des objets définis ».
12 Sorrentino 2000‚ p. 14. Cette altération du modèle dépend du fait que‚ « surtout depuis la loi n° 537 de 1993‚ l’établissement de normes générales régulatrices de la matière a commencé à faire défaut dans les dispositions législatives de délégalisation‚ ce qui rend très difficile l’identification des normes sujettes à l’abrogation‚ celles-ci étant pour la plupart remplacées par l’indication de principes directeurs et de critères pour l’exercice du pouvoir réglementaire » (p. 12). De cette manière un pouvoir important est conféré au Gouvernement : l’abrogation des dispositions législatives finit‚ de fait‚ par être disposée par les règlements‚ car ils sont les seuls capables d’identifier‚ assez librement‚ ces dispositions : « Avant l’adoption de ces règlements on sait seulement que certaines‚ voire de nombreuses dispositions législatives dans une matière donnée‚ non identifiées et non identifiables‚ seront abrogées au cas où les règlements qui seront rédigés par le pouvoir exécutif le diront » (Rescigno 2009‚ p. 354).
13 Roccella 2010‚ p. 9‚ à propos du recours par le Gouvernement aux arrêtés de protection civile.
14 Cerulli Irelli 2007‚ p. 381.
15 Rescigno 2009‚ p. 355.
16 Voir Bilancia 2008‚ p. 6‚ d’après lequel l’« instrumentalisation du principe de légalité de la part d’une seule partie politique » ‚ due à l’exaspération du principe majoritaire de ces dernières années‚ voire la « perception de chaque loi comme acte politique partisan » et la « théorisation de la loi comme loi des autres et non plus comme loi de l’État » finissent par porter atteinte à « la fonction de légitimation des oppositions et des minorités – délibérément exclues du jeu institutionnel » et par déterminer‚ en conséquence‚ « la séparation entre loi‚ légalité et sentiment de citoyenneté » (passim).
17 Pulitanò 2005‚ p. 128-129.
18 Voir‚ à ce sujet‚ Grosso 2001‚ p. 141 et s. et Rescigno 2009‚ p. 353‚ qui observe que « les normes que la loi établit sont si générales et vagues que des secteurs entiers de la législation‚ d’une grande importance politique‚ économique et sociale‚ sont en pratique presque entièrement confiés à ces autorités ». Il ajoute qu’au niveau du contrôle juridictionnel‚ auquel sont soumis les actes de ces autorités‚ « l’absence de paramètres législatifs rigoureux aggrave la situation‚ car les juges deviennent fatalement des arbitres sans règles préalables dans les affaires qui ont pour objet les actes de ces autorités‚ ce qui aboutit à des résultats juridiquement incontrôlables ».
19 Belfiore‚ 2006‚ p. 41. L’Auteur fait référence ici à la position de la Cour constitutionnelle italienne qui reconnaît à la source jurisprudentielle la fonction de préciser les contours sémantiques de la norme pénale‚ ce qui contribue à rendre effectif le principe de clarté et précision de la loi pénale mais‚ bien entendu‚ de façon « illégale » selon le paradigme pénal moderne‚ qui considère le droit pénal jurisprudentiel comme un véritable oxymore.
20 Merusi 2007‚ p. 14.
21 Au début des années soixante-dix‚ Fois 1973‚ p. 700 et note 210‚ incluait‚ parmi « les phénomènes qui s’opposent au […] principe de légalité » ‚ les « soi-disantes “sources communautaires”‚ lorsqu’elles ne bénéficient pas d’une interpositio legislatoris et lorsque leur “primauté” n’est pas directement attribuable à une norme constitutionnelle spécifique ».
22 Cassese 2006‚ p. 70 et s.
23 Palazzo 2005‚ p. 282. Pour un cadre (partiel) des nombreuses conventions auxquelles la jurisprudence a souvent recours pour interpréter des affaires internes‚ voir Manes 2012‚ p. 8-10.
24 Pour reprendre les propos de Thomas Kuhn‚ la légalité est en train de vivre une période de « science extraordinaire » ‚ marquée par la crise de l’ancien paradigme et par la naissance d’un paradigme nouveau. Nous avons fait référence à la théorie des révolutions scientifiques de Kuhn 1970‚ dans Vogliotti 2007.
25 Paolo Grossi a plus d’une fois mis l’accent sur le rôle que la mythologie juridique a joué dans la constitution et dans la conservation du paradigme juridique moderne. Voir‚ notamment‚ Grossi 2001.
26 SORDI 2008‚ p. 39. On doit la première consécration constitutionnelle du principe de légalité dans le domaine administratif à l’art. 18 de la Constitution autrichienne de 1929‚ qui met fin au principe monarchique et ébranle le « caractère pointilliste de la couverture législative » (p. 50). La Constitution italienne n’envisage pas expressément ce principe à l’égard de l’administration publique‚ même si la doctrine publiciste considère qu’on puisse le dégager (de différentes manières) de l’architecture constitutionnelle (voir‚ pour les différents parcours de la doctrine‚ Fois 1973‚ p. 669 et s.).
27 Sordi 2008‚ p. 39.
28 Ibidem‚ p. 35.
29 Ces constitutions sont « le fruit de situations politiques instables‚ dans lesquelles deux sujets luttaient‚ le premier‚ le roi‚ pour conserver le pouvoir souverain ; le second‚ la bourgeoisie‚ pour le conquérir » (Zagrebelsky G. 2008a‚ p. 135 et p. 343 et s.).
30 Carlassare 1990‚ p. 3.
31 Ibidem.
32 C’est la position de Mayer 1903. À propos de la distinction entre la légalité comme « non-contrariété » et la légalité comme « conformité » à la loi‚ voir Eisenmann 1957‚ p. 29 et s.
33 Carlassare 1990‚ p. 3.
34 Zagrebelsky G. 2008a‚ p. 344.
35 Carlassare 1990‚ p. 4. Sur les trois figures de la légalité (non-contrariété‚ légalité formelle et légalité substantielle)‚ voir‚ amplius‚ Carlassare 1966‚ p. 113 et s.
36 En partant de la constatation de la crise du principe moderne de la légalité – qui est « une catégorie historique du droit pénal et non pas logique » – Fausto Giunta demande à Giovanni Fiandaca‚ Alberto Gargani et Carlo Federico Grosso si « un équivalent fonctionnel du principe de la “réserve de loi” » dans le domaine pénal est envisageable (Giunta 2011‚ p. 77-78).
37 Latour 1991.
38 Le discours sur la crise de la loi (et de sa nature générale et abstraite)‚ déjà entamé à la fin du dix-neuvième siècle (Brunialti 1888)‚ sera développé successivement‚ suite à la crise de l’État bourgeois mono-classe (voir‚ sur ce sujet‚ Neumann 1973‚ p. 245 et s.)‚ à la fragmentation du sujet unique de droit‚ à l’accroissement du pluralisme axiologique et de la complexité sociale‚ au déclin de la souveraineté de l’État en raison des processus d’intégration européenne et de mondialisation‚ au développement impétueux de la technique couplé à l’incapacité croissante de la science de fournir des certitudes‚ ce qui est à la base de la « société du risque » de nos jours (Beck 1986). Sur la question de la crise de la loi‚ voir De Fiores 2001‚ p. 88 et s. Sur les défauts (quantitatifs et qualificatifs) de la loi dans notre époque‚ voir Ainis 2002 et Mattarella 2011.
39 La légalité régionale a vu ses frontières s’élargir considérablement suite à la réforme constitutionnelle de 2001 qui a attribué aux régions (prévues par la Constitution de 1948‚ mais instituées seulement en 1970) un pouvoir de législation concurrente dans plusieurs matières‚ fixant le principe que « dans toutes les matières qui ne sont pas expressément réservées à la législation de l’État‚ le pouvoir législatif échoit aux Régions » (art. 117 alinéa 4‚ introduit par la loi constitutionnelle du 18 octobre 2001‚ n° 3). Cette réforme‚ qui n’a pas touché directement la matière pénale‚ a produit néanmoins des effets dans ce domaine‚ car l’élargissement de la compétence législative régionale augmente les occasions d’interférence avec des matières qui tombent sous l’égide du droit pénal. Voir‚ à ce propos‚ et pour quelques exemples‚ Romano 2008.
40 Il s’agit des arrêts n° 348 et 349 de 2007‚ à propos desquels voir Cartabia 2007.
41 GALLANT 2009 et Scalia 2011. En particulier‚ sur la notion de légalité adoptée par le Statut de Rome‚ voir‚ en Italie‚ Catenacci 2003.
42 Ferrarese 2006.
43 Palombella 2012.
44 CASSESE 1995‚ p. 796.
45 À ce propos‚ voir‚ comme ouvrage de référence‚ Ost & van de Kerchove 2002. Sur la déstructuration de l’ordre traditionnel des sources voir‚ parmi les nombreuses contributions consacrées à ce sujet en Italie‚ Zaccaria 2012‚ p. 29 et s. ; Carlassare 2008‚ p. 536 et s. ; Pizzorusso‚ La produzione normativa in tempi di globalizzazione‚ Torino‚ 2008 ; Grossi 2011‚ p. 19 et s. ; Pastore 2009‚ p. 257 et s. Sur les effets de la mondialisation sur le système des sources‚ voir‚ notamment‚ Ferrarese 2012. Sur ce sujet‚ les Presses de l’Université Saint-Louis ont publié en 2012 quatre volumes intitulés Les sources du droit revisitées.
46 Cassese 1995‚ p. 796.
47 Cassese 2003‚ p. 220 et s.
48 Cassese 2006b‚ p. 8 et s.
49 Capotosti 1992‚ p. 138-139.
50 Riondato 2011‚ p. 1557 et s.
51 Sordi 2008‚ p. 58.
52 Mannozzi 2011‚ p. 1462 et s.
53 Sur le sens de ces trois catégories essentielles de la pensée juridique médiévale et sur leur mutation sémantique avec l’avènement du paradigme moderne‚ voir Grossi 1995‚ p. 130 et s.
54 À ce propos‚ il faut mentionner‚ notamment‚ les noms de Hobbes (qui‚ dans le Dialogue between a philosopher and a student of the common laws of England‚ démarre sa polémique contre la common law et en faveur du droit législatif en critiquant l’idée de « raison artificielle » soutenue par Coke‚ à laquelle il oppose une conception volontariste du droit) et de Bentham (lui aussi‚ comme chacun le sait‚ âpre détracteur de la common law à laquelle il oppose la pensée rationaliste du jusnaturalisme et des Lumières).
55 Sur la distinction célèbre de Coke entre artificial reason‚ propre aux juristes et qui manquait‚ donc‚ au roi Jacques I‚ et natural reason‚ voir Fassò 1999‚ p. 221 et s.
56 Palombella 2009‚ p. 46-47. Cette nature « bidimensionnelle » ‚ relationnelle‚ du droit‚ typique des anglais‚ explique la coexistence‚ dans la pensée de Dicey‚ « de deux principes en apparence contradictoires comme la souveraineté du Parlement et la rule of law‚ considérée d’un point de vue substantiel‚ liée à la protection des droits fondamentaux des individus » (Santoro 2002‚ p. 201).
57 Zagrebelsky G. 2000‚ p. 25.
58 Ibidem.