Les principes du code pénal de Bentham
p. 615-662
Texte intégral
Introduction
1Dans le droit pénal, tel qu'il se pense et se construit historiquement depuis la fin du 18e siècle, Bentham a sans doute réalisé - et cette fois réussi - ce qu'il a toujours cherché. Etre omniprésent. La présence visible et invisible de l'inspecteur Bentham en de multiples lieux, on pourrait presque dire en tous les lieux, du système pénal crée la profusion mais aussi la confusion. A cela s'ajoute le fait qu'il ne s'agit pas seulement d'une présence "réelle" mais aussi d'une présence par représentation, chère d'ailleurs à l'auteur du Panoptique. Une première raison donc, pour tenter d'éclaircir le champ pénal de Bentham qui, dans son Pannomion, est fondamental1.
2Une seconde raison tient à la place traditionnellement assignée à l'utilitarisme dans la pensée pénale. Des auteurs ont bien montré comment, dans une lecture courante du droit pénal, la ligne de partage autour de laquelle se distribuent presque tous les problèmes pénaux s'établit entre la rétribution d'un côté et l'utilité2 de l'autre. Ces positions rétributives et utilitaristes - qui fonctionnent toutes deux dans l'ordre du fondement - sont présentées à la fois comme étant alternatives et complémentaires. La célèbre affirmation de l'école néo-classique "pas plus qu'il n'est juste, pas plus qu'il n'est nécessaire" témoigne certainement de l'idée que ces doctrines se tempèrent l'une l'autre·3. Un système n'est jamais "pur" en droit pénal : des éléments qui se rattachent à un système utilitariste sont souvent incorporés dans un système rétributif et inversément4. Que ce soit sous l'un ou l'autre aspect, la difficulté de cette forme de rationalisation, autour des deux pivots de la rétribution et de l'utilité, est d'enfermer le droit pénal dans la logique de ces paradigmes en matière telle que toute la "question pénale" ne constituerait plus qu'une variation sur un même thème : lutter contre le crime et punir le coupable. Les effets de pareille "clôture" sont très perceptibles dans le courant néo-réaliste que l'on observe tant en Europe qu'en Amérique du Nord5, où la focalisation du débat sur la peine se présente en quelque sorte comme un "retour à"6.
3Nous pensons, dès lors, que dans l'entreprise de "réactualiser" la pensée juridique de Bentham, il y a, pour les pénalistes, une limite liée à l'occultation d'autres finalités qui pourraient être assignées au système pénal7, limite qui devient problématique si l'on se situe, comme Bentham nous y invite d'ailleurs, dans une perspective de réforme législative8.
4Dans un contexte de cet ordre, marqué par l'ambiguïté de la référence à l'utilitarisme, l'objectif de cette contribution est de rendre compte du discours pénal de Bentham et de le présenter dans sa complexité. La "relecture" des textes pourrait ainsi permettre une "réécriture" des multiples utilisations, dérives et réductions dont sa pensée a fait l'objet. Cette intervention sur le champ pénal de Bentham· s'articule en deux parties. La première partie est consacrée à la présentation des Principes du code pénal (1789), un texte moins sollicité que la Théorie des peines légales (1775)9, mais qui me semble très central, et surtout très complet, dans l'élaboration d'un système rationnel et cohérent de contrôle social. Dans la seconde partie, je tenterai de repérer les thèmes dominants de l'utilitarisme dans ce qui constitue les éléments cardinaux du droit pénal général et sur lesquels, traditionnellement, se construit un code pénal : la loi, l'infraction, la responsabilité, la sanction10. Le point de vue à partir duquel j'interviens ici, déterminant et limitant nécessairement les outils de l'analyse, est celui du pénaliste11 ; et, en l'espèce, cette recherche participe à une interrogation plus générale sur les rationalités pénales à travers, notamment, l'action des réformateurs12 et les entreprises actuelles de révisions ou de réformes des codes pénaux13. Dans cette perspective, mon hypothèse de travail est que l'utilitarisme, dans la pensée de Bentham, contient en lui-même certaines limites, ce qui atténue la portée de l'argument, fréquemment développé aujourd'hui, selon lequel "nous aurions besoin" de la rétribution pour "rompre avec les excès" de l'utilitarisme et revenir à une pénalité mieux mesurée14. En persistant à enfermer la pensée pénale dans la dualité rétribution-utilité, présentée comme épuisant le champ des raisons pénales, ne rendon pas impossible, en définitive, l'adoption d'un point de vue émancipateur ?
5Il importe évidemment de signaler que tout ce que je n'aborderai pas est certainement aussi important, sinon plus important, que ce que je vais examiner. Tout d'abord la prison autour du Panoptique15 - dont M. Perrot et Robert Roth sont sans doute les meilleurs historiens16 - et qui apparaît, dans la pensée de Bentham, comme "la condition nécessaire de la mise en place du droit pénal nouveau" et la symbolisation des principes de la législation pénale17. Ensuite les différentes formes de peines (peines corporelles, peines privatives, peines déplacées, peines complexes) dont l'examen critique relèverait de la pénologie. Enfin, un autre champ non couvert est ce que Bentham appelle les lois adjectives (adjective criminal law), les lois de procédure, distinctes et complémentaires des lois substantives (substantive criminal law). L. Radzinowicz estime que c'est, notamment dans le Rationale of Judicial Evidence18 que se trouve la contribution la plus originale de Bentham qui perçoit très clairement les liens entre les lacunes de l’adjective et du substantive criminal law19. Si Beccaria envisage la procédure essentiellement d'un point de vue constitutionnel, c'est-à-dire comme une garantie pour assurer la protection des droits individuels, Bentham ajoute une dimension supplémentaire : la procédure est certes un rempart contre l'arbitraire mais elle est, aussi, un moyen de réduire l'incertitude de la peine. Règles de droit et règles de la procédure sont, pour la première fois, étroitement liées, dans le souci de réaliser complètement - et pratiquement - la perfection du droit matériel contenu dans le Pannomion. Dans le contexte du droit anglais de la preuve, Bentham opère, comme le souligne H.L.A. Hart, un travail de démystification important, en substituant à un système technique et artificiel un système rationnel cohérent où, dans la logique de sa position, il recommande de n'exclure aucun mode de preuve. C'est ici que se situe la fameuse controverse sur le droit au silence de 1'inculpé20.
6Une précision, enfin, en ce qui concerne les sources. Les textes de référence sont les Traités de législation civile et pénale, extraits des manuscrits de Jérémie Bentham par Etienne Dumont qui comprend les Principes du code pénal21 ainsi que la Théorie des peines et des récompenses qui comprend, entre autres, la théorie des peines légales (Rationale of Punishment - 1775)22. Je n'ai pas pu consulter l'édition anglaise The works of Jeremy Bentham now first collected under the superintendence of his executor John Bowring (Edinburgh 1838-1843). J'observe cependant, à la lecture de la table des matières de cette édition de Bowring, à la première partie, au chapitre On the Promulgation of Laws ; with a specimen of Penal Code, et dans la deuxième partie, au chapitre Principles of Penal Law (comprenant les parties suivantes : Political remedies for the evil of offences, Rationale of Punishment with appendix on Death Punishment, Indirect Means for Preventing crimes), qu'il est précisé que cette édition provient de Dumont et des manuscrits de Bentham ("ed. from Dumont and the mss. of Bentham").
I. Bentham législateur pénal
7C'est sans doute à la démarche que je vais entreprendre que s'applique le mieux l'observation de Dumont : "La profusion de ces richesses ne demandait que les soins d'un économe. Intendant de cette grande fortune, je n'ai rien négligé pour la faire valoir et la mettre en circulation", tout en regrettant "que ce travail ne soit pas tombé en de meilleures mains"23.
8A. Quelques rappels pour situer ces textes ou, plus exactement, pour permettre de retrouver, chez Bentham, la cohérence de son système.
91. L'utilitarisme n'est pas nouveau et Bentham le reconnaît lui-même. P. Poncela qui a "balisé philosophiquement" les lignes d'évolution de ce courant de pensée, en pointe les prédécesseurs immédiats, notamment Claude-Adrien Helvetius : "nos désirs sont orientés vers la recherche du plaisir" (De l'Esprit, 1758)24.
10Sur le plan scientifique, se marque, chez Bentham, l'influence de la psychologie associationniste et du déterminisme moral de David Hume (les phénomènes psychologiques sont soumis à des relations de causalité) ainsi que les théories de David Hartley sur l'association des idées ("Observation on man, his fame, his duty and his expectations, 1749). On verra, notamment, à partir de là, l'importance accordée aux symboles et aux signes qui frappent l'imagination25. Par ailleurs, R. Roth n'hésite pas à qualifier Bentham de "pré-behavioriste" et il souligne, en outre, que toute son oeuvre est "imprégnée de la conviction de pouvoir reconstituer par l'observation les règles régissant le comportement humain". Ainsi, tout devient visible, explicable et le législateur pourra - et devra - s'accorder aux règles empiriques dégagées de l'observation du comportement des individus26. La psychologie implicite du système juridique de Bentham traduit la conviction qu'il est possible d'agir efficacement sur les ressorts de la volonté au moyen d'une arithmétique des plaisirs et des peines fondée sur les représentations27.
11La pensée pénale de Bentham se développe, par ailleurs, dans le contexte du libéralisme économique. Si Adam Smith justifie la liberté économique par le principe de l'identité naturelle des intérêts publics et privés, le droit pénal "établit le corollaire de cette identité naturelle par l'assimilation artificielle" de ces intérêts, étant entendu que la loi pénale est précisément cette intervention normative "artificielle" destinée à assurer la coïncidence28. Il s'agit de réaliser la jonction entre l'intérêt et le devoir : faire en sorte que l'intérêt personnel de chacun soit d'adopter une conduite qui corresponde à l'exécution de son devoir.
12L'inscription de la pensée de Bentham dans l'histoire, dans les processus sociaux et politiques, est peut-être encore une histoire à faire, d'autant plus nécessaire que Bentham lui-même y prêtait peu d'attention29. Il avait un regard superficiel sur le contexte social, ce qui provoque dans sa pensée, une sorte de rupture entre le psychologique et le sociologique. Philippe Robert observe très justement que le défaut de référence à l'Etat nuit aux grandes théories de la peine, ce qui les rend a-historiques et abstraites par rapport aux conditions concrètes de constitution et de développement du pénal30.
13Sur le plan juridique, c'est bien sûr, l'époque de la rationalisation et de la laïcisation (sécularisation) du droit. Par ses liens sur le continent, en France et à Genève, Bentham est au coeur de deux mondes. En Angleterre, 1770 marque la crise du système pénal. L'accroissement de la criminalité et la crise du consensus face au problème pénal, qui se fixe, notamment, sur la question de l'exemplarité de la peine et de la peine de mort en particulier, provoquent un large débat sur les questions pénales. Sur le plan du droit pénal, Bentham critique violemment les doctrines traditionnelles qu'il veut débarrasser de leurs tyrannies et il entend être un législateur rationnel et pratique. A cet égard, il se situe en très nette opposition à la grande tradition de la Common Law représentée par Blackstone et qui confie au juge de très larges pouvoirs31. Bentham reprend et étend les théories de William Paley (1743-1805) qui sont surtout développées dans le Livre VI du Chapitre IX (curieusement intitulé "Of crimes and punishments") de son ouvrage principal "Principles of moral and political philosophy (1785)32. Outre son influence sur la réforme du droit positif, Bentham a aussi inauguré une science du droit pénal, celle de l'école analytique (censorial jurisprudence). En Europe, une préoccupation centrale de l'activité législative à la fin du XVIIIe siècle, est l'élaboration de codes qui soient opérationnels dans la construction d'un système de réaction sociale. Bentham s'inscrit dans ce mouvement et, dans le même moment, il prolonge le "prophétisme scientifique" de Beccaria33.
142. En ce qui concerne la manière de procéder de Bentham, qui recouvre aussi bien des questions de méthode que de technique, certains points apparaissent.
15Tout d'abord, on observe de nombreuses allusions et de fréquentes références à d'autres disciplines que le droit. Dans les principes du Code pénal, c'est plus particulièrement la médecine qui intervient autour de l'analogie : les maux, les remèdes, la guérison. Cette attitude reflète une position plus fondamentale chez Bentham qui me semble utile de rappeler dans le contexte présent de réforme des codes. "Ce n'est pas dans les livres de droit que j'ai trouvé des moyens d'invention et des modèles de méthode : c'est plutôt dans les ouvrages de métaphysique, de physique, d'histoire naturelle, de médecine... Ce que j'ai trouvé dans les...Blackstone, les Vattel, les Pothier, les Domat est bien peu de choses : Hume, Helvetius, Linné, m'ont été bien plus utiles"34.
16Ensuite, le procédé bien connu utilisé par Bentham est le procédé dichotomique, ce qu'il appelle la méthode exhaustive. L'auteur circonscrit le domaine qu'il se propose d'étudier, il le partage en deux parties et chacune de ces parties en parties etc...
17Enfin, Bentham a voulu être complet. Tout comme il a pensé le Panoptique, il a pensé le Pannomion, la "totalité éclairante de la loi"35 un code complet, un système cohérent et rationnel comme "il doit être", dans une perspective normative36. Au sein de ce "corps complet de législation", les lois pénales occupent une place centrale : "les lois pénales sont les seules qui puissent faire une suite régulière, un tout complet. Ce qu'on appelle lois civiles ne sont que des fragments détachés appartenant en commun aux lois pénales... Il faut donc prendre cette loi pénale qui seule embrasse tout pour base de toutes les autres divisions des lois"37.
183. La pensée pénale de Bentham se fonde, par ailleurs, sur trois "opérations" préalables développées dans les Principes de législation qui, rappelons-le, font partie intégrante des Principes du code pénal puisqu'ils étaient initialement destinés à leur servir d'introduction.
19a) Le catalogue des plaisirs et des peines, instrument du législateur au départ duquel se constitue l'équation de base du système pénal. "Vous voulez par exemple étudier la matière des délits, ce grand objet qui domine toute la législation. Cette étude ne sera au fond qu'une comparaison, un calcul de peines et de plaisirs. Vous considérerez le crime ou le mal de certaines actions, c'est-à-dire les peines qui en résultent pour tels ou tels individus ; le motif du délinquant, c'est-à-dire l'attrait d'un certain plaisir qui l'a porté à le commettre ; le profit du crime, c'est-à-dire l'acquisition de quelque plaisir qui en a été la conséquence ; la punition légale à infliger, c'est-à-dire quelques-unes de ces mêmes peines qu'il faut faire subir au coupable. Cette théorie des peines et des plaisirs est donc le fondement de toute la science"38.
20b) L'évaluation des plaisirs et des peines selon les paramètres du calcul moral (l'intensité, la durée, la certitude, la proximité, etc...) mais en tenant compte aussi des "circonstances qui influent sur la sensibilité" ; circonstances directes telles que la santé, la force, les facultés intellectuelles, la pente des inclinations, les sentiments de sympathie, etc... ; circonstances secondaires telles que le sexe, l'âge, le rang, l'éducation, le climat, la race, etc.,.39. Bentham choisit d'appliquer cette théorie au code pénal "qui exige dans toutes ses parties une attention scrupuleuse à cette diversité de circonstances" : pour évaluer le mal d'un délit, pour donner une satisfaction à la victime, pour estimer l'impression de la peine sur le délinquant, pour transplanter une loi d'un pays à l'autre40. Toute la dialectique ici est celle du nominal et du réel. "La même peine, dit-on, pour les même délits, cet adage a une apparence de justice et d'impartialité", observe l'auteur qui vise, implicitement, les principes d'égalité ainsi que le système des peines fixes du code pénal français de 1791 ; "... pour lui donner un sens raisonnable, il faut déterminer auparavant ce qu'on entend par même peine et même délit. Une loi inflexible... serait doublement vicieuse comme inefficace ou comme tyrannique. Trop sévère pour l'un, trop indulgente pour l'autre, toujours pêchant par excès ou par défaut, sous une apparence d'égalité, elle cacherait l'inégalité la plus monstrueuse"41. L'égalité nominale n'étant pas favorable à l'utilité, Bentham propose ce qui constitue aujourd'hui encore la structure fondamentale de l'individualisation légale et judiciaire. Le législateur s'attache aux circonstances qui ont des indices extérieurs et manifestes (l'âge, le sexe, le climat, etc...), qui sont faciles à saisir et qui forment des classes générales, d'où il pourra tirer des "bases de justification, d'exténuation ou d'aggravation pour les différents délits". Quant aux autres circonstances, celles qui se situent dans l'ordre du "plus ou moins" (plus ou moins dans la fortune, dans la force, etc...), "le législateur qui ne peut rien prononcer pour les cas individuels, dirige les tribunaux par des règles générales et leur laisse une certaine latitude afin qu'ils puissent proportionner leur jugement à la nature particulière de la circonstance". L'effet, ou plutôt la raison, de cette individualisation ? "C'est le fondement de cette approbation que nous donnons aux lois, sous les noms un peu vagues d'humanité, d'équité, de convenance, de modération, de sagesse"42.
21c) L'analyse du bien et du mal politique. Toute la question est celle du choix des maux car toute loi est un mal, toute loi est une infraction à la liberté. Le législateur a donc deux choses à observer : le mal du délit et le mal de la loi, le mal de la maladie et le mal du remède43. Tel est le principe au départ duquel Bentham établira sa célèbre classification44. Le mal du premier ordre est celui qui tombe sur tel ou tel individu déterminé ; il peut être primitif c'est-à-dire porter sur la personne elle-même (être volé) ou dérivatif et porter sur des personnes qui souffrent un mal dérivé (vos parents, amis, vos créanciers également). Le mal du second ordre est celui qui prend sa source dans le premier et qui se répand dans la communauté entière ; il comprend l'alarme qui est l'appréhension de souffrir le même mal que celui dont on vient de voir l'exemple (la peur d'être volé par exemple) et le danger qui est le risque que le mal primitif ne produise des maux du même genre. Le mal du troisième ordre est l'effet de la persistance de l'alarme. Rappelons que cette classification s'applique aux maux comme aux biens qui ont, tous deux, les mêmes prérogatives.
22Cette analyse du mal débouche alors sur la question - centrale et inévitable dans toute entreprise de réforme et de codification - des raisons pour ériger certains actes en délits. L'ironie de Bentham me semble très juste ; elle constitue une démystification des évidences qui dominent si largement la matière des incriminations en droit positif. "Quelle question ? Tout le monde n'est-il pas d'accord ? Doit-on chercher à prouver une vérité reconnue, une vérité si bien établie dans l'esprit des hommes ? Tout le monde est d'accord, soit. Mais sur quoi est fondé cet accord ? Demandez à chacun ses raisons. Vous verrez une étrange diversité de sentiments et de principes ; vous ne la verrez pas seulement parmi le peuple mais parmi les philosophes. Est-ce du temps perdu que de chercher une base uniforme de consentement sur un objet si essentiel ?"45. Cette base commune est, bien sûr, le principe d'utilité qui "pèsera fidèlement les intérêts de toutes les parties", d'où il résulte que les actions humaines seront considérées uniquement par les effets en bien et en mal. "Je vais ouvrir deux comptes. Je passe au profit pur tous les plaisirs ; je passe en perte toutes les peines", pareille comptabilité se fondant, évidemment, sur la distinction entre les maux et les biens des trois ordres. Dans le chapitre consacré aux limites qui séparent la morale et la législation, Bentham applique ce principe à la classe des actions qui relèvent de la prudence et qui concernent les devoirs envers soi-même. L'incrimination est inutile dans ces domaines (par exemple en matière d'ivrognerie, d'adultère, etc.) parce que le mal produit par la loi pénale dépasserait le mal de la faute. Il en déduit une règle générale : "laissez aux individus la plus grande latitude possible dans tous les cas où ils ne peuvent nuire qu'à eux-mêmes ; car ils sont les meilleurs juges de leurs intérêts. S'ils se trompent, dès qu'ils sentiront leur méprise, il est à présumer qu'ils n'y persisteront pas. Ne faites intervenir la puissance des lois que pour les empêcher de se nuire entre eux. C'est là qu'elles sont nécessaires, c'est là que l'application des peines est vraiment utile parce que la rigueur exercée sur un seul devient la sûreté de tous"46.
23d) Un dernier thème doit être brièvement rappelé. Il est relatif au but de la répression et à sa nécessité. Bentham oppose la théorie de l'utilité qu'il préconise non seulement à la théorie aristotélicienne de la justice mais aussi à la théorie moderne du contrat social (Hobbes, Locke, Rousseau). "Fiction n'est pas raison", soutient-il car le "véritable bien politique est dans l'immense intérêt des hommes à maintenir un gouvernement"47. La critique de la théorie du consentement comme fondement du droit pénal suggère chez Bentham une approche réaliste marquée par l'idéologie du combat, de la lutte, de la guerre à mener et, bien sûr, à gagner : "mais même dans les démocraties cette idée du consentement ne serait le plus souvent qu'une fiction aussi dangereuse que peu fondée. Ce qui justifie la peine c'est son utilité majeure, ou, pour mieux dire, sa nécessité. Les délinquants sont des ennemis publics : où est le besoin que des ennemis consentent à être désarmés et contenus"48 ?
24B. Nous en arrivons alors aux conséquences de ces principes, la législation civile et la législation pénale. Dans les Traités de législation civile et pénale, aux Principes de législation, succèdent les Principes du code civil49 et ensuite les Principes du code pénal50 C'est à ceux-ci que nous nous arrêterons ici51.
1. Les maux
25La première partie - qui est souvent, bien à tort, considérée comme la moins intéressante - concerne les délits, les maux, c'est-à-dire le traité des maladies qui doit précéder celui des remèdes.
26a) Qu'est-ce qu'un délit ? Dans une perspective normative qui vise "à découvrir les meilleures lois possibles selon le principe d'utilité" et qui s'adresse au législateur, "on appelle délit tout acte que l'on croit devoir être prohibé à raison de quelque mal qu'il fait naître ou tend à faire naître"52. Au départ de cette définition, s'élabore ce qui va prendre une place importante dans le développement du code pénal chez Bentham : la classification des délits53. C'est, bien sûr, la méthode exhaustive (le procédé dichotomique) qui intervient ici selon le schéma suivant : d'après le principe d'utilité, on ne doit ranger parmi les délits que les actes qui peuvent être nuisibles à la communauté ; mais la communauté, qui, en soi, est une fiction, est composée d'individus ; le mal d'un délit peut se diviser selon les individus qui le subissent lesquels sont assignables (autrui et soi-même) ou non assignables (le groupe ou l'Etat). Il en résulte plusieurs classes de délits. Les délits privés sont ceux qui nuisent à tels ou tels individus et ils constituent, en définitive, la partie permanente et stable de la législation. Les délits réflectifs, qui recouvrent notamment "les vices et les imprudences", sont ceux par lesquels le délinquant se nuit à lui-même. Bentham montre, très justement, qu'une des fonctions de la classification, d'un point de vue normatif, est de déterminer la sphère du pénal : "il est utile de les classer, non pour les soumettre à la sévérité du législateur, mais plutôt pour lui rappeler par un seul mot que tel ou tel acte est moins de sa sphère"54. En observant, en outre, que "personne n'est intéressé à les poursuivre juridiquement", Bentham désigne un critère d'incrimination55. Les délits demi-publics constituent, non des maux, mais des dangers qui affectent un groupe ou une partie de la communauté. Dans les délits publics qui produisent également un danger, celui-ci est commun à tous et met en péril l'existence de l'Etat. Au sein de ces classes, s'opèrent encore des subdivisions qui correspondent aux différents maux dont l'individu ou le groupe peut être affecté. Il en résulte des genres de délits, c'est-à-dire différentes sortes d'infractions. Ainsi, par exemple, en ce qui concerne les délits privés, comme "le bonheur de l'individu découle de quatre sources, les délits qui peuvent l'atteindre peuvent se ranger sous quatre subdivisions" : délits contre la personne, la propriété, la réputation, la condition - les délits composés étant ceux qui nuisent sous plus d'un rapport. Parmi les délits publics, on distinguera les délits contre la sûreté extérieure de l'Etat, contre la population, contre la richesse nationale, contre la souveraineté, contre la religion aussi, etc"56. S'ajoutent, enfin, "quelques autres divisions" pour marquer des circonstances particulières dans la nature du délit : les délits complexes par opposition aux délits simples, les délits principaux et les délits accessoires, les délits positifs et négatifs, enfin les délits imaginaires. Ces derniers ne produisent pas de mal réel ; ce sont, en fait, des préjugés ou des erreurs qui les font ranger parmi les délits. Bentham s'adresse au législateur : "le mal attribué à l'action est imaginaire : donc on fera bien de ne point faire de loi pour l'interdire"57.
27Bentham précise les avantages qui lui paraissent résulter de cette classification, tant du point de vue de la méthode que du fond. Simple, uniforme, commode, complète, elle est avant tout, soutiendra-t-il, la plus naturelle, en ce sens qu'elle se présente spontanément à l'esprit et que celui-ci la saisit avec le plus de facilité. A la différence des classifications sentimentales, elle ignore les motifs qui peuvent avoir inspiré les actes délictueux et ne tient compte que des conséquences de l'acte commis directement nuisibles à la collectivité ; à la différence des classifications techniques qui aboutissent à des pétitions de principe, elle ignore les peines dont les tribunaux, dans un temps et dans un pays donné, ont coutume de frapper les actes jugés délictueux. Si l'analyse des délits est menée jusqu'au point où les divisions et subdivisions sont applicables à toutes les nations (point de relativité au sens aristotélicien du terme), la classification sera universelle, fondée sur des principes communs à tous les hommes et applicables à toutes les jurisprudences58.
28Quels sont, pour Bentham, les enjeux de pareille classification ? Celle-ci est, en effet, plus élaborée que la division assez rudimentaire des actes pénaux esquissée par Montesquieu et reprise presque sans changement par Beccaria et moins vague aussi que celle de Blackstone (les délits contre les droits naturels - les mala in se - et les délits contre les lois de la société - les mala prohibita). L'observation de Bentham sur ce point m'apparaît très fondamentale. De manière générale, estime-t-il, le langage du droit pénal nécessite une révolution et, dès lors, une nouvelle classification, complète et motivée, des délits et des peines. Les classifications techniques ont, en outre, le vice commun de se fonder non sur la nature des délits mais sur la nature de la peine : comment fonder sur cette classification une théorie des peines puisque la classification suppose connu à l'avance le système des peines, celui précisément dont le juriste utilitaire se propose l'examen59 ?
29Si l'on se situe dans une perspective de codification ou de réforme législative, ce sont sans doute moins le contenu des propositions de Bentham qui sont susceptibles de retenir l'attention que le type de démarche qu'il adopte. Définir le délit, fixer les critères d'incrimination, organiser les classifications, autant d'opérations qui ensemble, déterminent la topographie pénale...
30b) Quels sont les maux provoqués par les délits ? Pour W. Paley, toutes les infractions produisent un mal égal. Sur ce point, Bentham peut être considéré comme précurseur, essentiellement par l'approche "subjective" qu'il introduit, au nom du principe de l'utilité. Si le délit produit de l'alarme (mal du second ordre), "l'alarme inspirée par les divers délits est susceptible de bien des degrés". En d'autres termes, l'alarme est plus ou moins grande selon les circonstances et c'est "dans l'examen de ces circonstances qu'on trouve la solution des problèmes les plus intéressants de la jurisprudence pénale"60. Il en résultera donc que la peine doit être gouvernée par des facteurs autres que la gravité intrinsèque de l'infraction.
31Les degrés de l'alarme peuvent, ainsi, dépendre successivement de la grandeur du mal du premier ordre (ce qui implique son évaluation) ; de la mauvaise foi du délinquant, qui est une cause permanente de mal ("on voit dans ce qu'il a fait ce qu'il peut et veut faire encore ; sa conduite passée est un pronostic de sa conduite future") ; de la position particulière qui fournit au délinquant l'occasion du délit (l'effet de cette circonstance sur l'alarme tend communément à la diminuer en rétrécissant sa sphère) ; des motifs qui le font agir car sans motif pas d'action, selon que ceux-ci sont particuliers ou fréquents (sans, toutefois, se départir de l'idée que, pour juger une action, il importe, d'abord, de s'attacher à ses effets) ; de la facilité ou de la difficulté d'empêcher le délit, de la clandestinité du délinquant ("l'alarme est plus grande lorsque par la nature des circonstances du délit, il est plus difficile de le découvrir ou d'en reconnaître l'auteur") ; enfin, du caractère que le délinquant a manifesté par le délit, celui-ci pouvant, soit, être l'indice d'un caractère dangereux et dans ce cas augmenter ou diminuer l'alarme et agir sur la nécessité de la peine, soit fournir un indice de la sensibilité du sujet et, par là, indiquer sa réaction probable à la peine61. L'alarme sera évidemment nulle dans les cas où "les seules personnes exposées au danger, s'il y en avait, ne sont pas susceptibles de crainte". Ce sont les délits sans victime qui sont implicitement visés62. Enfin, il y a des circonstances qui, appliquées à un délit, apportent la preuve de l'absence de tout mal ; leur appellation commune est celle de justification. A côté de l'état de nécessité et de la légitime défense - dont les conditions d'ouverture et d'exercice du droit sont celles qui existent actuellement en droit positif-, Bentham inscrit la pratique médicale, la puissance politique et domestique afin d'assurer l'obéissance, le consentement de la victime selon la règle générale "le consentement ôte l'injure, chacun étant juge de son propre intérêt"63.
2. Les remèdes
32Aux maux dans le corps politique correspondent, par le jeu de l'analogie, les remèdes, les remèdes politiques contre le mal des délits64. Une donnée est essentielle pour saisir ici l'ensemble de la position de Bentham. Elle concerne la finalité du droit qui est d'assurer la défense des intérêts sociaux. Il en résulte que les remèdes sont multiples et, toujours selon la même méthode, rangés en quatre classes : remèdes préventifs, supressifs, satisfactoires, pénaux. Outre les peines, Bentham propose aussi l'emploi des récompenses65. Il existe donc, dans le système pénal de Bentham, des mesures non punitives, les remèdes pénaux ou les peines proprement dites n'intervenant qu'en dernière instance. Cette observation que la lecture même du texte de Bentham impose est importante pour saisir la fonction qu'il assigne aux mesures punitives : prévenir. Sous cet aspect, tout comme la prison dans son Panoptique assure l'inspection universelle, le code pénal dans son Pannomion est le code du contrôle social généralisé. Parmi les mesures diversifiées que Bentham préconise, certaines existent toujours actuellement en droit positif ; leur classification, parmi l'ensemble des remèdes, permet d'en saisir la nature.
33a) Les remèdes préventifs sont simplement ceux qui tendent à prévenir le délit. Ils sont de deux sortes.
34Les moyens directs s'appliquent à empêcher la réalisation d'un délit en intervenant en amont ("moyens antejudiciaires"). Au niveau des citoyens, c'est la collaboration à la justice propre à un système accusatoire ; au niveau des autorités, on retrouve ici des mesures qui existent toujours en droit anglais, telles que la recognizance, le binding-over, les avertissements de police ; la probation aussi dans son sens premier66.
35Les moyens indirects de prévenir les délits sont très développés, de manière certainement plus approfondie que chez Beccaria, en sorte que l'on peut raisonnablement soutenir que Bentham fait ici oeuvre nouvelle. La quatrième partie des Principes du code pénal y est entièrement consacrée67. "Ainsi le souverain agit directement contre les délits lorsqu'il les prohibe chacun à part sous des peines spéciales" : il s'agit de la branche directe de la législation ; "il agit indirectement lorsqu'il prend des précautions pour les prévenir" : il s'agit de la branche indirecte de la législation68. Nous nous trouvons devant des mesures qui, formellement, pourraient être rapprochées des substituts pénaux de Ferri, mais sans référence, chez cet auteur, à l'oeuvre de Bentham avec laquelle les positivistes italiens ne semblaient guère familiers. En l'espèce, la lecture du texte de Bentham montre très clairement que c'est dans l'imperfection du système pénal et dans ses insuffisances que l'auteur trouve les raisons de la prévention. Le remède pénal ne peut intervenir qu'après que le délit ait été commis, et à cet égard, "chaque nouvel exemple d'une peine infligée est une preuve de plus de son inefficacité". En outre, la loi pénale ne peut agir que dans certaines limites, qui sont celles de l'exigence de l'acte, de l'établissement des preuves, etc., ce qui restreint son efficacité. Les moyens indirects se présentent donc comme des moyens pour suppléer à ce qui manque à la législation directe.
36Quels sont ces moyens indirects ? "Inclination, connaissance, pouvoir, voilà donc les trois points sur lesquels il faut appliquer l'influence des lois pour déterminer la conduite des hommes". Il s'en dégagera, tout naturellement, trois types de mesures. Les premières portent sur les moyens d'ôter le pouvoir physique de nuire, ce qui constitue bien sûr le moyen le plus radical mais dont il n'est guère possible d'en priver un homme avec avantage. Ainsi, avec les mains coupées, on ne peut plus voler mais on ne peut plus travailler. Le législateur a donc plus de ressources pour prévenir les délits en s'appliquant aux objets matériels qui peuvent servir à les commettre. "Ici, la politique du législateur peut se comparer à celle d'une bonne"69. Ce sont, en fait, tous les délits obstacles que vise Bentham, ceux que connaissent de nombreuses législations positives : le port d'arme, l'interdiction de certaines ventes, le régime des autorisations et des licences, etc... Un autre moyen indirect est d'empêcher les hommes d'acquérir les connaissances dont ils pourraient tirer un parti nuisible. Mais à peine Bentham a-t-il évoqué cette politique qui a produit la censure des livres et l'inquisition qu'il plaide pour la proscrire70.
37Les derniers moyens indirects sont ceux qui sont susceptibles de prévenir la volonté de commettre les délits. Bentham va, sur ce point, imaginer, penser, scruter, analyser une multitude de moyens. Tout d'abord, des moyens spéciaux qui s'attachent aux personnes elles-mêmes ou, plus exactement, aux situations individuelles. Ces moyens, avec une progression remarquable, couvrent en définitive tout le champ. Il s'agit, dans un premier moment, d'agir sur les ressorts de la volonté. Détourner le cours des désirs dangereux et diriger les inclinations vers des amusements plus conformes à l'intérêt public. Permettre qu'un désir donné se satisfasse avec le moindre préjudice possible, sinon sans préjudice ; Bentham applique ce principe à trois classes de désirs impérieux, la vengeance, l'indigence, l'amour. Il prônera, à cet égard, le mariage, mais, aussi, le divorce, car "au lieu d'un mariage rompu dans le fait et qui ne subsiste qu'en apparence, le divorce conduit naturellement à un mariage réel"71. Pour ceux qui ne peuvent supporter les charges du mariage, est prévu le mariage à temps ou des contrats pour une durée limitée ; la prostitution, bien sûr, doit être tolérée et réglementée. Enfin, éviter de fournir des encouragements au crime et augmenter la responsabilité des personnes à mesure qu'elles sont plus exposées à la tentation de nuire, figurent aussi parmi les moyens spéciaux : de même, diminuer la sensibilité à l'égard de la tentation. Dans un second moment, il s'agit d'utiliser, à titre de prévention, les ressources du pénal lui-même, en se fondant sur l'idée de représentation. Fortifier l'impression des peines sur l'imagination est un thème central et fascinant chez Bentham. "C'est la peine réelle qui fait tout le mal ; c'est la peine apparente qui produit tout le bien. Il faut donc tirer de la première tout le parti possible pour augmenter la seconde. L'humanité consiste dans le semblant de la cruauté"72. De même, faciliter la connaissance du corps du délit, faciliter aussi les moyens de reconnaître et de retrouver les individus, car on prévient le crime en augmentant la difficulté de le cacher ; enfin, diminuer l'incertitude des procédures et des peines. Ce thème sera plus largement développé dans le Traité des preuves judiciaires. Le dernier moyen spécial envisagé s'inscrit dans l'iter criminis. Il s'agit de prohiber ce que Bentham appelle des délits accessoires pour prévenir le délit principal. Cette formulation différente mais en définitive plus transparente quant à la raison même de ce type d'incrimination, recouvre en fait, des matières que nous connaissons en droit positif comme la tentative, les délits de mise en danger ou les délits obstacles. Bentham vise aussi expressément le délit de conspiracy du droit pénal anglo-américain que les propositions de réforme du code pénal en Belgique tentent d'introduire dans la législation en incriminant, en matière de participation criminelle, l'acte de participation postérieur, pour autant qu'il ait été préalablement concerté. Pour atteindre, dans la délinquance de groupe, l'entité criminelle dès sa naissance, c'est l'entente en elle-même qui est incriminée73. En d'autres termes, le législateur fait de l'acte lui-même qui fournit la présomption du danger, un délit séparé, un délit indépendant de tout autre. Comment réprimer ces délits accessoires ? Bentham propose au législateur des règles de modération limitant en ce domaine la répression au nom du principe même de l'utilité. Il importe de prévoir une peine moindre que pour le délit principal, à la fois pour ne pas mordre sur la liberté des individus et pour prévenir la réalisation d'un mal plus grand : "si la peine d'un délit commencé ou préliminaire était égale à celle du délit consommé sans rien accorder à la possibilité de la repentence ou d'un désistement de prudence, le délinquant se voyant exposé à la même peine pour la simple tentative, verrait en même temps qu'il est en liberté de le consommer sans encourir un danger de plus"74.
38A côté de ces moyens spéciaux, Bentham prévoit aussi de nombreux moyens généraux qui s'attachent à modifier la situation collective ou sociale75. C'est, notamment, la culture de la bienveillance, l'emploi de la sanction populaire et du mobile de la religion, le pouvoir de l'instruction que le gouvernement doit donner au peuple (la principale instruction étant, bien sûr, la connaissance des lois), l'usage de la puissance de l'éducation qui est le gouvernement qui s'exerce par la magistrature domestique. Sur ce dernier point, Bentham prévoit expressément l'intervention de l'Etat et évoque la question des classes dangereuses. "Moins les pères sont capables de remplir ce devoir, plus il est nécessaire que le gouvernement les remplace. Il doit veiller... sur les enfants dont les parents ne peuvent plus mériter la confiance de la loi pour cette charge importante, sur ceux qui... destitués de protecteurs et de ressources, sont livrés à toutes les séductions de la misère. Ces classes absolument négligées dans la plupart des Etats deviennent des pépinières du crime"76. Enfin, Bentham estime qu'il faut prendre des précautions générales contre les abus d'autorité de la part de ceux auxquels le gouvernement confie son pouvoir : il vise, en fait, la législation indirecte du droit constitutionnel dans laquelle sont évoquées, plus particulièrement, les questions de la liberté de la presse et du droit d'association.
39b) Les remèdes suppressifs visent à faire cesser le délit commencé. Sont abordées, sous ce titre, des questions certainement intéressantes du point de vue de la technique juridique et qui sont relatives aux formes de l'infraction (délits positifs et délits négatifs) ainsi qu'au moment et à la durée de celles-ci (délit instantané, continu, continué, d'habitude, etc...)77.
40c) Les remèdes satisfactoires qui sont "un équivalent donné à la partie lésée pour le dommage qu'elle a souffert... La satisfaction pour le passé est ce qu'on appelle le dédommagement. La satisfaction pour le futur consiste à faire cesser le mal du délit"78. Bentham a une conception large de la satisfaction, qui ne se réduit pas à l'indemnisation ou à la réparation. Pour lui, la satisfaction ne se limite pas au mal du premier ordre et, donc, à rétablir les choses dans leur état antérieur ; elle intervient aussi - et elle est encore plus nécessaire - pour faire cesser le mal du deuxième ordre. A cet effet, c'est l'idée de représentation qui intervient à nouveau : "pour ôter l'alarme, il suffit que la satisfaction soit complète aux yeux des observateurs, quand même elle ne serait pas telle à ceux des personnes intéressées"79.
41Bentham envisage, en outre, diverses espèces de satisfaction (en nature, attestatoire, honoraire, vindicative, etc.) et certaines d'entre elles, comme la compensation, la restitution ou la faillite pénale, subsistent en droit anglais. En ce qui concerne la satisfaction pécuniaire, elle peut parfois être liée à la nature du délit mais, le plus souvent, elle est la seule que les circonstances permettent80 ; on retrouve, en cette matière, les thèmes qui seront développés ultérieurement par Garofalo mais, comme nous l'avons déjà observé, sans référence à Bentham. Et si le délinquant est sans fortune ? Bentham prévoit la satisfaction subsidiaire aux dépens du trésor public. C'est l'idée de l'assurance qui intervient : "elle est utile dans les entreprises de commerce, elle ne l'est pas moins dans la grande entreprise sociale où les associés se trouvent réunis par une suite de hasard... Les calamités qui naissent des crimes ne sont pas moins des maux réels que celles qui proviennent des accidents de la nature. Si le sommeil du maître est plus doux dans une maison assurée contre les incendies, il le sera plus encore s'il est assuré contre le vol"81.
42Les remèdes satisfactoires aux délits contre l'honneur, tels que les outrages, les insultes, les menaces, témoignent de ce désir de l'analogie, fondamentale chez Bentham. Ainsi prévoit-il des masques emblématiques à la tête de couleuvre pour des cas de mauvaise foi, à la tête de pie ou de perroquet pour des cas de témérité. Pour insultes faites à une femme, l'homme sera affublé d'une coiffure de femme et le talion pourra lui être infligé par la main d'une femme. "Tout ce jeu de théâtre, discours, attitudes, emblêmes, formes solennelles ou grotesques, selon la différence des cas, en un mot ces satisfactions publiques converties en spectacle fourniraient à la partie lésée des plaisirs actuels et des plaisirs de réminiscence qui compenseraient bien la mortification de 1'insulte"82.
43La satisfaction substitutive ou à la charge d'un tiers (responsabilité du maître pour le serviteur, du père pour ses enfants, du mari pour sa femme, etc.) existe encore, du moins dans son principe, en droit pénal anglais sous la forme de la vicarious liability83.
44d. Les remèdes pénaux
45"Quand on a fait cesser le mal, quand on a dédommagé la partie lésée, il reste encore à prévenir les délits pareils, soit du même délinquant, soit de tout autre"84. C'est ici, précisément, qu'interviennent les peines, se situant, naturellement mais logiquement, après les autres "remèdes politiques contre le mal des délits". Elles sont destinées à remplir une fonction bien déterminée, distincte et complémentaire des autres remèdes antérieurement envisagés. Seule cette inscription des peines dans l'ensemble où Bentham les situe confère un sens à sa célèbre affirmation : "Le but principal des peines c'est de prévenir des délits semblables. L'affaire passé n'est qu'un point ; l'avenir est infini"84.
46Comment, dans la construction juridique utilitaire, réaliser ce but des peines ? La prévention se divise en deux branches. La prévention particulière s'attache au délinquant individuel dont la récidive peut être prévenue de trois manières : par 1'incapacitation pour lui ôter le pouvoir physique de nuire (le délinquant ne peut plus), par l'intimidation qui lui en ôte l'audace (il n'ose plus). La prévention générale, qui est "le but principal des peines et aussi leur raison justificative", sert d'exemple, devenant ainsi la sauvegarde universelle. "La peine, moyen vil en lui-même, qui répugne à tous les sentiments généreux, s'élève au premier rang des services publics lorsqu'on l'envisage, non comme un acte de colère ou de vengeance contre un coupable ou un infortuné qui cède à des penchants funestes, mais comme un sacrifice indispensable pour le salut commun"85.
47Le principe utilitaire qui domine l'ensemble de la matière des peines est celui de la dépense des peines - le mal produit par les peines est une dépense par l'Etat faite en vue d'un profit, la prévention -, qui amène naturellement à rechercher l'économie de la peine : produire l'effet désire au moindre coût. On retrouve un objectif de cet ordre, presque repris textuellement, parmi les principes de politique criminelle retenu par la Commission de révision du code pénal : assurer l'efficacité dans la détermination de la sanction, au moindre coût social et économique86. Comment y parvenir ? C'est dans le cadre de cette problématique que Bentham développe sa célèbre théorie de la valeur réelle et de la valeur apparente de la peine. La valeur réelle est la perte, la valeur apparente est le profit. L'apparence est donc l'effet essentiel, qui requiert la peine réelle dans la seule mesure où elle est nécessaire87.
48Ces principes étant posés, les modalités de l'application de la peine - de sa fixation sur le délinquant - sont successivement et systématiquement développées. Comme ces thèmes figurent parmi ceux qui sont le plus fréquemment évoqués dans la pensée de Bentham, je ne les développerai guère, me bornant à repérer la logique d'ensemble et les articulations essentielles de la problématique.
491. Dans quels cas ne faut-il pas infliger de peine ? Dès le départ, Bentham introduit, au nom de l'utilité même et du principe du moindre coût, des limitations dans l'usage de la peine, dont le caractère subsidiaire est reconnu. Il détermine ce qu'il appelle des peines indues, c'est-à-dire des peines qui ne respectent pas le principe d'utilité : les peines mal fondées lorsqu'il n'y a point de vrai délit (par exemple, en cas de délit de mal imaginaire) ; les peines inefficaces qui ne peuvent produire aucun effet sur la volonté ni, dès lors, prévenir (par exemple dans les cas de non-imputabilité : minorité, démence, contrainte) ; les peines superflues lorsque l'on peut atteindre le même but par des moyens plus doux (l'instruction, l'exemple, les récompenses) ; les peines trop dispendieuses dans lesquelles le mal du délit excède le mal de la peine88.
502. Quelle doit être la mesure de la peine89 ? L'arithmétique pénale de Bentham s'ordonne autour de deux principes : fixer la limite inférieure et la limite supérieure. A l'intérieur de cet espace, fixer des règles de proportion ; faire que le mal de la peine surpasse l'avantage du délit (première règle) : "la peine doit se faire craindre plus que le crime ne se fait désirer" ; plus il y manque à la peine du côté de la certitude, plus il faut y ajouter du côté de la grandeur (deuxième règle) : c'est la dialectique sévérité-certitude d'où il résulte aussi, inversement, que plus on augmente la certitude de la peine, plus on peut en diminuer la grandeur mais, pour en augmenter la certitude, il faut aussi en assurer la promptitude ; la même peine ne doit pas être infligée pour le même délit à tous les délinquants (cinquième règle), car les mêmes peines nominales ne sont pas les mêmes peines réelles. Bentham raccroche à cette problématique de la mesure de la peine la question des peines aberrantes ou déplacées, question qui s'attache aux effets de la peine et qui recouvre un aspect de la question des coûts sociaux de la justice. "Le mal que la loi destine à un seul s'extravase et se répand sur plusieurs par tous ses points de sensibilité commune qui résultent des affections, de l'honneur et des intérêts réciproques"90. La seule exception où un innocent pourrait être puni pour un coupable est celle du cautionnement où il est exigé d'une personne suspecte qu'elle trouve une autre personne et qui consent à supporter la peine si celle-ci survient. Comme le dit Bentham, c'est une espèce de contrat d'assurance, une assurance sur la responsabilité de l'individu, et qui tend à diminuer l'alarme.
513. Comment choisir les peines ? C'est la question des qualités de la peine qui intervient ici pour que celle-ci puisse s'adapter aux règles de proportion91. La peine doit être divisible afin de se conformer aux variations dans la gravité des délits. Elle doit être égale à elle-même et commensurable afin que l'on puisse comparer les peines entre elles et en mesurer les divers degrés. La peine doit présenter une ressemblance, une analogie, un caractère commun avec les délits afin de se graver dans la mémoire et de se présenter plus fortement à l'imagination. Elle doit aussi être exemplaire car une peine réelle qui ne serait point apparente serait perdue pour le public, "le grand art étant d'augmenter la peine apparente sans augmenter la peine réelle". Enfin, la peine doit être économique, c'est-à-dire n'avoir que le degré de sévérité absolument nécessaire pour remplir son but, et être rémissible ou révocable pour éviter que le dommage ne soit absolument irréparable92.
52La fin de ce chapitre sur le choix des peines marque des précisions et des nuances quant aux fonctions de la peine dont la détermination doit commander leur usage. "A ces qualités importantes des peines on peut en ajouter trois autres dont l'utilité a moins d'étendue mais qu'il faut rechercher, si on peut se les procurer sans nuire au grand but de l'exemple". D'une part, servir à la réformation du délinquant, non pas seulement par la crainte d'être puni, mais par un changement dans son caractère et dans ses habitudes93. C'est la problématique du traitement qui apparaît, à travers l'étude des motifs et par le moyen des classifications des délinquants "afin que l'on puisse adapter divers moyens d'éducation à la diversité de leur état moral". Le développement moderne de la réhabilitation, à l'époque positiviste, sera accompagné du développement des disciplines scientifiques relatives au comportement humain. D'autre part, ôter le pouvoir de nuire. Enfin, fournir un dédommagement à la partie lésée afin de faire face à deux objets à la fois : punir un délit et le réparer. Les peines pécuniaires présentent certainement cet avantage. Bentham évoque, enfin, ce qui est un thème dominant dans son oeuvre, à savoir l'adhésion populaire. Elle est indispensable dans le choix des peines car c'est l'efficacité qui la requiert : "quand le peuple est dans le parti des lois, les chances du crime pour échapper sont réduites à leur moindre terme"94.
534. Pourquoi doit-il y avoir plusieurs peines ? Pour atteindre le but des peines, il faut avoir le choix car il n'y a point de peines qui réunissent toutes les qualités requises. Le catalogue des peines sera le même que celui des délits car, par sa nature intrinsèque, la peine ne se distingue pas du délit. Elle est un "contre-délit" commis avec l'autorité de la loi95. La multitude des peines n'est-elle pas un signe de cruauté, de sévérité ? Non, soutient Bentham. "Plus on a étudié la nature des délits, celle des motifs, celle des caractères, la diversité des circonstances, plus on sent la nécessité d'employer contre eux des moyens différents". Ce qu'il propose, en fait, c'est un recours différencié aux remèdes pénaux qui assure, dans une stratégie d'économie de la peine, une plus exacte allocation des ressources. "Pour estimer si un code pénal est rigoureux, voyez comment il punit les délits les plus communs, ceux contre la propriété. Les lois ont partout été trop sévères à cet égard parce que les peines étant mal choisies et mal dirigées, on voulait compenser par la grandeur ce qui leur manquait en justesse. Il faut dépenser moins de peines contre les délits qui attaquent les biens afin de pouvoir en dépenser davantage contre les délits qui attaquent la personne... Le mal des délits contre la propriété pourrait se réduire à peu de choses au moyen des caisses d'assurance, tandis que tout l'or de Potosi ne saurait rappeler à la vie une personne assassinée et calmer les terreurs répandues par le crime"96. Bentham évoque ici une préoccupation que l'on retrouve, presque textuellement, dans les arguments invoqués à l'appui de la dépénalisation.
54La conclusion des Principes du code pénal marque la clôture de l'analogie médicale : le résultat est la guérison.
II. Les thèmes de l'utilitarisme dans le droit pénal général
55Dans cette seconde partie, je tenterai de repérer l'effet des positions utilitaristes - ou, plus simplement, ce qui peut être référé aux positions utilitaristes - dans les questions qui relèvent traditionnellement du droit pénal général et auxquelles la majorité des entreprises actuelles de réforme des codes s'attachent en priorité. Une des caractéristiques de l'utilitarisme est précisément, peut-être, d'aborder le règlement de l'ensemble de ces questions, de manière intégrée et cohérente. De manière générale, la pensée utilitaire s'adresse au législateur ; c'est donc surtout au modèle législatif utilitaire que nous nous attacherons. Certes, l'utilitarisme a aussi des implications judiciaires et il concerne la fonction de juger mais celle-ci ne sera pas envisagée ici. E. Pincoffs observe que, dans les limites de son pouvoir de punir, le travail du juge est de le faire de manière telle que seront produits les meilleurs résultats possibles dans les circonstances de l'espèce. Le juge, dans une perspective utilitaire, est un "social engineer" qui tente de maximiser le bien social97. Je ne me situerai pas davantage sur le terrain de la politique criminelle où se marque, le plus souvent, les "lieux communs" de l'utilitarisme.
A. Quelques points de chute de l'utilitarisme dans les législations positives
561. En Europe, quelques année après la publication des Traités de législation civile et pénale et avant que l'influence de Kant ne se fasse sentir dans les sphères officielles, la doctrine de Bentham marque, en partie tout au moins, le code pénal français de 1810, dont les rédacteurs appartiennent à l'école utilitariste98. Jusqu'aux grandes codifications néo-classiques de la fin du 19e siècle (en Allemagne, Italie, Hollande, Belgique, etc.), celui-ci a inspiré de nombreuses législations européennes. Comme l'observent Chauveau et Hélie, la théorie de Bentham "revit toute entière dans ces lignes de Target" : "C'est la nécessité de la peine qui la rend légitime. Qu'un coupable souffre ce n'est pas là le but de la peine, mais que des crimes soient prévenus voilà ce qui est d'une haute importance... La gravité des crimes se mesure donc, non pas tant sur la perversité qu'ils annoncent que sur les dangers qu'ils entraînent. L'efficacité de la peine se mesure moins sur la rigueur que sur la crainte qu'elle inspire"99. Comme déjà dans le code d'instruction criminelle de 1808, l'utilité est la base de l'incrimination et de la sanction, elle consiste en la nécessité de punir confondue avec l'intérêt de la société à la répression du crime. Oeuvre souvent qualifiée de sévère, intimidante, toute entière fondée sur les effets de la représentation, le code pénal de 1810 ne peut cependant être considéré comme la traduction rigoureuse et exclusive des principes de l'utilitarisme : "à côté de ce principe, on voit même surgir parfois une pensée de moralité", observent Chauveau et Hélie, celle-ci intervenant à titre subsidiaire, accessoire, secondaire100. La révision qui aboutit à l'adoption de la loi du 28 avril 1832 sur les circonstances atténuantes, estiment ces auteurs, maintient le code sous l'empire du principe utilitaire mais entraîne comme conséquence, implicitement, l'accession secondaire de ce principe moral qui se manifeste par une plus juste proportion entre les délits et les châtiments101.
57En se faisant l'historien de la prison de Genève, R. Roth croise nécessairement, en Suisse, par l'intermédiaire d'Etienne Dumont, l'influence de Bentham. En 1817, une commission préparatoire est chargée de présenter un projet de code criminel. Dans le premier projet de code pénal pour la République du canton de Genève, déposé en 1821, Dumont laisse entendre qu'il doit beaucoup à Bentham. Un deuxième projet en 1829 porte encore la marque de Dumont. Aucun de ces deux textes n'aboutira et R. Roth attribue ces échecs à un déclin de l'idée d'une codification systématique102.
58On connaît aussi la consultation de Bentham en 1821 au sujet d'un projet de code pénal devant être soumis aux Cortès en Espagne.
59Bentham est sévèrement critiqué par Rossi lequel sera, avec Guizot et Ortolan en France, Mittermaier en Allemagne, l'inspirateur et le principal représentant de l'école néo-classique qui marque le renouveau libéral. La nouvelle doctrine, qui se construit au départ des limites de la justice absolue et de la justice relative, entend concilier le juste et l'utile, la justice morale et l'utilité sociale : le droit de punir trouve son principe dans la justice et la mesure de son exécution dans l'utilité générale. Sans doute désirons-nous une justice absolue mais "l'imperfection de ses moyens d'action vient répandre quelque incertitude sur ce but de la répression. Il ne suffit pas que la justice se proclame une mission ; il faut qu'elle puisse l'accomplir"103. Rossi développe son image des cercles. La justice est renfermée en trois cercles concentriques ; celui de la justice intrinsèque de la punition ; celui du maintien de l'ordre social qui est le but essentiel de la justice humaine ; celui des moyens propres à atteindre utilement ce but par l'action pénale104. En ce qui concerne les fonctions de la peine, l'utilité ne consiste plus uniquement dans l'intimidation mais elle réside aussi dans le reclassement et l'amendement. Des hommes politiques ont connu la prison pendant la monarchie de juillet et la valeur exemplative de la peine, contestée à la lumière du droit comparé, est jugée inutile. Bentham, nous l'avons vu, estimait que la réformation des délinquants pouvait être recherchée pour autant que l'on puisse se la procurer sans nuire "au grand but de 1'exemple"105.
60En Belgique, J.J. Haus qui est un représentant exemplaire, dans notre pays, de la pensée néo-classique et dont l'oeuvre conduit au premier code pénal de 1867, traduit cette même distance par rapport au code de 1810 dont les dispositions sont vue comme des conséquences des principes néfastes qui le sous-tend : "c'est la base sur laquelle repose le code pénal qui est vicieuse. Cette base est d'utilité, la seule utilité ; quant à la justice elle est foulée aux pieds"106.
612. C'est assurément dans le monde anglo-américain et dans les pays de la Commonn Law que l'influence de Bentham est la plus prégnante, notamment, au niveau de deux codifications importantes : d'une part, le code pénal de Louisiane réalisé en 1821 par Livingstone qui suscita beaucoup d'intérêt en Angleterre et qui est souvent cité par les réformateurs107 ; d'autre part, L'Indian Penal Code de Macaulay en 1833.
62Beaucoup plus récemment aux Etats-Unis, le mouvement de codification rassemblé autour des travaux de 1'American Model Penal Code (1956-1962), qui s'inscrit à la fois dans la voie tracée par Sir James P. Stephen en Angleterre et Lord Macaulay en Inde, privilégie une orientation à dominante utilitariste qui s'exprime dans les nombreux écrits de H. Wechsler, rapporteur en chef108. C'est dans la mouvance de ce projet de codification, qui participe à un mouvement de réforme complète et de rationalisation du droit pénal, que s'est développée la doctrine pénale représentée par des auteurs comme H. Packer et F. Allen qui, dans le courant des années 1960, ont engagé une discussion systématique et intégrée des thèmes essentiels du droit substantif, dans une perspective qui est largement imprégnée de l'utilitarisme. "In both substance and method, the shade I invoque are those of Bentham and Mil1". C'est, en partie tout au moins, dans les travaux de ces auteurs que l'on trouve un certain cadre de référence théorique au thème de la dépénalisation et de la décriminalisation109. Chez H. Packer, la démarche est particulièrement lisible dans le cadre du raisonnement suivant. La punition est un mal, une forme nécessaire mais lamentable de contrôle social. A cet égard, les théories utilitaires de la peine sont les plus adéquates en ce qu'elles constituent un point de départ satisfaisant pour une rationalité intégrée de la sanction pénale ; elles fournissent à la fois une justification acceptable pour punir et une base pour déterminer quelles conduites et quelles personnes doivent faire l'objet de la sanction pénale. Par ailleurs, en développant la notion d'alternative à la peine, le système pénal peut mieux se concentrer sur les objectifs des mesures pénales elles-mêmes. En 1967, le rapport "The Challenge of Crime in a free Society" de la President's Commission of Law Enforcement and Administration of Justice apporte un appui certain au développement d'une problématique de cet ordre. Observant que la source majeure de la crise de la justice pénale aux Etats-Unis réside dans la surcriminalisation (overcriminalisation), la commission pose très clairement le problème des usages de la sanction (il y a des usages appropriés et non appropriés de celle-ci, d'où il importe de dégager l'usage optimal), du coût du système de justice pénale (lequel suggère la question des priorités et des stratégies rationnelles) et des limites morales et opérationnelles du droit pénal110. H. Packer rappelle que le seul auteur qui ait examiné cette question des limites est précisément Bentham.
63B. Quelles sont ce que l'on pourrait appeler les positions types de l'utilitarisme dans les questions qui constituent, communément, les axes du droit pénal général ?
641) La loi pénale. De manière générale chez Bentham, la sanction est un élément historiquement essentiel de la définition de la loi, "prescription officielle à laquelle les, membres d'un corps social ont l'obligation de se conformer sous peine d'encourir une sanction". Le système pénal fait donc partie intégrante de la définition de ce qu'est une loi. Quant au fondement de la loi, nous l'avons vu, elle ne peut être recherchée ni dans le précepte divin, ni dans la loi naturelle et morale, qui ne peuvent engendrer des normes juridiques, ni dans la fiction consensualiste. Les lois sont, fondamentalement, des ordres, des interdictions ou des permissions produits de la volonté humaine111 Quant au statut particulier de la loi pénale, certains auteurs estiment que, chez Bentham, la loi pénale est de l'ordre de la prévention générale, à côté de la législation sociale qui serait, quant à elle, de l'ordre de la prophylaxie générale. Enfin, Bentham est un légaliste convaincu, hostile à l'interprétation judiciaire.
652) L'infraction. Le crime n'est pas un donné - un "objet de la nature dont la réalité est constatée de façon universelle et invariante" - mais un construit, "résultat historique de l'application d'un processus institutionnel de criminalisation d'un comportement et qui n'a pas d'existence indépendante des formes particulières et transitoires de la réaction sociale" 112 Bentham ne s'est certainement pas engagé dans une analyse de criminalisation primaire, s'attachant à l'étude des processus sociaux conduisant à fixer par voie législative les actes criminels et les conditions de leur répression, ni dans une analyse de criminalisation secondaire (la normativité pénale à travers le fonctionnement du système de justice pénale). En commentant la classification des infractions chez Bentham, Rossi observe très justement les limites de l'instrument analytique utilisé par celui-ci pour déterminer les dangers des actes pénaux, limites résultant de l'absence de prise en considération des facteurs sociaux et politiques. "Une exacte application de cet instrument à chaque espèce de délits pour en apprécier le mal relatif, n'est possible qu'à l'aide d'une parfaite connaissance de l'état social. Toute application faite de manière abstraite sera nécessairement fautive. Qui vous révélera la force du mal du troisième ordre produit par tel ou tel délit si ce n'est l'histoire nationale... Elle seule a le droit de résoudre la question"113. En revanche, Bentham a très clairement posé, même si c'est en termes réducteurs, la question de la définition du délit et des critères de l'incrimination. Pourquoi certaines formes d'actions sont-elles interdites par la loi ? Quel acte ou quel comportement rendre criminel ? Dans la logique de l'utilitarisme, c'est la nécessité de la peine qui est la règle des incriminations du code pénal114.
66Pareille position contient en elle-même, ses propres limitations. D'un côté, s'il appartient au législateur - et c'est, d'ailleurs, sa responsabilité principale - de décider quels actes doivent être encouragés ou découragés pour l'intérêt du bien public, le critère de l'acte délictueux posé par Bentham, comme avant lui par Beccaria, est le dommage causé à l'individu et à la collectivité (harm to others). Non point l'intention de l'auteur ni la gravité de la faute mais le dommage causé, le danger qui en résulte, l'alarme répandue. Cette conception objective de l'infraction sert principalement à exclure du catalogue des crimes et des délits ceux d'entre eux dont le préjudice concerne seulement l'auteur de l'acte. Ainsi, par exemple, les délits réflectifs. Par ailleurs, il existe des seuils en deçà desquels on ne peut descendre, quelle que désirable que soit la fin, si l'on veut être concerné par le bonheur de tous. Dès lors, et ce second aspect est inséparable du premier, la question même de l'incrimination contient aussi la question des limites du pénal. Avant de choisir de situer une conduite dans le champ pénal, le législateur rationnel doit envisager les critères limitatifs et évaluer les gains et les pertes de la criminalisation.
673. La responsabilité (mens rea). Selon L. Radzinowicz, l'édition de Dumont serait très lacunaire sur ce point alors que, dans la version originale des manuscrits de Bentham, les règles qui déterminent la responsabilité pénale sont analysées en détail : prévision, intention, motif, etc...115. Sur des fondements donc relativement incomplets, nous nous bornerons à pointer une double dimension. L'utilitarisme s'inscrit dans un mouvement de laïcisation du droit : le préalable métaphysique du libre-arbitre, comme condition et mesure de la responsabilité pénale, sera effacé au profit d'une "logique de la volonté"116. Il s'ensuit que les notions de dol et de faute n'ont pas de plage dans le jugement pénal qui se fonde, non sur l'intention de l'auteur, mais sur le dommage volontaire porté à la collectivité. A cet égard, toute augmentation du nombre des conditions requises pour établir la responsabilité pénale augmente la possibilité de tromper le juge par l'affirmation qu'une telle condition n'est pas, en l'espèce, réalisée. Dans cette même logique, les utilitaristes préconisent la possibilité d'une responsabilité stricte. Les infractions qui se bornent à interdire la réalisation ou la non réalisation d'un acte sans se préoccuper de l'établissement d'une quelconque intentionnalité ou responsabilité, constituent des moyens préventifs puissants. En outre, sur le terrain de la preuve, elle permettent une poursuite plus aisée. Les "public welfare offenses" en sont un exemple certain. L'objection à ce type de législation est formulée par les utilitaristes eux-mêmes qui proposent des facteurs limitatifs. D'une part, les peines doivent être réservées aux comportements volontaires, c'est-à-dire à ceux qui ont volontairement causé un préjudice à autrui, pareille exigence ne constituant pas le but de la peine mais une condition sans laquelle celui-ci ne pourrait être atteint117. D'autre part, la responsabilité stricte doit être utilisée avec modération car elle est susceptible d'affaiblir le respect dû aux lois et dès lors l'efficacité de la sanction.
684. La peine. Il importe, en cette matière, d'être attentif à la distinction des niveaux : celui de la justification et des raisons de la peine ; celui des objectifs et des buts de celle-ci ; enfin, celui de la distribution des sanctions. Quelles sont, sur ces questions, les positions de base de l'utilitarisme ? La peine, qui trouve son fondement dans son utilité, s'inscrit dans une stratégie d'ensemble qui vise au maintien de l'ordre. A partir de là, les peines peuvent prendre différentes formes, poursuivre différents objectifs118, leur dénominateur commun étant leur efficacité. C'est à ce titre que les peines sont tournées vers l'avenir : leur rôle est d'empêcher que le crime ne se répète. La prévention générale cherche à agir sur le comportement des membres de la société et le critère de la réussite se mesure au taux de la criminalité. Il faut cependant rappeler que l'effet dissuasif de la loi pénale est loin, dans une perspective utilitaire, de se réduire à celui de la peine. La prévention spéciale peut à son tour prendre différentes formes : l'intimidation qui entend lutter contre la récidive par la menace et la crainte et dont le critère de réussite sera, bien sûr, le taux de récidive ; la réhabilitation par l'amendement et la réforme du délinquant, susceptible d'assurer à long terme la protection de la société ; la neutralisation, fondée sur un jugement de prédiction des comportements dangereux des individus. La distribution des peines, enfin, est, comme J.P. Brodeur le souligne très justement, la tâche juridique à la fois la plus difficile, la plus centrale et la plus souvent oubliée119. Sur ce point, les utilitaristes rencontrent sans doute les plus grandes difficultés. C'est surtout dans le règlement de cette question que l'on observe les amalgames évoqués entre les positions rétributives et utilitaristes. En effet, comme il est difficile de défendre une position utilitaire qui fonderait la distribution des peines sur l'objectif de la prévention générale - c'est l'argument de la peine appliquée à un innocent que l'on sacrifierait à la tranquillité publique120 -, les positions rétributives (qui sont d'un intérêt médiocre pour résoudre, dans le cadre de l'argument rétributif lui-même, la question du "comment punir") sont utilisées, par les utilitaristes eux-mêmes, comme principes limitatifs121. Ainsi, les utilitaristes évoquent les principes de modération et de justice, à travers notamment les mitigating circumstances (telles que les circonstances atténuantes ou les excuses) ainsi que la question, fondamentale, de la proportionnalité entre la gravité de l'acte et la gravité de la peine. La position utilitariste en vertu de laquelle la peine doit être mesurée par l'élément objectif du délit (le mal matériel), et non point par l'élément subjectif du mal moral que ce délit constitue et représente, contient sa propre limitation dans la mesure où la peine doit être économique et ne peut avoir que le degré de sévérité requis pour atteindre son but. Quant on évalue le gain de la peine, il faut en soustraire la perte. S'il faut protéger la société, on doit calculer la peine de manière à ce qu'elle assure cette fonction. Toute sévérité supplémentaire devient abus de pouvoir. La justice de la peine est dans son économie.
69Evoquant l'apport des penseurs utilitaires du 19e siècle aux problèmes de la pénalité, J.P. Brodeur propose une analyse que je livre en forme de point d'interrogation aux spécialistes de la pénologie. "Plus soucieux de bonheur tangible que de morale interpersonnelle, ceux-ci ne poussèrent pas leur réflexion au-delà de la formulation d'objectifs aptes à transformer l'imposition des peines en une pratique socialement rentable. La pénologie s'est dans une large mesure contentée de profiter de l'usufruit de l'héritage conceptuel de l'utilitarisme sans faire d'ajout substantiel au capital d'idées initiales"122.
705. Le rôle du droit pénal. Depuis Bentham, analyse Michel Foucault, les réformateurs ont cherché à définir le crime et la nécessité de la punition à partir du seul intérêt de la société, du seul besoin de la protéger123. Par ailleurs, le législateur doit s'orienter vers le maintien de l'ordre existant car les bouleversements sont négatifs pour la tranquillité et la sécurité des plaisirs124. "S'il existe un intérêt commun dans les sociétés nationales, observe E. Dumont, l'art du législateur consiste à le rendre dominant par l'emploi des peines et des récompenses"125. De ces prémisses résulte un ensemble de conséquences. La fonction du droit pénal est d'assurer la sécurité, condition première de l'utilité et du bonheur. Le mal de l'alarme le montre bien : le plaisir requiert la sécurité. A cet égard, le droit pénal est central dans l'organisation politique. D'un autre côté, puisque la peine ne dérive pas de la faute mais du tort causé à la société et du danger qu'elle lui fait courir, plus la société sera faible, plus il faudra la prévenir. Cette observation suggère non pas un modèle universel de droit pénal mais un modèle relatif. Enfin, ordonné et administré dans l'intérêt et pour le bien-être de la société politique, le droit pénal, dans une vision utilitariste, est aussi un droit maximal.
Conclusions
71Dans l'état actuel des choses, je voudrais me borner à formuler quelques observations destinées, au départ de l'analyse des principes du code pénal de Bentham, à attirer l'attention sur des questions critiques.
721. M. Foucault a bien montré que ni Beccaria, ni Bentham n'avaient en définitive, chercher à élaborer quoique ce soit de l'ordre de la connaissance du sujet. Au 19e siècle, les crimes sans raison ont constitué la butée de l'application de la nouvelle rationalité pénale, dans la mesure où ils invalident assez radicalement le raisonnement au terme duquel la punition doit être telle que le criminel n'a plus intérêt à commettre le crime. Dans le crime sans raison, en effet, le crime n'est plus le résultat d'un calcul d'intérêt. C'est à partir de là que le déplacement s'opère vers le sujet criminel lui-même, le sujet substantiellement criminel. La doctrine de la responsabilité traduit cette évolution. La responsabilité tiendra, d'abord, à la raison du sujet (principe du libre arbitre), puis à sa volonté. C'est ce que propose Bentham. Plus tard, dans la défense sociale, elle tiendra aux risques que l'individu fait courir à la société.
732. Dans le sillage de l'orientation utilitariste qui se situe dans la perspective "servir à", "efficacité dans", se glisse imperceptiblement l'idée que le droit pénal est un moyen de lutte contre la criminalité. On trouve, dans les écrits de Bentham, des thèmes qui seront dominants dans le mouvement de la défense sociale à la fin du 19e siècle et qui induisent cette illusion, singulièrement persistante, que le droit pénal éradiquera toute forme de délinquance. Ainsi, par exemple, le thème de l'épidémie et de la guerre, de la maladie et de l'ennemi commun contre lesquels il importe de combattre par une stratégie appropriée. "C'est ainsi qu'un législateur prévoyant, semblable à un habile général, va reconnaître tous les postes extérieurs de l'ennemi, afin de l'arrêter dans ses entreprises. Il place dans tous les défilés, dans tous les détours de la route, une chaîne d'ouvrages diversifiés selon la circonstance, mais liés entre eux, en sorte que son ennemi trouve à chaque pas de nouveaux dangers et de nouveaux obstacles"126. L'effet de pareille position, qui réduit l'utilitarisme à un rapport de moyens à fin, tend à obscurcir la dimension politique fondamentale du droit pénal : assurer le contrôle des pouvoirs de l'Etat. Une des fonctions des principes généraux du droit pénal, comprenant, entre autres, les règles de la légalité des délits et des peines, de la non-rétroactivité et de l'interprétation stricte de la loi, de la certitude et de l'égalité de la peine etc., est en effet, en principe, de constituer des limites à l'emprise du pénal. Par ailleurs, ce surinvestissement du droit pénal comme moyen de lutte contre la délinquance, outre qu'il néglige le recours à d'autres mécanismes sociaux formels ou informels, légaux ou non légaux, ne peut qu'entraîner la désillusion, laquelle, à son tour, suggère le retour à des objectifs sûrs, notamment la rétribution.
743. P. Robert montre que Durkheim est sans doute celui qui a tracé·la voie pour dépasser la manière utilitariste de poser le problème. Durkheim marque très nettement la rupture parce qu'il reprend les termes mêmes de Bentham. "Si le crime est une maladie, la peine en est le remède et ne peut être conçue autrement ; aussi toutes les discussions qu'elle soulève, portent-elles sur le point de savoir ce qu'elle doit être pour remplir son rôle de remède. Mais si le crime n'a rien de morbide, la peine ne saurait avoir pour objet de la guérir et sa vraie fonction doit être recherchée ailleurs"127. C'est l'hypothèse de la normalité du crime - le crime nécessaire comme lié aux conditions fondamentales de toute vie sociale et, par là même, utile.
Notes de bas de page
1 E. HALEVY, La formation du radicalisme philosophique. 1. La jeunesse de Bentham, Paris, ALcan, 1901, p. 129.
2 P. PONCELA, Par la peine, dissuader ou rétribuer, in Archives de philosophie du droit, 1981, pp. 59-71 ; P. PONCELA, Eclipses et réapparitions de la rétribution en droit pénal, in Rétribution et justice pénale, Paris, P.U.F., 1983, pp. 11-18. Cette ligne de partage est accentuée dans les pays anglo-américains par le fait que la théorie de la peine fait partie intégrante et est un thème dominant de la philosophie morale et politique. Voy. S.A. LAZARIDIS, La rétribution dans la philosophie pénale anglo-saxonne d'aujourd'hui, in Archives de philosophie du droit, 1983, pp. 91-107.
3 Voy. D.B. YOUNG, C. Beccaria : utilitarian or retributivist, in Journal of Criminal Justice, 1983, pp. 317-326.
4 On en observe une illustration assez nette au Canada dans le Projet de loi C-19 de 1984 modifiant le code criminel et le droit pénal : "(1) Le prononcé des peines a pour objectif essentiel de protéger la société, notamment par les moyens suivants a) favoriser le respect de la loi par le prononcé des peines justes... (3) Le tribunal· exerce sa discrétion compte tenu de l'objectif mentionné au paragraphe (1)... conformément aux principes suivants : a) la peine est proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du contrevenant..." (art. 645). Par ce projet dont l'orientation utilitariste est soulignée par les commentateurs, le gouvernement entendait rejeter les propositions de la Commission de réforme du droit pour laquelle la dissuasion et la réhabilitation ne pouvaient être assignées comme objectif au droit paial (voy. Notre droit pénal, 1976).
5 Ph. ROBERT, La question pénale, Genève, Droz, 1984, p. 190.
6 Voy. J. P. BRODEUR, Provocations, in Politiques et pratiques pénales, Criminologie, numéro spécial, 1985, vol. XIX, no 1, p. 142. Ce mate thème du retour transparaît à travers l'objectif du colloque tenu à Paris en 1981 dont est issu l'ouvrage Rétribution et justice pénale. Comme le souligne M. VILLEY dans la préface, il s'agit de mettre en question la philosophie utilitariste, qui semble avoir été la philosophie dominante du droit pénal, en la confrontant "à la vieille notion de justice dite distributive" (op. cit. (2), p. 1).
7 J.P. BRODEUR et P. LANDREVILLE, Finalités du système de l'administration de la justice pénale et planification des politiques, in Univ. de Montréal, Les Cahiers de l'Ecole de Criminologie, no 2, 1979. C'est dans une perspective de cet ordre - c'est-à-dire un retournement des perspectives - que l'on peut situer et comprendre le sens de la démarche de Ch. DEBUYST dans Modèle éthologique et criminologie, Bruxelles, Mardaga, 1985.
8 La difficulté majeure des travaux de révision du code pénal en chantier en Belgique depuis dix ans, que l'on perçoit à travers les deux étapes successives (le Rapport de 1979 de la Commission de révision et l'Avant-projet de code pénal du Commissaire Royal en 1986), me semble précisément de sortir de l'impasse des paradigmes existants qui marquent les présupposés de départ du droit pénal et à partir desquels se constitue sa logique propre : mode de rattachement axé sur la défense et représentation d'individus coupables ou d'individus dangereux.
9 Voy., par exemple, P. PONCELA, L'empreinte de l'utilitarisme sur le droit pénal français, in M. ANQUETIL et al., La peine, quel avenir ?, Paris, Cerf, 1983, pp. 12 et sv.
10 Il s'agit simplement de retracer les "retombées" générales de la théorie utilitaire en droit pénal et non pas de montrer, dans le domaine pénal, l'application de la philosophie utilitariste. Ceci impliquerait, notamment, d'entrer dans le débat entre les utilitaristes eux-mêmes sur la philosophie et l'éthique générale de l'utilitarisme, ce que je n'ai ni les moyens ni la compétence de réaliser.
11 Je ne m'attacherai certainement pas à présenter Bentham comme "criminologue"... Voy. H. MANNHEIM, (éd), Pionneers in Criminology, Monclair, N.J., Patterson Smith, 1973, pp. 51-69
12 Fr. TULKENS, Un chapitre de l'histoire des réformateurs. A. Prins et la défense sociale, in A. PRINS, La défense sociale et les transformations du droit pénal (1910), reprint Genève, 1986, Introduction.
13 Fr. TULKENS, La réforme du code pénal. Question critique, in Déviance et Société, 1983, pp. 197-218 ; Fr. TULKENS, La réforme du code pénal : vers quelle stratégie de changement ?, (..) in Punir, mon beau souci. Pour une raison pénale, sous la direction de F. Ringelheim, Bruxelles, 1984, pp. 380-403.
14 P. PONCELA, Eclipses et réapparitions de la rétribution en droit pénal, op. cit., (2), p. 18.
15 J. BENTHAM, Le panoptique précédé d'un entretien avec M. FOUCAULT et suivi d'une postface de M. PERROT, Paris, Belfond, 1977.
16 M. PERROT, L'impossible prison. Recherches sur le système pénitentiaire au XIXe, Paris, Seuil, 1980 ; R. ROTH, Pratiques pénitentiaires et théorie sociale. L'exemple de la prison de Genève (1825-1862), Genève-Paris, Droz, 1981.
17 R. ROTH, ibid., pp. 27 et 129.
18 La traduction française de Rationale of Judicial Evidence specially applied to English practice, publiée en 1823 par E. DUMONT (Traité des preuves judiciaires) étant destinée à des lecteurs continentaux, omet malheureusement les références au système anglais.
19 L. RADZINOWICZ, A History of English Criminal Law, vol. 1. The movement for Reform, London, Stevens, 1948, pp. 364-367. D'après cet auteur, J.S. Mill estimait que dans les lois de procédure Bentham avait atteint "la plus grande perfection".
20 H.L.A. HART, La démystification du droit, supra.
21 Oeuvres de J. BENTHAM, jurisconsulte anglais, Bruxelles, L. Hauman et Cie, 1829, vol. 1, Traités de législation civile et pénale (576 p.).
22 Oeuvres de J. BENTHAM, jurisconsulte anglais, Bruxelles, L. Hauman et Cie, 1829, vol. 2, Théorie des peines et des récompenses, (476 p.), Théorie des peines légales, pp. 1-113.
23 E. DUMONT, Discours préliminaire, op. cit. (21), p. 1.
24 P. PONCELA, L'empreinte de la philosophie utilitariste sur le droit pénal français, op. cit. (2), pp. 52-55.
25 Ainsi, par exemple, les prisons qui se distinguent par la couleur de leurs murs, la prison noire devant inspirer l'effroi le plus grand car tout réside dans l'idée de représentation. J. BENTHAM, Théorie des peines légales, op. cit. (22), p. 41.
26 R. ROTH, op. cit. (16), p. 98.
27 P. PONCELA, Eclipses et réapparition de la rétribution en droit pénal, op. cit. (2), p. 12.
28 R. ROTH, ibid., p. 129.
29 L. RADZINOWICZ, op. cit. (19), p. 360.
30 Ph. ROBERT, op. cit. (4), p. 173.
31 W. BLACKSTONE, Commentaries on the Law of England, (1765-1769).
32 L. RADZINOWICZ, op. cit. (19), p. 248 sv.
33 Si c'est Beccaria qui a attiré son attention sur le principe du plus grand bonheur du plus grand nombre, Bentham aurait systématisé ces principes énoncés par Beccaria, d'une part, en apportant des correctifs à un "accès d'humanitarisme qui risquait de fausser la rigueur du calcul" et, d'autre part, en développant les applications auxquelles ces principes pouvaient conduire. Voy. E. GRIFFIN-COLLART, Egalité et justice dans l'utilitarisme : Bentham, J.S. Mill, Sidgwick, Bruxelles, Bruylant, 1974, pp. 40-63.
34 Cité par E. DUMONT, Discours préliminaire, op. cit. (21), p. 5.
35 R. ROTH, op. cit. (16), p. 126.
36 J. BENTHAM, Traité de législation civile et pénale, op. cit. (21), Principes du Code pénal, p. 125.
37 J. BENTHAM, Traité de législation civile et pénale, op. cit. (21), Vue générale d'un corps complet de législation, p. 314.
38 J. BENTHAM, ibid., Principes de législation, p. 21.
39 Ibid., pp. 19 à 29.
40 Ibid., pp. 29-30.
41 Ibid., p. 30. Voy. sur ce point E. GRIFFIN-COLIART, op. cit. (33), p. 43.
42 Ibid., p. 32.
43 Ibid., p. 32.
44 Ibid., pp. 32-34.
45 Ibid., pp. 34-35.
46 Ibid., pp. 37-38. Je n'aborde pas davantage cette question que M. van de Kerchove développe dans sa contribution sous l'aspect de la dépénalisation.
47 Ibid., pp. 42-43.
48 J. BENTHAM, Théorie des peines légales, op. cit. (22), p. 3.
49 "Quels sont les rapports du pénal et du civil ? "Il règne entre ces deux brandies de la jurisprudence une liaison des plus intimes : elles se pénètrent dans tous les points. Tous ces mots : droits, obligations, services, délits qui entrent nécessairement dans les lois civiles, se présentent de même dans les lois pénales, mis en envisageant les objets sous deux points de vue, on s'est fait deux langues différentes. Obligations, droits, services, voilà le langage du code civil. Injonction, prohibition, délits, voilà le langage du code pénal. Connaître le rapport d'un code avec l'autre, c'est savoir traduire l'une et l'autre de ces deux langues". J. BENTHAM, Traité de législation civile et pénale, op. cit. (21), Vue générale d'un corps complet de législation, p. 311.
50 J. BENTHAM, Traité de législation civile et pénale, op. cit. (21), Principes du code pénal, pp. 125 à 240. Les références ultérieures à ce texte se borneront à indiquer Principes du code pénal.
51 Dans la Vue générale d'un corps complet de législation, figure m palan de code pénal (avec ses Titres et ses subdivisions) qui reprend, en les situant dans leur "milieu naturel", les Principes du code pénal que nous analysons ici. Op. cit. (49), pp. 314-330.
52 BENTHAM, Principes du code pénal, pp. 125-126.
53 D'après J.S. Mill la classification serait beaucoup plus importante dans la rédaction de Dumont que dans l'oeuvre originale de Bentham. Voy. L. RADZINOWICZ, op. cit. (19), pp. 370-371, notes 45 et 46, qui évoque, en outre, les nombreuses critiques de la littérature anglaise sur cette question de la classification des délits.
54 Principes du code pénal, p. 125.
55 Vue générale d'un corps complet de législation, p. 326.
56 Principes du code pénal, pp. 126-127.
57 Ibid., p. 128.
58 Vue générale d'un corps complet de législation, pp. 324-325
59 M. EL. SHAKANKIRI, La philosophie juridique de J. Bentham, Paris, L.G.D.J., 1970, p. 346.
60 Principes du code pénal, p. 129.
61 Principes du code pénal, pp. 130-139.
62 Ibid., pp. 139-140.
63 Ibid., pp. 141-142.
64 Ibid., p. 143.
65 "Le législateur considérant l'instrument normatif comme un tout indissociable joue sur le double registre des peines et des récompenses", R. ROTH, op. cit. (16), p. 99, note 2.
66 Principes du code pénal, p. 144. Cf. Fr. TULKENS, L'apport du droit pénal comparé à une interrogation sur l'avenir de la probation, in Rev, dr. pén. crim., 1983, p. 825.
67 Principes du code pénal, pp. 186-240.
68 Ibid., pp. 186-187.
69 Ibid., p. 188.
70 Ibid., pp. 190-192.
71 Voy. J. GILIARDIN, L'intervention du juge dans le conflit conjugal, in Fonction de juger et pouvoir judiciaire. Transformations et déplacements, sous la direction de P. GERARD, F. OST, et M. van de KERCHOVE, Bruxelles, F.U.S.L., 1983, Chap. I, L'amour et la République, pp. 203 et ss.
72 Ibid., p. 206.
73 Commission pour la révision du code pénal, Rapport sur les principales orientations de la réforme, 1976, p. 86 ; R. LEGROS, Avant-projet de code pénal, 1985, p. 19, article 58.
74 Ibid., p. 220. Tant dans le Rapport de 1979 de la Commission que dans l'Avant-projet de code pénal de 1986, il est proposé de prévoir une peine identique pour l'infraction tentée et l'infraction manquée (ainsi que pour l'auteur et les complices) afin de rendre compte de la dangerosité de l'individu (ibid., p. 86 et p. 141.)
75 Sur l'ensemble de ces moyens généraux, ibid., pp. 231-239.
76 Ibid., p. 230.
77 Ibid., pp. 145-147.
78 Ibid., p. 148.
79 Ibid., p. 149.
80 Ibid., p. 152.
81 Ibid., p. 167. Bentham est expressément invoqué actuellement pour fonder des régimes d'indemnisation publique des victimes d'infraction. Voy. A. NORMANDEAU, Compensation de l'Etat aux victimes de la criminalité in Rev, int. crim. pol. tech., 1967, p. 184.
82 Ibid., p. 161.
83 Ibid., p. 164.
84 Ibid., p. 143.
85 Théorie des peines légales, pp. 4-5.
86 Commission pour la révision du code pénal, op. cit., (73), p. 28.
87 Théorie des peines légales, pp. 5-6.
88 Principes du code pénal, pp. 169-170.
89 Ibid., pp. 170-171. Cette question est reprise et plus largement développée dans la Théorie des peines légales, op. cit. (22), pp. 7-9.
90 Ibid., pp. 173-174.
91 Voy. aussi les développements dans la Théorie des peines légales, op. cit. (21), pp. 10-14.
92 Ibid., ρρ. 176-177.
93 Ibid., pp. 177-178.
94 Ibid., p. 178.
95 Ibid., p. 179.
96 Sur l'ensemble des moyens généraux, ibid., pp. 221 à 239.
97 E. PINCOFFS, The Rationale of Legal Punishment, London, 1966, p. 82.
98 R. GARRAUD, Traité théorique et pratique de droit pénal français, Paris, 1913, vol. 12, pp. 165-166, note (6) : les doctrines pénales de Benthan sont "au fond des dispositions du code de 1810".
99 Rapport de Target au Conseil d'Etat, cité par LOCRE, Législation civile, commerciale et criminelle de la France, t. XXIX, Paris, 1832, p. 8 ; A. CHAUVEAU et F. HELIE, Théorie du code pénal, Bruxelles, 1845, t. 1, p. 9, no 22.
100 ibid., p. 9 no 23. "Il est vrai que ce principe (de moralité) fléchit et s'efface toutes les fois que les besoins réels ou prétendus de la société sont mis en avant ; le législateur est préoccupé des périls de l'ordre social, il ne s'attache que secondairement à peser la valeur intrinsèque des actes qu'il frappe de ses peines". Voy. aussi H. DONNEDIEU de VABRES, Traité de droit criminel et de législation pénale comparée, Paris, 1947, p. 27 no 48.
101 Ibid., p. 10, no 31.
102 R. ROTH, op. cit. (16), p. 111.
103 Voy. A. CHAUVEAU et F. HELIE, op. cit. (99), p. 34, no 96.
104 P. ROSSI, Traité de droit pénal, Bruxelles, 1829, p. 95.
105 J. BENTHAM, op. cit. (21), p. 177.
106 J.J. HAUS, Principes du code pénal belge, Bruxelles, 1869, p. 18, no 1 ; voy. aussi le Rapport fait au nom de la Commission du gouvernement par J.J. HAUS, in J.G. NYPELS, Législation criminelle de la Belgique, p. 18. C'est sans doute en raison de la place dominante de J.J. Haus dans le code pénal de 1867 (toujours en vigueur en Belgique) que peu de traces directes de Bentham se retrouvent dans notre législation.
107 L. RADZINOWICZ, op. cit. (19), p. 358 et les références citées notamment MOORE, The Livingstone Code, in 19 Journal of Criminal Law and Criminology, 1928, pp. 344 et ss.
108 American Law Institute, Model Penal Code, Proposed Official Draft 1962 ; Tentative Craft 1953-1962. Voy. H. WECHSLER, The Challenge of a Model Penal Code, in 65 Harvard Law Review 1097 (1952) ; J. MICHAEL et H. WECHSLER, Criminal Law and its administration, Chicago, 1940, pp. 10 et ss. Je me borne ici à des références sommaires car, dans une prochaine étude, j'examinerai les travaux du Model Penal Code.
109 H. PACKER, The Limits of the Criminal Sanction, Stanford, 1968 ; F. ALLEN, The Borderland of Criminal Justice, Chicago, 1964.
110 president's Commission on Law Enforcement and Administration of Justice, The Challenge of Crime in a free Society, Washington, D.C., 1967.
111 J. BENTHAM, Traités de Législation civile et pénale, Principes de législation, op. cit. (21), p. 43.
112 J.p. BRODEUR, Provocations, op. cit. (6), p. 146. "Crime is a socio-political artefact not a natural phenomenon", H. PACKER, op. cit (109), p. 364.
113 P. ROSSI, op. cit. (104), p. 83.
114 A. CHAUVEAU et F. HELIE, op. cit. (99), p. 9, no 22.
115 L. RADZINOWICZ, op. cit. (12), p. 374. Voy. J. TURNER, The mental element in crime, Cambridge, 1945.
116 J.M. VARAUT, L'utilitarisme de Jeremy Benthan, prémisse et mesure de la justice penale, in Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 1982, pp. 262-270.
117 H.L.A. HART, Prolegomenon to the principles of responsibility in H.L.A. HART, Punishment and responsibility, New York, 1968, p. 22.
118 Pour l'ensemble de cette analyse, nous nous fondons très largement sur J. P. BRODEUR et P. LANDREVILLE, op. cit. (7).
119 J.P. BRODEUR, op. cit. (6), p. 167.
120 J. SOUSA E BRITO, Droits et utilité chez Bentham in Archives de philosophie du droit, 1981, p. 115. Voy. J. HALL, General Principles of criminal Law, 1960, p. 427 et G. WILLIAMS, Criminal Law. General Part, 1960, p. 740 qui évoquent le cas de l'exécution d'un innocent pour éviter la violence généralisée.
121 H.L.A. HART, Prolegomenon to the Principles of Punishment, in op. cit. (117), p. 9 : "It does not in the least follow from the admission of the latter principle of retribution in distribution that the general· justifying aim of punishment is retribution though of course retribution in general· aim entails retribution in distribution".
122 J.P. BRODEUR, op. cit. (5), p. 166.
123 A. KREMER-MARIETTI, Michel Foucault, Paris, 1974, p. 211.
124 P. PONCELA, op. cit. (2), p. 53.
125 E. DUMONT, Discours préliminaire, op. cit. (16), p. 6.
126 J. BENTHAM, Principes du code pénal, op. cit, (21), p. 219.
127 Ph. ROBERT, op. cit. (4), p. 182 et la référence à E. DURKHEIM, Les règles de la méthode sociologique, éd. 1960, p. 72.
Auteur
Professeur à l'Université catholique de Louvain
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