Droit et pouvoir dans la pensée de J. Bentham
p. 119-161
Texte intégral
1L'on sait qu'en dépit des règles juridiques en vigueur à son époque, règles qui prévoyaient que seuls les corps des suppliciés pouvaient être livrés à la science, Bentham avait formé le vœu qu'au lendemain de son décès, son corps fasse l'objet d'une dissection. Ainsi, bravant des règles juridiques désuètes et les préjugés de son temps, Bentham voulut que son corps même serve à l'application et à l'illustration d'un principe supérieur, le principe d'utilité, qui requiert d'encourager la culture des sciences, culture favorable au bonheur de la société.
2Tendant à faire du corps du Maître le lieu d'application et de manifestation de la Loi, ce vœu, qui fut exaucé par ses disciples, révèle que Bentham était soucieux de mettre tout en œuvre pour assurer l'application du principe d'utilité. Ce désir fait irrésistiblement songer a ce héros de Kafka, l'officier de la Colonie pénitentiaire, qui soumet son propre corps au jeu d'une machine précise et raffinée qui, en épargnant toute violence inutile au condamné, exécute celui-ci en gravant dans sa chair le texte de la Loi transgressée. Ainsi, le vœu de Bentham et l'œuvre de Kafka évoquent la loi et ses incarnations, la loi et le désir de soumission dont elle est l'objet, la loi et les instruments qui assurent son application totale.
3Or, si, au-delà de l'anecdote, l'on étudie la pensée de Bentham, l'on peut y découvrir une théorie de la loi et de sa mise en œuvre, ainsi qu'une théorie du pouvoir politique et des instruments qui lui permettent de réaliser ses desseins, instruments parmi lesquels la loi occupe précisément une position centrale. C'est à cette théorie du pouvoir politique et de ses instruments que nous voudrions consacrer cet exposé. En effet, cette théorie a suscité des jugements plus ou moins incisifs qui autorisent à penser que son examen n'est pas dépourvu d'intérêt. Ainsi, concluant l'examen des principes de droit constitutionnel adoptés par Bentham, Elie Halévy déclarait dans son célèbre ouvrage sur la formation du radicalisme philosophique : "L'Etat, tel qu'il est conçu par Bentham, est une machine si bien construite que chaque individu, pris individuellement, ne peut échapper, ne fut-ce qu'un seul instant, au contrôle exercé par tous les individus, pris collectivement"1. Plus récemment, l'aptitude de Bentham à concevoir des institutions aussi fascinantes que le Panoptique, cette prison modèle permettant d'amener les individus a se comporter de la manière désirée en exerçant sur eux une surveillance constante, a conduit Michel Foucault à voir en lui le "Fourier d'une société policière"2. L'étude des conceptions de Bentham sur le pouvoir politique et, plus particulièrement, sur les instruments de gouvernement dont dispose ce pouvoir, doit permettre d'apprécier la pertinence de ces jugements et de répondre à la question posée par Madame Griffin-Collart : "Faut-il voir dans l'État tel que le concevait Bentham une utopie utilitariste,..., où l'autorité règne par la manipulation habile mais délibérée des pulsions, du désir et de la peur ?"3.
4Cependant, les instruments que Bentham met à la disposition du pouvoir ne peuvent être analysés sans tenir compte de certains principes qui conditionnent leur utilisation. Ces principes concernent la finalité, les sources et la portée de l'activité du pouvoir politique. Nous évoquerons donc ces principes en premier lieu. Par ailleurs, l'efficacité de ces instruments ne peut être mesurée si l'on ne tient pas compte des mécanismes de contrôle du pouvoir que Bentham propose également. Ces mécanismes feront l'objet de la troisième partie de notre enquête.
I. Finalité, source et portée de l'action du pouvoir politique
5Sous l'influence probable de Priestley, Bentham a toujours défini la finalité du pouvoir politique en invoquant le principe d'utilité ou, selon une formule plus tardive, le principe du plus grand bonheur possible pour le plus grand nombre. La formulation de ce principe a varié. Ainsi, dans An Introduction to the Principles of Morals and Legislation (1789), l'utilité, le plaisir ou le bonheur visés sont ceux de la communauté conçue comme la somme des membres individuels qui la composent4. Par contre, Bentham affirmera plus tard que le pouvoir politique ne saurait assurer le plus grand bonheur de chaque individu, mais seulement celui du plus grand nombre5.
6Sous réserve de remarques ultérieures sur les objectifs du pouvoir politique, nous voudrions souligner d'emblée ce qu'entraîne le choix de cette finalité qui assure la légitimité du pouvoir. A cet égard, il est utile d'évoquer, par contraste, certaines justifications de l'action étatique que Bentham a rejetées. En premier lieu, il faut rappeler que Bentham a toujours refusé de fonder le pouvoir politique sur des principes tirés du droit naturel. Ainsi, dans sa critique de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, il souligne notamment que les lois de la nature ne sont que des lois imaginaires, que les droits de l'individu sont exclusivement établis par les lois positives et que le pouvoir politique n'est pas fondé sur un contrat, mais seulement sur l'obéissance habituelle dont il est l'objet6. Or, en refusant de concevoir l'Etat comme le garant de droits naturels et inaléniables, Bentham élimine, de manière tout-à-fait explicite, des obstacles potentiels qui pourraient être opposés à l'action étatique. De ce point de vue, deux objections sont révélatrices. D'une part, Bentham voit dans plusieurs articles de la Déclaration de véritables maximes d'insurrection et d'anarchie qui risquent de mettre en péril l'autorité de la loi et des gouvernements. D'autre part, il souligne, non seulement que ces dispositions sont inaptes à limiter le pouvoir législatif, mais encore qu'elles ne doivent pas constituer une telle limite : "Toute limite est inutile et dangereuse"7. Ainsi, le législateur ne saurait être enchaîné par des principes immuables. Selon Bentham, la "voix publique" et ses divers modes d'expression (droit de vote, droit d'association, droit de pétition) constituent le seul frein véritable. Nous reviendrons sur ce rôle de l'opinion publique auquel Bentham attachait une importance capitale. Mais, il paraît évident qu'en rejetant les principes du droit naturel, Bentham entendait libérer le pouvoir politique du respect de limites éternelles et intangibles.
7En second lieu, Bentham rejette d'autres justifications qui, tout en jouissant d'un grand crédit à son époque, conduisaient, à l'instar du jusnaturalisme, à limiter l'action étatique. Il s'agit des arguments qui fondent la légitimité du pouvoir politique sur le respect dû à la tradition, aux coutumes ancestrales, aux préjugés établis et aux droits acquis par prescription. Bien qu'elles représentent une version historiciste et empiriste de l'utilitarisme, les thèses de Burke sur la valeur des préjugés et de la prescription constituent un excellent exemple de cette argumentation8. Or, dans le Traité des sophismes politiques publié par Dumont, il apparaît que Bentham prend pour cible les arguments de cette nature, tels ceux fondés sur le culte des ancêtres ou le respect des précédents9. Ici encore, une objection formulée par Bentham est significative. Il critique la notion de lois irrévocables, dans la mesure où elle empêche le souverain de procéder aux réformes qui paraîtraient avantageuses10 Ainsi, en rejetant les justifications tirées du droit naturel et de la tradition, Bentham élimine certaines limites opposables au souverain, il libère le pouvoir de ce dernier qui peut prendre toute mesure apte à accroître le bonheur du plus grand nombre.
8Pour apprécier l'étendue du pouvoir politique tel qu'il est conçu par Bentham, il faut par ailleurs évoquer les prérogatives des autorités supérieures relevant de l'Etat dont il nous propose le modèle. Si l'on examine sa dernière œuvre, le Code constitutionnel, l'on constate d'abord qu'il attribue la souveraineté au peuple car ce dernier est intéressé à ce que le bonheur du plus grand nombre soit porté au plus haut point11. Ainsi, Bentham fait du corps électoral l'autorité constitutive. Bentham souligne que l'on doit présumer que la volonté de cette autorité est toujours de "maximiser" le bonheur du plus grand nombre. La fonction principale de cette autorité est d'élire des députés qui formeront le pouvoir législatif suprême. Or, selon Bentham, ce pouvoir est "omnicompétent" et illimité12 : il peut régir toute action humaine, sur l'ensemble du territoire national, en adoptant toute norme qui lui paraît conforme à l'intérêt commun. A cet égard, Bentham souligne que, lorsqu'une majorité s'est prononcée en faveur d'une solution, cette décision prouve que cette solution est conforme à l'intérêt national car ce dernier n'est composé que d'une somme d'intérêts particuliers13. Il semble qu'aux yeux de Bentham, la volonté populaire soit en général un indicateur fidèle de ce qui est conforme à l'intérêt du plus grand nombre14. Dès lors, lié à la notion de souveraineté populaire, ce jeu de présomptions confère au pouvoir législatif un pouvoir absolu, illimité, qui doit lui permettre d'établir un ordre social assurant le plus grand bonheur du plus grand nombre et de réaliser à cette fin des réformes irrésistibles auxquelles nulle tradition, nul droit naturel ne peuvent être opposés15
9Cependant, pouvoir absolu ne signifie pas pouvoir arbitraire et, s'il conçoit le pouvoir du législateur suprême comme illimité, Bentham veut néanmoins le soumettre à certains contrôles (checks)16 destinés à garantir la conformité de ses décisions par rapport à l'intérêt du plus grand nombre. Bentham déclare par ailleurs que toutes les autorités doivent être l'objet d'une confiance minimale qui se concrétisera dans de multiples garanties permettant d'empêcher les abus de pouvoir17. En ce qui concerne le législateur, ces garanties sont les suivantes : l'élection par le peuple, la limitation de la durée du mandat des députés à une année, la rééligibilité soumise à des conditions restrictives, la soumission des séances et des activités législatives à la plus large publicité et, partant, au contrôle du "tribunal de l'opinion publique", la possibilité pour une partie des électeurs d'un district, de demander un vote portant sur la révocation d'un député dont l'action serait désapprouvée, la soumission des députés à des règles réprimant la corruption18 Ainsi, tandis que le peuple souverain n'est soumis à aucune censure, son principal agent, le pouvoir législatif, est l'objet de certains contrôles dont le seul but est d'assurer le respect de la volonté du souverain19. Mais la plupart de ces garanties ne servent qu'à permettre et à doter d'une sanction la surveillance exercée par l'opinion publique, surveillance sur laquelle Bentham a toujours fortement mis l'accent20. Lorsque nous examinerons le rôle que l'opinion publique joue dans la pensée de Bentham, nous pourrons apprécier l'efficacité de cette garantie.
II. Les instruments du pouvoir politique
10Avant d'évoquer les moyens d'action du pouvoir politique, nous voudrions souligner le principe qui, selon Bentham, doit régir leur mise en œuvre. L'on sait qu'à ses yeux l'humanité a été placée par la nature sous l'empire de deux maîtres : la souffrance et le plaisir. Evoquant ces deux puissances, Bentham déclare : "It is for them alone to point out what we ought to do, as well as to determine what we shall do"21. Ainsi, indépendamment de son caractère normatif, le principe d'utilité semble apte à rendre compte de la manière dont agissent les hommes. Ceux-ci agissent pour accroître leur plaisir et pour éviter ou diminuer la souffrance. Dans le Code constitutionnel (1830), Bentham ajoute que les hommes agissent de la sorte pour satisfaire leurs intérêts personnels. Ainsi, les gouvernants ont naturellement tendance à accroître leurs biens au détriment des gouvernés. Même s'il ne nie pas son existence, Bentham considère que la sympathie, le souci des intérêts d'autrui, trouve sa source dans cette tendance égoïste. De plus, il estime que les hommes sont disposés à sacrifier l'intérêt commun lorsque ce sacrifice peut favoriser leurs intérêts personnels22. Dès lors, il semble qu'en l'absence de contraintes spécifiques, les actions humaines ne conduisent pas naturellement a la réalisation de l'intérêt public, du plus grand bonheur possible pour le plus grand nombre.
11Pour réaliser cet objectif, il semble donc nécessaire que le pouvoir politique oriente l'activité des gouvernés dans ce sens. En outre, il faut que les gouvernants eux-mêmes soient conduits à agir dans ce sens. Le principe que Bentham propose à cette fin est d'exploiter la propension des hommes à satisfaire leurs intérêts personnels, de manière à ce qu'elle conduise à la réalisation de l'intérêt commun. Selon ce principe de la jonction entre l'intérêt et le devoir, principe que Bentham emprunte à Helvétius et à Beccaria, il faut faire en sorte que l'intérêt personnel de chacun soit d'adopter la conduite qui corresponde précisément à l'exécution de son devoir : dans la poursuite même de leurs intérêts personnels, les hommes seront conduits à réaliser l'intérêt public23. Bentham évoque et met en œuvre ce principe dans plusieurs de ses œuvres. Ainsi, dans son projet de Panoptique, il prévoit que, pour assurer la conservation des prisonniers dont la réformation morale est en cours, l'on imposera au gouverneur de cette prison-modèle de payer une somme pour chaque détenu qu'il aura perdu par la mort ou par l'évasion24. De même, dans le Code constitutionnel, Bentham applique ce principe dans divers procédés tels que celui qui consiste à faire dépendre étroitement la rémunération des députés de leur présence aux séances du pouvoir législatif25. Enfin, dans la Théorie des récompenses, Bentham évoque explicitement l'union de 1'intérêt et du devoir. Assure cette union et jouit en conséquence de la plus grande efficacité toute loi conçue de manière telle que l'accomplissement des devoirs qu'elle impose soit une source d'avantages qui cessent d'eux-mêmes dès qu'on cesse de les remplir26. Ainsi, le principe de l'union de l'intérêt et du devoir apparaît comme un principe technique qui doit être appliqué dans l'élaboration des institutions et dans l'activité gouvernementale, afin de réaliser l'intérêt public en exploitant les tendances psychologiques de l'être humain. Fondée sur ce principe, cette exploitation requiert la mise en œuvre de multiples instruments que nous pouvons évoquer maintenant.
1. Le droit
12L'instrument privilégié du pouvoir politique réside dans le droit positif. Avant d'évoquer certaines caractéristiques de son contenu, il est important de souligner les exigences formelles auxquelles le droit doit répondre selon Bentham. L'on sait en effet que Bentham a consacré une part essentielle de son œuvre à proposer un modèle de législation qui prend la forme d'une codification du droit. Ainsi, Bentham déclare que la réalisation du plus grand bonheur possible requiert la création d'un corps de loi absolument complet ("all-comprehensive"). Seule l'absence de lacunes en droit permet d'empêcher les juristes et les hommes politiques d'invoquer des règles imaginaires pour favoriser leurs intérêts personnels au détriment des intérêts du plus grand nombre27. Nous nous bornerons à formuler deux remarques concernant ce projet de codification28. En premier lieu, il semble que ce projet de codification implique, dans une large mesure, une idéalisation du droit. De ce point de vue, les critiques que Bentham adresse inlassablement au droit anglais de son époque, dénonçant sa complexité, son incertitude, le coût et la lenteur de ses procédures, les profits abusifs que ces défauts assurent aux juges et aux avocats, ces critiques ne font que révéler par contraste les qualités idéales que Bentham attribue au droit codifié dont la création lui paraît nécessaire et possible. Bentham évoque à plusieurs reprises ces qualités. Ainsi, le droit codifié doit être complet et constituer de la sorte l'unique source des normes juridiques29. Ce droit n'est pas arbitraire car il livre, dans des commentaires appropriés, les raisons de ses dispositions30. A la différence du droit non écrit, créé par les juges, ce droit codifié est source de certitude et de sécurité31. De plus, selon la déclaration inaugurale que chaque député doit prononcer après son élection, le droit créé par le pouvoir législatif suprême sera doté des qualités de clarté, de cohérence et de concision32.
13Par ailleurs, Bentham prévoit des procédures permettant de préserver, voire de renforcer ces qualités formelles, en dépit des modifications qui devraient être apportées au contenu du droit codifié, du "Pannomion". Certes, Bentham ouvre largement la voie à de telles modifications. Ainsi, au-delà des députés, les ministres, les juges mêmes, voire les particuliers, peuvent proposer des amendements. Mais, de manière significative, Bentham attribue à un ministre de la législation la tâche de contrôler, voire de modifier la forme de ces propositions afin d'assurer leur compatibilité avec la cohérence, la clarté et la concision du Pannomion. Cette "symétrie" doit faire naître l'apparence selon laquelle l'amendement et le texte original auraient été rédigés à un seul et même moment33. Ainsi, à partir du moment où le droit codifié a atteint un degré élevé de perfection formelle, il est appelé à résister à toute modification. Cette reprise, assez inattendue de la part de Bentham, du thème de la loi immuable révèle l'idéalisation dont le droit codifié est l'objet dans sa pensée.
14La seconde remarque que nous voudrions formuler concerne le rôle politique qu'exerce cette idéalisation du droit codifié. Il semble en effet que cette idéalisation participe d'un projet fondamental tendant à assurer l'application maximale du droit positif, l'assimilation la plus parfaite de ses préceptes par le corps social et, partant, la maîtrise du pouvoir politique sur la société. Ainsi, plusieurs passages dans l'œuvre de Bentham indiquent qu'à partir du moment où le droit positif tend au plus grand bonheur possible de la majorité et possède les qualités évoquées, tout doit être mis en œuvre pour assurer l'application de ses dispositions. Parmi ces indices, l'on peut notamment relever : - que, selon l’auteur, le rôle principal du droit de la procédure ("adjective law") est d'assurer l'exécution complète du droit matériel fondé sur le principe du plus grand bonheur possible34. A cet égard, Bentham affirme : "On doit présumer que les lois seront en général ce qu'elles doivent être, instituées pour la protection de la société ; et on doit leur donner l'appui de la procédure la plus efficace"35 ; - que, compte tenu de cet objectif principal de la procédure, l'on ne doit en général exclure aucun mode de preuve, puisque de telles exclusions font obstacle à la révélation des faits auxquels le droit doit s'appliquer36. Ces exclusions ne peuvent être admises qu'exceptionnellement pour répondre à des exigences "collatérales" de la justice, c'est-à-dire pour éviter des vexations, délais ou frais excessifs ; - que, selon l'auteur, la clarté et la concision de la loi sont nécessaires pour qu'elle puisse diriger efficacement la conduite des individus37 ; - que tout doit être mis en œuvre pour que la loi soit présente à l'esprit de ses destinataires : ainsi, doit-elle être enseignée dans les écoles, lue dans les églises et affichée dans les lieux publics. Rendue claire et cohérente, la loi sera plus aisée à concevoir, à étudier et à retenir ; accompagnée de ses commentaires justificatifs, elle suscitera plus facilement l'obéissance38. Ainsi, Bentham organise des techniques d'inculcation de la loi dont il décrit l'objectif en ces termes : "La loi, fondée sur des raisons, s'infuserait,..., dans l'esprit public, elle deviendrait la logique du peuple ; elle étendrait son influence jusque sur cette partie de la conduite qui n'est que du ressort de la morale ; le code de l'opinion se formerait par analogie sur le code des lois, et dans cet accord de l'homme et du citoyen, l'obéissance à la loi se distinguerait à peine du sentiment de la liberté"39. Ainsi, l'on voit que, tout en idéalisant le droit légiféré, Bentham veut écarter tout ce qui pourrait faire obstacle à la présence immédiate de la loi auprès des individus. De ce point de vue, bien qu'elle s'en distingue par d'autres aspects, la pensée de Bentham est comparable aux utopies juridiques qui tendent à abolir toute distance entre la loi et ses destinataires40.
15Au-delà de ces qualités formelles, Bentham détermine les objectifs que doit poursuivre ce droit codifié, ainsi que les dispositions fondamentales qui forment son contenu.
16Dès 1802, dans les Traités de législation civile et pénale publiés par Dumont, et à plusieurs reprises par la suite, jusque dans le Code constitutionnel de 1830, Bentham évoque les objectifs particuliers qui concrétisent le principe d'utilité et qui doivent être assignés au droit codifié. Parmi ces objectifs figurent en premier lieu la subsistance, l'abondance, la sécurité et l'égalité. Or, l'on peut se demander quelle est l'étendue de l'action que le pouvoir politique peut exercer sur les rapports sociaux pour assurer la réalisation de ces fins. A cet égard, les premières œuvres de Bentham semblent indiquer que les interventions du pouvoir politique doivent être assez restreintes. Ainsi, dans les Traités de législation civile et pénale, Bentham accorde une priorité certaine à la sécurité. Il apparaît que celle-ci résulte essentiellement de l'établissement et de la protection permanente de la propriété privée qui est l'œuvre des lois. Celles-ci doivent accorder aux individus la jouissance des fruits de leur travail en leur attribuant à ce sujet une possession fixe et durable. La sécurité découle de cette stabilité de la propriété qui garantit aux individus, non seulement une protection actuelle, mais surtout la jouissance future qu'ils anticipent41. La subsistance occupe à première vue un rang égal à celui de la sécurité. Mais Bentham affirme que si la seconde est l'œuvre spécifique des lois, la première n'est pas à promouvoir directement par la législation. En effet, en imposant aux hommes des besoins, en leur offrant des jouissances, la nature a donné aux individus des motifs suffisants pour qu'ils cherchent à assurer leur subsistance. Ce n'est qu'indirectement que la subsistance est assurée par la loi, dans la mesure où celle-ci accorde aux hommes la propriété du produit de leur travail. Ainsi, d'un point de vue juridique, la subsistance dépend de la sécurité. De même, sous le régime de la sécurité, les hommes cherchent à créer l'abondance par l'attrait naturel du plaisir, sans que les moyens artificiels de la loi soient nécessaires. Ici encore, d'un point de vue juridique, l'abondance dépend indirectement de la sécurité. L'égalité, enfin, occupe un rang inférieur, non seulement par rapport à la subsistance, mais surtout par rapport à la sûreté. Ainsi, en cas d'incompatibilité entre ces deux objectifs, Bentham déclare qu'il ne faut pas hésiter : l'égalité doit céder42. Par ailleurs, si le législateur, cherchant à réaliser une égalité parfaite et chimérique, bouleversait la distribution inégale des propriétés, il mettrait fin à la sûreté, au travail et à l'abondance : la société retournerait à l'état sauvage dont elle est sortie. Dès lors, la tâche du législateur consiste seulement à réduire l'inégalité par des réformes graduelles et prudentes qui ne suscitent pas de frustrations brutales. Ainsi, l'exposé de ces objectifs semble impliquer que l'action du pouvoir politique doit se cantonner dans des limites assez étroites.
17Par ailleurs, lorsque Bentham eut acquis des convictions démocratiques, il se montra très soucieux de soumettre le pouvoir politique à un contrôle destiné à garantir sa fidélité au principe du plus grand bonheur possible. Ainsi, dans des exposés ultérieurs, tels les Leading Principles of a Constitutional Code de 1823, Bentham évoque à nouveau ces objectifs et, particulièrement, la sécurité. Certes, il la définit encore, non seulement comme une protection de la personne, mais aussi comme une protecion de la propriété assurant la subsistance et l'abondance43. Mais il souligne par ailleurs que la sécurité consiste aussi en une protection contre le mal des calamités naturelles et de l'hostilité. Cette hostilité provient soit d'ennemis extérieurs, soit d'ennemis intérieurs. Ces derniers comprennent, non seulement les délinquants, mais surtout les autorités officielles qui abusent de leur pouvoir. Dans ces exposés, Bentham met désormais l'accent sur ce type de danger. A ses yeux, l'une des fonctions essentielles du droit constitutionnel est de faire obstacle aux abus de pouvoir des autorités. Fondé sur l'idée selon laquelle plus une autorité a de pouvoir, plus il lui est aisé et plus elle est tentée d'en abuser, ce souci conduit Bentham à soumettre les gouvernants à des contrôles tels que ceux que nous avons évoqués précédemment à propos du législateur suprême.
18Ces diverses indications pourraient nous conduire à croire que Bentham était partisan d'une limitation de l'activité du pouvoir politique. Pourtant, il nous semble qu'il faut se garder d'une telle conclusion. En effet, d'autres indications permettent au contraire de considérer que Bentham n'était pas hostile à une extension de cette activité.
19A cet égard, il faut d'abord souligner que, selon une thèse déjà posée dans les Traités de législation civile et pénale44, la réalisation du principe d'utilité justifie et rend inévitables des restrictions à la liberté. Ainsi, le principal instrument juridique de gouvernement, le droit pénal, implique évidemment des atteintes à la liberté des délinquants. Par ailleurs, Bentham, dans ce texte même, souligne que des sacrifices doivent être imposés, sous forme de contributions, à ceux-là même que le droit doit protéger : la sécurité doit, dans une certaine mesure, être sacrifiée à la sécurité. Ces contributions doivent permettre aux pouvoirs publics d'accorder des secours aux indigents ou d'entretenir des ministres de la religion qui, en tant qu'instituteur s moraux, sont "l'avant-garde de la loi", "combattent les vices d'où sortent les crimes" et "rendent l'exercice de l'autorité plus rare en maintenant les mœurs dans la subordination"45. Mais, au-delà de ces considérations qui ne sont guère originales, c'est dans les dernières œuvres de Bentham, et particulièrement dans le Code constitutionnel, que l'on peut mesurer toute l'étendue de 1'activité des pouvoirs publics telle qu'il la conçoit. Ainsi, lorsqu'il présente le modèle de l'administration centrale de l'Etat, Bentham, anticipant sur l'évolution institutionnelle des Etats contemporains, prévoit un ensemble de départements ministériels dont certains étaient inconnus à son époque. Aux départements de la Justice, des Relations étrangères, des Finances, de l'Armée, de la Marine, il ajoute des départements du Commerce, des Communications, de la Prévention de la délinquance et des calamités, de l'Aide aux indigents, de la Santé et de l'Education46, or, la fonction principale de ces ministères est d'assurer l'application des dispositions législatives qui régissent les domaines en cause. Ainsi, Bentham donne au champ d'action du législateur suprême une extension considérable.
20Si après avoir évoqué ses finalités, l'on aborde l'examen de certains aspects du contenu du droit positif, l'on doit relever les analyses que Bentham a consacrées aux peines et aux récompenses établies par le législateur. En effet, dans la plus célèbre de ses premières œuvres, Bentham déclare que les peines et les plaisirs sont les instruments du législateur47, que l'affaire du gouvernement est d'assurer le bonheur de la société par des peines et des récompenses48.
21En ce qui concerne le premier de ces instruments, il faut d'abord souligner qu'aux yeux de Bentham, l'objectif principal des peines est la prévention des infractions49. Cet objectif concerne d'abord le délinquant que le droit pénal doit détourner d'infractions futures en lui ôtant la capacité physique, l'audace et surtout le désir d'en commettre. Par ailleurs, et c'est selon Bentham l'objectif prioritaire, la prévention concerne aussi l'ensemble des membres de la collectivité. Or, compte tenu de cet objectif, l'on doit constater que Bentham adopte des principes et conçoit des méthodes de répression et de prévention qui permettent au pouvoir politique d'exercer une action profonde et durable sur les individus. Ainsi, quant à l'action sur les délinquants, Bentham estime qu'en principe la peine doit présenter des qualités telles que son application affectera profondément l'individu. La peine doit à coup sûr infliger un mal à l'intéressé (certitude), elle doit lui ôter le pouvoir de nuire, elle doit assurer sa réformation morale, elle doit être comparable au délit (analogie), afin de se graver dans la mémoire et de frapper l'imagination50.
22Parmi les peines proposées, l'emprisonnement doit, tout en étant généralement de durée limitée, constituer l'outil le plus efficace et le plus économique d'amendement des prisonniers. A ce sujet, l'on sait que Bentham a conçu un modèle de "maison de pénitence" - le Panoptique - qui doit assurer au maximum la normalisation des individus en vue de leur réinsertion dans la société. La caractéristique principale de ce modèle est de rendre possible une surveillance permanente des prisonniers par un inspecteur établi au centre de l'établissement et jouissant d'une vue sur chacune des cellules situées à la circonférence du bâtiment circulaire ou polygonal. Jointe à l'isolement relatif des prisonniers, au travail forcé, à l'instruction, à l'influence de la religion, cette surveillance permanente doit corriger la volonté des délinquants et leur faire acquérir des habitudes salutaires.
23Par ailleurs, au-delà des peines corporelles infligeant une souffrance éphémère, au-delà de la peine capitale que Bentham entend réserver aux crimes commis dans des circonstances atroces, et au-delà de certaines peines pécuniaires ou déchéances de droits, il faut relever que Bentham estime que le législateur doit mobiliser l'opinion publique, organe de la "sanction morale", pour flétrir les délinquants. A cette fin, le législateur doit établir des peines affectant l'honneur, telles que la publication du délit, l'admonestation publique par un juge, la dégradation et l'emploi de signes ou symboles d'infamie dans l'exécution des peines (carcan, marques, vêtements,...) qui sont autant de moyens d'inviter la communauté à traiter le malfaiteur avec mépris51, A cet égard, Bentham ajoute que si l'opinion publique ne manifeste pas d'animosité envers certains délinquants, le législateur doit, grâce à l'autorité et à la confiance dont il jouit, influencer cette opinion en s'attaquant, ne fût-ce qu'indirectement, par un travail de sape, aux préjugés dominants. Ainsi, par persuasion, le législateur peut corriger les erreurs de la sanction morale et faire en sorte qu'au lieu de la contrarier, l'opinion publique soutienne l'œuvre de la loi52. Tout en illustrant à nouveau le souci benthamien d'assurer l'effectivité de la loi, ces remarques révèlent que pour le pouvoir politique l'opinion publique peut constituer tout à la fois un instrument et un objet d'action.
24A cet égard, le génie technique de Bentham se manifeste particulièrement lorsqu'il s'agit de concevoir les moyens par lesquels le pouvoir politique peut agir, non plus sur le délinquant, mais sur l'opinion publique afin de prévenir la délinquance. Quant aux principes, Bentham a toujours considéré que la peine est en soi un mal, que son utilisation ne peut se justifier que par les avantages supérieurs qu'elle peut procurer, particulièrement la prévention des crimes, et qu'il importe donc de la rendre la plus économique possible, c'est-à-dire de lui faire produire l'effet désiré avec l'emploi de la moindre souffrance possible53. Mais, cette souffrance est de deux ordres : il s'agit soit d'un mal réel, infligé au délinquant, soit d'un mal apparent qui est le mal qui se présente à l'imagination des hommes d'après la description de la peine ou la vue de son exécution. Or, par rapport à l'objectif prioritaire de prévention, c'est le mal apparent qui est essentiel car c'est lui qui peut détourner les individus de la carrière du crime. Dès lors, la peine la plus économique est celle qui provoque le mal réel le plus restreint, tout en suscitant le mal apparent le plus considérable. Or, c'est en fonction de ces principes que Bentham élabore une véritable technologie des apparences dont l'objectif est d'agir efficacement sur l'opinion publique. Ainsi importe-t-il que les peines soient de description aisée et qu'elles ne se heurtent pas à de trop fortes résistances populaires. De même, pour frapper l'imagination du public, il faut que les peines présentent quelque analogie avec le délit et que leur exécution soit entourée de solennités effrayantes. Par ailleurs, l'emprisonnement doit être organisé de manière telle que cette peine serve à l'édification du public. Ainsi, dans l'établissement destiné à l'emprisonnement perpétuel, établissement distinct du Panoptique, tout sera mis en œuvre pour frapper l'imagination des spectateurs car telle est l'unique fonction de cette prison. Ainsi, la condition apparente des prisonniers doit y être aussi misérable que possible : les murs du bâtiment seront peints en noir et décorés d'emblèmes terrifiants54. Quant au Panoptique, conçu pour l'emprisonnement temporaire, il doit être établi dans le voisinage d'une métropole et être ouvert aux visiteurs afin qu'il leur serve d'exemple. En effet, si Bentham souligne que cette publicité permet de protéger les prisonniers contre les mauvais traitements, il insiste aussi sur le fait qu'elle a pour but d'édifier l'opinion publique. Ainsi, les prisonniers livrés au regard des visiteurs porteront un masque qui, simultanément, les dérobera au mépris afin de ne pas compromettre leur réinsertion sociale et aggravera aux yeux du public la peine apparente.
25Enfin, pour terminer ces remarques sur le droit pénal et pour souligner à nouveau l'étendue de l'action que le pouvoir doit exercer sur l'opinion publique, il faut relever que Bentham propose une politique de prévention qui vise à empêcher la délinquance par des moyens indirects55. Le pouvoir politique doit agir sur les penchants et sur les pensées des hommes de sorte qu'ils soient soustraits aux tentations du crime et disposés à obéir aux lois. A cet égard, parmi diverses interventions, Bentham recommande au législateur :
de diriger les inclinations des sujets vers des activités conformes à l'intérêt public (activités culturelles, scientifiques, jeux,...) ;
d'éviter de provoquer la délinquance, notamment par une réglementation de certains contrats (assurance, entreprise) ;
de renforcer les moyens de reconnaître et de retrouver les individus (tables de population, fixité du nom,...) : à ce sujet, Bentham déclare que le danger de délinquance vient des hommes "qui, par leur indigence, peuvent dérober aisément leur marche à l'oeil de la justice"56 ;
d'assurer à l'opinion publique la connaissance des lois et de renforcer l'instruction ;
de pallier les carences familiales en matière d'éducation, afin que les classes indigentes cessent d'être "la pépinière du crime".
26Les récompenses constituent le deuxième moyen d'action du législateur. Cet instrument exerce cependant un rôle moins important que celui des peines57. Tandis que celles-ci sont absolument nécessaires pour empêcher tous les individus de commettre des méfaits et pour préserver l'existence de la société, les récompenses ne servent qu'à obtenir des services occasionnels ou extraordinaires, d'utilité variable, qui seront rendus par quelques individus, notamment ceux dotés de talents exceptionnels. Nous nous contenterons donc de relever, en premier lieu, que selon Bentham le pouvoir politique doit récompenser les délateurs et, entre autres, les malfaiteurs qui dénonceraient leurs complices58. Cette proposition révèle à nouveau la volonté de Bentham de mettre tout en œuvre pour assurer l'application de la loi. Par ailleurs, Bentham estime que le pouvoir doit récompenser les conduites vertueuses par des rapports officiels dont l'effet sera d'assurer aux collectivités ou institutions méritantes l'estime publique59. Ainsi, Bentham propose à nouveau au pouvoir politique d'utiliser l'opinion publique pour encourager les actions utiles.
2. Les appareils d'Etat : l'Administration et la Justice
27Afin d'assurer l'application des lois, le législateur suprême dispose d'un instrument, l'exécutif suprême, qui se subdivise en institutions administratives et judiciaires, les unes et les autres étant absolument soumises à la volonté du législateur60. Il nous faut donc examiner maintenant ces institutions pour préciser la portée de l'action étatique.
28Selon Bentham, pour assurer le plus grand bonheur possible du plus grand nombre, l'Etat doit être organisé de manière telle que l'aptitude ou les capacités des autorités soient portées au plus haut point (official-aptitude-maximization-principle)61. Ces capacités comportent trois dimensions : morale, intellectuelle et active. La première concerne le respect du principe d'utilité par les autorités. Ce respect implique que les autorités soient notamment soumises à certains contrôles que nous avons déjà évoqués et sur lesquels nous reviendrons lorsque nous examinerons les garanties que Bentham accorde aux individus afin de les protéger contre les abus de pouvoir. La deuxième dimension concerne les connaissances et la capacité de jugement des agents. Bien que Bentham ne la définisse pas, la troisième dimension semble concerner l'assiduité, l'efficacité et le zèle au travail. Ces deux dernières dimensions révèlent que Bentham était extrêmement soucieux d'assurer l'efficacité de l'action étatique.
29De ce point de vue, le Code constitutionnel présente la description d'une administration-modèle dont nous évoquerons les structures et les fonctions. Cette administration est placée sous la direction d'un Premier Ministre élu pour un terme de quatre années par le législateur suprême qui peut le révoquer à tout moment. Le Premier Ministre nomme les divers ministres, à l'exception du Ministre de la Justice, et il peut les révoquer, il dirige l'administration, il veille à l'application des lois et il commande les forces de défense. Il peut soumettre à la sanction du législateur des propositions de loi.
30Outre le ministère de la Justice, l'administration centrale comporte treize départements (Elections, Législation, Armée, Marine, Prévention, Intérieur et communications, Aide aux indigents, Education, Domaine, Santé, Relations étrangères, Commerce et Finances). Quant à la nomination des ministres et de leurs agents subordonnés, Bentham propose une procédure singulière qui vise à satisfaire simultanément les exigences d'aptitude et d'économie. La première étape de cette procédure consiste en l'inscription des candidats sur une liste d'admission (locable list). Cette inscription dépend des résultats d'un examen d'aptitude destiné à vérifier les connaissances, l'efficacité et les qualités morales des candidats. A cet égard, il faut relever que le législateur doit dresser une liste des connaissances scientifiques et techniques que plusieurs ministres doivent posséder. L'examen est assuré par une juridiction de qualification présidée par le Ministre de la Justice et composée, outre le Premier Ministre, de divers chefs de départements et des "instructeurs" qui ont formé les candidats. La deuxième étape de cette procédure consiste en une "compétition pécuniaire" au cours de laquelle les candidats admissibles font des offres pour obtenir un emploi déterminé. Ces offres pécuniaires consistent à accepter une diminution de salaire ou à proposer une somme déterminée ou, enfin, à combiner les deux propositions. Enfin, le candidat qui a fait l'offre la plus avantageuse sera désigné par le titulaire du pouvoir de nomination62. Ainsi, tout en limitant au maximum le coût des services publics selon le deuxième principe d'organisation de l'Etat (expense-minimization-principle), Bentham entend confier la gestion administrative à des experts.
31Nommés à vie mais révocables, les ministres exercent d'abord un ensemble de fonctions communes que décrit Bentham, souvent avec une profusion rebutante de détails, en élaborant une véritable théorie des opérations administratives. Ainsi analyse-t-il notamment la fonction statistique qui consiste à enregistrer et à conserver, dans de multiples livres, toutes les informations concernant l'état, les entrées et les sorties des personnes, des fonds et bâtiments, des produits et matériels, ainsi que des moyens financiers qui relèvent de l'administration. De même décrit-il la fonction de réquisition par laquelle les ministres et leurs subordonnés peuvent obtenir des services au profit de l'administration, selon divers procédés et moyennant l'autorisation du législateur.
32Par ailleurs, Bentham détermine les compétences particulières de chaque ministre. Ainsi que nous l'avons souligné précédemment, ces compétences couvrent de très vastes domaines de la vie sociale et elles révèlent l'importance des interventions de l'Etat. A titre d'illustration, l'on peut évoquer en premier lieu les compétences du Ministre de la Prévention63, Celui-ci peut limiter la circulation des personnes et des biens de manière à éviter tout contact avec des foyers d'infection, afin de diminuer la mortalité et les risques de maladie contagieuse. Il peut également réglementer le commerce des médicaments et interdire la vente de produits nocifs. Pour éviter les inondations, il peut assurer le drainage des terres. Pour éviter les incendies et explosions, il peut réglementer la fabrication, le transport et la conservation des produits explosifs ou inflammables. Pour éviter la pénurie de denrées nécessaires, il peut prendre les mesures adéquates si la liberté du commerce est insuffisante à cet égard. Par ailleurs, le Ministre de l'Education peut établir des institutions publiques d'enseignement dont il assurera et surveillera le fonctionnement, notamment de manière à y sauvegarder la liberté d'opinion en matière politique, morale ou religieuse64. Le Ministre de la Santé peut contrôler les établissements de soins, inspecter toutes les institutions publiques et contrôler l'exercice de la médecine65. Le Ministre du Commerce assure l'application des lois qui réglementent l'économie (informations commerciales,...) ou stimulent certaines de ses branches (autorisation de monopoles temporaires,...)66.
33Ainsi, en ce qui concerne ces attributions ministérielles, la description proposée par Bentham préfigure certains traits de l'Etat contemporain qui, au nom de l'intérêt général, intervient dans de nombreux secteurs de la vie sociale grâce à un appareil administratif étendu67.
34De plus, par son organisation, cet appareil évoque irrésistiblement le type d'administration bureaucratique qui s'est établi dans de nombreux Etats au cours des XIXe et XXe siècles. Si l'on se réfère à l'analyse de l'administration bureaucratique proposée par Weber68, l'on peut constater que le modèle benthamien s'y prête par de multiples traits, tels que :
l'importance de la formation scientifique ou technique des agents, la sélection ouverte de ceux-ci ;
la détermination précise des pouvoirs et des domaines de compétence ;
les rapports de subordination hiérarchique ;
le rôle des règles juridiques qui doivent être appliquées par l'administration ou qui régissent celle-ci ;
35Par ailleurs, l'importance qu'attache Bentham à l'établissement et à la conservation de documents écrits dans l'administration révèle l'analogie entre son projet et le type d'administration bureaucratique. Par rapport à ce type, le modèle benthamien ne présente qu'une différence particulière. Bien qu'il prévoie une rémunération régulière des agents, Bentham a, nous l'avons vu, imaginé une compétition pécuniaire qui peut réduire, voire écarter toute rémunération de cette nature. Dès lors, une telle procédure peut avoir pour effet de réserver aux membres des classes aisées l'accès aux emplois publics et susciter de la sorte une forme de patrimonialisation larvée de l'administration publique.
36Le Code constitutionnel contient par ailleurs un modèle d'institutions judiciaires dont nous évoquerons les finalités, l'organisation et les compétences. De plus, bien qu'il soit le fruit du travail de sélection et de regroupement effectué par R. Doane à partir de manuscrits rédigés par Bentham entre 1820 et 1827, le texte intitulé "Principles of Judicial Procedure with the Outlines of a Procedure Code" nous permettra de souligner certaines thèses essentielles sur le droit de la procédure.
37Selon Bentham, la finalité spécifique de la Justice est d'assurer l'application de la loi en cas de litige. Ainsi, dans la déclaration inaugurale qu'ils prononcent lors de leur entrée en fonction, les juges s'engagent d'abord à assurer cette application, conformément à ce qui leur paraît être la volonté du législateur et sans chercher à substituer à celle-ci leur volonté personnelle69. Empêchant que soient déçues les attentes que les individus ont réglées sur la loi, cette conformité des jugements à la loi est le principe d'une justice rationnelle, d'une justice prévisible. Par ailleurs, Bentham assigne d'autres finalités à l'appareil judiciaire. Ce dernier doit rendre à tous les justiciables les services d'une justice qui soit accessible, suffisamment rapide, non excessivement onéreuse et qui les mette à l'abri des abus de pouvoir des autorités. A cet égard, Bentham souligne que son projet s'écarte de toutes les formes d'organisation antérieures qui, selon lui, n'ont jamais été établies que pour favoriser les intérêts des gouvernants en général, et, plus particulièrement, des juristes de rang élevé, en mettant à leur disposition un instrument d'oppression et d'enrichissement70.
38Sous réserve des juridictions d'exception, à savoir les juridictions militaires et la juridiction pénale exercée par le législateur dans certaines hypothèses, l'organisation judiciaire repose sur une distinction entre, d'une part, des juridictions "immédiates", qui sont des tribunaux de première instance établis dans des sous-districts, et, d'autre part, des juridictions d'appel établies dans des circonscriptions plus vastes, les districts. Le siège de chacune de ces juridictions est en général occupé par un juge unique car Bentham considère ce principe d'unicité comme un moyen d'éviter les collusions entre magistrats, de stimuler leurs talents et leur activité, et, surtout, de renforcer leur responsabilité face à l'opinion publique. Ces juges sont nommés, en principe à vie, par le Ministre de la Justice. Ils peuvent être destitués par ce dernier ou par le corps électoral.
39Outre le juge et ses suppléants, les parties, les avocats, le greffier (Registrar) et le Ministère public (Government Advocate), Bentham introduit parmi les "acteurs du drame judiciaire" des agents originaux. Ainsi prévoit-il que les juges seront placés sous le contrôle d'un quasi-jury composé de trois assesseurs issus du corps électoral. Ces quasi-jurés peuvent, notamment, examiner tous les éléments qui seront retenus par le juge pour fonder sa décision, interroger les parties, les témoins, le juge même, et donner à ce dernier leur avis sur les décisions qu'il est appelé à rendre71. Bentham prévoit par ailleurs que les membres du public assistant aux audiences pourront, en tant qu'inspecteurs judiciaires, examiner les éléments que le juge retiendra pour justifier sa décision ou interroger les parties, les témoins et le juge lui-même, pourvu que ce dernier les y autorise72.
40En ce qui concerne les compétences, il faut remarquer qu'en matière civile, Bentham n'établit pas de juridictions d'exception et qu'il concentre toutes les compétences matérielles dans les mains des juges immédiats. Ce système d'unité juridictionnelle, fondé sur 1 "omnicompétence" des juges immédiats, a pour but de réduire le nombre des juridictions et d'éviter les conflits de compétence, source de délais et de frais supplémentaires73.
41En outre, de même qu'en matière administrative, Bentham élabore une théorie des fonctions judiciaires. Parmi celles-ci, l'on peut relever le pouvoir des juges immédiats de proposer, spontanément ou à la requête des parties, des amendements au droit codifié qui seront automatiquement adoptés pour autant que le juge d'appel, le Ministre de la Justice et le législateur ne s'y opposent pas74. De plus, lorsqu'il propose un tel amendement et afin d'éviter de rendre une décision qui lui paraîtrait injuste, le juge peut surseoir à statuer jusqu'à ce que le droit soit modifié dans le sens proposé ou jusqu'à ce que le législateur refuse l'amendement75. Bien que de telles fonctions permettent au juge de prendre part au perfectionnement du droit, elles constituent en réalité une forme de référé législatif qui vise à empêcher le juge de créer a son gré de nouvelles normes juridiques. Bentham déclare en effet que seules ces fonctions permettront d'éradiquer la pratique judiciaire des constructions juridiques forcées qui portent atteinte à la sécurité dans l'application du droit76. Ainsi, tout en mettant l'expérience des juges au service de l'amélioration du Pannomion, Bentham veut préserver ce dernier de la concurrence d'un droit créé par les juges.
42En matière de procédure, Bentham ne trouve pas de mots assez durs pour stigmatiser le droit en vigueur à son époque77. Ainsi reproche-t-il aux procédures suivies par les juridictions anglaises de créer parmi les justiciables une inégalité scandaleuse. La majorité d'entre eux est en effet privée d'accès à la justice car seuls les riches peuvent supporter les taxes, les honoraires et autres frais de procédure qui résultent, entre autres, de la multiplication des actes et du recours obligé à des intermédiaires entre le juge et les parties. Ainsi, la justice apparaît comme un service qui sert à enrichir les juristes, qui se vend aux riches et qui permet à ceux-ci d'opprimer les plus faibles en les faisant condamner. De plus, en excluant certains modes de preuve, tel le témoignage des parties dans les affaires qui les concernent, en faisant obstacle aux rapports directs entre juge et parties, en accordant à l'écrit un rôle démesuré, ces procédures empêchent la vérité de se manifester et elles encouragent les procès malhonnêtes. Enfin, leur excessive complexité ou leurs délais rigides et souvent trop longs constituent des vices supplémentaires qui appellent une réforme radicale78.
43Ces procédures en vigueur, formant ce que Bentham appelle le système "technique", paraissent en effet inaptes à réaliser les objectifs qui doivent être assignés à la justice. Ainsi que nous l'avons déjà souligné, son objectif principal et positif est d'assurer l'application du droit, c'est-à-dire, au pénal, de réprimer à coup sûr la délinquance, et, au civil, de faire droit aux demandes bien fondées. Ses objectifs secondaires sont, d'une part, d'empêcher les abus de pouvoir, les décisions hâtives des autorités, la condamnation d'innocents ou les demandes non fondées, et d'autre part, de réduire autant que faire se peut les frais, les délais et la complexité de la procédure799
44Il faut remarquer qu'avant de déterminer les règles adéquates, Bentham évoque parfois le modèle qui doit guider la réforme de la procédure. Ce modèle, qu'il qualifie de "naturel" par opposition au système technique, est celui d'une procédure simple, rapide, dépourvue de subtilités et de fictions, empêchant la chicane et la fraude. Selon Bentham, ce modèle est celui de la justice du père de famille réglant les contestations qui peuvent opposer les siens. Fondé sur le bon sens, ce modèle offre les traits suivants : comparution personnelle des parties devant leur juge, interrogatoire direct des intéressés par le magistrat, admission de tous les témoignages, y compris celui des parties, examen contradictoire des preuves et rapidité de la procédure80. Tout en admettant que la justice publique doit être soumise à des règles supplémentaires, Bentham paraît à nouveau payer son tribut à une certaine utopie juridique qui prend ici la forme d'un modèle naturel de justice. Ce modèle tend surtout à garantir une application certaine et rapide du droit à des faits qui doivent être établis le plus exactement possible. Ici encore, dans le sillage des utopies juridiques, Bentham veut supprimer toute distance entre le droit et ses destinataires.
45Parmi les principes et les règles caractéristiques proposés par Bentham pour réformer la procédure, l'on doit d'abord relever son souci d'assurer la comparution personnelle des parties à l'audience et d'établir entre le juge et les parties des rapports immédiats. Ainsi prévoit-il qu'en principe, pour saisir le juge d'une demande introductive d'instance, le demandeur devra comparaître en personne devant le magistrat. Cette comparution doit permettre au demandeur d'alléguer immédiatement les preuves à l'appui de sa prétention. Mais elle permet aussi au juge d'interroger le demandeur, d'apprécier le sérieux de sa demande, de conseiller l'intéressé à propos de la procédure qui s'engage et même, le cas échéant, de le mettre en garde contre les intérêts personnels des conseils auxquels il aurait eu recours81.
46Dans le même sens, bien qu'il propose notamment d'utiliser des formulaires pour exposer les demandes, Bentham estime que la procédure doit être largement orale82. Ainsi, les témoignages seront en principe recueillis oralement83. Bentham considère en effet que ce mode permet d'éviter les délais et les frais résultant d'écrits généralement rédigés par des intermédiaires, et qu'il offre également au juge de meilleures garanties quant à la vérité des faits.
47En ce qui concerne les délais de procédure, Bentham est hostile aux règles rigides. En fonction des caractéristiques du litige et des convenances des parties, le juge doit pouvoir étendre et, surtout, réduire les délais prévus, notamment pour éviter la disparition de preuves84.
48Par ailleurs, la procédure proposée par Bentham est une procédure contradictoire et largement accusatoire. Ainsi, le juge n'agit que sur demande et c'est aux parties qu'il revient d'alléguer et d'administrer les preuves à l'appui de leurs prétentions. Il s'agit en outre d'une procédure commune à toutes les juridictions car il n'y a qu'une voie naturelle pour accéder à la vérité.
49Pour élargir l'accès à la justice, Bentham prévoit notamment que les parties privées des ressources nécessaires pour obtenir l'aide d'un conseil juridique, pourront être assistées ou représentées par un magistrat particulier, l'avocat des indigents, qui siège au sein de chaque juridiction85. De plus, il propose la création d'un fond public (Equal-Justice Fund), alimenté notamment par les amendes frappant les actions téméraires ou vexatoires, afin de couvrir certains frais de procédure.
50Enfin, Bentham estime que le fonctionnement de l'appareil judiciaire doit répondre à deux exigences supplémentaires. D'une part, Bentham se montre très soucieux de donner à ce fonctionnement un caractère permanent. A ses yeux, la justice ne saurait connaître de trêve, sous peine de laisser le champ libre, ne fût-ce qu'un instant, au crime et à 1'injustice86. Ce souci de permanence caractérise d'ailleurs l'ensemble des propositions de Bentham sur l'organisation et l'activité des pouvoirs publics. Ainsi prévoit-il, à propos de nombreuses autorités, un système de suppléance visant à empêcher toute interruption des activités publiques.
51D'autre part, Bentham estime que l'activité judiciaire doit en général faire l'objet de la publicité la plus large. Ainsi déclare-t-il que là où il n'y a pas de publicité, il n'y a pas de justice87. ce principe constitue selon Bentham, non seulement le meilleur moyen de stimuler le zèle des juges, mais surtout la plus efficace garantie des citoyens contre les abus de pouvoir des autorités judiciaires. Les institutions que nous avons évoquées précédemment, telles que le quasi-jury ou les inspecteurs judiciaires, véritable comité du tribunal de l'opinion publique, illustrent l'importance que Bentham attachait à cette garantie.
III. Le contrôle du pouvoir politique
52Avant de conclure cet exposé, il faut évoquer les garanties que Bentham accorde aux citoyens afin de les protéger contre les abus de pouvoir des autorités. En effet, ces garanties forment en quelque sorte la contrepartie des moyens d'action que Bentham confère au pouvoir politique. Ainsi que nous l'avons déjà souligné, le principe adopté par Bentham à propos du pouvoir politique consiste à doter ce dernier des prérogatives les plus étendues, de prérogatives illimitées même, tout en soumettant l'exercice de ces prérogatives à des contrôles dont la finalité est d'empêcher les autorités d'utiliser leurs pouvoirs à d'autres fins que l'intérêt du plus grand nombre. Ainsi, évoquant les pouvoirs du juge, Bentham déclare que le Code constitutionnel confère à cette autorité des prérogatives dépourvues de limites, tout en assurant une efficacité maximale aux contrôles dont elle est l'objet et qui tendent à éviter que ces prérogatives soient utilisées a des fins nuisibles88. Dès lors, pour apprécier la portée de l'action du pouvoir politique, il importe, non seulement de connaître les moyens dont il dispose, mais aussi d'évoquer les contrôles dont il est l'objet.
53Il faut d'abord rappeler qu'en attribuant la souveraineté au peuple et en faisant d'un corps électoral assez large89 l'autorité constituante, Bentham confère le pouvoir suprême à ceux qui ont précisément intérêt à ce que le bonheur du plus grand nombre soit porté au plus haut point. Bentham estime à cet égard que la volonté populaire tend à coïncider de plus en plus avec les exigences du principe du plus grand bonheur possible90. Par ailleurs, Bentham accorde à l'autorité constituante et même, sous certains aspects, à l'ensemble de l'opinion publique un ensemble de garanties qui doivent permettre d'empêcher les abus de pouvoir du législateur, de l'administration et de la justice.
54Ainsi, le corps électoral prend part, directement ou indirectement, à la désignation des personnes qui exercent les fonctions publiques les plus importantes. Les électeurs élisent les députés qui formeront le pouvoir législatif. Ces députés choisissent le Premier Ministre et le Ministre de la Justice.
55Le corps électoral dispose de pouvoirs assez étendus quant à la révocation des titulaires de fonctions publiques : ainsi peut-il révoquer les députés, le Premier Ministre, le Ministre de la Justice ainsi que les chefs des autres départements. L'ensemble de ces ministres et les juges même peuvent être révoqués par les députés.
56Par ailleurs, Bentham prévoit que la responsabilité juridique de certains agents publics peut être mise en cause. Ainsi, en cas d'infraction commise par le Premier Ministre, ce dernier sera traduit devant une juridiction spéciale établie au sein du pouvoir législatif. De même, en cas de préjudice causé par un fonctionnaire à un citoyen, ce dernier pourra introduire une demande en réparation, soit auprès du ministre compétent, soit auprès du pouvoir judiciaire91.
57Mais la garantie la plus importante semble résider dans le contrôle que l'opinion publique exerce sur l'activité des autorités, contrôle qui est rendu possible par la publicité dont cette activité est l'objet. Bentham prévoit en effet de multiples mesures pour assurer cette publicité. Ainsi estime-t-il que les séances du pouvoir législatif doivent en général être accessibles au public, ce dernier formant en l'espèce un comité du tribunal de l'opinion publique92. A cet égard, dans la Tactique des assemblées politiques délibérantes publiée par Dumont, l'auteur souligne qu'étant soumis au jugement de ce tribunal "incorruptible" qui "renferme toute la sagesse et toute la justice d'une nation"93, les députés seront contraints de respecter leurs devoirs. De plus, cette publicité permettra aux électeurs de choisir les meilleurs représentants.
58De même, Bentham estime qu'en matière administrative la publicité doit être la plus large possible, sous réserve d'exceptions limitées et temporaires94. Cette publicité sera notamment assurée par un procédé de reproduction instantanée des actes administratifs et par une publication adéquate qui permettra de les porter à la connaissance de l'autorité constituante et du pouvoir législatif95. Bentham souligne par ailleurs que, grâce à la presse, l'activité de tout fonctionnaire doit pouvoir être commentée et critiquée, de sorte que l'administration soit complètement soumise au pouvoir du tribunal de l'opinion publique96.
59En ce qui concerne la justice, nous avons déjà souligné l'importance que Bentham attache à la publicité97 : celle-ci est "l'âme de la justice"98. Si la justice poursuit les objectifs qui lui sont assignés, elle n'a rien à craindre du tribunal de l'opinion publique qui fera briller, dans tout son éclat, la lumière de la publicité sur les actes du juge99. L'institution du quasi-jury et la fonction d'inspection judiciaire exercée par le public présent aux audiences illustrent le rôle décisif que Bentham attribue à la publicité. Celle-ci apparaît comme une garantie de probité des juges : elle les empêchera d'abuser de leurs pouvoirs100. Pour assurer cette publicité, Bentham formule même certaines recommandations en matière architecturale : ainsi souligne-t-il que les salles d'audience devraient être suffisamment vastes et confortables pour permettre au public le plus large possible de suivre correctement les débats101
60Ces diverses règles de publicité permettent donc à l'opinion publique de contrôler l'activité des autorités et, en tant que telles, elles paraissent constituer aux yeux de Bentham la meilleure garantie contre les abus de pouvoir. Bentham est même conduit à élever l'opinion publique au rang d'institution : selon le Code constitutionnel, le tribunal de l'opinion publique est une autorité qui relève du pouvoir constituant102. Composé, entre autres, d'autant de comités qu'il y a de personnes ou d'auditoires en relation avec les diverses autorités, ce tribunal est principalement chargé de réunir des informations sur l'activité des pouvoirs publics, de critiquer cette activité et de suggérer les améliorations qui pourraient y être apportées.
IV. L'ambiguïté de la pensée benthamienne
61Ces brèves remarques sur le contrôle des pouvoirs publics nous conduisent a la conclusion de cet exposé. L'ensemble des thèses que nous avons examinées permet de penser que Bentham voulait donner aux pouvoirs publics les moyens nécessaires pour exercer sur la société une action étendue et parfois très profonde, notamment en ce qui concerne la prévention de la délinquance.
62Evoquant le rôle de ces pouvoirs, Bentham compare le législateur suprême à un médecin du corps social qui doit travailler sans relâche103. Ainsi, selon Bentham, il semble que la société doit être traitée par le pouvoir politique qui l'adaptera délibérément et progressivement aux exigences du plus grand bonheur possible du plus grand nombre. Cette conception volontariste et reformatrice révèle que Bentham assume la paternité d'un des préjugés contemporains les plus tenaces : l'idée selon laquelle l'Etat peut, par des mesures appropriées, faire avancer la société dans la voie du progrès. De plus, pour que l'Etat soit l'instrument efficace de cette adaptation, Bentham veut consolider la puissance dont il dispose et moderniser ses organes104. C'est à cette fin qu'il écarte les limites tirées du droit naturel et de la tradition, qu'il imagine divers procédés permettant d'éviter que le corps social se dérobe à l'application d'un droit très idéalisé, qu'il propose la création d'une administration bureaucratique, dotée de larges compétences, et, enfin, qu'il entend renforcer l'efficacité du pouvoir judiciaire. Toutes ces propositions révèlent encore la modernité de Bentham.
63En contrepartie de ce renforcement et de cette modernisation du pouvoir étatique, Bentham entend donner aux gouvernés des garanties permettant d'empêcher les abus de pouvoir des autorités. Les mécanismes de contrôle qu'il propose à cette fin ne sont pas négligeables. Que l'on songe notamment aux pouvoirs de révocation qu'il attribue au corps électoral et au pouvoir législatif. Par ailleurs, nous avons relevé que, tout en faisant dépendre les droits individuels des lois positives, Bentham veut empêcher les pouvoirs publics de porter atteinte à la sécurité des individus, sécurité principalement fondée sur le droit de propriété. Toutes ces thèses interdisent de considérer Bentham comme le prophète d'un Etat totalitaire par anticipation105
64Toutefois, l'examen des moyens de contrôle proposés par Bentham, particulièrement des règles de publicité, suscite une certaine perplexité. Nous venons de souligner que la publicité constitue pour Bentham le moyen le plus efficace pour faire obstacle aux abus de pouvoir des autorités. Cependant, nous avons également relevé, à propos du droit pénal et de la prévention de la délinquance, que la publicité permet à ces autorités d'agir sur l'opinion publique et même d'utiliser celle-ci pour apporter au pouvoir le concours de la sanction morale ou publique. Ainsi, au-delà de ce que nous avons déjà relevé à propos de la publication des lois et de l'exécution des peines, il faut constater qu'aux yeux de Bentham la publicité de la procédure juridictionnelle est, non seulement un moyen de contrôler l'activité des juges, mais aussi un moyen pour l'autorité publique de renforcer sa légitimité, d'assurer l'efficacité de son action et de former les individus. A cet égard, Bentham souligne que la publicité permet à la justice de se soustraire aux critiques mal fondées et de gagner la confiance des citoyens. De plus, la publicité peut accroître l'efficacité de l'œuvre juridictionnelle en favorisant l'exactitude des témoignages et en encourageant de nouveaux témoins106. De même, Bentham souligne que le quasi-jury doit être une école de justice pour ses membres et que la fonction d'inspecteur judiciaire remplit le même rôle en ce qui concerne le public assistant aux audiences. Il ajoute d'ailleurs que cette assistance doit être une condition de formation des avocats107. Il apparaît ainsi que la publicité permet aux pouvoirs publics d'assurer la formation des citoyens en matière judiciaire, leur adhésion aux institutions juridictionnelles et même leur participation au fonctionnement de celles-ci. La publicité permet donc aux autorités de susciter l'adhésion et même la participation des individus à leur activité. Bentham s'exprime très clairement à ce sujet lorsqu'il évoque la publicité qui doit entourer les travaux du pouvoir législatif. Ainsi déclare-t-il qu'elle doit servir à gagner la confiance du peuple, à désarmer ses critiques et ses résistances, à susciter son adhésion aux mesures législatives108.
65Ces remarques démontrent que la publicité, telle qu'elle est conçue par Bentham, présente une ambiguïté certaine : elle est à la fois pour l'opinion publique un moyen de contrôler les autorités et, pour celles-ci, un moyen d'influencer, de diriger l'opinion publique. Cette ambiguïté ne peut que restreindre la portée de cette garantie politique à laquelle Bentham accorde une importance décisive. Corrélativement, le pouvoir des autorités apparaît d'autant plus irrésistible qu'il risque de ne pas trouver dans l'opinion publique un véritable contrepoids et qu'il peut même mobiliser celle-ci pour gagner son appui.
66Cette ambiguïté n'est peut-être que le signe prémonitoire d'un paradoxe qui, selon une analyse récente109, affecterait l'Etat démocratique contemporain. Paradoxe entre, d'une part, la séparation, la transcendance de l'Etat face à la société civile et, d'autre part, l'emprise envahissante des appareils étatiques sur la vie des citoyens. Sans doute peut-on retrouver dans la pensée de Bentham les termes de ce paradoxe. Placé sous le contrôle de l'opinion publique, de la totalité du corps social, l'Etat n'appartient à personne. Tandis qu'il dénonce toute tentative de mettre l'Etat au service d'intérêts particuliers, Bentham conçoit l'Etat comme un organe supérieur, chargé de réaliser le plus grand bonheur possible du plus grand nombre, objectif artificiel que le jeu des relations privées ne réalise pas nécessairement. Par ailleurs, nous avons relevé que Bentham veut moderniser et renforcer les instruments du pouvoir d'Etat afin que celui-ci puisse intervenir plus efficacement dans l'organisation sociale.
67Mais, selon l'analyse évoquée, ce paradoxe ne serait qu'apparent car, en réalité, c'est la transcendance même de l'Etat qui favoriserait l'extension de ses attributions pratiques. En effet, si la "modernité politique" se caractérise par le fait que l'Etat s'approprie, à titre exclusif, le rôle de garant de la cohésion sociale, au-delà du jeu des intérêts privés, l'on devrait admettre que l'Etat doit recourir à une machine politico-bureaucratique toujours plus organisée et plus efficace, dans le fonctionnement de laquelle s'absorbe, et même se dissimule, ce rôle de garant de l'unité collective. Au-delà de ce premier argument qui peut être contesté, l'on devrait par ailleurs reconnaître que la relation unissant les deux faces du paradoxe découle du fondement démocratique de l'Etat. Ce dernier serait d'autant plus conduit à étendre son emprise sur la société civile, son pouvoir de surveillance et de régulation, qu'il aurait pour tâche, non d'appliquer sa loi, mais celle voulue par la majorité du corps social et, en tant que telle, censée correspondre aux intérêts du plus grand nombre. C'est précisément l'impersonnalité, l'objectivité de la loi qui autoriserait 1'Etat à mettre tout en œuvre pour lui procurer une application sans failles, s'étendant à toutes les ramifications du corps social. Nul doute que les termes de ce second argument sont présents dans la pensée de Bentham. Ainsi que nous l'avons souligné au début de notre analyse, le caractère démocratique de l'Etat benthamien, qui se manifeste notamment dans le processus d'élaboration de la loi, fait bénéficier celle-ci d'une présomption de légitimité. Or, c'est précisément cette présomption qui semble justifier la modernisation et le renforcement des appareils judiciaires et administratifs dont la fonction principale est d'assurer l'application totale de la loi110. Ainsi, l'extension de l'emprise de l'Etat sur la vie des citoyens apparaît comme le corollaire de la souveraineté du peuple.
68Quittant le terrain de l'analyse pour gagner celui du jugement, l'on pourrait penser, avec M. Gauchet, que dans un tel Etat, le peuple reste malgré tout souverain, en dépit de l'appareil bureaucratique qui étend son réseau a toute la société. L'on ne devrait pas craindre que le "moloch étatique" finisse par se soustraire à tout contrôle collectif : il serait de ces "géants dont la bienveillance et la douceur augmentent avec la taille"111. Au risque d'adopter une vision unilatérale, nous craignons cependant que l'ambiguïté de la pensée benthamienne forme, au plan de la théorie auquel se limite l'analyse antérieure, la condition d'une dérive inquiétante propre aux Etats interventionnistes de notre temps. Chacun sait qu'en étendant leur pouvoir tutélaire sur la société, ces Etats peuvent insérer les individus dans un réseau de contraintes qui engendrent une forme de servitude d'autant mieux acceptée que les individus en tirent des avantages certains. Tout en bénéficiant de ces avantages, les individus ne peuvent plus se dérober à l'action du pouvoir politique, action d'autant plus irrésistible qu'elle se justifie par la satisfaction des intérêts du plus grand nombre, même si d'autres valeurs, telle la justice sociale dont Bentham se souciait moins, sont également invoquées à cette fin. C'est cette mise sous tutelle des individus par l'Etat, c'est cette servitude indolore que dénonçait Tocqueville dans les pages prophétiques par lesquelles s'achève La Démocratie en Amérique : il la concevait précisément comme le résultat d'un compromis entre la souveraineté du peuple et le despotisme bureaucratique. En élaborant une technologie du pouvoir politique justifiée par l'utilité, en mobilisant les ressources matérielles et symboliques qui permettent à ce pouvoir d'agir sans relâche sur un tissu social dont aucune parcelle ne doit échapper à son emprise, Bentham a posé, ne fût-ce que sous forme embryonnaire, les conditions théoriques de cette tendance propre aux Etats "sociaux" de notre temps. C'est dans ce contexte que l'ambiguïté des fonctions que Bentham assigne à la publicité acquiert une valeur prémonitoire pour l'interprète contemporain. N'annonce-telle pas la transformation que le principe de publicité connaîtra au XXe siècle : la transition d'une publicité critique, apte à rationaliser l'exercice du pouvoir politique, vers une publicité de manipulation, permettant d'influencer l'opinion publique à des fins plébiscitaires112 ? Bien que cette mutation se déroule dans un milieu social et politique bien différent de celui visé par Bentham, ce dernier a peut-être tracé les limites à l'intérieur desquelles pourraient se réaliser les métamorphoses du principe de publicité.
Notes de bas de page
1 Cité d'après la traduction anglaise de l'ouvrage : E. HALEVY, The Growth of Philisophic Radicalism, trans. M. Marris, London, 1928, New York, 1955, p. 432.
2 M. FOUCAULT, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, 1974, p. 226.
3 E. GRIFFIN-COLIART, Bentham ; de l'utilité au totalitarisme ? in Revue internationale de philosophie, 41, 1982-3, p. 316.
4 Cf. J. BENTHAM, An Introduction to the Principles of Morals and Legislation, (éd. Burns and Hart), in The Collected Works of Jeremy Bentham, London, 1970, p. 12.
5 Cf. J. BENTHAM, Leading Principles of a Constitutional Code for Any State (1823), in The Works of Jeremy Bentham (éd. Bowring), Edinburgh, 1838-1843, t. II, p. 269 ; v. également Constitutional Code, vol. I (éd. Rosen and Burns), in The Collected Works of Jeremy Bentham, Oxford, 1983, pp. 18 et 19.
6 Cf. J. BENTHAM, Sophismes anarchiques, in Oeuvres de J. Bentham, jurisconsulte anglais (éd. E. Dumont), Bruxelles, 1829, t. I, pp. 551 et s.
7 Cf. J. BENTHAM, Sophismes anarchiques, in Oeuvres, op. cit., t. I, p. 552.
8 V. sur ces thèses : E. HALEVY, op. cit., pp. 158 et s.
9 Cf. J. BENTHAM, Traité des sophismes politiques, in Oeuvres de J. Bentham, jurisconsulte anglais (éd. E. Dumont), Bruxelles, 1829, t. I, pp. 484 et s.
10 Cf. J. BENTHAM, Traité des sophismes politiques, in Oeuvres, op. cit., t. I, pp. 489 et s.
11 Cf. J. BENTHAM, Constitutional Code, op. cit., pp. 21 et 25.
12 Cf. J. BENTHAM, Constitutional Code, op. cit., pp. 41 et 42.
13 Cf. J. ΒΕNTHAΜ, Constitutional Code, op. cit., pp. 43 et 44.
14 Cf. R. HARRISON, Bentham, London, 1983, p. 214.
15 Cf. N. ROSENBLUM, Bentham's Theory of the Modern State, Cambridge (Mass.), 1978, pp. 80-81.
16 Cf. J. BENTHAM, Constitutional Code, op. cit., p. 42.
17 Cf. J. BENTHAM, Constitutional Code, op. cit., p. 118.
18 Cf. J. BENTHAM, Constitutional Code, op. cit., p. 131 et s.
19 Cf. E. HALEVY, op. cit., p. 409.
20 Cf. E. HALEVY, op. cit., p. 411.
21 J. BENTHAM, An Introduction to the Principles of Morals and Legislation, op. cit., p. 11.
22 Cf. J. BENTHAM, Constitutional Code, op. cit., p. 119.
23 V. sur ce principe : R. HARRISON, op. cit., pp. 112 et s.
24 Cf. J. BENTHAM, Panoptique, in Oeuvres de J. Bentham, jurisconsulte anglais (éd. E. Dumont), Bruxelles, 1829, t. I, pp. 254 et 263.
25 Cf. J. BENTHAM, Constitutional Code, op. cit., pp. 49 et s.
26 Cf. J. BENTHAM, Théorie des récompenses, in Oeuvres de J. Bentham, jurisconsulte anglais (éd. E. Dumont), Bruxelles, 1829, t. II, pp. 135 et 136.
27 Cf. J. BENTHAM, Codification Proposal ; or Idea of an All-Comprehensive Body of Law, in The Works of Jeremy Bentham (éd. Bowring), op. cit., t. IV, pp. 537 et 538.
28 v. au sujet de la codification selon Bentham : Fr. OST, Codification et temporalité dans la pensée de J. Bentham.
29 Cf. J. BENTHAM, De la Codification, in Oeuvres de J. Bentham, jurisconsulte anglais (éd. E. Dumont), op. cit., t. III, pp. 91 et s.
30 Cf. J. BENTHAM, De la Codification, op. cit., p. 94 ; Promulgation des lois, in Oeuvres de J. Bentham, jurisconsulte anglais (éd. E. Dumont), op. cit., t. I, pp. 267 et s.
31 Cf. J. BENTHAM, De la Codification, op. cit., pp. 95 et s.
32 cf. J. BENTHAM, Constitutional Code, op. cit., pp. 140 et 141.
33 V. sur les fonctions du ministre de la législation : J. BENTHAM, Constitutional Code, in The Works of Jeremy Bentham (éd. Bowring), op. cit., t. IX, pp. 430 et s.
34 Cf. J. BENTHAM, Principles of Judicial Procedure, in The Works of Jeremy Bentham (éd. Bowring), op. cit., t. II, p. 8.
35 J. BENTHAM, Traité des preuves judiciaires, in Oeuvres de J. Bentham, jurisconsulte anglais (éd. E. Dumont), op. cit., t. II, p. 390.
36 Cf. J. BENTHAM, Traité des preuves judiciaires, op. cit., p. 381.
37 Cf. J. BENTHAM, Vue générale d'un corps complet de législation, in Oeuvres de J. Bentham, jurisconsulte anglais (éd. E. Dumont), op. cit., t. II, p. 368.
38 Cf. J. BENTHAM, Promulgation des lois, op. cit., pp. 267 et s.
39 J. ΒΕNTΉΑΜ, Promulgation des lois, op. cit., p. 271.
40 Cf. P.-F. MOREAU, Le récit utopique, Droit naturel et roman de l'Etat, Paris, 1982, pp. 47 et s. V. également P. FORIERS, Les utopies et le droit, in La pensée juridique de Paul Foriers, Bruxelles, 1982, t. I, pp. 387 et s.
41 Cf. J. BENTHAM, Traités de législation civile et pénale, Principes du Code civil, in Oeuvres de J. Bentham, jurisconsulte anglais, (éd. E. Dumont), op. cit., t. I, pp. 63 et s.
42 Cf. J. BENTHAM, Traités de législation civile et pénale, in Oeuvres, op. cit., p. 68.
43 Cf. J. BENTHAM, Leading Principles of a Constitutional Code for Any State, in The Works, op. cit., t. II, pp. 269 et s.
44 Cf. J. BENTHAM, Traité de législation civile et pénale, op. cit., pp. 55 et 56.
45 J. BENTHAM, Traité de législation civile et pénale, op. cit., p. 74.
46 V. sur ces départements : J. BENTHAM, Constitutional Code, in The Works, op. cit., t. IX, pp. 428 et s.
47 Cf. J. BENTHAM, An Introduction to the Principles of Marais and Legislation, op. cit., p. 38.
48 Cf. J. BENTHAM, An Introduction to the Principles of Marais and Legislation, op. cit., p. 74.
49 Cf. J. BENTHAM, An Introduction to the Principles of Marais and Legislation, op. cit.,, p. 165 ; Théorie des peines légales, in Oeuvres de J. Bentham, jurisconsulte anglais (éd. E. Dumont), Bruxelles, 1829, t. II, pp. 4 et 5.
50 Cf. J. BENTHAM, Théorie des peines légales, in Oeuvres, op. cit., t. II, pp. 10 et s.
51 Cf. J. BENTHAM, Théorie des peines légales, in Oeuvres, op. cit., t. II, pp. 79 et s.
52 Cf. J. BENTHAM, Théorie des peines légales, in Oeuvres, op. cit., t. II, pp. 83 et 84.
53 Cf. J. BENTHAM, An Introduction to the Principles of Morals and Legislation, op. cit., pp. 165, 178 et s. ; Théorie des peines légales, in Oeuvres, op. cit., pp. 5 et 6.
54 Cf. J. BENTHAM, Théorie des peines légales, in Oeuvres, op. cit., p. 41.
55 V. sur cette politique : J. BENTHAM, Principes du Code pénal, in Oeuvres de J. Bentham, jurisconsulte anglais (éd. E. Dumont), Bruxelles, 1829, t. I, pp. 186 et s.
56 J. BENTHAM, Principes du Code pénal, in Oeuvres, op. cit., t. I, p. 215
57 V. à ce sujet : J. BENTHAM, Théorie des récompenses, in Oeuvres, op. cit., t. II, pp. 141 et s.
58 Cf. J. BENTHAM, Théorie des récompenses, in Oeuvres, op. cit., t. II, pp. 157 et s.
59 Cf. J. BENTHAM, Théorie des récompenses, in Oeuvres, op. cit., t. II, pp. 165 et s.
60 Cf. J. BENTHAM, Constitutional Code, vol. I, op. cit., p. 42.
61 Cf. J. BENTHAM, Constitutional Code, vol. I, op. cit., pp. 19, 21 et s.
62 V. sur l'ensemble de cette procédure : J. BENTHAM, Constitutional Code, vol. I, op. cit., pp. 310 et s.
63 Cf. J. BΕΝTΗΑΜ, Constitutional Code, in The Works, op. cit., t. IX, p. 439.
64 Cf. J. BENTHAM, Constitutional Code, in The Works, op. cit., t. IX, p. 442.
65 Cf. J. BENTHAM, Constitutional Code, in The Works, op. cit., t. IX, pp. 443 et 444.
66 Cf. J. BENTHAM, Constitutional Code, in The Works, op. cit., t. IX, p. 447.
67 Cf. Th. PEARDON, Bentham's Ideal Republic, in Jeremy Bentham. Ten Critical Essays (éd. B. Parekh), London, 1974, p. 120.
68 Cf. M. WEBER, Economie et société, Trad. de J. Freund et alii, Paris, 1971, t. I, pp. 223 et s.
69 Cf. J. BENTHAM, Constitutional Code, in The Works, op. cit., t. IX, p. 533.
70 Cf. J. BENTHAM, Constitutional Code, in The Works, op. cit., t. IX, pp. 454 et s.
71 V. sur le quasi-jury : J. BENTHAM, Constitutional Code, in The Works, op. cit., t. IX, pp. 554 et s.
72 V. sur les inspecteurs judiciaires : J. BENTHAM, Constitutional Code, in The Works, op. cit., t. IX, p. 569.
73 Cf. J. BENTHAM, Constitutional Code, in The Works, op. cit., t. IX, p. 475.
74 Cf. J. BENTHAM, Constitutional Code, in The Works, op. cit., t. IX, pp. 504 et s. (Eventually-emendative-function).
75 Cf. J. BENTHAM, Constitutional Code, in The Works, op. cit., t. IX, pp. 508 et 509 (Sistitive or execution-staying function).
76 Ibidem, p. 509.
77 V. sur les thèses de Bentham en cette matière : Μ. I. ZAGDAY, Bentham on Civil Procedure, in Jeremy Bentham and the Law. A Symposion (éd. Keeton and Schwarzenberger), Londres, 1948, pp. 68 et s.
78 V. à propos de ces critiques : Principles of Judicial Procedure with the Outlines of a Procedure Code by Jeremy Bentham, in The Works, op. cit., t. II, pp. 9, 48, 49, 58, 59, 74 et s., 111, 112, 178.
79 V. sur ces objectifs : Principles of Judicial Procedure, in The Works, op. cit., t. II, pp. 8 et s., 19 et 20.
80 V. sur ce modèle : J. BENTHAM, Traité des preuves judiciaires, in Oeuvres, op. cit., t. II, pp. 247-249.
81 Cf. Principles of Judicial Procedure, in The Works, op. cit., t. II, p. 34.
82 Cf. Principles of Judicial Procedure, in The Works, op. cit., II, pp. 74, 173.
83 Cf. Principles of Judicial Procedure, in The Works, op. cit., p. 89.
84 Cf. Principles of Judicial Procedure, in The Works, op. cit., t. II, pp. 31, 32, 76.
85 Cf. J. BENTHAM, Constitutional Code, in The Works, op. cit., t. IX, p. 578 (Eleemosynary Advocate).
86 Cf. J. BENTHAM, Traité des preuves judiciaires, in Oeuvres, op. cit., t. II, p. 426 : "Suspendre les fonctions des tribunaux, c'est accorder une trêve à des adversaires qui n'en accordent pas." ; v. aussi Constitutional Code, in The Works, op. cit., t. IX, pp. 493 et s.
87 Cf. J. ΒΕNTHΑΜ, Constitutional Code, in The Works, op. cit., t. IX, pp. 493 et s.
88 Cf. Principles of Judicial Procedure, in The Works, op. cit., t. II, p. 29.
89 En sont exclus les femmes, les mineurs, les analphabètes et les voyageurs ("passengers") : cf. Constitutional Code, vol. I, op. cit., p. 29.
90 Cf. J. BENTHAM, Constitutional Code, vol. I, op. cit., p. 36.
91 Cf. J. BΕΝTΗΑΜ, Constitutional Code, vol. I, op. cit., p. 394.
92 Cf. J. BENTHAM, Constitutional Code, vol. I, op. cit., p. 56.
93 Cf. Tactique des assemblées politiques délibérantes, in Oeuvres de J. Bentham, jurisconsulte anglais (éd. E. Dumont), op. cit., t. I, p. 382.
94 Cf. J. BENTHAM, Constitutional Code, vol. I, op. cit., pp. 162 et 163.
95 Cf. J. BENTHAM, Constitutional Code, vol. I, op. cit., pp. 159, 162 et s.
96 Cf. J. BENTHAM, Constitutional Code, vol. I, op. cit., p 427.
97 Cf. J. BENTHAM, Constitutional Code, in The Works, op. cit., p. 493.
98 J. BENTHAM, Traité des preuves judiciaires, in Oeuvres, op. cit., t. II, p. 237.
99 Cf. J. BENTHAM, Principles of Judicial Procedure, in The Works, op. cit., t. II, p. 75.
100 Cf. J. BENTHAM, Traité des preuves judiciaires, in Oeuvres, op. cit., t. II, p. 238.
101 Cf. J. BENTHAM, Constitutional Code, in The Works, op. cit., pp. 535 et s.
102 Cf. J. BENTHAM, Constitutional Code, vol. I, op. cit., pp. 35 et s.
103 Cf. J. BENTHAM, Constitutional Code, vol. I, op. cit., p. 49.
104 Cf. N. ROSENBLUM, op. cit., p. 100.
105 Cf. E. GRIFFIN-COLLART, op. cit., p. 317.
106 Cf. J. BENTHAM, Traité des preuves judiciaires, in Oeuvres, op. cit., t. II, pp. 287 et s.
107 Cf. J. BENTHAM, Constitutional Code, in The Works, op. cit., t. IX, pp. 558 et 569.
108 Cf. J. BENTHAM, Tactique des assemblées politiques délibérantes, in Oeuvres, op. cit., t. I, pp. 382-383.
109 M. GAUCHET, Le désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion, Paris, 1985, pp. 284 et s.
110 V. sur cette présomption de légitimité de la loi qui se trouve renforcée par la conception démocratique de la souveraineté : Ph. GERARD, Validité juridique et souveraineté, in Archiv für Rechts-und Sozialphilosophie, LXXII, 1986, pp. 326 et s.
111 M. GAUCHET, op. cit., p. 289.
112 V. à propos de cette transformation : J. HABERMAS, L'espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, trad. par Μ. B. de Launay, Paris, 1978, pp. 186 et s.
Auteur
Chargé de cours aux Facultés universitaires Saint-Louis
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Soigner ou punir ?
Un regard empirique sur la défense sociale en Belgique
Yves Cartuyvels, Brice Chametiers et Anne Wyvekens (dir.)
2010
Savoirs experts et profanes dans la construction des problèmes publics
Ludivine Damay, Denis Benjamin et Denis Duez (dir.)
2011
Droit et Justice en Afrique coloniale
Traditions, productions et réformes
Bérangère Piret, Charlotte Braillon, Laurence Montel et al. (dir.)
2014
De la religion que l’on voit à la religion que l’on ne voit pas
Les jeunes, le religieux et le travail social
Maryam Kolly
2018
Le manifeste Conscience africaine (1956)
Élites congolaises et société coloniale. Regards croisés
Nathalie Tousignant (dir.)
2009
Être mobile
Vécus du temps et usages des modes de transport à Bruxelles
Michel Hubert, Philippe Huynen et Bertrand Montulet
2007