Précédent Suivant

Le plaisir du western cinématographique. L’amour et la justice comme compétences du spectateur

p. 159-182


Texte intégral

1La sociologie morale et politique est un outil d’analyse privilégié pour analyser les tensions – disputes, critiques, dénonciations – suscitées par le western en tant que genre national1. Elle offre l’intérêt, par ailleurs, de prendre en compte la complexité du phénomène de la consommation cinématographique et la diversité des formes de justification du plaisir cinématographique.

2Le plaisir cinématographique procuré par le western est, en effet, souvent ignoré par les chercheurs, lorsqu’il n’est pas dénoncé comme un obstacle à la reconnaissance de la machine de guerre idéologique que constitue le genre. Ceci conduit soit à oublier le rôle que jouent les émotions du spectateur dans le succès d’un film, soit à les réduire à un goût pour la violence, qui rendrait acceptable la représentation fallacieuse que le western donne d’un événement historique, la conquête du territoire américain. Dissimulant la réalité du génocide indien et les motivations sociales des conquérants – les préjugés raciaux, la soif de profit et le crime – le western trouverait dans le plaisir procuré par les démonstrations de virilité de ses héros le fondement psychologique de son succès commercial global.

3Cette critique « moderne », au sens donné à ce terme par Bruno Latour2, du western sacrifie l’observation du plaisir procuré par le spectacle cinématographique à l’affirmation des valeurs de vérité et de respect d’autrui auxquels chacun, et particulièrement celui dont la profession est de transmettre ces valeurs, doit être attentif. Réécrivant l’histoire du spectacle cinématographique en fonction du souci de vérité et de dignité des personnes que tout film doit servir à transmettre, elle nous pousse à identifier et à valoriser tout ce qui dans la mémoire cinématographique du western est le signe annonciateur de ce sens contemporain de la responsabilité historique que partagent l’auteur et le spectateur. Cette critique de l’inhumanité du divertissement, qui constitue la réflexivité en impératif catégorique de l’expérience du spectacle cinématographique, permet de se satisfaire du western à condition d’y reconnaître l’humanité de l’auteur ou la souffrance des personnes réelles que le spectacle dissimule. Le monument de barbarie qu’est le western commercial peut ainsi devenir le monument de culture qu’est le western moderne en tant que film d’auteur3.

4Il est notable, cependant, que cette réflexivité fait partie du plaisir procuré par le western classique, alors même qu’il ne propose pas de leçon d’histoire, comme le western « moderne », mais simplement une leçon de vie4. La nécessité de la sortie de la violence et la capacité des individus à la dépasser pour instaurer une cité juste et harmonieuse a toujours constitué, en effet, le ressort fondamental du plaisir procuré par le genre. Et, comme le rappelle certaines de ses réussites exceptionnelles, le point de vue du « Blanc » qu’il exprime consiste souvent dans la critique de la violence de ce « Blanc », dès lors non seulement qu’il refuse l’entrée dans la cité, mais qu’il en sort pour satisfaire un désir personnel de vengeance. Dans The Searchers, par exemple, le désir aveugle de vengeance qui porte Ethan, et que renforce son racisme, le situe au même rang que les Indiens qu’il combat. Et c’est la victoire finale sur la violence, la victoire sur soi d’Ethan, le surgissement de l’Agapé, de l’amour du prochain, qui explique l’émotion suscitée par la dernière scène et qui donne la leçon du film.

5Prendre le point de vue du spectateur, d’un spectateur doté d’un sens de la justice ordinaire et attentif à la justification du plaisir qu’il prend à un film, permet du même coup de relativiser une vision historique du western qui l’appréhende uniquement comme un instrument de domination culturelle, et enferme l’expérience cinématographique dans un cadre national ou historique. Le western a été, au delà d’un spectacle typiquement américain, une forme de divertissement mondial, une occasion de plaisir pour des spectateurs « non-américains », y compris, conformément aux usages conservateurs de ce terme, des spectateurs indiens et des spectateurs « communistes », c’est-à-dire engagés dans la dénonciation de l’impérialisme américain. Oubliant d’appréhender le spectacle cinématographique comme une forme de plaisir collectif, qui implique un « partage du sensible », la vision « moderne » du western néglige la culture du plaisir cinématographique qui permet à des individus éloignés dans l’espace et dans le temps de partager légitimement les émotions procurées par un film, et qui permet aux films de circuler d’une nation à une autre et d’une époque à une autre.

6Réintroduire dans le cadre d’observation le plaisir cinématographique revient de ce fait à observer le western sous sa double nature de production culturelle américaine et d’objet de consommation internationale. La fabrication technique du film est, en effet, inséparable du fait sociologique que constitue l’accord collectif sur l’acceptabilité du plaisir procuré par un film, accord qui conditionne sa distribution nationale et sa circulation internationale. La critique de la représentation donnée par le western de certaines conduites fait partie de l’histoire du western et explique son évolution artistique. Dans un contexte où tout film de western doit satisfaire aux attentes des consommateurs et à la vigilance critique de leurs porte-parole, le renforcement de sa nature conventionnelle de genre rend ainsi acceptable – les films de Tarantino jouent systématiquement aujourd’hui avec cette forme de justification –, la représentation idéalisée qu’il pérennise du génocide indien. La réussite économique du cinéma américain, et l’audience mondiale du western, ne sont pas, en ce sens, une simple conséquence de l’hégémonie culturelle mondiale des États-Unis et ne peuvent se lire uniquement comme des armes de leur domination politique. Articuler l’analyse filmique et la sociologie de la réception oblige donc à relativiser la lecture savante qui n’appréhende le film que comme un document historique et neutralise le jugement des consommateurs sur l’expérience cinématographique. Dans le cas du western, la reconstruction savante de la signification locale – « nationale » – de ce genre cinématographique qu’opèrent les chercheurs pour expliquer sa production ne doit pas faire oublier la construction locale par les consommateurs de la valeur artistique des films qui explique le succès mondial d’un genre cinématographique.

I. La critique du western comme genre national

7L’histoire critique du mythe national mis en scène par le western se généralise à partir des années 1960 lorsque la constitution de la production de l’ère des studios en un patrimoine artistique national établit définitivement sa valeur de document historique, et donc de témoignage sur la genèse de l’idée nationale qu’il met en scène. Tout à la fois héritier des dimes novels et produit de leur adaptation, le genre cinématographique peut être compris tout entier comme la traduction d’une idéologie politique fondatrice de la nation américaine, celle de la destinée manifeste (« Manifest Destiny ») du peuple américain.

8Les historiens américains en attribuent une première formulation à John L. Sullivan, un journaliste de la Democratic Review qui, dans un éditorial de 1845 intitulé « Annexion », écrivit que la nation américaine devait accomplir son expansion continentale. « C’est notre haut destin, et dans l’éternel et inévitable logique de cause à effet qui anime la nature, nous devons l’accomplir5. » Cette « causalité naturelle » exprimant la volonté de Dieu6, l’expansion territoriale et l’aménagement du continent tout entier s’imposait comme une « continuation de la nature ». La destruction et la pollution qui caractérisaient cette « continuation de la nature » opérée grâce au progrès technologique se justifiaient alors – c’est ce que David Nye appelle le sublime technologique –, par l’idée que « la Nature a autorisé sa propre transformation », et qu’il n’y a pas de différence fondamentale « entre les chutes du Niagara et une nouvelle voie de chemin de fer7 ».

9La contribution spécifique du western, du genre littéraire au genre cinématographique, à cette justification de la violence fondatrice de la nation consistait évidemment dans l’héroïsation des pionniers du Far-West et la représentation péjorative (misrepresentation) de leurs « ennemis », les Indiens. Il est facile de voir que « les auteurs de films et de romans ont canonisé le combat individualiste des Euro-Américains en faveur de la domestication de la sauvagerie (taming of the wilderness) » et font donc partie de ceux qui « ont représenté l’Indien en « Autre » cinq siècles durant8 ». Du point de vue rétrospectif des années 1960, même la vision romantique par James Fenimore Cooper de la prairie et de ses nobles héros indiens, Chingachgook et Natty Bumpo, ou la célébration de l’amour de la princesse indienne Pocahontas pour John Smith, qu’elle sauve de la mort, ont contribué à cette entreprise de justification de la conquête, en dissimulant l’exclusion des Indiens de la commune humanité qui a permis de la mener à bien9.

10Le concept sur lequel repose la conquête américaine est en effet celui de Frontière, en tant que « point de rencontre entre la sauvagerie et la civilisation10 ». Hawthorne et Melville ont exploité, chacun à leur manière, l’intérêt dramatique de l’expérience de cette Frontière11. Mais, dans le western, elle se ramène à la forme simple et limpide du combat à mort. En effet, « le sauvage symbolise la violence, la brutalité et l’ignorance que la société civilisée doit contrôler ou éliminer ». Certes, il « propage des valeurs qui sont diminuées ou détruites par cette société avancée : la liberté et la spontanéité que permet la vie au grand air, la faculté d’être son propre maître, et la camaraderie profonde de qui côtoie ses pairs dans tous les rituels de la vie domestique ». Mais « qu’il soit violent ou noble, le sauvage doit disparaître12 » dès lors qu’il ne peut vivre à l’extérieur de la civilisation, et que la conquête territoriale l’intègre à une communauté dont il doit accepter les règles, sauf à s’exclure de lui-même de la commune humanité.

11Il était inéluctable, dans cette perspective du droit du plus fort, que la Frontière disparaisse, elle aussi, et avec elle les nations indiennes. La disparition officielle de la Frontière, proclamée lors du recensement de 1890 (Eleventh United States Census), coïncida à quelques années près avec la date de naissance officielle du divertissement cinématographique, lors de la première représentation publique du kinétoscope d’Edison (mai 1893).

12Prendre en compte, d’un point de vue historique, la place privilégiée occupée par le western dans ce divertissement, constitue une deuxième manière de déconstruire la fonction nationale du western. Justification rétrospective de la violence de la conquête, le western représentait en même un obstacle à la réparation due aux Indiens, par l’exploitation d’une image conventionnelle, caricaturale, de ceux-ci.

13En tant qu’entreprise d’amusement, le western cinématographique héritait en effet du modèle constitué par le Buffalo Bill Cody’s Wild West Show, qui avait commencé en 1883. On pouvait, comme à son modèle, lui faire le reproche de réussir à « déguiser en farce ce qui relevait en réalité d’un racisme légalisé13 ». D’abord filmé tel quel par bribes – Thomas Edison en 1898, la Biograph en 1902, et Buffalo Bill lui-même en 191014 – le Wild West Show inspira quelques figures du western, à commencer par l’attaque indienne apparemment dépourvue de raison, aussi bien dans sa stratégie que dans son motif. Beaucoup d’historiens y voient confirmation que le cinéma naissant suivait en cela « le même chemin que les photographies Edward Curtis, où l’esthétisation fonctionne comme la légitimation narrative du nationalisme blanc, à travers des poses en studio tout aussi artificielles que le décor15 ».

14Cependant, dans la mesure même où il pérennisait la présence physique de l’Indien, et qu’il se devait, s’il voulait rendre crédible l’épopée de la conquête, donner aux Indiens la consistance d’un peuple, le spectacle cinématographique ne pouvait que favoriser une attitude ambivalente à leur égard, jusqu’au point de leur reconnaître la possession d’une véritable culture. L’évolution du spectacle cinématographique, en relation avec la scolarisation du public et la généralisation progressive en Occident des études supérieures, a favorisé le développement d’une tension interne au western en tant que spectacle cinématographique, entre une vision impérialiste et une vision primitiviste des Indiens.

II. La critique du western en tant que genre primitiviste

15Les historiens du cinéma ont beau jeu, pour expliquer l’idéalisation par certains réalisateurs de films muets de la figure de l’Indien, de montrer que les westerns début de siècle répétaient sans fin « l’histoire du sauvage devenu anachronique qui ne peut pas être civilisé, du cœur certes noble mais primitif, capable de sacrifice mais pas de rationalité16 ». Entre 1905 et 1915 fleurit le genre des Indian Stories à la visée « archéologique », établissant les Indiens comme « figures mythiques, hors l’Histoire ». Cette célébration mélancolique de la disparition inéluctable de la civilisation indienne apparaît de manière particulièrement éclatante dans les trente westerns à thème indien que Griffith réalisa pour la Biograph. Il y peignait « la noblesse de l’Indien comme celle d’un animal racé, possédant une grandeur dont il ne s’aperçoit même pas17 », mais avec une tonalité encore plus nostalgique que les autres réalisateurs de l’époque. Une preuve manifeste, pour ses biographes, que « le monde pastoral des Indiens évoque ses deux paradis perdus de prédilection : le Sud d’avant la Guerre de Sécession, et l’innocence de l’enfant et de sa mère18 ». (Voir Figure 1)

16Mais ils sont bien obligés de constater également que cette célébration de « la beauté du mort » – avant d’être ressuscitée dans les années 1980 sur une base cette fois-ci explicitement ethnologique, dont le plus bel exemple est Dances with Wolves (Danse avec les loups) –, laisse progressivement la place à un spectacle dans lequel l’Indien devient définitivement un personnage secondaire : moins de 10 % des 1675 westerns des années 1920 contiennent des personnages Indiens19. L’élaboration esthétique du genre et son audience mondiale libère alors le western de son ancrage historique et fait de l’Indien un personnage de fiction. Cette normalisation du personnage secondaire de l’Indien s’opère définitivement avec le passage au parlant. Il y aura désormais deux façons conventionnelles de représenter le personnage de l’Indien, comme un ennemi juré du Blanc, ou un habitant pacifique du territoire traversé. Soit un être sauvage, au sens d’un individu entrainé à se montrer cruel et violent, comme l’enfant que James Stewart et Richard Widmark ramènent de leur expédition dans Two Rode Together (Les deux cavaliers, 1961), soit un individu appartenant à une communauté adaptée à son environnement naturel, possédant des techniques du corps et une culture spécifique, susceptible d’être aimable si l’on respecte ses coutumes, et de servir de guide pour se protéger de l’agressivité de l’environnement naturel et humain

17Ce respect culturaliste, d’autant plus facile à établir que la question de la reconnaissance de l’humanité de l’Indien peut être distinguée de la question juridique de la spoliation par les occidentaux de son territoire, ne laisse plus d’espace qu’à la critique ethnologique de la fabrication visuelle du personnage de l’Indien. On peut en effet facilement se gausser de voir l’Indien joué souvent par un noir ou une personne d’origine hispanique, ou bien se présenter comme un pot-pourri de traits ethniques appartenant à des tribus différentes. Il est vrai que depuis que le Congrès en 1887 a officiellement dissous les tribus, donné aux Indiens le statut de « fermiers » de leurs « réserves », et scolarisé leurs enfants, seuls des spécialistes occidentaux peuvent identifier avec sûreté leurs appartenances ethniques. Le studio hollywoodien pouvait de ce fait représenter les Indiens « comme un groupe homogène, mélangeant les vêtements, les cultures et les lieux sans s’en préoccuper20 ». On est loin d’une représentation ethnologique précise attentive aux différences existantes, sinon entre les 560 nations tribales reconnues par l’État fédéral, au moins entre les tribus impliquées dans l’action mise en scène. La sociologue JoEllen Shively observa, à l’occasion de la projection, en 1992, de The Searchers (La Prisonnière du Désert) sur son lieu de tournage, que les spectateurs navajos ne manquèrent par de remarquer que le film de John Ford emploie des Navajos pour jouer des Comanches et les affuble de coiffes Sioux, qui plus est des coiffes de guerre même quand ils ne sont pas en guerre21.

18C’est aussi que s’imposer d’embaucher, comme John Ford aimait à le faire22, hors les spécialistes professionnels des cascades exigées par le western, de « vrais » Indiens pour les interpréter à l’écran rend généralement le réalisateur prisonnier de la main d’œuvre de la réserve dans laquelle il a décidé de tourner et limite nécessairement le degré d’authenticité, sauf à augmenter énormément les coûts pour l’interprétation de simples silhouettes.

19Il serait, par ailleurs, bien naïf – de la naïveté propre au savant aurait dit Pierre Bourdieu –, de croire que le plaisir du spectacle est fonction de la couleur de peau, et que les Indiens seraient incapables de l’éprouver. JoEllen Shively, à l’occasion de la projection citée plus haut, put ainsi vérifier que ses spectateurs indiens s’identifiaient tout comme des spectateurs blancs, dans le feu du spectacle, à Ethan, le personnage raciste interprété par John Wayne, quand bien même Ethan tue force Comanches au cours du récit (il en scalpe même un à la fin)23. Ce plaisir partagé ne faisait pas cependant complètement disparaître toute différence entre spectateurs blancs et spectateurs indiens, ces derniers reconnaissant, par expérience, la faible valeur documentaire du film de John Ford. Aucun Native American ne cocha la case « portrait authentique du Far-West » proposée dans les raisons d’aimer le film, tandis que 50 % des Anglos le firent en y voyant même la raison majeure de l’apprécier. Les spectateurs indiens l’aimèrent, à l’inverse, pour la raison majeure qu’Ethan représentait à leurs yeux le rêve d’être libre et indépendant24. Soulignons que le jugement des spectateurs Anglos en faveur de l’authenticité du film signale, en même temps que leur manque de familiarité avec les cultures indiennes et leur attachement à la légende du western, leur désir de valoriser publiquement le message humaniste du film, la « maison » dans laquelle Ethan, le Blanc raciste, ramène sa filleule devenue indienne, dans un final qui a touché, à l’époque, les plus farouches combattants de l’impérialisme américain25.

20Cette valorisation de l’Agapé fait partie, en effet, tout autant que la représentation idéalisée de la violence – de la violence justifiée parce qu’elle permet d’instaurer ou de réinstaurer la justice – du western classique. (Voir Figure 2) L’évolution culturelle du public du western et la diffusion en son sein des outils de la critique historique et sociologique expliquent, conjointement, la raréfaction de cette mise en scène de l’Agapé – une mise en scène discréditée par la réalité historique de la conquête et le traitement des Indiens – et, symétriquement, la valorisation de plus en plus grande de la violence réelle, c’est-à-dire de la violence injustifiable, qui a caractérisé le Far-West.

III. Postmodernité et devoir de mémoire

21Le sentiment romantique de mélancolie vis-à-vis de l’« inévitable » disparition des tribus indiennes s’est ainsi transformé progressivement jusqu’à devenir, dans le western moderne, une forme de rage mélancolique à montrer le caractère parfaitement évitable de ce génocide (ou pour les intellectuels américains qui refusent le terme, du removal – le remplacement d’un peuple par un autre – des Indiens). Le contexte, dans les années 1960, de la lutte pour les droits civiques des noirs encore victimes dans le Sud des lois Jim Crow et de lynchages26, a favorisé, en lien avec la fin des studios et l’abandon du code Hays, la radicalisation de certains jeunes réalisateurs dans la mise en scène de ce qu’ils perçoivent, grâce à la vulgarisation de la psychanalyse, comme le « refoulé » de la mémoire collective américaine. Une conduite de réparation va se mettre en place, de plus en plus visible dans le genre du western à mesure qu’il avance en âge.

22Cette conduite de réparation triomphe dans les films que Janet Walker caractérise comme des « westerns traumatiques », des récits qui remettent en cause « à la fois les stratégies représentationnelles réalistes du genre western, et les préceptes idéologiques sur lesquels s’appuie le mythe de la Manifest Destiny27 ». Le « retour du refoulé » s’y accomplit le truchement d’une métaphore ou d’un transfert : quelque chose de grave s’est passé jadis et s’est trouvé enfoui sous des couches de réécriture de la vérité. La forme la plus courante de transfert, comme dans Pursued, consiste à remplacer le souvenir du massacre des Indiens par les Blancs par le souvenir d’un massacre d’une famille blanche par des Blancs28. (Voir Figures 3 et 4)

23Le transfert qui va avoir le plus de succès est celui qui consiste à mettre en scène, comme dans C’era una volta in West (Sergio Leone, 1968) ou Unforgiven (Clint Eastwood, 1992), des tueurs d’enfants. Ces personnages prennent sur leurs épaules le poids du sentiment général des Anglos d’avoir exterminé un peuple d’« enfants », et le paient de leur vie (Frank dans C’era una volta in West), ou se rachètent à grand-peine une conduite en se dévouant à leurs propres enfants (William Munny dans Unforgiven). Dans un western aussi classique que The Big Country (William Wyler, 1958), Rufus Hannassay tue d’ailleurs un de ses fils parce que celui-ci est incapable de réfréner ses pulsions – il n’est pas « civilisé ».

24On peut facilement vérifier, en se tournant vers d’autres genres cinématographiques, la manière dont le génocide indien, le sentiment de la culpabilité de l’Occident et le devoir de mémoire qu’il entraîne deviennent des lieux communs culturels, des occasions d’éprouver des valeurs éthiques partagées par tous les spectateurs informés. L’un des films à succès qui montre le mieux cette analogie entre le génocide indien et l’infanticide est The Shining. Le sang des innocents morts qui suinte des portes d’ascenseur de l’hôtel Overlook, où l’action prend place, est bien trop abondant pour être seulement celui des filles de l’ancien concierge devenu fou : c’est celui de la nation indienne tout entière. L’Overlook est par ailleurs construit sur un cimetière indien, et ce mépris des traditions indigènes se poursuit dans la décoration intérieure, avec les tapis qu’on piétine et la moquette qui singe les motifs de la tapisserie navajo29. (Voir Figure 5)

25The Shining comporte qui plus est une scène de conversation consacrée à l’affaire du Donner Party, un événement « traumatique », au sens de Walker, de l’histoire du Far-West qui remonte à 1847. Un groupe de pionniers (« party » signifie ici « groupe »), en route pour la Californie, fut surpris par la neige sur les hauteurs de la Sierra Nevada et, la nourriture venant à manquer, eut recours au cannibalisme30.

— Tu veux dire qu’ils se sont mangés entre eux ? demande Danny à son père Jack sur le chemin de l’Overlook.

— Oui, ils devaient le faire ; de manière à survivre (« they had to ; in order to survive »).

26En prononçant ces mots relatifs à l’inéluctabilité du cours (violent) des choses et du struggle for life, le futur père infanticide donne un blanc-seing à son fils : celui-ci aussi devra se rebeller contre ses proches « in order to survive », en l’occurrence tuer son père pour éviter d’être tué lui-même. Notons que les deux guides indiens qui accompagnaient le Donner Party refusèrent de manger de la viande humaine, ce qui leur valut d’être abattus sur le champ et consommés de suite31.

27Le désir de l’enfant de voir mourir le père, désir que justifie dans The Shining sa pulsion infanticide, constitue du même coup l’aboutissement ironique de l’éducation à la virilité, de l’imitation par l’enfant du héros mise en scène par le western classique, avec un soustexte parfois incestueux ou pédophile. Aux yeux des auteurs du BFI Companion to the Western, dans leur notice « Masculinity », Shane (L’homme des vallées perdues, George Stevens, 1953) en est un bon exemple : les revolvers de Shane, le héros interprété par Alan Ladd sur un registre ambigu, sont investis d’implications phalliques qui pèsent sur le jeune Joey, lequel est d’ailleurs, en retour, fasciné par eux32. The Shining ne manque pas d’ailleurs de tirer parti de cette connotation sexuelle, en faisant référence à un classique américain de la pulsion incestueuse, le Broken Blossoms (Le lys brisé) de David W. Griffith en 1919. (Voir Figures 6 et 7)

28Par-delà la ressemblance des situations scénaristiques et de la scénographie, on remarquera une différence topographique importante : Griffith filme la scène dans le sens droite-gauche (la future victime est à gauche) tandis que Kubrick la filme dans l’autre sens (Wendy est à droite). Comme les représentations usuelles du progrès, en Occident, suivent traditionnellement la disposition des frises temporelles et le sens de l’écriture (gauche-droite), on pourrait dire que Griffith considère le comportement du père infanticide comme une régression, tandis que Kubrick, quand bien même Wendy s’en tire de justesse, considère cette violence comme une inclination naturelle de l’« homme blanc » (Jack utilise cette expression, au bar de l’Overlook).

29L’œuvre entière de Kubrick, volontiers misanthrope, est d’ailleurs remplie de cette vision esthétique chère à Sade, Baudelaire, Nietzsche, Bataille et d’innombrables autres, selon laquelle le cœur de l’homme est le « cœur des ténèbres » et qu’une fois le « vernis de moraline » tombé – à l’occasion d’un enfermement prolongé, par exemple, comme dans The Shining – la bête en soi revient. Et la bête, tel Saturne, dévore ses propres enfants.

IV. Le plaisir du western comme patrimoine universel : l’agapé

30La relativisation, puis la dénonciation, en relation avec le développement de l’éducation, la diffusion des sciences sociales et des recherches historiques, de la « juste » violence mise en scène par le western, est une première dimension du processus de moralisation de la technique cinématographique qui a rendu acceptable le plaisir à la fois esthétique et éthique qu’il procure aujourd’hui. La seconde dimension de ce processus de moralisation est la patrimonialisation des films hollywoodiens les plus remarquables. La valorisation de leur qualité technique et de leur finalité artistique permet de les détacher de leur contexte de production et de les appréhender d’abord comme autant de témoignages historiques du plaisir cinématographique dont ils sont la cristallisation, d’un plaisir innocenté par le cadre du loisir dans lequel il s’inscrivait et, dans le cas du western, par l’ignorance du spectateur, due à son extériorité culturelle, de la réalité historique ayant inspiré la fiction cinématographique.

31La technique cinématographique n’est, en effet, pas comme le souligne Marcel Mauss, un « fait social » mais bien un « fait de civilisation », c’est-à-dire un « phénomène international, transnational ». Comprendre le plaisir cinématographique nécessite donc de l’appréhender comme un « fait de civilisation total », selon l’heureuse formule de G. Friedman et E. Morin, conjuguant en un mot-valise deux notions – « fait social total » et « fait de civilisation » – défendues par Marcel Mauss. Il importe de restituer à l’expérience cinématographique sa dimension transculturelle et transnationale de loisir « global ». Le plaisir cinématographique est un plaisir partagé par des individus appartenant à des cultures différentes, car les individus acquièrent, par leur commerce avec les objets, la technique du corps – au sens du contrôle des émotions résultant de l’engagement corporel du spectateur dans les situations représentées à l’écran – qui assure l’efficacité mondiale de la technique cinématographique.

32C’est ce dont rend bien compte le succès mondial du western, qui a été capable de toucher des individus appartenant à des cultures très différentes, aussi bien du point de vue de la science que de la religion, de la culture européenne. Ceci résulte tout à la fois de la capacité du plaisir cinématographique à se jouer des frontières, et des actions des occidentaux pour généraliser, par la colonisation ou la l’occupation militaire, leur mode de vie.

33La confrontation du western de John Ford, 3 Godfathers (Le fils du désert, 1948) et d’un film d’animation japonais récent, Tokyo Godfathers (2003) est, à cet égard, doublement intéressante.

34Le western s’y révèle, en effet, être un témoin, au delà de la christianisation qui a pu justifier la conquête du Far-West, de l’existence de valeurs, d’amour et de respect des personnes, partagées par tous les individus dans le monde, croyants ou non. Il nous rappelle, en même temps, qu’il fait partie d’un patrimoine cinématographique mondial qui sert de référence aux amateurs de cinéma éparpillés dans le monde.

353 Goftathers et Tokyo Godfathers sont deux objets chrétiens, au sens littéral et au sens anthropologique du terme. Au sens littéral, car ils se réfèrent tous deux explicitement à l’amour chrétien, même s’il s’agit, dans le second cas, d’un film japonais qui met en scène des personnages qui pratiquent, conformément à la tradition japonaise, la religion shintoïste. Au sens anthropologique, du fait que les deux films utilisent et valorisent l’émotion suscitée par l’Agapè, l’amour du prochain célébré par la tradition chrétienne, mais dont Luc Boltanski rappelle justement qu’il possède un fondement anthropologique en ce qu’il repose sur une capacité de « précompréhension » partagée par tous les individus, quelle soit leur race ou leur religion33. Tokyo Godfathers nous donne explicitement à voir cette conciliation entre croyance chrétienne et réalité anthropologique, en adaptant le récit de 3 Godfathers, le « Christmas Film » de John Ford, qui met en scène trois hors-la-loi se sacrifiant pour sauver la vie d’un bébé confiée à leurs bons soins par leur mère mourante égarée dans le désert d’Arizona. Dans le film de John Ford, deux des hors-la-loi acceptent de perdre la vie pour que le troisième réussisse, au terme d’un véritable calvaire, à ramener l’enfant à la civilisation et à le remettre, sain et sauf, aux autorités34. (Voir Figure 8)

36Bien entendu, comme le montre ce rapprochement, le film de Katoshi est beaucoup plus, ce que soulignent les évaluations déposées sur le site IMDb, qu’un pastiche du film de Ford ou qu’une exploitation de la formule du récit de Noël inventée par Dickens. Ni l’un ni l’autre de ces auteurs, en effet, n’auraient intégré comme personnage un transsexuel qui veut devenir une mère, une contribution du récit à l’évolution des rapports de sexe et à la normalisation d’une identité sexuelle alternative. Par ailleurs, le film de Katoshi nous fait découvrir, à la différence du film de Ford, le passé des différents personnages, les événements qui ont causé leur déchéance, les erreurs qu’ils ont commises, mais aussi les différents types d’injustice dont ils ont pu être les victimes. Le film nous propose, à l’opposé d’une vision mièvre et idéalisée des rapports sociaux, l’image d’un monde urbain cruel, avec ses yakusas, ses prostituées, sa violence gratuite, un monde malheureusement conforme à notre expérience contemporaine de la grande ville occidentale. Si l’on y ajoute les qualités plastiques du dessin, sa capacité d’évocation des rues de la mégapole sous la neige, la justesse de la caractérisation vocale et visuelle des personnages, il est aisé de comprendre les éloges adressés au film et le succès international qu’il a remporté, bien au-delà des cercles d’amateurs de film d’animation. (Voir Figure 9)

37Tous ces traits originaux qui font de Tokyo Godfathers un film contemporain possédant ses qualités propres par rapport au western dont il s’inspire ne doit pas nous faire oublier, cependant, l’efficacité émotionnelle qu’il partage avec 3 Godfathers et que soulignent tous les commentaires déposés sur IMDb35. Le film fonctionne au plan émotionnel et réussit à faire surgir des moments qui réchauffent le cœur, à ceux, tout au moins qui sont prêts à jouer le jeu du genre36. C’est ce qu’exprime très simplement le commentaire d’un des spectateurs américains :

Charming urban fairytale, 28 November 2004
Author : Charles Herold (cherold) from United States

38« This strikes me as a movie you will either accept wholeheartedly or trash whole-heartedly. It is shamelessly sentimental and is built on a series of absurd coincidences, but the amazing thing is it all works. The coincidences could feel like a shameless plot device but instead there is just a sense of wonderful magic, as though somehow the foundling the movie is built lives an oddly charmed existence that transforms the lives of those around it. The movie does a wonderful job of making its characters both broad but human. This is not one of those cheesy movies that make homeless people seem ultimately wiser and nobler than the rest of us, but while they are all deeply flawed they all have a redeeming warmth. The movie is both very funny and very touching, and is really about the miracle of love in a world of harsh realities. If you’re not willing to totally suspend your disbelief and give in to the movie’s blatant flouting of all concepts of reality then you’ll probably hate it, but if you want a charming fable this is a great choice. »

Conclusion

39Appréhender le western en adoptant le point de vue du spectateur permet d’éviter sa réduction à un genre historique et national et, en le réinscrivant dans le cadre du loisir cinématographique, de mieux prendre en compte ce qui rend acceptable, aujourd’hui, le genre de plaisir qu’il offre. C’est un spectateur devenu critique qui trouve, en effet, dans le western moderne la satisfaction d’une réparation de l’injustice faite aux Indiens mais aussi, inséparablement, dans les chefs d’œuvre du western classique, le plaisir procuré par l’Agapé. La qualité éthique propre à certains films particulièrement réussis est, en effet, de nous faire entrevoir, à travers la fiction, la possibilité d’un régime d’action alternatif aussi bien à la justice qu’à la violence. Prendre le point de vue du spectateur aboutit ainsi à rendre au spectateur une partie de l’efficacité de la fiction cinématographique, et à relativiser une critique éloignée et surplombante attentive uniquement à dénoncer le pouvoir idéologique de cette fiction. La dénonciation par Slavoj Zizek de la capacité d’Hollywood à abuser aujourd’hui le consommateur en s’appropriant « la critique postcoloniale […] de l’universalité idéologique37 », trouve ainsi sa limite dans le sens de la justice du spectateur du cinéma que Slavoj Zizek lui-même sollicite. Le geste critique du philosophe confirme, à l’inverse de ce qu’il semble affirmer, la réflexivité du spectateur, son effort pour contrôler de façon permanente le plaisir du spectacle cinématographique, sa capacité à ouvrir et à fermer les yeux, l’effort pour se rendre sensible à ce qui peut rendre le monde plus habitable.

Image 1000000000000296000000F4289FD61F.jpg

Fig. 1 : Ruse d’Apache, ruse d’enfant. Dans Apache (Robert Aldrich, 1954) et dans The Shining (Stanley Kubrick, 1980), les protagonistes ont recours au même stratagème pour confondre leurs poursuivants « infanticides » (au sens figuré dans le premier cas, propre dans le second) : marcher sur leurs propres traces pour se cacher dans une nature devenue elle aussi domestiquée (un champ de maïs dans le premier cas, un labyrinthe végétal dans le second).

Image 1000000000000259000000F23072F48A.jpg

Fig. 2 : Quand Mark (Tommy Rettig) est « obligé » d’abattre un homme pour sauver son père dans River of No Return (Otto Preminger, 1954), la scène joue à la fois sur l’inéluctabilité du recours à la violence et sur la relativité de l’innocence enfantine. Elle sera reprise avec les mêmes connotations dans A History of Violence (David Cronenberg, 2005).

Image 1000000000000294000000ED5DFA65FD.jpg

Fig. 3 : Pursued (Raoul Walsh, 1947). Jeb, à 11 ans (Ernest Severn) comme à 31 ans (Robert Mitchum) est poursuivi par des visions traumatisantes d’éperons menaçants, qui apparaissent en superposition, comme un feuilleté de temporalités et de niveaux de réalité. Il lui faudra longtemps pour se souvenir qu’il a assisté au massacre de sa propre famille.

Image 10000000000001900000013476143534.jpg

Fig. 4 : Grace Kelly jouant Amy dans High Noon (Fred Zinneman, 1952). Dans ce film qu’il est convenu d’appeler, selon les auteurs, un « western psychologique » ou même un « anti-western », tout est mis en œuvre pour montrer combien il en coûte aux Blancs de perpétrer la violence. « Ça la tue », semble dire le cadrage qui, grâce à une courte focale combinée à une grande profondeur de champ, exagère la taille du revolver dont Amy ne va pas tarder à s’emparer pour sauver son mari, quoique l’arme, au sens propre ici, se retourne contre elle38.

Image 1000000000000297000000F43939FFF6.jpg

Fig. 5 : A gauche : Wendy (Shelley Duvall) téléphone à son mari cependant que la télévision diffuse un western (personne n’a identifié ce film jusqu’ici, et aucun des interviewers de Kubrick ne lui a demandé de quel film il s’agissait – on aimerait bien sûr que ce fût Apache, en raison de la ressemblance signalée plus haut). A droite : le « retour du refoulé » est classiquement associé par le film à l’excrémentiel (la caméra cadre des sièges de toilette un peu partout, ici dans la salle de bains de la chambre 267, mais aussi dans celle où Danny interroge Tony ou dans la suite des Torrance ; la jeune femme/cadavre ambulant de la 267 affiche des chairs pourries, etc.).

Image 1000000000000295000000F284E41B9A.jpg

Fig. 6 : Dans The Shining, Jack (Jack Nicholson) défonce à la hache la porte de la salle de bains où se sont réfugiés son épouse Wendy et son fils Danny. Contrairement à Lucy dans Broken Blossoms (voir page suivante), Wendy est une fausse femme-enfant : elle porte le prénom de la grande sœur/mère de substitution dans Peter Pan, et comme son homonyme, sait se tirer d’affaire toute seule.

Image 1000000000000295000000F42EBA15F2.jpg

Fig. 7 : Dans Broken Blossoms, Battling Burrows (Donald Crisp) défonce de même, à la hache, la porte du réduit où s’est enfermée sa fille Lucy (Lillian Gish). Officiellement, c’est pour la fouetter, mais la façon dont il tenait le fouet plus tôt laissait plutôt entendre des implications sexuelles. Contrairement à Wendy qui tient un couteau, Lucy est une pure jeune fille griffithienne : elle tient sa poupée. Notons au passage la ressemblance avec la figure vue plus haut dans High Noon : le père tient sa hache tranche vers lui (mais ce n’est ici qu’un simple effet d’annonce, car il paiera de sa vie l’assassinat de sa fille).

Image 1000000000000297000000F36801BBB8.jpg

Fig. 8 : Dans 3 Godfathers (1948), remake de Marked Men (1919) réalisé par John Ford au début de sa carrière, la cocasserie de l’irruption dans le cadre cinématographique du western de techniques féminines du corps et de la consultation inquiète d’un manuel de soins de nourrisson donne la mesure immédiate et plaisante de la métamorphose qu’accomplit l’Agapé.

Image 10000000000001BF000001F46C8A39AE.jpg

Fig. 9 et 10 : Les réactions émotionnelles des trois clochards qui sont les héros de Tokyo Godfathers sont à la mesure de la violence ordinaire qu’ils doivent affronter quotidiennement dans les rues de la mégapole. Elles accroissent encore le plaisir d’assister à leur domestication par la petite fille qu’ils ont recueillie et la réparation de leur destinée que va permettre leur dévouement. A noter le clin d’œil que constitue le manuel de soins au premier plan.

Notes de bas de page

1 Pour le renouvellement récent de la sociologie morale et politique en France, cf. notamment Boltanski (Luc) et Thevenot (Laurent), De la justification, Gallimard, Paris, 1991 et Boltanski (Luc), L’amour et la justice comme compétences, Métailié, Paris, 1990.

2 Latour (Bruno), Nous n’avons jamais été modernes, La Découverte, Paris, 1991.

3 Cf. Benjamin (Walter), « Sur le concept d’histoire », in Œuvres III, coll. « Folio », Paris, 2000, p. 432-433. Ce qui fait de l’historien matérialiste un « spectateur réservé » est que tout bien culturel « révèle une origine à laquelle il ne peut songer qu’avec effroi », car « il n’est pas un témoignage de culture qui ne soit en même temps un témoignage de barbarie ».

4 Cf. Jullier (Laurent) et Leveratto (Jean-Marc), La leçon de vie dans le cinéma hollywoodien, Vrin, Paris, 2008.

5 L’éditorial traite de l’annexion du Texas. Par la suite, Sullivan a proposé d’annexer Mexico et Québec. Cf. Sampson (Robert), John L. O’Sullivan and his Times, Kent State University Press, Kent, 2003, p. 192 et suiv.

6 Weeks (William Earl), Building the continental empire : American Expansion from the Revolution to the Civil War, 1996.

7 Nye (David E), American Technological Sublime, The MIT Press, Cambridge, 1994, p. 282.

8 Kilpatrick (Jacquelyn), Celluloid Indians : Native Americans and Film, University of Nebraska Press, 1998, p. 5. L’auteur se base sur la définition que donne Bronislaw Malinowski du mythe comme une forme de justification collective d’une conduite, c’est-à-dire « ce qui entre en jeu dès qu’un rituel, une cérémonie, une règle morale ou une coutume sociale demande une justification, un pedigree d’ancienneté, une garantie d’existence ou de sainteté ». (Malinowski (Bronislaw), Magic, Science, and Religion and Other Essays, The Free Press, Glencoe, 1948, p. 84-85)

9 « [...] si elle a jamais existé, ce qui reste à prouver, cette scène [Pocahontas sauvant John Smith de la mort] est comparable à une volonté de décrire la Shoah en racontant une belle histoire d’Anne Frank tombant folle amoureuse d’un officier nazi. », Ibid., p. 151.

10 « The Significance of the Frontier in American History » est la conférence séminale – donnée en 1893 par l’historien Frederick Jackson Turner devant l’American Historical Association, à l’occasion de l’Exposition Universelle de Chicago – de cette littérature savante apportant une justification a posteriori de la conquête.

11 Cawelti (John), The Six-Gun Mystique Sequel, Bowling Green State University Popular Press, Bowling Green, 1999, p. 23.

12 Ibidem, p. 34.

13 Cawelti (John), The Six-Gun Mystique Sequel, op. cit., p. 7. Sitting Bull y a joué son propre rôle un peu plus d’un an, jusqu’à ce qu’il soit tué durant les émeutes de la Ghost Dance en 1890. Quelques mois plus tard, Buffalo Bill a profité du massacre de Wounded Knee pour embaucher des Indiens qui y avaient survécu avant d’être fait prisonniers : « La transition de la guerre à l’industrie du spectacle était à ce point immédiate. » (Ibid.)

14 Ibidem, p. 5. L’intermédialité des premiers westerns ne s’arrêta d’ailleurs pas à la photographie et au cirque, mais engloba les spectacles itinérants de medicine shows, qui comprenaient des attractions mettant en scène l’élixir vendu sur place.

15 Jay (Gregory S.), « "White Man’s Book No Good" : D. W. Griffith and the American Indian », in Cinema Journal, vol. 39, n ° 4, été 2000, p. 7. L’auteur caractérise cette attitude comme le « Syndrôme du Dernier des Mohicans ». Curtis a pris les clichés de sa somme « documentaire » The North American Indian entre 1907 et 1930.

16 Jay (Gregory S.), « "White Man’s Book No Good" », op. cit., p. 8.

17 Ibidem, p. 10-11.

18 Ibid., p. 19.

19 Leutrat (Jean Louis), L’alliance brisée. Le western des années 1920, Presses universitaires de Lyon, Lyon, 1985, p. 183.

20 Leutrat (Jean Louis), L’alliance brisée., op. cit., p. XVI.

21 Shively (JoEllen), « Cowboys And Indians : Perceptions Of Western Films Among American Indians And Anglos », in American Sociological Review, December 1992, vol. 57, p. 732.

22 McBride (Joseph), Searching for John Ford. A Life, St Martin’s Press, New York, 2001, p. 565-566, rend bien compte du choix volontaire par John Ford d’Henry Brandon, un acteur allemand réputé pour ses interprétations de rôles d’Indiens, pour jouer le rôle de Scar, le guerrier violent qui représente l’alter ego d’Ethan dans The Searchers, et de sa décision d’incorporer aux costumes de Comanches, dont il était conscient qu’ils étaient, « des Indiens des plaines », des éléments de costume Navajos, pour les rendre plus spectaculaires aux yeux d’un public « incapable de faire la différence ».

23 Shively (JoEllen), op. cit., p. 727.

24 Shively (JoEllen), op. cit., p. 729.

25 MacBride (Joseph), op. cit., p. 565 ne manque pas de signaler la réaction souvent citée de Jean-Luc Godard à ce film, en la reformulant dans le vocabulaire politique américain : « Comment puis-je tout à la fois haïr John Wayne supporter de Goldwater et l’aimer de tout mon cœur lorsqu’il prend Nathalie Wood dans ses bras à la fin de The Searchers ? »

26 Jay (Gregory S.), op. cit., p. 21. Les lois Jim Crow qui restèrent en vigueur de 1876 à 1965 dans les anciens États confédérés instauraient une ségrégation en fonction de la couleur de la peau.

27 Walker (Janet), « Captive images in the traumatic western », in Westerns films through history, sous la dir. de Walker (Janet), Routledge, 2001, p. 221.

28 Jay (Gregory S.), op. cit., p. 16.

29 Jean-Louis Leutrat, dans La Prisonnière du désert. Une tapisserie navajo (Adam Biro, Paris, 1990) explique que les Navajos s’assurent toujours de glisser une erreur dans leurs tapisseries (la lazy line), alors que la moquette de l’hôtel montre une géométrie parfaite.

30 Voir Ordeal by Hunger : The Story of the Donner Party, écrit en 1936 par George R. Stewart, un auteur que Stephen King, l’auteur du roman The Shining dont le film est tiré, cite comme influence.

31 Buscombe (Edward) et Schickel (Richard), The BFI Companion to the Western, Andre Deutsch Ltd, Londres, 1988, p. 111.

32 Ibidem, p. 183.

33 Cf. Boltanski (Luc), L’amour et la justice comme compétences, op. cit., p. 153-155.

34 Pour une analyse du film de John Ford, cf. Jullier (Laurent) et Leveratto (Jean-Marc), La leçon de vie dans le cinéma hollywoodien, op. cit., p. 97-101.

35 On trouve sur ce site 43 évaluations du film déposées prioritairement par des spectateurs américains.

36 Même si un internaute regrette que le réalisateur ne valorise pas plus ces moments, comme l’indique le titre de son évaluation (Dickens influenced anime is a bit too fast paced for its own good) : « [...] The film also comes close to working on an emotional level : there are some genuinely heart-warming moments but they are presented so quickly that their impact is lessened. Ultimately, this film has a few too many unlikely plot contrivances that go by a little too fast for it to be a great one but it works well enough often enough to make the film better than average. » Auteur : timmy_501, États-Unis, 9 janvier 2010.

37 Zizek (Slavoj), La subjectivité à venir. Essais critiques, Flammarion, Paris, 2006, p. 74.

38 Pour une analyse de cette scène, voir Jullier (Laurent) et Leveratto (Jean-Marc), La leçon de vie dans le cinéma hollywoodien, Vrin, Paris, 2008.

Précédent Suivant

Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.