Deviens qui tu es. Espace de la Frontière et aporie identitaire de l’homme westernien. À partir de Ford, Mann, Wellman et King
p. 95-118
Texte intégral
1Posons d’emblée ce qu’il s’agit au fond d’établir : le registre mythique qui fut, dès l’origine, la tonalité de fond du western, serait moins une donnée idéologique, l’incarnation d’un métarécit national ou une approximation littéraire de la politique identitaire américaine au xxe siècle, que la conséquence nécessaire, littérale, intégrale du problème que le genre n’a jamais cessé de poser à la fois au cinéma et à l’Amérique, à savoir la question de l’origine. Non pas la pure problématique du commencement (pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien, et, puisque tout premier se présuppose lui-même, la causa sui de la transcendance historique comme seule réponse), ni la question de la généalogie (la remontée aux causes par induction pour comprendre le présent et sa secrète urgence), mais bien plutôt le problème de ce qui est à la fois premier et en même temps ne cesse pas d’être activement présent, c’est-à-dire de ce dont l’originarité n’est pas chronologique mais principielle, ontologique disons, bref le motif de la fondation. Or, cette initialité que le western s’est donnée pour tâche de retracer, étant fondée sur la rupture (qui désigne aussi la conquête, c’est-à-dire au fond ce qui relève de l’inaugural et de l’autonome), elle ne peut être exposée que dans son opposition avec le passé dont elle se détache, avec ce qu’elle vient briser et interrompre. Autrement dit, le commencement dans le western vient d’abord finir et clore, et il ne fonde qu’à d’abord abolir, et donc à être second. C’est pourquoi l’origine qu’il présente doit toujours se précéder elle-même.
2On pourrait ainsi suggérer, en nous appuyant sur des œuvres de la fin de l’époque dite « classique » (essentiellement les années 1950), que l’ambition mythique du western est en même temps sa contradiction. Que cette négation qui, au moins implicitement, le précède et le conditionne, laisse à sa résolution, même la plus triomphale (dans Wagon Master (Le Convoi des braves, Ford, 1950), par exemple, dans Westward the Women (Convoi de femmes, Wellman, 1952) encore, ou chez Walsh), un reste inassimilable, quelque chose qui résiste au tableau de la réconciliation des forces humaines, telluriques et historiques que le registre destinal de sa représentation pourrait laisser voir. Ce manque, ce cœur sombre, sont avant tout logés dans l’être même du personnage westernien, et ils permettent de mesurer le sens véritable du registre mythique du western, souvent illusoirement réduit au roman patriotique des États-Unis ou bien à la conscience de soi historique d’une certaine modernité politique, laquelle apparaîtra à nu à la fin de la croyance classique dans le récit westernien lui-même. Autrement dit, jusque dans le royaume que le héros westernien instaure, résonnent un exil et un retrait qui brisent toute complétude identitaire du personnage, sur le modèle du retour à soi de la conscience malheureuse. L’humanité westernienne est au contraire creusée par une impossible coïncidence à soi en même temps qu’un rapport à l’histoire d’avantage fondé sur l’ambiguïté de la répétition que sur la transparence à soi de la patrie, du foyer, de la communauté, voire de l’âme. Il ne s’agira ici en aucun cas d’entreprendre une quelconque anthropologie structurale de l’humanité westernienne, mais d’examiner certaines constantes à la fois formelles et figuratives qui décrivent, en creux, une sorte d’horizon existentiel propre au genre dans son ensemble, et d’y adosser l’hypothèse que le mythe désigne ici le registre représentatif propre au western et non une tonalité plus génériquement anthropologique.
I. L’exil
3Commençons par ce qui est toujours déjà commencé, et qui dénote une antériorité absolue d’où toute la temporalité westernienne peut se dérouler, c’est-à-dire le schéma de l’exil, décliné à la fois politiquement et psychiquement. De fait, le personnage du western est toujours déjà hors de lui-même, il n’est pas celui qu’il est, ou bien est celui qu’il n’est pas. Chez Henry King par exemple, cela prend la figure d’une vocation contrainte et forcée : le personnage de Jimmy Ringo, dans The Gunfighter (La cible humaine, 1950), tueur imbattable cherchant à échapper à son passé, c’est-à-dire à lui-même, y est sans cesse ramené, réifié dans la mythologie et le regard des autres, à cause des provocations que sa célébrité déclenche chez ceux qui le croisent. En sens inverse, le même Gregory Peck des Bravados (1958) endosse la persona du justicier pour venger sa femme, mais cette mue, au-delà de la simple tâche à exécuter, colore et vampirise son identité. Véritable appel, comme King ne cessera de les mettre en scène (dans le western, dès Jesse James (Le Brigand bien aimé, 1939), mais dans son œuvre en général), cette vocation brouille l’ipséité du personnage, car l’inertie et les forces pour se fuir se neutralisent et ainsi s’aiguisent dans un conflit qui est sans doute la grande affaire du cinéma de King.
4On trouvera également chez Mann un héros toujours déjà dans le négatif et le manque. Ses personnages se présentent d’abord en situation de défaut, vide dont la lente reconquête dirigera tous leurs efforts. Dans Winchester 73 (1950), Lin McAdam est sous l’emprise du fusil, aliéné à ce dont il éprouve le dessaisissement comme une trahison. A mesure qu’elles le commandent, la haine et la vengeance vont le projeter dans une entreprise d’épuisement du territoire, l’itinéraire circulaire du fusil incarnant spatialement le geste visant à se défaire des forces qui imposent cette identité d’emprunt. Le fait qu’il s’agisse de traquer un frère pour la possession d’un fusil dit bien la nature de cet exil initial : le brouillage des liens du sang qui réduisent l’homme à une solitude qui n’a que la violence comme expression possible, une violence qui n’est jamais un débordement de la subjectivité mais un véritable devenir-autre, à la manière d’une Tunique de Nessos qui fait corps avec le corps et, le redoublant, le nie. Le moteur de la dramaturgie mannienne, c’est cette privation qui tire son personnage vers le contraire de soi, ou plutôt ce tropisme négatif par lequel ce personnage n’est jamais ce qu’il est.
5Du coup s’ouvre pour lui la nécessité d’une appropriation de soi qui prendra la figure d’un itinéraire, justifiant la fusion entre l’identité individuelle et la conquête collective du territoire. Cette domestication de la terre n’est cependant jamais la fin, mais le passage d’où naîtra un nouveau lien à l’extériorité, et donc au soi qui s’y trouve dispersé. C’est un mouvement qu’on trouve chez Wellman, chez qui la terre est en fait le rapport à la terre : elle n’est jamais une donnée, une chose dont on est héritier ou propriétaire, mais un lien entre soi et soi, dont l’épiphanie et la pérennité prennent la forme du territoire qu’on arpente, sillonne, répète... C’est très net dans Across the Wide Missouri (Au-delà du Missouri, 1951), où l’entreprise pionnière est désolidarisée de toute lecture transcendante ou téléologique, pour laisser place à une poétique de la contingence, qui situe l’expérience de la conquête sous le signe modeste du désordre, du hasard, de la confusion et de l’errance. Flint Mitchell (Clark Gable) n’est que la somme des moments de son histoire, un parcours synchronique sans la synthèse achevée d’une identité que son statut de défricheur pourrait lui conférer. Partisan de l’événement contre la forme, de l’instant individualisé et insécable contre le régime générique de l’emblème ou du symbole, Wellman met toujours en scène un rapport au lieu et à l’identité strictement additif, quantitatif, qui s’agglomère dans la dérive et l’itération, dans l’hésitation parfois, et que seule l’idée mythique du territoire (non sa réalité physique) fait passer au qualitatif. Totalisation sans totalité, l’identité du personnage est pur devenir mais sans renoncer à la pluralité discrète des événements, c’est-à-dire que l’expérience de la terre est confondue avec l’endurance de l’histoire, dont la dimension individuelle prime, et qui ne décrit un itinéraire collectif qu’au terme de son parcours singulier (c’est la ligne de Westward the Women). Ainsi, l’histoire est produite par la geste individuelle, mais celle-ci ne doit sa force et son efficace qu’à être préalablement innervée par une échelle supérieure. La ruse du devenir historique que le western de Wellman met en œuvre, c’est que cette amplitude collective, qui décrit l’existence communautaire telle qu’elle est toujours déjà en train de se fonder, et donc simultanément en train de se refonder, n’apparaît qu’à la fin, alors même que le tropisme mythique qu’elle anime est actif dès l’origine. Ce qui donne à la dramaturgie westernienne, particulièrement chez Wellman ici, tout le magnétisme d’un mouvement destinal sans ôter à son effectivité l’incarnation d’une volonté autonome et responsable, la seule qui convient à la figure du pionnier.
6La ligne commune à ces différentes figures de l’identité, c’est la nécessité pour l’homme de passer par l’extériorité pour saisir sa propre forme, extériorité dans laquelle il rencontre le même inachèvement sous la forme de cette communauté flottante, interstitielle qu’est la ville en train de s’édifier, la loi en train de se dessiner, la Frontière en train de se tracer. Bref, il s’agit de s’exposer, d’ek-sister au sein de coordonnées qui ne sont elles-mêmes que du provisoire, du mouvement, de l’entre-deux. Il n’y a de soi que dans le mouvement de sortir de soi, mais l’extériorité ainsi investie n’existe elle-même que disjointe dans ses moments épars et discontinus, selon un trope dont Monte Hellman tirera plus tard la cosmologie presque janséniste de The Shooting en 1966.
7Car il n’y a guère que deux issues dramaturgiques pour contourner les impératifs exigeants de cette conquête de soi. La première par force et excès, où l’individu serait d’emblée chez lui, nativement défini comme ce qu’il est, propriétaire de lui-même selon un droit naturel qui n’a plus qu’à être confirmé empiriquement : voie sur laquelle on trouve Hawks, dont les héros ne sont jamais aux prises avec l’extériorité dans le saut et la distance, mais seulement avec un prolongement de leur intériorité qui s’est défaite de ses attributs subjectifs pour devenir pure action. Pour être plus exact, les personnages hawksiens, particulièrement ceux de la trilogie Rio Bravo, Eldorado, Rio Lobo, ont pour conscience un mouvement vers l’extériorité, à savoir la précision inflexible du geste, l’efficacité du bras libéré des méandres de la décision morale. Du coup, l’extériorité n’en est pas une, elle est seulement le champ d’exercice de la force de chacun (et force est le maître mot de l’homme hawksien). Ce qui va cependant réintroduire la dissociation du soi que nous évoquions chez Mann, King ou
Wellman, c’est l’idée que le drame, c’est-à-dire la mise en œuvre de cette action, dissimule et recouvre en fait l’identité véritable du héros hawksien, que celle-ci est comme voilée et retirée derrière une fonction strictement performative. Du coup, l’accomplissement de la tâche, le succès de l’action libèrent en fait le personnage à lui-même, c’est-à-dire à ce qui le voue en secret (et inconsciemment) au contraire de lui-même. C’est ainsi que Wayne dans Rio Bravo (1959) pourra, après le sort des Burdette réglé, accepter le partage de sa force dans une union conjugale qui dément son autorité physique1. L’être-soi suppose la clôture du drame, dont il naît négativement. Si l’ipséité est certes ici confirmée par l’action, elle conduit cependant à une nouvelle sortie de soi. C’est pourquoi la fin du film (son récit) redouble, par l’ouverture qu’elle impose, l’ambiguïté à l’œuvre dans sa finalité, à savoir le fait de conduire à un aboutissement dont l’essence, dynamique et réglée sur l’idée de la communauté comme force expansive, suppose son recommencement et sa poursuite inlassable. Même dialectique entre la forme et l’informe, donc, chez l’homme et dans la communauté. Si la fin est un commencement neuf, le commencement est lui-même précédé par autre chose, et n’est donc pas un commencement.
8Il existe également une seconde voie de contournement, cette fois-ci négative et par défaut : on la trouve chez Peckinpah par exemple, où l’homme n’est plus hors de soi mais vidé de toute soi, l’absence d’intériorité le condamnant à la lassitude d’une quête dont ne reste que la forme épuisée de l’arpentage. Dans cette réflexivité vaine, c’est-à-dire d’une action qui, se prenant pour objet, n’a plus d’autre fin que sa propre continuation, c’est à dire son agonie, c’est en fait la désintégration du monde qui fonde l’impuissance du personnage. Ici la Frontière a rendu le masque, et n’est plus qu’un miroir : poursuivre la Frontière, c’est l’avoir déjà dépassée et abolie, et par conséquent avoir supprimé l’idée même d’extériorité qui en fait la fécondité. C’est en fait la suppression du conflit entre intériorité et extériorité qui vide les deux dimensions de leur épaisseur et de leur sens au point que l’homme de Peckinpah n’existe que dans le suicide. Voir Pat Garrett & Billy the Kid (1973), où les deux figures composent en fait les deux faces d’un même être s’anéantissant lui-même.
9Cette scission intérieure, endurée dans la dissociation et la fracture avec le monde fut déjà une ligne décisive du western classique, mais la politique hollywoodienne du geste qui la fonde exigeait qu’elle soit restituée plastiquement et narrativement, donc qu’elle prenne forme sensible dans le rapport avec la nature et les éléments, c’est-à-dire par l’espace. C’est particulièrement net chez Anthony Mann. Parce que l’homme mannien s’identifie à un parcours, et que remplir sa tâche signifie remplir un vide, il a fondamentalement à voir avec l’espace. D’abord parce que le chemin qu’il effectue fonctionne comme une découverte, la mise en relief, au sein d’une relance narrative indéfinie, d’une géographie dont les accidents valent comme épreuves et révélations. Ainsi la rédemption de Glyn McLyntock dans Bend of the River (Les Affameurs, 1952) se confond-elle avec la victoire sur le fleuve, sur la montagne et sur la neige, et avec l’établissement d’une colonie : le défrichage du paysage hostile correspond point par point à l’apprentissage par lequel le personnage s’approprie une nouvelle identité. Mais le lien fonctionne aussi dans l’autre sens, puisque la nature physique prolonge, reflète et multiplie la disposition et l’action des personnages.
10Il ne s’agit pas là de symbolisation mais d’un véritable lien d’identité : une identité médiate, selon un mode itératif et temporel, comme si l’homme, en le parcourant, devenait le paysage, intégrait chaque parcelle de son relief. Et comme si inversement, ce paysage s’instillait dans le personnage, lui imposait une échelle faite de démesure et d’excès. Le lien qui unit, dans The Far Country (Je suis un aventurier, 1955), Jeff Webster aux montagnes enneigées qu’il arpente n’est ni décoratif ni symbolique, il traduit, loin de toute réconciliation macrocosmique, la dépendance mutuelle de l’homme et du paysage, leur force aliénante (matérialisée iconographiquement dans la mine d’or et dans la neige). Le jeu formel sur les variations de lumières, très tranchées, mesure à son tour l’alternance de domination et de sujétion, qui scande l’inscription difficile de l’homme dans un territoire où seul le degré de violence et de répercussion de l’agressivité est à même de garantir la possession et la résidence.
11Ce lien tellurique est donc modelé par la force de l’individu qui, s’il domestique le paysage et le rend accessible, ne parvient en fait qu’à créer un territoire par défaut. Parce que son établissement est d’abord fondé sur l’appétit d’un besoin, le sol conquis restera fondamentalement étranger. C’est le paradoxe du personnage mannien : à mesure que sa force le pousse à domestiquer et maîtriser la terre, celle-ci l’éloigne et le repousse en étranger, dans un paroxysme d’hostilité qui coûtera la vie à une partie du personnage et le divisera. C’est finalement la force tectonique du monde, rendue vivante et agressive par la force et la violence qui s’y répercutent, qui va opérer la séparation des différents versants de la personnalité du héros, et dénouer pour lui le conflit. C’est ainsi que dans The Naked Spur (L’Appât, 1953) comme dans Bend of the River, le déchaînement des rivières décide, comme une pesée des âmes, de ce que fera et sera James Stewart. Le monde finit par tolérer l’homme lorsqu’il le purge de la vengeance et de haine qui le dirigent au départ. C’est là le prix de l’enracinement, et il passe d’abord chez Anthony Mann par l’affrontement et l’excès. Le paysage, les éléments fonctionnent d’abord comme un cadre claustrophobe et carcéral, sorte de camisole à distance qui exerce une pression constante et pousse le personnage mannien à venir à bout de lui-même, à se défaire de lui-même. L’homme finalement se laisse conquérir par le monde, habité par lui, et non l’inverse. Pour le dire ainsi, c’est en posant un genou à terre qu’il met la main sur elle.
12Le western a bien sûr toujours mis en scène la lente assimilation, par une communauté naissante, de la terre inculte et des vastes espaces hostiles dont la fureur renvoie l’homme à des épreuves archaïques. Mais chez Mann la violence tellurique est d’abord une composante de l’homme lui-même : chacun de ses gestes, chacune de ses décisions, ont leur correspondant visuel dans les modifications du paysage, au point que les éléments s’approprient peu à peu la causalité et tranchent pour les hommes. La clairière de The Naked Spur, où a lieu l’affrontement avec la patrouille indienne, dans son opposition plastique avec le reste du paysage qui l’entoure, est bien le lieu où se révèle l’antagonisme des tendances des différents personnages : c’est dans ce genre de lieux qui s’imposent par leur spécificité que la différenciation entre les caractères éclate et s’accomplit. Mais le fait que le film se déroule intégralement en extérieur2 souligne bien la nature excentrique de l’homme mannien, et surtout son illisibilité. C’est pour cela que son lien avec le paysage est d’ordre dynamique, procédant par un échange de forces entre les tiraillements intérieurs de l’homme et les ruptures, les accidents physiques de la nature, échange qui compose le tissage heurté et souvent contradictoire du monde même.
13Même le ciel, tour à tour menaçant et effacé, n’offre aux hommes ni miroir ni écho. Le combat final dans Man of the West (L’homme de l’Ouest, 1958), The Man from Laramie (L’homme de la plaine, 1955), Devil’s Doorway (La porte du diable, 1950) témoigne d’un ciel qui jamais n’accueille ni ne se laisse habiter. Là où Ford étire chaque dimension du ciel dans l’indéfini de la distance afin de jouer plastiquement sur le rapport entre les plans, entre le vide et le plein, là où il travaille à rendre le monde habitable en lui donnant épaisseur, volume, profondeur, plasticité (nuages, pics rocheux, convois, cavaliers...), Mann met en place une stratégie de discontinuité : couper les perspectives, rompre les horizons, comprimer ou dissoudre les distances, boucher les ouvertures, comme si le monde se retirait de lui-même. La question de l’être et du soi (qui suis-je ?) devient dès lors la question du lieu, du où ? (comment faire partie du monde, comment avoir un territoire ?) Et l’identité non plus centripète mais centrifuge.
14L’itinéraire du personnage mannien consistera finalement, à mesure qu’il étend illusoirement son domaine, en un retour en arrière qui permet seul de mesurer le territoire en le laissant être. Celui-ci ne se mesure pas en étendue, en autorité, mais se résume dans le fait de lui appartenir. C’est en comprenant le lien violent qui l’unit à son paysage, à sa terre, comme la seule chose qui lui est propre, que le personnage mannien hérite du seul territoire qu’il détienne, celui qu’il porte douloureusement avec lui, et avec lequel il fait corps dans la brutalité sinon dans la défaite. Il finit par porter avec lui ce contre quoi il s’est d’abord brisé, et qui devient son monde. Au plus loin de son exil, il hérite ainsi d’un royaume.
15C’est peut-être dans Devil’s Doorway, un des rares westerns de Mann qui ne décrive pas un trajet (sinon identitaire, justement), que cette notion de territoire comme lieu d’appartenance apparaît le plus magistralement. Ce film oppose le Blanc et l’Indien d’une manière naturelle, presque géologique. L’Indien fait partie de la terre, lui appartient, là où la terre appartient à l’homme blanc : l’un a un territoire, l’autre une propriété3. Le monde de Lance Poole (Robert Taylor) se réduit à sa terre, il y épuise son identité4. Et c’est tout naturellement que les Indiens échappés de la réserve voisine viennent s’y réfugier, guidés par la sensation d’en faire partie, au même titre que les arbres ou la rivière. La très subtile construction des plans larges, dont le cadre vient toujours couper les éléments, la répartition du clair-obscur qui donne à ces éléments une pulsation unique, les trajectoires des personnages modulant en des courbes et des angles variés l’horizontalité et la verticalité, tout cela tend à faire de « Sweet Meadows » un univers sans limites autres que celles qu’on y tracent à chaque fois en l’habitant, un cadre unique et définitif qui se suffit à lui-même et dont on ne sort pas. Face à cela, la ville, le saloon, le campement des fermiers, restent des lieux où la lumière est indivise, aveuglante ou opaque, où les hommes, en des mouvements confus et contradictoires, brouillent le cadre5. La rixe dans le saloon met en scène cette furie presque animale, sans loi ni profit, tout comme le camp des éleveurs fait disparaître ciel et terre tant il emplit le cadre de sa foule, de son désordre, de sa hargne. L’acceptation de son identité indienne coïncidera, pour Lance Poole, avec la reconnaissance d’une appartenance indéfectible, sacrale, immédiate à sa terre, et le cheminement par lequel il revient à cette terre décrit le contour de son identité (posthume). Celle-ci correspond donc toujours chez Mann à un certain apprentissage de la passivité et de l’errance, qui tranche avec la fibre destinale de l’idéologie de la Frontière.
16De fait, le personnage de Mann n’agit jamais par sentiment de la loi, par appartenance implicite à une communauté, même virtuelle, par souci éthique ou horizon régulateur de la justice, bref il n’a nulle part de résidence, pas même sa famille qui est général démembrée ou traitre. En tant qu’il est finalement pur passage, il est fondamentalement sans qualités, sans fonction sociale ni positionnement par rapport à un ordre qu’il faudrait construire ou défendre. Il agit, non par devoir ni croyance, mais par une nécessité intérieure qui ramène les conditions de possibilité de l’épopée américaine aux affres immédiats d’une existence individuelle qui ne représente qu’elle-même. Parmi ces affres, il y a la cruauté, la violence, ce surcroît de force qui excède l’action et en change le sens. Celle-ci n’est cependant jamais soumise à une perspective psychologique, morale, moins encore esthétique : elle mesure simplement le geste, et la manière dont l’action fait l’homme, loin de toute valeur transcendante. Si communauté il doit y avoir, elle sera le fruit d’une série de rencontres et de contingences, et aura un caractère foncièrement temporel et évolutif. Qu’il s’agisse de la troupe de The Naked Spur, unie par intérêt et sans cesse secouée par la force centrifuge d’individus que la mauvaise conscience et le poids d’une disgrâce secrète rend fondamentalement insociables ; ou bien encore celle de The Man from Laramie, dont tout objectif commun a disparu et qui se ramène à un simple contact entre des corps rétifs ; c’est toujours une communauté de voyage, provisoire, menacée d’interruption, et surtout une communauté dans laquelle le héros n’aura jamais sa place, car il disparaît dès son action achevée. Il est ainsi fondateur négativement, il ne peut que précéder ce qu’il permet, et ce qu’il permet est toujours malgré lui, ou sans le vouloir. Il n’est le vecteur du destin collectif américain qu’à son corps défendant.
17Le rapport de l’homme a l’espace (entendu comme champ de forces) est donc la matrice à partir de laquelle s’élaborent à la fois son identité et le contour de la communauté qui l’accueille, mais de telle sorte que cette identité et ce cadre social soient toujours en devenir, à la fois répétitifs et progressifs, selon une équation formelle de base de la syntaxe cinématographique que le western a sans cesse réactualisée. Cette équation veut que, dans la perception cinématographique, l’espace soit du temps et inversement. Cela signifie ici que le parcours qui déploie l’espace matérialise en fait un passage. Si, derrière l’identité du personnage principal résonne en fait une humanité virtuelle, alors l’exil initial dont nous parlons résonne aussi en un sens historique et il appelle le régime mythique sous lequel le présent du western se donne. C’est-à-dire comment la précarité des hommes, la contingence de leurs gestes s’intègrent à une complétude toujours déjà supposée (téléologiquement) mais jamais acquise, toujours à faire. C’est cela le royaume westernien.
II. Le royaume
18Et cela, il appartient sans doute à John Ford de l’avoir établi. Mais lui aussi a mis en œuvre cette temporalité à partir d’un certain traitement de l’espace et de la dramaturgie, qu’on peut reconstituer à partir de trois films pris comme exemples et emblèmes. Stagecoach (La chevauchée fantastique, 1939), Fort Apache (Le Massacre de Fort Apache, 1948), The Searchers (La prisonnière du désert, 1956), renvoient à trois périodes distinctes de la filmographie fordienne et sont ainsi à même de rendre compte de son extrême cohérence thématique et de la constance du schéma formel ici en jeu.
19D’abord au niveau de la logique narrative. La cohésion de chacun de ces films provient de ce qu’ils décrivent un parcours, un cheminement, dans toute l’amplitude de son mouvement. Chacun n’acquiert d’unité que parce qu’il montre l’effectuation complète d’une forme de voyage (matérialisé sous cette forme directe dans Stagecoach et The Searchers), depuis ses conditions jusqu’à ses conséquences. Mais le sens de ce parcours, sa signification, sont présentés comme la mesure éprouvée d’un destin, et concentrent en leur mouvement et leurs raisons la totalité du monde, rejouant ainsi l’histoire dans son initialité. Dans Stagecoach, le trajet est clairement identifié comme la tentative de rejoindre un point précis. Son arrivée est constamment différée par les haltes et les événements qui s’y produisent, mais le but du voyage est perpétuellement réaffirmé à la fois de façon externe par la menace indienne et de façon plus immanente par les motivations des occupants de la diligence, motivations dont la rencontre et les imbrications constituent le nerf interne du film. Le film s’identifie ici terme à terme avec son trajet, il y trouve une unité de sens (spatial et herméneutique) et la possibilité d’une conclusion qui, en laissant imaginer un second voyage (celui de Ringo Kid et de Dallas), ramène le film à son commencement sans en interrompre la progression.
20Dans Fort Apache, la thématique du voyage est plus complexe, et dédoublée entre un premier trajet, qui mène Owen Thursday (Henry Fonda) jusqu’à Fort Apache, et un parcours plus abstrait entre son arrivée au Fort, où il n’a pas sa place, et la fin du film, où il s’y trouve intégré post mortem et malgré lui, encore. C’est là une structure exactement inverse de celle qui organise The Searchers, dans laquelle un homme commence par revenir dans un lieu où il est attendu, pour finalement le quitter lorsqu’il apparaît clairement qu’il n’y a en réalité pas sa place, selon un cercle exprimé par l’identité du premier et du dernier plan. Fort Apache est donc constitué de deux parcours successifs mais rejoints, la destination du premier étant le point de départ du second, lequel débouche finalement sur un nouveau commencement (sous l’autorité du capitaine York, interprété par Wayne). S’il s’achève sur une disparition, sa fin est donc bien ouverte, sous les auspices éternels de la cavalerie. The Searchers débute au contraire par une arrivée et se termine par un départ (voire un exil), ce qui crée dans la progression du film cette impression de stagnation, d’immobilité, de perdition entre des termes non définis et qui ne peuvent servir de repères. Le parcours précède ici ses termes, qui s’évanouissent devant un devenir sans cadre ni structure préalable, ce que le continuel éclatement de la communauté concrétise au niveau politique.
21Une telle construction narrative a des implications évidentes sur la temporalité à l’œuvre dans les trois films. La linéarité de Stagecoach, l’enchaînement organique de ses motifs, calqués sur le tracé même du voyage, établissent un temps neutre, une temporalité zéro par rapport à laquelle toute accélération (la poursuite dans la plaine, par exemple) et tout ralentissement (la longue scène de l’accouchement, notamment) rentrent dans une mesure commune : une sorte de temps élastique, qui se raréfie et de la sorte s’accélère, ou bien se condense, se concentre dans des personnages et des actions nombreuses mais toujours nettement individualisées, et ainsi se ralentit. C’est le temps d’un parcours vécu : chaque élément nouveau y reçoit une signification temporelle (il retarde ou avance le voyage, le compromet ou le favorise) dans l’acte même où il modifie le sens du voyage, en faisant évoluer le rôle et les motivations des personnages. D’où l’intégration finale du lieu d’arrivée à l’intérieur du parcours, et l’extension de ce dernier au-delà du point où il cesse effectivement, Wayne gagnant dans le premier trajet l’identité conquise nécessaire au second trajet. Le devenir fonde l’être.
22On retrouve la même temporalité à l’œuvre dans Fort Apache, à ceci près qu’un élément, encore latent dans Stagecoach, y devient décisif : le temps creux, neutralisé, de la vie à l’intérieur du camp (dont l’équilibre, la régularité et l’immobilité sont exprimés plastiquement par les figures du bal, au milieu du film) est comme perforé, traversé et annulé par tout ce qui provient de l’extérieur (tout ce qui a trait au ressort militaire de l’action), créant ainsi un temps dédoublé, fonctionnant en systole et diastole, selon la logique apparue dans Stagecoach mais ici nettement spécifiée en termes d’espace. Ce qui conduit à The Searchers, où la référence temporelle se confond avec la spatialité, au sein de coordonnées indéfinies qui ne balisent l’errance des deux personnages que pour autant qu’elles en font partie et sont prises dans le même mouvement de dissolution. Le temps objectif de The Searchers, qui s’étend sur sept années, est à la fois continu et discontinu, sans indice tranché de changement et sans passage véritable, comme si la même logique de resserrement et d’extension se trouvait poussée à la limite, dans la confusion de ces deux mouvements en un seul et même geste. Le film entier est basé sur cette idée d’assimilation lente, de métamorphose progressive, et surtout sur ce qu’une telle fusion laisse d’inassimilable.
23Que tirer de cet examen comparatif ? D’abord un sens organique de l’espace, articulé entre deux schèmes fondamentaux : un espace « saturé », intégralement empli et évoluant de façon centripète au moyen de la profondeur de champ et du mouvement serré des motifs internes (la halte avec la cavalerie dans le relais de Stagecoach, le bal de Fort Apache, l’arrivée du révérend chez les Edwards et ses retrouvailles avec Ethan Edwards dans The Searchers), et l’espace « dilaté », où tout mouvement se détache, en s’y intégrant, du vide qui le structure au fond (la longue course dans la plaine salée de Stagecoach, la rencontre avec Cochise avant la bataille dans Fort Apache, l’errance dans le canyon de The Searchers). Ces deux espaces entretiennent une relation d’opposition : ainsi, dans Stagecoach, l’intérieur de la diligence est comme une clôture face au monde extérieur toujours représenté en une immensité indéfinie et menaçante ; dans Fort Apache l’harmonie retrouvée du bal est brisée par les nouvelles de l’extérieur, que la première partie a montré comme un danger ; enfin dans The Searchers, cette opposition est comprimée dans un même geste, notamment dans le premier et le dernier plan, où ces deux espaces sont montrés ensemble, dans deux travellings opposés qui laissent chaque espace se délimiter contre son contraire. Ces deux espaces, qui manifestent au fond une signification communautaire et indiquent l’état du socius, peuvent donc s’interpénétrer, ce qui rend l’espace saturé susceptible d’expansion et de déborder son cadre (d’où l’emploi de focales courtes et le mouvement incessant dans la scène du bal de Fort Apache) et rend sensible l’espace dilaté comme toujours parcourable, mesurable, habitable (ainsi le vide immense des plans larges sur Monument Valley se voit-il systématiquement doté d’une profondeur et d’une plénitude plastiques que met en valeur, notamment, le trajet d’un cavalier ou d’un convoi, réduit à la pure déchirure d’une diagonale, ou l’épaisseur d’un nuage dont la masse établit un pont avec l’informe de l’horizon). Le fait que le jeu de ces deux espaces soit assuré par le temps et sa progression, c’est ce qu’enseigne l’ensemble de The Searchers : l’espace fordien n’est jamais un cadre, un décor (ni un obstacle, comme chez Mann) mais, s’il préexiste d’une certaine façon aux personnages, les accidents de son extension et de sa concentration sont la matière même de l’image et le support en mouvement de la narration elle-même. On a là un des plus nets exemples de cinéma authentiquement descriptif, au sens d’une tentative de résoudre la totalité du monde, de ses éléments comme de son fonctionnement, y compris son historicité même, dans des moyens strictement spatiaux, dont chaque spécification contribue à établir une topologie du réel telle que l’histoire et le temps eux-mêmes y ont leur place et leur logique. L’histoire ainsi manifestée devient donc habitable, ce qui est le sens même du régime mythique westernien : un passé infiniment passé qui n’existe cependant qu’en étant constamment rejoué et réinvesti au présent, c’est-à-dire un temps purement temporel (non présent, non visible) manifesté dans et comme l’espace même du présent. L’espace du présent chez Ford, c’est ainsi, tout ensemble, le temps du passé et du futur. Le mythe, donc.
24Et c’est bien là le second trait marquant qui se dégage de ces trois films. L’inscription de l’action et des personnages dans l’espace constitue le cœur même de la ligne narrative : action et personnages se voient ainsi comme agrandis aux dimensions du monde et revêtent un caractère fondateur. Le parcours d’un homme s’identifie donc à une destinée, dont le tracé détermine tout ce qu’elle traverse, Mais en retour tout acte individualisé s’enracine et se définit seulement à l’égard de l’entièreté d’un cours historique sous-jacent. C’est peu dire que le western « classique » n’a filmé en réalité que sa propre histoire, c’est-à-dire sa nouveauté sans cesse rejouée. Chez Ford, en tout cas, chaque moment renvoie à l’histoire qui le précède et le continue, et qui n’est finalement possible que par l’intermédiaire de l’acte qui en réinvente les termes et les présupposés : ainsi dans Fort Apache, le passé récent de la défaite face aux Indiens prend figure ancestrale, la cohésion de l’armée et l’unité morale de ce qui est montré comme sa « mission » reçoivent, dans la continuité du film, une dimension presque eschatologique. La même thématique, certes renversée, se retrouve dans The Searchers : ainsi l’errance, qui rend les deux poursuivants peu à peu semblables aux Indiens, la précarité de toute forme d’identité, le nomadisme principiel à la civilisation américaine, le poids inamissible du destin national sur l’individualité, tout cela forme la trace (et la trame) de l’histoire telle qu’elle se lit au cheminement du film. Dans Fort Apache, à travers le personnage de Wayne, comme dans toute la thématique de The Searchers, cette histoire comprend en elle, comme une nécessité, le rapprochement avec la tradition indienne, et son acceptation au moins factuelle comme formant avec la tradition de la conquête un seul et même événement.
25Le geste fordien revient donc à montrer que la dimension historique n’est pas une donnée objective, close, mais qu’elle agit sans cesse par le geste de celui qui la répète, la complète, l’actualise. L’homme fordien règle sa dette avec l’histoire en réinventant à chacun de ses actes ce qui la fonde et lui donne sens. Cet ancrage de l’individu dans un mouvement qui l’absorbe (voir la cavalerie) mais qui en retour n’existe que d’être ainsi rejoué par chacun, dans une forme de présent éternel, instaure l’identité fordienne sur fond d’histoire. C’est ce qui donne sa pleine mesure au fait que l’univers fordien soit un monde peuplé de caractères (Bond, MacLaglen, Qualen, mais aussi Wayne ou Fonda), au sens qu’Aristote donne au terme ethos dans sa description de la tragédie, en montrant que le personnage y est défini par une forme déjà donnée qui agit comme un foyer de sens indépendant des épisodes de la pièce. C’est précisément grâce à ce caractère que le tragique est possible, puisqu’il garantit le conflit entre volonté et destin. Seulement ce caractère tragique ne choisit pas la volonté qui l’anime, celle-ci s’imposant à lui selon un ordre nécessaire. Le caractère est donc la figure que prend le destin pour s’opposer à lui-même et, à partir de cette scission, ouvrir l’espace d’une mesure de l’homme que la tragédie définit négativement, dans son dépassement même. Ce caractère, à la fois imprimé et imprimant pour l’exprimer en termes typographiques, détermine toujours déjà l’engagement dans le monde de l’individu, mais c’est le conflit avec l’ordre du monde qui va le révéler en tant que caractère, au moment même où il va le dissoudre. Je crois qu’on retrouve ce même schéma identitaire et dramaturgique dans The Man Who Shot Liberty Valance (L’homme qui tua Liberty Valance, 1962) par exemple, où la gamme de caractères de Stewart, Wayne et Marvin décline les modalités du rapport à l’absence de loi, c’est-à-dire un monde où chacun doit être la loi, ce que Stewart est le seul à prendre médiatement, comme soumission à une légalité extérieure. Mais Wayne et Stewart n’accèdent pleinement à ce qu’ils sont, et qui pourtant était établi dès l’origine, qu’en passant par la négativité de leur rapport mutuel : l’autonomie de Wayne, dont l’histoire fera son agent même et qui sera la source d’une collectivité redéfinie, se révèlera d’abord comme hétéronomie (c’est-à-dire solitude existentielle, jalousie affective, rapport de forces se niant lui-même). En sens inverse, Stewart, dans la figure de l’auto-affirmation juridique, c’est-à-dire la pure positivité du rapport au monde, n’accèdera à ce qu’il doit être (c’est-à-dire sénateur, c’est-à-dire incarnation de la loi) qu’à nier cette loi et ce qu’il est. Schéma qui pourrait sembler relever d’une dialectique assez grossière, mais qui révèle plutôt l’impossibilité pour le western de dramatiser une figure autrement que dans une perspective processuelle, seule à même de coller au devenir qu’il entend décrire : c’est-à-dire une frontière qui n’est telle que d’être sans cesse en mouvement. Limite mouvante, terme inachevé : les coordonnées mythologiques du western recoupent la donnée identitaire qu’il met en scène en prétendant fonder un royaume clos et achevé au moyen d’une stratégie du devenir, de l’arpentage ou de la conquête. C’est pourquoi il serait faux de voir dans la cosmologie fordienne une résolution téléologique du type de celle à l’œuvre dans l’histoire hégélienne6. Le dernier plan de The Searchers ne vient pas refermer le premier dans une unité plus haute, mais il ouvre bien plutôt l’homme à la répétition du même, c’est-à-dire à une forme d’exil dans un temps à la fois fondateur et arrachant. Autrement dit, derrière le tableau global des forces historiques à l’œuvre, Ford impose le constat indépassable d’une facticité insécable, inassimilable, qui ne peut que se recommencer sans fin.
26Au fond, ce royaume impossible dont Ethan Edwards est la sentinelle défaite, n’est pas en contradiction avec certains tropes triomphaux du western, dont l’efficacité formelle est censée assurer au genre sa fécondité iconique : je pense aux figures du duel, de la traque à cheval, la solitude du héros, l’immensité désertique, ou l’anomie primitive. Contrairement aux apparences que certains traitements ont pu laisser supposer, ces figures visent moins à couronner un homme de l’Ouest défini à un niveau symbolique par des formes closes (pionnier, gunman), qu’à faire voir le procès par lequel quelque chose comme une figure peut advenir, de telle sorte qu’elle doit, pour advenir, mettre un terme à un état antérieur qui, loin d’être nié, se maintiendra négativement (et qu’on pourra identifier tel quel dans des films « pro-indiens » comme Run of the Arrow (Le jugement des flèches, Fuller, 1957) The Last Wagon (La dernière caravane, Delmer Daves, 1956), ou dans des films qui interrogent le mythe de la Frontière sous la figure contestée du barbelé et de la clôture posée sur la terre libre, comme Man Without a Star (L’homme qui n’a pas d’étoile, King Vidor, 1955) ou Return of the Texan (Daves, 1952), avant les plaidoyers rétroactifs comme Lonely Are the Brave (Seuls sont les indomptés, Miller, 1962)).
27Ainsi le duel, par exemple, n’est jamais élimination de la différence, mais apothéose de cette différence, puisque le héros ne parvient à l’acmé qui seule peut l’établir que dans l’opposition frontale avec l’autre lui-même : c’est à dire la confrontation avec la mort, le face-à-face avec l’altérité, donc avec sa propre possibilité. Le duel westernien, c’est toujours soi-même comme un autre, et l’autre comme un soi-même (voir Man of the West en 1958). La solitude n’est ici que la modalité d’une foncière dépendance au négatif, dont le déploiement spatial sera la traque à cheval, ou la confrontation aux éléments immenses. Ces figures ne produisent aucun rehaussement héroïque mais creusent au contraire l’insuffisance des forces humaines à la tâche historique qui leur est confiée : même le Buffalo Bill de Wellman en 1944, pourtant volontiers révisionniste, présente Bill Cody comme élève des Indiens, ayant acquis une parcelle de leur savoir, qu’il utilisera pour les détruire : trahison qui le condamnera à rejouer comme un spectacle autiste et auto-référentiel une conquête à qui il n’a pas été donné de passer par le face-à-face.
III. L’errance
28C’est pourquoi, au sein même du royaume qu’est la communauté confirmée et continuée, laquelle fut le principal sujet du western classique, ce dernier laisse résonner le deuil qui la fonde. C’est pourquoi sa résolution laisse un reste ineffaçable, sorte de trace mélancolique d’une impossible apothéose, d’une parousie toujours incomplète et impossible. Le monde nouveau, dévoilé dans l’acte de sa naissance, est en fait un monde posthume dont la constitution héroïque n’est possible que rétrospectivement, c’est pourquoi sa fin, qui s’annonce dès son instauration, creuse en lui une faille que le mythe westernien a toujours laissé ouverte et visible, à la manière de la séquence de The Horse Soldiers (Les Cavaliers, Ford, 1959) qui montre des bataillons d’enfants soldats sudistes défiler au tambour vers une fin immanquablement atroce. La thématique, très fordienne également, de la victoire symbolique du Sud (voir la trilogie Will Rogers), concourt à cette même idée d’une histoire au fond jamais refermée, d’un héros jamais accompli, d’un territoire jamais épuisé, jamais parfaitement maîtrisé (c’est donc d’une tendance propre au western lui-même que naîtront la contestation et la réflexivité démystificatrices des années 1960 et 1970, c’est-à-dire le retournement du genre contre lui-même).
29Déjà, la thématique du renversement innerve les derniers films de Ford et ceux de Mann, chez qui la Frontière se donne dans l’expérience du deuil, de l’échec ou du mensonge. L’économie de The Searchers est ainsi tout entière déclinée sur le motif de l’indistinction. Ethan Edwards, revenu brisé de la guerre, est à la fois mort et vivant, à la poursuite d’une jeune fille blanche devenue indienne, dans une traque où les poursuivants sont en même temps suivis et épiés. L’errance des deux personnages trace ainsi un mouvement de dissolution qui voit les chasseurs blancs assimilant peu à peu les gestes et les habitus indiens, et les liens de filiation se reconstituer à rebours de ce que l’identité (historique et familiale) commande. D’où le dernier plan, qui signe l’abandon de l’espace plein, intime et légal de la maison (c’est-à-dire la communauté des hommes) au profit de l’espace évasé et anomique du désert. La mort même se voit confisquée dans un ressassement indéfini qui ne fait que perpétuer sa propre attente.
30Ce qui reste ici à jamais ouvert, décousu, c’est donc bien le lien entre l’individu et le monde, dont l’équilibre extérieur transfère le conflit à l’intérieur même de la conscience, en brisant du coup l’identification spéculaire que le régime mythologique recherche. C’est pourquoi une telle incomplétude dissout l’individu qui ne peut ni y renoncer ni se suffire à lui-même. La non-coïncidence entre l’homme et le monde interroge le statut même de la représentation cinématographique, puisque l’économie dynamique de l’image, naturellement conduite à intégrer le corps et les mouvements des hommes dans un espace qui en est le support et le plan, emploie ici cet espace à produire le contraire, à savoir l’abolition de ces liens. Chez Ford, la communauté, assimilée cosmologiquement et moralement à l’humanité, offre donc ses tensions et le parcours de son histoire pour rendre sensible l’assimilation de l’individu à un ensemble, mais aussi la faille qui creuse cet ensemble. Elle est ce hors champ historique, passé ou futur, qui prolonge la trame narrative et le statut des êtres vers une totalité toujours profilée mais jamais achevée (la cavalerie, encore). D’où cette double implication, en forme d’impasse : l’histoire encadre les hommes, dont l’épreuve des événements revêt ainsi la profondeur et l’extension d’un destin plus large qu’eux, mais la contingence et la fragilité de leur geste affecte en retour l’histoire d’une facticité et d’une impermanence qui contredisent tout tableau triomphal comme toute confirmation téléologique. Le monde nouveau est aussi et d’abord un monde perdu. Que cette perte se joue physiquement (le devenir-fantôme de The Searchers) ou symboliquement (la « légende » de Liberty Valance), elle conduit à un nomadisme et à la trahison d’une illusion qui forment la tonalité des derniers films de Ford.
31Chez Mann, c’est l’épreuve de la violence qui marquera la frontière extérieure de la communauté, le point où la démesure individuelle (l’or, la terre, le pouvoir que donne une étoile de shérif, ou un simple fusil) est renvoyée à sa propre entropie, où elle s’avère impossible à assimiler. Nous l’avons vu, l’homme mannien n’est pas celui qu’il est, n’est pas là où il est : à la fois tout entier dans chacun de ses gestes (tant il se confond avec son pouvoir d’action, de réplique et de décision qui l’engage jusqu’en ses contradictions) et projeté hors de lui dans le paysage qui l’exprime en s’opposant à lui. C’est son infrangible solitude qui l’ouvre au poids du monde. Le personnage mannien est en fait cet écart même, le fait qu’à la plus extrême concentration des forces corresponde le plus grand éclatement, divergence que résume la notion de violence. Cette violence n’est pas une pulsion enfouie et délétère, mais nomme premièrement cette faille, cette désunion constitutives de l’homme que Mann, modelé par le film noir, traduit plastiquement par une diffraction de la lumière dans des contrastes abrupts, dans l’opposition des couleurs et de leur valeur plastique. Le cinéma d’Anthony Mann est un cinéma de la présence, mais d’un ici et maintenant toujours forgés par un appel et une réponse, un souvenir et une attente qui descellent l’individu de toute appartenance communautaire pérenne. Au plus profond du royaume ne se découvre bien qu’un exil, en avant de soi vers un objectif obsessionnel qui tord l’identité dans le ressentiment, en arrière de soi dans le terreau fantomatique où toute conscience reste secrètement prisonnière. Ainsi, dans Man of the West, Link Jones se voit-il rappelé de force dans le territoire violent qu’il avait abandonné, et dans la sauvagerie qu’il avait rejetée. D’où la matérialisation du conflit final dans une ville fantôme, le personnage étant lui-même vampirisé par une part de lui qu’il croyait morte mais qui continue d’exiger son dû. La lente assimilation des gestes de son ancienne famille criminelle, la manière dont la brutalité qui le définissait regagne peu à peu sur lui, déboucheront sur un affrontement qui exigera la perte des opposants : après des scènes chaotiques où l’espace se disloque (ville morte, plans sous et sur les maisons, défilés rocheux aux perspectives inversées et aux distances trompeuses), le cadre se laissera envahir par l’horizontalité de la plaine déserte et des montagnes qui la bordent et l’intègrent dans le calme acquis du sacrifice. La loi passée de Jones exige qu’il tue pour faire partie des hommes : il se tuera lui-même, il tuera ce qui en lui persiste de cette soumission en abattant un à un ceux qui furent les siens. Sacrifice, expiation, qui lui donneront d’habiter enfin calmement un espace lui-même pacifié, mais sans être pour cela rendu à une humanité vierge et neuve dont seule l’idée régulatrice fournit son contenu au mythe. Ce que le cinéma de Ford, de Mann, donne donc à voir, c’est l’irréductible facticité du mythe, la part de désordre et d’errance qui innerve le tableau achevé de la communauté (voir Two Rode Together, Les deux cavaliers, 1961, et son impossible communauté inversée où les enfants renient leurs parents, comme si tout groupe était fondé sur un rapt et une usurpation primitive dont le prix à payer sera la scission définitive de tout individu, coupé de ce qu’il est). Errance, désordre... : il faut rappeler combien la syntaxe du western classique a toujours privilégié la figure de la profondeur de champ à la largeur étale du plan séquence, non pour mettre en scène la structure spatiale de la tragédie, mais pour indiquer combien, quelque soit l’amplitude du champ, l’envergure historique où résonnent les faits, celle-ci demeure enraciné dans l’ambigüité d’un moment confus et indécidable.
32Terminons par un exemple qui lie foncièrement les ambiguïtés de l’identité à cet irréductible nomadisme, nomadisme au sens d’exclusion de la terre et d’errance sans terme. Il s’agit du cheminement des deux personnages de The Searchers à la recherche d’une enfant blanche capturée lors d’un raid indien plusieurs années auparavant. Ethan (John Wayne) et Martin (Jeffrey Hunter) s’opposent terme à terme, par l’âge, leur position dans la généalogie (l’un est sans enfant, l’autre sans parent, dans un film où on cherche à restaurer le lien de transmission, ou à le briser définitivement), l’un est raciste, l’autre a des origines indiennes, ce qui désigne leur communauté comme le produit instable, flottant, hasardeux de parentés contingentes, d’alliances de circonstances et surtout, loin de toute transcendance destinale, comme le produit des actions des hommes qui la constituent. L’histoire de cette communauté retrouve donc dans le chaos de ses linéaments internes la facticité que son idée lui avait ôtée (idée ici au sens de l’image que cette communauté se renvoie comme de sa propre nature réifiée). Lorsque Ethan, ayant retrouvé la jeune fille qui le regarde terrifiée, murmure, au rebours de la mission de destruction qu’il semblait s’être donnée, « let’s go home Debbie », il est clair qu’il ne peut s’agir d’une restauration d’un équilibre ancien, ni de la reconstitution d’une communauté inentamée et définie par une substantialité close. Home ne désigne donc pas ici un terreau natif et inentamé, mais quelque chose d’indécidé, à construire, un vide conjugué en un temps futur dont Ethan décidera lui-même de s’exclure. En intégrant une jeune fille devenue indienne, Edwards admet la nécessité non pas tant d’un métissage pris comme tel, mais d’une communauté définie par les soubresauts du temps, les ruptures et l’exposition à une altérité dont la présence indienne n’est qu’un aspect, et qui comprend aussi l’érosion des liens de sang comme de toute unité. Le chaos et l’étrangeté de ce devenir soi à travers l’indianité structure une communauté qui, par là même, est comme privée de toute fondation limpide, de toute transparence primitive, et se voit prise dans un perpétuel mouvement de redéfinition de soi7. Celui-ci, en même temps qu’il garantit un avenir à cette collectivité à chaque fois ré-instaurée, la condamne à l’incomplétude et à la dispersion (et Ethan disparaît avec l’accueil de Debbie dans sa nouvelle famille, qui est en réalité l’ancienne). Le temps du western, à cette lumière, se révèle comme temporalisé par le passé, passé qui ne passe jamais et qui doit sans cesse être emprunté à nouveau.
33On retrouvera d’ailleurs cette ambiguïté de l’histoire dans le western moderne, mais peu souvent articulé à autre chose qu’à une simple dénonciation du révisionnisme idéologique de la conquête de l’Ouest. C’est surtout chez Eastwood que la figure individuelle, malgré l’esseulement granitique qui l’exprime, reste intimement liée à la question de la communauté, et singulièrement à la problématique de son instauration et de l’instant initial dans lequel elle se rêve surgie de rien, c’est-à-dire innocente. Puisque la légende américaine identifie la naissance d’une nation avec l’apparition de l’individu souverain, le postulat d’une innocence primitive ne peut prendre place qu’à l’horizon de la communauté, dans la question de sa formation. Or, la généalogie eastwoodienne, dans sa reprise tangente des présupposés idéologiques qu’elle entend exhiber, aboutit à l’aveu qu’il n’y a ni pur commencement ni commencement pur, que toute fondation porte en ses mobiles et en sa forme une faute et une déroute qui la rendent à la fois indispensable et impossible : ainsi The Outlaw Josey Wales (Josey Wales hors la loi, 1976) débute dans l’exil, la fuite et la mort (Josey est laissé pour mort après le massacre des siens qui doit être lu comme l’explosion de la communauté des hommes). L’échantillon d’humanité marginale et inassimilable qui se coagulera à l’itinéraire et au secret du personnage montrera combien toute patrie se construit dans la lutte contre les autres, dans l’exorcisme résigné du passé (la prostituée, l’Indien déraciné, l’orphelin...), que toute communauté est la suite d’une faute primitive que la lutte pour la survie oblige, à terme, à entériner. La communauté n’a d’issue que dans la solitude et dans le refus, seul commencement qui, par définition, n’en est pas un. Cela est incontestablement fordien, moins par le goût du bâtisseur que par la sensibilité au fait que l’histoire est toujours construction de l’histoire, et que le mythe, qui définit l’appartenance à cette histoire édifiée sous les habits de l’archaïsme et de la sacralité, place l’existence communautaire sous un sens aussi impossible à tenir qu’à ignorer.
34« L’absence d’histoire est la seule tradition des Américains » disait Oscar Wilde.
Notes de bas de page
1 Ce trope du renoncement, qui est en réalité accomplissement, trouva en John Wayne son héraut emblématique, et sa victime : parce qu’il fut la figure de la force intacte, entière, le corps qui fait front et dont les postures valent décisions éthiques, il fut très souvent maltraité physiquement à l’écran, blessures, infirmités, empêchements et obstacles à déployer sa force devenant alors les signes littéraux, les hiéroglyphes explicites du retournement de sa figure que la geste westernienne fécondera à chaque fois : c’est vrai chez Hawks, où il endure paralysies, béquilles, attèles..., comme chez Ford, dans The Wings of Eagles (L’aigle vole au soleil) ou Rio Grande par exemple.
2 C’est le seul western dans ce cas, à notre connaissance.
3 « La terre est notre mère, et un Indien qui perd sa terre perd sa vie. »
4 Une fois aboli son habit de citoyen américain assimilé, Poole se voit réduit à sa négativité première, que le film, via le lien à la terre, retourne en positivité. C’est donc ici la terre contre la loi, laquelle ne signe pas l’empreinte de la civilisation mais la violence faite à la terre, notamment au moyen de la propriété dont le rôle historique fut toujours pour le western un questionnement aigu.
5 On doit reconnaître ici le rôle crucial qu’a joué dans l’esthétique de Mann sa collaboration avec John Alton dans ses films noirs de la fin des années 1940.
6 Nous sommes ici bien plutôt, au fond, sous le régime du mauvais infini hégélien.
7 Nous sommes ici, par-delà l’abîme des horizons herméneutiques, au contact de la communauté telle que Jean-Luc Nancy, mais déjà Maurice Blanchot, ont taché de la penser, comme horizon justement, à savoir ce vers quoi l’on est sans cesse projeté mais qui demeure sans cesse au-devant. La communauté comme devancement précisément, où il faut entendre et reconnaître l’excédence de l’unité sur l’expérience où se délimite toute singularité, et en même temps le geste de sortie de soi que sa présence, même diffractée, impose à toute existence isolable.
Auteur
Paris I
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