« Le droit avant tout ? » Réflexions autour de l’Électre d’Hugo von Hofmannsthal et son interprétation musicale par Richard Strauss
p. 633-657
Texte intégral
1On pourrait s’étonner que l’opéra d’Électre conçu par Strauss et Hofmannsthal soit analysé dans un mélange dédié à un professeur de droit. Comment en effet lier le lyrique au juridique ? N’est-il pas convenu de ranger la musique au rang des émotions et d’élever le droit au rang du rationnel ? Peut-on vraiment défendre sérieusement le droit par le biais d’un drame tragico-musical ? Et pourtant… nous pensons que le détour par cet opéra permet une utile réflexion sur le rôle sociétal du droit et de la justice au départ des travaux de F. Ost. L’œuvre du début du siècle dernier reprend en effet le mythe grec antique d’Électre, fiction questionnant, soit l’invention de la justice chez Eschyle, soit le triomphe du cercle infernal de la vengeance chez Sophocle. Ce thème du droit et de la justice et son exploration mythologique et littéraire forment, par ailleurs, le cœur de l’ouvrage pionnier de F. Ost en droit et littérature Raconter la loi. Il constitue donc logiquement la trame de notre contribution. Ceci dit, l’opéra d’Électre invite selon nous à une double exploration.
2D’une part, cette renaissance de l’histoire des Atrides s’enrichit d’un traitement musical magistral par R. Strauss. Or, la musique n’est pas absente de l’œuvre de F. Ost dédiée au droit et à la littérature. Dans le prologue de son livre Raconter la loi, l’auteur se réfère à Platon qui a, selon lui, poussé le lien entre l’ordre juridique et le littéraire de la manière la plus extrême en faisant de « l’imaginaire littéraire », la « source des montages politiques et des constructions juridiques »1. Dans la cité idéale de Platon, se cultive en effet l’« enchantement »2 d’un droit qui combine lois et Préludes. Ces Préludes mélangent lyrique et didactique, la musique donnant « le ton à la vie sociale » en initiant aux « ‘ principes’ de la vie commune en rappelant les divins préceptes qui inspirent les lois »3. Cependant, si la musique est abordée par l’entremise de Platon, elle n’est pas centrale bien que, les tragédies grecques au cœur de son travail, l’usent largement. L’étude de l’opéra du début du siècle nous permettra d’interroger ainsi l’apport de la musique au verbe.
3D’autre part, Hofmannsthal pousse la lecture dystopique d’Électre à son paroxysme par sa réinvention moderne de la tragédie antique. Cette allégorie serait-elle alors devenue le symbole de l’« anti-cité »4 et, a fortiori, de l’anti-droit ? F. Ost, se penche, lui aussi, sur les scénarii littéraires destituant le droit. À sa question, « le droit aurait-il une fin ? »5, il répond que cette fin peut également être analysée en termes de « (re)commencement ». À cet égard, l’on pourrait se poser la question de savoir si le traitement noir, emblématisé par la mort de l’anti-héroïne à la fin de l’opéra, n’est pas un appel à une renaissance dont le droit serait la précondition. Suivant cette supposition, le droit viendrait « avant tout », tant dans son rôle de constitution de l’être humain que de la société humaine dans son ensemble.
4C’est cette hypothèse que ce texte, ou oserions-nous prétendre, cette composition, d’un morceau à quatre mains, entend tester en alliant la perspective juridique de la littérature à la musique. Quelle meilleure manière pour rendre hommage à notre promoteur commun que de retourner au droit, « malgré tout » par le détour de l’opéra, entre la parole et la musique ?
5À cette fin, nous procéderons en deux temps suivant un crescendo qui part des origines antique et littéraire d’Électre (1), pour se poursuivre et se finaliser dans l’analyse de son opéra moderne (2).
1. Perspective historique : le passage du mythe antique à la représentation moderne
6Le mythe d’Électre s’articule autour du thème de la justice, et par conséquent de celui du droit. Au nom de quelle justice Oreste peut-il agir et commettre ou ne pas commettre le crime vengeur ? Pour certains, l’on pourrait dire que « justice est faite » si le meurtre d’Agamemnon est vengé en tuant Clytemnestre, alors que pour d’autres, la justice humaine, par l’instauration d’un tribunal et donc par l’institution du droit, permet de rompre la justice archaïque et de se placer comme tiers pour trancher le cas et mettre un terme à la spirale de la violence. Entre justice privée et justice publique, justice archaïque et justice moderne, justice divine et justice des hommes, les poètes grecs vacillent.
7Tant Eschyle que Sophocle prennent à cœur la question, sur fond de basculement politique dans la cité d’Athènes, et s’engagent dans leurs œuvres respectives, le premier par l’élaboration d’un nouveau modèle de justice, le second par la mise en abîme de l’absence d’un tel modèle (A). Il est utile de rappeler le troisième poète, Euripide, partant également du mythe d’Électre, mais sous une troisième version. Faute de place, nous ne pourrons creuser celle-ci.
8Le thème sera maintes fois repris, à travers les siècles6. La représentation moderne du mythe antique repose les mêmes questions : la vengeance rend-elle fou au point de quitter tout cadre juridique, de sortir de la norme et de perdre la notion de justice, moderne cette fois ? Répond-elle à une forme de justice primitive, mais sans issue ?
9Hugo von Hofmannsthal, poète et dramaturge allemand de la fin du XIXe-XXe siècle, reprend ce thème et l’enrichit d’une dimension psychologique, prêtant des caractéristiques de névrose, d’hystérie et de folie à son Électre. La mise en musique de sa pièce par Richard Strauss permet de renouer avec les tragédies grecques et amplifie le côté proprement dramatique de l’histoire, d’où notre choix pour cette œuvre ultérieure plutôt qu’une autre (B).
A. De L’Orestie d’Eschyle à L’Électre de Sophocle, à la recherche d’une certaine justice
(1) Le triomphe de la justice des hommes d’Eschyle
10En Grèce antique, la première version relatant la tragédie de la famille des Atrides remonte à celle d’Eschyle en 460-459 avant J.-C.7. En trois pièces distinctes, L’Orestie d’Eschyle plonge dans le cycle infernal de la vengeance pour en sortir purifié, quittant en partie l’état de la loi du talion (« œil pour œil, dent pour dent ») pour inventer une justice du tiers8. Le rapport étouffé entre le « je » et le « tu » est transcendé par l’institution du « il », sorte d’arbitre capable d’entendre les deux positions et d’instaurer une relation de dialogue pour ensuite « dire justice » et échapper à la spirale vengeresse des opposés9.
11Eschyle retrace ce parcours créateur en partant de sa première pièce, L’Agamemnon, où le retour du Roi Agamemnon à Argos, au palais des Atrides, est attendu dans une ambiance anxieuse. Avant de partir pour la Guerre de Troie, le Roi n’avait eu que peu de scrupules à sacrifier sa fille Iphigénie afin de garantir les vents favorables à sa flotte, initiant, ou poursuivant10, le cycle violent où un meurtre, au sein de sa propre famille de surcroit, appelle un nouveau meurtre. Agamemnon rentre de Troie en vainqueur, sans se douter que sa femme Clytemnestre a pris un amant, Égisthe11, et qu’elle n’entend nullement rendre le trône, occupé par Égisthe, à son mari, ne lui ayant par ailleurs pas pardonné le sacrifice de leur fille. Un soir, alors qu’Agamemnon se prélasse dans son bain, elle brandit la hache et frappe à mort, revendiquant même son acte12. Maudite à son tour, Clytemnestre est poursuivie par les Érinyes, les monstrueuses furies, qui défendent une forme antique de la justice, et attisent sans fin le feu de l’implacable loi du talion. Qui donc sera le bras vengeur du père et abattra la hache sanglante ?
12La réponse à cette question constitue le cœur de la deuxième pièce, Les Choéphores, ces dernières étant les « porteuses de libation », les étrangères à la cité, formant un chœur appelé à dénoncer les désordres et à pleurer le Roi défunt. Tout comme le chœur des Choéphores et les Érinyes paternelles (on peut aussi y voir le « spectre d’Agamemnon, l’esprit vengeur de son cadavre »13), Électre, fille d’Agamemnon et de Clytemnestre, est déterminée, pour ne pas dire obsédée, à lancer l’appel pour venger le crime honteux commis par sa propre mère. Mais au lieu de commettre l’acte interdit du matricide, elle enjoint son frère, Oreste, revenu d’exil, à lever la main sur leur mère. Oreste élabore un plan pour s’introduire dans le palais et tue Égisthe et Clytemnestre, se damnant à son tour14. Le cycle ne semble pas s’arrêter et les Érinyes, maternelles cette fois, exigent que le sang soit à nouveau puni par le sang : Oreste doit mourir pour son acte.
13Dans sa troisième et dernière pièce, Les Euménides, Eschyle brise le mouvement infernal et offre une perspective de surplomb, au-dessus de l’affrontement sans fin de deux pôles. En réponse aux cris de vengeance lancés par les Érinyes, la déesse Athéna intervient en faveur d’Oreste et instaure l’Aéropage, institution juridique nouvelle qui permet de faire apparaître la justice distributive, selon laquelle on ne punit plus les descendants mais le coupable, à l’aide de preuves, d’échange d’arguments rationnels et de pondération des responsabilités individuelles pour finalement trancher le cas par un vote. Les jurés de l’Aéropage, manifestant la justice des hommes, votent à égalité des voix pour l’acquittement et la condamnation d’Oreste, mais la voix d’Athéna est prépondérante et permet finalement d’acquitter le meurtrier et de mettre fin à la justice du sang. Les Érinyes, d’abord furieuses d’avoir perdu leur cause, vont alors progressivement, grâce à la force de persuasion (la peitho) d’Athéna, se métamorphoser en Euménides bienveillantes, veillant à la protection de la Cité et formant le c (h) œur de cette pièce15. Ainsi, nous pouvons conclure de concert avec F. Ost, que « par cette fin heureuse, Eschyle laisse entrevoir l’idée régulatrice d’une cité bien constituée : sur fond de nouvelle alliance entre anciens et nouveaux dieux et de pacte social entre groupes sociaux antagonistes, il montre qu’il est possible de s’arracher à l’obscure nécessité d’un destin de faute et de malheur – pour autant cependant que les citoyens cultivent la crainte du châtiment et le respect des lois »16.
14Mais ce passage au droit, du mythos aristocratique au logos démocratique, cette « invention de la Justice », ne signifie pas pour autant la fin du système archaïque17. Le droit, dans son œuvre de justice moderne, intègre paradoxalement la dimension de la violence et de la vengeance ; il ne fait pas de tabula rasa du passé, mais comprend que, « pour se réaliser », il « emprunte quelque chose de la violence qu’il entend combattre »18. Cette violence, peut, du reste, s’avérer dans certains cas positive, notamment lorsqu’elle permet, au moyen de sanctions punitives, de dissuader le coupable ou d’autres membres de la société de commettre un délit19. Ces mécanismes de sanction sont d’ailleurs toujours présents dans les procédures pénales modernes et relèvent en partie d’une vision répressive de la justice, tout aussi symbolique que la justice distributive.
15Eschyle écrit sa pièce à l’époque où la ville antique d’Athènes connaît sa première expérience démocratique en limitant, au moyen d’un décret de l’Assemblée du peuple, les compétences de l’Aéropage aux crimes de sang. Contrairement à l’Aéropage utopique d’Eschyle, ce tribunal aristocratique, composé d’archontes, détenait le pouvoir politique par son contrôle sur la Constitution et les lois. Suite au décret populaire, le pouvoir politique passe vers l’Assemblée du peuple et le Conseil des Cinq-Cents. Ce basculement ne va toutefois pas sans heurts et crée une forte tension entre la noblesse, représentante de la tradition, des lois immémoriales et de la justice divine, et le peuple, détenteur d’un nouveau pouvoir politique proprement démocratique20. L’œuvre tragique d’Eschyle se situe en plein dans ce contexte bouleversé et tendu, et bien qu’il aborde le thème de manière frontale, le poète veille à ne pas prendre réellement position entre les deux camps, plaidant pour « la modération politique » sous la maxime « ni anarchie ni despotisme » (v. 525-526 des Euménides)21. Comme F. Ost « on peut penser que le rappel, par Eschyle, de l’origine divine de l’Aréopage, ainsi que l’évocation des violences passées mais toujours menaçantes auxquelles il est appelé à s’opposer contribuent efficacement à cette volonté de recomposer un imaginaire politique de la modération »22.
(2) L’implacable justice divine de Sophocle
16Sophocle, quant à lui, rédige sa tragédie, Électre, moins de cinquante plus tard, lorsque la Guerre du Péloponnèse a frappé de plein fouet la ville d’Athènes (débute en 431 avant J.-C.), largement perdante face à une victoire de Sparte. La défaite entraine une grave crise financière et une grande instabilité politique, mettant en cause le régime démocratique lui-même. En effet, une tentative de renversement menée par l’aristocrate Alcibiade en 411 avant J.-C. fait presque basculer la ville dans un régime oligarchique.
17Par ailleurs, la démocratie athénienne est sujette à critiques dans son fonctionnement judiciaire, basé sur une justice directe populaire et collective23. Finalement, les juges, siégeant dans des tribunaux avec tout citoyen qui souhaite participer au procès en échange d’une redevance, ne s’avèrent pas si impartiaux que prévu et les procès ne suivent pas toujours la voie du contradictoire et de l’argument rationnel, préférant celle des arrangements en coulisses ou des discours émotionnels, parfois dénués de sens. La violence de la justice privée n’est donc jamais fort éloignée et guette la faille du droit comme justice du tiers pour se réimposer.
18Dans ce contexte politique et juridique plus mouvementé, Sophocle prend le pari inverse d’Eschyle : plutôt que de créer une « avant-cité », bénéficiant des vertus du droit et de la démocratie ou appartenant « au temps mythique des théogonies24 », il imagine une « anti-cité », où « le deuil remplace la politique » et « donne à voir l’envers imaginaire de la cité d’Athènes » pour devenir « une cité sans oubli, livrée au deuil interminable des femmes, relayé par la vengeance répétitive des hommes »25. Ce faisant, il adopte le genre de la dystopie, une forme littéraire dépeignant une société dans laquelle ses citoyens seraient privés de leur bonheur : au lieu de penser une réalité idéale, une société parfaite dans laquelle la communauté vit heureuse et en harmonie (ou-topos, néologisme grec forgé par Thomas More signifiant « en aucun lieu »), Sophocle pense le pire et dévoile la dérive d’un système où le droit, compris comme institution sociale et politique démocratique, ne serait plus, dans la mesure où il est impossible d’échapper à la mécanique du talion. On pourrait se laisser tenter d’interpréter l’absence d’amnistie dans cette anti-cité d’Argos comme un appel à la réconciliation civile pour la ville d’Athènes, menacée par la guerre civile et l’autodestruction. L’amnistie n’interviendra toutefois qu’en 404 avant J.-C., soit dix ans après la pièce de Sophocle, écrite vers 415 avant J.-C., ce qui diminue le message que Sophocle aurait voulu prêter à sa pièce.
19La tragédie sophocléenne est condensée en une pièce et s’ouvre par l’apparition d’Oreste, que personne ne remarque, mettant d’emblée le spectateur dans la confidence qu’Oreste est toujours vivant et retourné d’exil26. Mais les premières scènes regroupent essentiellement les femmes de la famille des Atrides, Électre parlant au début avec sa sœur, Chrysothémis, qui demande à fuir ce palais devenu morbide et à fonder une famille ailleurs, avant d’affronter sa mère, Clytemnestre, et de lui prédire sa mort prochaine. Quand Oreste revient, Électre ne le reconnaît d’abord pas, mais se jette ensuite dans ses bras et le supplie de l’aider à venger leur père. Oreste et Électre préparent alors leur forfait et la pièce se termine par la vengeance consommée et l’ordre rétabli suite au double meurtre de Clytemnestre et d’Égisthe.
20L’Électre de Sophocle est ainsi concentrée sur l’héroïne consumée par le désir de venger son père là où Eschyle l’avait laissée dans l’ombre. Tout se passe autour des paroles haineuses et violentes d’Électre, dirigées à l’encontre de sa mère, dans un « duel passionné »27 suivant presque une logique de miroir, où le forfait de la mère éveille l’appel à la violence de la fille. Comme le note F. Ost, « cette réversibilité psychologique du talion par laquelle le vengeur apparaît comme le double de son adversaire, éclate de façon manifeste dans la grande scène qui oppose la mère à la fille (« si ce sont là mes défauts, je ne déshonore pas le sang que j’ai reçu de toi », v. 605) »28. Le rôle de la femme est décidément central chez Sophocle puisque la sœur d’Électre, Chrysothémis, joue un rôle de contrepoids à la démesure d’Électre, étant même effrayée par l’audace de sa sœur et lui enjoignant à plus de mesure et plus d’espoir.
21Électre, prise dans un tourbillon de haine et de violence, pousse son frère Oreste à commettre l’irréparable. Pour Sophocle, c’est elle qui orchestre la vengeance du père, enfermée dans une vision de la justice divine sans pitié. De nombreux auteurs associent Électre à l’autre figure féminine de Sophocle, Antigone. Elle aussi se battra envers et contre tous, y compris contre son oncle le Roi Créon, pour faire jaillir la justice, afin de pouvoir accomplir les rites funéraires à la dépouille de son frère Polynice. Tout comme Électre, Antigone fait appel à la justice divine, ces lois immémoriales faites de traditions et d’usages anciens, les nomina, « inscrites dans la conscience des justes »29. Mais à la différence de cette première, Antigone fait triompher une conception supérieure de l’équité (respecter les morts) et non une loi primitive de la vengeance (tuer sa mère meurtrière), incarnant ainsi avant son temps la figure de la désobéissance civile et de la conscience individuelle, révoltée contre la loi de la cité.
22Si les enjeux sont ainsi fort différents, les traits de caractères sont similaires entre les deux femmes au tempérament « farouche, déterminé et démesuré » dans leur deuil et leur colère vengeresse du frère Polynice ou du père Agamemnon30. La puissance du « je », s’opposant au « tu » et sans chercher à se tourner vers un « il », se trouve affirmée avec force, tant par Électre que par Antigone. Oserions-nous prétendre que cette figure de femme d’exception fascine depuis longtemps le bénéficiaire de cet ouvrage, au point d’en faire ses héroïnes à travers ses diverses œuvres littéraires, d’Antigone voilée précisément à Camille (Claudel), sans mentionner son nouveau thème de l’Annonciation ?
23Sophocle termine sa pièce, après l’épisode de la préparation du meurtre par Oreste et Électre sur les conseils d’Apollon, par la scène du double meurtre, qui arrive donc considérablement plus tard que chez Les Choéphores d’Eschyle31. Oreste frappe d’abord Clytemnestre (et non Égisthe comme chez Eschyle) et ensuite Égisthe, avec l’aide d’Électre. Le dénouement de la tragédie constitue bien le meurtre, « puisqu’il est déclaré juste sans conteste possible »32, notamment en ce qu’il délivre la race d’Atrée (les trois derniers vers de la pièce) :
« Race d’Atrée, combien tu as souffert pour parvenir péniblement à la liberté, par l’effort d’aujourd’hui tu t’accomplis » (v. 1508-1510)33.
24Sophocle part donc « du point auquel Eschyle était arrivé »34. Il confirme le progrès de l’individualité et donne plus de relief aux personnages, surtout féminins, même si les dieux et la justice divine restent omniprésents, quoique de manière implicite (peu de mention des Érinyes). Pierre-Antoine Huré explique que « c’est pourquoi la pièce s’achève sur la vengeance accomplie, sans aborder l’étape suivante traitée par Eschyle : celle de la souillure, des remords d’Oreste, puis de son éventuelle purification, qui l’auraient obligé à abattre trop clairement ses cartes. Ainsi, son Électre reste-t-elle ouverte en apparence aux interprétations contradictoires, et elle en est d’autant plus forte »35.
25Cette lecture rejoint par ailleurs la remarque de F. Ost s’agissant de la position ambivalente, pour ne pas dire ambiguë, de Sophocle. L’Électre, en n’offrant comme solution que « l’accomplissement mécanique de ce talion justicier », « représente une évidente régression à l’égard de la trilogie d’Eschyle dès lors qu’y fait totalement défaut le passage au métaniveau de la parole publique et de la procédure instituée du tribunal »36. Cette régression s’expliquerait donc par une attitude ambivalente de Sophocle à l’égard de l’invention de la justice distributive : soit il dénonce les « effets ravageurs » de la loi du talion, en illustrant la folie meurtrière (thème de la dystopie), soit il rappelle que l’instauration d’une politique démocratique de la cité ne va pas sans sa part d’ombre, une part pourrait-on dire féminine, « où la colère l’emporte sur le discours »37.
B. La reprise d’Électre par Hofmannsthal et sa mise en musique par R. Strauss : l’histoire d’une rencontre des genres artistiques
26Le caractère grandiose de l’opéra Électre est d’autant plus impressionnant quand on saisit la non-évidence de son processus de création. L’opéra se base sur la première pièce de théâtre d’un poète reconnu et est le fruit d’une collaboration entre des individus que rien ne semblait pouvoir un jour rassembler. À travers cette double rencontre du verbe et de la musique et de l’aristocrate poète et du bourgeois musicien, s’établit un double dépassement d’une crise littéraire (1) et de deux talents qui jamais mieux qu’ensemble n’auront pu s’exercer dans le genre « dramatico-lyrique » (2).
(1) Du poème au tragique : un dépassement de la crise littéraire d’H. Hofmannsthal ?
27Si H. Hofmannsthal est connu dans nos contrées pour avoir écrit les livrets d’opéra de R. Strauss, il fut dans la littérature germanique reconnu très tôt pour ses qualités de poète et même adulé par les adeptes de la poésie38. S. Zweig dans son livre autobibliographique dédié au monde d’hier39 ne tait pas l’adoration qu’il voue au prodige H. Hofmannsthal dès l’adolescence de ce dernier. Le passage de la poésie au tragique puis à l’opéra n’était donc pas une évidence pour ce poète reconnu. Celui-ci peut cependant se comprendre au regard de la crise littéraire que traverse H. Hofmannsthal, crise qui trouve une expression dans le texte Une lettre qu’il rédige en 1902. Cette œuvre met en scène une correspondance fictive entre le lord fictif Chandos et Francis Bacon. Chandos écrit au dramaturge « afin de s’excuser d’avoir renoncé à toute activité littéraire »40. Tentant de justifier ses difficultés, il explique : « tout se décomposait en fragments, et ces fragments ne se laissaient plus enfermer dans un concept. Les mots flottaient, isolés, autour de moi ; ils se figeaient, devenaient des yeux qui me fixaient et je devais fixer en retour : des tourbillons, voilà ce qu’ils sont, y plonger mes regards me donne le vertige, et ils tournoient sans fin, et à travers eux ont atteint le vide »41.
28Par son exploration de la question du clivage entre le langage et la réalité La lettre est considérée comme un texte important de la littérature allemande42. De manière fondamentale, H. Hofmannsthal y pose la question critique de la validité du langage43. Une lettre s’inscrit à cet égard dans la continuité d’une réflexion commencée antérieurement au sein de laquelle il va peu à peu s’intéresser à d’autres modes d’expression – dont la musique – supposés compléter voire dépasser le verbe44. Ainsi, il écrit à E. Karg en 1895 que « les mots ne sont pas de ce monde, ils sont un monde en soi, justement une sorte de monde entier, complet, comme le monde des sons. On peut dire tout ce qui existe ; et on peut mettre en musique tout ce qui existe. Mais on ne peut jamais dire une chose tout à fait comme elle est »45. La même année, dans une critique de la décadence et du dépouillement des mots qu’il dit caractéristique de son époque, H. Hofmannsthal remarque que « presque plus personne n’est en mesure de se rendre compte de ce qu’il comprend et ne comprend pas, de ce qu’il ressent et ne ressent pas. C’est ainsi qu’est né un amour désespéré pour tous les arts qui s’exercent sans qu’on parle : la musique, la danse et tous les arts des acrobates et des bateleurs »46. Un an plus tard, il lie la poésie à la musique qui en est la sœur, art « où l’élément est dépassé au point de tomber dans l’oubli »47. En 1900, H. Hofmannsthal, attiré par la musique, propose à R. Strauss un ballet qui ne trouvera pas d’écho chez le compositeur. L’absence de répondant n’empêche pas le poète à se transformer, dans la foulée d’Une lettre, en dramaturge pour s’adonner ensuite – après un regain d’intérêt de R. Strauss – à l’opéra48.
(2) Du théâtre à l’opéra : une collaboration étincelante entre univers opposés
29Électre, première création tragique de H. Hofmannsthal est au départ destinée au théâtre parlé. L’idée l’inspire du fait de ses liens avec Hamlet49 et la pièce s’écrit en quelques semaines durant l’été 190350. R. Strauss l’avait vue dans les mises en scènes de M. Reinhardt51 et reprend contact avec H. Hofmannsthal en lui écrivant le 11 mars 1906 : « je vous prie de me donner la priorité pour toute œuvre de votre main susceptible d’être mise en musique. Votre manière s’accorde si bien avec la mienne, nous sommes nés l’un pour l’autre et nous accomplirons certainement de bien belles choses ensemble si vous me restez fidèle »52. H. Hofmannsthal y répond positivement. E. Coche de la Ferté écrit à ce sujet « Peut-être Hofmannsthal a-t-il senti, lui qui sentait tout, que l’Iphigénie de Goethe, que la Phèdre de Racine, l’Électre de Hofmannsthal n’étaient que des versions mutilées de la tragédie grecque, dans la mesure où elles cherchaient à égaler leurs modèles. Que si génial, si personnel soit l’effort du poète moderne, il n’était pas fidèle à l’idéal tragique tant qu’il ne mettait pas la musique au service de la poésie »53. Si la collaboration est fructueuse, la relation n’est pas simple. Au caractère aristocratique de l’écrivain désireux de s’adresser à un public raffiné s’oppose la bourgeoisie d’un musicien volontaire de toucher le plus grand public possible54. Leur correspondance fait état de davantage de divergences que d’accords55. La tension entre R. Strauss et H. Hofmannsthal n’est pas liée à une défense de leurs disciplines respectives. Bien que l’écrivain ne pratique et ne lise pas la musique, il s’y intéresse56. Il s’agit davantage d’une lutte entre un poète voulant sortir de l’entendu pour s’élever et d’un musicien plus trivial mais plus vigoureux57. Si la qualité de l’œuvre semble aujourd’hui incontestable, elle fut à son époque soumise à de nombreuses critiques, sans doute au vu des écarts dont elle fait l’objet par rapport aux attentes et normes propres à l’opéra et au genre littéraire dont le rassemblement conduit nécessairement à la violation. Ainsi a-t-on argumenté que « le livret d’Elektra, texte prosaïque qui saute fébrilement d’un objet à l’autre et ne garde une même atmosphère que durant de très brefs laps de temps, ne peut que faire obstacle à la formation d’une unité musicale »58. Cependant, les rencontres tant de la tendance singulière de l’écrivain et de celle conformiste du compositeur que de la musique et du verbe font des étincelles et n’auraient, à nos yeux pas mieux pu rendre compte de cette difficulté d’existence du « Je » quand il n’est confronté qu’au « Tu » et ne trouve pas d’écho dans une communauté du « Il ».
2. Littérature, musique et droit : une mise en musique d’un récit racontant la loi
30Si la jonction des talents est incongrue, l’œuvre n’en est pas moins intéressante tant sur le plan littéraire (A), musical (B), que par la réflexion en matière de droit et de justice qui peut en être faite (C).
A. Électre, l’œuvre tragique de Hofmannsthal
31L’œuvre tragique de Hofmannsthal, écrite en quelques semaines, durant l’été de 1903, s’inspire assez librement du théâtre de Sophocle59. La trame change peu, tout se joue autour des personnages féminins dans une tension étouffante, jusqu’à ce qu’Oreste arrive60 et frappe sa mère et son amant à mort, mais au lieu de venir acclamer la libération d’Argos et le nouveau règne d’Oreste, Électre s’enferme dans sa tourmente et mène une folle danse macabre, titubant vers sa propre mort à la fin de la pièce.
32Il est amusant de noter que la pièce est jouée par la même actrice que celle qui interpréta Salomé d’Oscar Wilde, Gertrud Eysoldt, augurant presque la collaboration entre Hofmannsthal et Strauss, ce dernier ayant mis en musique Salomé en 1905, soit un an avant Électre61.
33Hofmannsthal est un homme de son temps et, au tournant du XXe siècle, les temps changent précisément. Le contexte sociopolitique de la fin des empires, notamment de l’Empire austrohongrois, serait-il propice à la reprise d’un thème aussi remué et remuant que l’Électre de Sophocle ? Quoi qu’il en soit, l’adaptation du poète allemand est magistrale, et peut être, comme le suggère P.-A. Huré, interprétée à quatre niveaux62.
34Au premier niveau, on peut remarquer la dualité classique entre les dieux et les hommes qui a été maintenue dans la pièce moderne de Hofmannsthal. Ainsi, les dieux accablent et ravagent Clytemnestre et les dieux ordonnent qu’Oreste tue sa mère, tout comme Électre prétend que l’acte de vengeance est presque divin puisque « nous sommes auprès des dieux, nous qui accomplissons »63. Mais ces dieux sont de plus en plus invisibles, sans disparaître pour autant, gardant la porte ouverte à ce quelque chose qui dépasse l’homme : « si le ciel paraît vide, rien ne prouve qu’il le soit »64.
35La sexualité constitue une deuxième clé de lecture de la pièce, marquant fortement la relation entre Électre et sa sœur, Chrysothémis, toutes les deux en proie à des « pressions psychiques d’ordre sexuel » face au « couple illégitime et usurpateur » de Clytemnestre et d’Égisthe65. Refoulant cette sexualité, Électre tient des propos très violents, voire hystériques et névrosés à l’égard de sa mère, même si l’on pourrait prétendre qu’elle seule est saine d’esprit en dénonçant haut et fort l’adultère, alors que Chrysothémis évoque le sexe sage et maternel, espérant une vie remplie de douceur et de fraîcheur, éloignée de l’atmosphère étouffante dans lequel sombre le palais d’Argos66.
36Au troisième niveau, celui des symboles au-delà des crises hystériques et sexuelles d’Électre, l’on retrouve les thèmes de la mémoire, du sacrifice et de l’opposition entre nature et culture. La mémoire et la fidélité restent centrales dans la pièce moderne, en écho aux lois divines immémoriales, Hofmannsthal rappelant lui-même ce « thème fondamental » de « la voix héroïque contre la voix humaine »67. La valeur du sacrifice imprègne également toute la pièce : Électre a sacrifié sa beauté et sa sexualité à son père, ce qui lui donne un pouvoir certain, notamment sur sa sœur Chrysothémis, (« j’injecte ma volonté dans tes veines » pour forcer Chrysothémis à accomplir avec elle le forfait, avant qu’Oreste n’arrive). Enfin, Hofmannsthal semble opposer l’ordre de la nature, primitif, matriarcal, chaotique, dans lequel sont enfermées Clytemnestre et Chrysothémis, à celui de la culture, où règne le culte du père et de la mémoire que représentent Électre et Oreste68.
37Finalement, le dernier niveau, celui de la symbolique secrète, pose la question de « l’assomption du poète au risque de la mort »69, formulée de manière négative, à l’image de la dystopie : « que reste-t-il de l’humain quand on retire tout ? »70. Tout tourne autour de l’acte, où un forfait doit être expié ou vengé par un autre forfait, jusqu’à obséder Électre qui décide que Clytemnestre ne doit périr que par l’arme, une hache, avec laquelle elle-même a tué Agamemnon71. Hofmannsthal est un des premiers auteurs à introduire la danse « comme jalon structurel dans l’œuvre »72, danse macabre d’Électre à la fin de la pièce, fusionnant danse et mort. La danse est comprise comme « une assomption divine »73, Électre, par sa danse, se rapproche du divin et lui donne le don, comme Cassandre, de prophétiser, ce « qui est la métaphore de l’acte poétique ».
B. Elektra, l’opéra de Strauss
38L’Électre de Strauss est une « véritable clameur de haine qui appelle la vengeance »74. La terreur est portée par une musique puissante soutenue par un impressionnant orchestre comprenant 62 cordes, 41 instruments à vent et une abondante percussion75.
39Dans l’« anti-cité » au sein de laquelle le drame s’ouvre, les humains sont ramenés au rang des bêtes dans les discussions de servantes parlant en l’absence d’Électre. Alors que les servantes du Palais mettent en exergue la condition de bête à laquelle Électre est rabaissée, celles-ci se plaignent également d’être victimes des insultes d’Électre, les ramenant au bestial, suivant l’expression suivante « allez-vous en mouches à viande, allez-vous-en ! »76. L’entrée d’Électre en scène est marquée par une tirade dédiée à son père qui est caractérisée par un leitmotiv musical obsessionnel : « Agamemnon ! » L’accord brisé sur lequel Électre fait son apparition imprègne les spectateurs pour ne pas les quitter.
40L’opéra reprend la tragédie grecque mais le contexte des Atrides est au moins aussi saisissant que la volonté de vengeance individuelle d’Électre. Il s’agit pour Hofmannsthal d’un « théâtre mental »77. La tragédie grecque s’y faufile dans un décor exigu donnant une impression d’enfermement qui exprime le cul de sac psychologique d’Électre78. Le drame de l’« anti-cité » est ainsi cumulé à la démence d’un sujet proie à une vengeance obsessionnelle79. Il s’agit d’un drame psychologique qui, pour B. Banoun, est caractéristique de sa périodicité, au vu de la publication des études sur l’hystérie de Freud et Breuer parues en 1895. Pour l’auteur, Électre se rapproche du cas d’Anna O. compte tenu des symptômes de celle-ci liées à la mort du père, de la difficulté de l’oubli et du deuil. De la même manière, Électre chez Hofmannsthal se retrouve enfermée, incapable de passer au-delà de la mort du père. Elle se bloque psychologiquement bien que l’action soit en évolution80. Pour P. Ward, Hofmannsthal se serait également inspiré d’H. Bahr et de ses travaux sur les liens entre la justice grecque et la santé. Selon cet auteur, la culture grecque serait caractérisée par son hystérie mais parviendrait à la dépasser par le mythe. Pour lui, les modernes et les anciens se rassemblent dans cette hystérie, thème qui aurait été exploré par Hofmannsthal81.
41La musique accentue l’enfermement et la déviance à la norme à travers de nombreuses dissonances82. Toutefois, Strauss ne va pas radicalement dans l’expérimentation de l’atonalité, ce dont on ne s’étonnera pas au vu de sa volonté de rendre sa musique accessible au grand public. Si Strauss s’écarte de l’harmonie, c’est selon Goubault qu’un « élément extra-musical justifie cette hardiesse toute relative »83. La musique sublime en effet le drame, pour mettre en exergue tant la tension psychologique vécue par Électre, l’horreur de l’« anti-cité », que le désaccord d’un son singulier vis-à-vis d’autres sons produits. On ne s’étonnera pas à cet égard de la quasi absence du chœur dans l’opéra reflétant l’évaporation de la communauté. Cette communauté est absente jusqu’à la fin, la mort d’Électre. Peut-être le compositeur rejoignait-il à cet égard la philosophie de F. Nietzsche qui, s’intéressant à « la naissance de la tragédie enfantée par l’esprit de la musique »84, écrivait à l’appui de Schopenhauer que « nous comprenons […] la musique immédiatement comme langage de la volonté, et ce monde spirituel qui nous parle, si vivant bien qu’il nous reste invisible, incite notre imagination à lui donner forme et à l’incarner dans un exemple analogue. D’autre part, l’image et le concept, sous l’action d’une musique vraiment adéquate accèdent à une signification plus élevée »85. Le philosophe en concluait que « la musique est apte à enfanter le mythe, c’est-à-dire l’exemple le plus significatif »86.
42Cependant, dans Electre, Strauss pensait – en faisant vivre ce mythe – avoir touché les limites de l’harmonie et de « de la capacité réceptive des oreilles moderne »87. Fatigué par tant d’horreur, il aurait dit : « La prochaine fois, j’écrirais un opéra de Mozart »88. Quant à Hofmannsthal, il aurait désiré dépasser l’impasse noire d’Électre en y apportant une suite… dédiée à Oreste89.
C. Électre et le refus de l’altérité : le droit avant tout ?
43L’Électre moderne nous interroge fondamentalement sur la possibilité d’une humanité sans droit ou sans justice.
44La protagoniste, prise dans son propre carcan psychologique, est incapable de sortir d’elle-même et de s’ouvrir à l’altérité. Cette impossibilité est si fortement marquée dans l’opéra de Strauss que le spectateur en vient quelque fois à se demander s’il assiste à de réelles interactions ou si l’entièreté du drame se déroule dans la tête d’Électre. Confrontée à sa propre limite, la fille d’Agamemnon est vouée à la mort. Cette fin funeste, qui diverge de la version de Sophocle, Hofmannsthal l’explique a posteriori par l’incapacité du sujet à faire communauté. Il écrit « Électre n’est plus Électre, parce qu’elle s’est vouée entièrement à n’être seulement qu’Électre. L’individu, ne peut subsister qu’au détour d’un compromis entre l’individu et la communauté »90. La mise en garde d’Hofmannsthal rejoint la réflexion de Pierre Legendre selon lequel « ce qui est normatif chez l’homme tient au principe de cette séparation du sujet avec soi, à la nécessité de faire jouer l’écart subjectif de la représentation, autrement dit d’interdire la confusion narcissique »91. Plus fondamentalement, la tragédie d’Électre ne servirait-elle pas à mettre en lumière l’impasse qui attend le « je » s’il ne parvient pas à entrer dans une relation réflexive avec le « tu » pour permettre la constitution du « il » ?
45Cette lecture se rapproche de l’hypothèse de la finalité anthropologique du droit que F. Ost développe dans son dernier opus : À quoi sert le droit ?. Celui-ci définit l’institution de l’être humain « en toute première approximation, par l’accès au langage, à l’ordre du symbolique, du tiers institué, de la loi commune, et finalement de l’interdit et de la limite. Toutes ces réalités, qui font système, n’ont pas pour but d’enfermer l’homme dans un carcan, mais au contraire, de lui assurer identité et autonomie, de le préserver du fantasme d’être tout (et notamment l’auteur de la loi), de le garder ainsi de la folie et de la violence – bref de l’équiper pour activer, comme un être libre, le lien social qui le constitue »92.
46Le bénéficiaire de cet ouvrage se réfère aux travaux de P. Ricœur et notamment Soi-même comme un autre. Il écrit « Le philosophe Paul Ricœur, réfléchissant à la genèse du sujet de droit, et plus fondamentalement du sujet, rappelle que sa constitution passe par le dépassement de la proclamation autiste d’identité et même de sa reconnaissance dans le lien duel du « je-tu » ; elle ne s’accomplit qu’à la faveur de la « constitution symbolique du lien social » qui suppose la triangulation des pronoms personnels, autrement dit, l’intervention du « il » entre le « je » et le « tu » – le « il » ou le « tiers » qui à la fois exprime la loi commune et représente le « chacun », anonyme, qui ouvre le jeu et sort la relation duelle de ce qu’elle peut avoir de fusionnel ou de mortifère93. Intérioriser l’instance tierce, c’est non seulement faire l’apprentissage de la loi, mais c’est aussi éprouver en soi la différence et donc la limite (« soi-même comme un autre » et pas « l’autre comme moi »), et ainsi s’avérer capable de jouer le jeu du symbolique94, à commencer par l’interaction langagière, et d’entrer de façon libre et non violente dans le lien social »95.
47Le langage semble ainsi pour F. Ost être le premier lieu du dépassement du « Je ». Pour Hofmannsthal, en revanche, le langage peut parfois être un lieu d’enfermement quand l’individu et le langage ne font plus qu’un et étouffent de la sorte toute possibilité de réflexion. Banoun donne à cet égard une intéressante lecture d’Électre en y percevant l’incarnation du poète (Clytemnestre ne dit-elle pas à son sujet qu’elle « connait les mots » ?). Ce dernier, en étant verbe, ne parvient pas, à travers le passage au langage, à trouver un exutoire, à dépasser son trauma96. La parole n’est pas suffisante au deuil, quand celle-ci est tout ce dont Électre dispose en dehors de la mémoire de son père97. Pour Hofmannsthal, le dépassement ne peut donc passer que par une sortie de soi, un dépassement du verbe, par la musique et la danse. Les derniers mots d’Électre sont à cet égard significatifs « Aux êtres heureux comme nous, il convient uniquement de se taire et de danser ! »98.
48La rupture du langage peut ainsi être synonyme de mort, de scission du monde99, mais aussi synonyme d’un « (re)commencement » ou, comme on le dirait en musique, d’un point d’orgue…
Conclusion
49Notre contribution s’est attachée à examiner la question du droit, de la justice et de leur fin potentielle à travers un opéra moderne, reprenant le mythe antique d’Électre. L’écriture de l’œuvre tragico-dramatique fut pour Hofmannsthal un nouveau commencement, vers l’exploration de nouvelles formes d’art. Si une page se tourne pour François Ost, un chant de recommencement pourrait être entonné, poursuivant le voyage vers l’exploration d’autres arts, puisque finalement nous nous adressons à un artiste, et non seulement à un intellectuel.
Notes de bas de page
1 Ost (F.), Raconter la loi : aux sources de l’imaginaire juridique, Paris, Odile Jacob, 2004, p. 9.
2 Ibidem.
3 Ibidem.
4 Dupont (F.), L’insignifiance tragique : « Les Choéphores » d’Eschyle, « Électre » de Sophocle, « Électre » d’Euripide, Paris, Gallimard/Promeneur, 2001, p. 97.
5 Ost (F.), op. cit., p. 327.
6 Les auteurs après les trois poètes grecs (Eschyle, Sophocle, Euripide) comprennent notamment Crébillon, Voltaire, Alfieri, Marie-Joseph Chénier et Leconte de Lisle avant Hofmannsthal et certains après lui comme Giraudoux, Eliot, Sartre et Hauptman.
7 Certains auteurs tentent de démontrer une filiation plus ancienne pour les premières versions littéraires du mythe, remontant jusqu’aux épopées d’Homère (Odyssée, I, 35-43, 298-99 ; III, 193-200, 301-312) au IXe-VIIIe siècle avant J.-C., en passant par Pindare (XIe Pythique) à la première moitié du VIe siècle avant J.-C. Cet exercice généalogique reste néanmoins fragile, les liens n’étant pas toujours clairement présents d’une œuvre à une autre jusqu’à ce qu’on arrive à la tragédie d’Eschyle, voy. Brunel (P.), Le mythe d’Électre, Paris, Armand Colin, 1971, p. 17-20.
8 Florence Dupont offre toutefois une lecture tout à fait différente, critiquant le fait qu’« une rumeur persistante voudrait faire croire que le sujet de l’Orestie d’Eschyle serait l’histoire d’un fils tuant sa mère pour venger son père, lui-même assassiné auparavant par elle et son amant […] Cependant, il n’y a rien de tel dans l’Orestie. Il est, en effet, d’abord abusif de parler de vengeance à propos du meurtre de Clytemnestre, il est ensuite impossible de voir dans cette trilogie un drame historique racontant comment l’ordre de la justice aurait en Grèce succédé au désordre de la vengeance grâce à la fondation des cités. » (Dupont (F.), op. cit., p. 30).
9 Voy. toutefois, la lecture plus historique de Florence Dupont, selon laquelle « se venger n’est pas punir et encore moins se laisser aller aux excès de la colère, mais rétablir l’honneur perdu d’un homme et de son clan, de son oikos, en obtenant réparation du groupe auquel appartient l’offenseur, cela dans le respect d’une stricte codification et sous le regard de la communauté à laquelle se rattachent les deux clans, l’offenseur et l’offensé » (Ibidem, p. 31).
10 Selon les différentes versions, les poètes remontent de plus en plus loin dans la recherche de la faute originelle : Eschyle évoque le sinistre festin offert par Atrée (le père d’Agamemnon et de Ménélas) à son frère Thyeste (le père notamment d’Égisthe) : la chair de ses enfants ; mais Sophocle parle déjà de la malédiction de Pélops (le père d’Atrée) par Myrtilos (cocher acheté par Pélops pour gagner une course à cheval, pour ensuite être noyé par ce dernier et proférer une malédiction contre Pélops) ; et Euripide remonte encore plus haut vers Tantale, le père de Pélops, qui serait la cause de toutes les malédictions en commettant des offenses contre les dieux. Pour Pierre Brunel, « au fur et à mesure qu’on avance dans le temps, le poète recule, de génération en génération, l’origine de la faute comme s’il voulait en décharger ses contemporains ou encore comme s’il voulait éloigner d’eux, progressivement, les mouches » (Brunel (P.), op. cit., p. 15-16).
11 Égisthe est de la maison de Thyeste, et en prenant la femme d’Agamemnon et son trône, il commet une grave offense à la maison d’Atrée. Cette offense justifie, aux yeux de Florence Dupont, l’appel à la vengeance et le rétablissement de l’honneur dans le lignage de la maison d’Atrée. Pour Florence Dupont d’ailleurs, seul le meurtre d’Égisthe importe, pour rétablir l’ordre et l’honneur, une affaire d’hommes en somme, qui doit être réglée par le fils d’Agamemnon, Oreste, ou son frère, Ménélas. La vengeance est donc une « institution sociale ». En effet, « cette vengeance ne peut s’exercer que contre Égisthe et sa maison. La mort de Clytemnestre n’apporterait aucune satisfaction d’honneur au clan offensé, seul importe la mort d’Égisthe. Que fera-t-on de Clytemnestre ? C’est une question privée, interne au clan d’Atrée. Que Ménélas fait-il d’Hélène ? Il n’est pas plus déshonorant de conserver Hélène qu’il n’est honorable de tuer Clytemnestre, la punition des femmes adultères ne relève pas de l’ordre vindicatoire » (Dupont (F.), op. cit., p. 31).
12 Clytemnestre clame : « J’ai tout fait […], je m’en vante » (v. 1380-1394) et prétend que justice est faite, son corps étant pour elle « mon chef-d’œuvre de justice » (v. 1406), cité par OST (F.), op. cit., p. 101.
13 Ibidem, p. 108.
14 Pour Florence Dupont, la cible véritable est Égisthe et non Clytemnestre, puisque « la reconstitution anthropologique de la "vraie" vengeance d’Oreste, celle qui s’exerce contre Égisthe et non contre sa mère, n’est pas une hypothèse intellectuelle : elle est là, dans les textes homériques. Oreste épique se venge conformément aux règles de l’honneur clanique en tuant l’offenseur, Égisthe » (Dupont (F.), op. cit., p. 32).
15 La loi du talion sera, elle aussi, progressivement bannie : « Que jamais en la cité ne vienne gronder la discorde, que la poussière abreuvée de sang noir des citoyens n’exige pas dans sa colère le prix, meurtre pour meurtre, d’une ruine qui renverserait la cité, mais qu’à la joie, réponde la joie » (v. 977-984), cité par Ost (F.), op. cit., p. 123.
16 Ibidem, p. 93.
17 Ibidem, p. 94.
18 Ibidem.
19 F. Ost reprend cette idée dans son dernier ouvrage, en en faisant la deuxième finalité intrinsèque du droit, voy. Ost (F.), À quoi sert le droit ? Usages, fonctions, finalités, Bruxelles, Bruylant, 2016, p. 415 et s.
20 Ost (F.), Raconter la loi, op. cit., p. 95.
21 Ibidem.
22 Ibidem.
23 Voy. la satire Les Guêpes d’Aristophane, écrite en 422 avant J.-C.
24 Les théogonies renvoient aux récits sur l’origine des dieux.
25 Dupont (F.), op. cit., p. 97, reprenant l’analyse de Loraux (N.), La Voix endeuillée. Essai sur la tragédie grecque, Paris, Gallimard, 1999.
26 von Hofmannsthal (H.), Électre - Électre, Le Chevalier à la rose - Der Rosenkavalier, Ariane à Naxos - Ariadne auf Naxos, trad. fr. Pierre-Antoine Huré, édition bilingue, Paris, Flammarion, 2002, p. 59.
27 Ce duel féminin ne se retrouve pas chez Eschyle (Brunel (P.), op. cit., p. 182).
28 Ost (F.), Raconter la loi, op. cit., p. 145.
29 Ibidem, p. 171.
30 Ibidem, p. 145.
31 Brunel (P.), op. cit., p. 183.
32 Ibidem.
33 Dupont (F.), op. cit., p. 91.
34 von Hofmannsthal (H.), op. cit., p. 54.
35 Ibidem, p. 54.
36 Ost (F.), Raconter la loi, op. cit., p. 145-146.
37 Ibidem, p. 146. L’auteur se base sur les réflexions mises en avant par Saïd (S.), « La tragédie de la vengeance », in La Vengeance, vol. 4, textes présentés par Courtois (G.), Paris, Cujas, 1984, p. 61 et Loraux (N.), La Voix endeuillée. Essai sur la tragédie grecque, Paris, Gallimard, 1999, p. 38 et s.
Voy. contra Florence Dupont présente toutefois une autre lecture du dénouement meurtrier de la pièce : le meurtre en quelque sorte légitime d’Oreste serait une sorte d’acte de libération pour tous les citoyens et non seulement pour le lignage d’Atrée, dans la mesure où « Sophocle en fait un vengeur de la liberté, libérant Argos de la tyrannie du Roi adultère (Égisthe) ». Elle parle même d’un « crime parfait », un « meurtre sans reste », puisque le double meurtre « n’a besoin ni de procès, ni de châtiment, ni de purification » (Dupont (F.), op. cit., p. 92).
38 Huré (P.A.), Hofmannsthal. Électre, Le Chevalier à la rose, Ariane à Naxos, s.l., Flammarion, 2002, p. 9.
39 Zweig (S.), Le Monde d’hier, Paris, Librairie générale française, 2013.
40 Hure (P.A.), op. cit., p. 30.
41 von Hofmannsthal (H.), Lettre de Lord Chandos : Et autres essais, s.l., Gallimard, 1980, p. 80-81.
42 Le Rider (J.), « La "Lettre de Lord Chandos" », Littérature, 95 (1994), p. 93-110.
43 Ibidem.
44 Pour Jacques Le Rider, la Lettre de Lord Chandos « ne débouche qu’en apparence sur un renoncement à l’art et à la littérature, au profit d’une réforme existentielle et d’une conversion mythique » (Le Rider (J.), Hugo von Hofmannsthal : historicisme et modernité, Paris, Presses universitaires de France, 1995, p. 159). Dans La Lettre, Hofmannsthal voulait sortir de « l’enclos de la rhétorique », entrevoyant « cette forme profonde, vraie, intérieure, qui ne peut être pressentie que par-delà l’enclos des artifices rhétoriques, celle dont on ne peut plus dire qu’elle met la matière en ordre, parce qu’elle l’imprègne, l’élève en l’annulant, créant ensemble fiction et vérité, un jeu réciproque de forces éternelles, une chose magnifique comme la musique et l’algèbre » (Lettre, 1992, p. 39). Il imagine ainsi « l’idéal d’un nouveau langage » se référant à la musique et l’algèbre, derrière lequel « se cache le paradigme implicite des « couleurs de la rhétorique », postulant une « équivalence » de la poésie et de la peinture », (voy. ibidem, p. 160). En effet, Hofmannsthal note dès 1895 que « le monde des mots, un monde d’apparence, fermé sur lui-même, comme celui des couleurs, est coordonné avec le monde des phénomènes. Une "insuffisance" (Unzulänglichkeit) de l’expression n’est donc pas concevable, il s’agit d’un acte de transposition. ». En d’autres termes, la poésie, tout comme la peinture, permet d’exprimer avec des mots, ou avec des couleurs, selon, « ce qui s’extériorise dans la vie par mille autres formes d’expression ». Il s’agit donc de « transposer la vie » (Ibidem, p. 160). Nous pouvons suivre le raisonnement de Le Rider selon lequel « la crise du langage poétique, pour Hofmannsthal, signifie le dépassement de la "magie métaphorique" et la recherche d’une expression plus dépouillée, réduite à l’essentiel » (Ibidem, p. 167-168).
45 Huré (P.A.), Hofmannsthal […], op. cit., p. 33 à 34.
46 von Hofmannsthal (H.), « Reden und Aufsätze » in Gesammelte Werke in zehn Einzelbänden, sous la ccordination de Schoeller (B.), Hirsch (R.), Frankfurt/Main, Fischer Taschenbuch Verlag, 1979-1980, I, p. 479, traduit et cité par Banoun (B.), L’opéra selon Richard Strauss. Un théâtre et son temps, Bruxelles, Libraire Arthème Fayard, 2000, p. 213.
47 von Hofmannsthal (H.), Poésie et vie, op. cit., p. 214.
48 Banoun (B.), op. cit., p. 56.
49 Huré (P.A.), Savons-nous lire Hofmannsthal ? La lettre de Lord Chandos cent ans après, Langres, Klincksieck, 2004, p. 56.
50 Hure (P.A.), Hofmannsthal […], op. cit., p. 47.
51 Banoun (B.), op. cit., p. 50
52 Hure (P.A.), Hofmannsthal […], op. cit., p. 50.
53 Ibidem.
54 Goubault (C.), Richard Strauss, s. l., Bleu Nuit Éditeur, 2008, p. 105.
55 Strauss (R.), von Hofmannsthal (H.), Correspondance 1900-1929, Bruxelles, Librairie Arthème Fayard, 1992.
56 Banoun (B.), op. cit., p. 61.
57 Huré (P.A.), « Hofmannsthal », op. cit., p. 61.
58 Mennicke (C.), « Uber Richard Strauss’Elektra » in Mennicke (C.), Riemann-Festschrift. Gesammelte Studien. Hugo Riemann zum 60. Geburstag, Leipzig, 1909, p. 518, cité par Banoun (B.), op. cit., p. 122.
59 « Le rapport à Sophocle est très libre, j’ai traité les figures telles que je les ai vues, sans souci de piété, en sorte de faire quelque chose qui puisse avoir un effet sur les hommes de notre temps et non sur leurs sensibilité culturelle, non sur leur tête mais sur leurs sentiments humains habituels » (Lettre à Christiane Thun-Salm, le 12 octobre 1903), citée dans von Hofmannsthal (H.), Électre, op. cit., p. 55.
60 Oreste n’apparaît donc pas au début de la pièce comme chez Sophocle, renforçant ainsi le suspens. Mais Hofmannsthal se prive ainsi « du même coup de la ponctuation "métaphysique" qu’offrait au spectateur la série de retournements » (Ibidem, p. 59).
61 Les deux pièces de théâtre et ensuite d’opéras se ressemblent d’ailleurs fortement : un seul acte, une femme héroïne, une même scène de danse folle vers la mort, le tout dans un climat d’obsession et de transe. Il était dès lors important de pouvoir distancier les deux pièces, souvent surnommées les deux « opéras noirs » de Strauss, ce que Hofmannsthal suggère dans des échanges de courriers : « la combinaison des coloris » dans Salomé était « le pourpre et le violet, dans une atmosphère étouffante ; dans Électre, en revanche, un composé de nuit et de lumière, noir et clair » (Lettre à Strauss, le 27 avril 1906). Par ailleurs, le « mouvement ascendant des thèmes » vers la victoire et la purification d’Oreste, que la musique peut rendre si puissamment, lui paraissait sans équivalent dans Salomé » (Ibidem, p. 51).
62 Ibidem, p. 59-77.
63 Passage récité par Électre, voy. trad. Ibidem, p. 193 ; dans l’opéra, Électre chante « Nous qui agissons, sommes proches des dieux ».
64 Ibidem, p. 59-60.
65 Ibidem, p. 65.
66 Ibidem, p. 64-66.
67 « Se retenir à ce qui est perdu, persister éternellement, jusqu’à la mort […] être toujours un homme sans descendre au rang de l’animal dépourvu de mémoire : tel est le thème fondamental d’Électre, la voix d’Électre contre celle de Chrysothémis, la voix héroïque contre la voix humaine » (Lettre à Strauss, été 1911), cité dans ibidem, p. 67.
68 Le passage suivant, chanté par Électre reflète sa pensée : « Oublier ? Quoi ! Suis-je un animal ? Oublier ? La bête s’endort, une proie demi dévorée pendant encore à ses babines, la bête s’oublie et commence à mâcher alors que la mort se pose déjà sur elle pour l’étrangler, la bête oublie ce qui est sorti de ses entrailles, et apaise sa faim en dévorant sa propre engeance… je ne suis pas une bête, je ne peux pas oublier ! », cité dans ibidem, p. 101.
69 Ibidem, p. 70.
70 Aufzeichnungen zu Reden in Skandinavien, GW, RAII, p 31, cité dans ibidem, p. 71.
71 Ibidem, p. 72.
72 Ibidem, p. 73.
73 Ibidem, p. 75.
74 Goubault (C.), op. cit, p. 78.
75 Ibidem, p. 78.
76 Huré (P.A.), « Hofmannsthal », op. cit., p. 83.
77 Banoun (B.), op. cit., p. 368.
78 Ibidem, p. 368.
79 Goubault (C.), op. cit, p. 80.
80 Banoun (B.), op. cit., p. 368.
81 Ward (P.), Hofmannsthal and Greek Myth : Expression and Performance, Bern, Peter Lang AG, 2005, p. 145-149.
82 Bonnelier (R.), « Le poète et l’opéra. À propos d’Elekra, tragédie en un acte d’Hugo von Hofmannsthal, musique de Richard Strauss (1909) », Tropique, 4 (2014), p. 165.
83 Goubault (C.), op. cit, p. 82.
84 Nietzsche (F.), La naissance de la tragédie. Fragments posthumes, s.l., Gallimard, 1977, p. 26-156.
85 Ibidem, p. 113.
86 Ibidem, p. 114.
87 Goubault (C.), op. cit, p. 81.
88 Ibidem, p. 82.
89 « On peut croire Hofmannsthal, lorsqu’il dit qu’il a enfanté son Électre, si baignée d’atmosphère sexuelle, les yeux rivés sur l’Oreste à Delphes qui devait suivre et ne vit finalement jamais le jour, mais qui aurait répondu, on le devine, par son retour vers la lumière, à tout ce qu’Électre avait d’étouffant et de noir », von Hofmannsthal (H.), Électre, op. cit., p. 56.
90 « Electra is no more Electra, because she has devoted herself entirely to being only Electra. The individual can only remain to endure where a compromise has been struck between the community and the individual »90, traduction libre, cité par von Hofmannsthal (H.), « Zwei bisher unveröffentlichte Aufzeichnungen von Hugo von Hofmannsthal », Programmheft 2 : Salome une Elektra (Frakfurter Oper : 1974), 28, cité par Davies (M.), « The Three Electras : Strauss, Hofmannsthal, Sophocles and the Tragic Vision », Antike und Abendland, no 45 (janvier 1999), p. 55.
91 Legendre (P.), Sur la question dogmatique en Occident, Paris, Fayard, 1999, p. 198, cité par Ost (F.), À quoi sert le droit ? Usages, fonctions, finalités, op. cit., p. 261.
92 Ost (F.), À quoi sert le droit ? Usages, fonctions, finalités, op. cit., p. 97.
93 Ricœur (P.), « Qui est le sujet du droit ? », in Ricœur (P.), Le Juste, Paris, Éditions Esprit, 1995, p. 29 et s.
94 En application, je le rappelle, de l’étymologie du sun-bolon grec : œuvrer à la reconstitution du signe fracturé dont on ne dispose que de la première pièce, - tâche à la fois infinie et constitutive.
95 Ricœur (P.), « Qui est le sujet du droit ? », in Ricœur (P.), Le Juste, Paris, Éditions Esprit, 1995, p. 29 et s., cité par OST (F.), À quoi sert le droit ? Usages, fonctions, finalités, op. cit., p. 97-98 ; plus tard, dans l’ouvrage, il reprend le philosophe et écrit : « Que savons-nous déjà ? Au premier stade, celui du solipsisme, un "je" fait valoir sa prétention à l'identité et l'autonomie (liberté). Au second stade, celui de l'altérité, un "tu" s'interpose, reconnaissant les aspirations du "je" selon des modalités très variables, en fonction de sa propre ouverture au troisième moment du "chacun" impersonnel. À ce stade, celui de la pluralité, le "il" se fait valoir, qui donne accès à la médiation du jugement réflexif. Mais encore faut-il boucler la boucle et montrer l'action en retour de cette institutionnalisation progressive de l'intersubjectivité sur l'être qui dit "je". Le voilà désormais "sujet réfléchi", capable de prendre distance à l'égard de lui-même, de se désigner au réfléchi comme "soi" - un "soi" qui est la forme réfléchie de tous les pronoms et qui présuppose la médiation de l'altérité : le "soi-même", explique Ricœur, est désormais « comme un autre ». » (p. 270).
96 Banoun (B.), op. cit, p. 370-373.
97 Ward (P.), Hofmannsthal and Greek Myth : Expression and Performance, Bern, Peter Lang AG, 2005, p. 164.
98 Banoun (B.), op. cit, p. 371.
99 Ibidem, p. 372.
Auteurs
Chercheuse au SIEJ (Université Saint-Louis – Bruxelles) et au Centre Perelman (Université Libre de Bruxelles)
Aspirante F. R. S.-FNRS. Doctorante en droit à l’Université Saint-Louis – Bruxelles et à l’Université Paris – Saclay
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