Quelques réflexions sur le rôle de l’intuition et des émotions dans la fonction de juger
p. 385-416
Texte intégral
Remarques apéritives
1« Dire le droit, faire justice ». Cette formule pourrait sans doute résumer tout le talent du dédicataire de ces lignes : une alliance particulièrement heureuse entre le fond et la forme. Comment mieux synthétiser la mission du juge et les difficultés de cette fonction ? Dans la littérature anglo-saxonne, deux modèles principaux d’adjudication s’opposent de longue date sur la façon d’agencer ces deux éléments : le modèle déductif issu du formalisme juridique1 et le modèle intuitif, qui renvoie notamment aux thèses des réalistes américains2.
2Le modèle déductif peut s’identifier à celui défendu par Montesquieu, qui évoquant la puissance de juger, estime que les juges ne sont « que la bouche qui prononce les paroles de la loi, des êtres inanimés qui n’en peuvent modérer la force ni la rigueur »3. À sa suite, Beccaria affirmera que le juge doit, pour éviter l’arbitraire, « faire un syllogisme parfait », dont « la majeure doit être la loi générale ; la mineure, l’action conforme ou non à la loi ; la conséquence la liberté ou la peine »4. La formule du syllogisme judiciaire sera ensuite entérinée et généralisée après la révolution française5 : le juge qui s’en écarte perturbe le lien causal entre l’adoption légitime de la loi et son application au cas particulier. Pour les formalistes, faire justice ne peut donc signifier autre chose que de dire le droit.
3Selon les réalistes, les juges adoptent d’abord leur décision, intuitivement ou pour des raisons souvent, sinon essentiellement non juridiques, et cherchent ensuite à l’habiller en droit6. Dire le droit revient donc, pour un juge, à faire justice selon des critères essentiellement subjectifs. De façon caricaturale, il a été attribué aux réalistes la phrase selon laquelle les juges décident en fonction de ce qu’ils ont mangé au petit-déjeuner7. Il est du reste piquant de constater que ce risque d’arbitraire alimentaire était déjà dénoncé par Beccaria, qui fustigeait le risque que l’esprit d’une loi puisse être le résultat « d'une digestion aisée ou pénible, […] de la violence des passions du magistrat […] »8.
4Si les limites du modèle déductif, à tout le moins en tant qu’il prétend rendre compte de façon exacte de la pratique interprétative, ont déjà été largement exposées9, il nous paraît utile de revenir sur le modèle intuitif, trop vite adopté ou rejeté. À cette fin, nous tenterons d’appréhender, à l’aide de la méthode interdisciplinaire chère à François Ost10, le rôle de l’intuition mais également celui, moins balisé, des émotions dans la fonction de juger. Au menu de cette contribution : un rappel léger des thèses des réalistes américains (1.), un détour interdisciplinaire substantiel par l’intuition et les émotions (2.) et quelques réflexions, qui se veulent digestes, sur leur impact dans la fonction de juger (3.).
1. Entrée : les réalistes américains
5En 1929, Joseph Hutcheson, juge du Southern District of Texas, publiait un article qu’il serait, encore aujourd’hui, difficile d’imaginer sous la plume d’un magistrat belge. Il y affirmait qu’un juge ne décide qu’à partir d’une intuition, qu’il formalise par la suite11. Trop influencé par les codificateurs, Austin et Bentham, il admettait avoir longtemps perçu le juge comme un personnage austère pourvu d’un esprit froid et logique, capable de relier les faits d’un cas particulier à ceux établis par certains précédents juridictionnels. Au fur et à mesure des années, cependant, il rencontra des juristes dont les facultés intuitives s’étaient développées et affinées grâce à une imagination nourrie par la pratique. Après 18 ans de barreau et 11 ans de magistrature, il se sentait enfin prêt à faire ce qu’on appellerait aujourd’hui un « coming out » juridictionnel en avouant que, ayant entendu les parties, vérifié le droit et examiné les pièces, il laissait jouer son imagination et attendait l’intuition lui permettant de déterminer la décision à adopter12. Il ne lui restait plus, ensuite, qu’à justifier cette décision en respectant les conventions juridiques existantes13.
6Il n’est guère difficile de rapprocher ce texte des théories réalistes alors en vogue aux États-Unis et qui ont radicalement rompu avec le formalisme juridique dominant du XIXe siècle. Les réalistes estimaient qu’eu égard au caractère inévitable tant du caractère indéterminé du droit que de la subjectivité des juges, la réduction de l’insécurité juridique ne pouvait se faire par l’amélioration des lois en amont, mais par l’élaboration d’une méthode scientifique, basée sur la psychologie, l’économie, la sociologie et les statistiques, qui permettrait d’augmenter la prévision des décisions de justice voire, sur un plan plus straégique, de les orienter. Comme l’explique un des pères du mouvement, Oliver Wendell Holmes Jr., la vie du droit n’est pas faite de logique mais d’expérience14 et le droit ne peut être considéré comme un système rationnel, déduit de principes éthiques ou d’axiomes : « The prophecies of what the courts will do in fact, and nothing more pretentious, are what I mean by the law »15. Devenu juge à la Cour suprême, il écrira encore, dans une célèbre opinion dissidente, que les propositions générales ne peuvent décider des cas concrets et que la décision relative à ces cas « dépendra d’un jugement ou d’une intuition plus subtile » que la majeure d’un syllogisme, aussi claire soit-elle16. Et de conclure : « You can give any conclusion a logical form »17.
7Dans un ouvrage publié la même année que l’article de Hutcheson18, Jerome Frank reprend la thèse de Holmes qu’il tient en grande estime. Il pointe la faiblesse de la logique formelle dans le langage juridique, le « joker » du syllogisme résidant dans la sélection des prémisses, et compare le processus de juger à l’auteur d’une histoire policière, qui part de la fin avant de construire le raisonnement pour y arriver19. Or, dans le choix de ces prémisses, les juges ne sont pas guidés uniquement par des stimuli juridiques mais aussi par des partis pris politiques, économiques ou moraux et, surtout, des facteurs uniquement individuels, résultant de leur histoire personnelle. Le tout est ensuite masqué par un raisonnement ad hoc. Le problème est que les juges sont peu conscients de ces facteurs et Frank suggère qu’ils fassent une autoanalyse, voire rédigent des autobiographies détaillées afin d’informer les justiciables. Il préconise en outre de transformer, en partie, les facultés de droit en écoles de psychologie appliquée au droit20. Une dizaine d’années plus tard, il sera nommé juge à la Cour d’appel du Second Circuit mais, curieusement, ne publiera jamais d’autobiographie détaillée…
8Malgré les positions souvent extrêmes des réalistes, il faut leur reconnaître le mérite d’avoir attiré l’attention sur le sujet complexe et sensible de la subjectivité du juge et sur le rôle de l’intuition dans le processus juridictionnel, d’autant que plusieurs d’entre eux étaient des magistrats de haut niveau. Tel était le cas, on l’a vu, de Holmes et Frank mais également de Benjamin Cardozo, juge à la Cour suprême de 1932 à 1938 et membre prestigieux, quoique modéré, de l’école réaliste21. Ce courant va, certes, s’essouffler vers la moitié du XXe siècle mais il aura profondément influencé la conception du droit aux États-Unis22 et joué un rôle important dans l’émergence, dans les années 60 et 70, du courant Law and Economics, du mouvement Law & society et des Critical legal studies23.
2. Plat de résistance : l’intuition et les émotions
9Si l’intuition est susceptible de fausser le jugement (A.), elle peut également contribuer de façon positive à la prise de décision (B.). De même, et contrairement à ce qu’on enseigne classiquement, les émotions jouent un rôle prépondérant – et souvent positif – dans la faculté de raisonnement (C.).
A. L’intuition, source de rationalité limitée
10Dans les années ’50, l’économiste et sociologue américain H. Simon a introduit l’expression de « rationalité limitée » (bounded rationality) pour attirer l’attention sur le fossé séparant la rationalité humaine parfaite, postulée par les théories économiques classiques, et la réalité du comportement humain observée dans la vie économique24. Selon Simon, qui recevra le prix Nobel d’économie en 1978, les ressources cognitives des êtres humains sont limitées et doivent donc être utilisées de façon rationnée. Le raisonnement humain se caractérise par une méthode de recherche sélective parmi de larges possibilités, qui fait appel notamment à l’intuition et se contente le plus souvent de solutions satisfaisantes, bien que non optimales25.
11L’intuition, qu’on peut définir comme un « processus cognitif rapide grâce auquel nous parvenons à une conclusion sans avoir conscience de toutes les étapes logiques qui y mènent »26, est également au cœur des travaux d’un autre prix nobel d’économie, Daniel Kahneman. Cet auteur, spécialiste de psychologie cognitive, a été récompensé en 2002 pour ses travaux relatifs à la prise de décision, travaux qui méritent qu’on s’y attarde quelque peu. Dans un ouvrage stimulant et accessible, il décrit, à partir des deux principaux modes de pensée humaine (délibératif et intuitif) qui régissent notre façon de prendre des décisions, les nombreux biais cognitifs susceptibles d’affecter notre esprit27. Le « système 1 » est rapide, intuitif et émotionnel. Il fonctionne par défaut, sans effort, de façon automatique et quasi-inconsciente, est réticent à l’ambiguïté ou au doute qu’il tend à ignorer et aime voir partout des intentions et des liens de cause à effet afin de créer une vision du monde la plus cohérente et harmonieuse possible. Le « système 2 », au contraire, se consacre aux activités mentales qui requièrent un certain effort et incluent des opérations complexes. Il est généralement associé à l’expérience subjective du (libre) choix, de la conscience et de la concentration. Le système 1 génère des impressions, des sentiments et des penchants qui, s’ils sont adoptés par le système 2, peuvent se transformer en croyances, en attitudes ou en intentions28.
12Le système 1 est capable de réaliser l’addition 2 + 2 mais, chez la plupart des individus, seul le système 2 peut résoudre la multiplication : 17 x 28. Le système 1 suffit lorsqu’on conduit sur une autoroute dégagée, le système 2 étant alors disponible pour une conversation philosophique avec le passager. En cas de manœuvre complexe, cependant, la discussion doit être interrompue car le système 2 doit intervenir. En d’autres termes, le système 1 est, de façon imagée, notre pilote automatique et le système 2, qui est plus lent, paresseux et fatigue vite, n’intervient qu’en cas de configuration inattendue ou complexe29. Petite anecdote mais qui, si l’on ose dire, ne manque pas de sel. Le système nerveux consomme plus de glucose que la plupart des autres parties de notre corps et un effort mental particulier a donc pour effet d’en faire diminuer le niveau dans notre sang. Kahneman rapporte une étude relative au travail de huit juges israëliens, s’occupant exclusivement de demandes de mise en liberté30. Chaque dossier est examiné, en moyenne, en six minutes et il n’est fait droit qu’à seulement 35 % des requêtes. Les auteurs de l’étude ont découvert qu’immédiatement après chacun des trois repas des juges (pause du matin, déjeuner et pause de l’après-midi) le pourcentage de demandes approuvées montait à 65 % pour descendre ensuite jusqu’à 0 % juste avant la pause suivante, deux heures plus tard. Selon Kahneman, ces résultats suggèrent que des juges fatigués et affamés ont tendance à choisir l’option par défaut : le refus d’octroyer la libération31. Tragique retour aux réalistes américains…
13Il résulte de l’interaction entre les deux systèmes que le raisonnement humain, qui a tendance à se reposer sur son système 1, peut être affecté de nombreux biais cognitifs résultant des caractéristiques de ce système. Sans pouvoir être exhaustif, il est intéressant d’en évoquer quelques-uns. L’effet d’amorçage (priming effect) permet d’expliquer la façon dont notre système 1 peut être influencé, de façon inconsciente, par des événements extérieurs. Ainsi, le mot PA_ N évoquera sans doute au lecteur le mot PAIN vu l’étude mentionnée au paragraphe précédent. Si elle avait concerné des oiseaux, il est plausible que le mot PAON se serait imposé. Plus troublant : les sujets d’une expérience se sont mis, inconsciemment, à marcher plus lentement après avoir lu des mots associés à la vieillesse. Enfin, et cela devient inquiétant dans le contexte des débats actuels autour de l’influence des big data, une consultation populaire relative à l’augmentation du financement des écoles a obtenu des résultats favorables plus importants lorsque le bureau de vote était installé dans une école32.
14Le système 1 est une véritable machine à tirer (hâtivement) des conclusions : il ne retient pas les interprétations alternatives et a une prédisposition à croire et à confirmer, délaissant au système 2 le doute et l’incertitude, qui demandent de l’effort et créent de l’inconfort. Un nom fictif lu sans réfléchir quelques jours plus tôt sera facilement remémoré comme désignant une personne réelle (illusion de la mémoire), une information erronée répétée à plusieurs reprises sera susceptible d’être perçue comme désignant un événement réel (illusion de validité), une personne connue ou présentant bien se verra accorder plus de crédibilité et inversément (effet de halo), tout comme ce qu’on voit ou connaît par rapport à ce qu’on ne voit pas ou ne connaît pas (WYSIATI effect : What You See Is All There Is ou, selon la traduction française, COVERA : ce qu’on voit et rien d’autre)33.
15L’effet WYSIATI démontre que le système 1 cherche avant tout de la cohérence et est insensible à la qualité et à la quantité d’information dont il dispose34. Kahneman relate une expérience réalisée par un collègue de Stanford, dans laquelle les participants devaient prendre une décision dans un litige relatif à l’arrestation, suite à la plainte d’un employeur, d’un représentant syndical. Outre les données factuelles du cas, communiquées à tous, certains participants entendirent la plaidoirie de l’avocat d’un des deux protagonistes, les autres les arguments du conseil de l’autre partie. Un dernier groupe de participants eut droit aux deux argumentations. Comme on peut s’y attendre, ceux qui n’avaient eu qu’une version des arguments furent très influencés par celle-ci mais, ce qui est particulièrement intéressant, c’est que ces derniers avaient nettement plus confiance dans leur solution (contraire pour les deux groupes) que ceux qui avaient entendu les deux avocats. Kahneman conclut que la cohérence d’une histoire nous importe souvent plus que son caractère complet : « knowing little makes it easier to fit everything you know into a coherent pattern »35.
16L’effet d’ancrage (anchor effect) est particulièrement intéressant. Il intervient lorsque des personnes, à qui il est demandé de faire une estimation numérique, sont exposées préalablement à une valeur particulière : cette valeur fournit un point de départ qui va « ancrer » leur processus d’estimation. Même si elles s’en écartent, elles ne le feront pas suffisamment, lui donnant ainsi un poids qu’elle ne devrait pas avoir sur l’estimation finale. Kahneman évoque ainsi une expérience dans laquelle il a été demandé aux visiteurs d’un planetarium d’offrir une contribution pour la protection d’oiseaux pris dans une marée noire. Certains recevaient une première question « ancre » leur demandant s’ils étaient prêts à payer, pour certains 5 $ et pour d’autres 400 $, avant de recevoir une autre question leur demandant quel serait le montant de leur participation. Une troisième catégorie de visiteurs recevaient uniquement cette seconde question. Dans l’ordre, la moyenne des contributions proposées était de 20 $, 143 $ et, pour ceux qui avaient échappé à l’ancrage, 64 $36.
17Pour Kahneman, la conclusion coule de source : ceux qui se laissent guider par leur système 1 risquent davantage d’être victimes de biais cognitifs que ceux qui recourent à leur système 237. S’il est vrai que son ouvrage ne porte pas sur les juges en particulier, il mentionne toutefois une étude qui fait quelque peu froid dans le dos. Le cas d’une femme ayant été arrêtée pour vol à l’étalage a été soumis à des juges allemands dotés d’une expérience professionnelle de plus de 15 ans. Il leur était ensuite demandé de jeter une paire de dés, truqués de telle sorte que les magistrats ne pouvaient obtenir qu’un 3 ou un 9, et de déterminer, immédiatement après, la sentence de la voleuse. En moyenne, les juges qui avaient obtenu un 9 proposèrent une peine de 8 mois d’emprisonnement contre 5 mois pour ceux qui avaient eu un 338. N’en déplaise au juge Bridoye39, la détermination d’une peine (ou de toute décision juridictionnelle) ne devrait jamais pouvoir être influencée par un lancer de dés.
18Deux professeurs de droit et un juge américains ont explicitement porté leur attention sur le raisonnement des juges, en partant du système dual de pensée tel qu’il a été présenté plus haut. Plusieurs expériences leur ont permis de confirmer que les juges se fiaient généralement, comme la plupart des gens, à leurs intuitions et qu’ils n’en étaient pas moins affectés par les biais cognitifs évoqués plus haut. Il est impossible de résumer ici ces différentes études mais un exemple suffira, illustrant à nouveau l’effet d’ancrage précité. Plusieurs juges se sont vus présenter un cas dans lequel la victime d’un accident causé par le conducteur d’une société de transport avait subi d’importantes séquelles, les deux parties n’ayant pas réussi à conclure une transaction. Alors que certains juges n’étaient avertis que du fait que la victime demandait une somme importante en guise de dédommagement, d’autres (soumis à l’effet d’ancrage) étaient informés du montant demandé, à savoir 10 millions de dollars. Dans les deux cas, il leur était demandé d’évaluer le dommage subi sur la base d’une description des séquelles. Alors que le premier groupe avait adopté un montant moyen de 808.000 $, celui du second groupe s’éleva à 2.210.000 $40, ce qui se passe, malheureusement, de commentaire41.
19Les trois auteurs reconnaissent toutefois que, dans les cas plus complexes, les juges témoignent d’une plus grande capacité à résister au biais cognitif. S’ils admettent les mérites de l’intuition42, ils sont néanmoins convaincus que le modèle délibératif est davantage de nature à aboutir à une décision correcte. Outre les biais cognitifs déjà évoqués, ils estiment notamment que le recours à l’intuition risque de faire jouer des facteurs subjectifs (comme le genre, le sexe ou l’esthétique) dont tout le monde s’accorde à dire qu’ils ne devraient avoir aucune influence dans la prise de décision des magistrats43. Le principal défi des magistrats consiste donc, selon ces auteurs, à déterminer quand ils doivent passer outre leur intuition, ou en termes kahnemaniens, quand ils doivent activer leur système 2.
B. L’intuition de l’expert, système de cognition rapide
20Si Kahneman ne cache pas sa méfiance envers l’intuition, il fait cependant état de sa collaboration avec Gary Klein, chercheur en psychologie qui, à partir d’études de pompiers notamment, faisait l’apologie de l’intuition des experts dans la prise de décision44. Les deux spécialistes se sont rapidement entendus pour adopter la définition donnée par H. Simon de l’intuition de l’expert : « La situation fournit un indice ; cet indice donne à l’expert un accès à une information stockée dans sa mémoire et cette information, à son tour, lui donne la réponse. L’intuition n’est rien de plus que de la reconnaissance »45. Kahneman et Klein se sont finalement mis d’accord sur le fait que la validité des intuitions des experts dépendait de l’environnement dans lequel ils opéraient. Selon eux, il existe deux conditions de base pour acquérir une compétence fiable en la matière : un environnement qui est suffisamment régulier pour être prévisible et une opportunité pour apprendre ces régularités à travers une pratique prolongée46.
21Les juristes et, plus précisément, les juges sont-ils des experts évoluant dans un tel environnement ? Les trois auteurs qui se sont intéressés à la question en doutent. Ils admettent que la capacité d’utiliser avec succès l’intuition exige des années de pratique et la possibilité d’obtenir un retour (feedback) fiable mais estiment que, pour les juges, le retour est peu satisfaisant eu égard au petit nombre et aux délais des appels. Sur la base du fait que des juges d’anciennetés diverses avaient obtenu des résultats comparables à des tests cognitifs classiques, ils concluent que, à la différence des grands joueurs d’échecs47, les magistrats opèrent dans un environnement qui ne leur permet pas d’améliorer leur processus de prise de décision intuitive48.
22Outre le fait que cette affirmation est contredite par les études des spécialistes sur la question49, elle fait l’impasse sur la prévisibilité, même si elle est relative, du droit. Si on ne se leurre pas quand à ce que l’idéal de sécurité juridique peut offrir, il est tout aussi difficile de nier que l’existence de règles plus ou moins précises garantit une plus grande certitude que le milieu des marchés financiers50. La jurisprudence offre également une certaine prévisibilité, particulièrement en cas de récurrence de certains dossiers, impliquant les mêmes questions juridiques. Ces éléments permettent au magistrat aguerri d’avoir une gamme de solutions internalisées nettement plus importante qu’un jeune juge51.
23Du reste, Hart avait déjà perçu que l’erreur des réalistes, consistant à dénoncer l’absence de règles liant les tribunaux, tenait au fait de n’avoir pas compris qu’une action est souvent exécutée conformément à des règles mais sans passer par la médiation consciente d’un calcul effectué à la lumière de celles-ci52. S’il admettait qu’il était possible que certains juges habillent à posteriori et de façon artificielle la décision qui leur est dictée par leur intuition, il estimait cependant qu’il était « bien sûr évident que la plus grande partie des décisions, comme les coups des joueurs d’échec, soit sont obtenues par un effort authentique de se conformer aux règles en les considérant de manière consciente comme des critères destinés à orienter leurs décisions, soit, si elles sont obtenues intuitivement, sont justifiées à l’aide de règles que le juge était précédemment disposé à observer et dont on reconnaîtrait généralement l’applicabilité à l’espèce soumise »53.
C. Les émotions et la prise de décision
24Selon Antonio Damasio, spécialiste des neurosciences, l’émotion joue un rôle fondamental dans l’intuition54. Cette circonstance ne devrait-elle pas suffire à jeter le discrédit sur le réflexe intuitif des magistrats ? Telle serait sans doute la conclusion logique résultant de notre façon de voir traditionnelle, que le neurobiologiste impute à Platon, Descartes et Kant, selon laquelle un raisonnement rationnel exige de mettre de côté ses émotions. Celles-ci sont, en effet, généralement perçues « comme une faculté mentale surnuméraire, un à-côté de la pensée rationnelle, voulu par la nature mais non par le sujet pensant »55. Un raisonnement pur devrait, pour amener à une prise de décision optimale, envisager tous les scénarios selon une analyse de rapport « coût/bénéfice » en prenant en compte les gains et pertes futurs. Selon le professeur d’origine portugaise, cependant, une telle façon de raisonner caractérise davantage des personnes atteintes de lésions préfrontales que des personnes normales56. Ses nombreuses recherches en la matière lui ont, au contraire, permis de conclure que, particulièrement dans les domaines où règne l’incertitude, « la capacité d’exprimer et de ressentir des émotions est indispensable à la mise en œuvre des comportements rationnels » et que son absence peut « handicaper la mise en œuvre de cette raison qui nous caractérise tout particulièrement en tant qu’êtres humains et nous permet de prendre des décisions en accord avec nos projets personnels, les conventions sociales et les principes moraux »57.
25Eu égard à la place centrale qu’occupe la prise de décision dans la fonction de juger, il est nécessaire, pour bien saisir la portée de ces affirmations de nature copernicienne, de prendre le temps pour comprendre les recherches qui les fondent. À partir de cas historiques et d’études faites en laboratoire, Damasio a constaté que la lésion de la région ventro-médiane du cortex préfrontal était « systématiquement accompagnée de déficits dans la faculté de raisonnement et de prise de décision, ainsi que dans la capacité d’exprimer et ressentir des émotions »58. Il évoque ainsi le cas célèbre de Phinéas Gage qui travaillait dans la construction de chemins de fer dans l’Ouest américain. En 1848, un accident d’explosif projette une barre en métal à travers sa boîte crânienne. Sa survie miraculeuse, qui laisse indemne ses capacités langagières et intellectuelles fondamentales, entraîne cependant un changement radical de personnalité : il se révèle aussi incapable de ressentir des émotions que de programmer ses actions dans l’avenir, de respecter les conventions sociales et de faire des choix de vie judicieux. On peut également mentionner le cas d’Elliot qui, suite à une lésion similaire, avait conservé ses capacités perceptives, sa mémoire à court et long terme ainsi que ses aptitudes à apprendre, à parler et à faire des calculs mais présentait un détachement émotionnel contrastant avec la gravité de ce qui lui arrivait. S’il était encore capable d’imaginer toutes sortes de solutions à des situations sociales et d’envisager les conséquences de certaines actions lors de tests en laboratoires, il s’avérait particulièrement maladroit dans sa façon de prendre des décisions dans des situations rencontrées dans la vie réelle en raison de leur « caractère continuellement évolutif et imprédictible »59.
26Damasio insiste sur l’interaction très forte qui existe entre le cerveau et le corps : ils forment une « unité organique indissociable » dès lors que tant le système nerveux que la circulation sanguine permettent d’envoyer des messages dans les deux sens60. L’organisme est également en interaction étroite avec l’environnement, leurs relations étant médiées par les mouvements du corps et les appareils sensoriels. Les informations provenant de l’extérieur, qui nous arrivent sous forme d’images61, sont organisées en tant que concepts et classées dans des catégories sous la forme de « représentations potentielles », à l’état inactif, dans certaines régions cérébrales. Ces représentations potentielles « contiennent la totalité des informations dont nous avons été dotés à la naissance et des informations que nous avons acquises au cours de la vie » et leur activation par le cerveau permet tant la régulation biologique que la formulation de stratégies de raisonnement et de prise de décision62.
27Quel est le rôle des émotions dans ce système extrêmement complexe ? La survie d’un organisme dépend de mécanismes biologiques qui ont vocation à maintenir l’intégrité des cellules et des tissus : nos réflexes, pulsions et instincts sont sous-tendus par des circuits neuraux qui, suite à des émotions primaires comme la peur, déterminent des comportements de lutte ou de fuite, ou tout autre comportement qui contribue à la survie au sens large. Ces circuits sont « précâblés » de sorte que tout ce qu’on a à faire est d’ajuster leur fonctionnement à notre environnement. Essentiels à la régulation biologique, ces mécanismes, qui s’identifient aux émotions primaires, permettent aussi à l’organisme de classer les événements en « bons » ou « mauvais » selon leur impact possible sur la survie. Sous l’influence de ces circuits innés et des expériences vécues, « le répertoire des phénomènes catalogués comme bons ou mauvais croît rapidement, et l’aptitude à détecter de nouveaux phénomènes bons ou mauvais croît exponentiellement », par un « système de renommée gagnée par contagion » ou de « culpabilité établie par association »63.
28Les émotions primaires sont donc, en quelque sorte, préprogrammées et remplissent des fonctions très utiles pour la survie. Le stade suivant est celui de la « perception de l’émotion » en rapport avec le phénomène qui l’a déclenché, à savoir la prise de conscience qu’il existe un rapport entre un phénomène donné et un état du corps marqué par une certaine émotion, ce qui permet d’élargir les processus de défense. La peur d’un certain type de prédateur aide à mettre en place des stratégies de généralisation (par rapport à ce qui lui ressemble) ou de particularisation (en mettant en évidence ce qui le rend vulnérable). La conscience des émotions rend donc possible une réponse modulable en fonction de l’histoire individuelle de l’interaction de chacun avec son environnement. La joie, la tristesse, la colère, la peur ou le dégoût relèvent des émotions primaires. Les émotions secondaires sont des variations des émotions primaires, qui peuvent connaître une grande gamme d’intensités et de nuances : la mélancolie et le désenchantement sont des variations de la tristesse, la timidité et la panique des variations de la peur, etc. Alors que l’émotion est constituée par des changements dans l’état du corps en rapport avec des images mentales particulières ayant activé un système neural spécifique, le fait de ressentir des émotions est constitué par l’expérience vécue de ces changements, combinée aux images mentales qui ont initié ce processus64.
29Dès lors que les processus de régulation biologique (qui impliquent notamment les émotions) prennent place dans des régions du cerveau assez anciennes et que les mécanismes de prise de décision opèrent dans le néo-cortex, région plus récente du cerveau, il a traditionnellement été considéré qu’il fallait opposer les émotions d’un côté et la raison et la volonté de l’autre. Selon Damasio, cependant, la capacité d’expression et de perception des émotions « fournit un pont entre les processus rationnels et non rationnels » et remplit « un rôle crucial dans la mise en œuvre de la faculté de raisonnement »65. Il est, en effet, acquis que toute personne qui doit prendre une décision doit avoir une certaine mémoire de travail et une capacité d’attention qu’il doit pouvoir appliquer à une vaste gamme de scénarios construits à partir de ses connaissances relatives aux faits qui lui sont soumis. Ces deux mécanismes doivent toutefois, estime-t-il, être complétés par la capacité de ressentir et exprimer des émotions66.
30La thèse du neurobiologiste consiste à soutenir que, ce qui nous permet de décider entre un infini de possibles, ce sont des « marqueurs somatiques », à savoir « un cas particulier de la perception des émotions secondaires, dans le cadre duquel ces dernières ont été reliées, par apprentissage, aux conséquences prévisibles de certains scénarios »67. Ces marqueurs somatiques offrent un système d’appréciation automatique des conséquences prévisibles d’un phénomène en offrant une visualisation fugitive de la conséquence néfaste d’une option. Une sensation déplaisante au niveau du ventre fonctionne comme un signal d’alarme qui permet de rejeter immédiatement une action donnée et réduit le nombre d’options envisageables68. À chaque nouvelle expérience, qu’elle soit positive ou négative, ce système « s’enrichit d’une représentation potentielle correspondant à cette association arbitraire, non héritée et instaurée par l’expérience » qui, en cas de réexposition au phénomène ou même simplement de son évocation, réinstaurera l’état du corps déplaisant (ou plaisant) qui servira de rappel automatique de ses conséquences prévisibles69. Le système des marqueurs somatiques, « qui expriment, à tout moment, l’ensemble des objectifs préférés, assignés par l’hérédité aussi bien que par l’apprentissage », fournit également les critères qui permettront de hiérarchiser, dans une situation particulière, les options envisageables. Si ce système « s’est développé dans le cadre d’un cerveau normal et d’une culture saine, il a été conduit à desservir une rationalité conforme aux conventions sociales et aux règles éthiques en vigueur »70. Dans un sens comparable, R Hogarth rappelle l’importance de « l’effet de simple exposition » (« mere exposure effect ») découvert dans les années’60 et qui démontre que l’apprentissage des règles culturelles et des valeurs d’une société se fait largement par un processus inconscient d’exposition à celles-ci pendant une certaine période. Selon ce principe, on apprend à aimer ou à développer une relation positive aux stimuli rencontrés fréquemment dans son environnement à condition qu’ils ne soient pas ressentis de façon négative71.
31Damasio suggère que le mécanisme par lequel les marqueurs somatiques opèrent à l’insu de la conscience est « à la source de ce que nous appelons l’intuition, ce mystérieux moyen par lequel nous arrivons à la solution d’un problème sans le soumettre au raisonnement »72. L’inhibition de la tendance à agir ou l’augmentation de l’incitation à agir augmentera les chances d’éviter une décision négative ou d’adopter une décision positive. S’il limite son analyse, en raison des données étudiées, aux domaines personnel et social, le scientifique estime toutefois « plausible qu’un système ayant pour fonction de produire des marqueurs ayant à prendre des décisions dans les domaines "personnel" et "social" ait été coopté pour assister d’"autres" processus de prise de décision »73. Il en va d’autant plus ainsi que le processus de la faculté de raisonnement se poursuit en recourant aux instruments de la logique par la vérification de l’adéquation des choix sélectionnés par les marqueurs somatiques et l’application de stratégies d’induction et de déduction dans le cadre de propositions verbales explicites74. Selon lui, la qualité de notre intuition dépend donc « de la façon dont nous avons raisonné par le passé, dont nous avons classé les événements de notre expérience passée en relation avec les émotions qui les ont précédés ou suivis, et dont nous avons réfléchi à l'échec et au succès de nos intuitions passées ». Rejoignant les analyses précitées, il conclut que l’intuition, « c'est tout simplement de la cognition rapide, les connaissances requises étant en partie cachées sous le tapis, grâce à de l'émotion et beaucoup de pratique »75.
32Ces recherches tendent à démontrer que l’intuition serait étroitement associée à la capacité de ressentir et exprimer des émotions, telle qu’elle opère inconsciemment par le biais des marqueurs somatiques. En d’autres termes, les émotions sont non seulement susceptibles d’apporter des informations précieuses76 mais pourraient même constituer une véritable condition de possibilité de la prise de décision dans le domaine personnel et social et le neurobiologiste suggère qu’il pourrait en aller de même dans le domaine professionnel.
33L’hypothèse des marqueurs somatiques semble, en effet, refléter cette expérience vécue par de nombreux magistrats qu’une solution apparemment logique ou présentée avec brio par un avocat chevronné ne correspond pas à ce qu’ils ressentent « dans leurs tripes », ce que vérifiera souvent une étude approfondie du droit positif. Avant même la prise en délibéré, la capacité de ressentir des émotions peut s’avérer extrêmement importante lorsqu’il s’agit de détecter les signaux émotionnels des parties ou des témoins, afin de jauger l’authenticité de leurs déclarations77. En aval de la décision, ces marqueurs somatiques peuvent jouer un rôle important pour évaluer les conséquences individuelles et sociales d’une décision et, le cas échéant, l’opportunité qu’il y a à ordonner telle ou telle mesure78. À nouveau, il ne faut pas tomber dans l’autre extrême et idéaliser le rôle des émotions dans la prise de décision. Il va de soi que les émotions purement subjectives vont souvent, comme le craignait Beccaria et comme l’ont relevé les réalistes américains, jouer un rôle perturbateur dans la faculté de raisonnement79. Il s’agit simplement d’accepter, en rupture radicale avec notre culture juridique positiviste et cartésienne, que les émotions issues de l’expérience contiennent des informations qu’il est non seulement impossible mais également contre-productif d’ignorer.
3. En guise de dessert : quelques réflexions
34Les craintes des réalistes à l’égard de l’intuition et des émotions des juges trouvent un appui solide dans la littérature scientifique mais elles font l’impasse sur l’effet positif de ces phénomènes sur la fonction de juger (A.). Il existe par ailleurs un certain nombre de garanties qui permettent de limiter les dérives cognitives ou émotionnelles des magistrats (B.).
A. Des craintes justifiées mais en partie illégitimes
35Aux termes de ce petit détour par la psychologie et la neurobiologie, il est possible d’affirmer que les magistrats ont, certes, recours à l’intuition mais que rien ne démontre qu’ils y auraient davantage recours que les autres professionnels. De même, il est raisonnable de considérer que les juges sont inévitablement soumis aux réactions que leur imposent leurs marqueurs somatiques et qui sont le résultat de facteurs non seulement biologiques mais également de leur histoire personnelle80.
36Est-ce une bonne ou une mauvaise chose ? Au vu des biais cognitifs décrits ci-avant, il est vrai qu’il y a des raisons de s’inquiéter : l’effet de halo bénéficiera à la partie dont l’avocat jouit d’un certain prestige alors qu’il desservira le prévenu à la mine patibulaire. En cas de défaut, le juge risque d’être influencé par l’effet WYSIATI, qui pousse le système 1 à adhérer à la version qui lui est présentée plutôt qu’à essayer d’imaginer la version alternative qui aurait pu, avec la même crédibilité, lui être soumise. Enfin, l’effet d’ancrage est susceptible de jouer pleinement, en matière pénale (détermination de la peine) comme en matière civile (évaluation ex æquo et bono d’un dommage). Le caractère récurrent de certains dossiers faciles est également de nature à empêcher l’intervention du système 2, les décisions étant prises de façon quasi-automatique81.
37Il serait toutefois injuste de clore de la sorte le procès de l’intuition. On l’a vu, elle peut également, lorsqu’elle fonctionne bien, se prévaloir de vertus précieuses : dans un contexte où la charge de travail est conséquente et où le temps fait défaut, l’intuition permet un gain de temps considérable en dirigeant bien souvent le magistrat expérimenté dans la bonne direction ou en lui évitant de tomber dans les pièges tendus par certains plaideurs rusés82. Hart avait raison de considérer que le fait que le juge arrive à la solution de façon instinctive ne signifie pas qu’il la trouve de façon arbitraire mais, bien souvent, qu’il a intégré les règles dans une telle mesure qu’il les applique de façon pratiquement inconsciente. Dans la même veine, S. Fish estime qu’il n’est pas nécessaire de s’inquiéter de l’efficacité des contraintes extérieures afin de limiter la subjectivité du juge dès lors qu’il a déjà internalisé les hypothèses et catégories de la pratique juridique. Par conséquent, poursuit-il, le magistrat ne peut faire autrement que percevoir les textes et situations juridiques avec les yeux du praticien informé, situé, et les significations qui lui sont disponibles ont été présélectionnées par sa formation professionnelle. Être un juge, écrit Fish, c’est être devenu une extension du « savoir-faire » (know-how) qui donne aux règles leur signification83. L’approche du juge est, en effet, largement orientée par l’ensemble des « systèmes de signification » de son système juridique84, qui incluent tant le droit positif en vigueur que l’ensemble des idées, valeurs ou croyances qui constituent une tradition ou une culture juridique.
38Cette dernière suggestion rejoint la thèse de Damasio. Selon ce dernier, le système des marqueurs somatiques s’enrichit, à chaque nouvelle expérience, d’une représentation potentielle correspondant à l’association entre un phénomène et la réaction émotionnelle, plaisante ou déplaisante, qu’il provoque, permettant le rappel automatique de cette réaction en cas de réexposition à un phénomène identique ou similaire et que ce système est adapté par l’éducation aux normes de la rationalité admises dans une culture donnée. On rappellera par ailleurs l’effet de « simple exposition » selon lequel l’apprentissage des valeurs d’une société se fait largement par un processus inconscient d’exposition pendant une certaine période. Transposées au droit, ces analyses suggèrent que les expériences répétées des magistrats85, combinées avec l’orientation imprimée par les valeurs de notre culture juridique, développent des marqueurs somatiques particuliers qui sont de nature à faire sentir au juge expérimenté qu’un cas rentre, contrairement aux apparences, dans une généralité déjà rencontrée ou que, précisément, il s’en démarque à tel point que lui appliquer la solution retenue pour des dossiers qui ne lui ressemblent que superficiellement aurait pour conséquence d’aboutir à un résultat injuste. L’hypothèse mériterait d’être creusée, mais n’est-ce pas là en définitive qu’on trouve la racine de l’équité ? Celle-ci y trouverait assurément un facteur fort de légitimation par son lien étroit avec la culture juridique ambiante.
B. Des garanties
39La première garantie pour le justiciable est constituée par l’ordre juridique. Le corpus normatif encadre l’action du juge et oriente sa décision, peut-être moins que ce qu’aurait souhaité Beccaria mais certainement plus que ne l’admettent les théories réalistes. Comme le résument à juste titre F. Ost et M. van de Kerchove, si le processus juridictionnel est indissociable d’une certaine discrétion, cela ne signifie pas pour autant qu’il doit être taxé d’arbitraire, la fonction de juger se présentant plutôt dans une « tension dialectique » entre « contrainte et liberté, subordination et autonomie »86.
40Le rôle de l’intuition et des émotions dans la fonction de juger, outre qu’il est inévitable, ne doit pas être diabolisé mais l’aspect négatif de leur influence doit être contrebalancé par un travail systématique de remise en cause et de vérification dans le chef du magistrat87. Telle est la fonction du doute qui est la garantie d’une certaine objectivité dans les décisions de justice88. Comme l’écrit le dédicataire de ces lignes, le doute est, pour le juriste « à la fois une culture, un devoir et une méthode » même si, à la différence du doute des sceptiques, il doit nécessairement déboucher sur une décision, comme le lui impose l’article 4 du Code civil. Et de conclure : « Il est significatif cependant que la décision qui sortira de ce doute est seulement tenue pour vraie (res iudicata pro veritate habetur), comme si, de façon parfaitement lucide, personne ne prétendait avoir définitivement conjuré l’hésitation »89.
41Heureusement, le système juridique est conçu pour limiter l’effet des biais cognitifs des émotions purement subjectives de façon à susciter ce doute. Sur le plan procédural, on peut évoquer au moins quatre garanties essentielles qui ont vocation, toutes branches du droit confondues, à déclencher le système 2 des magistrats : le principe du contradictoire, la collégialité, le délai du délibéré et l’obligation de motivation des décisions90.
42Le principe du contradictoire a vocation à empêcher l’effet WYSIATI, comme le montre l’étude dans laquelle le doute était plus important dans le chef des participants qui avaient entendu les arguments des deux parties que dans celui de ceux qui n’avaient pris connaissance que d’un argumentaire. Tout magistrat mais également toute personne ayant assisté, comme tiers, à une audience a fait cette expérience : l’exposé brillant du conseil du demandeur emporte la conviction jusqu’à ce que, surprise toujours réitérée, la plaidoirie de l’autre partie la renverse ou, à tout le moins, instille le doute. C’est donc une vigilance toute particulière que devraient susciter les procédures unilatérales et les procédures par défaut. On rappellera à cet égard qu’alors que la jurisprudence incitait à déclencher cette méfiance, en imposant au juge de soulever tous les moyens qu’aurait pu invoquer la partie défaillante91, le législateur l’a récemment relevé de cette obligation en lui imposant de faire droit à la demande sauf violation de l’ordre public92.
43En ce qui concerne le principe de collégialité, il est important de souligner que la confrontation d’un sentiment d’audience ou la soumission d’un projet au point de vue d’autres magistrats professionnels est une des meilleures garanties contre la « mauvaise » intuition ou l’émotion purement subjective. Il est par conséquent essentiel de conserver ce caractère collégial aux juridictions93, à tout le moins aux plus hautes instances94.
44Selon R. M. Hogarth, spécialiste de la psychologie du jugement et de la prise de décision, une des façons d’éviter les dérives de l’intuition est d’imposer des « circuit breakers », qui interrompent le lien entre une réaction impulsive et une action fondée sur cette réaction95. Le délai du délibéré, soit un mois à partir de la clôture des débats96, est donc déterminant pour permettre au magistrat de prendre du recul par rapport à son impression d’audience, pour échapper, le cas échéant, à l’effet de halo et pour donner une chance à son système 2 de contrer une intuition qui pourrait être malheureuse. On conçoit dès lors le risque d’une décision prise « sur les bancs », dans l’urgence du référé d’hôtel ou, dans les cas d’absolue nécessité, sur requête unilatérale97.
45Enfin, l’obligation de motivation des décisions est déterminante dans la mesure où elle contraint le juge à mettre son intuition à l’épreuve des pièces du dossier et des normes applicables. Il n’est pas rare pour un magistrat de se rendre compte que la décision qui lui est instinctivement venue à l’esprit ne peut être motivée de façon convaincante sur papier98. L’article 149 de la Constitution, même s’il n’impose qu’une obligation formelle, a au moins le mérite de forcer le juge à prendre la plume. Si celle-ci lui tombe des mains lorsqu’il essaie de rédiger, cela constituera un signal fort de la nécessité de revoir son délibéré. La portée de cette obligation est, en outre, heureusement complétée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme, malgré quelques regrettables retours en arrière99. Certains auteurs insistent à juste titre sur la distinction, empruntée à l’épistémologie des sciences, entre découverte et justification. L’éventuelle subjectivité, voire l’irrationalité qui peut sembler présider à la découverte par le scientifique ou l’inventeur est compensée par l’objectivité de la justification subséquente, qui est soumise à la communauté des chercheurs. Quelle que soit la façon dont le juge parvient à sa décision, il sera tenu de la motiver rationnellement selon les critères acceptés par la communauté des juristes100. Comme l’écrit Perelman, dès lors qu’il est inévitable que les jugements soient « fonction de jugements de valeur », il est normal que le juge, « détenteur d’un pouvoir, dans un régime démocratique », doive « rendre compte de la manière dont il en use par la motivation »101. De la sorte, le contrôle de la motivation ne doit plus être réservé aux juridictions supérieures mais à un groupe élargi de destinataires, auditoire particulier dont l’idéal est constitué par l’auditoire universel102.
Pousse-café
46Au terme de cette escapade dans les méandres de l’esprit humain, force est de constater que les réalistes n’avaient pas tort sur toute la ligne : l’intuition et les émotions jouent certainement un rôle dans la fonction de juger et, pas plus que les autres, les magistrats ne sont immunisés contre les biais cognitifs et la subjectivité susceptibles d’affecter leur raisonnement. Ce que les théories réalistes n’ont pas toujours bien perçu mais que permettent d’établir des études fiables dans les domaines de la psychologie et de la neurobiologie, c’est que l’intuition et les émotions ne sont pas nécessairement synonymes d’arbitraire mais peuvent constituer de formidables outils au service du juge.
47Il est donc indispensable que le magistrat, conscient des risques que son esprit encourt, se prémunisse de ces biais par un processus continuellement renouvelé de vérification. Si Descartes a sans doute commis une erreur en isolant la raison du corps et des émotions, il a eu raison de mobiliser le doute comme procédure d’objectivation. Notre ordre juridique contient plusieurs garanties, dont certaines ont récemment été mises à mal par le législateur, qui doivent amener le juge à faire preuve de vigilance à l’égard de son système 1.
48Une question demeure : qu’est-ce qui va amener le magistrat à s’imposer cet effort contraignant qui pourrait, dans certains cas, le contraindre à s’écarter de son sentiment premier quant à la solution qu’il convient d’apporter à un litige ? Il s’agit de l’éthique du juge103. Quels en sont les aspects essentiels ? Antoine Vauchez évoque une « intelligence de la situation d’espèce » mais aussi une « interaction avec les parties aussi ajustée que possible à leurs caractéristiques sociales, professionnelles et humaines ; une prise en compte du contexte local et national ; une souplesse dans l’usage des catégories juridiques et des procédures qui conduit à ne pas juger seulement en fonction des règles écrites mais à évaluer la situation en termes d’équité »104. François Ost approuve pour sa part le souci d’une « culture juridique renouvelée, centrée sur une déontologie à repenser » dont les aspects essentiels seraient les « notions de confiance, d’auto-limitation, de collaboration loyale, d’humanité, de transparence, de communication »105.
49Vœu pieux ? Notre conviction profonde est que la plupart des magistrats partagent, dans des mesures et avec des nuances certes diverses, cet impératif éthique. Nul doute cependant que cela ne suffira pas à convaincre les sceptiques ni ceux qui sont prompts à brandir l’épouvantail du gouvernement des juges. Ils auront cependant du mal à démontrer que, dans un État de droit, les juges ne partagent pas la conviction qu’il convient de faire preuve de loyauté envers leur ordre juridique ou, à tout le moins, que cette exigence n’est pas, globalement, respectée. On ne peut exclure que les raisons pour lesquelles certains juges respectent le système en place ne sont pas d’ordre éthique mais relèvent d’un souci d’effectivité, d’une volonté de conserver leurs prérogatives, voire même ressortent de l’habitude. Cependant, même le plus paresseux des juges sait que ce qui fait la force du pouvoir juridictionnel, ce n’est pas seulement son indépendance mais également sa crédibilité, qui dépend de la confiance qu’il inspire. Dans son discours prononcé à l’audience solennelle 2006 de la rentrée de la Cour de cassation française, son premier président rappelait cette évidence : « C’est évidemment l’ordre éthique qui est primordial. Il requiert du juge l’impartialité, la neutralité, la sensibilité sans lesquelles l’acte de juger perd tout à la fois sa valeur, son crédit et son autorité »106.
Notes de bas de page
1 Le formalisme peut être défini comme la théorie de l’adjudication selon laquelle il n’est pas nécessaire de recourir à des raisons non juridiques pour justifier une décision judiciaire, le droit étant déterminé de façon parfaitement rationnelle et la fonction de juger s’exerçant de façon mécanique (Leiter (B.), « Positivism, formalism, realism », Columbia Law Review, 1999, p. 1145-1146).
2 Gutrie (C.), Wistrich (A.) et Rachlinski (J.), « Blinking on the Bench : How Judges Decide Cases », Cornell Law Review, 2007-2008, p. 2.
3 Montesquieu, L’esprit des lois, Paris, Flammarion, 2008, Livre XI, ch. VI, p. 244-256. La source de ce modèle remonte à l’impact sur le droit de la révolution scientifique, intervenue au XVIIe siècle avec des penseurs comme Galilée, Descartes et Newton et qui inaugure un culte inégalé de la Raison. À la suite de Grotius, Leibniz défendra une conception cartésienne du droit, postulant qu’il est possible de définir a priori toutes les règles d’un ordre juridique et de déterminer à l’avance leur application (voy. Van Meerbeeck (J.), De la certitude à la confiance. Le principe de sécurité juridique dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, Bruxelles, Anthemis/Publ. de l’Université Saint-Louis – Bruxelles, 2014, p. 225-250).
4 Beccaria (C.), Des délits et des peines (sans mention du traducteur), Paris, Éditions Guillaumin, 1870, p. 21.
5 Timsit (G.), Les noms de la loi, Paris, P.U.F., 1991, p. 14-15.
6 Voy. notamment Radin (M.), «The Theory of Judicial Decision: or How Judges Think», American Bar Association Journal, vol. 11 (1925), p. 357
7 Il est difficile d’identifier une telle phrase dans les écrits des réalistes les plus célèbres et son origine pourrait provenir de Dworkin : « They said there is no such thing as law, or that law is only a matter of what the judge had for breakfast » (Law’s Empire, London, Fontana press, 1986, p. 36). Selon L. Assier-Andrieu, « pour entrevoir ce que sera la décision, il peut être parfois plus sûr de se demander ce que le juge a mangé au déjeuner, et si sa digestion altère son humeur, que de se plonger dans les lois et dans les précédents » (« Le juge, la loi et le citoyen », in La qualité des décisions de justice, s.l., Édition du Conseil de l’Europe, s.d., p. 13).
8 Beccaria (C.), op. cit., p. 22. Il en tirait, on l’a vu, des conclusions bien différentes.
9 Notamment par François Ost : voy. notamment « Retour sur l’interprétation », in Ost (F.), Dire le droit, faire justice, Bruxelles, Bruylant, 2007, p. 80-83.
10 Mais en recourant à des disciplines, comme la psychologie et la neurobiologie, qu’il a moins explorées.
11 Hutcheson (J.), « The Judgment Intuitive : the Function of the "Hunch" in Judicial Decision », Cornell Law. Quarterly, 1929, p. 274-288 ; spéc. p. 285 : « the judge really decides by feeling, and not by judgment ; by "hunching" and not by raciocination ».
12 Ibidem, p. 277-278: «I, after canvassing all the available material at my command, and duly cogitating upon it, give my imagination play, and brooding over the cause, wait for the feeling, the hunch – that intuitive flash of understanding which makes the jump-spark connection between question and decision, and at the point where the path is darkest for the judicial feet, sheds its light along the way».
13 Ibidem, p. 287: «For while the judge may be, he cannot appear to be, arbitrary. He must at least appear reasonable, and unless he can find a category which will at least "semblably" support his view, he will feel uncomfortable».
14 Holmes Jr. (O. W.), Common Law, London, MacMillan, 1882, p. 1.
15 Holmes Jr. (O. W.), « The Path of the Law », Harvard Law Review, 1897, p. 461.
16 SCOTUS, Lochner v. New York, 198 U.S. 45 (1905), 76 : « general propositions do not decide concrete cases. The decision will depend on a judgment or intuition more subtle than any articulate major premise ».
17 Holmes Jr. (O. W.), « The Path of the Law », op. cit., p. 466. Derrière la forme logique d’une décision se trouve toujours un jugement de valeur, certes le plus souvent inconscient (Idem).
18 Qu’il qualifie de description approximativement correcte de la façon dont les juges pensent (Frank (J.), Law and the Modern Mind, New Brunswick, Transaction Publishers, 2009, p. 112).
19 Ibidem, p. 72 et 108-109.
20 Ibidem, p. 32, 113-114 et 123-156.
21 Voy. notamment Cardozo (B. N.), The Paradoxes of Legal Science, The Lawbook Exchange, Ltd., 2000, p. 59 : « learning is indeed necessary, but learning is the springboard by which imagination leaps to truth. The law has its piercing intuitions, its tense, apocalyptic moments ».
22 Notamment avec le succès de The Bramble Bush de K. Llewellyn (New York, O.U.P., 2008, p. 50 : « Onto the green, with luck, your science takes you. But when it comes to putting you will work by art and hunch »).
23 Lejeune (A.), « Les professionnels du droit comme acteurs du politique : revue critique de la littérature nord-américaine et enjeux pour une importation en Europe continentale », Sociologie du Travail, 2011, p. 220-221.
24 Munro (A.), Bounded Rationality and Public Policy. A Perspective from Behavioural Economics, s.l., I. J. Bateman (éd.) Springer, 2009, p. 1.
25 Simon (H.), « Introductory Comment », in Economics, Bounded Rationality and the Cognitive Revolution, sous la direction de Simon (H.), Egidi (M.), Marris (R.), Viale (R.), s.l., Edward Elgar Publishing Ltd, 1995, p. 3-4. D’autres contraintes affectant la rationalité humaine en général ont été mises en évidence dans les domaines de l’économie, de la politique et de la biologie mais peuvent être transposées à la fonction de juger. Sans pouvoir les développer, on évoquera ainsi le phénomène de task interference, qui amène une juridiction à donner la priorité aux cas les plus importants, les plus intéressants ou les plus sensibles, le phénomène de path dependence qui vise la dépendance d’une décision au parcours historique qui l’a précédé et pointe l’inévitable contingence d’une évolution jurisprudentielle ou encore les théories incrémentalistes, selon lesquelles le preneur de décision se contente de comparer les alternatives qui sont des variations marginales du point de départ et qui dérivent de son expérience historique et contemporaine plutôt que d’envisager toutes les alternatives rationnelles. Pour un résumé de ces théories, voy. Van Meerbeeck (J.), op. cit., p. 399, 406 et 424-426. Il faudrait, enfin, mentionner les enseignements de la psychanalyse quant aux enjeux de l’inconscient (il est manifeste que Jerôme Frank, qui conçoit le besoin de sécurité juridique comme un désir enfantin et inconscient de sécurité, a été influencé par la théorie freudienne).
26 Damasio (A.), L’erreur de Descartes. La raison des émotions, trad. M. Blanc, Paris, Odile Jacob, 2010, p. IV. Pour un relevé des autres définitions de l’intuition, voy. Dane (E.), Pratt (M. G.), « Exploring intuition and its role in managerial decision making », The Academy of Management Review, vol. 32, no 1 (2007), p. 35. Ces auteurs insistent sur la distinction entre le processus intuitif et son résultat, le jugement intuitif (Ibidem, p. 34).
27 Kahneman (D.), Thinking, Fast and Slow, s.l., Penguin Books, 2012. L’ouvrage a été traduit en français : Système 1, système 2 : les deux vitesses de la pensée, Paris, Flammarion, 2012. Cette distinction entre deux processus cognitifs est largement acceptée par les études de psychologie consacrées au jugement et à la prise de décision (voy. les nombreuses références citées dans Gutrie (C.), Wistrich (A.), Rachlinski (J.), op. cit., p. 7-8 ; Dane (E.), Pratt (M. G.), op. cit., p. 35-36). Il est intéressant de constater qu’elle semble correspondre à la distinction entre les deux modèles d’adjudication mentionnés dans l’introduction.
28 Kahneman (D.), op. cit., p. 24 et s.
29 Ibidem, p. 19-30.
30 Danziger (S.), Levav (J.), Avnaim-Pesso (L.), « Extraneous factors in judicial decisions », Proceedings of the National Academy of Sciences, vol. 108, no 17 (2011), p. 6889-6892.
31 Kahneman (D.), op. cit., p. 44. Il est, évidemment, difficile d’identifier une décision qui aurait effectivement été influencée par le repas du juge. On ne résistera cependant pas au plaisir de citer cet extrait des conclusions de l’avocat général (italien) Mancini, dont les préférences alimentaires semblent avoir influencé sa conviction (qui ne sera pas suivie par la Cour de justice) qu’une loi italienne interdisant l’emploi de farine de blé tendre dans la fabrication des pâtes alimentaires n’était pas contraire au droit de l’Union européenne. Estimant que personne ne contestait la nécessité « de préserver la qualité des pâtes et, partant, l’intérêt du consommateur », il rappelait « que seules les pâtes préparées avec du blé dur ne deviennent pas collantes à la cuisson et arrivent dans les assiettes comme les Italiens les préfèrent : "al dente" (et donc – comme le disait André Gide […] – "glissant des deux côtés de la fourchette") » (ses conclusions avant l’arrêt Glocken de la Cour de justice du 14 juillet 1988, C-407/85, Rec. 1988, p. 4253).
32 Kahneman (D.), op. cit., p. 50-55 (l’exemple relatif au mot est extrait de la traduction française).
33 Ibidem, p. 55-85.
34 Ibidem, p. 80-85.
35 Ibidem, p. 87. Il écrit encore : « Our comforting conviction that the world makes sense rests on a secure foundation : our almost unlimited ability to ignore our ignorance » (Ibidem, p. 203). Cela explique la tendance à relire l’histoire à l’aune de ce que nous savons en pensant qu’on l’a toujours su (ou prévu), ce qu’il appelle : « I-knew-it-all-along » effect (Ibidem, p. 202-203).
36 Ibidem, p. 124-125.
37 Ibidem, p. 135. Sans surprise, l’auteur se méfie de l’intuition, qui résulte de l’activité du système 1 et y oppose les succès des statistiques et des probabilités, notamment en ce qui concerne les prévisions des traders ou des cliniciens (Ibidem, p. 222 et s.).
38 Ibidem, p. 125-126.
39 On se souviendra de ce personnage de Rabelais qui décidait du sort des procès aux dés.
40 Gutrie (C.), Wistrich (A.), Rachlinski (J.), op. cit., p. 20. Ils évoquent une autre étude où le montant de l’« ancre », nettement inférieur au montant des dommages, avait eu l’effet inverse, à savoir amener les juges qui y étaient exposés à accorder un montant largement en dessous (moyenne de 882.000 $) de la moyenne des juges non exposés à l’ancre (1.249.000 $).
41 Ce n’est pas tout à fait exact : le recours à l’intuition peut en partie s’expliquer par le fait que, lors de ces tests, les juges disposent généralement de moins d’information que dans des cas réels, ce que les auteurs admettaient du reste dans une version antérieure de leur article.
42 Voy. ci-après, point B.
43 Gutrie (C.), Wistrich (A.), Rachlinski (J.), op. cit., p. 27-32.
44 Kahneman (D.), op. cit., p. 234 et s.
45 Simon (H. A.), « What is an "explanation" of behaviour ? », Psychological Science, vol. 3, no 3 (1992), p. 154 : « The situation has provided a cue ; this cue has given the expert access to information stored in his memory ; and the information provides the answer. Intuition is nothing more and nothing less than recognition ». Cette définition de l’intuition comme mode de reconnaissance d’une expérience passée avait déjà été pressentie par Einstein, qui aurait écrit que l’intuition n’était rien de plus que le produit d’une expérience intellectuelle antérieure (cité par Goldsmith (D.), Bartusiak (M.), Einstein : His Life, His Thought, and His Influence on Our Culture, s.l., Sterling Publishing Company, Inc., 2008, p. 159 : « intuition is nothing but the outcome of earlier intellectual experience »).
46 Kahneman (D.), Klein (G.), « Conditions for Intuitive Expertise : A Failure to Disagree », American Psychological Association, vol. 64, no 6 (2009), p. 515-526.
47 J. Foer relate les différentes études qui ont démontré que ces grands maîtres affichaient moins un quotient intellectuel hors du commun qu’une mémoire impressionnante et une expérience de plusieurs années leur permettant, en un coup d’oeil, d’identifier le meilleur coup à jouer dans une partie donnée en mobilisant, de façon inconsciente, les souvenirs de parties antérieures ayant affiché cette configuration (Moonwalking with Einstein : The Art and Science of Remembering Everything, s.l., Penguin Books, 2012, p. 63-66).
48 Gutrie (C.), Wistrich (A.), Rachlinski (J.), op. cit., p. 31-32. Afin d’induire davantage de délibération dans le chef des juges, les auteurs recommandent qu’il leur soit octroyé plus de temps pour prendre leur décision et qu’il leur soit imposé, dans tous les cas, de motiver par écrit leurs jugements. Ils suggèrent également de former les juges aux statistiques, de leur garantir un meilleur retour sur leur travail et de recourir à un système de script ou de checklist (Ibidem, p. 33-42).
49 Voy. Richards (D.), « Judicial Hunch as Short-Circuited Decision », UCL jurisprudence review, 2012, p. 10 : « Empirical research in judicial studies suggests that there is quite a difference in the way young judges come to a particular interpretation of the law, as opposed to the older judges » (et les réf. citées). De façon plus générale, Hogarth (R. M.), « Educating intuition : a challenge for the 21st century », Els Opuscles del CREI, 2003, p. 10.
50 Sur le principe de sécurité juridique, voy. Van Meerbeeck (J.), op. cit.
51 Il convient toutefois de relativiser l’idéal d’une corrélation continue entre l’expérience et l’amélioration de la capacité professionnelle. Plusieurs études démontrent que la qualité de la pratique ne s’améliore que de façon marginale par rapport aux années qui s’écoulent et qu’il existe un « effet de plateau » ne pouvant être dépassé que par un exercice délibéré visant à s’améliorer. Le secret, estime J. Foer, est d’essayer de rester en dehors du système 1 (Moonwalking with Einstein, op. cit., p. 169-173).
52 Hart (H. L. A.), Le concept de droit, trad. M. van de Kerckhove, 2e éd., Bruxelles, Publ. de l’USL-B, 2005, p. 158-160.
53 Ibidem, p. 160.
54 Damasio (A.), op. cit., p. IV.
55 Ibidem, p. 83.
56 Ibidem, p. 236-238.
57 Ibidem, p. 9.
58 Ibidem, p. 94. Cette association entre déficit dans le domaine du raisonnement et de la prise de décision et l’incapacité d’exprimer ou de ressentir des émotions peut se présenter également en lien avec d’autres troubles neuropsychologiques : en cas de lésion de l’hémisphère cérébral droit (et non le gauche), à savoir les aires assurant le traitement des infos en provenance du corps, mais aussi dans certaines structures du système limbique (comme l’amygdale) (Ibidem, p. 106).
59 Ibidem, p. 79.
60 Ibidem, p. 127-128. Pour Damasio, l’erreur de Descartes consiste à écrire « Je pense donc je suis » au lieu de « Je suis donc je pense » (Ibidem, p. 335).
61 À côté de ces images perceptives, notre cerveau contient également des images de rappel d’un passé réel ou d’un futur envisagé, tel le souvenir d’un projet. Toutes ces images doivent être « corrélées à celles qui, moment après moment, constituent la base neurale du moi », qui n’est pas un petit homoncule prenant les décisions dans le cerveau mais un « état neurobiologique perpétuellement recréé ». Cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas de « moi » : « il faut plutôt craindre l’idée d’une cognition qui se passerait du concept du moi » (Ibidem, p. 139-143).
62 Ibidem, p. 151.
63 Ibidem, p. 162-166. Selon l’auteur, les êtres humains sont des « organismes se trouvant à la naissance dotés de mécanismes automatiques de survie, et qui acquièrent par l’éducation et la culture un ensemble de stratégies supplémentaires, désirables et socialement acceptables, leur permettant de prendre des décisions ». À partir de cette double détermination, ces stratégies plus élevées conduisent à quelque chose « caractérisant probablement en propre les êtres humains : un point de vue moral qui, à l’occasion, peut transcender les intérêts du groupe social immédiat auquel appartient un individu, et même ceux de l’espèce » (Ibidem, p. 177). Pour comprendre l’adaptation des instincts aux nécessités sociales, il faut donc faire appel non seulement à la biologie générale et à la neurobiologie mais également aux méthodes des sciences sociales (Ibidem, p. 174).
64 Ibidem, p. 187 et 201-207.
65 Ibidem, p. 162 et 179-181.
66 Ibidem, p. 230.
67 Ibidem, p. 240.
68 Ibidem, p. 239-241.
69 Ibidem, p. 248.
70 Ibidem, p. 273-274.
71 Hogarth (R.), op. cit., 2003, p. 11.
72 Damasio (A.), op. cit., p. 258. D’autres études lient jugement intuitif et émotion : voy. les références citées par Dane (E.), Pratt (M. G.), op. cit., p. 38-39. Ces derniers définissent les intuitions comme suit : « affectively charged judgments that arise through rapid, nonconscious, and holistic associations » (Ibidem, p. 40).
73 Damasio (A.), op. cit., p. 261.
74 Ibidem, p. 275.
75 Ibidem, p. V. Descartes rangeait, pour sa part, l’intuition au côté de l’induction comme étant les deux « actes de notre intelligence au moyen desquels nous pouvons atteindre à la connaissance des choses sans aucune crainte d'erreur ». Il est vrai que sa définition de l’intuition ne laisse guère de place à l’émotion, à savoir « non la croyance au témoignage variable des sens ou les jugements trompeurs de l'imagination, mauvaise régulatrice, mais la conception d'un esprit sain et attentif, si facile et si distinct qu'aucun doute ne reste sur ce que nous comprenons ». Ainsi, chacun peut voir par intuition « qu'un triangle se termine par trois lignes » (Descartes (R.), « Règles pour la direction de l’esprit », in Descartes (R.), Œuvres choisies, Paris, Garnier Frères, 1865, p. 306).
76 Parmi les sept pistes qu’il suggère pour éduquer l’intuition, R. Hogarth recommande de tenir compte de l’information fournie par les émotions : « The key idea here is to recognize that in many situations our emotional systems are providing us with information that may contain wisdom we cannot articulate » (« Educating intuition : a challenge for the 21st century », op. cit., 2003, p. 25).
77 Dans le même sens, voy. Richards (D.), op. cit., p. 7. Il est vrai que cette capacité est surtout utile dans les procédures où les particuliers sont, comme en matière pénale ou familiale, entendus à l’audience mais elle peut également l’être, dans une moindre mesure, vis-à-vis des avocats.
78 Ibidem, p. 11. À en croire Damasio, cette capacité à se projeter dans le futur fait défaut chez les personnes qui, atteintes d’une lésion préfrontale, ne sont plus capables de ressentir des émotions secondaires.
79 Damasio le reconnaît bien volontiers (L’erreur de Descartes. La raison des émotions, op. cit., p. 9).
80 Il y aurait sans doute beaucoup à dire sur le fait que les postulats de complétude et de cohérence, qui se retrouvent dans tous les États de droit occidentaux (Weber (M.), Sociologie du droit, trad. J. Grosclaude, Paris, Quadrige, PUF, 2007, p. 42-43), sont également des caractéristiques du système 1…
81 Sur les autres facteurs tendant à limiter la rationalité, voy. ci-avant note 25.
82 F. Rigaux combat résolument l’idée selon laquelle l’intuition du juge pourrait suffire mais il reconnaît qu’elle peut avoir le mérite, sous forme de raison pratique, « d’orienter l’action et, dans le cas des praticiens du droit, de préparer et de conduire à leur terme les conseils qu’ils donnent ou les décisions qu’ils arrêtent » (La loi des juges, Paris, Éditions Odile Jacob, 1997, p. 66). A. Vauchez considère que le métier de juger est un art insaisissable, qui procède en grande partie de l’expérience du juge et de son intuition (« Les jauges du juge. La justice aux prises avec la construction de sa légitimité (réflexion post-Outreau) », in La qualité des décisions de justice, s.l., Édition du Conseil de l’Europe, s.d., p. 73). Certains psychologues affirment même que, dans certains cas, le recours à un raisonnement conscient et logique peut aboutir à des décisions moins adéquates que celles suggérées par l’intuition, en nous empêchant de percevoir l’évidence (voy. les références citées par Dane (E.), Pratt (M. G.), op. cit., p. 37-38).
83 Fish (S.), « Fish v. Fiss », Stanford Law Review, 1984, p. 1328-1345. Voy. également Richards (D.), op. cit., p. 1.
84 Nous reprenons cette expression à U. Eco (Les limites de l’interprétation, trad. M. Bouzaher, Paris, Grasset, 1992, p. 239).
85 Les cas qui leur sont soumis peuvent aboutir à la rédaction de plusieurs centaines de décisions par an.
86 Ost (F.), van de Kerchove (M.), De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit, Bruxelles, Publ. des F.U.S.L., 2002, p. 98.
87 Comme l’ont montré les développements précités relatifs aux recherches d’A. Damasio, ce processus de vérification n’est, du reste, pas propre aux magistrats (ci-avant, p. 401-409).
88 Le doute peut lui-même être déclenché par l’intuition, comme le relevait A. Kosinski, juge au sein d’une cour d’appel américaine : « We all view reality from our own peculiar perspective ; we all have biases, interests, leanings, instincts. These are important. Frequently, something will bother you about a case that you can't quite put into words, will cause you to doubt the apparently obvious result. It is important to follow those instincts, because they can lead to a crucial issue that turns out to make a difference » (« What I Ate for Breakfast and Other Mysteries of Judicial Decision Making », Loyola Los Angeles Law Review, 1993, p. 997-998). Il précisait toutefois : « But it is even more important to doubt your own leanings, to be skeptical of your instincts. […] If you, as a judge, find yourself too happy with the result in a case, stop and think. Is that result justified by the law, fairly and honestly applied to the facts ? Or is it merely a bit of self-indulgence ? » (Idem).
89 Ost (F.), À quoi sert le droit ?, Bruxelles, Bruylant, 2016, p. 465.
90 Il faudrait évidemment ajouter la garantie des voies de recours mais les plus sceptiques opposeront qu’un juge de niveau supérieur n’en est pas moins confronté aux mêmes biais cognitifs que ses collègues. On lui répliquera que les griefs dirigés contre une décision existante sont de nature à activer le système 2 et que les magistrats des hautes juridictions, d’une part, jouissent généralement d’une expérience plus importante et, d’autre part, qu’ils siègent le plus souvent en chambres collégiales (tel est le cas de nos différentes juridictions suprêmes mais également des juridictions européennes et internationales).
91 Selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation (not. Cass., 14 novembre 2006, Pasicrisie, I, p. 2333).
92 Voy. le nouvel article 806 du Code judiciaire. Voy. heureusement Cass., 13 décembre 2016, Revue de Jurisprudence de Liège, Mons et Bruxelles, 2017/6, p. 257 : « Pour l'application de l'article 806 du Code judiciaire, l'introduction d'une demande manifestement non fondée ou d'une défense manifestement non fondée est contraire à l'ordre public ».
93 Les réformes récentes du législateur belge ont, malheureusement, mis à mal ce principe, ce qui est désolant dès lors qu’elles répondent à un impératif purement budgétaire.
94 L’existence même de voies de recours est un incitant, pour le juge, à être particulièrement attentif à vérifier sa première impression.
95 Hogarth (R. M.), « Educating intuition : a challenge for the 21st century », Els Opuscles del CREI, 2003, p. 25.
96 Article 770 du Code judiciaire.
97 Cette procédure requiert d’autant plus de vigilance qu’elle cumule urgence et caractère non contradictoire.
98 Les motivations toutes faites, reprises systématiquement, n’offrent à cet égard que peu de garanties.
99 On pense ici à la « saga » Taxquet dans laquelle la grande chambre a réformé la décision de la 2ème section qui avait considéré que les jurys d’assises devaient motiver leurs décisions. Sur le sujet, voy. Van Meerbeeck (J.), « L’impact en droit belge de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en matière de motivation des décisions de justice », in La réforme de la Cour d’assises, sous la direction de Guillain (C.), Wustefeld (A.), Limal, Anthemis, 2011, p. 25-46.
100 Golding (M. P.), « Discovery and Justification in Science and Law », in Theory of legal science, sous la coordination de Peczenik (A.), Lindahl (L.), Van Roermund (B.), Dordrecht-Boston-Lancaster, Reidel Publishing Company, 1984, p. 297-304. Pour une critique de cette théorie appliquée au droit, voy. toutefois Brunet (P.), « Irrationalisme et anti-formalisme : sur quelques critiques du syllogisme normatif », Droits, no 39 (2004), p. 210-212. Les études du psychologue J. Haidt l’ont amené à conclure que les jugements esthétiques et moraux étaient presqu’exclusivement le résultat du système 1, leur justification étant presque toujours composée a posteriori. S’il fait une analogie avec les avocats qui ont un résultat à atteindre et travaillent ensuite à trouver les arguments pour le justifier, il les distingue explicitement des juges qu’il compare davantage à des scientifiques cherchant la vérité (« The Emotional Dog and its Rational Tail : A Social Intuitionist Approach to Moral Judgment », Psychological Review, 2001, p. 820-822).
101 Perelman (C.), « La motivation des décisions de justice. Essai de synthèse », in La motivation des décisions de justice, études publiées par Perelman (C.), Foriers (P.), Bruxelles, Bruylant, 1978, p. 422.
102 Perelman (C.), Éthique et droit, Bruxelles, Éditions de l’ULB, 1990, p. 134 et s.
103 Comme le relève F. Rigaux, le pouvoir d’appréciation du juge est la partie de sa mission qui « fait le plus appel à la sagesse, à l’humanité, bref à l’éthique du magistrat » (La loi des juges, op. cit., p. 66). Pour être complet et honnête, il faudrait également évoquer la collégialité ainsi que la crainte d’être réformé ou de faire l’objet d’un commentaire doctrinal assassin.
104 Vauchez (A.), op. cit., p. 74.
105 Ost (F.), « Le rôle du juge. Vers de nouvelles loyautés ? », in Ost (F.), Dire le droit, faire justice, op. cit., p. 129.
106 Canivet (G.), « Nous rendons la justice les mains tremblantes », Le Monde, 7 janvier 2006, p. 21.
Auteur
Juge délégué à la Cour d’appel de Bruxelles. Professeur invité à l’Université Saint-Louis – Bruxelles
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