Retour sur la Nature
Critique d’une idée classique du Droit naturel
p. 563-587
Texte intégral
1L’idée classique1 d’un droit naturel fait retour ; en force. La contestation positiviste — fût-elle kelsenienne — aura au moins échoué sur un point : les tenants du naturalisme dans ses divers états ne se sont décidément pas découragés. Bien au contraire. Les approches favorables se multiplient, la réflexion historique s’amplifie et se précise, la philosophie même du classicisme se retend. Riche, lettré, souvent profond, le courant enfle et bruisse.
2Mais de quoi s’agit-il ? Il n’entre pas dans nos intentions de présenter ici les différentes théories d’un tel droit ; il y faudrait un livre. Tout au plus nous intéressons-nous à cet élément commun qu’elles cultivent, par delà leur diversité :
« (Le Droit naturel classique) s’inscrit dans l’être du monde où il désigne l’autre du Chaos en tant qu’objet de la philosophie première »2.
3Entendons donc : il y aurait un ordre caché dans la nature du Monde. Mais peu importe pour le présent propos que l’on y voie une Loi naturelle à proprement parler, ou un simple principe immanent de justice, d’harmonie, d’équilibre, de tension vers le Bien, de finalité... Peu importe aussi que l’ordre naturel soit introjecté en chaque Homme ou assigné à lui comme modèle à conquérir par un effet de contrainte politique. Peu importe encore la laïcité, et finalement toutes les autres variantes ; tout au moins pour l’instant.
4Car l’objet de notre discussion porte sur cette simple et seule essence partagée des théories naturalistes classiques — au moins telles qu’elles furent lues par Villey : l’existence d’un donné naturel proto-juridique, strictement objectif, antérieur et supérieur à toute construction humaine ; « ontologiquement premier », pour être plus précis3. Le philosophe français l’entendait ainsi :
« Avant toute formulation (.), avant toute intervention de l’artifice humain dans les communautés humaines existe le Droit naturel. (Il) a son siège en dehors de la raison humaine, il préexiste à la conscience que nous en prenons. Il ne « dépend » pas des jugements des hommes (.). Le Droit positif procédera de l’Homme. Le Droit naturel est donné à l’avance à l’Homme »4.
5L’exacte portée de notre critique ? Nous tenons volontiers que ce droit naturel n’existe — au sens strict — qu’à l’état de pur fantasme (ce terme étant entendu, du reste, sans connotation péjorative). Il s’ensuit un doute radical sur l’efficience philosophique du concept, et surtout sur l’aptitude supposée qu’aurait cette Nature à surplomber le Droit positif dans les termes où le jusnaturalisme la prétend apte à le faire, c’est-à-dire à titre de référence objective. Contrairement à l’assertion célèbre de Villey la doctrine en question pourrait n’être pas « logiquement irréprochable »5. C’est précisément cette logique que nous entendons mettre en discussion.
6Cela impose d’abord de faire apparaître ce droit naturel dans sa vérité de pure production psychique. Il n’y a pas véritablement d’ordre objectif du monde, tout juste des ordonnancements humains ; pas de « donné » utilement mobilisable comme tel pour le juriste, tout juste du « construit »6 (I).
7Une illusion alimente donc l’invention de ce « Droit ». L’ordre dont ses thuriféraires le disent dérivé n’existe, en vérité, nulle part ailleurs que dans leurs imaginations. Presque par construction, un tel effet d’apparence appelle la nécessité d’une lecture psychanalytique7. Une ébauche de métapsychologie de l’idée de droit naturel peut ainsi permettre d’éclairer la structure fantasmatique de la référence naturaliste (II).
8Reste à en tirer conséquence, puisque tel est l’objet de cette critique : restitué comme artefact, le Droit naturel perd la plus grande part de sa légitimité philosophique. En ceci qu’il ne peut plus véritablement prétendre à sa principale fonction : fonder causalement et transcendantalement une référence objective pour la construction de l’ordre juridique positif et l’établissement d’une hiérarchie de ses normes. Et pour cause : aucune Nature juridicisable ne transcende, à proprement parler les œuvres humaines. Or il n’est pas de naturalisme — Villeyien, pour le moins — qui vaille hors d’une telle transcendance, et hors d’une telle objectivité (III).
Le droit naturel (classique) comme pure construction psychique
9Les lignes qui vont suivre doivent beaucoup à l’œuvre récente de Paul Amselek. La première partie de son Science et déterminisme constitue assurément une contribution de premier plan au corpus tout entier de l’épistémologie générale8. A telle enseigne que nous ne croyons plus possible d’aborder sans son secours une réflexion sérieuse sur le statut contemporain du savoir ; a fortiori s’il est question de science juridique. Une erreur d’évaluation a été commise vis-à-vis de ce texte, qui n’a pas tout à fait reçu l’attention qu’il méritait.
10Quoi qu’il en soit, Paul Amselek donne du droit naturel une lecture parfaitement originale. Mais il faut, pour la saisir exactement, consentir un bref détour par la compréhension de l’un des axes généraux de sa réflexion.
11Aux fins de « dissoudre » la vieille et angoissante antinomie du déterminisme scientifique et de la liberté humaine qu’il s’est donnée en étude9, Paul Amselek est resté fidèle aux postulats de la méthode phénoménologique qu’il avait servie lors de ses premiers travaux10. Une forte réduction eidétique inaugure donc sa méditation. Au résultat, la contradiction du déterminisme et de la liberté apparaît résulter d’une totale méprise sur la nature même du déterminisme. En fait, ce dernier ne pourrait attenter à la liberté humaine qu’à la condition de constituer une manière de pouvoir du monde sur ses sujets et sur les entités qui le composent. Or c’est précisément ce qui ne peut être.
12Car bien compris comme la résultante de la formulation de lois scientifiques prédictives, le déterminisme est tout autre : pure construction projetée sur la réalité par la conscience humaine, formulation « d’outils mentaux » de compréhension et de représentation du réel. C’est l’Homme, et non le monde, à qui revient d’énoncer des « lois scientifiques » et d’échafauder des régularités11. On sait en avoir pour preuve que toutes ces Lois sont structurellement vouées à l’invalidation, réfutables par essence comme en témoignage de leur stricte humanité.
13Au demeurant, le plus extraordinaire de cette affaire n’est sans doute pas qu’à la suite de K. Popper l’on ait redécouvert la « véritable nature » des Lois de la science12, mais bien que la conscience collective la plus évoluée ait perdu de vue cette vérité d’évidence : le monde ne légifère pas sa pesanteur, le temps transcende sa métrique ; Newton seul agit. Avec lui et pour d’autres « Lois » Mendel, Darwin ; Bohr et Heisenberg aussi.
14Aussi, l’ouvrage de P. Amselek importe surtout en tant qu’il élucide un prodigieux mélange inconscient des univers du savoir et du pouvoir, de l’être et du connaître. Et c’est en dénouant notre commune « confusion du statut épistémologique du monde et du statut ontologique de l’Homme » qu’il éclaire durement notre rapport général à l’idée de norme. Lois scientifiques déterministes, Droit naturel ? Une même illusion en alimente la genèse.
15Une curieuse propension de l’esprit humain initie tout cela : confronté au monde, il « mondanise » son œuvre, se projette tout entier sur l’objet de son étude et organise sa propre disparition de la scène. Les propriétés de l’intelligence du sujet-savant sont prêtées au monde-objet, en sorte que la découverte scientifique se solde toujours paradoxe — par une certaine forme d’évanouissement du découvreur. Plus exactement, ce qui se conçoit au départ comme la formulation humaine d’une loi scientifique (c’est-à-dire d’un outil conceptuel de repérage dans le monde) finira par se comprendre comme la découverte d’une propriété ou une Loi du monde, immanente à la nature et simplement dissimulée à notre conscience. De fait, la découverte scientifique n’apparaît plus comme œuvre de modélisation et d’intelligence constructive, mais comme dévoilement de la Loi cachée. Et c’est ainsi que l’usage scientifique de la raison conduira — nouveau paradoxe — à prêter au monde une structure rationnelle, des « intentions ».
16Comme on le voit, une redoutable dynamique de projection anthropomorphique travaille à l’origine de ce retournement, observable par tout un chacun. Voici que s’est forgée une lecture du monde faite à l’image de l’Homme.
17Et c’est dans cette perspective que doit se lire l’idée de droit naturel classique dans ce substratum philosophique commun qui anime l’ensemble de ses théories : l’existence de principes juridiques, méta-juridiques ou immédiatement juridicisables, immanents à la nature du monde ; l’Ordre voilé.
18Car cet Ordre-là n’est pas réputé conçu hors des œuvres d’un ordonnateur. Le Monde est donc réputé législateur, et l’Homme est une nouvelle fois hypostasié. L’on retrouve alors une pente identique à celle qui avait fait prendre les Lois scientifiques pour des lois de la nature. Au surplus, la différence qui pouvait demeurer entre les deux notions d’une Loi (juridique ou scientifique) tend elle aussi à s’atténuer13.
19La faille du droit naturel villeyien n’en n’apparaît que plus criante. L’analogie voulue d’avec les sciences « dures » se retourne contre ses initiateurs : 1e juriste « découvreur » des « Lois » naturelles, présenté ici ou là comme frère ou cousin du physicien dévoileur des lois de la nature, n’est pas mieux avancé que lui. Il se berce en fait de la même aberration : il n’y a pas de Lois à dé-couvrir ; tout juste des choses, des faits et des phénomènes sur lesquels se portera un effort particulier de la conscience, un art de représentation. Du reste, le juriste est plutôt plus impardonnable de se laisser ainsi mener : les régularités de la science dure se donnent — elles — à voir comme des choses (les vingt-quatre heures de la rotation de la Terre, par exemple, ou la fidélité des orbites). D’où il résulte que l’illusion est presque inévitable. Les adorateurs de la Loi naturelle n’ont pas pour excuse ce défaut de leur optique : rien n’est visible.
20Au total, le rejet du droit naturel à raison de son indémontrabilité ne résulte pas seulement d’un refus méthodologique de faire reposer une donnée positive sur un système de croyance ; il procède de l’impossibilité même du concept naturaliste. Il n’est en effet de législation — fût-elle balbutiante — que comme effet d’une manifestation psychique (de volonté, si l’on y tient). Or tout interdit d’affubler le monde d’une telle capacité. Convoquée au tribunal de la raison pour un examen comparatif, la science apporte la preuve inverse : il n’est de loi qu’humaine. Le droit naturel transpositif est bien un artefact.
21Reste tout de même à savoir pourquoi on en est arrivé à cette confusion. Paul Amselek propose un ensemble d’explications assez séduisant. Il y est question d’animisme, de poésie aussi. Mais l’on confesse une petite frustration. Ces explications sont exactes, certes, mais en même temps un peu incomplètes. De nouveau, la question demeure de savoir pourquoi l’esprit humain se montre tant enclin à ce genre de projection. C’est la raison pour laquelle l’on voudrait tenter de prolonger — un peu — le propos de P. Amselek en interrogeant un bref moment la métapsychologie de l’idée de droit naturel14.
Métapsychologie de l’idée de droit naturel15
« C’est pourquoi je goûtai de la joie pendant le tremblement de terre dont tant de gens autour de moi s’épouvantèrent. Tout à coup le sol secoue ses apparences : les murs frémissent, prêts à s’effondrer, déliés de leur appareil, les toits se tordent, des femmes tombent, les communications s’interrompent, le bruit empêche qu’on s’entende, la mince pellicule technique se déchire en crissant et claquant de manière métallique ou cristalline, le monde, enfin, vient à moi, me ressemble, tout désemparé. Mille attaches inutiles se délacent, liquidées, pendant que monte des ténèbres, sous les pieds déséquilibrés, l’être essentiel, le bruit de fond, le monde qui gronde : la coque, le bau, la quille, la charpente puissante, l’infrastructure pure, ce à quoi je m’accroche depuis toujours. Je reviens dans mon univers familier, en mon espace tremblant, aux nudités ordinaires, à mon essence, exactement à l’extase.
Qui suis-je ? Une trémulation de néant vivant dans un séisme permanent. Or, pendant un moment de bonheur profond, à mon corps vacillant vient s’unir la terre spasmodique. Qui suis-je, maintenant pour quelques secondes ? La terre elle même. Communiant tous deux, en amour elle et moi doublement désemparés, ensemble palpitants, réunis dans une aura.
Je l’ai vue, de mes yeux et de mon entendement naguère ; enfin, par mon ventre et mes pieds, par mon sexe je la suis. Puis-je dire que je la connais ? La reconnaîtrais-je pour ma mère, pour ma fille et mon amante ensemble ? Dois-je la laisser signer ? »
22Ainsi finit le « Contrat naturel » de Michel Serres16, en même temps que s’affirme la place prépondérante de son auteur dans le paysage intellectuel français. Et que l’on nous permette ce détour : il va s’éclairer bientôt.
23Irrévérence ? Ce fragment de lyrisme débridé nous paraît — aussi — en dire beaucoup sur cette illusion anthropomorphique dont nous venons de traiter.
24De quoi est-il question dans ce texte ? D’un brusque rétrécissement de la distance de l’homme au Monde, d’une furieuse sensation d’appartenance, démesurée, extatique ; d’une profonde unité substantielle. La nature et le sujet ne font plus qu’un, toute la puissance de la première est transfusée au second. Au paroxysme, la fusion est totale, et le sujet comblé.
25C’est ce vécu de la fusion qu’il y a lieu d’interroger. Car le droit naturel, comme le déterminisme normatif, lui doivent beaucoup.
26Prêter un langage au monde, et qui plus est un langage proto-juridique, c’est postuler qu’il parle avec nous, comme nous ; c’est inférer, en dernière analyse, que notre nature est commune, intimement consubstantielle.
27Manuel de Dieguez a une belle image pour évoquer cette prétendue communication privilégiée. Elle se comprendrait comme un bon moyen de résister à notre angoisse devant un Univers silencieux. Aussi lui prêterions-nous le pouvoir de nous écrire, de nous parler17. Sans doute, mais cela ne vaut pas réellement démonstration.
28C’est directement dans l’œuvre du fondateur de la psychanalyse qu’il faut chercher le début d’une solution à cette énigme. Dans un de ses textes les plus connus, Freud fut sommé par un de ses amis d’appliquer la logique psychanalytique à la compréhension de la religiosité18. Dans un premier temps, le Génie viennois s’est refusé à aller trop loin dans cette direction, mais il a accepté d’examiner une expression courante du mysticisme : « le sentiment de quelque chose d’infini », d’une « éternité », la sensation d’une « union indissoluble avec le Grand Tout et d’appartenance à l’Universel »19. Tout ceci passera à la postérité comme le décryptage du sentiment océanique. Et c’est dans les termes où la psychanalyse a compris ce phénomène que doit se comprendre aussi l’élaboration de l’idée de droit naturel.
29En substance, chacun a fait l’expérience nocturne d’une mer ou d’un lac étal, apaisé. Et chacun y a perçu un instant de la plénitude de son être. Nulle part plus qu’en ce lieu, l’unité substantielle de l’Homme et du Monde n’est aussi parfaite. Harmonie ; aucun conflit ne trouble le mariage tellurique. Corrélativement, la tempête aussi peut suggérer un affect identique : plus que sa paix, elle distribue la force du monde dans les veines de son sujet. Mais l’osmose est tout aussi parfaite. Aucun combat n’est livré entre ces protagonistes-là.
30Retour aux temps immémoriaux. In utero matre20, la condition fœtale est celle d’une pareille fusion a-conflictuelle d’avec le milieu amniotique, par ce fait même que le monde extérieur n’a pas grande existence propre pour le nascitur. Seuls les stimuli — notamment désagréables — que la vie terrestre se chargera d’infliger au nourrisson autoriseront — très progressivement — son accession à une véritable perception de l’extériorité. Entre autres, cette conflictualisation du rapport au Monde permettra à son tour à l’enfant d’élaborer la définition de son propre Moi. En attendant :
« Le fœtus (...) vit dans un état élationnel qui constitue une homéostasie parfaite, sans besoins, car ceux-ci étant automatiquement satisfaits, n’ont pas à se constituer comme tels ; étant donné le caractère parasitaire de son métabolisme, il ne connaît ni désir ni satisfaction liée à la détente, mais un équilibre parfait »21.
31Et de fait :
« Le fœtus est réellement tout-puissant et souverain (dans son univers qui se confond pour lui avec l’Univers tout court) ». Et forcément « le fœtus est immortel, le temps n’a pas d’existence pour lui ; (il est également) invulnérable »22.
32La vie intra-utérine, prolongée un temps par les soins multi-palliatifs de l’entourage du bébé réalise ainsi l’accomplissement d’un narcissisme parfait qui, comme le dit encore le psychanalyste B. Grunberger, ne connaît pas encore la relation (parce qu’il ignore la séparation) :
« Au début, le Moi s’agrandit automatiquement, ne connaissant pas de limite entre lui-même et le monde ambiant, les deux ne faisant qu’un. Le Monde est en lui, mais il est également le Monde, celui-ci se reflétant sur un mode narcissique. L’enfant, à ce stade de son évolution, n’est pas le centre de l’univers, il est cet univers même. (...) Il s’agit d’une véritable confusion sujet-objet : l’union narcissique »23.
33Cette présentation — peu contestée — s’avère particulièrement intéressante pour la compréhension de nombreux phénomènes et comportements propres à la vie adulte. Il eût été étonnant qu’une félicité narcissique aussi idéale — idéalisée ? — que celle du tout petit enfant n’ait pas suscité d’elle-même une profonde et durable nostalgie. Ceci d’autant plus qu’elle s’est délitée pour chacun dans la plus pénible douleur. Cet éternel hier de l’inconscient humain n’est donc rien moins que son Paradis perdu. La théorie psychanalytique a donc quelques bonnes raisons pour faire reposer de très nombreux affects adultes sur une reviviscence plus ou moins réussie de ce vécu archaïque, jusques et y compris dans les émergences les plus évoluées de la conscience humaine. A tout le moins, nul doute que le désir y soit24.
34Du point de vue du juriste, du philosophe, et plus largement du chercheur en sciences humaines, un bénéfice considérable s’attache à tout cela. Plus exactement, il y a surtout lieu de retenir que la satisfaction narcissique la plus intense s’acquiert, chez l’Homme, à un stade de son développement où les limites du Monde extérieur ne sont absolument pas fixées ; à un moment où l’union matricielle est la plus totale ; monadique plus exactement. Il n’est donc pas illégitime de présumer la réciproque : toute tentative de re-fusion d’avec le Monde doit se comprendre comme impliquant la quête d’une béatitude25 narcissique, elle même suivie de ses avatars (toute-puissance, intemporalité, immortalité etc.). Toute sensation d’appartenance vaut, de ce point de vue, « régression thalassale »26.
35Mais le plus étonnant réside peut-être dans l’unité de forme que revêt cette régression, et en même temps dans la multiplicité de ses expressions.
36C’est en effet par ce que l’on pourrait appeler un mécanisme généralisé de projection-incorporation que la satisfaction narcissique sera le plus utilement trouvée. Telle est à peu près l’analyse inaugurale de Freud à propos du sentiment océanique, et telle est probablement la réalité du phénomène. La sensation d’appartenance au Grand Tout fait de celui-ci un prolongement de Soi. En conséquence de quoi le sujet, qui présuppose dévolues toutes forces et vertus à cet Ensemble, attend de lui qu’il lui retransmette ces propriétés en retour. Voilà précisément la fonction de l’extase dans tous ses états. Littéralement d’ailleurs, il s’agit bien d’une Exstase, d’un déplacement du soi vers le dehors, d’une « sortie »27. Les frontières du Monde extérieur sont régressivement abolies, la toute-puissance est totale, parce que forcément retrouvée sous le signe de la grande unité première.
37Un noyau dur structure donc ce phénomène. La liste de ses modalités d’expression ressemble un peu à celle d’un ouvrage de sociologie ou de psychologie collective. Au delà du sentiment océanique, il pourrait être question de rituels de transe, de comportements religieux, de fanatisme, d’idéologie peut-être ; de psychologie des foules de manière générale. Serge Moscovici a récemment relu Durkheim sous cet angle, restituant à son œuvre une modernité inattendue, et l’on peut y lire une sensible proximité des langages du sociologue et du psychanalyste : c’est bien de mécanismes similaires dont il est question, à ceci près que l’objet fusionnel dépasse le monde physique pour englober aussi le corps social ou la communauté des fidèles. Observant un cérémonial de transe, Durkheim évoquait la condition du possédé :
Tout se passe comme s’il était réellement transporté dans un monde entièrement différent de celui où il vit d’ordinaire, dans un milieu tout peuplé de forces exceptionnellement intenses qui l’envahissent et le métamorphosent. Comment des expériences comme celles là (...) ne lui laisseraient-elles pas la conviction qu’il existe effectivement deux mondes hétérogènes et incompatibles entre eux ? L’un est celui où il traîne languissamment sa vie quotidienne ; au contraire, il ne peut pénétrer dans l’autre sans entrer aussitôt en rapport avec des puissances extraordinaires, qui le galvanisent jusqu’à la frénésie. Le premier de ces mondes est profane, le second, celui des choses sacrées. »28
38Point n’est besoin d’y insister. Enjambées les très nombreuses nuances qu’une étude approfondie permettrait certainement d’établir entre les divers exemples dont on vient d’user, une parenté indiscutable se dessine. Et il devient assez clair que l’idée de droit naturel n’est qu’un épigone simplement affadi et policé de cet unique sentiment.
39En fait l’idée de droit naturel se trouve très largement nourrie de ce fantasme de réunion narcissique. A un premier niveau, nul doute que la formation théorique du concept lui-même lui doive beaucoup. A un second degré, il apparaît aussi que toute conduite humaine déterminée par une exigence de conformité au droit naturel comporte — par là même — sa part de régression narcissique. Fruit du narcissisme, le droit naturel alimente donc le narcissisme. Ce que l’on se propose de montrer :
Concernant la formation du concept, l’incidence est assez claire :
Tout d’abord, la quête de la Loi naturelle évoque immanquablement la recherche de l’Eden gâché d’un monde sans conflit. Justice distributive, bonne nature tapie sous un crépi pervers, animal d’un côté, sociopolitique de l’autre... Par delà les époques et les variantes théoriques, c’est bien une dé-conflictualisation complète de la relation que le droit naturel a toujours eu en objet contre cette évidence héraclitéenne utilement remise au goût du jour par Alain Finkielkraut : Polémos est père de toutes choses ; la crise, seule, est féconde ; il n’est d’avancée qu’agonistique.
Ensuite, le principe même d’une recherche du droit naturel sous-jacent, en tant qu’il impose l’idée d’une communication privilégiée de l’Homme et de l’Univers, porte en lui-même sa propre élation. Fraction de sa semence, le sujet participe de la transcendantalité du Monde par cela même qu’il sait en lire les règles. Un mythe initiatique court là dessous, au plus grand bénéfice de l’initié.
Concernant maintenant l’application de la règle naturelle, l’incidence du narcissisme paraît peut-être plus discrète, elle n’en reste pas moins essentielle.
40Considérons le mythe d’Antigone sous cet angle. D’autant plus qu’il est le siège d’un bien curieux mouvement29.
41Le langage commun des juristes s’y accorde depuis Aristote : c’est au nom du Droit naturel qu’Antigone passe outre l’édit injuste de Créon et se résout à ensevelir la dépouille de son frère. Et l’on va s’employer ici à interpréter la Tragédie à partir de ces termes.
42A la lettre pourtant, cette lecture est erronée. Stamatios Tzitzis l’a montré au prix d’une lecture extrêmement serrée du texte de Sophocle, mise en perspective d’une énumération très détaillée des divers types de normes connues dans la Grèce antique30 : le conflit d’Antigone n’est pas celui du droit positif et du droit naturel, mais celui de deux règles positives. Le renversement de perspective est total. En langage juridique moderne — et pour simplifier beaucoup — Créon commet l’illicite aux yeux d’Antigone, non parce qu’il enfreint quelque loi divine, mais parce qu’il attente au Droit constitutionnel non-écrit de la Cité grecque. Plus précisément, c’est au corpus très particulier des règles suprêmes censées supporter le fondement et la fondation même de l’histoire politique de la patrie hellène et de sa cohésion sociale que le tyran s’est heurté. La Nature n’a pas grand chose à voir là dedans. C’est pourtant à elle que l’on va rattacher le comportement de l’héroïne. Voici notre Antigone devenue prêtresse du Droit naturel.
43Que s’est-il passé ? Les siècles ont véhiculé cette lecture là, si fausse, et pourtant si impériale. Alors, de quelle Antigone parler, puisqu’il y en a deux ?
44En fait, tout laisse à penser qu’Antigone vaut aujourd’hui pour les juristes à l’état de mythe, et non directement comme Texte. Or ce mythe s’est construit sur la mauvaise acception de la Pièce. La lecture des manuels de Droit et de philosophie atteste que sa diffusion s’est incontestablement faite en cette forme depuis des lustres : l’Antigone des modernes est « naturaliste ». Il est donc légitime de parler de celle là si l’on veut considérer que le corps social a choisi de représenter sous ses traits le conflit du Droit naturel et de la Loi positive. Et Dieu sait, au surplus, comme cette représentation est partagée.
45Les raisons d’une relecture aussi radicale ? Peut-être cette fausse Antigone renvoie t-elle dans l’inconscient collectif à quelque chose de plus simple et en même temps de plus archaïque qu’une Antigone légaliste et historienne. Surtout, le mythe nouveau est plus séduisant.
46On traitera donc de cette Antigone « naturaliste » des livres de Droit, au mot près du texte et du symbole, sous la seule réserve d’entendre les nomina de la rebelle comme autant de règles naturelles violées par Créon.
47Bravant l’interdit, Antigone donne sépulture à son frère. Et elle va le faire en sacrifiant délibérément sa vie à cette cause. On va l’emmurer vive ; à quoi elle n’oppose rien. Son geste recèle une manière d’héroïsme, furieux, illimité.
48Une lecture un peu rapide de Sophocle pousserait sans doute à comprendre le comportement d’Antigone comme purement « surmoïque » : son attitude lui serait dictée par l’empire implacable de sa conscience morale sous couvert de conformité aux lois divines. A un certain degré, cette interprétation a, comme d’autres31, sa légitimité, mais on peut encore en faire valoir une autre.
49Fin de la Tragédie. Au moment de partir vers la mort, voici Antigone sublime en donnant sa vie à la satisfaction du bon Droit. Trop sublime même, et peut-être trop excitée... Pulsion de mort ? Peut-être, à la supposer. Est-ce tout ? Il y a quand même une atmosphère d’emphase à ce moment du récit, une dynamique du paroxysme un peu difficile à réduire à cette seule explication.
50A bien y réfléchir, la loi naturelle fait tout de même faire de bien grandes choses à la fille d’Œdipe, créature effacée, garde d’aveugle au lieu d’être princesse, écrasée depuis toujours sous l’histoire de ce père notoirement névrosé. La voici en pleine apothéose, et ce n’était pas vraiment attendu.
51Autant que faire se peut, la mort d’Antigone est son chef d’Œuvre. A sa sœur moins dévote : « Non, je ne partagerai pas ma mort avec toi. Ne t’approprie pas un ouvrage auquel tu n’as pas travaillé ». Au monde : « Tombeau, ma Chambre nuptiale ( ! !), mon éternelle prison dans la terre ». La Pièce entière bruisse de sa fougue, de son acharnement depuis qu’on l’a surprise à plat ventre, grattant la terre de ses ongles pour en couvrir la dépouille de ce frère livré aux corbeaux. Au total de cette avancée furieuse vers la tombe, Eros et Thanatos sont réunis ; Narcisse vient de les rejoindre.
52Antigone a échappé à elle même. Le temps et la mort n’ont plus prise sur elle. Existent-ils vraiment pour qui part chez Hadès retrouver père et mère sous la terre nourricière, riche de la certitude d’y être bien accueillie de ceux dont elle a lavé le péché, sûre d’avoir retrouvé ensemble le bon droit et la paix ? A ce point précis, Antigone est toute-puissante, invincible, immortelle. Rien n’a plus barre sur elle : les hommes, le temps, la Mort. Sa victoire est totale. La Loi naturelle a permis de la libérer ses terrestres attaches, et voilà son pouvoir absolu. Par parenthèse, la révoltée va même gagner dans la foulée une autre bataille, plus sanglante et plus prosaïque : son enfermement précipitera tous les protagonistes dans le suicide ou la folie du désespoir32. Contre Antigone magnifiée par sa Loi, nul ne pouvait rien. Et l’on peut mieux comprendre, par parenthèse, ce qu’il y avait effectivement d’excitant à reconstruire contre la lettre du texte de Sophocle un mythe naturaliste apte à faire de l’Homme un tel héros.
53En dernière analyse, la dimension éthique et surmoïque du devoir et de la crainte est loin d’être la seule à intervenir chez Antigone comme chez d’autres sujets plus modernes et/ou moins exceptionnels. La conformation au droit naturel contribue aussi à une intense satisfaction narcissique. Bien sûr, le sens du devoir accompli engendre un contentement de cette sorte, mais là n’est pas l’essentiel. Ce qui est en cause, c’est ce renforcement intrinsèque de l’Etre, cette énergie de surpassement qu’insuffle la Loi naturelle à celui qui s’y lie. Toute prévalence de cette Loi-là sur le droit positif présuppose une certaine dose de renoncement de la part du sujet. L’élation qui peut accompagner ce mouvement — parfois jusqu’au sacrifice — doit se comprendre aussi comme un effet de la toute-puissance retrouvée.
54C’est le grand talent de Catherine Clément d’avoir élucidé l’âme hindoue sous ce rapport, et au-delà, d’avoir éclairé une face entière de notre étrange humanité33. Répugnant, cachectique, solitaire, dressé pour des jours sur une seule jambe à la manière d’un héron, ou vautré à l’inverse dans la pire des fanges ; ramené lui même à la condition du déchet ou à celle du végétal, l’adepte du tantrisme ou le renonçant Sadhu ne sont qu’autant d’incarnations excessives d’une tension générale de l’Inde, unanimement révérée comme l’aboutissement parfait dans cette partie du monde. L’accession au « Je absolu », la Toute-puissance du Moi fondu au Monde sont ouvertement désignés là-bas comme buts ultimes. Et ils ne peuvent passer que par la dissolution du sujet social et de son identité : il sera chose. Car où « Je » ne suis plus, le « Moi » total peut advenir ; par-delà la mort s’il le faut, ou l’occidentale folie. Et là sera la sainteté. De manière moins mystique, les effets de foule et de nombre produiront peut-être des effets comparables. Quoi qu’il en soit, le paradoxe est là : ces traits narcissiques ne trouvent jamais mieux à s’exprimer que là où la notion de sujet social individué est la plus faible (ou la plus détruite). Quelques ravages sont à envisager.
55Extrêmes, certes, certaines de ces voies d’accès là sont pour une part « culturelles » et spécifiques. Mais Antigone montre assez que l’intention, elle, reste invariante. Dans la mesure qui est sienne, à l’instar de l’ascèse et du jeûne, l’assuétude aux prétendues règles du Monde aura reconstitué pour l’héroïne, dans l’unité originaire, un pouvoir sans limite, une prodigieuse remontée en charge du Moi omnipotent. Voilà donc la fin cachée.
56Au bilan, et par où que l’on veuille prendre le problème, l’hypothèse du droit naturel confronte invariablement à certains des affects les plus caractéristiques du narcissisme (a-conflictualité, consubstantialité, indestructibilité, toute-puissance, relative confusion sujet-objet etc.).
57Confirmation : c’est donc bien un fantasme à qui l’on a affaire, protéiforme de surcroît, et parfaitement explicable. Il y est paradoxalement question d’hypertrophier l’Homme, de le restituer à sa plénitude, de le rendre à son eau.
58Rien de « critiquable » en tout cela. Il s’agit là de satisfaire d’une manière élégante et intellectualisée un besoin à peu près universel et usuellement exprimé par des voies bien plus périlleuses.
59C’est simplement sur un plan scientifique que l’idée de droit naturel pose question. S’il est fantasme, le droit naturel n’est pas réalité. Et il y a donc à s’interroger activement sur la validité philosophique qu’il peut conserver alors : parce que l’on ne peut plus lui reconnaître pleine aptitude à fonder cette hiérarchie des normes dont il est supposé causer l’existence.
Vers l’irrecevabilité philosophique de l’idée de droit naturel conçu comme fondement de l’ordre juridique positif
60Que l’on adhère, ou non, à l’explication psychanalytique qui vient d’être donnée ne change pas grand chose à l’affaire. Il demeure un constat épistémologique : ce droit naturel classique se vérifie artefact, production abusive de l’esprit, projection de l’inconscient ; bref : voilà bien une denrée humaine. Pour cette raison, une grave faille logique mine sa théorie en tant qu’elle le prétend moteur ou modèle de la structure de l’ordre juridique, fondateur de sa validité ou référent objectif de la licéité finale de ses normes.
61En effet, pour assigner pareille fonction à leur créature, toutes les représentations théoriques du Droit naturel postulent deux points communs :
En premier lieu, le droit naturel se donne nécessairement comme transcendant au Sujet. Pour surplomber l’univers des règles positives, le droit naturel est forcément situé dans une position d’externalité par rapport à l’Homme agissant. Il y va de sa définition même : à l’origine, c’est la Nature qui pose le modèle ; pas l’homme. C’est très exactement ce qu’articulait Villey (par exemple, dans le fragment cité supra, p. 564).
En second lieu, le droit naturel est réputé fonder objectivement et causalement les choix humains. C’est parce qu’il existe un juste naturel objectif (ou quelque chose pour le fonder dans la Nature) qu’une éthique des comportements juridiques peut advenir34 ; c’est parce que le Cosmos et la Nature fournissent un « patron » que les formes politiques et juridiques fondamentales doivent (ou peuvent) en émerger35. Très exactement, apparaît alors la relation du droit naturel au droit positif : elle est celle du but à son moyen36. Le juriste — surtout s’il est législateur — a donc mission de concrétiser, de fixer dans un temps la règle naturelle en ceci qu’elle est image de « l’ordre social humain dans sa perfection »37. A cette condition, le droit positif apparaîtra finalement comme un « fruit » du droit naturel, et avec lui le principe d’une hiérarchie des normes38.
62La Nature de ces naturalistes se lit donc forcément comme le donné objectif du juriste : objectif parce que n’ayant justement pas été posé par un sujet humain ; donné parce qu’ontologiquement antérieur et supérieur à lui. En tout cela, le bât blesse.
63On espère avoir montré depuis le début de cette étude que la Nature en question n’est justement pas un donné, et qu’elle n’a rien d’objectif. S’interroger sur la validité récurrente de cette philosophie du Droit naturel revient alors à évaluer les chances de survie possible de la dernière caractéristique assignée à la règle naturelle par ses thuriféraires, c’est à dire sa capacité fondatrice.
64Là s’accumulent derechef les doutes les plus extrêmes. Voici en tout cas le trou, béant, que l’on croit voir se creuser dans le marbre du dogme.
65Si le droit naturel était objet, chose « sensible », au même titre qu’une véritable norme juridique, rien ne s’opposerait en bonne logique à ce qu’il puisse influer le mode d’organisation des normes juridiques et/ou le respect qui leur est dû. La place que lui conférerait sa nature transcendantale serait — si l’on ose dire — assez naturellement prééminente, et il n’y aurait pas grand chose à ajouter.
66Mais puisque tel n’est pas le cas, l’immatérialité du droit naturel doit conduire à lui dénier toute capacité à commander — en tant que tel — à la validité juridique. Car à cette condition, le droit naturel ne peut rien influer par lui-même dans l’ordre de la réalité objective. L’Homme, seul, y joue, par la disposition de son psychisme qui l’aura conduit à inventer ce concept, à mettre en scène l’idée d’une nature normative, proto-normative ou simplement ordonnée et à y assujettir — le cas échéant — la structure ou la validité de l’ordre juridique positif.
67Tant et si bien — et là est l’essentiel — que les responsabilités sont totalement et définitivement déplacées de l’objet vers le sujet, et que l’effet recherché par les naturalistes n’est plus du tout atteint. En effet : en conséquence de sa stricte idéalité subjective, le droit naturel ne peut emporter aucune incidence sur la gestion de la vie juridique qui n’émanerait de l’Homme lui même. Ce n’est plus la nature qui agit, c’est le sujet. Or l’essence même du droit naturel réside dans cette la recherche d’un principe situé en dehors et au-dessus de lui. Telle était la condition même de l’éthique naturaliste ; telle est la mesure de son échec.
68Car le naturalisme — villeyien pour le moins39 — n’a pu aboutir à fonder son éthique transcendante à l’Homme que dans les illusions de la conscience humaine. Soit à ne l’avoir pas fondée du tout.
69Les deux aspects fondamentaux de la prémisse majeure du naturalisme classique sont donc erronés et/ou entachés d’une irréductible contradiction. N’étant pas transcendant à l’Homme, le droit naturel ne peut donc transcender directement le droit positif, conçu comme production humaine. Nous étions bien en présence d’un sérieux problème de logique.
70Un fantasme ne crée rien, ne constitue rien ; seules les instances psychiques du sujet « fantasmant » ont rang de cause. En dernière analyse, c’est encore l’Homme-sujet qui possède le pouvoir de son pouvoir.
71Par là même et pour reprendre la formule de Freud, il est seul à constituer le fons et origo de son rapport au Droit. Pour cette raison, la science juridique doit demeurer sa mesure. Elle se perd gravement à croire l’excéder. Tout est à gagner alors à méditer Durkheim :
« ...Si l’on appelle délire tout état dans lequel l’esprit ajoute aux données immédiates de l’intuition sensible et projette ses sentiments et ses impressions dans les choses, il n’y a peut être pas de représentation collective qui, en un sens, ne soit délirante ; les croyances religieuses ne sont qu’un cas particulier de cette Loi générale. Le milieu social tout entier nous apparaît peuplé de forces qui, en réalité, n’existent que dans notre esprit. »40
72Car c’est l’enjeu de toute science de défaire l’illusion. Quoi qu’il en soit, une chose est sûre : en termes de logique causale, le Droit naturel ne peut pas fonder (en tout ou en partie) de hiérarchie des normes positives, ni même fonder une hiérarchie sur les normes positives.
Addenda
73L’usage du Séminaire interdisciplinaire veut que chaque auteur, s’étant soumis à la critique du Groupe, remodèle le cas échéant son texte en conséquence des objections survenues. L’ampleur de celles auxquelles j’ai à faire, de la part d’Anne-Marie Dillens, bien sûr41, mais aussi de Marie-Jeanne Segers-Gérard et de Guillaume de Stexhe me conduisent à préférer la forme de ces brefs addenda en réponse, plus adaptés à l’allure un peu provocatrice de l’idée que j’ai voulu soutenir. Et aux risques inhérents au genre dans lequel je me suis ainsi risqué.
74La question du champ d’application exact de mon « attaque » contre le droit naturel classique anime la critique érudite de Mademoiselle Dillens, qui me reproche essentiellement d’avoir fondé ce propos sur une lecture partielle, partiale, française, et passablement détournée de l’idée de droit naturel.
75Et tel est effectivement le cas. Mais je n’avais pas vraiment prétendu à autre chose. C’est au droit naturel villeyien que ma critique était assez explicitement consacrée, tout au moins pour l’essentiel. Aussi bien les reproches de mademoiselle Dillens visent-il beaucoup plus les théories visées par mon étude, que ma propre critique à leur encontre.
76Je ne nie pas, cependant, une tentation plus ou moins forte de porter le fer au delà de ces limites ; jusqu’à l’idée d’une nature des choses, en tous cas, mais peut-être même au delà. Où mon propos se rapprocherait dangereusement de la cible de Mademoiselle Dillens. Soit. Mais, si convaincante soit sa démonstration, je ne parviens pas à me persuader qu’une théorie du droit « naturel » qui ne dévoierait pas profondément son intention et quelques réquisits minimaux de sa logique, puisse s’étayer complètement hors de l’idée d’une référence proprement objective à contenu plus ou moins « proto juridique ». Et c’est précisément cette objectivité là qui me semble suspecte. Hors le cas du naturalisme villeyien — générateur d’une obédience tout de même très partagée — sur lequel je ne changerai pas une ligne, j’admets donc le principe d’un léger repli sur la portée de mon agression contre le droit naturel. Mais simplement sous bénéfice d’inventaire ultérieur.
77L’accent mis sur la nature fantasmatique du Droit naturel ajoute t-il véritablement quelque chose au débat ? Marie-Jeanne Segers a soulevé, lors de la discussion, une objection importante à cet égard, sur laquelle il me faut absolument répondre.
78Il ne fait aucun doute que toutes les théories juridiques, sans aucune exception, sont traversées elles aussi par les fantasmes de ceux qui les érigent. Postulant alors qu’aucune théorie n’échappe à sa part de détermination fantasmatique, ma critique ne porterait rien qui soit de nature à spécifiquement mettre en doute le jusnaturalisme. Et raterait son objet par voie de conséquence.
79Ma conviction profonde rejoint les prémisses de cette analyse, mais — évidemment — pas sa conclusion. Pour une raison simple : en effet, je n’ai nullement souhaité établir, pour asseoir ma charge, que les théories du droit naturel étaient fantasmatiquement déterminées. C’est le Droit naturel lui-même, en tant qu’objet philosophique et objet de théorisation, dont j’ai voulu ramener l’essence à la proportion du fantasme. Et cela ne revient pas du tout au même. Car l’éclairage de cette dimension inconsciente conforte seulement l’idée que la chose « droit naturel », n’existe pas ailleurs que dans les têtes « fantasmantes » de ceux qui s’en font les chantres. Relativement à quoi ces théories du droit naturel sont affligées d’un vice logique parce qu’elles revendiquent et postulent nécessairement l’objectivité originaire de la référence naturelle42 (ou au moins d’une partie d’elle), et que cette objectivité tient de l’illusion pure et simple. Très exactement, l’exposition de la structure fantasmatique du principe même d’une règle naturelle aboutit à réinjecter le sujet dans ce qui prétend absolument l’exclure. Elle vise ainsi à établir une faille dans le raisonnement naturaliste : il n’est pas possible de prétendre qu’une règle naturelle constitue un modèle pour l’Homme en tant et parce qu’elle dériverait de quelque chose de totalement extérieur aux œuvres humaines — à la base s’entend —, s’il s’avère qu’elle trouve son origine, son être, et sa justification, dans ces œuvres elles-mêmes.
80Pour le reste, celui qui écrit ces lignes n’est pas exempt de fantasmes, lui non plus...
81Guillaume de Stexhe me met enfin aux prises avec une difficulté considérable relativement à la légitimité du clivage sujet-objet dont j’ai beaucoup usé. Tout cela serait bien abrupt, difficile à fonder, et possiblement contradictoire.
82Pour le coup, j’avouerai assez volontiers une certaine impuissance, dans l’incapacité où je me sens de poser d’autorité une ligne divisoire solide et philosophiquement épaissie entre ces mondes (contrairement, d’ailleurs, à notre expérience empirique d’une distinction très bien établie). En fait, la démarcation à laquelle je pensais en prenant soin de ne pas trop la penser, se donnerait plus dans l’ordre de la psychanalyse que dans l’ordre de la métaphysique. Le Sujet ici envisagé serait plutôt celui qui a acquis son identité, sa « subjectivité », si je peux user de ce pléonasme, par cela qu’il s’est ontologiquement détaché du Monde et de l’Autre en les reconnaissant comme tels. Le sujet ici mis en scène pourrait peut-être s’auto-dénommer Je, disposer d’une conscience de Soi, d’une volonté propre, et même d’une capacité à reconnaître son inconscient comme sien, y compris dans ce que ce dernier peut avoir d’hétero-constitué... Parce qu’il peut encore se reconnaître un pouvoir là-dessus.
83Point d’apologie, pour autant, de la disjonction paradigmatique de l’objet et du sujet. Loin s’en faut. Mais son dépassement, indispensable notamment dans le registre de l’épistémologie des sciences dures, n’emporte aucune confusion des genres. Tout au plus une conscience, claire si possible, du poids de leur interaction. Et c’est tout de même l’affaire d’un Sujet de vouloir l’acquérir.
Notes de bas de page
1 On a coutume d’opposer ainsi une idée classique, aristotélico-thomiste, où le droit naturel dérive de la nature des choses, à une idée moderne où il se puise dans la nature humaine. La présente étude se veut critique sur la première de ces deux conceptions, ou plus exactement une lecture de cette dernière ; cela n’implique aucune forme d’adhésion à la seconde. Tout juste sont-ce deux objets d’analyse distincts a priori.
2 S. GOYARD-FABRE, Les deux jusnaturalismes ou l’inversion des enjeux politiques, in Des théories du Droit naturel, Cahiers de philosophie politique et juridique de l’université de Caen, 1987-11, p. 9.
3 Comme le dit encore Madame GOYARD-FABRE, Ibid., p. 10.
4 M. VILLEY, Philosophie du Droit, Précis Dalloz, 2e éd., 1984, t. II, p. 138 s’agissant d’Aristote. Relativement au Droit naturel de St Thomas, et pour une acception comparable : ibid. p. 126 sq.
5 Philosophie du Droit. t. II ; Dalloz Précis 1984 (2e édition), p. 129.
6 Rappr. J.L. LE MOIGNE, Rien n’est donné, tout est construit, in Centenaire de la naissance de Gaston Bachelard, R.R.J., Droit prospectif, 1986-3, p. 182.
7 L’œuvre d’un P. Legendre est notamment là pour témoigner de la fécondité de cette approche, essentielle à une compréhension approfondie de la chose juridique. Celle d’un J. Clavreul aussi.
8 P. AMSELEK, Science et déterminisme, éthique et liberté, P.U.F Questions, 1988 (Préf. de J. HAMBURGER et avant-propos de G. VEDEL).
De ce même auteur, et relativement aux problèmes qui vont être évoqués ici, on lira également Lois juridiques et Lois scientifiques, in Droits, 1987-6, p. 131, ainsi que Avons-nous besoin de l’idée de droit naturel ? in A.P.D., 1978-23, p. 343 sq. ; v. également : Les fondements ontologiques de la théorétique juridique, in A.P.D. 1984-29, p. 201.
9 Qui peut se résumer en figurant l’anxiété de l’Homme interrogeant sa propre capacité d’action sur lui même et sur le monde, persuadé qu’il est que tout, en lui et hors de lui, demeure entièrement gouverné par un ensemble de Lois implacables, et contre lesquelles il ne peut rien.
10 V. sa Méthode phénoménologique et théorie du Droit, L.G.D.J., 1964, sp. p. 15 sq.
11 V. cependant, pour les nuances qu’impose peut-être la considération des mathématiques, J.P. CHANGEUX et A. CONNES, Matière à pensée, O. Jacob, 1989, sp. in limine.
12 La connaissance de la pensée de K. Popper relativement à ces questions passe par la lecture de L’Univers irrésolu, plaidoyer pour l’indéterminisme, Hermann, 1984. De manière plus générale, pour une utile comparaison des pensées de K. Popper et de T.S. Kuhn, v. de ce dernier auteur : La tension essentielle, Gallimard, 1990, et not. les p. 356 sq : Logique de la découverte ou psychologie de la recherche ?
13 Essentiellement parce que le discours de la science s’énonce et se vit de plus en plus à la manière d’une législation normative. La faillite intellectuelle du déterminisme a d’ailleurs pris corps dans ce mouvement-là, au moment où les relations tissées par la science entre les phénomènes observés ont quitté le domaine de la causalité pure pour entrer dans le monde de l’imputation. Le « Doit être » statistique de la science « avec conscience » s’est transmuté en un Soll Sein impératif.
14 Aucune incompatibilité ne peut interdire de convoquer la psy chanalyse en complément d’une réflexion sur l’épistémologie scientifique ; a fortiori s’il est question d’une métathéorie. Bien au contraire : la science moderne, à la mesure même de ce qu’elle introduit le sujet observant dans le champ de l’observation ne peut, sans contradiction, faire l’économie d’une conception globale de ce sujet, et donc — pléonasme — de sa subjectivité. Ce sur quoi la psychanalyse a beaucoup à dire.
15 Freud considérait lui-même la métapsychologie, cette psychologie de « l’autre côté de la conscience » comme « une tentative scientifique pour redresser les constructions métaphysiques (qui) projettent dans des forces extérieures ce qui est en réalité le propre de l’inconscient » (J. LAPLANCHE et J.B. PONTALIS, Vocabulaire de la psychanalyse, P.U.F. V° Métapsychologie).
16 Op. cit, p. 191.
17 M. de DIEGUEZ, Le mythe rationnel de l’Occident, P.U.F., 1980, d’ailleurs cité en ce sens par P. Amselek. Une réédition de ce livre introuvable s’impose d’urgence.
18 C’est le début de Malaise dans la civilisation (1934), P.U.F., 1971. Freud avait abordé la question de l’animisme dès 1913 dans Totem et Tabou. L’ami en question était Romain Rolland (V. R.M. PALEM, Du « sentiment océanique » chez Freud et de « l’existence océanique » chez Ferenczi, in Psychiatries, 1990-1, no 90, p. 56).
19 Ibid., p. 6-7.
20 Pour autant, dit Freud, que l’on puisse en reconstituer l’ambiance avec une « vraisemblance suffisante » (ibid.).
21 B. GRUNBERGER, Le narcissisme, P.B. Payot, 1975, p. 30. De ce même auteur, et pour un développement protéiforme de sa théorie du narcissisme, v. Narcisse et Anubis ; essais psychanalytiques, Ed. des Femmes, 1989.
22 Le narcissisme, op. cit., p. 32.
23 Ibid., p. 94.
24 Sandor Ferenczi, dans un texte célèbre et amplement loué pour sa profondeur par Freud lui-même, fonde une théorie d’ensemble de la sexualité génitale à base d’un principe de retrouvaille avec ce souvenir diffus de la félicité amniotique. V. Thalassa, essai sur la théorie de la génitalité in Psychanalyse III (Œuvres complètes T.III) ; Payot, 1974, p. 251 sq. Et l’on fera observer, par comparaison, la teneur très hautement sexualisée de la fin du fragment de texte de Michel Serres, cité plus haut : « mère, fille et amante ensemble ».
25 Même si l’on peut penser, comme nous y invite la médecine la plus moderne, que cette félicité n’est pas absolument parfaite, et que l’enfant a bien connu déjà quelques stimulations désagréables au cœur du sein maternel. Mais peu importe ici. C’est le principe d’une fusion qui compte dans notre raisonnement, et non la perfection de la béatitude qu’elle suscite. D’autant plus et d’autant mieux que le fantasme immémorial des Hommes à ce sujet revient bien à poser que, béatitude, il y avait effectivement. Cela, aussi, ne manque pas d’intérêt.
26 Selon la très belle expression de FERENCZI, op. cit, p. 289.
27 Le mot est de Gernet, cité par S. MOSCOVICI, La machine à faire des Dieux, Fayard, 1988, p. 70.
28 Les formes élémentaires de la vie religieuse, P.U.F., 1968, p. 313.
29 Et de quelques autres, il est vrai. V. G. STEINER, Les Antigones, Gallimard, N.R.F., 1986, sp. p. 322 sq.
30 V. Scolies sur les nomina d’Antigone représentés comme droit naturel, in A.P.D., 1988-33, p. 243 sq.
31 Il s’analyse évidemment aussi sous l’angle de la transgression, et encore sous l’angle du désir, radical, notamment chez LACAN (Le Séminaire ; Livre VII : l’éthique de la psychanalyse, Seuil, 1986, pp. 285-329 ; sur quoi, entre autres, v. J. CLAVREUL, Le Psychanalyste devant le politique comme la poule devant un couteau, in HERMES IV : Individus et politique, éd. C.N.R.S., 1990, p. 364.) La lecture de Lacan, pour autant que l’on puisse prétendre en donner une synthèse, repose essentiellement sur le désir de mort d’Antigone, en tant qu’il réalise au sens strict — son passage au-delà de l’Atè (sorte de malédiction familiale spécifique de la mythologie grecque, qui court ici depuis le crime d’Œdipe). Située « entre deux morts » (la première est en fait sa vie passée, qu’elle n’a jamais vécue autrement que comme à-peu-près-morte parce que le poids de l’Atè a été trop fort ; la seconde est celle de son corps physique), Antigone va enfin pouvoir vivre un peu cette vie potentielle — mais jamais vécue — « sous la forme de ce qui est perdu » (p. 326). Elle va enfin pouvoir libérer ce Désir de toute une vie : il n’aura pu paraître que comme en négatif, dans l’espace et le temps de cette entre-deux-morts. Quoi que l’on en pense, il faut savoir rendre hommage à Lacan de s’être tenu singulièrement près du texte grec, et d’avoir offert une interprétation parfaitement compatible avec la — vraie — lecture d’une Antigone agissant essentiellement au nom du Droit historique bafoué de la cité grecque. Car, lu par Lacan, le Désir d’Antigone se fond, se délite, et se reconstitue par et dans l’Histoire (au travers de la malédiction familiale trans-générationnelle). Ce qui restitue une continuité d’analyse extrêmement stimulante.
32 Nul doute, sous cet angle, que l’affaire d’Antigone finisse effectivement de dérouler le mythe œdipien, en ce qu’il met explosivement en scène le « pouvoir désorganisateur » des femmes (mettons : du principe féminin), ainsi que l’a limpidement démontré S. MOSCOVICI, La société contre nature, 10-18, 1972, p. 346 sq.
33 In La syncope ; philosophie du ravissement, Grasset, Coll. Figures, 1990, par ex. p. 207 sq.
34 Il s’agit même là de l’un des points cardinaux de la pensée thomiste (V. par ex. sur cette question, G. KALINOWSKI, Le fondement objectif du Droit d’après la « Somme théologique » de Saint Thomas d’Aquin, in A.P.D., 1973-18, p. 60, sp. la conclusion, p. 74. Comment pourrait-il, d’ailleurs, en aller autrement dans un système chrétien ?
35 Bien évidemment, de considérables nuances existent sur les conditions et les moyens de cette émergence dans la chronologie des théories du droit naturel. Ainsi la Nature fournit-elle, chez Platon, le modèle idéal d’une société vers laquelle il importe de tendre en toute conscience. Chez Aristote, le rapport du droit naturel et du droit positif est plus directement causal (et sans doute plus inconscient) : comme le fait observer Madame Goyard-Fabre, le droit naturel aristotélicien n’est pas idéal ; il est strictement immanent à l’univers et joue un rôle princeps par rapport aux constructions secondes de l’art humain (art. cit., p. 16 et 17). Ainsi selon Proclus, « le droit naturel est la cause qui sert de modèle à la Constitution ». En fait, on n’échappe pas à cette Nature-là. Quant au droit naturel chrétien, il devient directement apte à prescrire. Quoi qu’il en soit, les rapports du droit naturel et du droit positif se tissent, dans ces philosophies, au sein d’un ordre un et unique ; aucun dualisme ne vient véritablement scinder ce rapport d’engendrement (V. en ce sens M. EL SHAKANKIRI, Sur le prétendu dualisme du Droit naturel, in A.P.D., 1971-16, p. 211 sq.) ; tout juste ses modalités changent-elles.
36 Selon la formule de M. El Shakankiri, art. cit. V. la 2e définition, assez proche, donnée de la notion de Droit naturel par L. GIANFORMAGGIO dans le Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du Droit, p. 117.
37 Comme l’exprime le Pr. A. SERIAUX, Le Droit naturel de Michel Villey, in Rev. d’hist des fac. de Droit, 1988-6, p. 147.
38 Certes, Villey reconnaît qu’aucune hiérarchie des sources positives n’apparaît dans la pensée de Saint Thomas ou d’Aristote. (Sur l’ensemble de la question, V. son célèbre Abrégé de droit naturel classique, in A.P.D., 1961-6, pp. 57 sq.). De toute manière, il n’est pas possible aux yeux du philosophe français de déduire directement quoi que ce soit de positif du Droit naturel. D’autant plus que la teneur d’une telle gradation se doit d’être essentiellement variable en fonction des circonstances de l’époque considérée. Le principe même de cette hiérarchie existerait pourtant à l’état naturel. Car il ne serait pas, sans elle, de réalisation positive possible du juste (Ibid., p. 60-61). Voici donc confirmée, sous cette plume très autorisée, l’existence d’un rapport d’engendrement entre le droit positif et la « règle » naturelle. Le sens et la structure de l’ordre juridique « découlent », eux aussi, de la Nature.
39 Sans qu’on le croie acquis a priori, il n’est pas totalement exclu qu’une conception plus directement métaphysique du droit naturel — à la supposer animée d’une intention positiviste beaucoup moins prégnante — puisse échapper en partie à cette critique. La pensée de J.M. Trigeaud, notamment, requiert d’être étudiée sous cet angle. Cela appelle d’autres recherches.
40 Les formes élémentaires de la vie religieuse, op. cit., p. 326.
41 V. Infra, p. 589.
42 Comment penser, par exemple, le principe d’une « mesure », d’un équilibre etc., si l’on ne dispose pas d’un point de référence — en l’espèce objectif — pour étalonner l’évaluation, alors même que l’on se reconnaîtrait un très vaste pouvoir d’appréciation pour ce faire (dans le choix des méthodes, par exemple).
Auteur
Chargé de recherche au C.N.R.S. Vice-président du Groupe de réflexion transdisciplinaire de l’Université de Pau
Juriste.
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