Quelles raisons pour la peur dans les sciences et techniques de la vie ?
p. 151-159
Texte intégral
1La question posée par Anne-Marie Dillens : « La peur, bonne ou mauvaise conseillère ? » traduit dans sa formulation quelque chose de très profond, porté par la tradition philosophique. Cette question évoque une autre réflexion qui lui est essentiellement liée : dans l’homme, l’élément émotif et l’élément cognitif sont greffés l’un sur l’autre d’une manière assez indissociable et réciproque, intrication bien connue de la tradition philosophique et étudiée aujourd’hui par les neurobiologistes. L’intrication de l’émotif et du cognitif n’est-elle pas de nature à troubler la planification et l’exécution de l’action ? Comment traiter, dépasser ce trouble ? Les réponses que l’on peut donner à ces questions doivent permettre de faire progresser la pensée, laquelle est moteur de l’action, de produire du cognitif renouvelé capable d’orienter l’action plutôt que de légitimer la paralysie, ou la fuite. La tradition philosophique est porteuse de cette possibilité de libération de l’homme par rapport à l’émotif, grâce à l’élément cognitif. Il est souhaitable de rappeler tout ce que la pensée antique, ainsi que la pensée chrétienne qui sur certains points l’a suivie, ont pu apporter, et qui peut être résumé dans une parole puissante et justement célèbre : « N’ayez pas peur ! »
2Dans la Cité de Dieu (IX, 495), saint Augustin emprunte à Aulu-Gelle l’histoire bien connue d’un philosophe stoïcien embarqué sur un navire pris dans une violente tempête, qui malgré toute sa philosophie montre les signes de la terreur la plus forte. Revenu de ses frayeurs, le philosophe explique à Aulu-Gelle que les stoïciens considèrent qu’il existe des « imaginations », des mouvements qui empêchent l’action de l’esprit ou de la raison sur eux. Or, pour les stoïciens, il reste dans le pouvoir de l’âme, même si elle ne peut contrôler ces mouvements, de « maintenir sans défaillance l’avis juste et ferme de l’esprit touchant ce qu’il lui faut raisonnablement ou désirer ou fuir ». Alors que l’individu en montre les signes, alors que son âme même éprouve l’émotion, le sage conserve dans son esprit une estimation des avantages et inconvénients, des biens et des maux, qui fait qu’il ne craint pas de perdre la vie, d’abandonner son corps à la fureur des éléments. Les passions, qui naissent de certaines représentations, peuvent être éradiquées par d’autres représentations. C’est à ce point de son développement que saint Augustin introduit le savoir chrétien et le commentaire qui suit : « Aussi bien, selon notre optique, on ne demande pas tant à l’âme pieuse s’il lui arrive de se mettre en colère, que pourquoi elle s’y met ; on ne lui demande pas s’il lui arrive d’être triste, mais d’où lui vient cette tristesse ; pas davantage on ne la questionne sur une possible peur, mais on lui demande de quoi elle a peur ». Une représentation peut en chasser une autre, l’émotion peut être tempérée par la cognition. Autre commentaire : « Combien plus estimable aurait été notre stoïcien s’il se fût ému de pitié à l’égard de quelque passager à sauver, plutôt que de terreur devant un éventuel naufrage ». Autrement dit : voilà une cognition qui fait agir, qui met en branle le moteur de l’action : la compassion, le geste sauveur, plutôt que la paralysie ou la fuite.
3Saint Augustin loue Cicéron pour son éloge de la miséricorde. Ce dernier, sans doute plus proche des stoïciens que ne l’était saint Augustin, a sur leur philosophie des jugements éclairants (Tusculanes, IV, VII). Ils pensent, dit-il, « que toutes les passions dérivent du jugement et de l’opinion. C’est ainsi que la crainte est l’opinion d’un mal imminent que l’on considère comme insupportable ». « Ils disent encore que ces jugements et opinions ne contiennent pas seulement en eux les passions, mais aussi les effets des passions ; la peine a comme effet la morsure de la douleur ; la crainte, le retrait et la fuite devant la douleur ». La peur, « crainte d’un mal qui approche, suscite le retrait et la fuite ». Pourtant, commente plus loin Cicéron, misérable est celui qui, à l’approche d’un mal, a peur et a l’âme saisie d’épouvante ». Celui-là, c’est l’insensé. Quant au sage et à l’homme heureux, c’est celui qui, « grâce à ses qualités de mesure et de réflexion, a l’âme tranquille, et qui est si bien réconcilié avec lui-même qu’il n’est pas miné par les chagrins, ni abattu par la crainte ». Cicéron développe une thérapeutique pour chaque passion particulière. Pour la crainte, la thérapeutique consiste à mépriser les événements à venir. « Bien qu’il faille parler du manque de fermeté et d’énergie, de l’irréflexion qu’on voit dans la crainte elle-même, il est encore plus utile de faire mépriser les objets ». En d’autres termes, faire mépriser la mort ou la douleur. On trouve dans les Pensées de Marc-Aurèle la réflexion suivante, qui peut résumer le stoïcisme : « Si tu t’affliges pour une cause extérieure, ce n’est pas elle qui t’importune, c’est le jugement que tu portes sur elle. Or ce jugement, il dépend de toi de l’effacer à l’instant. »
4L’école épicurienne a beaucoup parlé de la peur. Dans le livre III du De Natura Rerum, Lucrèce s’intéresse à la nature de l’âme, du principe vital, précisément en vue de chasser la peur de la mort, peur qui explique un grand nombre d’actions humaines. Pour chasser cette peur, il faut se livrer à l’étude rationnelle de la nature. Cette étude nous montre que l’âme est corporelle. Elle naît et meurt avec le corps. La mort n’est donc pas à craindre. Ce qui suivra notre mort est semblable à ce qui a précédé notre naissance, un état plus paisible que le sommeil le plus profond. Pour terminer ce parcours à bride abattue à travers la tradition philosophique la plus vénérable, il convient d’en venir à Platon, le plus sublime. Dans un chapitre des Lois (I, 646-647) Platon propose une analyse de la crainte. Soit le problème de la victoire et du salut dans la guerre. « Il y a deux conditions, note Platon, qui procurent la victoire : c’est notre confiance en nous-même à l’encontre de l’ennemi, et c’est la crainte que nous avons de nous déshonorer aux yeux de nos amis ». La confiance et la crainte : c’est ce couple moteur de la réussite d’une action qui intéresse Platon. Chacun de nous, dit-il, doit à la fois être exempt de crainte et ressentir la crainte. « Il y a deux choses auxquelles nous devons donner tous nos soins : l’une est de nous rendre à l’avenir le plus confiants possible, l’autre, au contraire, de nous rendre le plus possible craintifs. »
5Quelles raisons, donc, pour la peur, et quelles pour la confiance dans les sciences et techniques de la vie ? Est-il possible de distinguer entre les peurs légitimes et les peurs irraisonnées ou fantasmatiques ? Pour ce faire, il faut replacer ces questions dans l’ensemble de la dynamique du connaître. Au préalable, il est souhaitable de proposer une première et provisoire classification des objets de la peur, des choses qui la suscitent : la nouveauté, la soudaineté, l’inconnu, et surtout le sentiment de l’irréversible. C’est bien la peur de l’inconnu et celle de l’irréversible que nous allons voir à l’œuvre dans bien des épisodes récents des biotechnologies. Ajoutons cependant que la peur suscitée par des accidents antérieurs et bien réels entretient les machines à craindre que sont les hommes en général. La peur est peut-être l’une des passions les mieux ancrées, et certainement celle dont il est le plus facile de jouer chez l’homme.
6Première raison pour la peur, l’existence d’accidents antérieurs est avérée dans un certain nombre de cas. L’introduction du BCG sur des enfants de Lübeck en 1930 a donné lieu à des accidents mortels (76 décès sur 244 vaccinés) vraisemblablement dus à une contamination du vaccin avec des souches virulentes, dans le procédé de fabrication mis en œuvre localement. A la fin des années soixante, des craintes se font jour dans des laboratoires américains qui étudient et manipulent des virus cancérigènes. Des accidents de laboratoire touchant des personnes exposées ont été portés à la connaissance du public, également en France. C’est dans cette atmosphère plus méfiante vis-à-vis de la recherche avancée que prend place, au début des années soixante-dix, le fameux processus dit d’Asilomar, qui aboutira à des réglementations strictes concernant les expérimentations sur les recombinaisons génétiques, à des classifications des risques entraînés par les expérimentations, à l’interdiction de certaines expérimentations, et à l’établissement de degrés de confinement physique et biologique des expériences et des laboratoires. Au début des années soixante-dix, la biologie moléculaire en arrivait au stade où elle pouvait fabriquer des molécules hybrides et les greffer sur des micro-organismes, des bactéries, susceptibles de se multiplier librement dans la nature. En 1972, Paul Berg annonce la création d’un hybride moléculaire à partir du virus SV40 cancérigène du singe, d’un autre virus, un bactériophage, et d’une partie du génome de la bactérie Escherichia coli. Cette expérience marque les débuts de l’ingénierie génétique. Elle était effectuée comme une étape préliminaire pour étudier les mécanismes de la cancérogenèse, ainsi que pour insérer dans les bactéries des gènes d’organismes supérieurs et accroître ainsi l’utilisation industrielle de ces bactéries. Paul Berg a décidé d’arrêter l’exécution de son programme de recherche (premier cas de moratoire sur une recherche en cours en biologie), et a lancé le fameux processus d’Asilomar, qui visait à contrôler les expérimentations. Plusieurs caractéristiques importantes doivent être notées. En premier lieu, les scientifiques étaient divisés sur la conduite à tenir. Certains craignaient que l’introduction, dans des bactéries aussi communes qu’Escherichia coli hôte naturel de l’homme, de fragments d’ADN de virus cancérigènes n’échappe à l’expérimentateur et n’entraîne des conséquences catastrophiques, incontrôlables et irréversibles. Il s’agit ici de l’espèce de peur qui est celle de l’incontrôlable et de l’irréversible, la peur de déclencher un incendie impossible à éteindre.
7Une deuxième caractéristique frappante dans le déroulement du processus d’Asilomar est la discussion qui eut lieu entre le biologiste le plus opposé aux recombinaisons génétiques, le prix Nobel Georges Wald, et le doyen de la faculté des Arts et Sciences de Harvard, Henry Rosovsky, au sujet de l’installation dans les locaux universitaires d’un laboratoire sécurisé de niveau P3. Cette discussion, qui eut lieu le 27 mai 1976, fut assez vive. Rosovsky finit par s’écrier à l’adresse de George Wald : « Quoi ? Vous êtes en train de me dire que c’est nouveau ? Vous êtes en train de me dire que vous avez peur de l’inconnu ? Je croyais que le but de la science était d’explorer l’inconnu. » En réalité, la connaissance ne se construit-elle pas, précisément, sur cette peur de l’inconnu ? Certes la connaissance s’entoure de toutes sortes de précautions. Mais elle progresse.
8Il y avait en réalité, dans le processus d’Asilomar, un enchaînement irrésistible qui réside dans le fait que pour établir un risque (procédure nécessaire dans la cité scientifique et dans une société démocratique) on ne peut pas ne pas expérimenter. De quels risques s’agissait-il ? Nous nous trouvons ici, philosophiquement parlant, devant une question très profonde. La conférence d’Asilomar s’est en effet trouvée confrontée à la question de savoir s’il était nécessaire d’adopter des règles différentes (et quelles règles) vis-à-vis des risques connus et des risques inconnus, hypothétiques, simplement allégués. En d’autres termes, les risques inconnus devraient-ils être l’objet de mesures de précaution plus ou moins strictes que les risques connus ? Cette question en impliquait également une autre : à qui revient la charge de la preuve ? A celui qui affirme un risque, ou à celui qui affirme l’innocuité de telle ou telle expérience ? Ce qu’il y a d’extrêmement intéressant ici est que l’opinion des responsables et des membres de la conférence d’Asilomar a varié, a oscillé d’une position à l’autre, et qu’un consensus s’est finalement dégagé. Pour comprendre dans quel sens l’opinion s’est finalement dirigée, il faut connaître la composition de la conférence. Elle était constituée pour l’essentiel de biologistes moléculaires entraînés dans le mouvement des biotechnologies de l’ADN recombinant, mais aussi de représentants de la société civile, personnalités qui n’étaient pas directement impliquées dans la recherche avancée, dont un professeur de médecine et droit. La position initiale de la conférence était la suivante : les risques associés à l’insertion d’ADN animal homologue de l’ADN viral dans Escherichia coli étaient inconnus, à la différence des risques associés aux virus cancérigènes, risques connus. Les deux choses étaient donc différentes. Les risques inconnus liés à l’insertion d'ADN animal homologue à de l’ADN rival oncogène (car telle était en l’occurrence l’une des questions posées) paraissaient a priori faibles. Les risques inconnus ou hypothétiques devaient donc être l’objet de mesures moins strictes que les risques avérés. Cette position très particulière, qui ne sera pas conservée par la suite, résulte d’un certain raisonnement. Les risques hypothétiques, non avérés, seraient moins probables que les risques avérés. Il y aurait des situations dans lesquelles l’absence de risque paraîtrait plus probable que le risque. A qui revient alors, dans une situation d’incertitude, d’hypothèse, la charge de la preuve ? A celui qui affirme un risque non avéré ou à celui qui en récuse la probabilité ou la gravité ? Si l’on admet que l’absence de risque est plus probable que le risque, c’est à celui qui affirme le risque d’en démontrer la réalité. Le risque doit être prouvé avant d’être contrôlé. En effet, le risque paraît contraire au cours habituel des choses, et c’est le moins probable qui doit être prouvé. Il revenait dont à ceux qui affirmaient un risque d’établir la plausibilité de leurs affirmations par un scénario. Cette attitude est différente de celle qui consiste à demander que l’on prouve l’absence de danger d’une expérience. C’est le danger plutôt que l’absence de danger qui doit être prouvé. Or, comment préciser un risque inconnu, et comment en évaluer la probabilité ? Cette question revient sans cesse, sous la même forme, qu’il s’agisse de chimères moléculaires comme à l’époque, ou d’organismes génétiquement modifiés comme aujourd’hui.
9Revenons aux deux termes de notre alternative. La position prise en 1974 par la commission Berg qui prépara la conférence d’Asilomar de février 1975 fut de dire que les risques inconnus doivent être l’objet de mesures moins strictes que les risques connus. Il est remarquable que la conférence d’Asilomar a conclu par l’opinion contraire, en raison de la présence de représentants de la société civile. Les risques inconnus, hypothétiques, non avérés, doivent être l’objet de mesures de protection encore plus strictes que les risques connus. Un juriste, Daniel Singer, déclara qu’il revenait aux chercheurs de démontrer l’innocuité de leurs projets d’expériences. L’absence de risque devait être prouvée tout autant que le risque. En outre, la responsabilité personnelle du scientifique dans la planification et l’exécution de ses recherches devait être considérée comme engagée. La conférence fut donc d’avis que les mesures de sécurité devaient être plus rigoureuses tant que les risques restaient mal connus. La conférence préconisait par ailleurs de ne pas poursuivre des expériences comportant des risques graves même dans les conditions de sécurité les plus rigoureuses. Cela dit, la conférence était d’avis que la plupart des risques potentiels de l’ADN recombinant étaient moins graves ou moins probables qu’on ne l’imaginait. Le but de la conférence était d’identifier les mesures de contrôle et non de recommander l’arrêt des expériences. En réalité – et d’une manière quelque peu paradoxale – la recherche en sortait grandement stimulée, et d’abord par l’effet de la charge de la preuve, la nécessité de prouver l’innocuité des expériences, donc d’expérimenter d’une façon ou d’une autre.
10On peut affirmer que la technologie de l'ADN recombinant, sous sa version de la synthèse par les bactéries de produits de gènes d’organismes supérieurs en grandes quantités, a été un succès plus rapide que prévu. La synthèse de l’insuline humaine par Escherichia Coli en 1978 a permis de résoudre des problèmes menaçants pour l’approvisionnement des diabétiques en insuline. Aujourd’hui, l’insuline recombinante a complètement supplanté l’insuline d’extraction. A partir de ce moment, en 1978, la querelle sur la biotechnologie de l’ADN recombinant s’est quelque peu estompée. Elle a repris avec la question des plantes génétiquement modifiées, sujet sur lequel, il faut bien l’avouer, certaines positions en présence paraissent excessivement passionnelles.
11Les thérapies géniques sont un autre exemple, médical, des possibilités et des problèmes contenus dans les biotechnologies de l’ADN recombinant. Elles consistent à insérer un gène normal dans un vecteur, par exemple un rétrovirus, susceptible de s’insérer dans un génome qui comporte un gène pathologique, avec l’idée que le gène normal va s’insérer définitivement et correctement et va corriger la fonction déficiente. Les thérapies géniques constituaient l’une des perspectives les plus séduisantes qui s’offraient dans la transition de la biologie moléculaire aux biotechnologies. Ces perspectives ont inévitablement suscité beaucoup d’appétits, parfois de précipitation, d’entreprises prématurées. Charles Nicolle, prix Nobel en 1928 pour ses travaux sur la transmission des maladies infectieuses, a dit de Louis Pasteur et de son premier essai de vaccination contre la rage : « Il était possédé de la témérité irrésistible qu’un délire sacré inspire au génie ». Louis Pasteur a cependant réussi, aidé par ses élèves. Les premiers qui aient tenté des thérapies géniques chez l’homme n’ont pas toujours été aussi heureux. Le décès de James Gelsinger en 1999 a constitué un accident. Le malade souffrant d’une déficience enzymatique est décédé au bout de quatre jours d’une réaction inflammatoire aiguë. Cependant d’autres participants au même essai clinique n’ont pas subi le même sort.
12D’autres essais ont eu lieu, avec un mélange de succès et de problèmes. Un médecin de l’hôpital Necker de Paris, Alain Fischer, a traité par thérapie génique des jeunes enfants porteurs d’une déficience immunitaire sévère traduisant un déficit dans la différenciation des lymphocytes (les « enfants bulles »). Pour traiter ces enfants, on introduit le gène normal, qui est déficient chez ces malades, dans un vecteur dérivé d’un rétrovirus. Le vecteur est ensuite utilisé pour infecter des cellules souches hématopoïétiques prélevées dans la moelle osseuse du patient, cellules souches ensuite réimplantées et qui vont pouvoir se différencier normalement en lymphocytes. Les résultats sont les suivants : tous les enfants ainsi traités sont guéris de leur immunodéficience ; certains d’entre eux développent ultérieurement un processus leucémique. Cela est explicable par le fait que les vecteurs rétroviraux s’insèrent dans le génome d’une manière incontrôlée. Il suffit qu’ils soient mal insérés pour produire des accidents chromosomiques qui vont entraîner le processus malin. Les leucémies des enfants peuvent cependant être traitées, et aucun des enfants de Necker n’est décédé. Les essais ont repris, avec d’autres techniques de transfert de gènes.
13La peur, bonne ou mauvaise conseillère ? Il n’est pas question de nier que la peur puisse être bonne conseillère, même si très souvent elle obscurcit le jugement. Mais en matière de recherche et d’essai, le problème est au moins double. D’abord la biologie, la médecine restent frappées d’une large imprévisibilité. Cette situation donne tout son sens à l’idée d’expérimentation, et fait que, ou bien l’on s’abstient d’agir, ou bien l’on expérimente en vue d’acquérir plus d’expérience et plus de certitude, de diminuer l’inconnu. De toute manière, il est difficile d’échapper à la situation expérimentale.
14Deuxième conséquence, corollaire de la première : il est indispensable d’entourer l’expérimentation de tout un contexte social. Or le problème de l’efficacité de ce contrôle se pose. L’expérience prouve qu’en matière d’affaires humaines l’efficacité du contrôle social n’est pas complète, même si elle est aujourd’hui très grande. Elle ne peut l’être pour des raisons assez profondes. Un parallèle avec les processus de réparation en biologie peut être tenté. Pour des raisons théoriques contraignantes, qui ont été étudiées, on ne peut réparer indéfiniment une cellule. Cela nécessiterait une régression à l’infini. Le système de réparation devant lui-même être réparé, le coût de la réparation deviendrait astronomique. La cellule finit de toute façon par mourir. De même, l’accident arrive par défaut de contrôle. Nous pouvons nous efforcer de le rendre le moins fréquent possible, en étant toujours en alerte. Mais nous devons aussi avoir une certaine confiance dans le côté positif de nos actions. Nous devons pratiquer une philosophie de la confiance, et non seulement de la défiance.
Auteur
Professeur à l’École normale supérieure
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Imaginaire et création historique
Philippe Caumières, Sophie Klimis et Laurent Van Eynde (dir.)
2006
Socialisme ou Barbarie aujourd’hui
Analyses et témoignages
Philippe Caumières, Sophie Klimis et Laurent Van Eynde (dir.)
2012
Le droit romain d’hier à aujourd’hui. Collationes et oblationes
Liber amicorum en l’honneur du professeur Gilbert Hanard
Annette Ruelle et Maxime Berlingin (dir.)
2009
Représenter à l’époque contemporaine
Pratiques littéraires, artistiques et philosophiques
Isabelle Ost, Pierre Piret et Laurent Van Eynde (dir.)
2010
Translatio in fabula
Enjeux d'une rencontre entre fictions et traductions
Sophie Klimis, Laurent Van Eynde et Isabelle Ost (dir.)
2010
Castoriadis et la question de la vérité
Philippe Caumières, Sophie Klimis et Laurent Van Eynde (dir.)
2010