« L’heuristique de la peur » ou qui a peur de Hans Jonas ?
p. 115-141
Texte intégral
1« La peur, bonne ou mauvaise conseillère ? » : l’alternative ne saurait être tranchée, que si on dispose déjà d’une expérience et d’une idée de la peur. Comment la peur nous vient-elle à l’idée ? D’Aristote à Hans Jonas, bien des philosophes se sont penchés sur cette question. Les philosophes, on le sait, sont des enfants attardés qui ont refusé de grandir. C’est pourquoi il me semble utile d’aborder notre problématique par le biais d’un « conte à dormir debout », ou plutôt, d’un conte qui parle des choses qui nous empêchent de dormir, comme c’est le cas de la peur.
2Mais avant d’en venir à celles-ci, j'aimerais, dans une improvisation libre, caractériser la problématique sous-jacente à l'heuristique de la peur à travers une digression littéraire.
1. Un conte : peut-on apprendre à avoir peur ?
3Dans une des premières études critiques parues en français sur le Principe responsabilité, je relève la formule paradoxale suivante : « Ce qui devrait faire peur ne fait pas peur1 » Le même paradoxe forme le thème d’un des contes les plus étranges et les plus fascinants du recueil des frères Grimm. Il s’intitule : Marchen von einem der auszog, das Fürchten zu lernen2. Dans la grande édition de 1857, il figure à la quatrième place (« De celui qui partit en quête de la peur », c’est-à-dire, dans une traduction plus littérale : « De celui qui partit pour apprendre à avoir peur »). Dans la traduction française de Marthe Robert, il est promu à la première place, ce qui indique probablement que les Français, descendants d’Astérix et Obélix, ont plus de mal que d’autres nations à apprendre à avoir peur ou à avouer leurs peurs L’intrigue du conte met en scène deux frères, l’aîné, présenté comme un garçon « avisé et intelligent », et le cadet, « sot, incapable de comprendre ou d’apprendre quoi que ce soit ». Sa sottise a sa racine dans un étrange handicap : il ne « sait » pas avoir peur, plus précisément encore, il est incapable d’éprouver le moindre frisson, alors que son frère aîné, en toutes sortes de circonstances, reconnaît un danger ou une menace à travers l’indice somatique correspondant : la « chair de poule ». C’est ce terme Gruseln (le frisson, et sa manifestation somatique la « chair de poule » qui se dit en allemand Gansehaut) qui est le leitmotiv du conte. De manière assez cocasse et paradoxale (du point de vue typologique, les spécialistes des contes classent ce conte dans le genre des Schwankmärchen, c’est-à-dire des contes drolatiques), le cadet ramène tous ses autres défauts, tels que sa paresse ou son manque d’intelligence, que son père lui reproche amèrement, à ce défaut fondamental : « Ils disent toujours : ça me donne la chair de poule, ça me donne la chair de poule ! Mais moi je n’ai pas la chair de poule. Ça doit encore être une de ces choses auxquelles je n’entends rien3 » (das wird wohl eine Kunst sein, von der ich auch nichts verstehe, ce qui veut dire, dans une traduction plus littérale : « Ça doit être encore un de ces arts auxquels je ne comprends rien »).
4Le philosophe qui lit ce conte se souviendra peut-être de la thèse aristotélicienne, dont on retrouve l’écho chez bien des auteurs médiévaux, d’après laquelle il y a un lien direct entre la finesse de la peau et la subtilité de l’intelligence. Ceux qui ont les « nerfs à fleur de peau » sont forcément plus intelligents que les pachydermes !
5Sommé par son père désespéré de commencer enfin son apprentissage, voilà que notre handicapé mental d’un genre assez spécial se décide à apprendre l’art étrange de frissonner. Presque jusqu’à la fin du conte, son processus d’apprentissage se solde par un échec. En effet, les nombreuses épreuves qu’il doit traverser, et qui le plongent dans des situations de plus en plus effrayantes, ne sont pas des épreuves pour lui, dans la mesure où il est insensible au danger mortel encouru.
6Le conte se termine, de manière apparemment classique, par un happy end. Au terme de ses épreuves, notre jeune homme finit par épouser une belle princesse et il devient le roi du pays jusqu’alors hanté par de mauvais esprits. Toujours pas guéri de son ancien mal, il continue à se lamenter : « Tout cela est fort bien, mais je ne sais toujours pas ce que c’est que d’éprouver des frissons. » Le véritable happy end survient à la fin du conte, quand la guérison, si ardemment désirée, se présente sous forme d'une cure de cheval, d'une « douche froide », tout simplement. Ce qui, formulé en termes d’apprentissage, donc de savoir, était un problème insoluble, trouve sa solution lorsque la servante de sa jeune épouse, une nuit, pendant qu’il dort, l’arrose avec un seau d’eau froide, rempli de goujons. Sentant la vie grouillante et frétillante autour de lui, il se réveille en frissonnant. C’est alors, sans l’avoir cherché, qu’il se rend compte qu’enfin il sait ce que c'est que d’éprouver du frisson ! (« Ja nun weiss ich, was Gruseln ist. »).
7Je laisserai aux psychanalystes (par exemple Bruno Bettelheim) le soin de donner une interprétation psychanalytique du conte, en l’occurrence d’ailleurs assez facile à deviner. Le philosophe phénoménologue sera plus intéressé par la phénoménologie implicite de l’affect de la peur sous-jacente à ce conte. Elle s’y présente sous un mode particulier, celui du sentiment de l’inquiétante étrangeté, que Freud analyse dans son célèbre article : « Das Unheimliche ». Il nous confronte à la situation-limite où les lignes de démarcation entre le vivant et le mort, l’animé et l’inanimé commencent à se brouiller. Les questions qui surgissent dans ce genre de situation ne concernent pas la capacité ou l’incapacité de faire un « travail de deuil » thématisée jadis par Alexander Mitscherlich, mais la capacité ou l’incapacité de faire la différence entre la vie et la mort, autrement dit, l’incapacité de reconnaître le phénomène de la vie, y compris la fragilité et la vulnérabilité qui le caractérisent.
8Dans le conte, le champ sémantique de la peur (couvert par les termes schaurig, gruseln, fürchten) est clairement axé sur l’éprouvé corporel et psychique du frisson4. Le fait que la traductrice française rende le même mot (Gruseln) tantôt par « chair de poule », tantôt par « frisson » n’est pas un hasard. La peur n’est peur que si elle nous atteint « à fleur de peau », c’est-à-dire si elle est éprouvée au niveau de ce que Didier Anzieu appellerait le « Moi-peau ». C’est ainsi que je suggère d’interpréter une marque de la peur qu’Aristote avait déjà soulignée dans sa Rhétorique : la peur n’est peur que si elle nous met en présence d’un danger qui s’approche de nous, qui nous serre ou nous talonne de près. Or c’est cette peur que notre vaurien, qui est en réalité un pachyderme, est incapable d’éprouver. A cet égard il ressemble aux nombreux pachydermes contemporains qui évoluent plus facilement dans le monde virtuel des ordinateurs que dans le monde réel de l’expérience incarnée.
9La cocasserie du conte repose sur la méprise catégoriale ou la confusion des genres qui est à l’origine de la quête du héros, dont tous les lecteurs ou auditeurs comprennent le ridicule. Ce qui prête à rire, c’est justement le fait qu’il voudrait apprendre, transformer en quête d’un savoir, ce qui, par définition, ne relève pas d’un processus d’apprentissage, et qui ne peut donc pas être l’objet d’un savoir : l’éprouvé, l’affection. On peut apprendre des représentations, mais non des affects. Paradoxalement, le héros du conte souffre de l’incapacité de souffrir, c’est-à-dire de ressentir en sa chair ce qui l’affecte. Et pourtant, il sait qu’il souffre d’un manque vital qui ne saurait être résolu au moyen du cercle vicieux de la question : « comment apprendre ce qui ne se laisse pas apprendre ? », qui est à l’origine de sa quête.
10L’incompréhension dont il « souffre » est en réalité un manque de sensibilité. Il est incapable d’éprouver un affect à même son corps, nous pourrions dire à fleur de peau. Étrange apprentissage, paradoxale aventure : comment apprendre ce qui ne s’apprend pas ? On comprend que la solution de son problème – qui est en réalité une « rédemption » – doit venir du dehors, dans une situation où il est pris au dépourvu et où ses défenses sont abaissées. Ce n’est d’ailleurs pas lui qui la trouve, mais elle s’impose à lui en un moment où il n’est plus maître de lui.
11Elle lui vient même doublement du dehors. C’est une servante qui la trouve, dont le rôle pourrait être comparé à celui de la servante de Thrace dans le Théétète de Platon, qui se moque du philosophe-astronome tombé dans le puits. En l’occurrence, ce puits, c’est le lit conjugal et c’est l’éprouvé purement somatique de la chair de poule qui déclenche l’affect si longuement cherché.
12C’est alors seulement que le héros du conte est en mesure de comprendre le titre que Hans Jonas a donné à un de ses articles : « Last und Segen der Sterblichkeit » (« Fardeau et grâce de la mortalité »). Car c’est maintenant qu’il comprend ce que Heidegger appelle le « caractère de fardeau » (Lastcharakter) du Dasein, qui est la marque distinctive des affects et de notre rapport à l’être. La vie peut certes être « pesante » et difficile à supporter. Mais ce fardeau est en même temps une bénédiction, car c’est ainsi qu’on devient capable de comprendre ce qui arrive aux autres, en entrant dans l’ordre de ce que Levinas appelle « l’un-pour-l'autre ».
13Dans l’espoir que cette interprétation philosophico-phénoménologique du conte nous a aidés à nous approcher d’un thème central de la pensée de Jonas, je voudrais maintenant me risquer à une sorte d’exégèse allégorique, ou un midrash, c’est-à-dire une sollicitation libre du sens du texte, prenant appui sur certains indices textuels. Je me contenterai d’une double variation imaginative sur le titre même du conte.
141. Einer der auszog, « quelqu’un qui partit », mais aussi quelqu’un qui sortit : cette formule, qui s’applique à un grand nombre de héros de contes, qui relatent l’histoire d’une quête, d’une aventure-épreuve, peut également s’appliquer à la biographie de Jonas. Dès 1933, il décidait de quitter sa patrie, aussitôt qu’elle fut tombée entre les mains des hitlériens. Beaucoup plus tôt que bien d’autres intellectuels, il « apprit à avoir peur », ce qui le vouait à un long exode et à une longue errance, qui impliquait une rupture avec la philosophie de Heidegger, dont l’analytique du Dasein avait profondément marqué ses premiers travaux sur la gnose et l’esprit de l’antiquité tardive. L’effroi s’empara de lui une deuxième fois à la fin de la guerre, lorsque, après avoir contribué à la libération de sa ville natale de Mönchengladbach, un voisin lui apprit que sa mère avait péri dans un camp d’extermination.
15Indépendamment de cette lecture biographique, nous pouvons appliquer la formule : « quelqu’un qui partit » non seulement aux nombreux héros des contes qui racontent l’histoire d’une mise à l’épreuve aventureuse, mais, dans une perspective plus philosophique, y reconnaître la définition même du Dasein heideggérien, que le « souci » voue à un perpétuel être-au-devant de soi-même ».
16C’est ce devancement de soi-même qui justifie la place primordiale que Heidegger attribue aux deux existentiaux fondamentaux du souci et de l’angoisse. Ce n’est que si l’homme devient capable de reconnaître la présence du souci, sous la double forme de la préoccupation tournée vers les choses, et de la sollicitude tournée vers autrui, que l’homme comprendra qui il est en réalité. Or, cette reconnaissance de soi-même passe par l’affect fondamental de l’angoisse qui nous fait éprouver l’inquiétante étrangeté (Unheimlichkeit) de notre être-au-monde. Il est d’autant plus important de marquer la place des affects dans une telle compréhension de l’existence humaine. Heidegger s’y est appliqué dans Sein und Zeit, attribuant aux affects une fonction de révélation ontologique. Ils rappellent que le Dasein ne peut se comprendre qu’en acceptant les aspects de son existence sur lesquels il n’a pas véritablement prise. C’est eux d’abord qui nous font comprendre notre vulnérabilité et notre absence de maîtrise5. Celui qui part pour apprendre à avoir peur est en réalité celui à qui l’angoisse, qui est l’affection fondamentale du Dasein, est encore étrangère et qui, à cet égard est certes invulnérable, mais aussi inhumain.
17Mais c’est également ici qu’apparaît le paradoxe énorme auquel nous confronte Jonas : ce qui, dans l’analytique existentiale heideggérienne, est l’expression de notre être-jeté (Geworfenheit), et de notre exposition au monde (Preisgegebenheit), peut-il faire l’objet d’un apprentissage et d’une quête ?
18Dans la seconde partie de Sein und Zeit, Heidegger place ces structures fondamentales de notre être-au-monde dans un horizon temporel, ce qui l’amène à mettre l’accent sur l’être-pour-la-mort et la résolution. C’est en ce point que Jonas s’écarte de Heidegger, en soulignant, en accord avec Hannah Arendt, l’importance de la « natalité » (Gebürtigkeit) autrement dit, « la propriété fondamentale de l’agir humain... consistant à faire entrer dans le monde à chaque fois et toujours de nouveau quelque chose de nouveau, qui n’a jamais encore été, quelque chose d’inattendu, de surprenant, c’est-à-dire d’imprévisible par principe6. »
19Par le fait même, la « résolution » comme catégorie fondamentale de la « voix de la conscience » comprise comme phénomène existential fondamental, revêt une nouvelle signification. Son vrai nom est maintenant : « responsabilité », phénomène originaire que Jonas illustre sur l’exemple de la responsabilité parentale et politique. Elle est d’abord la responsabilité des hommes pour d’autres hommes, qui a sa source dans la découverte du « caractère précaire, vulnérable, révocable – le mode tout à fait particulier du périssable – propre à tout vivant, auquel seul se laisse appliquer quelque chose comme une protection7 ». Ces formules ne désignent pas seulement la tâche fondamentale d’une éthique de la sollicitude ; chez Jonas, ces déterminations du devoir ont en même temps une portée ontologique dans la mesure où elles seules fondent l’être-ensemble des humains.
20Nous touchons ici au point où le fardeau et la bénédiction de la mortalité s’unissent intimement. Ce qui peut être ressenti comme un « fardeau » – qui, chez Levinas revêt la forme hyperbolique du poids insupportable de la « substitution » – devient une grâce à partir du moment où on comprend que c’est ainsi seulement que peut être préservée la dignité humaine : « Tout être vivant est sa propre fin qui n’a pas besoin d’une justification supplémentaire et, de ce point de vue, l’homme n’a aucun avantage sur d’autres vivants – si ce n’est que lui seul peut également avoir une responsabilité pour eux aussi, autrement dit celle de préserver leur fin propre. » (ibid).
21Revenons à notre conte. Comme dans la parabole évangélique du fils prodigue, cela vaut la peine de s’intéresser également au sort du fils aîné, qui est resté à la maison. La voix narrative le crédite des épithètes « prudent et intelligent » (klug und gescheit) qui le rend capable de « tout faire », mais aussi de tout accepter (wohl zu schicken). Qu’est-il devenu ? Le conte ne nous le dit pas. Mais dans mon midrash philosophique, on peut y reconnaître le portrait en miniature de Heidegger, dont la pensée tardive gravite autour du motif du « destin de l’être » (Seinsgeschick), mais qui, au moment où se décidait le destin du peuple allemand, a décidé de rester à la maison, en s’épargnant l’exode.
22Jusqu’à aujourd’hui, on ne cesse de discuter sur les dommages collatéraux – philosophiques et pas seulement politiques – de ce Sichschicken. Jonas, dont l’œuvre philosophique tardive veut nous apprendre à avoir peur, c’est-à-dire nous initier à « l’heuristique de la peur », ne cessera de débattre avec Heidegger, le fils aîné resté à la maison et devenu le « gardien de l’être ».
232. Pour comprendre encore mieux l’argumentation de Jonas dans le Principe responsabilité, essayons maintenant d’imaginer une version différente de notre conte, dont le titre serait alors : Von einem der auszog, das Fürchten zu verlernen. « De quelqu’un qui partit, pour désapprendre à avoir peur ». Ce titre se laisse appliquer à bien des contes du recueil des frères Grimm. Le fait qu’Ernst Bloch, qui déploie l’immense trilogie de son Principe espérance sous la bannière du vocable « Exode » (Auszug), découvre dans les contes les manifestations inchoatives de l’instinct utopique n’est pas un hasard. Sortir pour désapprendre à avoir peur, c’est-à-dire, pour l’exprimer positivement, pour apprendre à espérer, est la note fondamentale de cette pensée que Jonas soumet à une critique en règle dans le sixième et dernier chapitre du Principe responsabilité. Bien loin de constituer un combat d’arrière-garde, comme le pensent certains lecteurs de Jonas, le débat ne concerne pas seulement l’éthique, mais également l’ontologie. Jonas ne se contente pas seulement d’opposer la modération à l’immodération de l’utopisme. Il découvre le talon d’Achille de l’ontologie blochienne du « Pas-encore » dans la thèse du « caractère inauthentique de tout l’humain préalable8 ». Pour Bloch, la mortalité n’est pas une bénédiction, mais une malédiction dont l’humanité doit être libérée coûte que coûte.
24La « périssabilité » apparaît chez Bloch d’abord comme une « passibilité », c’est-à-dire le fardeau d’un passé que nous n’avons pas choisi, et qui est synonyme d’exploitation, d’asservissement d’aliénation et de tyrannie. Apprendre à ne plus craindre les oppresseurs, s’en libérer une fois pour toutes, tel est le motif mythique que Bloch retrouve dans tous les exodes qui jalonnent l’histoire humaine et qu’il déchiffre en les rapportant au mythe gnostique du salut par la connaissance.
25Mais de quel prix faut-il payer cette rédemption ? Dans les dernières pages du Principe responsabilité, cette question se fait de plus en plus insistante. Un passage, où Jonas interrompt son discours philosophique et argumentatif pour se transformer en narrateur, est particulièrement remarquable. La question n’est pas de nier que bien des aspects du passé sont réprouvables. Ce que conteste Jonas, c’est la thèse d’après laquelle le passé ne ferait que frayer la voie à un avenir meilleur. C’est en ce point décisif que sa conception de l’exode se distingue de celle de Bloch. Il illustre sa critique à l’aide d’un souvenir personnel : « Quand tout à fait sans m’y attendre, je me trouvais dans la sacristie de S. Zaccaria à Venise devant le triptyque des madones de Giovanni Bellini, s’empara de moi le sentiment : ici il y eut un instant de perfection et moi j’ai le privilège de le contempler, des millénaires l’avaient préparé, des millénaires durant, il ne reviendrait pas si l’on ne s’en emparait pas. L’instant où dans "l’équilibre fugace de forces immenses"9, l’univers a l’air de s’immobiliser pour le temps d’un battement de cœur, afin de rendre possible une suprême réconciliation de ses contradictions dans une œuvre humaine. Et ce que cette œuvre humaine retient, c’est le présent absolu en soi, pas un passé, pas un avenir, aucune promesse, aucune postérité, qu’elle soit meilleure ou pire, pas le pré-apparaître de quoi que ce soit, mais l’apparaître intemporel en soi10. »
26« Als ich, ganz unerwartet... » : c’est sur ces mots que s’ouvre l’évocation du souvenir personnel. Supposons que le héros du conte de Grimm ait eu la possibilité de raconter son histoire à ses enfants et ses petits-enfants. On ne peut pas imaginer meilleur début du récit que la formule : « Quand, sans m’y attendre... ». La formule contrecarre tous les horizons d’attente que Bloch retrace inlassablement. Jonas en titre une tout autre leçon : « Mais ces œuvres sont un don rare et nous ne devrions pas en profiter pour oublier les grands tourmentés à qui nous devons davantage encore (et autre chose qu’un enseignement relatif à un pas-encore). En elles aussi il y a la présence de l’homme. "L’imminence" est toujours là et à chaque fois elle est notre affaire, mais la projeter dans notre lecture des témoignages du passé pour notre bien et dans notre intérêt, comme si c'était seulement nous qui pouvions les conduire en nous au-delà d'elles-mêmes et vers leur destination, comme si elles nous avaient attendus ou à plus forte raison comme si elles avaient été "conçues" à notre intention, cela veut dire les dépouiller de leur droit propre – et nous de leur véritable don11. »
27D’après Jonas, la faille fondamentale de l’ontologie blochienne du Pas-encore-être réside dans son incapacité de prendre au sérieux l’ambivalence constitutive de l’être humain. « La vérité toute simple, ni exaltante ni accablante », lit-on dans le Principe espérance, « mais qui réclame toutefois une obéissance respectueuse, est que "l’homme authentique" existe depuis toujours – avec ses hauts et ses bas, sa grandeur et sa misère, son bonheur et ses tourments, sa justification et sa culpabilité – bref, dans toute son ambivalence qui est inséparable de lui. Vouloir l’abolir elle-même revient à vouloir abolir l’homme avec le caractère insondable de sa liberté. Grâce à celle-ci et au caractère singulier de chacune de ses situations il sera toujours nouveau et différent de ce qu'il était, mais jamais plus "authentique". Jamais non plus dispensé du risque immanent à l'être homme qui fait précisément partie de son "authenticité"12. »
28De quel prix faut-il payer la libération du passé que prône Bloch ? Que perdons-nous, quand nous prétendons laisser derrière nous toute forme de peur, et l’aveu de faiblesse qui s’y rattache ? Telle est justement la question qui ne cesse de hanter le dernier chapitre du Principe responsabilité.
2. Les voix critiques : faut-il avoir peur de Jonas ?
29Que perd-t-on quand on désapprend toute forme de peur et l’aveu de notre faiblesse et de notre vulnérabilité ? C’est autour de cette question que gravite le dernier chapitre du Principe responsabilité. La thèse d’après laquelle « même à l’avenir chaque satisfaction engendrera son insatisfaction, chaque avoir son désir, chaque patience son impatience, chaque liberté sa tentation – et même chaque bonheur son malheur13 », est caricaturée, si on présente Jonas comme l’une des nombreuses Cassandre qui nous mettent en garde contre les conséquences nuisibles du progrès, en nous inspirant une peur paralysante.
30Un fait qui ne cesse de m’étonner est qu’un grand nombre de lecteurs de Jonas le soupçonnent de vouloir jeter de l’huile sur le feu des peurs les plus irrationnelles qui hantent le tréfonds de nos âmes et que toute innovation technologique majeure réactive. Si cette lecture était la bonne, on comprend que Jonas fasse peur. Cette peur est dénoncée en toutes lettres dans un article polémique de Dominique Bourg, paru dans le dossier que la revue Esprit avait consacré en mai 1991 au thème des « Nouvelles responsabilités14 ». L’auteur termine son article par une critique sommaire, et sans concessions, des positions de Jonas. Ses thèses, écrit-il, non seulement « sont politiquement fausses, mais encore elles sont dangereuses15 ». Jonas lui apparaît comme un philosophe-roi, foncièrement anti-démocratique, dont la critique de l’utopie reste « entachée d'un utopisme sinistre16 ». On trouve l’écho du même verdict, exprimé de manière encore plus expéditive, dans le manifeste anti-écologiste de Luc Ferry intitulé Le nouvel ordre écologique.
31Les lecteurs français n’ont évidemment pas le monopole des réactions allergiques face à la pensée de Jonas. On trouve une argumentation semblable dans l'article du philosophe néerlandais Hans Achterhuis, paru dans l’ouvrage collectif : Hans Jonas, Nature et responsabilité, publié par Gilbert Hottois et Marie-Geneviève Pinsart17. Dans cette étude, l’auteur se propose d’entrecroiser d’une autre manière que Jonas les trois thèmes de la responsabilité, de la crainte et de l’utopie. Pour cela, il rappelle d’abord que la tradition utopique qu’il s’agit de critiquer prend son origine avec la Nouvelle Atlandide de Francis Bacon, où une sorte d’académie scientifique, la Maison de Salomon, se voit confier le projet « d’étendre les frontières de l’empire humain en réalisant tout ce qui est possible », y compris la création d’une « seconde nature », susceptible d’améliorer, et finalement de rendre superflue la nature originelle. Achterhuis rapporte ensuite – ce qui me paraît assez ambigu et problématique – l’entreprise de Jonas aux recherches de Jean Delumeau sur La peur en occident. Enfin, remontant au Léviathan de Hobbes et à John Locke, il montre que la meilleure manière de nous libérer de la peur perpétuelle qui a toujours accompagné l’humanité, est la création d’un État-Léviathan, mais aussi la mise en œuvre d’une problématique du progrès, de la croissance et de l'expansion.
32Sur cet arrière-plan, Achterhuis adresse trois questions critiques à Jonas : 1. L’heuristique de la peur est-elle capable d’imposer des limites à l’expansion et à la croissance, ou produit-elle l’effet inverse : une fuite en avant vers de nouveaux horizons utopiques encore à conquérir ? 2. Réussit-elle à prendre en compte la peur de la pénurie qui nous propulse en avant ? 3. Jonas discerne-t-il le lien intrinsèque entre la peur de l’apocalypse et l’utopie, autrement dit le fait que « la peur de l’apocalypse est une partie et une pièce de la tradition utopique18 » ? Ces trois questions convergent vers une question principale, « celle de savoir si l’heuristique de la peur peut conduire à la sorte de responsabilité qu’il recherche, au lieu d’être celle du philosophe-roi ou de l’écologiste-roi à l'égard de ses sujets19 ».
33Quoi qu’il en soit de la pertinence de ces questions, elles présupposent qu’on sache déjà ce que recouvre la notion d’une « heuristique de la peur ». Or, nulle part dans l’article de Achterhuis on ne trouve ne fût-ce que l’amorce d’une réponse à cette question, tout se passant comme si elle allait de soi. Que cela ne soit pas le cas, c’est ce que montre de manière brillante Bernard Sève dans son étude : « La peur comme procédé heuristique et comme instrument de persuasion20 ». A son avis, nous devons distinguer soigneusement deux usages de la notion de peur, l'usage heuristique, où la peur apparaît comme un instrument de connaissance, et l’usage rhétorique, où elle est utilisée comme un moyen de convaincre. Le mérite de cette analyse très serrée est qu’elle fait porter le débat sur l’entrecroisement de ces deux perspectives. Ce qui semble faire problème dans l’usage heuristique, c’est le fait que Jonas nous attelle à une tâche impossible : anticiper – et même éprouver par avance – un danger futur qui n’a pas d’analogie dans l’expérience passée21. L’examen de la fonction rhétorique et pratique de la peur découvre un paradoxe au moins aussi redoutable : celui de la « crainte désintéressée22 » qui semble sceller l’échec de la raison argumentative. Tout se passe comme si, faute de pouvoir convaincre les individus de limiter leurs désirs de plein gré, il fallait leur forcer la main en leur faisant peur. Mais d’une part, cette « politique de la peur » risque fort d’être inefficace ; d’autre part, elle scelle également l’échec de la rationalité politique. Bernard Sève conclut son étude critique en mettant le doigt sur ce qui lui paraît être une lacune majeure de la pensée de Jonas : son incapacité à prendre en compte la spécificité de la rationalité politique23.
3. Le paradoxe de l’heuristique de la peur : une peur inventive
34Pour évaluer le poids de ces critiques, essayons maintenant de relire les passages dans lesquels Jonas thématise la notion d’heuristique de la peur.
35Je commencerai par deux observations sémantiques.
a) L'heuristique ou l’art d’inventer
36La première remarque concerne le terme d’« heuristique ». Même si l’idée d’un art d’inventer (ars inveniendi) remonte à la philosophie et à la rhétorique grecques, tout comme « herméneutique » et « ontologie », le terme « heuristique » est un néologisme grec, créé au début des temps modernes. La première occurrence se rencontre chez Jungius, qui suggérait en 1622 de créer une société savante appelée Heuretica, qui aurait pour vocation de reconstituer les problèmes perdus de vue, d’en inventer de nouveaux et de résoudre ceux qui pour l’heure restent encore en suspens. Dans l’épistémologie contemporaine, le terme est d’un usage courant. On parle de la « valeur heuristique » de concepts, de principes, de procédures et de méthodes, dans la mesure où ils contribuent à élargir nos connaissances, sans qu’ils soient à même de pouvoir fonder la certitude des vérités ainsi découvertes. Comme le soulignent Popper et Lakatos, les erreurs elles-mêmes peuvent avoir une portée heuristique, pour autant qu’elles suscitent des expériences de pensée qui font découvrir des vérités nouvelles24.
b) « Peur » ou « crainte »
37Heuristik der Furcht : fallait-il traduire cette expression allemande par « heuristique de la peur », comme je l’ai fait, ou eut-il été préférable, pour éviter un certain nombre de malentendus, de traduire par « heuristique de la crainte » ? La question peut paraître spécieuse, mais elle ne l’est pas, car crainte et peur ne reviennent pas exactement au même. C’est ce que souligne Geneviève Hébert dans son bref et incisif éloge de la crainte paru dans revue Études25. Il est capital de ne pas perdre de vue la distinction sémantique entre la crainte et la peur, même quand il s’agit de s’interroger sur le sens exact de l’idiotisme largement répandu de nos jours : « Ça craint ». La crainte est intelligente, la peur est stupide, la première connaît ses raisons, la seconde est « sans pourquoi », etc. Nous pourrions continuer l’énumération des traits différentiels, en y incluant même la « crainte de Dieu » qui, selon les proverbes de la Bible, est le commencement de la sagesse.
38Les critiques de Jonas ont manifestement entendu dans l’heuristique de la peur la voix de la peur plus que la voix de la crainte, et c’est sans doute cela qui leur a fait peur, au point de leur faire oublier que dans cette expression, le mot « heuristique » est au moins aussi important, sinon plus important que le mot « peur »26. Tout traducteur se trouve confronté à des choix délicats qu’il est impossible d’inscrire dans la traduction retenue. Je sais bien que certains traducteurs rêvent d’une traduction qui serait en même temps son propre métalangage, c’est-à-dire qui refléterait directement les raisons qui font qu'on a donné la préférence à tel mot plutôt qu'à tel autre. Mais ce rêve est un leurre ; dans l’idée que je me fais de l’acte de traduire, c’est un rêve interdit. Le traducteur doit, lui aussi, assumer la précarité de ses choix, au lieu de revendiquer une infaillibilité absolue. Ce n’est qu’après coup qu’il pourra rendre raison de ses choix. Si, en l’occurrence, j’ai préféré le mot « peur » au mot « crainte », c'est parce qu’il me semblait mieux entrer en résonance avec la peur au sens de Hobbes, qui est un des grands théoriciens auxquels Jonas se réfère, tout en s’y opposant. Certes, on rencontre également sous sa plume quelques allusions à Kierkegaard et son écrit « Furcht und Zittern », traduit en français par « Crainte et tremblement ».
39Mais quoi qu’il en soit de la pertinence ou de la non-pertinence d’une traduction, c’est finalement le travail de l’interprétation de la pensée de l’auteur qui devra décider quel est le sens qui prédomine. Essayons donc de voir, par une analyse serrée des contextes dans lesquels Jonas développe ce thème, en quel sens l’heuristique de la peur est, ou n’est pas, plus proche de la crainte que de la peur.
40Le thème s’annonce comme une sorte de leitmotiv dès la première page de la préface de l’ouvrage. Après avoir déclaré que le territoire de la pratique collective dans laquelle nous sommes entrés avec la haute technologie est encore une terre vierge inexplorée de la théorie éthique, Jonas souligne la nécessité de nous procurer une première orientation. Aussitôt après, il suggère que la seule boussole que nous ayons à notre disposition est l’anticipation du péril lui-même. Il faut ici prêter attention au langage précis de l’auteur : vorausgedachte Gefahr. Ce n’est pas d’un danger imaginé, donc imaginaire, mais d’une pensée capable d’anticiper le danger, d’aller au devant des dangers réellement possibles que nous avons besoin. Là-dessus se greffe l’image des lueurs d’éclairs des orages futurs (Wetterleuchten aus der Zukunft). Contrairement à ce qu’on pourrait penser, elle n’est pas tirée de l’imaginaire apocalyptique. Elle explicite simplement l’idée que l’anticipation seule nous permet de découvrir des principes éthiques nouveaux. C’est alors que le mot « heuristique de la peur » est lâché : « Seule la prévision de la déformation de l’homme nous fournit le concept de l’homme qui permet de nous en prémunir. Nous savons seulement ce qui est enjeu, dès lors que nous savons que cela est en jeu27. »
41Le premier développement important de la notion se trouve au début du second chapitre. Une fois que nous avons compris à quel point l’essence de l’agir humain a changé, nous disposons d’une première idée du défi que les formes nouvelles de l’agir technologique lancent à la réflexion éthique. Le second chapitre, fondamental, s’occupe des questions des fondements et de méthode. De manière tout à fait classique, Jonas y affirme la priorité de la question des principes. Mais il est tout aussi persuadé que la réflexion sur les principes de l’agir moral dans une situation radicalement modifiée ne peut être déconnectée du savoir empirique relatif aux conséquences à long terme de l’agir technologique. Ce serait une erreur que de penser qu’il y aurait d’un côté le savoir des principes, les fondements de la morale, et de l’autre les applications particulières.
A. L’heuristique de la peur : premier mot de la quête de la vie bonne
42Après avoir établi dans le premier chapitre la nécessité de passer d’une éthique de la simultanéité et de la réciprocité à une éthique que nous pourrions appeler, en référence à un terme de Levinas, une éthique « diachronique » de l’avenir, Jonas affronte la question méthodologiquement décisive de savoir comment cette éthique peut réaliser la jonction entre le savoir idéal des principes et le savoir réel des conséquences à long terme de notre agir. C’est la question de savoir comment on peut passer de la doctrine des principes à la sagesse pratique ou casuistique, que Jonas envisage plutôt sous l’angle de la décision politique. Sa thèse est qu’entre le savoir (idéal) des principes et les applications casuistiques particulières vient s’intercaler le savoir empirique relatif aux conséquences à long terme de l’agir technologique28.
43Comment caractériser ce moyen terme ? C’est un savoir de type essentiellement hypothétique, portant sur de simples éventualités, fastes ou néfastes, répondant donc à la question générale : « A quoi faut-il nous attendre ? ». C’est cette question qui définit le lieu de « l’heuristique de la peur ». Ici nous découvrons une première originalité de la problématique de Jonas : l’heuristique de la peur est davantage tournée vers les principes mêmes de l’agir, que vers les applications concrètes. Jonas précise en effet qu’il s’agit d’une requête heuristique du savoir des principes29. Qu’est-ce à dire ? Le rôle dévolu à la peur renvoie à une thèse plus générale. L’expérience éthique comporte une négativité fondamentale : c’est toujours l’expérience des ravages causés par l’absence de certaines valeurs fondamentales qui est le révélateur de la signification positive de celles-ci. Ainsi, l’expérience du meurtre renvoie à l’idée du caractère sacré de la vie, l’expérience du mensonge, à celle de la vérité, l’expérience des multiples formes d’esclavage et de soumission, à celle de la liberté. A la liste de ces exemples donnés par Jonas, nous pourrions ajouter, en référence aux travaux de Paul Ricœur : seule l’expérience de l’injuste nous fait découvrir en creux l’idée positive du juste30. Face aux formes nouvelles de l’agir technologique et aux menaces qu’il recèle, la philosophie morale se trouve contrainte, dit Jonas, de consulter nos craintes préalablement à nos désirs, si elle veut établir ce qui compte réellement à nos yeux31. Il est d’autant plus important de prêter attention à la double remarque que Jonas ajoute aussitôt : ce que nous craignons le plus, n’est pas nécessairement ce qui est le plus à craindre ; et l’heuristique de la peur, même si elle est le premier mot de la recherche du bien, ne peut pas être son dernier mot.
B. L’obligation d’avoir peur et les « devoirs » de l’éthique de l’avenir
44Les considérations qui précèdent ont envisagé l’éthique dans une perspective qu’on peut qualifier d’aristotélicienne au sens large : désir de la vie bonne, avec et pour autrui, dans des institutions justes. Mais assez rapidement, Jonas introduit la perspective plus kantienne d’une réflexion sur les normes de l’agir. D’emblée, il formule les deux devoirs fondamentaux de l’éthique de l’avenir, qui, l’un et l’autre, présupposent l'heuristique de la peur.
45Le premier devoir est de nous procurer une représentation adéquate des conséquences à long terme de notre agir. Cela suppose que nous puissions faire preuve d’imagination, et d’une imagination d’un type particulier, exploratrice, chercheuse, inventive, donc heuristique. En effet, ces représentations ne s’imposent pas naturellement ; comme dans le conte de Grimm, il faut se mettre à leur recherche.
46A cela vient s’ajouter le devoir tout aussi fondamental de mobiliser des sentiments qui soient, si j’ose dire, à la hauteur des représentations. Nous comprenons alors mieux en quel sens la quête de Jonas peut être illustrée par le conte des frères Grimm cité plus haut. Le problème de Jonas est précisément un problème d’apprentissage : apprendre à avoir peur au double sens des représentations et du ressenti correspondant. C’est cette dimension heuristique qui distingue le plus, comme il le souligne lui-même, son traitement de la peur de celui de Hobbes. La peur de la mort violente dont parle Hobbes au chapitre 13 du Léviathan est naturelle et instinctive, nous pourrions également dire qu’elle est « pathologique » au sens de Kant. Elle est simplement l’ombre fidèle de l’instinct d’autoconservation. Ce serait une erreur fondamentale que de concevoir l’heuristique de la peur sur ce modèle, en supposant que nous projetions simplement notre instinct d’autoconservation sur les générations futures ou l’espèce humaine tout entière. Ce n'est pas un hasard si Jonas parle d’une peur de type « spirituel »32. L’expression n’a évidemment pas de sens « spiritualiste » ; elle souligne simplement la différence par rapport à la peur pathologique, qui est naturelle. La peur naturelle est viscérale, elle s’empare de nous, que nous le veuillions ou non ; la peur « spirituelle » doit être mobilisée, exercée (comme Descartes exerçant le doute hyperbolique), nous pourrions dire qu’il faut vouloir l’éprouver. Elle suppose la capacité de se laisser affecter, et qu’on accepte de se laisser affecter, acceptation dont certains critiques de Jonas semblent être incapables. Jonas lui-même reconnaît d’ailleurs explicitement que cette acceptation ne va nullement de soi.
47En dernière instance, se posera la question de la racine commune de ces deux devoirs. L’idée de responsabilité seule permet de les conjoindre. C’est ce que Jonas montre au chapitre IV, consacré à la théorie de la responsabilité qui forme le cœur de tout l’ouvrage. En elle, et en elle seule, l’affect et la représentation, deux facteurs qui risquent toujours de se dissocier, de faire bande à part, sont indissociablement liés.
C. Une tâche heuristique de la pensée
48En troisième lieu, il faut examiner le statut du savoir empirique qui assure la jonction entre le savoir des principes et les applications particulières. Ici encore, Jonas parle de manière insistante d’une obligation ou d’un devoir de pensée, d’une Denkpflicht33. La question devient alors celle du statut exact du savoir empirique relatif aux conséquences à long terme. Est-ce une simple affaire de calcul prévisionnel et de calcul de risques ? C’est ce qui se fait quand il s’agit de travaux publics à grande échelle, par exemple d’évaluer l’impact de la construction d’une ligne de TGV sur l’environnement ou de mettre en relation l’implantation d’une centrale atomique avec les données géologiques du sous-sol. Mais aux yeux de Jonas, deux facteurs viennent déranger ce tableau. D’une part, le caractère insondable des hommes, toujours capables de nous réserver des surprises, agréables ou désagréables. Personne ne saura jamais de quoi les hommes sont capables, pour le meilleur et le pire, par exemple les apprentis-sorciers de Tschernobyl et les pompiers de la même usine. D’autre part, il y a l’imprédictibilité des inventions futures. Ces deux facteurs élèvent le problème à un niveau qui déborde le calcul technologique des risques.
49Il ne faut jamais oublier que ce savoir porte sur de simples possibilités qui débordent la prédictibilité stricte. L’heuristique de la peur accomplit sa fonction heuristique en ne prenant pas seulement en compte ce qui est prévisible, mais en spéculant sur ce qui est possible. Elle devient alors ce que Jonas appelle curieusement une « casuistique heuristique, entreprise au service de la doctrine éthique des principes34 ». Comprise ainsi, elle est même doublement heuristique. Ses expériences de pensée sont conduites sous un double conditionnel : le conditionnel de la prémisse, « si nous faisons ceci, alors », mais aussi celui de la conclusion, « cela peut entraîner les conséquences suivantes ».
50On pourrait alors suspecter l'heuristique de la peur, qui spécule simplement sur des éventualités, de projeter son propre caractère hypothétique sur le savoir des principes lui-même, en le rendant incertain. Or, la thèse paradoxale de Jonas est qu’il n’en est rien. En réalité, le savoir probable et qui ne sera jamais que probable, relatif aux conséquences à long terme, renforce le caractère apodictique du savoir des principes.
51C’est également ici qu’on voit clairement la différence entre la casuistique traditionnelle du droit et de la morale, qui doit tester des vérités déjà découvertes sur des situations concrètes, par exemple trouver l'application juste d’une loi générale à un cas particulier35, et la casuistique imaginative dont parle Jonas : elle a pour vocation de détecter et de découvrir des principes non encore connus.
52On pourrait alors se demander quelle relation cette casuistique imaginative entretient avec la littérature de science-fiction. Jonas semble admettre que le côté sérieux de cette littérature consiste précisément dans le fait de développer jusque dans leurs conséquences les plus plastiques des expériences de pensée bien informées, comme Aldous Huxley a tenté de le faire dans son Brave New World36. Tout comme le fait Paul Ricœur37, il me semble parier sur les implications éthiques des récits de fiction ; et sans doute ne renierait-il pas la thèse de Ricœur selon laquelle « les expériences de pensée que nous conduisons dans le grand laboratoire de l'imaginaire sont aussi des explorations menées dans le royaume du bien et du mal.38 »
D. Craindre et espérer : deux visages inséparables de la responsabilité
53L’interprétation que je viens de proposer veut cerner l’originalité de l’idée d’une heuristique de la peur, qui nous voue à des expériences de pensée non moins audacieuses et paradoxales que le doute hyperbolique chez Descartes39. Pour finir, jetons encore un regard sur les dernières pages de l’ouvrage, où le thème de l’heuristique de la peur refait surface au terme de la longue discussion critique de la philosophie de Bloch.
54Cette critique s’effectue en trois temps. Jonas démontre d’abord l’impossibilité factuelle de l’utopie, liée à son manque total de réalisme. Contrairement au rêve de Bacon dans la Nouvelle Atlandide, il n'est pas vrai que la planète terre puisse être refaçonnée indéfiniment à notre guise. Le second argument est que l’utopie n’est même pas souhaitable, car toute tentative de traduire le rêve utopique (le rêve d’une société dans laquelle le travail serait aboli, et où tout le monde pourrait vaquer librement à ses loisirs), vire au cauchemar, dès qu’on s’imagine des populations entières transformées en pêcheurs à la ligne. Le troisième argument porte sur les présuppositions métaphysiques irrecevables qui sous-tendent le rêve utopique. Derrière l’ontologie blochienne du « Pas encore », Jonas débusque le vieux fantasme gnostique d’une humanité qui serait délivrée du poids et du fardeau du passé. Mais ici aussi, le prix à payer est trop lourd : on fait alors l’impasse sur ce que Jonas appelle dans une de ses conférences « le fardeau et la grâce d’être mortel40 ».
55Contrairement à ce qu’ont pu soupçonner certains critiques, le long débat avec Bloch n’est pas un divertissement, car, de même qu’un train en cache en autre, l’utopisme de Bloch n'est que la version eschatologique et radicalisée du rêve implicite de la technologie. Bloch ne fait que crier sur les toits ce qui se murmure tout bas dans les laboratoires de recherche. Aux yeux de Jonas, le Principe espérance a lui-même une fonction heuristique, dans la mesure où il permet de mieux comprendre en quoi consiste l’originalité de l’éthique de la responsabilité. C’est ce qu’expriment vigoureusement les dernières pages de l’ouvrage, intitulées « De la critique de l’utopie à l’éthique de la responsabilité ». Il ne s’agit pas seulement, dans la critique de Bloch, de réfuter l’« erreur de pensée » d’un philosophe ; il s’agit surtout, comme le souligne la première phrase du dernier paragraphe, de comprendre que l’alternative n’est pas : Ou bien le « Principe espérance », ou bien le « Principe peur41 ». Quelle que soit l’importance que la peur revêt dans la pensée jonasienne, sa fonction est purement heuristique, et non fondationnelle.
56Combattre le rêve utopique dans ses racines mêmes, est aussi bien une affaire de prudence que de simple décence à l’égard des générations futures42. Loin d’être un combat d’arrière-garde, la controverse avec Bloch forme, aux yeux de Jonas, le premier acte de l’éthique de la responsabilité elle-même, dans la mesure où la critique des rêves utopiques contribue à fonder au moins négativement l’éthique de la responsabilité.43 Est-ce à dire, puisque le mot de « prudence » vient d’être prononcé, que cette éthique manque de perspectives ? Nullement, car il s’agit de dégager un autre horizon que celui de l’espérance utopique, brillant au point de nous brûler les yeux. C’est ici qu’apparaît le mot de « clairvoyance » (Hellsichtigkeit), qu’on pourrait également traduire par « lucidité ». C’est une clairvoyance particulière, capable de discerner la précarité et la vulnérabilité des êtres et des choses.
57Son aspect « prudentiel » – l’idée jonasienne de la responsabilité n'est pas sans rapport avec la phronèsis aristotélicienne –, s’explique par le fait que, pour un temps au moins, il nous faut accorder la priorité à la conservation et à la protection. Cela ne revient-il pas à avouer que Jonas fournit un alibi à toutes les stratégies de repli conservatrices ? On devine en effet ce qui semble être la seule traduction politique de ce souci de conserver et de protéger : le moratoire imposé à la recherche dans certains domaines sensibles, touchant à la constitution humaine. Mais n’oublions pas de lire la suite du texte : pour Jonas, la fonction protectrice n’exclut pas la fonction de guérison et de l’amélioration, à condition que celle-ci soit modeste, c’est-à-dire quelle ait conscience de ses propres limites, ce qui distingue le bon médecin du charlatan44.
58Jonas précise enfin la finalité pratique de sa réfutation du rêve utopique. Son vrai but est de nous rendre responsables, et capables de prendre des initiatives responsables, au lieu de nous immobiliser. Paradoxalement, l’utopisme est un fatalisme tourné vers le futur. La riposte de l’éthique de la responsabilité est anti-fataliste. Nous sommes invités à rejeter le verdict de l’inévitable, fût-il placé sous l’autorité magistérielle de « la Science » ! Nous entrevoyons alors le lien avec la problématique de la sagesse pratique, qui est toujours affaire de jugement. Ce jugement nous incombe, car c’est à nous seuls qu’il appartient de décider si certaines perspectives nous font plutôt jubiler que frémir, autrement dit, de décider si nous voulons accélérer le processus ou le ralentir. Est-ce un hasard que ce soit justement une secte ufologique, la secte raëlienne, qui se soit proposée d’être la première à produire un clone humain, au tarif, assez abordable aux yeux de certains nantis, de 200 000 dollars pièce ?
59Si la critique de l’utopisme est déjà le premier acte de l’éthique de la responsabilité, cela veut dire que la peur tout comme l’espérance doivent être pensées comme les deux visages inséparables de la responsabilité. Ceux qui voudraient se débarrasser de la peur ne font que défigurer la responsabilité elle-même. Les dernières pages du Principe responsabilité nous encouragent à avoir le courage de nos faiblesses, et d’abord de nos craintes. Certains y suspecteront la pusillanimité des gens qui n’avancent qu’à reculons et l’angoisse de ceux qui craignent de perdre leurs acquis. Entendue ainsi, la peur inhibe nos possibilités d’agir ; elle nous empêche de prendre des initiatives. Nous serions alors dans la situation d’un homme politique étranger célèbre, à qui ses adversaires attribuaient la vertu de venir à bout des problèmes en s’asseyant dessus le temps qu’il fallait pour qu’ils ne se posent plus. Die Probleme aussitzen : rien n’est plus étranger à l’esprit de Jonas que ce type de mentalité, lui qui – première mise en pratique de l’heuristique de la peur – quittait l’Allemagne le jour même de la prise de pouvoir de Hitler. En revanche, en saluant d’un clin d'œil le beau titre d’un ouvrage posthume de Michel de Certeau (La faiblesse de croire), je dirai que Jonas nous invite à assumer la faiblesse de nos peurs comme une force.
60La peur, ainsi comprise, sera active et non passive. C’est ce que suggère la définition terminale de la responsabilité : elle est le souci d’un autre être, souci reconnu comme un devoir, qui devient, dès lors qu’il s’agit d’une menace dirigée contre sa vulnérabilité, sollicitude (Besorgnis). A cela fait écho, quelques lignes plus loin, la définition récapitulative de l’heuristique de la peur, qu’on lit à l’avant-dernière page du livre : « Comme potentiel... la peur est déjà contenue dans la question originaire avec laquelle on peut s’imaginer que commence toute responsabilité active : que lui arrivera-t-il, si moi je ne m’occupe pas de lui ? Plus la réponse est obscure, plus la responsabilité se dessine clairement. Et plus ce qui est à craindre est encore loin dans l’avenir, plus cela est éloigné de notre propre bien-être ou de notre malheur et plus cela est non-familier dans son genre, plus la lucidité de l’imagination et la sensibilité du sentir doivent être délibérément mobilisées à cet effet : une heuristique de la peur qui dépiste le danger devient nécessaire, qui non seulement lui dévoile et lui expose l’objet inédit comme tel, mais qui apprend même à l’intérêt éthique qui est interpellé par cet objet (alors qu'il ne l'avait jamais été auparavant) à se reconnaître lui-même45. »
61Dans cette formule conclusive, l’idée d’une heuristique de la peur, dont j’ai tenté de retracer le profil, se trouve encore renforcée par le qualificatif : détectrice (aufspürend). Tel est l’ultime message que Jonas adresse à ses lecteurs, au terme de son livre : faire preuve d’une lucidité imaginative et de sentiments sensibles à ce qui peut arriver à l’autre. Il n’y a de responsabilité active que pour ceux qui acceptent de devenir les « détectives » de la responsabilité ainsi comprise. Peut-être Jonas nous rend-il ainsi le même service que la servante du conte avait rendu au héros : c’est en nous prenant au dépourvu, qu’il nous apprend à avoir peur. Ceux qui traiteraient cette peur par le mépris, ne méritent pas, dit Jonas, que nous mettions notre sort entre leurs mains.
62Je terminerai ces réflexions par deux brèves remarques.
63La première concerne l’idée de responsabilité historique. Le 22 mai 1917, Franz Rosenzweig écrivit une lettre à son ami Eugen Rosenstock, qui s’était lancé dans des spéculations audacieuses sur les lois de l’histoire, en particulier la logique qui régit les grandes révolutions qu’a connues l’Occident. J’en extrais le passage suivant : « Tes spéculations arithmétiques sur l’histoire doivent contenir un grain de vérité, même si elles sont foncièrement impossibles. Impossibles, elles le sont parce que l’égalité numérique (des grandeurs et des distances) ne peut exister que dans l’espace. En effet, l’espace seul “se tient tranquille” et se laisse mesurer ainsi, tandis que le temps “s’enfuit”. Je crois que tes équations temporelles sont sous-tendues par des équations de temps de vie (des équations de génération) et c’est leurs lois qu’il te faut chercher. Comment en effet expérimentons-nous l’histoire ? A la maison, précisément. Non pas grâce à nos parents (ni sur nos parents) car, malgré tout, ils sont nos contemporains, comme le prouve le fait qu’ils nous donnent des fessées ! Pas non plus sur nos enfants – car nous devons leur donner des fessées, ce qui veut dire que nous les traitons comme nos contemporains. L’histoire, nous l’expérimentons au contraire sur nos grands-parents et sur nos petits-enfants. Ils sont nos monuments, et pourtant, ils se tiennent tout près de nous. Ils ne sont pas des contemporains, et pourtant, nous les voyons (et c’est justement cela, “l’histoire”). Il en résulte des séquences temporelles couvrant trois ou cinq générations. Trois pour l’expérience proprement dite, l’épreuve de l’histoire, et cinq pour le savoir historique, car le plus lointain que je puisse encore “savoir” au sens de l’imparfait grammatical, c’est ce que me raconte mon grand-père de son propre grand-père) et c’est cela qui définit ma conscience de soi historique (qui s’étend entre mon grand-père et mon petit-fils). Or, ces temps-là ne se mesurent pas en années, mais demandent à être mis en évidence sur des êtres de chair et de sang. »
64L’historicité, dirai-je avec Jonas, nous l’expérimentons aujourd’hui de plus en plus dans l’horizon d’une responsabilité croissante pour les générations futures. A nous de décider si les histoires qu’ils raconteront sur nous sont des histoires cauchemardesques, des histoires à vous faire froid dans le dos, parce que ce sont les histoires d’une génération qui refusait d’apprendre à avoir peur quand il le fallait. A nous aussi de décider, ajouterai-je, si notre irresponsabilité transforme nos arrière-petits-fils en Prügelknaben !
65Ma seconde remarque sera une brève méditation sur un timbre-poste. La Bundespost allemande a contribué à l’année Hans Jonas, où l’on commémorait le centenaire de sa naissance, en émettant un timbre-poste sur lequel on pouvait lire la version jonasienne de l’impératif catégorique : « Agis de telle façon que les conséquences de tes actions soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre ! ».
66Gardons-nous de prendre cet impératif à la légère, tant du point de vue théorique que du point de vue pratique ! Du point de vue théorique, il nous offre une nouvelle occasion de vérifier la fécondité de l’heuristique de la peur. Il nous oblige en effet à nous demander si cette permanence se confond avec la simple survie biologique de l’espèce homo sapiens sapiens. La juste compréhension de cet impératif dépend de l’idée que nous nous faisons de la « vie humaine » et du prédicat « authentique ». Soit on tirera les critères d’authenticité d’une tradition métaphysique ou religieuse, soit on s’attaque à la difficile tâche de les élaborer à nouveaux frais. Dans ce cas, l'heuristique de la peur se prolonge dans une « heuristique de l’authenticité » qui prend son départ avec nos expériences de l’inauthenticité.
Bibliographie
Bibliographie
Brüder Grimm, Kinder-und Hausmarchen, vol. 1, Darmstadt, WBG, 1996, p. 20-31 ; trad. Marthe Robert, Grimm, Contes, éd. Folio-classique, p. 29-42
Hans Jonas, Le Principe responsabilité, Paris, Ed. du Cerf, 1995.
Hans Jonas, Nature et responsabilité, Paris, Vrin, 1993.
Hans Jonas, « Le fardeau et la grâce d'être mortel » : Gilbert Hottois (ed.), Aux fondements d’une éthique contemporaine. H. Jonas et H T. Engelhardten perspective, Paris, Vrin, 1993, p. 39-52.
Hans Achterhuis, « La responsabilité entre la crainte et l'utopie » : Hans Jonas, Nature et responsabilité, Paris, Vrin, 1993, p. 37-47.
Gilbert Hottois (ed.), Aux fondements d’une éthique contemporaine. H. Jonas et H. T. Engelhardt en perspective, Paris, Vrin, 1993.
Peter Kemp, L'Irremplaçable. Une éthique de la technologie, Paris, Ed. du Cerf, 1997.
Bernard Sève, « La peur comme procédé heuristique et comme instrument de persuasion » : Gilbert Hottois (ed.), Aux fondements d'une éthique contemporaine. H. Jonas et H.T. Engelhardt en perspective, Paris, Vrin, 1993, 107-125.
Bernd Wllle, Ontologie und Ethik bei Hans Jonas, Philosophische Brocken III, Dettelbach, Verlag J.H. Röll, 1997.
Notes de bas de page
1 Bernard Sève, « Hans Jonas et l’éthique de la responsabilité » in Esprit, octobre 1990, p. 109.
2 Brüder Grimm, Kinder-und Hausmarchen, Erster Band, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1996, p. 20-31 ; trad. fr. par Marthe Robert, Grimm, Contes, éd. Folio classique, p. 29-42.
3 Trad. fr. p. 30.
4 Les trois termes : peur, frayeur, frisson (Furcht, Schrecken, Gruseln) sont mentionnés par Heidegger dans le contexte de son commentaire de la notion augustininienne de la curiosité, cf. M. Heidegger, Ga 60, p. 222.
5 Contrairement à ce que suggère Levinas, l'ontologie heideggérienne n'est pas une philosophie de la puissance, mais son contraire, une philosophie de la non-maîtrise, comme Heidegger le souligne vigoureusement dans son cours Einleitung in die Philosophie, Ga 27, Frankfurt, Klostermann, 1996, p. 328-331.
6 Hans Jonas, Le Principe responsabilité, trad. J. Greisch, Paris, Ed. du Cerf, 1991, p. 289 (p. 378 de l’édition allemande).
7 Ibid. p. 140 ; 184.
8 Ibid., p. 286 ; 374.
9 « Balance of colossal forces », c’est ce que dit Monsieur Stein dans le Lord Jim de Joseph Conrad, en lui désignant une œuvre d’art de la nature, un papillon rare d’une beauté parfaite.
10 Le Principe responsabilité, p. 292 ; 381.
11 Ibid.
12 Ibid., p. 293 ; 382.
13 Ibid.
14 Dominique Bourg, « Faut-il avoir peur de la bioéthique ? » in Esprit, mai 1991, p. 22-39, particulièrement p. 37-39.
15 Ibid. p. 38.
16 Ibid. p. 39.
17 Hans Achterhuis, « La responsabilité entre la crainte et l'utopie » : Hans Jonas, Nature et responsabilité, Paris, Vrin, 1993, p. 37-47.
18 Ibid. p. 45.
19 Ibid. p. 45.
20 Bernard Sève, « La peur comme procédé heuristique et comme instrument de persuasion » : Gilbert Hottois (ed.), Aux fondements d'une éthique contemporaine. H. Jonas et H.T. Engelhardt en perspective, Paris, Vrin, 1993, 107-125.
21 Ibid. p. 112-113.
22 Ibid. p. 119.
23 Ibid. p. 124.
24 Voir : H. Schepers, art. « Heuristik » in Historisches Wörterbuch der Philosophie vol. 3. (1974), 1115-1120.
25 Geneviève Hébert, « La bonne crainte » in Études, Janvier 1997, p. 67-70.
26 Cf. mon étude : « L’amour du monde et le principe responsabilité » in M. Vacquin (éd.), La responsabilité. La condition de notre humanité, Paris, Ed. Autrement, Série Morales no 14, 72-93.
27 PR 8 ; 13-14.
28 PR 62 ; 48.
29 PR 63 ; 49.
30 « Notre première entrée dans la région du droit n’a-t-elle pas été marquée par le cri : C’est injuste ! Ce cri est celui de l’indignation, dont la perspicacité est parfois confondante, mesurée à l’aune de nos hésitations d'adultes sommés de se prononcer sur le juste en termes positifs. » (Paul Ricœur, Le Juste, Paris, Ed. du Seuil, 1995, p. 11).
31 PR 64 ; 49-50.
32 PR 65 ; 51.
33 PR 66 ; 51.
34 PR 67 ; 52.
35 Pour une analyse magistrale de ce thème, voir : Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Ed. du Seuil, 1990, neuvième étude, « Le soi et la sagesse pratique : la conviction », p. 279-344.
36 PR 68 ; 53.
37 Soi-même comme un autre, p. 193-198.
38 Ibid. p. 194.
39 Pour ce rapprochement voir : B. Sève, « Hans Jonas et l’éthique de la responsabilité », art. cit. p. 78.
40 Hans Jonas, « Le fardeau et la grâce d'être mortel » in : Gilbert Hottois (ed.), Aux fondements d'une éthique contemporaine. H. Jonas et H.T. Engelhardt en perspective, Paris, Vrin, 1993, p. 39-52.
41 PR 390 ; 300.
42 PR 388 ; 298.
43 PR 389 ; 299.
44 PR 389 ; 299.
45 PR 391 ; 301.
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Professeur à l’Institut catholique de Paris
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