Éloigner la peur au seuil de la modernité : les interprétations humanistes de Montaigne et Cervantès
p. 43-66
Texte intégral
1La fin du Moyen Âge et la première modernité sont riches en événements dramatiques qui paraissent nouveaux, jamais vus, inouïs : la généralisation des guerres religieuses et des guerres de conquête, les famines et les pestes, la répression des juifs et des morisques, l’affirmation des puissances de l’islam en Méditerranée, les grandes mortalités tant en Europe que dans l’Amérique récemment découverte. L’angoisse de la mort a envahi toute l’Europe dès le xve siècle, des plus pauvres aux monarques, et les Danses de la mort en littérature et en peinture apparaissent comme une dénonciation des peurs et des injustices. Cette situation de crise majeure, où s’accentuent les souffrances individuelles et collectives, les misères de toutes sortes, la violence exercée par des hommes à l’encontre d’autres hommes, concerne désormais l’ensemble des groupes politiques et culturels. La crise annule les précieuses possibilités de distanciation. Tel est le pouvoir de ces événements : le pouvoir du danger, le pouvoir de la peur qui abolit toutes les zones de protection et toutes les différenciations. Cette dynamique de la peur fait que l’on tend à considérer que l’ampleur du drame est universelle. Un « destin » d’un genre nouveau apparaît au xvie siècle, que les écrivains et penseurs vont désormais prendre en compte, un destin auquel aucune performance ne permet d’échapper, que l’on soit habitant des villes ou des campagnes, clerc ou laïc, sujet ou prince. Ce destin est placé sous le signe de la peur et de la mort, et du mélange entre nature et société. Mais de quelle peur s’agit-il ? Qu’est-ce qui fait peur ? Comment puis-je me protéger et protéger les miens ? Comment passe-t-on de la notion de peur personnelle à celle de peur globale ? Est-ce qu’il y a une positivité de la peur ?
2Michel de Montaigne (1533-1592) et Miguel de Cervantès (1547-1616) sont deux écrivains importants de cette fin du xvie siècle, à la fois hommes d’action et penseurs, qui ont éprouvé la peur, qui ont réfléchi sur les événements dramatiques de leur temps et sur les puissances de l’imagination face à ces événements dramatiques. Une question centrale, existentielle s’il en est, traverse toute leur œuvre : à quelles conditions cet être fragile, contingent et soumis à l’émotion, à la violence et au changement, qu’est l’homme, peut-il être heureux ? Dans une perspective philosophique, si l’expérience est un point de départ, la raison s’affirme comme principe de l’action, comme condition essentielle de la suffisance à soi et de la maîtrise de soi, comme condition essentielle de la gestion de la peur liée à la finitude. Mais qu’est-ce que la raison ? Le courage, qui est l’une des principales vertus morales, s’accompagne d’une décision réfléchie et se détermine en fonction du bien et du bonheur. Humanistes, Montaigne et Cervantès ont réfléchi sur le langage et l’écriture, et leur pensée se nourrit des auteurs classiques, qu’ils les citent explicitement ou non. Leur réflexion sur les objets de la peur et sur les implications individuelles et collectives, politiques et morales de la peur s’inscrit nécessairement dans la ligne d’auteurs comme le philosophe grec Aristote, le savant Pline l’Ancien, le philosophe latin Sénèque. L’Éthique à Nicomaque d’Aristote, les Histoires Naturelles de Pline, le De Providentia de Sénèque constituent pour eux autant de textes fondateurs. Il importe donc de considérer ce qui pourra être dénommé comme l’archéologie de la notion avant d’examiner comment Montaigne dans les Essais et Cervantès dans le Quichotte, chacun à sa mesure, dans des ouvrages qui, en tant que tels, ont des statuts littéraires et philosophiques différents, traitent de la peur. Toute réflexion sur l’objet de la peur et sur la maîtrise de la peur comme émotion majeure aujourd’hui, alors que les cruels événements de Madrid, mais aussi de Londres ou de la guerre en Irak, etc., nous appellent à la vigilance, ne saurait se passer du travail de mémoire ou d’histoire. Montaigne et Cervantès nous donnent à penser aujourd’hui.
I
3Avec l’émergence d’une nouvelle conception de la raison dans la Grèce du ive siècle avant notre ère, un mode de penser philosophique se sépare de la tradition mythique et cherche des principes d’intelligence du réel. L’état précaire du royaume macédonien en proie aux luttes et aux violences amène le jeune Aristote à s’interroger sur les conditions du bien dans la cité. Arrivé à Athènes vers 366 avant J.-C., il se rapproche d’abord de Platon (428-347) et considère que le philosophe est appelé à soutenir la justice par tous les moyens qui sont en son pouvoir. Il cherche la vérité qui s’identifie au bien. La réélaboration autonome du sens par la raison – une telle pratique – témoigne d’une nouvelle attitude – vertueuse – de l’homme à l’égard du monde et de lui-même, à l’égard des événements de la nature et de la société ; l’homme reconnaît que le sens passe par lui et qu’il ne saurait être dans la dépendance d’affaires humaines, qu’il s’agisse d’événements ou d’émotions. Mais Aristote ne veut pas déterminer abstraitement l’essence de la vertu.
4Dans l’Éthique à Nicomaque, Aristote, qui montre que les vertus morales sont nécessaires au bien personnel et au bien politique, définit la peur comme l’un des trois termes d’une trilogie avec le courage et l’audace : « Le courage est un juste milieu entre la peur et l’audace... Pour parler en général, ce qui nous fait peur, ce sont les maux. Aussi définit-on ainsi la peur : l’attente du malheur. Nous redoutons donc tous les maux, tels que l’infamie, la pauvreté, la maladie, le manque d’amis, la mort ; néanmoins, l’homme courageux ne saurait avoir du courage contre tous les maux1 ». Mais, ajoute-t-il, s’il faut vraiment avoir peur de l’infamie, il ne faut pas avoir peur de la pauvreté ni de la maladie qui ne sont pas imputables au vice. Le philosophe remarque également qu’un homme lâche à la guerre peut être ferme dans la pauvreté, que celui qui a peur des outrages auxquels sont exposés sa femme et ses enfants n’est pas lâche, que celui qui garde son assurance sous la menace du fouet ne mérite pas pour cela le nom de courageux. Le mal le plus effrayant est la mort : « Ce qui est le plus effrayant, c’est la mort, qui est le terme final au-delà duquel il n’y a plus, semble-t-il, ni bien ni mal... Aussi peut-on légitimement déclarer courageux l’homme qui se montre sans peur en face d’une belle mort et devant les dangers soudains susceptibles d’entraîner la mort ; ceux-là se rencontrent tout particulièrement à la guerre. Néanmoins si l’homme courageux ne montre aucune peur aussi bien en mer qu’au cours des maladies, ce n’est pas à la manière des marins : lui désespère de son salut et accepte avec peine une pareille fin, tandis que les marins conservent l’espoir en raison de leur expérience de la mer2. » La peur des marins est donc positive, puisque, ayant l’expérience de la mer, ils peuvent espérer arriver au but qu’ils se sont fixés et donc vivre en ayant triomphé de leur peur et affirmé leur propre performance ; il ne s’agit pas d’une passive attente du malheur.
5S’interrogeant sur les sujets d’effroi qui « ne sont pas identiques pour tous », Aristote remarque qu’« il arrive que nous redoutions ce qui n’est pas effectivement redoutable ». Mais, dit-il aussi, « ce serait faire acte de folie ou d’insensibilité que de ne rien redouter, ni tremblement de terre ni vagues irritées », et l’on notera qu’il s’agit ici de dangers naturels. « Celui qui montre face aux dangers une confiance excessive est l’audacieux... celui qui ressent une peur excessive est lâche... Le courage est un juste milieu dans les cas où la confiance et la peur trouvent à se montrer3. » Évoquant Socrate contraint à boire la ciguë, Aristote mentionne la « science du courage » : « L’expérience, dans les cas particuliers, semble aussi être une éducatrice du courage. De là vient que Socrate parlait de la science du courage4. » Il y a différents types de peur, dus à la nature même du danger : « On fait preuve de plus de courage, quand on se montre sans peur et sans trouble devant un péril subit que devant un péril attendu. Le courage provient plus d’une habitude acquise que d’une préparation au danger5. » Selon Aristote, cette habitude acquise provient de l’éducation politique, c’est-à-dire d’« une saine éducation incitant à la vertu » dans le cadre de la Cité. L’évaluation exacte du danger, la pratique de la vertu de courage et donc la positivité de la peur sont déterminées par « les lois qui fixent les règles de l’éducation ». Aristote explique : « La loi est l’expression, dans une certaine mesure, de la prudence et de l’intelligence... La loi en prescrivant ce qui convient ne saurait nous peser... Il est excellent d’instituer une surveillance commune et raisonnable et surtout de lui donner de l'efficacité6 ».’L’homme possédant la science du législateur pourra donc contribuer à régler par les lois les préoccupations communes que sont les guerres, les maladies, la misère, etc. Par le moyen des lois les hommes peuvent généralement se perfectionner : « La nature porte la foule à obéir aux lois, moins par sentiment de l’honneur que par crainte7 ». La peur de la loi permet de combattre efficacement les peurs fondamentales. D’où l’importance du bon gouvernement, dont les institutions, les lois et les mœurs disent l’efficacité pour gérer les dangers redoutables, externes et internes, qui guettent les hommes et les sociétés et leur permettre de les affronter à l'improviste.
6C’est ce qu’Aristote examine plus précisément dans La Politique. La peur devient ici un outil du bon gouvernement démocratique : « Ceux qui ont le souci de la constitution ont le devoir d’entretenir des sujets d’inquiétude, pour que les citoyens, pareils à des sentinelles de nuit, se tiennent sur leurs gardes et ne se relâchent pas de leur vigilance en faveur de la constitution ; et à cet effet ils présenteront comme imminents les dangers éloignés ». Les dangers touchent en effet tous les domaines de la vie publique : ils sont politiques, économiques, sociaux, éthiques8. Aristote donne l’exemple d’une grande cité sise au bord de la mer, soumise aux arrivées continuelles d’étrangers, aux influences les plus diverses, aux trafics de toutes sortes, toutes choses éminemment redoutables.
7Au ier siècle après J.C., Pline l’Ancien (30-79) est un savant réputé et un voyageur, un homme de guerre, responsable des flottes romaines. Dans ses célèbres Histoires naturelles en trente-sept livres, qui constituent encore au xvie siècle l’un des fondements des savoirs, il décrit les merveilles du monde, merveilles qui peuvent parfois effrayer l’homme qui les comprend mal. Surtout, il souligne que c’est l’homme, avide et cruel, qui, en maltraitant et épuisant la terre attentive aux besoins humains, en s’emparant de ses métaux précieux, en tuant les poissons et les oiseaux, en portant atteinte à ses forêts et à ses plantes, la rend inhospitalière et vénéneuse. Il convient donc, de façon urgente, de changer les comportements des hommes, d’agir ici et maintenant : « Rien ne sert de s’interroger sur un au-delà que l’esprit humain ne peut même pas concevoir. » Dans un hymne aux merveilles du monde, il déclare : « La terre nous a proposé des remèdes à nos maux et nous en avons fait des armes contre la vie... Je porterai aussi au compte de l’ingratitude notre ignorance de la Nature si féconde, si généreuse, qui, alors que chaque jour dans le monde entier les incendies, les destructions, les naufrages, les guerres, les pillages exercent leurs ravages, malgré les dissipations du luxe de l’humanité entière, ne cesse de renaître depuis tant de siècles... Nos recherches ont rarement un but médical... Parlons des merveilles de la Nature plutôt que de ses méfaits possibles... Le miracle qui passe tous les autres, c’est bien que le jour de l’incendie universel ne soit pas encore arrivé, quand l’on sait que les miroirs concaves qui captent les rayons du soleil mettent le feu plus facilement encore que la flamme elle-même !9. » Pour les Stoïciens, le monde est en effet promis à un embrasement final, l’ekpy rosis, selon le principe que toutes choses sont nées du feu et se dissoudront par le feu. A cette idée est jointe celle d’un affaiblissement progressif de la terre qui doit se régénérer par le feu. Il y a là une menace terrifiante pour l’humanité, dont Pline l’Ancien, en tant que savant observateur des volcans du sud de la péninsule italienne, se fait l’écho. Rappelons que Pline mourra sous la pluie de cendres et de feu, lors de l’éruption du Vésuve le 24 août 79, à la fois curieux d’approcher le plus près possible du volcan et tentant de sauver par la mer des amis qui habitaient au pied de la montagne.
8Le Stoïcien Sénèque (vers –110 –65), originaire de Cordoue au sud de l’Espagne, est particulièrement apprécié des humanistes de la Renaissance pour ses aphorismes pénétrants. Dans le De Providentiel, il affirme, lui aussi, que la peur peut, paradoxalement, être positive pour l’être humain : « De ces différents points, le plus délicat à établir à l’évidence, c’est le premier : les événements qui nous font frémir sont profitables à ceux qu’ils frappent10. » Et encore : « Le dessein de la divinité – et c’est le dessein du sage – est de montrer que ce qui provoque la frayeur du vulgaire n’est jamais, dans l’absolu, un bien ou un mal ». Sénèque donne l’exemple extrême du jeune Phaéton qui ne craint pas d’avoir peur au risque de sa vie, puisqu’il échouera à conduire le char du Soleil d’Apollon, son père, qui l’a pourtant prévenu du terrible risque encouru. Sénèque met dans la bouche d’Apollon les vers d’Ovide : « La course doit m’élever jusqu’au milieu du ciel d’où bien souvent, moi-même, je ne puis contempler l’étendue des mers et des terres sans pâlir, ni sans que batte mon cœur épouvanté. Le voyage s’achève ensuite par une descente abrupte qui demande une main sûre. Alors m’accueillant dans l’étendue de son onde, Thétys la profonde craint toujours que je ne sois entraîné dans l’abîme ». On connaît la suite : Phaéton ne saura pas maîtriser les chevaux du Soleil et mourra, ayant failli embraser le monde. Sénèque admire Phaéton et déclare : « C’est le propre d’une âme vile et sans énergie de ne s’avancer qu’en terrain sûr : la vertu veut des sommets à escalader11. » La perspective de Sénèque est, en effet, celle de l’inéluctabilité de la mort : pourquoi avoir peur, puisque, de toutes façons, nous sommes voués à la mort : « Qu’un nœud coulant vous enserre la gorge, que les flots vous asphyxient, que vous vous fracassiez le crâne en vous jetant la tête la première sur le pavé, que des vapeurs délétères vous étouffent, peu importe le moyen : le résultat est prompt. Mais je vois que quelque chose te fait rougir : serait-ce d’avoir craint si longtemps une chose qui dure si peu ?12 »
9L’homme « vertueux » ne saurait donc avoir peur. « La sagesse ne montre-t-elle pas mieux sa force par la sérénité qu’elle garde quand on la harcèle... ? Certaines gens en arrivent à un tel degré de bêtise, note encore Sénèque, que ce n’est pas tant la vraie souffrance que la souffrance imaginée qui leur est pénible, comme les enfants qui ont peur d’une ombre, d’un masque grimaçant, d’un visage difforme, ou qui éclatent en sanglots en entendant un bruit inquiétant, en voyant des doigts qui font un geste étrange, ou d’autres gestes brusques qui les prennent par surprise et les font prendre leurs jambes à leur cou13 ». Toute peur, selon Sénèque, est donc le fruit de l’imagination. « Le sage, lui, ne peut rien perdre ! Il n’a d’autre bien qu’en soi-même14. » Et le philosophe donne ici l’exemple du sage Stilpon, qui, ayant perdu son patrimoine, ses filles et sa patrie, considérait qu’il avait encore tous ses biens et défiait l’ennemi vainqueur.
10« Vouloir vivre/Quand Dieu veut qu’on meure/Est folie », disent à leur tour les poètes de la première modernité, à la suite de Sénèque, tel le chevalier Jorge Manrique dans l’Espagne de la fin du xve siècle, contemplant le cadavre de son père15. Comment apprivoiser le mourir, si ce n’est en conjurant les peurs, si ce n’est en travaillant à l’instauration d’une société plus juste où les hommes puissent vivre ensemble en paix ? En ce xvie siècle marqué par les drames et les violences de toutes sortes, il est significatif que les romans de chevalerie séduisent, grâce à l’imprimerie, un public toujours plus nombreux, en le réconfortant de manière surannée, puisque les chevaliers ne cessent de parcourir des pays ravagés par les guerres ou par les pestes, afin de défendre les exclus, étrangers, affamés, malades, femmes ou orphelins. Les hommes et les sociétés, aux prises avec les guerres, les pestes ou les famines, ne cessent en effet d’éprouver leur fragilité, cependant que les monarchies sont soucieuses d’affirmer leur pouvoir. Les humanistes sont conscients de ces problèmes. Juan Luis Vives écrit à Érasme le 10 mai 1534 : « Nous passons par des temps difficiles, où l’on ne peut ni parler ni se taire sans danger16 ». Érasme recommande la dissimulation. Montaigne, dans ses Essais, évoque à peine le grand conflit entre François Ier et Charles Quint, entre la France et l’Espagne, et n’adopte aucune position partisane. Gentilhomme d'Henri de Navarre, il ne mentionne jamais le nom de Calvin, même s’il cite des calvinistes français ou étrangers. Cervantès, pour sa part, dans le Quichotte qui est une parodie de roman de chevalerie, où la folie croise la sagesse sans que l’on sache ce qui est folie et ce qui est sagesse, ne manque pas non plus de présenter les misères sociales et politiques de son temps, évoquant par exemple les drames familiaux liés à l’expulsion des morisques.
II
11Les Essais de Montaigne s’ouvrent sur la douloureuse certitude de l’inconstance de l’homme : « Certes, c’est un subject merveilleusement vain, divers, et ondoyant, que l'homme17 »’Dans les premiers essais du premier livre, sans doute les plus anciens, reviennent de façon insistante les images des corps morts, corps d’ennemis vaincus ou corps d’êtres chers. Montaigne cherche-t-il alors à surmonter « cette morne, muette et sourde stupidité qui nous transit, lorsque les accidents nous accablent, surpassant notre portée18 » (I, II « De la tristesse ») ? Il est pourtant bien éloigné des méditations traditionnelles de la mort. Il n’exprime jamais d’horreur devant l’image du cadavre appelé à subir la corruption. Ce qui le préoccupe, c’est la permanence de l’être contre et après la mort, dans son énergique réalité à la fois psychique et physique. Il s’agit de vivre malgré l’horreur monstrueuse des guerres, l’emportement fanatique des différentes confessions, l’absurdité criminelle des dissensions qui séparent souvent les membres d’une même famille. Un frère de Montaigne, ses deux sœurs, sans doute sa mère sont convertis au protestantisme. Montaigne note : « En cette confusion où nous sommes depuis trente ans, tout homme françois, soit en particulier soit en général, se voit à chaque heure sur le point de l’entier renversement de sa fortune. D’autant faut-il tenir son courage fourny de provisions plus fortes et vigoureuses19. »
12Plus loin, Montaigne rappelle que : « Nous tenons la mort, la pauvreté et la douleur pour nos principales parties. » Tels sont bien, de fait, les principaux sujets des peurs des hommes. Mais le bon sens, qui est aussi la raison, doit permettre à l’homme de triompher de ses peurs. Montaigne se réfère ici à la philosophie grecque : « Les hommes, dit une sentence grecque ancienne, sont tourmentez par les opinions qu’ils ont des choses, non par les choses mesmes. Il y auroit un grand poinct gaigné pour le soulagement de nostre misérable condition humaine, qui pourroit establir cette proposition vraye tout par tout. Car si les maux n’ont entrée en nous que par nostre jugement, il semble qu’il soit en nostre pouvoir de les mespriser ou contourner à bien20 ». La peur varie selon les hommes, elle ressortit à T« imagination » ou à l’« opinion ». « Si les choses se rendent à nostre mercy, pourquoy n’en chevirons nous, ou ne les accommoderons nous a nostre advantage ? Si ce que nous appelons mal et tourment n’est ny mal ny tourment de soy, ains seulement que nostre fantasie luy donne cette qualité, il est en nous de la changer21. »
13Montaigne consacre à la peur l’un de ses premiers essais, écrit vers 1572, ce qui montre bien l’importance qu’il attache à cette réalité de la vie des hommes et des sociétés. Il place la peur dans la catégorie des passions, comme le fera Descartes au xviie siècle. L’essai intitulé « De la peur » comporte en exergue une citation de l’Enéide de Virgile, rappelant que la peur produit des effets physiques tout à fait remarquables : « Obstupui, steteruntque comae, et vox faucibus haesit » (II, 774), c’est-à-dire « Je demeurai stupide, mes cheveux se dressèrent, ma voix s’arrêta dans ma gorge ». Montaigne livre d’abord ses propres observations : « Je ne suis pas bon naturaliste (qu’ils disent) et ne sçay guiere par quels ressors la peur agit en nous ; mais tant y a que c’est une estrange passion : et disent les medecins qu’il n’en est aucune qui emporte plustost nostre jugement hors de sa deuë assiette. De vray, j’ay veu beaucoup de gens devenus insensez de peur : et aux plus rassis, il est certain, pendant que son accés dure, qu’elle engendre de terribles esblouissemens. Je laisse à part le vulgaire, à qui elle represente tantost les bisayeulx sortis du tombeau, enveloppez en leur suaire, tantost des Loups-garous, des Lutins et des chimeres. Mais, parmy les soldats mesmes, où elle devrait trouver moins de place, combien de fois a elle changé un troupeau de brebis en esquadron de corselets ? des roseaux et des cannes en gens-d’armes et lanciers ? nos amis en nos ennemis ? et la croix blanche à la rouge ?22 ».
14La peur modifie donc le jugement et les perceptions, pouvant provoquer éblouissements et hallucinations diverses. Montaigne donne ensuite plusieurs exemples de comportements dus à la peur, le premier cité s’étant produit lors de la prise de Rome par les troupes impériales du connétable de Bourbon en 1527, et l’on sait quel fut l’horrible « effroy » suscité dans toute la chrétienté par cette prise de la ville sainte qui est perçue comme un sacrilège. Les effets physiques, parfois opposés, de la peur sont ainsi décrits : « Et au mesme siege fut memorable la peur qui serra, saisit et glaça si fort le cœur d’un gentil-homme, qu'il en tomba roide mort par terre à la bresche, sans aucune blessure.
15Pareille peur saisit par foys toute une multitude. En l’une des rencontres de Germanicus contre les Allemans, deux grosses trouppes prindrent d’effroy deux routes opposites, l’une fuyoit d’où l’autre partoit. Tantost elle nous donne des aisles aux talons comme aux deux premiers ; tantost elle nous cloüe les pieds et les entrave, comme on lit de l’empereur Théophile, lequel, en une bataille qu’il perdit contre les Agarenes, devint si estonné et si transi, qu’il ne pouvoit prendre party de s’enfuyr : adeo pavor etiam auxilia formidat...23. »
16La citation est ici de Quinte-Curce : « Tant la peur s’effraie elle-même des secours ».
17Montaigne remarque ensuite que la peur peut provoquer des prouesses inattendues :
18« Lors exprime elle sa derniere force, quand pour son service elle nous rejette à la vaillance qu’elle a soustraitte à nostre devoir et à nostre honneur24. »
19Et il donne l’exemple d’une armée qui, prise d’épouvante, a acquis la gloire de massacrer ses ennemis en s’enfuyant. Il est clair que, dans ce cas, le pouvoir d’attraction de l’opinion qu’est la peur a crû avec le nombre d’individus qui la partageaient.
20Avec beaucoup de subtilité, Montaigne note encore que la peur n’est souvent pas ressentie, quand on se trouve dans la situation même qui la provoque :
21« Ceux qui auront esté bien frottez en quelque estour de guerre, tous blessez encor et ensanglantez, on les rameine bien le lendemain à la charge. Mais ceux qui ont conçeu quelque bonne peur des ennemis, vous ne les leur feriez pas seulement regarder en face. Ceux qui sont en pressante crainte de perdre leur bien, d’estre exilez, d’estre subjuguez, vivent en continuelle angoisse, en perdant le boire, le manger et le repos : là où les pauvres, les bannis, les serfs vivent souvent aussi joyeusement que les autres. Et tant de gens qui de l’impatience des pointures de la peur se sont pendus, noyez et precipitez, nous ont bien apprins qu’elle est encores plus importune et insupportable que la mort25. »
22La peur est liée à la représentation que l’on se fait du danger, à cette « attente » du danger dont parlait Aristote. Mais il y a aussi, selon les Grecs, dit Montaigne, des peurs ou « terreurs paniques », qui n’ont pas de cause apparente et ne s’apaisent que « par oraisons et sacrifices » aux dieux : « On voyait les habitans sortir de leurs maisons, comme à l’alarme, et se charger, blesser et entretuer les uns les autres, comme si ce fussent ennemis qui vinssent à occuper leur ville26 ». Comment ne pas penser ici, très précisément, à l'horrible massacre de la Saint Barthélemy qui eut lieu à Paris en 1570 et que Montaigne ne saurait mentionner !
23Telle est la description des phénomènes de la peur par Montaigne qui avoue que, « ce dequoy » il a, lui-même, « le plus de peur que la peur », c’est précisément de cette modification du comportement, de cette perte de sens, qui fait que l’on ne peut plus satisfaire au devoir ni à l’honneur ni à la dignité. Comment apprendre à réagir aux événements terrifiants ? Comment trouver des modèles de comportement dans une époque si troublée ? A l’occasion de la terrible peste de 1585, Montaigne observe les comportements des paysans : « Quel exemple de resolution ne vismes nous en la simplicité de tout ce peuple ? Les raisins demeurerent suspendus aux vignes, le bien principal du pays, tous indifferemment se preparans et attendans la mort à ce soir, ou au lendemain, d’un visage et d’une voix si peu effrayée qu’il sembloit qu’ils eussent compromis à cette nécessité...27 »
24Lui-même, en tant que seigneur de Montaigne, a fait l’expérience de la peur. Il raconte ainsi, non sans fierté, deux « expériences » qu’il place dans l’essai « De la phisionomie ». Un seigneur voisin, profitant des troubles de la guerre civile, a été sur le point de s’emparer de ses biens : « Je n’ignorois pas en quel siecle je vivois, combien ma maison pouvoit estre enviée, et avois plusieurs exemples d’autres de ma cognoissance à qui il estait mesadvenu de mesme28 ». Montaigne, l’ayant laissé pénétrer chez lui avec ses gens armés et n’ayant aucun recours, décide de s’en remettre, dit-il, à la fortune, qui serait aussi la providence selon Sénèque, cette providence ou divinité qui ne saurait être malveillante envers l’homme de bien : « A la vérité, je suis peu deffiant et soubçonneus de ma nature ; je penche volontiers vers l’excuse et interprétation la plus douce ; je prens les hommes selon le commun ordre, et ne croy pas ces inclinations perverses et desnaturées si je n’y suis forcé par grand tesmoignage, non plus que les monstres et miracles. Et suis homme en outre qui me commets volontiers à la fortune et me laisse aller à corps perdu entre ses bras29 ». Le voisin renonce alors à sa traîtrise : « Souvant depuis il a dict, car il ne craingnoit pas de faire ce compte, que mon visage et ma franchise luy avoient arraché la trahison des poincts30. » La deuxième expérience relatée par Montaigne est la suivante : alors qu’une trêve entre les belligérants a été décrétée et qu’il se trouve en voyage, il est arrêté sur son chemin par des « gentils-hommes masquez », dévalisé, menacé de mort, parce qu’il refuse de promettre une rançon en échange de sa vie sauve. Montaigne ne parle pas de sa peur mais cite seulement, de façon éloquente, le vers de l’Enéide de Virgile (VI, 261) : « Tunc animis opus, Ænea, tune pectore firmo » – « C’est alors qu’il te fallut du courage, Énée, alors qu’il te fallut un cœur ferme ». La situation change finalement en sa faveur : « Je vis revertir à moy le chef avec parolles plus douces, se mettant en peine de rechercher en la troupe mes hardes escartées... Le meilleur présent qu’ils me firent ce fut en fin ma liberté... Le plus apparent, qui se demasqua et me fit cognoistre son nom, me redict lors plusieurs fois que je devoy cette delivrance à mon visage, liberté et fermeté de mes parolles31. »
25Il est connu que la peur de la victime potentielle du violent avive le comportement de violence de ce dernier. Et l’on peut ainsi méditer l’avertissement de Hans Jonas : « Ce qui a été commencé nous ôte l’initiative de l’agir et les faits accomplis que le commencement a créés s’accumulent pour devenir la loi de sa continuation... Cela renforce l’obligation de veiller aux commencements, accordant la priorité aux possibilités de malheur fondées de manière suffisamment sérieuse (et distinctes des simples fantasmes de la peur) par rapport aux espérances, même si celles-ci ne sont pas moins bien fondées32 ». L’attitude de Montaigne s’avère efficace et il convient de rappeler que, durant toute la période des guerres, il a tenu à ne jamais fermer sa maison, ne craignant pas non plus de partir en voyage.
26Cette liberté et fermeté de ton et de caractère sont aussi des qualités politiques qui doivent permettre de maintenir la paix. Montaigne ose faire l’apologie d’un personnage de l’Antiquité, dont la mémoire a été flétrie par les historiens chrétiens, « l’empereur Julien surnommé l’Apostat », « qui avait son ame vivement tainte des discours de la philosophie ». Ce qui caractérise l’empereur Julien est précisément de se préparer constamment au danger et d’avoir cette vigilance, mentionnée par Aristote : « Il vivoit toujours un vivre soldatesque, et se nourrissoit en pleine paix comme celuy qui se préparait et accoustumoit à l’austerité de la guerre. La vigilance estait telle en luy qu’il departoit la nuict à trois ou à quatre parties dont la moindre estait celle qu’il donnoit au sommeil... Nous n’avons guere memoire d’homme qui ait veu plus de hazards, ny qui ait plus souvent faict preuve de sa personne33 ». Suivant la doctrine de Sénèque, l’empereur Julien « devoit a la philosophie un singulier mespris en quoy il avoit sa vie et les choses humaines. Il avoit ferme creance de l’eternité des âmes34. » De fait, sa mort est admirable. Suivant ce que préconise également Aristote pour sa Cité idéale, l’empereur a fait lui-même de bonnes lois ; il a favorisé la liberté de conscience, en entretenant les peurs mutuelles des différentes factions, afin d’empêcher que le peuple, divisé sur le plan religieux, ne s’unît sur le plan politique contre lui, garant de l’ordre politique, et ne nuisît ainsi à la paix globale de l’État : « Ce qu’il sollicitait avec grand soing, pour l’esperance que cette licence augmenterait les parts et les bigues de la division, et empescheroit le peuple de se réunir et de fortifier par conséquent contre luy par leur concorde et unanime intelligence ; ayant essayé par la cruauté d’aucuns Chrestiens qu’il n’y a point de beste au monde tant à craindre à l’homme que l’homme ».
27L’homme est bien pour l’homme le sujet de peur majeur35 ; telle est la découverte majeure, la conviction désormais dominante, de la première modernité ; les débordements de la nature sont bien moins que redoutables que les agissements de l’homme. Ainsi, pour le politique, entretenir les peurs des sujets les uns par rapport aux autres, c’est contrôler la paix et la sécurité globales de l’État, garantir la liberté de tous. La communauté politique doit être une communauté d’hommes libres. La peur donne ici la capacité de l’institution politique. Montaigne évoque les récentes décisions politiques des rois de France qui vont dans ce sens36. Si l’expression des différentes factions se trouve favorisée, il n’y a pas de laissés-pour-compte susceptibles de développer par ressentiment des agressions. Ainsi s’invente un autre mode de rapport au monde, à la nature, aux choses et aux êtres, qui a la propriété de pouvoir être universalisé à l’échelle de l’humanité.
III
28Le Don Quichotte de Miguel de Cervantès est un roman de chevalerie et, à ce titre, il met en scène les prouesses d’un chevalier accompagné de son serviteur. Mais c’est aussi un libro de burlas, un livre facétieux, puisque le chevalier qui en est le héros a la cervelle dérangée par la lecture des livres de chevalerie, précisément. La peur est présente, intensément, comme ressort de l’action, et, en tant que telle, elle contribue à conférer au roman un apparent réalisme. Le commencement de l’essai « De la peur » de Montaigne trouve dans le Quichotte son application directe. Don Quichotte est celui qui, de fait, voit un « escadron de corselets » à la place d’un « troupeau de brebis » : « Quant à la poussière qu’il avait vue, elle était soulevée par deux grands troupeaux de brebis et de moutons... Et don Quichotte affirmait avec tant de force que c’étaient des armées que Sancho finit par le croire37 ». Mais comme Sancho avoue aussi qu’il n’entend que bêlements de brebis et de moutons, le chevalier lui donne cette définition des effets de la peur : « La peur que tu as, Sancho, fait que tu ne vois ni n’entends rien comme il faut ; car un des effets de la peur est de troubler les sens et faire que les choses ne paraissent pas ce qu’elles sont ; et si tu as peur, retire-toi à l’écart et laisse-moi38 » Lorsque les bergers qui ont voulu défendre leurs bêtes attaquées par don Quichotte croient avoir tué ce dernier, ils sont à leur tour pris de peur et s’enfuient : « En grande hâte, ils rassemblèrent leurs troupeaux, chargèrent leurs bêtes mortes et, sans chercher plus avant, s’en furent39 ». Lorsque don Quichotte s’aperçoit de sa méprise, il l’attribue à la responsabilité d’un enchanteur qui lui veut du mal, mais cet enchanteur pourrait aussi bien être une personnification de la peur, non identifiée comme telle.
29Tout au long du récit de Cervantès se manifestent chez les différents personnages les effets de la peur, tels que les médecins les décrivent, comme l’a noté Montaigne. Par exemple, lors d’une nuit obscure, alors qu’ils sont en quête de logis et de nourriture, don Quichotte et Sancho voient venir vers eux une multitude de lumières : « Sancho fut tout effrayé de les voir, et don Quichotte ne s’en trouva pas non plus très rassuré... ils restèrent immobiles ». Les lumières se rapprochent : « Ce que voyant Sancho se mit à trembler comme enfiévré de vif-argent, et les cheveux se dressèrent sur la tête de don Qui chotte40 ». Donc, tous les deux se trouvent ici en état de peur intense. Cervantès donne alors les détails qui permettent de croire en une vision infernale : « Ils découvrirent près de vingt hommes, tous à cheval, revêtus de chemises, une torche allumée à la main. Derrière eux venait une litière tendue de deuil... » Il s’agit en réalité du transport d’un homme mort vers sa sépulture. Mais, tandis que Sancho terrorisé demeure immobile, don Quichotte a l’imagination en éveil : « A cet instant son imagination lui représenta vivement que c’était là une des aventures de ses livres41. » Il se lance donc à l’attaque des malheureux qui accompagnent la dépouille du mort, croyant qu’il s’agit, dit-il, de « fantômes et monstres de l’autre monde ». C’est au tour de ces derniers d’être terrorisés et de s’enfuir. Don Quichotte en son étrangeté même fait peur.
30Ayant libéré des galériens sans obtenir d’eux autre chose que des pierres et des quolibets, don Quichotte se range à l’avis de Sancho de se réfugier dans la montagne afin d’échapper à la Santa Hermandad : « Tu es poltron par nature, dit don Quichotte ; mais pour que tu ne dises pas que je suis entêté et que je ne fais jamais ce que tu me conseilles, je veux pour cette fois suivre ton avis et m’éloigner de ces fureurs que tu crains tant ; mais à une condition : c’est que jamais, mort ou vif, tu ne diras à personne que c’est par peur que je me suis éloigné et écarté de ce danger42. » Don Quichotte est dans l’incapacité de reconnaître qu’il a peur, la peur lui est interdite, tandis que Sancho est l’homme de la peur, peur du manque qui lui fait acheter toutes les provisions qu’il peut trouver, peur des aventures qui endolorissent le corps et l’âme, peur de la nuit. Et il n’a pas peur de dire qu’il a peur et d’agir en conséquence, c’est-à-dire de se mettre, autant qu’il le peut, à l’abri des dangers qui suscitent sa peur pour les voir de loin ou de haut. Car Sancho le peureux est essentiellement un curieux.
31La curiosité a le plus souvent raison de la peur. Voir le motif de la peur permet d’en écarter toute menace. C’est ainsi que l’épisode des moulins à foulon permet de vérifier ce qui, dans le roman, constitue un véritable axiome. Alors que don Quichotte et Sancho sont surpris par la tombée de la nuit, loin de tout lieu habité, « ils entendirent qu’on frappait des coups en cadence, avec un certain cliquetis de fers et de chaînes qui, joint au terrible vacarme de l’eau, aurait plongé dans l’épouvante tout autre cœur que celui de don Quichotte. La nuit, comme on l’a dit, était obscure... tout cela répandait l’horreur et l'épouvante43»’Don Quichotte adresse alors à son serviteur, à la fois paralysé et éploré, un grandiloquent discours où il est question de gloire définitive et de combat immédiat. Sancho supplie son maître de ne pas le laisser seul, car il est persuadé qu’il mourra de peur, et il lui explique que, d’après la position des étoiles, la nuit est désormais trop courte pour lui laisser le temps d’accomplir un exploit ; mais don Quichotte réplique que la nuit est si noire qu’on ne peut distinguer les étoiles : Sancho affirme : « La peur a beaucoup d’yeux : elle voit les choses sous la terre, et à plus forte raison là-haut dans le ciel ; aussi, tout bien raisonné, peut-on entendre qu’il y a fort peu d’ici au jour44. » Au petit matin, lorsque les choses enfin paraissent distinctement, don Quichotte, suivi du fidèle Sancho, décide d’aller voir d’où provient le bruit : « Tout en allant il se recommandait aussi à Dieu afin qu’il ne l’oubliât pas dans cette redoutable aventure et entreprise45 ». Ce qui prouve que don Quichotte, lui aussi, peut éprouver la peur. Ils découvrent alors que le bruit effrayant provient de « six maillets d’un moulin à foulon dont les coups alternés produisaient ce tapage ». Don Quichotte est rempli de confusion et Sancho, éclatant littéralement de rire, lui répète son discours. Leur curiosité a été ici leur vertu et les réconcilie avec les progrès techniques de leur temps contre les superstitions et les enchantements.
32Est-ce que c’est la peur qui provoquerait les prouesses surprenantes et inattendues du chevalier, comme par exemple dans le cas de la rencontre avec le lion encagé ? Dans cet épisode, Sancho épouvanté s’enfuit, tout en pleurant la mort de son maître ; il a déjà averti : « Mon maître n’est pas fou, il est téméraire46. » Mais est-ce que don Quichotte est vraiment téméraire ? Cervantès écrit en effet : « Le lion sortit la tête de la cage et regarda de toutes parts avec des yeux comme des braises, au point que son regard et son allure auraient pu remplir d’épouvante la témérité en personne. Seul don Quichotte l’observait attentivement, impatient de le voir sauter hors du chariot47 ». Don Quichotte serait-il donc fou, parce qu’il ne peut éprouver la peur ? Les assistants à la scène en sont évidemment persuadés. L’animal farouche serait-il impressionné par un homme qui n’éprouve pas la peur et à qui il ne saurait faire rendre gorge ? Mais don Quichotte déclare à cette occasion : « Je sais fort bien ce qu’est le courage, c’est une vertu placée entre ces deux vices extrêmes que sont la lâcheté et la témérité. Mais c’est un moindre mal, quand on est courageux, que de s’élever jusqu’à être téméraire plutôt que de s’abaisser jusqu’à être lâche48 ». C’est ainsi que le chevalier, en sa savante folie, transforme savamment la définition aristotélicienne.
33Il est significatif que don Quichotte, qui dit qu’il ne connaît pas la peur, ne mentionne pour lui-même aucune ambition politique, même s’il a des exigences en matière de justice, de force et de liberté. Lorsqu’il croise les futurs galériens, il déclare à Sancho qui lui explique qu’il s’agit de « forçats » : « Comment forçats ? Est-il possible que le roi force qui que ce soit ? Voici l’occasion d’exercer mon office : m’opposer à la force et secourir et aider les malheureux... Il n’est pas bien que les hommes honnêtes soient les bourreaux des autres. » La communauté politique est, selon lui, une communauté d’hommes libres et sans contrainte. Sancho répond en toute logique judiciaire à son maître : « La justice, c’est-à-dire le roi même, ne fait ni force ni injure à de tels gens : elle les châtie en punition de leurs délits49. »
34C’est le peureux Sancho qui désire ardemment « se hisser sur les tours de l’ambition et de la superbe », comme il l’exprime lui-même, c’est-à-dire devenir un homme politique. Il devient gouverneur d’une île qui n’existe pas et fait l’admiration de tous par la pertinence de ses jugements. L’une de ses premières décisions consiste en l’instauration d’une ronde, et l’on retrouve ici la vigilance recommandée par Aristote : « Dès qu’en viendra l’heure, nous ferons une ronde ; car j’ai l’intention de nettoyer l’isle de toute espèce d’immondices, et des vagabonds, des paresseux et des désœuvrés [...] ils mangent le miel que font les laborieuses abeilles. Je compte favoriser les paysans, conserver leurs privilèges aux gentilshommes, récompenser les vertueux, et, par-dessus tout respecter la religion et l’honneur des gens d'Église50»’Et l’auteur du Quichotte nous apprend : « Il fit des ordonnances si excellentes qu’on les applique encore en ce lieu aujourd’hui sous le nom de Constitutions du grand gouverneur Sancho Pança51 ». Ainsi celui qui a peur, peur des brigands et des violents, peur des escrocs et des voleurs, peur des mendiants et des aveugles qui racontent de faux miracles, peur des guerres et peur d’avoir faim et soif, peur de la nuit, est apte à faire, dit Cervantès, de bonnes lois et donc, peut-être, à faire peur à son tour. Mais don Quichotte met en garde Sancho : « N’édicte pas trop d’ordonnances [...] car les ordonnances que l’on n’observe pas, c’est comme si elles n’étaient pas... Les lois que l’on redoute, et qui ne sont pas appliquées, sont comme le soliveau, roi des grenouilles ; au début il les a effrayées, mais avec le temps elles l’ont méprisé, et puis lui ont sauté dessus52 ». Sancho déclare de façon programmatique : « Vivons et mangeons tous en paix et en bonne compagnie car, lorsque Dieu veut que le jour se lève, c’est pour tout le monde qu’il le fait se lever. De mon côté, je gouvernerai cette isle sans faire entorse au droit ni faire droit aux entorses ; que chacun ouvre l’œil et les vaches seront bien gardées53 ». Sans aucun appétit de domination, mais seulement soucieux d’ordre et de justice, soucieux de mettre tous les membres de la communauté politique au travail, excluant toute idée de guerre et d’asservissement des ennemis, Sancho présente bel et bien les caractéristiques du sage législateur d’Aristote, dont l’office consiste à considérer pour son État ou sa communauté comment sera réalisée leur participation à une vie bonne54. L’œuvre législatrice de Sancho mêle plaisamment le particulier à l’universel, et le lecteur de son histoire demeure toujours pris entre l’étonnement admiratif et le rire. Si Sancho a la justice, il n’a pas la tempérance prônée par Aristote et se plaint de ne pouvoir manger ni boire comme il l’entend.
35C’est alors qu’à la septième nuit des jours de son gouvernement, Sancho, « nullement rassasié de pain et de vin, mais bien plutôt de juger, donner des avis, et faire des statuts et des décrets55, » se trouve terrorisé par ce qu’il croit être l’attaque de son île. Il fait front et est alors véritablement enfermé dans une armure, prêt à affronter debout les envahisseurs. La situation de Sancho, telle qu’elle est dépeinte par Cervantès, ressortit à l’absurde et désigne peut-être symboliquement la condition humaine ; on pense à telle ou telle description de Kafka : « Eh bien, que l’on m’arme, répliqua Sancho... Il se retrouva emmuré et coffré, raide comme une quenouille, sans pouvoir plier les genoux ni se mouvoir d’un pas. Ils lui mirent dans les mains une lance... » Courageusement, il déclare : « Il faut me mettre contre quelque poterne, en travers ou debout ; je la défendrai de ma lance ou de mon corps ». Sancho tente de bouger, mais tombe brutalement par terre. Ceux qui l’entourent l’accusent d’avoir peur. Il se retrouve alors « comme une tortue prise dans sa carapace, ou bien comme un demi-cochon conservé dans la huche, ou, mieux, comme une barcasse échouée dans le sable... Sancho moulu, écoutait et supportait tout, en disant entre ses dents : Oh ! plaise à Dieu que cette isle soit bientôt prise, et que moi je me voie mort ou bien délivré de cette grande angoisse56. » Cervantès ne parle évidemment pas de lui-même dans son roman, mais il a fait l’expérience de la guerre en étant blessé à Lépante en 1571 et de la captivité par les barbaresques de 1575 à 1580.
36Lorsqu’on apprend à Sancho que la victoire est remportée, il décide de quitter son gouvernement. La peur, qu’il a réfléchie, a eu raison de ses ambitions, dont il a déjà eu le temps de comprendre l’illusion, et il n’a que faire de se sacrifier au nom d’un intérêt éventuellement supérieur qui serait éventuellement celui du bon gouvernement : « Laissez-moi passer, messieurs, et reprendre mon ancienne liberté ; laissez-moi retrouver ma vie passée, pour ressusciter de cette mort présente... tout nu je naquis, et tout nu je me trouve, je suis entré sans un sou dans ce gouvernement et je le quitte de même57. » Aristote n’a-t-il pas écrit : « Certains désapprouvent toute participation aux fonctions d’ordre politique, dans l’idée que la vie de l’homme libre est en même temps une vie toute différente de celle de l’homme d’État et la plus désirable de toutes ; d’autres, au contraire, estiment que c’est la vie de l’homme d’État qui est la vie idéale : car, d’après eux, il est impossible à qui ne fait rien de bien faire, et l’activité bonne se confond avec le bonheur. Nous répliquerons que les uns et les autres ont également raison sur un point, et tort sur un autre58 ». L’aptitude à l’action est la qualité requise des magistrats supérieurs ; l’activité bonne est la fin des individus et des États, comme elle est celle de Dieu et de l’univers, a dit le philosophe. Lorsque Sancho quitte son gouvernement, « tout le monde l’embrassa, et lui, en pleurant, les embrassa tous et les laissa émerveillés, tant de ses propos que de sa décision si prompte et si sage59 ». Aristote remarque encore : « L’homme vraiment vertueux pourra assurément faire un noble usage, même de la pauvreté, de la maladie et des autres mauvaises fortunes60. » La peur de Sancho, qui l’a rendu apte à faire de bonnes lois, le fait renoncer sagement à une vie entière d’homme d’État pour laquelle il n’a pas été éduqué.
37La vie comme épreuve n’est-elle pas, encore selon Aristote, réservée aux gens de bien ? En tout cas, Cervantès montre bien que la peur permet de s’éveiller aux choses de la vie, d’avoir un rapport à l’espace et aux autres hommes, de leur rendre service et de créer des services, des liens de solidarité. Mais la peur permet aussi d’être sage. L’impuissance que ressent Sancho en face de la guerre, son impuissance à se rassasier, lorsqu’il est gouverneur, loin de lui inspirer l’idée que le destin, la fortune sont les auteurs du drame qui le frappe, le pousse à prendre ses responsabilités pour lui-même. Cervantès le montre s’habillant, parlant à son âne, le harnachant et partant, n’acceptant comme provision de route qu'un demi fromage, du pain et de l’orge. Tel est le principe de précaution qu’il suit, qui entend se limiter aux risques particuliers de sa vie de Sancho Pança. Il prend en main sa sauvegarde : « Je préfère garder ma liberté », et réagit consciemment à la douleur et à l’altération de sa santé et de celle de son roussin. Cervantès désigne ici la nécessité pour l’individu dans un monde difficile d’être lucide, vigilant, équilibré du point de vue mental, d’avoir des réflexes rapides et précis. Or le corps social, dans la première modernité, est déjà de plus en plus contraignant pour chacun des individus qui le composent.
38Bien avant la complexité croissante de la vie économique, les problèmes de l’emploi, la concentration démographique, les luttes de pouvoir de toutes sortes entre les groupes et entre les personnes, les fondamentalismes, les exclusions et les harcèlements, toutes ces cruautés exacerbées, Montaigne et Cervantès montrent, l’un sérieusement, l’autre comme en se jouant, comment on peut s’adapter aux modifications accidentelles de son milieu et refuser des environnements intolérables. L’un et l’autre sont d’accord pour reconnaître que les menaces qui occupent les esprits peuvent être très peu probables ou quasi certaines, qu’elles dépendent de l’opinion ou de la réalité, mais que, dans tous les cas, il est nécessaire de les prendre en considération. La santé structurelle ou symbolique de l’homme c’est sa capacité, qu’il soit Montaigne ou Cervantès ou l’empereur Julien ou les rois de France ou don Quichotte ou Sancho, de faire face consciemment et de façon autonome, dans le même mouvement, à la fois aux dangers du milieu, qui sont les agressions de toutes sortes, et aux menaces les plus intimes, qui sont la douleur physique et morale, la maladie et la mort. Il n’y a pas d’action qui exprime plus hautement la liberté et la responsabilité de l’homme que de fixer des limites à sa capacité d’agir sous forme d’impératifs, de normes et de règles à validité universelle, et de s’y tenir. Aucun, du plus fou au plus sage, ne nie ce qu’il ne parvient pas à tolérer, aucun n’a l’espoir irrationnel de considérer ce dont il a peur comme irréel. À la suite d’Aristote, Pline ou Sénèque, ni Montaigne ni Cervantès ne proposent un refuge dans les superstitions du monde religieux ; mais ils montrent que l’on peut choisir d’éloigner les motifs de la peur, en ne les considérant ni comme des fatalités ni comme des risques extérieurs. « Le destin n’est tel, note le philosophe Jean-Pierre Dupuy dans un livre récent Pour un catastrophisme éclairé, quand l’impossible est certain, que parce que les hommes n’y reconnaissent pas les conséquences de leurs actes. C’est surtout un destin que nous pouvons choisir d’éloigner de nous61. » Pour Montaigne, comme pour Cervantès, le fait de garder les yeux fixés sur l’événement qui peut-être ne se réalisera pas – Montaigne considérant la prise de sa maison, sa propre mise à mort dans la forêt, l’empereur Julien considérant le renversement de son pouvoir, don Quichotte fixant le lion, Sancho enfermé dans son armure considérant la fin de son gouvernement et de lui-même-, permet peut-être de trouver les moyens de faire que l’inéluctable ne se produise pas et donc de reconstruire le réel dans un mélange de lucidité et d’humour, qui est aussi le sentiment tragique de la vie. Il y a là ce que nous pourrions appeler un principe de curiosité, qui dépasse la conscience immédiate et qui est essentiel à la survie de l’individu et de la société, à l’innovation et à la croissance.
Notes de bas de page
1 Aristote, Éthique de Nicomaque, III, 6, trad., préface et notes par Jean Voilquin, Paris, Garnier-Flammarion, 1992, p. 88.
2 Idem, III, 6, p. 89-90.
3 Idem, III, 7, p. 91-92.
4 Idem, III, 8, p. 93.
5 Idem, III, 8, p. 95.
6 Idem, X, 9, p. 316-317.
7 Idem, X, 9, p. 315.
8 Aristote, La Politique, nouvelle trad. avec introduction, notes et index par J. Tricot, Paris, Librairie Philosophique Vrin, 1995, V, 8, p. 375-385. Également : VII, 6, p. 489-492 ; VII, 7, p. 492-497.
9 Pline L’ancien, Histoires de la nature, morceaux choisis et traduits du latin par Danielle Sonnier, Grenoble, Jérôme Millon. 1994, p. 44-45, 54.
10 Sénèque, La Providence, suivi de La constance dit sage, traduit par François Rosso, Paris, Éd. Arléa, 1991, p. 20.
11 Idem, p. 44.
12 Idem, p. 49.
13 Idem, p. 63.
14 Idem, p. 64.
15 Traduction des vers 454-456 des Copias de Don Jorge Manrique por la muerte de su padre, dans Jorge Manrique, Poesia, edición de Jesús-Manuel Alda Tesán, Madrid, Ed. Câtedra, 1995, p. 166.
16 Desiderii Erasmi Roterodami Opéra Omnia, 11 vol. in-fol., Leyde, 1703-1706, t. III, col. 1492, lettre de Juan Luis Vives datée de Bruges, 10 mai 1534.
17 Michel de Montaigne, Essais, éd. par Pierre Villey, Paris, PUF « Quadrige », 1988, I, 1 « Par divers moyens on arrive à pareille fin », p. 9.
18 Ouvr. cit., I, I, p. 12.
19 Ouvr. cit., III, XII « De la phisionomie », p. 1046.
20 Ouvr. cit., I, XIV « Que le goust des biens et des maux dépend en bonne partie de l’opinion que nous en avons », p. 51.
21 Ouvr. cit., I, XIV, p. 50.
22 Ouvr. cit., I, XVIII « De la peur », p. 75.
23 Ouvr. cit., I, XVIII, p. 76.
24 Ouvr. cit., I, XVIII, p. 76.
25 Ouvr. cit., I, XVIII, p. 76-77.
26 Ouvr. cit., I, XVIII, p. 77.
27 Ouvr. cit., III, XII « De la phisionomie », p. 1048.
28 Ouvr. cit., III, XII, p. 1060.
29 Idem, p. 1060-1061.
30 Idem, p. 1061.
31 Ouvr. cit., III, XII, p. 1062.
32 Hans Jonas, Le Principe responsabilité, Paris, Éd. Flammarion « Champs », 1995, p. 75-76.
33 Ouvr. cit., II, XIX « De la liberté de conscience », p. 670.
34 Ouvr. cit, II, XIX, p. 670.
35 Ouvr. cit., II, XIX, p. 671.
36 Il s’agit de la « paix de Monsieur » de mai 1576 et de la trêve de Bergerac de septembre 1577.
37 Miguel de Cervantes, Don Quichotte de la Manche, éd. publiée sous la direction de Jean Canavaggio, Paris, Éd. Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2001, I, XVIII, p. 524.
38 Ouvr. cit., I, XVIII, p. 527.
39 Ouvr. cit., I, XVIII, p. 528.
40 Ouvr. cit., I, XIX, p. 533.
41 Ouvr. cit., I, XIX, p. 534.
42 Ouvr.cit., I, XXIII, p. 574.
43 Ouv. cit., I, XX, p. 539.
44 Ouvr. cit., I, XX, p. 543.
45 Ouvr. cit., I, XX, p. 549.
46 Ouvr. cit., II, XVII, p. 1020.
47 Ouvr. cit. II, XVII, p. 1023.
48 Ouvr. cit., II, XVII, p. 1027.
49 Ouvr. cit., I, XXII, p. 564, 571.
50 Ouvr. cit., Π, XLIX, p. 1251.
51 Ouvr. cit., II, LII, p. 1277.
52 Ouvr. cit., II, LI, p. 1273.
53 Ouvr. cit., II, XLIX, p. 1251.
54 Aristote, La Politique, ouvr. cit., VII, 2, p. 477.
55 Michel de Cervantes, Don Quichotte, ouvr. cit., II, LIII, p. 1284.
56 Ouvr. cit., II, LIII, p. 1285-1286.
57 Ouvr. cit., II, LIII, p. 1287-1288.
58 Aristote, La Politique, ouvr. cit., VII, 3, p. 478-479.
59 Michel de Cervantes, Don Quichotte, ouvr. cit., II, LIII, p. 1289.
60 Aristote, La Politique, ouvr. cit., VII, 13, p. 521.
61 Éd. Le Seuil, 2002, p. 63.
Auteur
Directeur de recherche au CNRS et professeur au Collège international de philosophie
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