Allocution inaugurale
p. XI-XIV
Texte intégral
1C’est la qualité de Doyen de la Faculté de droit des Facultés universitaires Saint-Louis qui me vaut l’honneur de vous souhaiter la bienvenue en ce lieu et le plaisir d’ouvrir vos travaux consacrés à l’activité législative communale dans l’Occident médiéval entre 1200 et 1550. Permettez-moi d’associer à ces quelques mots mon collègue Jean Heiderscheidt, Doyen de la Faculté de philosophie et lettres. Nous sommes tous les deux particulièrement heureux de vous accueillir ici, vous qui venez, non seulement de Gand, Louvain-la-Neuve ou Liège, mais aussi de Paris, Mulhouse, Nice, Lyon, Arras, Bielefeld, Bochum, Francfort, Luxembourg, Tilburg, Lausanne, Madrid, Saragosse, Barcelone, Sienne, Milan et même Montréal. Ce caractère résolument international de votre colloque nous donne une première raison de nous réjouir.
2Une seconde raison de nous réjouir réside dans le caractère également national de cette initiative. Vous me direz que cela va sans dire. Puisque cette manifestation est internationale, elle est aussi nationale : qui peut le plus peut le moins. Eh bien non, car nous sommes en Belgique, dans un Etat où la recherche scientifique de caractère fédéral devient une denrée rare et même contestée par d’aucuns. Les pôles d’attraction interuniversitaire qui rassemblent des institutions universitaires de nos deux Communautés, la flamande et la francophone, sont rares et donc précieux. Or, tel est bien le contexte institutionnel de cette rencontre : elle s’inscrit dans le cadre d’une recherche scientifique de haut niveau sur le thème de « la société urbaine au bas moyen âge », qui associe deux universités flamandes, celle de Gand et les Universitaire Faculteiten Sint-Ignatius d’Anvers, à deux universités francophones, les Facultés universitaires Saint-Louis et l’Université catholique de Louvain. Cette collaboration scientifique intercommunautaire exemplaire mérite d’être saluée par les temps qui courent sous nos deux belgo-belges, des deux qui, comme vous le savez sans doute, sont si souvent partagés entre les éclaircies et les intempéries. On est ici sous un ciel bleu, celui d’une heureuse coopération par-delà la frontière linguistique.
3Une troisième et dernière raison de nous réjouir réside dans le dynamisme du Centre de recherches en histoire du droit et des institutions des Facultés Saint-Louis, animé en particulier, en cette circonstance, par Jean-Marie Cauchies, Serge Dauchy et Eric Bousmar. Ce Centre vient à peine d’organiser et de publier les actes de trois importants colloques sur la souveraineté, sur la possession et sur les principes de territorialité et de personnalité, qu’il nous offre déjà la joie d’une nouvelle rencontre sur un thème à nouveau très stimulant, le processus d’élaboration de la législation des villes médiévales.
4Ce thème me paraît stimulant, même si je ne suis pas historien du droit, parce que tout constitutionnaliste qui connaît un peu le droit communal contemporain sait que cette matière est pétrie d’histoire. L’article 135, §2, de la dite « nouvelle loi communale » du 24 juin 1988 qui est en vigueur en Belgique aujourd’hui, fait-il autre chose que recopier un décret révolutionnaire du 14 décembre 1789 « relatif à la constitution des municipalités » ? « Les communes ont pour mission de faire jouir les habitants des avantages d’une bonne police, notamment de la propreté, de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité dans les rues, lieux et édifices publics ». Soit dit en passant, c’est cette loi de 1988 qui a introduit la première version officielle de langue néerlandaise de ce décret révolutionnaire. N’est-on pas en plein dans l’histoire ?
5Par ailleurs, vos travaux ne manqueront pas d’aborder la question des modes de publication des règlements communaux. Or, sur ce point aussi, le droit positif actuel est encore tributaire de l'histoire. Qu’on en juge. Demeuré en vigueur jusqu’en 1991, l’article 102 de l’ancienne loi communale du 30 mars 1836, devenu l’article 112 de la nouvelle loi communale, confiait au collège des bourgmestre et échevins le soin de publier les règlements et ordonnances du conseil communal « par la voie de proclamations et d’affiches », non sans ajouter que « dans les campagnes, la publication sera faite à l’issue du service divin... ». Cette forme de publication pouvait se comprendre en 1836, à une époque où les citoyens incapables de lire étaient encore nombreux. Mais dans une étude datant de 1993, un spécialiste du droit communal n’a pas hésité à la qualifier de « préhistorique », en ce qu’elle correspondait « à un mode de transmission orale de l’information »1. Et commentant le nouvel article 112 introduit par la loi du 8 avril 1991, le même auteur a dénoncé les insuffisances de cette disposition en considérant qu’elle nous faisait tout au plus passer « de la préhistoire au moyen-âge ». Par ces métaphores que vous jugerez pour le moins audacieuses, il voulait simplement souligner l’inadéquation de la technique de l’affichage - réputée « moyenâgeuse » - dès lors qu’elle est utilisée aujourd’hui encore « comme mode exclusif de publication des décisions communales »2. L’article 112 nouveau porte, en effet, que « Les règlements et ordonnances du conseil communal, du collège des bourgmestre et échevins et du bourgmestre sont publiés par ce dernier par la voie d’une affiche indiquant l’objet du règlement ou de l’ordonnance, la date de la décision par laquelle il a été adopté, et, le cas échéant, la décision de l’autorité de tutelle. L’affiche mentionne également le ou les lieux où le texte du règlement ou de l’ordonnance peut être consulté par le public ». Si l’on doit récuser les qualifications rhétoriques de l’auteur renvoyant à la préhistoire et au moyen âge - celui-ci connaissait, en réalité, tant les publications orales que le recours à l’écrit-, on conviendra volontiers avec lui qu’il serait temps aujourd’hui « de prévoir pour tous les règlements et ordonnances une véritable publication par voie officielle : bulletin communal, mémorial administratif de la province », ou d’autres formules comme celles que permet le développement des télécommunications et des supports électroniques de l’information3.
6Par une dernière observation enfin, je voudrais vous conduire plus encore au vif de votre sujet. Bénéficiant de la primeur de la communication de Jean-Marie Cauchies, j’ai appris ou redécouvert avec le plus grand intérêt combien votre terrain d’investigation est tiraillé par des tensions qui font irrésistiblement penser mutatis mutandis, même s’il faut se garder de tout anachronisme, aux tensions que l’on connaît aujourd’hui encore dans cette matière. Là où vous évoquerez les relations, tantôt de conflit, tantôt de complémentarité, entre les législations territoriales et locales, royales et urbaines, seigneuriales et communales, le publiciste songera, pour sa part, aux relations, elles aussi tantôt de complémentarité, tantôt de conflit, entre les attributions de l’Etat ou des collectivités fédérées et celles de nos communes. Vous me direz que dans un Etat moderne on a affaire à une toute autre logique, une logique linéaire ou verticale simple, celle de la décentralisation, alors qu’au bas moyen âge, on est manifestement plongé dans une logique bien plus complexe, celle plus réticulaire des réseaux. Eh bien détrompez-vous. En Belgique, comme dans d’autres Etats modernes, la notion d’intérêt communal qui forme le critère d’attribution on ne peut plus indéterminé des matières confiées aux communes est une notion évolutive dont les contours précis échappent à toute détermination a priori, dans la mesure où ils dépendent des initiatives changeantes et imprévisibles de l’Etat, des collectivités fédérées et des communes elles-mêmes. Comme un administrativiste le relevait récemment, « une matière qui, hier encore, relevait de la sphère des intérêts communaux, en est exclue aujourd’hui parce qu’une autorité supérieure se l’est « appropriée » et l’a, par exemple, entièrement et complètement réglementée. A l’inverse, telle difficulté dont on ignorait même l’existence il y a quelques années à peine peut aujourd’hui faire l’objet d’une appréhension par les communes qui, grâce à la mise en oeuvre de leurs moyens, tenteront de la résoudre sans devoir attendre l’intervention de quiconque »4. La substance de l’autonomie communale est donc tributaire d’un parallélogramme de forces politiques multiples.
7Vos travaux montreront peut-être, avec toute la précision et les nuances souhaitables, dans quelle mesure il en a toujours été ainsi depuis le bas moyen âge. N’ayant aucune compétence pour aller plus loin, à moins que je ne sois déjà allé trop loin dans ce jeu dangereux des comparaisons entre des périodes qui demeurent bien sûr très différentes, je vous cède immédiatement la parole, Monsieur le Président, pour conduire les travaux de votre assemblée au cours de cette matinée que je souhaite aussi féconde qu’agréable, à l’image des trois journées bien remplies qui vous attendent.
Notes de bas de page
1 J.-M. VAN BOL, La publication des règlements communaux : de la préhistoire au moyen-âge. Observations sous Cass., 10 septembre 1992, dans Droit communal, 1993/5, p. 256, note 2.
2 Ibidem, p. 257.
3 Ibidem, eod. loc. Pour l’identification d’autres archaïsmes dans la « nouvelle loi communale», voy. les excellentes études du même auteur J.-M. VAN BOL, De la démocratie communale : observations sur les rapports entre le conseil et le collège, dans Droit communal, 1996/3, p. 179-187, et ID.. La démocratie communale au seuil du XXIè siècle. Approche pratique, dans Communes et Régions : quel partenariat pour le XXIè siècle ?, Actes du Colloque de Namur du 11 décembre 1998, Union des Villes et Communes de Wallonie et C.D.G.E.P. (U.C.L), Bruxelles, 1999, p. 59-78.
4 P. THIEL, Les règlements des conseils communaux. Florilège jurisprudentiel, dans Droit communal, 1997/1, p. 4.
Auteur
Doyen de la Faculté de droit. Facultés universitaires Saint-Louis (Bruxelles)
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