1 Nous citerons Magritte en renvoyant soit aux Ecrits complets rassemblés par A. Blavier, Flammarion, Paris, 1978 (= EC), soit aux Lettres à André Bosmans (1958-1967), Seghers - Isy Brachot, Bruxelles, 1990 (= LAB), soit encore à La Destination. Un livre de Lettres, Lettres à Marcel Mariën (1937-1962). Les Lèvres Nues, Bruxelles, 1977 (DST). Les chiffres renvoient aux pages.
2 Nous citerons Ponge en employant par commodité les abréviations suivantes : AC (L'Atelier contemporain, Gallimard, 1977), EPS (Les Entretiens de Francis Ponge avec Philippe Sollers, Gallimard/Seuil, Paris, 1970), FPr (La fabrique du Pré, Skira, Genève, 1971), Μ (Méthodes, Gallimard / Idées, 1961), P (Pièces, Poésie / Gallimard, 1962), PPC (Le Parti pris des choses, Poésie / Gallimard, 1967), RE (La Rage de l'expression, Poésie / Gallimard, 1976), SA (Le savon, Gallimard / L'Imaginaire, 1967). Les chiffres renvoient aux pages dans les ouvrages respectifs.
Pour les autres références, voir notre notice bibliographique.
3 Non seulement, comme l'on sait, Francis Ponge a-t-il assidûment fréquenté les ateliers de plusieurs peintres et sculpteurs — Braque, Picasso, Fautrier, Dubuffet, Giacometti, et « bien d'autres amis encore » —, qu'il a « observés "à l'œuvre" et dans leurs comportements quotidiens, tant éthiques qu'esthétiques » (AC VII), il a en outre érigé leur œuvre — et plus essentiellement, l'œuvre plastique en tant que telle — en objet de propos, en objet de « petite ou moins petite machine verbale », dont « L’Atelier contemporain » « n'est que le recueil complet ». Ponge en effet considère que le peintre (ou le sculpteur) et le poète travaillent dans d'identiques mais distincts ateliers, « s'efforçant tous, de façon variée et avec plus ou moins de bonheur, par l'action sur de tout autres matières de tout autres outils (...), à donner forme matérielle et durable (...) à des soucis ou des élans originellement tout analogues et, dans les meilleurs cas, finalement à des orgasmes rigoureusement homologues (...), malgré la spécificité de leur langage » (AC VIII).
Pour ce qui est des rapports — hiérarchisés —, dans la conception pongienne, entre les diverses pratiques esthétiques, et de l’intégration, dans l’écriture, de la peinture et surtout de la musique — « Dieu merci, nous ne sommes pas qu'un peintre et nous avons autre chose à dire du pré (...) car enfin 1) le pré sonne (musique, clavecin, Josquin des prez), 2) le pré est aussi une /occasion de/ chef-d'œuvre d'esprit. De chef-d'œuvre /logique/ une /simple/et complexe, une / parfaite notion logique (participe passé, préfixe des préfixes) » (FPr 93) —, voir GleizeVeck, 1984 (p.ex. 150sq).
4 Magritte a fréquenté plusieurs poètes, dont les poètes « surréalistes » belges. Il a entretenu avec certains des échanges épistolaires réguliers — ainsi avec Bosmans, dont ont été publiées les « Lettres à Bosmans. 1958-1967 » (Bruxelles, 1990). De ces dernières il ressort par exemple que Magritte aimait interroger son propre travail par le détour analogique de la parole poétique. A cela s’ajoute l'observation plus essentielle encore que le dire langagier et poétique, ainsi que l'entendement conceptuel qui s'y enracine, font partie intégrante de l'image poétique magrittienne...
5 On pourrait aisément prolonger l'énumération de telles dénominations, dont le dénominateur commun est qu'elles émanent de conceptions réductrices, où mot et chose s'articulent l'un à l'autre en toute transparence, sans plus ni ailleurs, en parfaite adéquation référentielle ou désignative, ou même instrumentale ou socio-conventionnelle (usage en langue). La réalité de l'œuvre (esthétique), tout au contraire, autorise — et même favorise — l'épreuve de vérité des raisons qu'elle concerne : épreuve de ce qu'est dire le monde, pour l'œuvre poétique ; épreuve de ce qu’est fabriquer de la représentation bidimensionnelle de visibilité, pour l'œuvre picturale, de ce qu'est imager du visible pensé, pour l’œuvre magritienne.
6 En outre, ce que Ponge dit ici du poète en général semble s'appliquer de manière privilégiée à l'œuvre de Ponge lui-même. Ainsi Tortel : « Ponge ne peut être pris, et compris, qu'en ses propres termes » (Tortel, 18) « impossibilité de recouvrir (remplacer) la parole pongienne par une autre » (19), « impossible de parler de Ponge autrement qu'en parlant Ponge » (35).
7 Car s'il est vrai que l'on peut se tromper de nom, il l'est tout autant que l'on peut se tromper d'objet, sans même parler des distinctions — subtiles peut-être mais d'autant plus importantes qu'elles sont davantage encore occultées par les usages — entre par exemple le nom (en langue) et le mot (en langage), ou entre le nom et son image graphique, voire orthographique... Rien en tout cas — sinon précisément le « thésaurus » des savoirs en usage et des vraisemblances cognitives qu'il alimente — n'autorise à privilégier l'objet plutôt que le nom, ou le nom plutôt que « sa » graphie (donnant p.ex. à entendre que l’objet serait davantage premier ou stable ou substantiel, etc. que « son » nom). Pour ces (pourtant non négligeables) « subtilités », nous renvoyons le lecteur à notre ouvrage sur Magritte, plus particulièrement au chapitre intitulé Ceci n'est pas une pipe (Jongen, 1994).
8 Nous faisons ici référence à certaines versions de ce tableau (1930, 1936), où l'on découvre dans l'un des compartiments l'image d'un objet accompagnée du nom « conforme » (= attendu) de cet objet (par exemple : image d'éponge / graphie du nom « éponge »).
9 Sachant que, dans le vocabulaire magrittien, le « regard » désigne un voir qui ne voit que le déjà-su des visibilités familières, désigne en d'autres mots un non-voir, qui se satisfait du spectacle in-différent des pré-visibilités notoires. L’image poétique, tout au contraire, rend visible — donne à voir, et non plus à regarder ! — la différence où bascule la visibilité (de l’objet, du monde) lorsqu'elle est authentiquement pensée...
10 « Pour que soit vue, non par le regard, mais par la vision pure — seule à même de voir l'image pensée », pourrait (ou devrait)-on dire, par souci de connivence avec le vocabulaire magrittien.
11 Un proême de 1929 est précisément intitulé : De la modification des choses par la parole (PPC 122)
12 Magritte lui-même énonce cette indistinclion à propos du tableau « La Main Heureuse » — qui met en scène « un grand piano noir dont la queue traverse une grande bague posée debout sur le sol » (EC 326) : « Il est à remarquer que ce genre d'images a comme caractère de ne pas proposer comme dans certaines rencontres l'idée qu'une chose est comme une autre chose : une femme est comme une fleur, comme une perle, comme un nuage, etc. Mais bien de dire une chose est cette autre chose :
Une porte est un trou. Un arbre est une feuille.
Un piano est une main (ou un doigt) » (DST 285)
Ce passage est à rapprocher de la remarque de H. Maldiney sur le rapport, chez Ponge, entre l'objet textuel et l'objet extérieur : « Ce comme n’est pas de comparaison mais d'explication réciproque entre leurs formes en formation, entre la page s'écrivant et la chose se manifestant, toutes deux indiquent la même direction dimensionnelle « (Maldiney, 101).
13 D’autant que Magritte a peint du « Ceci n'est pas une pipe » (caché éventuellement derrière d'autres titres, tels La Trahison des images) une variante Ceci n'est pas une pomme, datée de 1964, avec substitution à l'image et au graphisme du nom de la pipe ceux d'une pomme.
14 Tout comme pour les opérateurs de la rhétorique visuelle à l'œuvre dans l'image magrittienne, il est difficile — et sans grand intérêt — d'identifier et de recenser les figures qui sont à l'œuvre dans le travail d’écriture de Ponge. La raison principale en est qu'il s'agit en tout état de cause d'opérations langagières qui mobilisent l'inépuisable variété des potentialités locutives enfouies dans l'« épaisseur » des mots — opérations que Ponge voit en connivence mimétique avec l'objet : « une forme rhétorique par objet (c.-à-d. par poème) » (M37). On trouvera quelques tentatives intéressantes de systématisation dans Bonnefis-Oster : Ponge inventeur et classique, surtout les contributions de M. Riffaterre, Ponge tautologique, ou le fonctionnement du texte et de G. Farasse, Quelques phrases mises de côté pour Francis Ponge...
15 Allusion au tableau Le Mal du Pays.
16 Voir aussi Jongen 1994, 252-253 et 235-237.