Les nouveaux modes de traitement des conflits pénaux : vers de nouvelles temporalités pénales ?
p. 599-616
Texte intégral
Introduction
1Le droit pénal est, depuis le début des années nonante, une matière en mouvement. Ce mouvement est celui des nombreuses réformes intervenues dernièrement, mais aussi celui d’une accélération du fonctionnement des juridictions pénales et, plus généralement, du système répressif. L’exemple qui vient immédiatement à l’esprit en la matière est celui de la convocation par procès-verbal (dite « procédure accélérée ») consacrée en 1994 dans l’article 216 quater du Code d’instruction criminelle. Mais cette procédure n’est pas la seule à modifier la temporalité judiciaire pénale. L’on peut ainsi s’interroger sur l’impact de l’adoption d’un article 216ter du même Code d’instruction criminelle — introduisant la médiation pénale — sur le fonctionnement temporel du système pénal. S’il semble à première vue que cette institution ne participe pas du mouvement d’accélération qui est évidemment à l’œuvre dans le cadre de la procédure accélérée, on peut pourtant se demander quelle est sa vraie fonction temporelle.
2La médiation pénale est ce qu’on appelle couramment un « mode alternatif » de résolution des conflits pénaux. Adoptée en 1994 en Belgique1, elle présente chez nous une série d’ambiguïtés fondamentales. L’on se prend ainsi à s’interroger sur son caractère alternatif, sur la réalité de son éloignement par rapport au système judiciaire, sur le bien-fondé de son appellation, sur le rôle réellement joué par le ministère public en son sein, etc.
3Les questions de la place de la médiation au sein du système judiciaire et de sa nature réelle seront au centre du présent article. L’étude des temporalités à l’œuvre dans le procès pénal classique et dans la médiation pénale et de ce qu’elles impliquent sera une occasion d’aborder ces questions sous un jour particulier.
4Il sera donc question ici, dans un premier temps, de la temporalité propre au procès pénal et de ce qu’elle révèle des conceptions du conflit et des parties véhiculées par le système judiciaire. Ensuite, nous nous pencherons sur la médiation pénale afin de déterminer quelle est sa temporalité non seulement idéale mais également telle que voulue par le législateur et les magistrats du ministère public. Des similitudes et différences constatées, il sera alors possible de tirer des enseignements généraux sur les rapports entre le droit pénal et la médiation pénale.
1. La temporalité du procès pénal : abstraite et syncopée
5Le procès pénal sera pris ici au sens large, c’est-à-dire comme ensemble comprenant non seulement le procès proprement dit, mais également les actes préparatoires à celui-ci. Il s’agit donc d’examiner le processus qui mène au jugement pénal, et ce depuis son entrée dans le système judiciaire pénal.
1.1. Le temps du procès pénal
6La procédure pénale est un ensemble rigide dont le strict respect est l’un des piliers de la justice pénale. Elle rythme le procès pénal en définissant les étapes du cheminement du dossier et leur durée. Il en découle un procès pénal fait de l’alternance de périodes d’attente du système judiciaire — qui sont l’occasion d’un intense travail des acteurs du procès pénal — et d’instants de décisions. Ces moments sont des points précis de rupture qui se traduisent pour les parties par des modifications de statut (un auteur présumé devient inculpé, puis prévenu ou accusé et enfin, peut-être, coupable, condamné) et de droits (les droits de la défense ne sont pas les mêmes pour un prévenu et pour un inculpé, la mise en détention préventive prive de certains droits et en fait naître de nouveaux, etc.). L’on voit donc se dérouler un temps discontinu qui est fait de latences et de modifications brusques de la situation et que l’on pourrait caractériser de syncopé.
7Le temps du procès pénal est un simple vecteur d’éléments juridiques se posant comme indifférent à la valeur éthique de ces derniers2. En tant que tel, le temps du procès pénal peut être qualifié de quantitatif, linéaire et dimensionnel pour reprendre les caractères attribués par J.M. Trigeaud au temps du contrat. Ce temps est quantitatif et dimensionnel en ce qu’il a pour principale fonction de séparer des événements dont la survenance est connue d’avance et non de les faire advenir ; il n’est que secondairement un moyen d’agir sur la situation traitée par le système judiciaire. Il est donc principalement une dimension qui peut être comptée et susceptible de s’épuiser ; ou encore un instrument de mesure des écarts entre les différentes étapes de la procédure. Le temps est linéaire en ce qu’il est à sens unique et ne souffre ni rétrogradation ni immobilisations. Il se déroule en direction d’un point précis : l’élaboration d’un juge ment. Sa linéarité découle également de ce qu’il présente peu de variations qui ne soient prévisibles d’avance. Les délais, qu’ils soient de prescription, de fixation, de mise en état des affaires, sont tous connus ou connaissables en ce sens qu’ils sont annoncés aux moments clés de la procédure. C’est donc un temps qui n’est ni récursif ni sinueux.
8Cette vision d’un temps pénal axé sur le délai et la mesure de l’intervalle séparant les phases de la procédure ne doit pas conduire à affirmer qu’aucun changement ne survient du fait de l’écoulement du temps dans la gestion d’un dossier pénal au sein du système judiciaire. En effet, on a pu mettre l’accent sur un processus d’apaisement des conflits et d’évolution des parties consécutif à l’écoulement d’un certain temps entre l’infraction et son dénouement judiciaire. Ainsi l’écoulement du temps pénal peut-il être conçu comme « l’instauration d’une trêve, d’un temps de la réflexion »3. Le temps de l’attente d’un châtiment certain peut aussi être envisagé comme faisant partie de la peine comme c’était le cas pour les anciens Grecs4. Il faut donc nuancer la conception du temps pénal présentée ci-dessus. Pour autant, cette fonction du temps du procès pénal ne nous semble pas relever de la fonction principale assignée au temps. Le temps du procès pénal ne peut donc être fondamentalement considéré comme celui de la maturation du conflit et de l’évolution intime des parties. Force est de constater qu’il est avant tout celui qui sépare différentes étapes cruciales du déroulement du procès, un ensemble d’unités de mesures marquant des étapes charnières. Il s’agit avant tout d’un temps qui se déroule d’une manière fixe et fortement prévisible. Les effets de son écoulement sur les individus et leurs relations sont donc priés de prendre place dans un cadre prédéfini.
9De tout ceci, il découle que le temps du procès pénal est un temps abstrait, indépendant de la perception de son écoulement par les parties ou de circonstances particulières de la cause non objectives ou objectivables.
10Outre son caractère abstrait, le temps du procès pénal est aussi un temps approprié par le système répressif. Son écoulement est mesuré et maîtrisé par les institutions judiciaires qui le mobilisent dans le but d’accomplir leur mission. Il s’agit donc d’un temps autoritaire au service du système pénal. Bien entendu, des aménagements sont prévus qui visent à permettre l’exercice de certaines prérogatives par les parties (appel, exercice des droits de la défense, etc.), mais il n’en demeure pas moins que les parties n’ont que peu de prises sur l’écoulement temporel du procès pénal. Ces caractéristiques sont logiques au regard des objectifs du processus que constitue le procès pénal : il s’agit de permettre d’aboutir à un jugement équitable. Voilà donc le point de mire et la justification de toute intervention judiciaire pénale. Il est donc logique que le temps pénal soit principalement au service de cette tâche propre au pouvoir judiciaire.
11On remarquera à ce propos que la consécration dans les textes de la convocation par procès-verbal (art. 216quater C.I.C.) a pour effet de permettre au système judiciaire de maîtriser davantage le déroulement temporel du procès pénal.
12Cette vision de la temporalité du procès pénal doit être nuancée, nous l’avons dit. Pourtant, il semble qu’elle soit aujourd’hui encore fortement prédominante, notamment dans le chef du législateur. La procédure accélérée, récemment adoptée en droit belge, est un exemple de la persistance de ces conceptions. Ce mode particulier de mise en route du procès pénal vise à maintenir le fonctionnement général du système, tout en s’efforçant de réduire l’importante période de flottement qui s’étend entre la fin de la constitution du dossier et la comparution devant une juridiction pénale ; intervalle qui n’a d’autre utilité — dans le cas de dossiers juridiquement simples — « que » de permettre au prévenu de préparer sa défense. La conception de la temporalité du procès pénal qui sous-tend l’adoption de ce texte est fondée sur le constat suivant lequel « la justice, par la complexité de ses procédures, ses lourdeurs, ses lenteurs, son encombrement excessif ne remplit pas parfaitement la mission que la société attend d’elle ».5 On voit donc que la justification de la procédure accélérée réside en la nécessité de se débarrasser d’une partie du formalisme judiciaire, lequel n’est alors considéré que comme un obstacle sur la voie qui mène à la décision pénale. Dans cette optique, les nécessités d’un processus menant à la condamnation justifient l’ouverture d’un temps qui s’écoule après la constatation de l’infraction ; temps dont la seule fonction est de séparer les diverses étapes tout en permettant au système répressif de préparer la condamnation du délinquant. Il n’est donc pas question de le faire durer au-delà de cette stricte nécessité. La temporalité du mûrissement, présente à titre d’accessoire dans les conceptions plus classiques du procès pénal, disparaît ici presque totalement au profit d’une temporalité de la réaction immédiate, du choc résultant de la rencontre rapide avec la loi. Ce qui compte, c’est bien de réagir rapidement pour éviter de discréditer l’appareil judiciaire6. La seule fonction de celui-ci — et du procès pénal — est donc d’appliquer la loi.
13Bien entendu, l’accélération du traitement d’un dossier pénal ne semble devoir mener qu’à l’accroissement de son abstraction. Sans plus de place pour les considérations subjectives, la loi reprend sa place et désigne le fait infractionnel « objectif » comme centre d’intérêt quasi exclusif. Dans ce contexte, le fait que certains auteurs en viennent à regretter que la célérité de la procédure pénale ne soit pas élevée « au rang de principe essentiel de la procédure pénale »7 est pour le moins inquiétant. Ainsi, le dommage qui pourrait en résulter pour d’autres types de garanties (principalement celles qui concernent la défense du prévenu) et la conception même de la célérité et de son utilité incitent à la méfiance.
14Dans le même esprit, la rapidité de la procédure est présentée comme une manière de donner un sens à celle-ci8. Elle serait une vertu en elle-même. Cette thèse est contestable dans la mesure où l’on peut se demander comment le sens pourrait découler de la rapidité même de la procédure pénale. Une des vertus de la rapidité serait d’empêcher que le sens propre à la réaction pénale ne périsse du fait de l’écoulement d’un délai trop important ; la question est alors de savoir si la procédure accélérée permet réellement de préserver ce sens et si elle ne sombre pas dans l’excès inverse. L’on peut en tout cas douter que puisse être atteint le point d’équilibre entre le trop rapide et le trop lent décrit par M. van de Kerchove9 ; dans la mesure où le temps semble considéré comme un élément délétère portant nécessairement préjudice aux valeurs de notre société représentées par les seuls intérêts du système judiciaire.
15Le procès pénal actuel ne peut donc plus être considéré que marginalement comme le lieu de déploiement d’une temporalité ambivalente : mesure abstraite d’un intervalle entre deux étapes de la procédure et cheminement des parties à travers une institution dans la fonction est aussi de les faire évoluer. Il ne subsiste que la dimension d’une mesure abstraite, monopolisée par le système judiciaire, de la séparation de différentes étapes de la procédure dont il importe, en outre, qu’elle soit la plus brève possible.
1.2. L’homme comme sujet de droit : l’empire de la réponse
16La procédure pénale mène à une temporalité particulière qui est cohérente au regard des conceptions anthropologiques qui sont au fondement de l’intervention pénale.
17L’individu qui est pris en considération par le système pénal est avant tout un sujet de droit. Bien entendu, de nombreuses institutions de droit pénal visent à prendre en compte la personnalité du délinquant, mais il n’empêche que ce système ne peut renier sa filiation avec les conceptions du droit qui prévalaient au XIXe siècle. On ne peut en outre pas nier que la tentation existe d’un retour aux sources du droit pénal. Nous n’en sommes plus, certes, au Code pénal napoléonien qui n’offrait presque aucune possibilité d’adaptation de la peine prononcée aux circonstances de la cause, ni au système de la légalité des poursuites, mais l’on ne peut affirmer pour autant que les individus jugés le sont moins en tant que sujets de droit qu’en tant que personnes ayant leur histoire et leurs caractéristiques propres. Les tentatives d’échapper à cette conception de la personne humaine ont débouché sur des théories comme celle de la défense sociale, incapables d’offrir un système alternatif à celui décrit ci-dessus. Le cœur même du système pénal reste donc conforme à ses origines.
18Le développement récent de la procédure accélérée semble être le signe de l’existence d’une tentation d’en revenir à une conception de l’individu davantage basée sur la notion de sujet de droit ayant commis un acte défini comme répréhensible par un texte légal. Ce dont il s’est agi à cette occasion fut, non pas de tourner le dos à la tradition pour permettre une meilleure prise en considération de l’individu en ce qu’il a d’unique, mais tout au contraire d’accélérer le déroulement du procès pénal, avec pour conséquence logique une diminution de son individualisation.
19Paradoxalement, les partisans de la procédure accélérée prétendent que celle-ci permet d’accroître l’individualisation. L’on ne voit pourtant pas comment il pourrait en être ainsi. En effet, de deux choses l’une, ou bien le traitement des dossiers, avant l’adoption de l’article 216quater du Code d’instruction criminelle, était automatique et peu soigneux. La réflexion menée à propos de la procédure accélérée a permis de modifier cette situation. Dans ce cas, on ne pourrait attribuer le mérite de l’augmentation de l’individualisation du traitement des dossiers pénaux à la procédure accélérée en tant que telle. Ou bien, la multiplication des modes d’intervention possibles est considérée par les officiers du ministère public comme entraînant par elle-même une hausse de l’individualisation du traitement des affaires. Ceci renviendrait alors à postuler que les critères pris en compte, parce qu’il y a moins d’uniformité dans le traitement, dépendent davantage des circonstances particulières à chaque cause et non de critères tels que l’appartenance des délinquants à l’un ou l’autre groupe perçu comme problématique ou la commission d’infractions perçues en elles-mêmes comme appelant une réaction prédéterminée. Il nous semble que la seule « individualisation » à laquelle puisse mener la procédure accélérée est fondée sur une multiplication des traitements différenciés en fonction de critères qui ne peuvent ressortir à la personnalité du délinquant — le temps faisant par trop défaut dans la procédure accélérée — mais bien à des catégorisations hâtives, centrées sur les éléments les plus immédiatement visibles et analysables d’un dossier supposé simple, tels que la gravité intrinsèque de l’infraction, l’origine sociale ou « ethnique »10 des justiciables, leurs réactions face à l’appareil judiciaire, etc. Ce type de catégorisation a priori ne peut donc passer pour une réelle individualisation ; que du contraire, elle ne peut qu’être l’occasion de ne plus prendre en compte certaines particularités des cas rencontrés.
20Il semble donc que le droit pénal puisse toujours être décrit dans les termes utilisés ci-dessus, et ce malgré leur relativisation du fait des réformes intervenues au cours du XXe siècle.
2. La temporalité de la médiation pénale : rencontre de visions opposées
21La médiation pénale est à première vue diamétralement opposée au procès pénal, non seulement par les conceptions de la personne humaine qui sont à son fondement, mais aussi par son déroulement temporel. Cependant, les nombreuses critiques émises à son égard dès l’adoption de l’article 216ter du Code d’instruction criminelle incitent à la prudence. En cette matière, il semble particulièrement utile de distinguer le niveau de l’idéal de celui de la médiation pénale telle qu’elle existe réellement en Belgique.
2.1. L’idéal : le temps opératoire d’une alternative au procès pénal
22La médiation pénale peut être présentée, assez classiquement, comme « un processus au cours duquel un tiers neutre permet aux parties de confronter leurs points de vue et leur propose de rechercher une solution commune à la situation problématique qu’elles ont vécue »11.
23Nous nous pencherons ici sur l’idéal particulier que véhicule la médiation pénale en général. Celui-ci sera, dans un second temps, mis en rapport avec la vision du législateur et des acteurs judiciaires de la médiation pénale belge.
2.1.1. La continuité d’un temps opératoire
24La médiation est fondée sur une conception du temps qui paraît radicalement différente de celle qui est à l’œuvre dans le procès pénal. Il n’est pas question de déterminer les modalités temporelles de l’application de la loi à un cas. Il ne s’agit donc pas d’un temps conçu comme séparant le signalement d’un comportement d’une décision unilatérale d’application d’un texte préexistant par une autorité judiciaire. Au contraire, la médiation pénale, en ce qu’elle consiste en la remise du conflit aux parties en présence d’un tiers, se veut un processus d’évolution des individus. Chaque interaction étant différente, chaque médiation sera, de même, particulière, y compris dans son déroulement temporel. Les uns auront besoin d’un temps très long pour s’accorder ou oser se rencontrer, les autres iront droit au but. Certains préféreront prendre leur temps et espacer les rencontres, les autres opteront pour un processus ramassé dans le temps pour clore le dossier le plus rapidement possible, etc.
25Ce mode de résolution des conflits peut être considéré comme l’incitation des parties à accomplir un certain parcours personnel dans le cadre d’un processus conçu comme pacificateur12. L’on va jusqu’à considérer qu’il ne s’agit plus d’une négociation, mais avant tout d’une participation à un rituel, d’un effort d’imagination et de participation devant aboutir à la reconstitution du lien social13.
26En l’absence d’un objectif d’application d’un texte de loi préexistant, la médiation devient un espace temporel porteur d’évolution pour les parties. Il n’est visiblement plus question d’un temps quantitatif, linéaire et dimensionnel. De même, les durées ne semblent plus être déterminées par l’institution judiciaire usant d’un temps qui lui appartient. Le temps acquiert une « vie » propre et devient instrument de création du sens ; il devient processuel, continu, particulier et social. Il est processuel du fait de son action propre au cœur même de la médiation pénale. Il est l’un des éléments qui permettent aux objectifs de cette procédure d’être atteints. Continu, il l’est du fait de l’absence de découpage strict du temps. Bien entendu, il subsiste des moments essentiels de rencontre entre les divers acteurs, mais la durée qui les sépare joue un rôle direct dans le déroulement même du processus. L’on ne peut affirmer que le travail de médiation prend fin avec les rencontres. Il est également particulier puisqu’il varie profondément en fonction des caractéristiques de la cause concernée. Enfin, il est social parce que lié à la perception de l’écoulement du temps à un moment et en un lieu donnés. La forte évolution de l’idée d’une justice rapide au cours de ces dernières années est, par exemple, un élément de nature à modifier la perception du cours du temps par les parties et donc susceptible de modifier leur organisation temporelle de la médiation.
27Pour ce qui est de la question de la rapidité, si les tenants de cette procédure sont favorables à une mise en route rapide de la médiation, ce n’est théoriquement pas pour des raisons techniques ou de maîtrise de gestion des flux par le système judiciaire, mais principalement pour « être encore suffisamment proche de ce qui s’est passé de manière à permettre en compagnie de l’assistant de médiation et de la victime une mise en perspective dans de justes proportions de l’incident ».14 Il n’est ici question que de hâter la mise en route de la procédure, « il est ensuite nécessaire de prendre son temps, le temps nécessaire à la dédramatisation de l’affaire et à la mise en place du processus de médiation »15.
28Comme cela a été souligné ci-dessus, le temps de la médiation n’est plus approprié par le système judiciaire. Il ne lui appartient plus comme un instrument au service de la poursuite de ses buts. Au contraire, il est le temps propre des parties, de leur milieu social et de la complexité de leur différend. Il n’est plus instrumentalisé par une institution de gestion mais utilisé par les intervenants pour mener le processus à bien.
2.1.2. L’homme comme individu : le domaine de la solution
29La vision de la temporalité de la médiation que nous venons de décrire découle logiquement des conceptions de l’homme et de la régulation sociale qui sont à la base de cette procédure16. L’on peut ainsi relever que la médiation est considérée comme un processus dénué d’autorité. Il ne s’agit plus que d’aider les parties à évoluer vers le règlement de leur différend.
30Ce qui est à la base même de cette vision du processus, c’est le fait que les parties au conflit ne sont plus considérées en tant que sujets de droit, mais bien comme des individus. Il n’est alors plus question de donner à chacun selon son droit, mais plutôt de permettre d’exploiter un mouvement discursif devant aboutir à une évolution de chacun en fonction de ses capacités et de ses désirs. Le justiciable abstrait disparaît au profit de la personne humaine avec son histoire propre, son intégration sociale particulière et la relation qui la lie à la partie « adverse ».
31De la même manière, la médiation n’est pas considérée comme une réponse à la délinquance, mais plutôt comme la recherche d’une solution. L’on quitte donc le domaine de la réaction toujours plus ou moins violente des appareils étatiques à l’encontre de contrevenants. De l’infraction perçue comme le point de départ précis d’un processus judiciaire codifié, l’on passe à une situation problématique dont l’infraction n’est plus qu’un aspect parmi d’autres, un point de départ rapidement relativisé et qui est l’amorce d’une volonté de sortir de l’impasse. Le passage à l’idée de solution est essentiel en ce qu’il détermine, non seulement un élargissement des faits pris en compte, mais aussi un accroissement de la sphère d’intervention des organes chargés de la médiation. Il ne s’agira donc plus d’apporter une réponse préexistante à un délit, mais bien une solution large et variable à un problème.
32Par ailleurs, cette dernière pourra être celle qui est apportée au problème vécu par les parties, mais également au trouble social causé par l’infraction ou encore à la situation à la base du comportement infractionnel de l’auteur.
33Enfin, le passage au paradigme de la solution justifie l’abandon de la notion de punition. De la rétribution, on passe à la réparation au sens large. Par conséquent, la position relative des parties se trouve fortement remise en question. Les relations manichéennes entre la victime et l’auteur font place à un système où chacun doit pouvoir revendiquer une position nuancée et reconnaître sa part de responsabilités. Les critères de justice et d’équité en deviennent éminemment relatifs tant il est impossible de comparer la satisfaction d’un individu dans une situation donnée avec quelque situation que ce soit.
34Le paradigme de la solution est donc à l’origine de la distinction radicale que l’on peut faire, du moins en théorie, entre le procès pénal et la médiation.
2.2. La réalité : le danger d’une instrumentalisation
35La médiation belge ne trouve pas son origine dans les initiatives du monde associatif mais bien dans l’action du gouvernement par le biais d’un projet pilote et puis d’un amendement introduit en commission de la justice et visant à créer un article 216ter dans le Code d’instruction criminelle. Le cœur du problème était de trouver des solutions aux nouveaux défis posés à la politique criminelle depuis la fin des années quatre-vingts. C’est pourquoi le discours des acteurs étatiques — qu’il s’agisse du législateur ou des magistrats du ministère public — a une importance toute particulière. C’est d’autant plus le cas qu’en Belgique la médiation pénale se déroule à l’ombre du parquet et non au sein d’institutions indépendantes de l’État.
36La procédure de médiation pénale s’enclenche lorsque le magistrat du ministère public titulaire d’un dossier décide de le transmettre au service de médiation pénale. Ce dernier est composé d’assistants sociaux qui vont tenter de faire se rencontrer la victime et l’auteur de faits délictueux. Le but du processus est de parvenir à un accord entre les parties sur l’indemnisation de la victime de l’infraction pénale à la base du conflit. En échange du respect de la convention établie à l’occasion de l’accord des parties, l’action publique sera éteinte. Il s’agit donc théoriquement d’un processus de négociation radicalement différent du procès pénal ordinaire.
37Les discours que nous analyserons ici présentent un double visage : au fil des interventions des acteurs étatiques, l’on retrouve imbriquées deux conceptions contradictoires de la médiation pénale. On y trouvera des interventions reprenant fidèlement l’idéal de la médiation pénale tel que décrit ci-dessus, mêlées à d’autres relevant strictement de la logique pénale classique.
2.2.1. La médiation dans l’urgence ?
38Dans les prises de position des acteurs étatiques, la temporalité de la médiation pénale est vue tantôt comme progressive et lente, caractéristique d’un processus mû par sa logique propre, et tantôt comme rapide, alors emblématique d’une procédure ayant pour but de favoriser l’écoulement des dossiers pénaux au travers du système judiciaire.
39En effet, certaines parties des travaux préparatoires pourraient donner à penser que les conceptions idéales de la médiation pénale ont été entendues par l’État. Il est par exemple affirmé que « outre le jugement rapide, des solutions alternatives doivent être recherchées pour assurer des formes de réaction sociale n’impliquant pas nécessairement l’intervention du juge ».17 Cette phrase permet de penser que la volonté du législateur est de créer une institution qui ne se résume pas à une accélération du procès pénal mais consisterait en la mise sur pied d’une procédure reposant sur une logique propre dont on pourrait attendre une temporalité fort différente de celle du procès pénal.
40Le premier substitut du procureur du Roi à Bruxelles et magistrat de liaison en médiation pénale au parquet de Bruxelles, Mme De Vrœde, affirme également que « la médiation pénale proprement dite est une procédure innovatrice. Elle répond à une logique très différente de celle qui sous-tend la justice pénale traditionnelle ».18 Pour ce qui est de la temporalité, cet auteur pose que « l’objectif des discussions est de recourir à des modes non conflictuels de résolution des problèmes et d’aboutir à un accord écrit et concret. Ce travail peut prendre un certain temps ».19 Ce dont il s’agit ici, c’est bien de créer une dynamique qui permette aux parties de travailler leur conflit pour évoluer vers une solution personnelle et créative.
41Les apparences plaident donc en faveur d’une temporalité de la médiation pénale belge profondément différente de celle du procès pénal. Cependant, après un examen attentif de la question, force est de relativiser cette impression.
42En effet, la médiation pénale est également présentée comme visant « à simplifier et à accélérer la réaction sociale face à la petite délinquance ».20 Ce qui est ici en point de mire, c’est moins le fait qu’il faille modifier la logique pénale, que le constat selon lequel « la procédure qu’il faut suivre pour condamner est lente, non seulement en soi, non seulement parce qu’elle se décompose en deux phases, l’une policière l’autre judiciaire, mais aussi à cause du nombre de cas en attente de jugement »21. Car, si « l’organisation de procédures rapides, objet d’un projet de loi distinct, ne suffit donc pas et doit s’accompagner de la mise en place d’autres formes de réaction sociale », le but poursuivi est d’« offrir aux instances judiciaires la possibilité et les moyens de réagir plus rapidement et plus ostensiblement à la petite délinquance et contribuer ainsi à la régulation de la vie en société afin de rendre au citoyen la confiance dans l’institution judiciaire et, par là, au Droit sa crédibilité sans nécessairement aller jusqu’à la condamnation ou la prison »22. Cet exemple, qui peut être augmenté de nombreux autres23, montre une vision de la médiation bien différente de celle qui prévaut chez les partisans non-institutionnels de la médiation pénale. Ce qui est mis en évidence est moins une volonté d’élaboration d’une temporalité propre à la médiation pénale que celle de l’utilisation temporelle de cette procédure par le système judiciaire sensu lato pour lui permettre de réagir plus vite ou de traiter davantage de dossiers.
43Au-delà de cette possible instrumentalisation, c’est toute la temporalité de la médiation pénale elle-même qui est ambiguë. Ainsi apprend-on que « les avantages de la nouvelle procédure sont au nombre de trois : la victime est immédiatement dédommagée, il y a une réaction sociale rapide et l’action publique s’éteint ».24 Le premier avantage mis en évidence concerne le déroulement temporel de la médiation pénale qui est conçu comme relevant de l’immédiateté. On peut ainsi douter que les idéaux de lent mûrissement intérieur des parties soient réellement au centre des préoccupations du législateur. Le « certain temps »25 que peut prendre la médiation pénale semble n’être pas un temps certain. Par ailleurs, on remarquera que seule la question de l’indemnisation de la victime est abordée.
44Le deuxième avantage reconnu à la médiation pénale porte sur la rapidité de réaction du ministère public et celle nécessaire à faire parvenir le dossier au service de médiation pénale. Le caractère indispensable de cette célérité est rappelé à diverses reprises26, y compris par les organes d’application de la loi sur la médiation pénale qui montrent par là qu’ils ont bien conscience des demandes que le législateur leur adresse27. Pour ce qui est du souhait de rapidité de la sélection tel qu’exprimé par les conseillers en médiation, l’on remarquera qu’il est douteux que leurs motivations, à savoir d’« être encore suffisamment proche de ce qui s’est passé de manière à permettre en compagnie de l’assistant de médiation et de la victime une mise en perspective dans de justes proportions de l’incident »28, soient identiques à celles du législateur. L’affirmation de la nécessité d’une sélection rapide et du traitement instantané des dossiers au sein des services de médiation laisse à penser qu’il ne prend en compte que l’accélération du processus global de traitement des dossiers pénaux. Le temps reste donc cet élément qui sépare la commission d’un fait de son issue judiciaire et dont la qualité principale est la brièveté.
45La temporalité de la médiation pénale semble donc bien être instrumentalisée au profit du système judiciaire et réduite à des registres déjà mis en œuvre par ce dernier.
2.2.2. Une réponse de plus ?
46Ce que l’on peut observer de la temporalité de la médiation pénale telle qu’elle est décrite par les acteurs institutionnels pousse à s’interroger sur la nature fondamentale de ce processus, et plus particulièrement sur les rapports d’instrumentalisation qui pourraient lier la médiation pénale au traitement classique des dossiers pénaux.
47A la lecture des travaux préparatoires et des considérations émises par les magistrats intéressés par la médiation pénale, l’on se prend à douter de ce que cette procédure soit réellement un mode de fonctionnement neuf dans l’appareil judiciaire.
48« La médiation pénale est une forme alternative d’intervention de l’autorité judiciaire pour apporter une solution à la situation conflictuelle causée par une infraction en faisant appel à la collaboration responsable des parties ».29 Ce qui frappe de prime abord dans cette définition qui émane du gouvernement, c’est son caractère restreint et peu ambitieux en termes de modification des logiques pénales30. En la comparant à la définition citée plus haut, on ne peut que constater que le gouvernement entend maintenir la médiation dans le giron du pouvoir judiciaire pris au sens large. Ainsi les parties ne sont-elles pas au centre du processus ; il est seulement fait appel à leur collaboration responsable. En un même sens, dans la circulaire « médiation pénale » du 28 octobre 1994, le ministre de la Justice affirme : « il est clair que les décisions sont prises par [le] magistrat [chargé de la médiation] mais que l’assistant de médiation prend tous les contacts nécessaires avec la victime, l’auteur, les centres de formation ou de santé mentale [...] » et « la tâche de l’assistant de médiation est plus de nature judiciaire que de nature sociale »31. La conception de la médiation pénale comme appendice des modes d’action ordinaires du pouvoir judiciaire se confirme donc dans le chef des organes chargés d’appliquer les textes.
49Dans la même optique, les buts assignés à la médiation pénale par le législateur sont encore plus révélateurs. Entre les quelques affirmations de la recherche d’une solution réellement alternative et nouvelle par rapport aux modes d’action classiques32, se trouvent de nombreux éléments qui montrent que le but poursuivi est d’augmenter l’efficacité ou l’efficience de l’intervention étatique dans le cadre de conflits pénaux33. C’est ainsi qu’on apprend qu’il faut « offrir aux instances judiciaires la possibilité et les moyens de réagir plus rapidement et plus ostensiblement à la petite délinquance [...] »34. Le projet de loi semble ainsi présenté pour « donner une réponse aux reproches souvent entendus selon lesquels le comportement délinquant reste impuni »35.
50L’on peut donc se demander si la médiation pénale n’a pas été introduite en droit belge comme instrument au service de la pérennité du système judiciaire classique. L’objectif principal semble être de restaurer le crédit de la justice et de donner un signal au citoyen, non pas tel qu’un changement soit à l’œuvre dans le traitement des affaires pénales, mais bien que l’État ne baisse pas les bras et mobilise de nouveaux moyens à la poursuite de buts inchangés.
51Il semble donc que la médiation pénale ne s’insère pas dans une logique de prise en compte des individus et de recherche d’une solution aux problèmes ayant mené à l’accomplissement d’un fait infractionnel mais dans celle de la réponse à un acte.
52Ainsi, à propos de l’attitude prise à l’égard de l’auteur, a-t-on parlé « de réagir, de réparer, de responsabiliser »36. L’on voit donc apparaître l’idée de la médiation pénale comme réaction et non comme proposition de solution. On comprend dès lors mieux pourquoi les travaux préparatoires présentent la médiation comme l’un des « moyens du parquet pour trouver une solution face à un comportement délictueux, sans devoir recourir au tribunal pour y requérir une peine »37. Ce qui semble visé ici, ce n’est pas la recherche d’une solution à un problème social menant à un comportement infractionnel, mais bien l’apport d’une réponse à la commission de l’infraction elle-même. Le but est de « donner un sérieux avertissement à l’auteur d’une infraction et de privilégier les intérêts de la victime éventuelle »38. La perpétuation de cette logique semble avoir été bien comprise par le ministère public39.
Conclusion. Une instrumentalisation de la médiation pénale ?
53L’analyse de la temporalité de la médiation pénale nous a donc permis de dégager plus précisément les relations qui unissent le procès pénal à cette mesure « alternative ».
54Ce qui peut ainsi être mis en évidence, c’est la poursuite d’une volonté, non de faire diversion par rapport au système classique de traitement des conflits pénaux, mais bien d’augmenter les performances de ce dernier par l’adjonction de nouveaux modes de fonctionnement. Il est particulièrement clair que le législateur, lorsqu’il a adopté l’article 216ter du Code d’instruction criminelle, avait à l’esprit la situation intenable d’un système judiciaire face à des difficultés majeures de gestion des flux de dossiers. La question de la temporalité, et particulièrement du manque de temps, est donc l’un des points centraux de la réflexion belge sur la médiation pénale. La lenteur de la justice est en point de mire et s’impose comme un axe de pensée particulièrement contraignant.
55De là, il découle que la médiation pénale est avant tout une manière pour le système judiciaire pénal de se décharger d’une partie de son volume de travail. Dans ce contexte, le développement de temporalités novatrices importe peu. C’est pourquoi des solutions a priori aussi différentes que la procédure accélérée et la médiation pénale furent adoptées presque en même temps et sur la base d’objectifs similaires40. L’idée poursuivie est de mettre en œuvre des processus qui permettront, soit de travailler plus vite, soit de ne plus avoir à travailler sur certains dossiers. Qu’importe le cheminement des dossiers au sein des procédures mises sur pied, pourvu que ces dernières permettent au système judiciaire d’économiser une partie de son temps sans renoncer à voir traiter les contentieux dont il a connaissance.
56Dans ce contexte, l’accent est mis sur la nécessité d’un contrôle fort de l’institution judiciaire vis-à-vis du processus de médiation pénale, et ce afin que les objectifs classiques du système pénal ne soient pas contournés. La médiation pénale est une parenthèse, si possible définitive, tracée autour de certains dossiers. Il est ainsi toléré qu’elle fonctionne sur un mode temporel marginal, mais fermement souhaité qu’elle ne traîne pas en chemin. On lui demande donc de hâter le mouvement, on lui fixe des objectifs exigeants en termes de déroulement temporel, etc. Ce qui compte, c’est que le judiciaire y gagne en termes de temps.
57On se trouve alors face à une médiation prise en tenaille. D’une part, à peine de ne jamais pouvoir prétendre qu’une médiation pénale existe en Belgique, les services de médiation se doivent de développer un mode de fonctionnement propre à cette procédure, et donc de veiller à sa régulation temporelle spécifique. D’autre part, ils sont tenus de satisfaire certaines fonctions particulières au système judiciaire. Dans ce cadre, la médiation est soumise à des contraintes temporelles sévères qui lui sont étrangères. C’est ainsi que, la plupart du temps, les processus de médiation pénale sont limités à trois rencontres : la première réunit l’auteur et l’assistant de médiation, la seconde la victime et l’assistant de médiation et la troisième met les parties en présences, si du moins il est possible d’en arriver là. La nécessité de faire face à l’afflux de travail, à la complexification des dossiers et aux exigences du système judiciaire pénal ont pour conséquence que la médiation pénale est un hybride bien difficile à classer.
58Dans le système belge, la temporalité pénale classique reste à ce point dominante que l’on peut douter des possibilités d’évolution de celui-ci vers une plus grande indépendance de la médiation. La perspective qui s’ouvre semble donc se focaliser fortement sur la temporalité judiciaire ; les modes dits alternatifs de résolution des conflits pénaux n’étant instaurés et pensés que comme des appendices du système central qu’est le Judiciaire. Pourtant, si l’on désire aller de l’avant, la question se posera du choix entre un réseau fortement centré et uni sous un même objectif et un système réellement polycentrique comprenant diverses temporalités nettement distinctes.
59La première branche de l’alternative consisterait en l’apparition d’un temps du contrôle fortement centralisé. Dans ce contexte, la temporalité classique du procès pénal ne serait plus la seule à avoir cours dans les systèmes répressifs. Pour autant, le diversification ne serait pensée qu’à son service total. Le maintien d’une vocation peu ou prou répressive dans le système empêcherait une réelle différenciation du réseau pénal. L’opportunité commanderait pour chaque dossier l’un ou l’autre déroulement temporel, l’ensemble des possibilités étant asservies à un même objectif de contrôle de populations problématiques ou dangereuses. Les frontières entre répression et aide, peines et mesures ou judiciaire et extrajudiciaire perdraient de leur importance dès lors que des modes de traitement des dossiers en principe différents seraient rassemblés sous une même bannière.
60Ce serait, à notre sens, faire le deuil d’une réelle médiation pénale. Nous serions face à une médiation instaurée par un Etat ayant succombé à la tentation de mettre sur pied un réseau fortement centré visant à la maîtrise par l’État d’un milieu social qui lui échappe de plus en plus. La médiation pénale pourrait ainsi être comprise comme un instrument d’aide à la sélection des cas à traiter par le système judiciaire. Ce dernier étant surchargé et bloqué, il serait ainsi tentant de mettre sur pied des institutions qui, sous son contrôle et pour servir ses buts, auraient pour tâche d’absorber une partie de la charge de travail sans remettre en question ses fondements : l’application d’une loi pénale à des populations posant problème. La médiation serait ainsi une sorte de « test » mené sur des délinquants sélectionnés par le judiciaire pour le peu d’intérêt qu’ils présentent à ses yeux, afin de déterminer si l’un des objectifs du système pénal — à savoir l’intégration et l’application de la loi pénale par les délinquants — peut être rencontré par un biais subsidiaire. Outre celui d’une « meilleure » application de la loi pénale aux populations visées, l’avantage serait celui d’une économie de temps, d’une accélération du traitement traditionnel des affaires pénales.
61Il semble que la médiation pénale telle qu’elle existe aujourd’hui, si elle ne répond pas parfaitement à une description aussi tranchée, constitue un pas — certes hésitant — dans cette direction.
62La seconde branche de l’alternative consisterait en la mise sur pied d’une médiation enfin délivrée de sa tutelle judiciaire. On ne peut en effet nier que cette procédure représente potentiellement l’irruption d’un mode de fonctionnement temporel nouveau au sein de l’institution judiciaire. Il n’est donc pas à exclure qu’il s’agisse là d’un élément qui pourrait permettre, à l’avenir, de réellement relativiser l’importance du traitement proprement pénal des dossiers et de sa temporalité spécifique. Fort de certaines avancées, le législateur pourrait être incité à revoir sa copie en s’autorisant une plus grande liberté par rapport au système pénal. La capacité de la médiation pénale à gérer sa lourde hérédité et à mettre sur pied quelque chose de neuf en matière de traitement des conflits pénaux pourrait être un atout important pour l’avenir de ce type de procédures. Encore faudra-t-il qu’existe alors une volonté de changer de cap et de concevoir différemment le comportement à adopter face à la criminalité et aux problèmes qui sont à sa base et que cette volonté soit plus forte que la tentation actuelle de frénésie, d’accélération à tout prix qui semble s’emparer des gestionnaires du système pénal.
Notes de bas de page
1 Loi du 10 février 1994 organisant une procédure de médiation pénale.
2 J.-M. TRIGEAUD, Promesse et appropriation du futur, in Le droit et le futur, Paris, P.U.F., 1985, p. 65 et 66.
3 F. OST, Jupiter, Hercule, Hermès, trois modèles du juge, in La force du droit, Paris, Esprit, 1991, p. 271 ; M. van de KERCHOVE, Accélération de la justice pénale et traitement en « temps réel », in Journ. Proc., 1996, no 311, p. 11 et 12.
4 S. SAÏD, Le futur des peines en Grèce ancienne des tragiques à Platon, in Le droit et le futur, Paris, PU.F., 1985, p. 14 à 17 ; M. van de KERCHOVE, op. cit., p. 12.
5 Doc. parl, Sén., S.E. 1991-1992, no 209-2, p. 10.
6 Idem.
7 D. VAN der NOOT et B. MICHEL, Justice accélérée ou justice expéditive : un regard critique sur l’application de l’article 216quater du Code d’instruction criminelle à Bruxelles, in R.D.P., 1999, p. 150.
8 Ibid., p. 152.
9 M. van de KERCHOVE, op. cit., p. 10 à 16.
10 Pour reprendre un critère qui, pour être flou, n’en est pas moins utilisé par les parquets. Voir D. VAN der NOOT et B. MICHEL, op. cit., p. 145.
11 G. HOUCHON et Ch. VANNESTE, À propos de la médiation pénale, in Journ. Proc., 22 janvier 1993, p. 12 et 13.
12 M.A. BRUEL, Médiation, réparation et institution du sujet, in Bulletin SNPES, FSU, PJJ, no 118, juin 1995, p. 32.
13 Ibidem. À propos des objectifs idéaux de la médiation pénale, voyez C. MINCKE, Vers un nouveau type d’utilisation du ministère public. L’exemple de la médiation pénale et de la procédure accélérée, in R.D.P., juin 1998, p. 644 à 661.
14 S. DAVREUX et E. FIEUWS, Evaluation de l’application de la loi organisant une procédure de médiation pénale dans le ressort de Bruxelles du 01.01.1997 au 31.12.1997, in Rapport d’évaluation de l’application de la loi organisant une procédure de médiation pénale en Belgique du 1er janvier jusqu’au 31 décembre 1997, Bruxelles, Ministère de la Justice, octobre 1998, p. 16.
15 Ibidem.
16 A ce propos, voir C. MINCKE, op. cit., p. 646 à 649.
17 Doc. parl., Sén., 19921993, no 652-1, p. 1. L’on voit ici une différence marquée entre les modes traditionnels de gestion des conflits pénaux et la médiation pénale, bien que le concept de « réaction sociale » vis-à-vis de la délinquance soit encore utilisé.
18 N. DE VROEDE, La médiation pénale, in J.T., 1999, p. 258.
19 Ibid., p. 262.
20 Doc. parl, Sén„ 1992-1993, no 652-1, p. 3.
21 Ibid., p. 2.
22 Ibid., p. 2 et 3.
23 Ibid., p. 3 ; Doc. parl, Sén., 1992-1993, no 652-2, p. 2, 3, 10, 12, 14 à 17 et 21.
24 Doc. parl., Sén., 1992-1993, no 652-2, p. 14.
25 N. DE VROEDE, op. cit., p. 262.
26 Voyez par exemple Doc. parl., Sén., 1992-1993, no 652-1, p. 3.
27 N. DE VROEDE, op. cit., p. 258 ; S. DAVREUX et E. FIEUWS, op. cit., p. 15.
28 S. DAVREUX et E. FIEUWS, op. cit., p. 16.
29 Doc. parl, Sén., 1992-1993, no 652-1, p. 3.
30 Voir à ce propos, P. MARY et D. DE FRAENE, Sanctions et mesures dans la communauté. Etat critique de la question en Belgique, Bruxelles, F.R.B., 1998, p. 21.
31 Circulaire ministérielle du 28 octobre concernant l’application de la loi du 10 février 1994 et de l’Arrêté royal du 24 octobre 1994, inédit, p. 5 et 8.
32 « Outre le jugement rapide, des solutions alternatives doivent être recherchées pour assurer des formes de réaction sociale n’impliquant pas nécessairement l’intervention du juge ». Doc. parl., Sén., 1992-1993, no 652-1, p. 1.
33 A propos des termes d’efficacité et d’efficience, nous renvoyons à C. MINCKE, Effets, effectivité, efficience et efficacité du droit : le pôle réaliste de la validité, in R.I.EJ., 1998, no 40, p. 115 à 151.
34 Doc. parl, Sén., 1992-1993, no 652-1, p. 3.
35 Doc. parl., Sén., 1992-1993, no 6522, p. 7.
36 N. DE VROEDE, op. cit., p. 258.
37 Doc. parl., Sén., 1992-1993, no 6521, p. 4.
38 Idem.
39 N. DE VROEDE, op. cit., p. 258.
40 Voyez C. MINCKE, Vers un nouveau type d’utilisation du ministère public, op. cit., p. 644 à 661.
Auteur
Assistant de recherche U.C.L. et F.U.S.L. Assistant en droit pénal F.U.N.D.P.
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