Le référé administratif devant le Conseil d’État ou Le Conseil d’État face à l’accélération du temps juridique
p. 509-540
Texte intégral
Introduction : but du référé administratif devant le Conseil d’Etat
Chapitre I. Le référé administratif devant le Conseil d’Etat : la loi du 19 juillet 1991
Introduction : origines de la loi (no 1-5).
§ 1. Description des procédures de référé administratif devant le Conseil d’État
La procédure en suspension de l’exécution d’un acte administratif (no 6-13)
La procédure en instauration de mesures provisoires (no 14)
§ 2. Les conditions de l’obtention d’un arrêt de suspension ou d’un arrêt ordonnant des mesures provisoires
Le caractère sérieux des moyens d’annulation (no 15)
Le risque de préjudice grave difficilement réparable (no 16-17)
§ 3. Les effets d’un arrêt de suspension
Les effets sur l’acte administratif attaqué (no 18)
Les effets sur la procédure en annulation (no 19)
Chapitre II. Le référé administratif devant le Conseil d’Etat : sa pratique et ses limites
Introduction : une illustration des résultats produits par le référé administratif devant le Conseil d’État (no 20)
§ 1. Les limites objectives au référé administratif devant le Conseil d’État
Les limites à la recevabilité du recours (no 21-23)
Les statistiques : engorgement des rôles du Conseil d’État (no 24)
§ 2. Les limites subjectives au référé administratif devant le Conseil d’État
Les variations de la jurisprudence quant au but du référé administratif devant le Conseil d’État (no 25-26)
Les variations de la jurisprudence quant au risque de préjudice grave difficilement réparable (no 27-28)
Conclusion : premier bilan (no 29-33)
Introduction : but du référé administratif devant le Conseil d’État
1« Dans une société où la voie de fait tend à s’insinuer hypocritement ou, à l’inverse, à s’imposer grossièrement aux relations nées de la vie courante, il est bon et juste qu’un juge, toujours présent et toujours disponible, puisse agir et faire en sorte que l’illicite ne s’installe et ne perdure par le seul effet du temps qui s’écoule ou de la procédure qui s’éternise »1.
21. Quand une personne s’estime victime d’un acte de l’administration, que peut-elle faire pour obtenir la réparation de son préjudice ou pour en éviter l’aggravation ? A quelle juridiction doit-elle s’adresser ?
3Si l’acte de l’administration générateur du préjudice est un acte purement matériel, la victime n’a d’autre solution que de s’adresser aux cours et tribunaux de l’ordre judiciaire.
4En revanche, s’il s’agit d’un acte juridique, elle a le choix entre soit s’adresser aux cours et tribunaux de l’ordre judiciaire, soit s’adresser au Conseil d’État, juge de l’excès de pouvoir, juge de l’annulation et de la suspension des actes administratifs juridiques :
le juge judiciaire peut condamner l’administration à rétablir le sujet de droit lésé dans ses droits subjectifs, soit par le biais d’une compensation pécuniaire, soit par une réparation en nature, c’est-à-dire par le rétablissement des choses dans leur état antérieur, ce qui signifie, en droit administratif, vu l’immunité de l’exécution de principe des pouvoirs publics, par l’injonction adressée, le cas échéant sous peine d’astreinte, à l’administration auteur de l’acte administratif illégal de prendre les mesures nécessaires pour mettre fin à l’illégalité dommageable2,
Conseil d’État, quant à lui, ne procède pas par le biais d’une condamnation de l’auteur de l’acte administratif illégal à indemniser ou à retirer son acte, mais il est compétent pour annuler lui-même ledit acte administratif illégal. L’annulation prononcée par le juge administratif supprime radicalement — « erga omnes » et avec effet rétroactif — la perturbation de l’ordre juridique que constituait l’acte administratif annulé et restitue donc l’ordre juridique dans sa situation antérieure sans que l’administration auteur de cet acte doive poser un acte quelconque pour ce faire. Sur le plan stricte ment juridique, le Conseil d’État statuant au contentieux de l’annulation peut donc lui-même donner à la victime de l’acte administratif illégal la meilleure réparation en nature qui soit, à savoir la disparition de l’acte administratif illégal depuis que celui-ci a été pris ; il s’attaque lui-même directement « à la racine du mal, (il) supprime la cause du dommage »3.
52. Cependant, il serait illusoire de croire que la procédure en annulation devant le Conseil d’État procure à la victime des actes juridiques de l’administration la meilleure réparation qui soit de son préjudice uniquement parce que l’annulation prononcée par le juge administratif produit ses effets rétroactivement. En effet, si la remise des choses dans leur état antérieur ne pose souvent pas trop de problèmes sur le plan juridique4, il n’en va pas de même des situations de fait qui ont pu s’instaurer pendant la durée de la procédure en annulation, qui peut être longue et parfois même interminable. En d’autres termes, vu son effet rétroactif et erga omnes, l’annulation d’un acte juridique administratif que peut prononcer le Conseil d’État suffit la plupart du temps à éviter la création d’une situation irréversible de droit mais non la création d’une situation irréversible de fait.
6Comme on a pu l’écrire, « Dans les faits, avoir raison dix ans5 après le trouble causé en droit, c’est avoir encore perdu. Vient le moment où statuer tard équivaut à ne pas statuer »6.
7Il convient donc de ne pas se cantonner dans une vision idéaliste des choses : pendant la procédure en annulation devant le Conseil d’État, il s’écoule toujours un certain laps de temps pendant lequel une situation de fait peut s’instaurer sur laquelle il peut être très difficile de revenir. En réalité, avant la création des procédures en référé administratif devant le Conseil d’État, de nombreux arrêts d’annulation d’actes juridiques administratifs illégaux demeuraient platoniques, compte tenu du caractère irréversible de la situation de fait préjudiciable qui s’était installée pendant la procédure en annulation.
83. Pour être plus précis, il convient de distinguer selon que l’acte administratif est du type d’actes à produire principalement des effets juridiques ou non. Sur la base de ce critère, on peut distinguer les catégories suivantes d’actes juridiques administratifs :
91. Les actes administratifs qui se suffisent à eux-mêmes pour produire leurs effets (actes qui concernent généralement directement la continuité du service public et dont les effets de droit sont plus importants que les effets de fait, et donc dont les effets sont plus facilement réparés par une annulation par le Conseil d’État, même si celle-ci intervient plusieurs années plus tard) :
les nominations et promotions d’agents publics ;
les notations et signalements d’agents publics ;
les mutations et les mises à la pension d’agents publics ; les sanctions disciplinaires mineures, tels les avertissements, blâmes et rappels à l’ordre ;
les décisions créant un emploi public ou une charge publique ;
les actes de tutelle administrative ;
etc.
10Les actes administratifs qui ne produisent que des effets pécuniaires :
les décisions discrétionnaires octroyant ou refusant une subvention ;
les actes administratifs discrétionnaires en matière de rémunérations ou de congés d’agents publics ;
les actes administratifs discrétionnaires en matière fiscale, tels les refus de renoncer à une majoration d’impôts ou les refus d’attestations pour investissements économiseurs d’énergie ;
les sanctions disciplinaires ou administratives à effets purement pécuniaires ;
etc.
112. Les actes administratifs permissifs ou prohibitifs (c’est-à-dire les actes qui autorisent ou interdisent à un administré ou à une administration la réalisation plus ou moins instantanée d’un acte matériel sur lequel le juge administratif n’a aucune prise vu que son champ d’action se limite aux actes administratifs eux-mêmes) :
les permis de construire, de modifier le relief du sol, d’abattage d’arbres, etc., les permis d’urbanisme en général ;
les permis de lotir ;
les permis d’environnement au sens le plus large du terme, en ce compris les permis d’extraction, les permis de captage d’eau, etc. ;
les permis d’exproprier, c’est-à-dire les arrêtés décrétant l’utilité publique d’une expropriation ;
les autorisations de manifester sur la voie publique, les autorisations d’occupation précaire du domaine public ;
les autorisations de participer à certaines activités publiques, telles les reconnaissances d’associations comme organisations représentatives ;
les décisions d’expulser ou de renvoyer des étrangers et les ordres de quitter le territoire notifiés aux étrangers ;
les ordres de démolition de bâtiments menaçant ruine ou présentant un danger pour la salubrité publique ;
les permis de consulter un dossier ou de recevoir un document administratif ;
etc.
123. Les actes administratifs négatifs graves (actes qui ont des conséquences morales très importantes et immédiates) :
les sanctions disciplinaires majeures infligées à des agents publics ;
les interdictions de poursuivre une activité, tels les retraits d’agrément ou les retraits de permis d’environnement ;
dans certains cas, les interdictions de consulter un dossier ou de recevoir un document administratif ;
etc.
134. Les actes détachables d’un contrat (qui donnent généralement lieu très rapidement à la conclusion d’un contrat entre l’administration et un administré, contrat sur lequel le juge administratif n’a aucune prise vu que Fauteur du contrat n’est pas seulement l’administration mais aussi son cocontractant).
14Devant ce risque de voir les victimes des actes administratifs illégaux de l’administration n’obtenir qu’une satisfaction platonique par leur annulation par le Conseil d’Etat et se heurter dès lors à la politique du fait accompli, la jurisprudence judiciaire d’abord, le législateur ensuite, ont réagi : la première en élargissant considérablement les possibilités d’intervention du juge des référés civil en matière administrative7, le second en conférant au Conseil d’État une compétence nouvelle, à savoir celle de suspendre l’exécution des actes administratifs et, d’autre part, d’ordonner des mesures provisoires, dans le cadre d’une procédure en référé administratif spécifique8.
154. En résumé, on peut dire que l’instauration du référé administratif devant le Conseil d’État a constitué une réaction à un double constat : d’une part, le glissement d’une frange importante du contentieux administratif belge devant les juridictions de l’ordre judiciaire et, d’autre part, le risque de perte de crédibilité du recours en annulation devant le Conseil d’État devant le caractère de plus en plus souvent platonique des arrêts d’annulation9.
16« Fini le temps d’une justice seulement symbolique où l’on pouvait se contenter d’une annulation d’un acte administratif déjà exécuté depuis longtemps, ou d’une réparation financière d’un préjudice en réalité non susceptible de compensation pécuniaire. Une justice d’urgence n’est pas un luxe dans des domaines comme l’urbanisme et l’environnement où, trop souvent, le fait accompli sert d’argument décisif où des dommages irréversibles peuvent être causés, faute de cessation très rapide d’une activité ou d’une construction dommageable »10.
Chapitre I. Le référé administratif devant le Conseil d’Etat : la loi du 19 juillet 1991
Introduction : origines de la loi
175. La solution au double problème évoqué ci-dessus, dans l’introduction générale, fut apportée par le législateur belge en deux temps.
18Par la loi du 16 juin 1989, le législateur conféra au Conseil d’État une compétence de sursis à exécution des actes et règlements administratifs qui était limitée aux cas où le requérant alléguait une violation des articles 6, 6bis et 17 de la Constitution de l’époque (actuels articles 10, 11 et 25 de la Constitution coordonnée), dispositions consacrant les principes fondamentaux de l’égalité et de non-discrimination en général et dans le domaine particulier de l’enseignement.
19Devant le caractère insatisfaisant de cette limitation de compétence, le législateur entendit, par la loi du 19 juillet 1991 instaurant le référé administratif devant le Conseil d’État, conférer au juge de l’excès de pouvoir une compétence générale et exclusive de suspension de l’exécution des actes administratifs, quel que soit le moyen d’annulation invoqué, pourvu qu’il soit sérieux, et y ajouter le pouvoir de prendre sous certaines conditions des mesures provisoires de nature à aménager une situation d’attente : ce sont les articles 17 et 18 nouveaux des lois coordonnées sur le Conseil d’État, entrés en vigueur le 22 octobre 1991 et complétés par l’arrêté royal du 5 décembre 1991 déterminant la procédure en référé devant le Conseil d’État.
20Avant d’entrer dans le détail de ces deux nouvelles procédures de référé administratif, on peut dire que « les caractéristiques essentielles de la suspension sont les suivantes :
la demande de suspension est un accessoire de la requête en annulation11 ;
la suspension a un caractère conservatoire ; elle agit ex nunc (sans effet rétroactif) et pendant la durée de l’instance en annulation ;
laisse subsister (NDA : dans l’ordre juridique) l’acte suspendu qui ne peut toutefois plus être mis à exécution ;
l’arrêt de suspension est revêtu de l’autorité de la chose jugée et vaut erga omnes.
21La demande de mesures provisoires se présente, elle, comme un accessoire de la demande de suspension : (..) ceci implique que, pratiquement des mesures provisoires ne peuvent être ordonnées que si la suspension est simultanément prononcée par le Conseil d’Etat »12.
§ 1. Description des procédures de référé administratif devant le Conseil d’État
A. La procédure en suspension de l’exécution d’un acte administratif
1. L’introduction de la demande de suspension
226. Toute personne qui peut agir en annulation contre un acte administratif peut également, « par un acte distinct de la requête en annulation et au plus tard avec celle-ci »13, demander au Conseil d’État d’en ordonner la suspension de l’exécution. Cela signifie que la demande de suspension peut être introduite préalablement à la requête en annulation ou simultanément, mais elle ne peut pas l’être postérieurement, même pas en cas de circonstances nouvelles, ce qui constitue une lacune importante de la loi.
23Les mentions que doivent contenir la demande de suspension sont énumérées à l’article 8 du règlement de la procédure en référé (arrêté royal du 5 décembre 1991 déterminant la procédure en référé devant le Conseil d’État).
2. L’intervention dans la procédure en suspension
247. En vertu de l’article 10 du règlement de la procédure en référé, le greffier en chef transmet « sans délai » une copie de la demande de suspension, « pour autant qu’il puisse les déterminer », aux personnes qui ont intérêt à la solution de l’affaire ; lorsque la demande de suspension a pour objet un règlement, ces personnes sont averties par la publication d’un avis au Moniteur belge, en vertu de l’article 7 du règlement de la procédure en référé (qui ne précise toutefois pas le délai de la publication de cet avis).
25La demande en intervention doit être introduite dans les quinze jours à compter de la réception de la copie de la demande de suspension notifiée par le greffier en chef ou à partir de la publication de l’avis précité, selon le cas, faute de quoi elle est déclarée irrecevable en vertu de l’article 10, alinéas 2 et 3, du règlement de la procédure en référé.
3. La note d’observations de la partie adverse, le rapport de l’auditeur du Conseil d’État et les autres mesures d’instruction
268. En vertu de l’article 11 du règlement de la procédure en référé, la partie adverse, auteur de l’acte administratif attaqué, n’a que huit jours pour déposer au greffe, à partir de la notification qui lui est faite de la demande de suspension, le dossier administratif de l’affaire et, si elle le souhaite, une note d’observations. Un exemplaire de cette note est notifié par le greffe au demandeur ainsi qu’aux parties intervenantes et à l’auditeur rapporteur.
279. En vertu de l’article 12 du même règlement de procédure, l’auditeur rapporteur n’a, lui aussi, qu’un délai de huit jours à dater de la réception du dossier complet, pour rédiger « un rapport exposant les faits et les moyens ; le cas échéant, il invite les parties à s’expliquer plus amplement sur les questions qu’il indique ». Dans la pratique, on constate que l’auditeur rapporteur donne le plus souvent déjà un premier avis sur l’affaire dans son rapport.
28Alors que le délai de huit jours donné à la partie adverse est sanctionné par l’irrecevabilité de la note d’observations déposée au-delà de ce délai, le délai de huit jours donné à l’auditeur rapporteur pour rédiger son rapport n’est, quant à lui, assorti d’aucune sanction. Ceci explique que, dans la pratique, l’auditeur rapporteur met souvent beaucoup plus longtemps — parfois six mois ! — pour rédiger son rapport.
2910. Une procédure simplifiée est prévue dans deux hypothèses :
en vertu de l’article 12, alinéa 2, du règlement de la procédure en référé, lorsque la demande de suspension paraît manifestement irrecevable ou manifestement non fondée à l’auditeur rapporteur, son rapport peut se limiter à cette question ;
vertu de l’article 16 du même règlement de procédure, lorsque le demandeur invoque l’extrême urgence, il n’y a ni dépôt de note d’observations par la partie adverse ni dépôt d’un rapport par l’auditeur rapporteur : la fixation pour plaidoiries intervient immédiatement devant le Conseil d’État (le cas échéant, il se peut que la partie adverse ne puisse pas être convoquée ni entendue ; dans ce cas, la suspension ne peut être ordonnée qu’« à titre provisoire » et les parties sont alors convoquées « dans les trois jours devant la chambre qui statue sur la confirmation de la suspension »).
3011. En ce qui concerne les mesures d’instruction proprement dites (descente sur les lieux, expertise, audition de témoins,...), ni les articles 17 et 18 des lois coordonnées sur le Conseil d’État, ni le règlement de la procédure en référé ne prévoient rien à cet égard. Cela ne signifie pas pour autant qu’elles soient exclues, ainsi qu’en témoigne la jurisprudence14, mais elles sont bien évidemment plus rares que dans le cadre d’une procédure en annulation, compte tenu de leur délai de réalisation.
4. L’audience
3112. Sur le vu du rapport de l’auditeur, le conseiller d’État composant la chambre des référés saisie du litige (sauf exception au cas par cas, il s’agit toujours d’un magistrat unique) fixe la date de l’audience. Toutes les parties doivent y être présentes ou représentées ; en vertu de l’article 4, alinéas 3 et 4, du règlement de la procédure en référé, le défaut du demandeur entraîne le rejet de sa demande de suspension tandis que les autres parties qui ne sont ni présentes ni représentées « sont censées acquiescer à la demande ».
32A l’audience, après que le président de la chambre des référés ait fait rapport, en posant le cas échéant des questions aux parties, celles-ci et leur avocat présentent leurs observations orales ; à la fin des débats, l’auditeur « est entendu en son avis. Toutefois, s’il entend faire état d’éléments nouveaux, il les expose ; les parties sont alors entendues sur ces éléments et ensuite l’auditeur rend son avis » (article 4 précité, al. 8).
33Ainsi qu’on le voit, la procédure en référé devant le Conseil d’État déroge à maints égards au principe de la procédure écrite normalement applicable devant cette juridiction ; il n’est pas rare, en effet, d’assister à un échange de questions et réponses à l’audience. En outre, et on doit le regretter, les parties ne peuvent respectivement déposer d’autres écrits de procédure que la demande de suspension, la note d’observations et la requête en intervention. Plus grave : elles ne peuvent pas davantage déposer d’autres pièces que celles qui ont été jointes à ces écrits de procédure ; c’est là une lacune du règlement de la procédure en référé, vu que le rapport de l’auditeur contient souvent des questions adressées à l’une ou l’autre partie et, malheureusement, la jurisprudence n’entend pas déroger à ce strict formalisme (voy. note 28 ci-après), de sorte que le Conseil d’État ne se prononce pas toujours en connaissance de cause.
5. L’arrêt
3413. En vertu de l’article 17, § 4, L.C.C.E., la chambre des référés du Conseil d’État « statue dans les 45 jours sur la demande de suspension ». En vertu de l’article 5 du règlement de la procédure en référé, l’arrêt « est notifié aux parties sans délai ».
35Dans la pratique, malheureusement, et sous réserve des hypothèses où la suspension est demandée d’extrême urgence15, l’arrêt n’intervient généralement que dans les 4 à 6 mois après l’introduction de la demande, ou même parfois dans un délai supérieur, et ce en raison du retard mis par les auditeurs rapporteurs à établir leur rapport. De surcroît, le greffe du Conseil d’État met encore souvent plusieurs jours, et parfois même plusieurs semaines, pour notifier l’arrêt.
B. La procédure en instauration de mesures provisoires
3614. En vertu de l’article 18 des L.C.C.E., lorsque le Conseil d’État est saisi d’une demande de suspension d’un acte administratif, il peut également, à la demande d’une des parties au litige en référé, « ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution de l’affaire, à l’exclusion de mesures ayant pour objet des droits civils ».
37La loi ne donne aucune précision au sujet de ces mesures, sous la seule réserve qu’elles ne peuvent avoir pour objet des droits civils, ce qui s’explique par la compétence exclusive des cours et tribunaux de l’ordre judiciaire pour se prononcer sur des droits subjectifs civils en vertu de l’article 144 de la Constitution. Sous réserve de cette exclusion, l’éventail des mesures provisoires susceptibles d’être ordonnées par le Conseil d’État statuant en référé est donc fort large.
38Dans son ouvrage consacré au référé administratif devant le Conseil d’État, E. Lancksweerdt distingue deux catégories de mesures provisoires : d’une part, celles qui sont destinées à aménager en équité une situation d’attente et, d’autre part, celles qui doivent servir à acquérir une meilleure connaissance des éléments de fait de l’affaire (mesures d’instruction)16.
39La procédure d’instruction des demandes de mesures provisoires — qui doivent être introduites par une requête distincte de la demande de suspension — est analogue à celle des demandes de suspension (voy. l’art. 18 L.C.C.E. et les art. 25 à 34 du règlement de la procédure en référé)17.
§ 2. Les conditions de l’obtention d’un arrêt de suspension ou d’un arrêt ordonnant des mesures provisoires
40Les conditions pour obtenir de tels arrêts sont énoncées à l’article 17, § 2, alinéa 1er, des L.C.C.E. : la suspension de l’exécution d’un acte administratif ou des mesures provisoires ne peut être ordonnée « que si des moyens sérieux susceptibles de justifier l’annulation de l’acte ou du règlement attaqué sont invoqués et à condition que l’exécution immédiate de l’acte ou du règlement risque de causer un préjudice grave difficilement réparable ».
A. Le caractère sérieux des moyens d’annulation
4115. En vertu de l’article 8, alinéa 2, 4°, du règlement de la procédure en référé, la demande de suspension doit contenir un exposé des faits et des moyens de nature à justifier l’annulation de l’acte ou du règlement attaqué. Par conséquent, des moyens qui ne seraient pas exposés dans cette demande ne peuvent pas être invoqués dans un écrit de procédure postérieur, ni verbalement à l’audience. La demande de mesures provisoires ne doit, quant à elle, pas contenir d’exposé des moyens vu qu’elle constitue un accessoire de la demande de suspension et qu’elle peut donc se borner à renvoyer à l’exposé des moyens contenu dans celle-ci.
42Par « moyen sérieux », il y a lieu d’entendre un moyen qui, à première vue, a de bonnes chances d’être accueilli, un moyen qui revêt une apparence de fondement au terme d’un premier examen des éléments dont le Conseil d’État dispose au stade de la procédure en suspension.
43Cette condition du référé administratif organisé devant le Conseil d’État est donc appréciée de la même manière par le juge de l’excès de pouvoir qu’elle ne l’est par le juge des référés judiciaire, pour qui il ne saurait également être fait droit à une assignation en référé si la demande ne présente pas, à première vue, une apparence de fondement18.
44Conformément à la jurisprudence constante du Conseil d’État, l’acte administratif ne bénéficie du privilège de la décision exécutoire ou de la présomption de légalité qu’aussi longtemps qu’il n’est pas contesté dans le cadre d’un recours juridictionnel. Dès lors qu’il est querellé en justice, il appartient à son auteur d’en justifier la légalité. Ceci explique que le Conseil d’État statuant en référé juge généralement sérieux le ou les moyens invoqués par le demandeur lorsque la partie adverse s’abstient, soit de produire le dossier administratif, soit de déposer une note d’observations, soit encore de transmettre les documents qui lui ont été demandés par l’auditeur rapporteur19. Il en va de même lorsque la partie adverse n’est ni présente ni représentée à l’audience ; du reste, comme on l’a vu plus haut (no 12), elle est alors « censée acquiescer à la demande » en vertu de l’article 4, alinéa 4, du règlement de la procédure en référé.
B. Le risque de préjudice grave difficilement réparable
4516. A côté de l’allégation de moyens d’illégalité sérieux, le « risque de préjudice grave difficilement réparable » constitue la seconde des deux conditions de fond pour obtenir la suspension et des mesures provisoires. C’est également celle que les demandeurs remplissent le plus difficilement. Le Conseil d’État considère en effet que, comme elle déroge au principe du caractère exécutoire de tout acte administratif, la suspension et l’aménagement de mesures provisoires doivent être considérés comme des mesures graves et exceptionnelles. Ceci explique également que la preuve de la nécessité de la suspension ou de la mesure provisoire incombe au demandeur, qui doit donc démontrer l’existence d’un risque de préjudice grave difficilement réparable à l’aide de données concrètes sans se borner à de simples affirmations20.
46Le demandeur en suspension et en mesures provisoires doit démontrer in concreto que l’exécution de la décision contestée risque, si elle n’est pas suspendue, d’entraîner pendant l’instance en annulation des conséquences importantes se révélant, dans les faits, irréversibles ou difficilement réversibles au regard des effets qui pourraient s’attacher à l’annulation poursuivie par ailleurs.
47Cependant, comme l’a fort pertinemment fait observer M. Quintin, « il s’en faut cependant de beaucoup que cette acception objective de la condition soit toujours appliquée avec clarté, dans une jurisprudence parfois tentée de résoudre certains litiges en équité sur la base d’une conception purement subjective du « préjudice » qu’il convient ou non de « réparer », en opportunité »21. Avec B. Haubert, on peut considérer qu’il aurait été « moins équivoque et plus expédient d’invoquer la sauvegarde de l’effectivité d’un éventuel (et probable) arrêt d’annulation » en lieu et place de cette notion retenue par le législateur, « inévitablement subjective et donc peu compatible, dans son principe, avec le caractère objectif du contentieux d’annulation »22.
48Du reste, plusieurs arrêts du Conseil d’État énoncent clairement que le but du référé administratif organisé devant lui est de « garantir à la partie requérante une réparation suffisante du dommage occasionné par l’acte attaqué », de « sinon réparer complètement, du moins limiter ce préjudice plus adéquatement qu’un arrêt d’annulation, et donc de privilégier la réparation en nature de ce préjudice par rapport à sa réparation par équivalent »23.
4917. Nonobstant l’appréciation fort diverse de cette condition par les chambres des référés du Conseil d’État, eu égard à son caractère subjectif qui vient d’être souligné, on peut néanmoins en résumer comme suit les divers éléments :
La loi n’exige pas qu’un préjudice grave difficilement réparable existe déjà, ni même qu’il soit causé nécessairement par l’exécution de l’acte attaqué : un « risque » suffit. Le demandeur ne peut toutefois pas se contenter d’éléments purement hypothétiques. Mais le préjudice ne peut pas non plus être déjà entièrement consommé.
Il faut qu’il existe un lien de causalité entre l’exécution de l’acte attaqué et le risque de préjudice allégué : dès lors, le Conseil d’État ne prend pas en considération le risque de préjudice qui ne résulte pas directement de l’exécution de l’acte attaqué mais qui résulte, par exemple, d’une autre décision ou du comportement, soit du demandeur, soit d’un tiers, soit encore d’une exécution défectueuse de l’acte attaqué24.
Le préjudice invoqué doit normalement être personnel au demandeur ; toutefois, compte tenu du caractère objectif du contentieux de légalité devant le Conseil d’État, la jurisprudence admet de prendre en considération des préjudices qui seraient également causés à des tiers.
Le préjudice allégué doit en outre découler d’une exécution « immédiate » de l’acte attaqué, c’est-à-dire d’une exécution pendant l’instance en annulation.
Le préjudice invoqué doit encore être « grave ». Incontestablement, il s’agit là de l’élément qui laisse la part la plus large au pouvoir d’appréciation du juge, surtout si celui-ci entend procéder à ce qu’il est convenu d’appeler « la balance des intérêts en présence ». Il ressort de la jurisprudence que la gravité du préjudice est plus facilement retenue dans certaines matières, comme celles de l’aménagement du territoire et de l’environnement25. Il n’est par ailleurs pas rare que le Conseil d’État retienne comme « préjudice grave » un préjudice d’ordre moral26 ; encore faut-il bien évidemment que ce préjudice moral ne soit pas de ceux que l’effet rétroactif d’un arrêt d’annulation est de nature à réparer intégralement ou suffisamment.
Enfin, par nature pourrait-on dire, le préjudice allégué doit être « difficilement réparable ». Ceci explique que le juge administratif ne prend pas en considération les préjudices qui disparaîtront ou auxquels il pourra être aisément remédié à la suite de l’annulation rétroactive de l’acte attaqué (voy. à ce sujet les numéros 2 et 3 ci-avant). De même, il considère qu’un préjudice pécuniaire est en principe toujours réparable, sauf exception, par l’octroi ultérieur de dommages et intérêts.
§ 3. Les effets d’un arrêt de suspension
A. Les effets sur l’acte administratif attaqué
5018. Comme tout arrêt du Conseil d’État, l’arrêt qui suspend l’exécution d’un acte administratif ou qui ordonne des mesures provisoires est revêtu de l’autorité de la chose jugée erga omnes. En revanche, à la différence d’un arrêt d’annulation, un arrêt prononcé par le Conseil d’État en référé ne produit pas ses effets rétroactivement mais seulement pour l’avenir — l’arrêt remet provisoirement la situation juridique dans l’état qui était le sien avant que n’intervienne l’acte dont l’exécution est suspendue mais sans pour autant obliger son auteur à la réfection de l’acte, ni à la suppression de ses effets intervenus entre son édiction et l’arrêt de suspension (l’acte suspendu subsiste dans l’ordre juridique, mais il ne peut plus être exécuté). Dès lors, en présence d’un arrêt de suspension, l’autorité administrative qui a pris l’acte attaqué peut choisir ou bien de reprendre un nouvel acte en tenant compte des motifs qui ont justifié la suspension, ou bien d’attendre l’issue de la procédure en annulation.
B. Les effets sur la procédure en annulation
5119. En vertu de l’article 17, § 4, des L.C.C.E., « si la suspension a été ordonnée, il est statué sur la requête en annulation dans les six mois du prononcé de l’arrêt ».
52Même si ce délai abrégé n’est presque plus jamais respecté, compte tenu de l’encombrement actuel des rôles du Conseil d’État, la procédure en annulation se déroule malgré tout selon un rythme accéléré. C’est tout spécialement le cas pour les parties requérante et adverse qui ne disposent plus que de trente jours pour déposer leur mémoire en réponse et en réplique en lieu et place des soixante jours prévus par le règlement général de procédure devant le Conseil d’État (voy. les § 4bis et § 4ter de l’art. 17 L.C.C.E.).
53Il est vrai qu’en vertu de l’article 22 du règlement de la procédure en référé, l’auditeur rapporteur ne dispose, lui aussi, en principe que d’un mois pour déposer son rapport ; toutefois, ce délai n’est assorti d’aucune sanction, de sorte que, dans la pratique, il est souvent beaucoup plus long.
54Il est à noter que, depuis la modification des L.C.C.E. par la loi du 4 août 1996, la partie adverse est astreinte à déposer, dans les trente jours de la notification qui lui est faite de l’arrêt de suspension, un acte de procédure un peu particulier, à savoir une « demande de poursuite de la procédure » en annulation (c’est le dépôt de cette demande qui fait courir le délai de trente jours pour déposer son mémoire en réponse). À défaut pour elle de ce faire dans ce délai, le Conseil d’État peut, en suivant la procédure accélérée déterminée dans l’article 15bis du règlement de la procédure en référé, procéder à l’annulation de l’acte attaqué. Selon cette disposition, l’annulation est automatique « sauf cas de force majeure ou d’erreur invincible dûment établi » dans le chef de la partie adverse.
Chapitre II. Le référé administratif devant le Conseil d’Etat : sa pratique et ses limites
Introduction : une illustration des résultats produits par le référé administratif devant le Conseil d’État
5520. Ainsi que nous le verrons ci-après, la jurisprudence des chambres des référés du Conseil d’État est déjà devenue à ce point abondante après moins de dix ans (plus de 15.000 arrêts : voy. infra : § 1, B) et est, par ailleurs, à ce point variable (voy. infra : § 2, A et B) qu’il est illusoire de vouloir en faire un inventaire, même non exhaustif, dans les limites du présent rapport. Nonobstant les limites objectives existant actuellement dans les dispositions réglementant le référé administratif devant le Conseil d’État (voy. infra : § 1, A) et les critiques de divers ordres qui peuvent être formulées dans le cadre d’un premier bilan (voy. infra : conclusion), il est indéniable que cette procédure nouvelle offre souvent aux justiciables une garantie juridictionnelle supplémentaire et appréciable.
56Pour illustrer notre propos, nous ne pouvons mieux faire, pensons-nous, que de reprendre ici le sommaire d’un arrêt qui a été rendu le 12 janvier 1995 par la onzième chambre — francophone du Conseil d’État sur une demande de mesures provisoires introduite le 10 janvier 1995 selon la procédure d’extrême urgence et postérieurement à une demande de suspension introduite précédemment, le 30 décembre 1994, selon la procédure ordinaire de référé, par un certain nombre de riverains d’un projet de construction comprenant habitation, écuries, paddocks, piste et hall de débourrage autorisé par un permis de bâtir du 8 novembre 199427.
57« 1. Lorsque, après l’introduction par le requérant d’une requête en suspension d’un acte administratif selon la procédure ordinaire, survient un fait nouveau qui rend nécessaire qu’il soit statué d’urgence sur la demande, l’introduction d’une nouvelle demande selon la procédure d’extrême urgence est recevable. Afin d’éviter que la demande de suspension introduite selon la procédure ordinaire ne soit privée de toute effectivité par la réalisation d’une partie importante du gros-œuvre, il convient de faire droit à la demande formée d’extrême urgence tendant à ce qu’il soit interdit de poursuivre les travaux.
582. La suspension d’un permis de bâtir prive son bénéficiaire de ses effets jusqu’au moment où le Conseil d’État se sera prononcé sur la demande d’annulation. Par conséquent, ce bénéficiaire ne peut plus accomplir d’actes qui en seraient l’application et ne peut, notamment, construire ou poursuivre la construction entreprise.
593. Ni l’annulation d’un permis de bâtir ni sa suspension ni la mesure provisoire consistant à interdire de procéder aux constructions que ce permis autorise ne sont des contestations ayant pour objet un droit civil. Ces procédures soumettent seulement au juge la légalité d’une autorisation administrative et lui permettent d’assurer l’effectivité de la décision qui est prise quant à cette légalité. Le Conseil d’État est dès lors compétent pour statuer sur ces demandes.
604. La construction de bâtiments se présentant comme des masses compactes dont il ne se trouve aucun exemple dans les environs de la parcelle paraît de nature à mettre en péril la valeur esthétique du paysage et semble dès lors méconnaître ΐ article 180 du Code wallon de l’aménagement du territoire, de l’urbanisme et du patrimoine.
615. En raison du caractère objectif du recours en annulation, de la demande de suspension et de la demande de mesures provisoires qui lui sont connexes, le préjudice grave difficilement réparable que l’exécution immédiate d’un acte doit risquer de causer ne doit pas nécessairement être causé aux requérants.
62Le préjudice consistant, pour les requérants qui habitent le plus près de la parcelle litigieuse, en la privation de la vue sur un paysage harmonieux est un préjudice grave. Il en va de même pour tous les riverains et tous les usagers des voiries desservant le quartier, du préjudice résultant de l’enlaidissement d’une zone où les prescriptions urbanistiques ont précisément pour objectif de préserver la valeur esthétique du paysage.
636. Les autorités administratives tirent leur pouvoir de mettre à exécution les arrêts du Conseil d’État ordonnant des mesures provisoires, d’une part, de leur pouvoir de police et, d’autre part, de la formule exécutoire prévue par l’article 37 de l’arrêté du Régent du 23 août 1948. Eu égard à ces pouvoirs et en raison de la célérité avec laquelle des travaux autorisés par l’acte contesté sont entrepris, il convient de faire droit à la demande d’astreinte qui accompagne la demande de mesures provisoires tendant à la condamnation de l’administration à faire cesser ces travaux.
647. Le Conseil d’État ne peut, sans préjuger du sort qui sera réservé au recours en annulation, ni sans excéder les limites de sa compétence, ordonner une remise en état des lieux, ceci d’autant plus que le caractère essentiellement conservatoire des mesures provisoires empêche que celles-ci ne nuisent plus qu’il n’est indispensable aux intérêts du bénéficiaire du permis. Il peut par contre ordonner des mesures susceptibles d’affecter la situation de personnes même non parties à l’instance (solution implicite) et par exemple faire provisoirement défense à toute personne de poursuivre, directement ou indirectement par le recours à des tiers, les travaux de construction d’un ensemble de bâtiments ».
65Le caractère exceptionnellement rapide et satisfaisant pour les requérants de la solution qui a ainsi été donnée par le Conseil d’État dans cette affaire ne doit pas faire oublier les limites objectives (§ 1) et subjectives (§ 2) aux procédures de référé administratif devant le Conseil d’État.
§ 1. Les limites objectives au référé administratif devant le Conseil d’État
A. Les limites à la recevabilité du recours en référé administratif devant le Conseil d’État
1. Attributions limitées du Conseil d’État
6621. Cette première limite, qui découle du partage des attributions entre les juridictions de l’ordre judiciaire et le Conseil d’État (articles 144 et 145 de la Constitution), est apparue d’emblée au législateur au cours des travaux préparatoires de la loi instaurant le référé administratif devant le Conseil d’État. Malheureusement, en dépit de ses efforts, le législateur n’a pu empêcher le chevauchement du contentieux administratif, même en référé, sur les deux ordres de juridiction.
67Compte tenu de la théorie de « l’objet véritable » qui a été dégagée par la Cour de cassation alors que le référé administratif devant le Conseil d’État n’existait pas encore mais qui ne s’en applique pas moins au contentieux du référé comme au contentieux de l’annulation28, le Conseil d’État est incompétent pour se prononcer sur un recours tendant à voir consacrer un droit subjectif — civil ou politique — que la loi n’a pas soustrait à la compétence du pouvoir judiciaire. Du reste, l’article 18 des L.C.C.E. rappelle expressément, à la fin de son alinéa premier, que si le Conseil d’État est compétent pour ordonner des mesures provisoires, c’est « à l’exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils ».
68En pareille occurrence, le juge des référés judiciaire demeure seul compétent.
69Or, bon nombre de recours en référé devant le Conseil d’État, s’ils n’ont pas pour « objet véritable » direct la consécration d’un droit subjectif, n’en sont pas moins inspirés par la satisfaction recherchée, in fine, de droits subjectifs. La question se pose dès lors de l’utilité du détour — au demeurant parfois fort long (voy. ci-après, B) ou décevant (voy. ci-après, § 2) — que constitue le recours en référé devant le Conseil d’État, alors que le juge des référés judiciaire pourrait en ce cas être directement saisi. En l’état actuel de la jurisprudence — variable selon les matières et selon les chambres saisies du Conseil d’État —, il est impossible de donner une réponse uniforme à cette question, qui doit dès lors être résolue au cas par cas.
2. Compétence d’annulation et donc de suspension limitée du Conseil d’État
7022. Une seconde et importante limite tient à la notion de décision administrative « susceptible d’être annulée en vertu de l’article 14, alinéa 1er, des L.C.C.E. » que l’on retrouve, fort logiquement, dans les articles 17 et 18 des mêmes lois.
71Certes, cette notion a vu ses contours peu à peu dégagés au fil de la jurispru dence du Conseil d’État depuis cinquante ans. Elle n’en demeure pas moins évolutive et suscite encore parfois beaucoup d’hésitations.
72En outre, quantité de décisions ou mesures administratives sont sans hésitation possible exclues du champ de compétence du Conseil d’État et ne peuvent dès lors pas donner lieu à l’introduction d’un recours en référé administratif devant cette juridiction : il s’agit des décisions préparatoires, des mesures d’ordre intérieur, des décisions purement confirmatives, des mesures d’exécution matérielle, de mesures d’information, de certaines abstentions de décider, des contrats administratifs, etc. Il en va de même de toutes les décisions administratives non « définitives », c’est-à-dire de celles qui sont susceptibles de faire l’objet d’un recours administratif non juridictionnel et qui ne peuvent, en conséquence, être déférées à la censure du Conseil d’État aussi longtemps que la procédure administrative n’est pas close alors qu’elles font d’ores et déjà grief.
73Enfin, toutes les décisions administratives sont également exclues de la compétence du Conseil d’État lorsque le requérant ne se trouve plus dans le délai de recours de soixante jours.
74Dans toutes ces hypothèses fort nombreuses, le juge des référés judiciaire est le seul à pouvoir être saisi.
3. Limites liées aux spécificités de la procédure en suspension et de la procédure en mesures provisoires
7523. En premier lieu, il n’est plus permis de saisir le Conseil d’État d’une demande de suspension après le dépôt de la requête en annulation — sauf à retirer celle-ci pour en réintroduire une nouvelle et pour autant que l’on se trouve toujours dans le délai de recours de soixante jours — ; il en va ainsi même si des éléments nouveaux sont survenus postérieurement à ce dépôt, qui pourrait justifier un recours en référé. De même, des mesures provisoires ne peuvent être demandées au Conseil d’État, en vertu de l’article 18 des L.C.C.E., que « lorsqu’(il) est saisi d’une demande de suspension d’un acte ou d’un règlement conformément à l’article 17 ». Il en résulte que si des mesures provisoires s’avèrent indispensables après la clôture de la procédure de suspension, le Conseil d’État ne peut plus être saisi.
76Dans ces cas, l’action ne peut plus être portée que devant le juge des référés judiciaire.
77Dans le même ordre d’idées, ainsi qu’on l’a vu ci-avant (no 12), le demandeur ne peut pas, dans le cours de la procédure en référé, exposer des arguments nouveaux qui ne seraient pas contenus dans la demande introductive d’instance29. Il s’agit là d’une restriction de procédure non inscrite dans la loi mais dégagée par la jurisprudence. Cet excès de formalisme, que l’on ne rencontre pas devant le juge de l’ordre judiciaire30, peut dans certains cas considérablement restreindre l’intérêt du recours en référé administratif devant le Conseil d’État.
78Enfin, ainsi qu’on l’a également vu ci-avant (no 14), en vertu de l’article 17, § 5, des L.C.C.E., le Conseil d’État ne peut pas imposer d’astreinte à d’autres parties que la partie adverse ; or, dans le cadre d’une demande de mesures provisoires, spécialement si l’acte attaqué est un acte permissif, il serait généralement utile d’imposer une astreinte au bénéficiaire de l’acte, lequel n’est pas et ne peut pas être partie adverse dans la procédure.
B. Les statistiques : engorgement des rôles du Conseil d’État
7924. Le premier rapport d’activités du Conseil d’État, qui a été publié fin 1996 pour l’année judiciaire 1994-1995, montre tout à la fois le succès incontestable du référé administratif devant le Conseil d’État et aussi le risque d’obstruction de la juridiction administrative à bref délai si de nouveaux moyens humains et matériels ne lui sont pas donnés très rapidement.
80Ce rapport nous apprend d’abord que, pendant l’année 1994-1995, sur 6.011 arrêts prononcés par le Conseil d’État (dont 2.904 au seul contentieux des étrangers), 2.813 l’ont été au contentieux du référé, soit environ 47 %. Par ailleurs, la suspension a été accordée 339 fois, soit dans environ 12 % des cas, et rejetée 2.382 fois, soit dans environ 84 % des cas, le solde recouvrant des arrêts de désistement ou constatant le défaut d’objet.
81Cependant, si le Conseil d’État a rendu pendant cette année-là 2.813 arrêts en référé, il y a eu 3.363 nouveaux recours introduits en référé (dont 2.277 au contentieux des étrangers). Il en résulte que le stock des affaires introduites en référé demeurant à juger s’accroît dangereusement chaque année : pour la seule année 1994-1995, il s’est accru de 550 affaires supplémentaires en instance ; pour les cinq dernières années, il s’est accru de 5.048 unités. Cela signifie qu’à supposer même que plus aucune nouvelle affaire ne soit introduite en référé devant le Conseil d’État, il lui faudrait environ 20 mois pour vider son stock des affaires en instance ! Un tel délai est bien évidemment incompatible avec la notion de référé.
82Il ne faut pas chercher plus loin la raison de l’augmentation constante du nombre d’affaires introduites devant le Conseil d’État en extrême urgence : pendant l’année 1994-1995, il était déjà de 399 unités, ce qui représente déjà près de 14 % des nouvelles affaires introduites en référé.
83Quant à l’arriéré au contentieux de l’annulation, il est tout simplement devenu catastrophique — à la fin de l’année judiciaire 1994-1995, le stock des affaires restant à juger au fond s’élevait à 11.325 unités, ce qui représente plus de 3 ans et demi d’activité (le nombre d’arrêts au fond prononcés en 1994-1995 s’est en effet élevé à 3.198) ! Si l’on tient compte du fait que les magistrats du Conseil d’État — tant les auditeurs que les conseillers — ont naturellement tendance à donner la priorité aux affaires introduites en référé, comment s’étonner encore qu’un recours en annulation attende souvent 3 à 5 ans avant d’être jugé par les chambres francophones et 7 à 10 ans avant d’être tranché par les chambres néerlandophones du Conseil d’État. Il n’est donc pas exagéré de dire que l’introduction du référé administratif devant le Conseil d’État, sans lui allouer les moyens humains et matériels adéquats, a eu pour effet pervers de créer très souvent une situation de déni de justice que l’on ne rencontre que rarement devant les juridictions de l’ordre judiciaire31.32.
§ 2. Les limites subjectives au référé administratif devant le Conseil d’État
A. Les variations de la jurisprudence quant au but du référé administratif devant le Conseil d’État
8425. De nombreux arrêts du Conseil d’État, suivant en cela la toute grande majorité de la doctrine, ont admis que la suspension de l’exécution d’un acte administratif et les mesures provisoires que le juge administratif peut ordonner dans le cadre d’une procédure de référé administratif ont pour finalité d’assurer l’effectivité du recours en annulation, c’est-à-dire d’éviter que l’annulation éventuelle de l’acte attaqué ne soit purement platonique en raison du « fait accompli », c’est-à-dire en raison de la création pendant l’instance en annulation d’une situation de fait importante irréversible ou difficilement réversible. Plusieurs arrêts du Conseil d’État vont même jusqu’à déclarer que le but de ce référé administratif est de « garantir à la partie requérante une réparation suffisante du dommage occasionné par l’acte attaqué », c’est-à-dire de « sinon réparer complètement, du moins limiter ce préjudice plus adéquatement qu’un arrêt d’annulation et donc de privilégier la réparation en nature de ce préjudice par rapport à sa réparation par équivalent »33.
85Ainsi n’est-il pas rare de voir le juge administratif ordonner la suspension d’un acte administratif au motif qu’« en cas d’annulation, le requérant devra introduire des procédures (judiciaires) en réparation aux résultats aléatoires puisque, d’une part, dans l’hypothèse où la démolition (de l’immeuble faisant l’objet du permis de bâtir) serait ordonnée, il n’en aurait pas moins subi pendant plusieurs années le préjudice qu’il invoque et, d’autre part, si une réparation par équivalent lui était accordée par une décision judiciaire, à considérer qu’une telle réparation constituerait en l’espèce une compensation adéquate, le requérant n’aurait même pas la certitude de percevoir l’indemnité accordée, faute de disposer de voies d’exécution forcée contre les pouvoirs publics »34.
86Selon certains auteurs, « dès lorsqu’elles sont importantes et difficilement réversibles, toutes espèces de conséquences découlant de l’exécution de l’acte attaqué (devraient pouvoir) être retenues à l’appui d’une demande de suspension de celui-ci, que ces conséquences soient d’ordre matériel ou d’ordre moral »35. Il est difficile de ne pas partager ce point de vue.
87En d’autres termes, le juge administratif des référés doit intervenir chaque fois qu’il peut empêcher ou arrêter le dommage consécutif à l’acte administratif attaqué mieux que ne pourrait le faire le juge du fond judiciaire ou administratif.
88Compte tenu de ce principe, on comprend que la protection de l’environnement soit rapidement devenue un des domaines dans lesquels la jurisprudence de référé du Conseil d’État le mieux prospéré. En effet, le ou les préjudices causés à l’environnement par un acte administratif sont le plus souvent considérés comme irréversibles ou difficilement réparables, vu que « la remise en état des lieux est rarement poursuivie et plus rarement encore exécutée », qu’elle est donc incertaine, spécialement s’il s’agit de travaux importants, vu également que le préjudice environnemental est souvent de type moral et donc difficilement réparable par l’octroi de dommages et intérêts et vu enfin que de nombreuses années sont souvent nécessaires au milieu naturel pour effacer les traces de l’activité humaine36.
8926. La question mérite cependant d’être posée de savoir si le référé administratif organisé devant le Conseil d’État a bien pour but de prévenir tous types de dommages et de préserver tous types de réparations de dommages. N’est-il pas plutôt d’assurer l’effectivité du recours en annulation, lequel, en raison de la théorie de « l’objet véritable », ne saurait avoir pour objectif direct la réparation des préjudices matériels et moraux causés aux sujets de droit ?
90Ainsi que le Conseil d’État l’a rappelé dans plusieurs de ses arrêts rendus au contentieux de l’annulation, « le recours en annulation ne tend pas à la constatation ou à l’attribution d’un droit subjectif en faveur de la partie demanderesse ni à la poursuite et la condamnation d’une personne morale. Il a pour but d’assurer le respect du principe de légalité plus particulièrement à l’égard de l’autorité, et de rétablir ainsi la légalité objective »37.
91Les justiciables qui introduisent un recours en référé devant le Conseil d’Etat doivent donc être attentifs à ne pas libeller leur recours de telle manière qu’il puisse en être déduit que son « objet véritable » est d’obtenir la réparation du ou des préjudices que l’acte administratif attaqué leur cause, ni même la préservation de leur droit à obtenir une telle réparation. En effet, si tel est leur objectif, ils peuvent — et même doivent — s’adresser directement au juge des référés judiciaire.
92En revanche, de telles difficultés ne se présentent assurément pas — le Conseil d’État ne peut pas se déclarer incompétent — si la finalité poursuivie par le recours en référé administratif est soit la préservation de l’environnement considéré en tant que tel : la faune, la flore, etc. (en Belgique, on imagine difficile ment que ces éléments de l’environnement puissent agir devant les juridictions judiciaires, même s’il est vrai que le juge judiciaire reconnaît aujourd’hui au « droit à un environnement sain » la qualification de droit subjectif susceptible de faire l’objet d’une action devant lui), soit la préservation de la réparation de l’ordre juridique administratif après l’éventuel arrêt d’annulation (en effet, lorsque celui-ci intervient après de nombreuses années, la réfection de l’acte administratif annulé pose souvent des problèmes : tel est particulièrement le cas pour les reconstitutions de carrières d’agents publics)38, soit encore l’incitation de la partie adverse « à examiner à nouveau l’affaire et, le cas échéant, à retirer l’acte attaqué et à statuer autrement » (du reste, un certain nombre d’arrêts de suspension du Conseil d’État ont été suivis du retrait de la décision attaquée)39.
B. Les variations de la jurisprudence quant au risque de préjudice grave difficilement réparable
9327. Ainsi qu’on l’a vu ci-avant, c’est surtout à propos de la « gravité » du préjudice allégué par le requérant que la subjectivité du juge administratif se manifeste : la question ne donne pas toujours lieu à des réponses uniformes ni même cohérentes de la part du Conseil d’État40.
94Comme P. Martens l’a fort justement relevé, il n’y a pas lieu de s’en étonner en présence d’un concept juridique au contenu ouvert : « Quand une procédure définit des conditions de recevabilité en usant de termes tels que « sérieux », « grave » et « difficilement réparable », elle laisse nécessairement à l’appréciation des juges une latitude qui n’est pas propice aux jurisprudences uniformes »41.
95Ces divergences de jurisprudences, en soi, ne sont pas anormales.
96Cependant, la plupart procèdent de ce que certains magistrats croient pouvoir effectuer une « balance des intérêts en présence », soit interne soit externe42, avant de conclure soit à l’absence de risque de préjudice grave difficilement réparable (c’est ce que l’on appelle la « balance interne »), soit à l’inopportunité de la suspension de l’acte attaqué pour des raisons impérieuses d’intérêt général nonobstant l’existence avérée d’un risque de préjudice grave difficilement réparable (c’est ce que l’on appelle la « balance externe »)43. Avec de nombreux autres auteurs, nous pensons que, compte tenu du fait que « la véritable finalité de la suspension est de préparer l’annulation éventuelle en lui procurant, par avance, des effets utiles »44, dès que le juge administratif constate que l’exécution de l’acte attaqué entraîne un risque de contrarier les effets de cette annulation, c’est-à-dire un risque de contrarier la réparation de l’ordre juridique administratif qui s’imposerait après l’annulation ou un risque de contrarier la réparation des dommages dont la réparation ne peut ou peut difficilement être demandée devant les juridictions judiciaires (voir ci-avant), il doit nécessairement ordonner la suspension de l’exécution de l’acte attaqué, à condition, bien sûr, que le requérant ait formulé un moyen sérieux d’illégalité rendant probable l’annulation de cet acte.
97Dans le cadre de l’examen du « risque de préjudice grave difficilement réparable », le juge administratif n’a pas à prendre en considération les risques de préjudices pouvant résulter de la suspension qu’il ordonne : en effet, si l’autorité administrative entend échapper à la suspension de son acte, il lui suffit de prendre un nouvel acte contre lequel aucun moyen d’illégalité ne pourrait être sérieusement invoqué. Il ne faut jamais perdre de vue l’objectif du recours au Conseil d’État, qui initie un contentieux objectif de légalité : il ne s’agit pas d’un procès entre divers sujets de droit, mais bien d’un procès fait à un acte, l’objectif du recours est de parvenir à ce que l’ordre juridique administratif soit « nettoyé » des actes administratifs illégaux qui l’entachent. Dès lors, dès le moment où l’exécution dudit acte risque d’entraîner un préjudice grave difficilement réparable, à qui que ce soit du reste, et qu’un moyen sérieux d’annulation est invoqué, la suspension de l’acte doit être ordonnée.
98Du reste, au contentieux de l’annulation, le juge administratif ne s’arroge jamais ce pouvoir d’apprécier l’opportunité de son intervention lorsque les conditions légales mises à cette intervention sont réunies. Comme l’a écrit M. Quintin, « Le pouvoir (que le juge) s’arroge de la sorte en suspension est d’autant plus étonnant qu’il ne lui est pas reconnu dans le contentieux de l’annulation, contentieux dont celui de la suspension est un accessoire »45.
9928. Tout aussi regrettables sont les variations entre les jurisprudences des chambres francophones et flamandes du Conseil d’État, que ce soit dans le contentieux des étrangers — dans lequel les chambres flamandes acceptent beaucoup plus difficilement que leurs homologues francophones de considérer qu’il y a un risque de préjudice grave difficilement réparable —, dans le contentieux de la fonction publique — où c’est la tendance inverse qui peut être observée — ou encore dans le contentieux des marchés publics — dans lequel les chambres francophones considèrent, sauf rare exception, que les soumissionnaires illégalement évincés pourront toujours obtenir la réparation de leurs préjudices sous la forme de dommages et intérêts devant les juridictions de l’ordre judiciaire, à la différence de leurs homologues néerlandophones qui considèrent qu’« il y a lieu de privilégier une réparation préventive plutôt qu’a posteriori »46.
100De telles divergences de jurisprudence sont difficilement acceptables, venant d’une institution située au sommet de la hiérarchie administrative, d’autant plus qu’elles conduisent certains justiciables à introduire leur recours devant telles chambres plutôt que devant telles autres en vue d’augmenter leurs chances d’obtenir gain de cause alors que le justiciable n’a pas à choisir son juge.
Conclusion : premier bilan
101Le bilan de la jurisprudence des référés du Conseil d’État apparaît en demi-teinte.
10229. Les avantages du recours en référé administratif devant le Conseil d’État sont de deux ordres :
103a. Pour le justiciable, d’abord, deux hypothèses peuvent se présenter :
104a.1. S’il obtient un arrêt de suspension, celui-ci permet de restaurer la suprématie du droit sur le fait : certes, le juge des référés administratif n’institue pas définitivement le droit mais seulement provisoirement, mais il empêche au moins le fait accompli de s’incruster et, de ce fait, préserve l’institution définitive du droit par le Conseil d’État statuant au contentieux de l’annulation. En d’autres mots, il préserve l’effet utile de l’éventuel arrêt d’annulation. En outre, il conduit parfois l’administration auteur de l’acte attaqué à retirer celui-ci, ce qui dispense les parties de poursuivre une longue procédure en annulation et accélère la restauration définitive du droit objectif. Parfois même, l’arrêt de suspension se suffit à lui-même pour procurer au demandeur la réparation définitive de son préjudice : tel est le cas lorsque l’acte administratif attaqué devait produire ses effets à bref délai uniquement (cependant, paradoxalement, en pareille hypothèse, la procédure au fond se clôt généralement par un désistement du demandeur ou un arrêt constatant le défaut d’intérêt du requérant et donc par un maintien de l’acte, alors qu’une telle solution apparaît en contradiction avec l’objectif du recours en annulation qui est de parvenir à la suppression définitive de l’acte administratif illégal de l’ordre juridique)47.
105a.2. Même un arrêt rejetant la demande de suspension du requérant peut être bénéfique pour celui-ci. En premier lieu, en effet, un tel arrêt peut éclairer le demandeur sur le peu de chances qu’il a d’obtenir gain de cause dans la procédure en annulation ; tel est du moins le cas lorsque l’arrêt rejetant la demande de suspension a déclaré peu sérieux les moyens d’annulation invoqués48. Un arrêt de rejet peut également être fort utile au demandeur lorsqu’après avoir constaté le défaut de risque de préjudice grave difficilement réparable, il déclare néanmoins sérieux un ou plusieurs moyens d’annulation : un tel arrêt constitue indéniablement un sérieux avertissement à l’intention de la partie adverse, qui est ainsi invitée à retirer ou à corriger l’acte administratif attaqué sans attendre la fin de la procédure en annulation49.
106b. Pour la partie adverse, ensuite, un arrêt de suspension peut également être considéré comme bénéfique vu qu’il diminue la période d’incertitude quant au sort qui sera réservé à l’acte administratif attaqué : soit, au vu d’un tel arrêt, l’autorité administrative reconnaît avoir commis une erreur et cherche, en conséquence, à retirer l’acte ou à le corriger, de sorte que l’atteinte à l’ordre juridique administratif est plus rapidement réparée ; soit, en toute hypothèse, le Conseil d’État se prononçant sur le recours en annulation est tenu de le faire dans un délai beaucoup plus bref (voy. ci-avant no 19) de sorte qu’ici aussi, le référé administratif permet de rétablir plus rapidement le fond du droit (et nous avons vu qu’une telle accélération de la restauration de l’ordre juridique administratif dans ces hypothèses ne peut malheureusement se faire qu’au détriment de l’allongement, parfois considérable, des procédures ordinaires en annulation).
10730. Les inconvénients du référé administratif organisé devant le Conseil d’État sont également de deux ordres : a. Les conditions de recevabilité de ce recours sont encore trop strictes, nonobstant la réforme du 19 juillet 1991 qui a eu pour but d’ouvrir plus largement les portes du prétoire du Conseil d’État statuant en référé. Une nouvelle réforme législative serait donc la bienvenue, de même qu’un assouplissement des rigueurs de la jurisprudence du Conseil d’État sur certains points, si tant est du moins que l’on souhaite se rapprocher du but initial du législateur qui était d’éviter que le justiciable ne se voie contraint de s’adresser à deux ordres de juridictions différents, à savoir au Conseil d’État pour obtenir l’annulation de l’acte administratif et au juge des référés judiciaire en vue d’éviter les préjudices graves difficilement réparables occasionnés par cet acte.
108b. Le deuxième inconvénient provient du succès foudroyant qu’a connu le référé administratif organisé devant le Conseil d’État. Ainsi qu’on l’a vu ci-avant, le rôle des référés du Conseil d’État est actuellement engorgé au point, d’une part, que le nombre de demandes de suspension introduites selon la procédure d’extrême urgence a crû de manière inconsidérée, entraînant une dénaturation de la notion même d’extrême urgence et, d’autre part, qu’il n’est pas rare aujourd’hui que le demandeur doive attendre pendant huit à douze mois avant de recevoir l’arrêt du Conseil d’État statuant sur sa demande de suspension ou de mesures provisoires introduite selon la procédure ordinaire, délai qui est incompatible avec la notion même de référé, surtout qu’il s’agit d’une procédure dans le cadre de laquelle les délais ne sont pas à la disposition des parties50.
10931. Faut-il pour autant condamner les procédures de référé administratif devant le Conseil d’État et en revenir à la situation antérieure, à savoir l’introduction de recours parallèles par le justiciable (un recours en annulation devant le Conseil d’État et un recours en référé judiciaire) ? Tant pour des raisons pratiques que pour des raisons conceptuelles et pour des raisons éthiques, nous ne le pensons pas.
1. Raisons pratiques
11032. Il est d’abord peu logique d’obliger l’administration à se défendre devant deux juges différents, ce qui la contraint notamment à déposer deux fois son dossier administratif, qui est parfois très volumineux.
111D’autre part, le juge administratif est mieux outillé que son homologue judiciaire pour trancher des litiges d’ordre administratif, en raison du caractère inquisitorial de la procédure devant le Conseil d’État, en raison de l’existence à ses côtés d’un auditorat spécialisé qui fait un rapport écrit avant que l’affaire ne soit appelée à l’audience (sauf en extrême urgence), en raison enfin de la spécialisation des magistrats du Conseil d’État dans les différents secteurs du droit administratif.
112Par ailleurs, les délais dont disposent les parties devant le Conseil d’État ne sont pas susceptibles d’être manipulés, de sorte que, normalement, c’est-à-dire essentiellement si les auditeurs rapporteurs déposaient leur rapport dans le délai réglementaire, la procédure devrait être menée à bon terme dans des délais plus brefs que devant le juge des référés judiciaire.
113Relevons encore que le préjudice grave difficilement réparable qui peut être retenu par le Conseil d’État statuant en référé n’est pas seulement le préjudice subi par le demandeur mais aussi — du moins devant les chambres francophones du Conseil d’État — le « préjudice objectif », de sorte que la suspension de l’exécution de l’acte administratif attaqué doit normalement être plus aisée à obtenir que devant le juge des référés judiciaire.
114Enfin, il ne faut pas oublier que l’accès au prétoire du Conseil d’État est plus largement ouvert que celui des juridictions judiciaires (pensons notamment aux associations de défense de la nature) et qu’un arrêt de suspension du Conseil d’État produit ses effets erga omnes et est donc pourvu d’une plus grande efficacité qu’une ordonnance d’un juge judiciaire des référés.
2. Raisons conceptuelles
11533. Le recours en annulation devant le Conseil d’État a été institué en 1946 pour permettre à quiconque y a un intérêt d’obtenir la suppression de l’ordre juridique rétroactive, erga omnes et immédiate — par le juge lui-même — de l’acte administratif attaqué qui l’a lésé dans ses droits ou intérêts. Quelle meilleure réparation en nature du préjudice causé par cet acte peut-on imaginer ?
116Dès lors, le recours en suspension et en mesures provisoires que l’on peut introduire devant le Conseil d’État depuis bientôt dix ans n’est que la conséquence logique du recours en annulation, et l’on peut même s’étonner qu’il n’ait pas été institué plus tôt tant il apparaît comme l’accessoire indispensable de celui-ci dès le moment où la longueur de la procédure en annulation dépasse quelques mois, c’est-à-dire le délai au-delà duquel l’annulation de l’acte attaqué risque fort d’être platonique. En d’autres termes, il faut nécessairement admettre l’existence de cette procédure d’urgence puisqu’elle permet de préserver un « effet utile » à l’annulation à venir.
3. Raisons éthiques
11734. L’administration qui, sous peine d’astreinte, se voit interdire par le juge judiciaire de faire quelque chose ou qui se voit enjoindre par le juge judiciaire de suspendre l’exécution ou de retirer un acte juridique peut encore décider de passer outre... en payant l’astreinte et donc aux frais du contribuable. En revanche, la suspension rétroactive, erga omnes et par le juge lui-même (par le Conseil d’État) de ses actes administratifs la prive radicalement de tout titre à agir dans le sens illégal qui était le sien jusqu’alors.
118Sur le plan éthique également, le référé administratif devant le Conseil d’État a donc sa raison d’être.
11935. Que conclure ? Sinon qu’il faut conserver les procédures de référé administratif devant le Conseil d’État pour leurs incontestables effets bénéfiques, tout en cherchant néanmoins — par les voies jurisprudentielle et législative — à en atténuer, voire à en supprimer les effets néfastes (en se donnant par exemple pour objectif de ramener à 2 à 3 mois maximum la durée d’une procédure en suspension ordinaire) et à en combler les lacunes (en instituant par exemple la possibilité d’introduire une demande de mesures provisoires en cours de procédure en annulation ou même en ne faisant courir le délai pour introduire une demande de suspension ou de mesures provisoires qu’à partir de l’apparition du risque de préjudice grave et difficilement réparable).
Notes de bas de page
1 P. DRAI, cité en exergue par G. de Levai in Le référé en droit judiciaire privé, Act. Droit, 1992, p. 855.
2 Cass., 26 juin 1980, Pas., I, p. 1341, avec les concl. du proc. gén. J. VELU ; A.P.T., 1981, p. 127, obs. D. DEOM ; J.T., 1981, p.682, obs. F. DE VISSCHER ; R.C.J.B., 1983, p. 185, obs. F. DELPÉRÉE.
3 F. DELPÉRÉE, La prévention et la réparation des dommages causés par l’administration, note précitée, R.C.J.B., 1983, p. 185.
4 Sur les conséquences d’un arrêt d’annulation et notamment les obligations qui en découlent pour l’administration, voy. D. LAGASSE, Responsabilité de l’administration à l’occasion de l’exécution des décisions des juridictions administratives, in La responsabilité des pouvoirs publics, Bruxelles, Bruylant, 1991, p. 195.
5 Ou même seulement trois ou quatre ans.
6 MA. FRISON-ROCHE, note sous Trib. gr. inst. Paris, 5 novembre 1997, D., 1998, Jurispr., p. 9.
7 Cass., 21 octobre 1982, Pas., 1983, 1, 251 ; Cass., 29 septembre 1983, Pas., 1984, 1, 84 ; Cass., 21 mars 1985, Pas., 1, 908, J.T., 1985, 697, avec les concl. du Procureur général J. VELU. Dans ce dernier arrêt, la Cour de cassation a déclaré que « le juge des référés ne s’immisce pas dans les attributions du pouvoir exécutif lorsque, statuant au provisoire dans les cas dont il reconnaît l’urgence, il se déclare compétent pour, dans les limites de sa mission, prescrire à l’autorité administrative les mesures et notamment les défenses nécessaires aux fins de prévenir ou de faire cesser une atteinte paraissant portée fautivement par cette autorité à des droits subjectifs dont la sauvegarde relève des tribunaux ».
8 Il est à noter que cette compétence nouvelle du Conseil d’État n’a en rien restreint la compétence du juge judiciaire en matière de référé administratif, dès lors qu’est en cause la réparation provisoire ou la prévention d’une atteinte portée à un droit subjectif (sur ce point, voy. notre étude La loi du 19 juillet 1991 instituant un référé administratif devant le Conseil d’État a-t-elle modifié la compétence du juge judiciaire des référés ? Ou le curieux renouveau de la théorie de la voie de fait administrative, in J.T., 1993, p. 8 et s., et les réf. à d’autres études doctrinales dans le même sens).
9 « L’efficacité des recours juridictionnels, le caractère non platonique des arrêts, leur aptitude à assurer le règne de la loi constituent la mesure de leur crédibilité » (B. HAUBERT, La nouvelle procédure de suspension devant le Conseil d’État, rapport au colloque organisé le 18 mai 1990 par le Jeune barreau de Mons sur le thème L’avènement des communautés et des régions : quels changements pour les praticiens ?, no 3). Voy. aussi en ce sens, J.F. NEURAY, Le référé administratif. Considérations sur la loi du 19 juillet 1991..., in Liber amicorum J. Velu, Bruylant, 1992, no 16.
10 F. OST, Les référés en matière d’urbanisme et d’environnement : carrefour ou labyrinthe ?, in Amén., 1993, no spéc., p. 44.
11 En ce sens également : C.E., ass. gén., 14 juin 1999, no 80.941, Demeuldre, J.L.M.B., 1999, p. 1113.
12 M. QUINTIN, Des mesures provisoires d’urgence et des procédures accélérées, in A.P.T., 1995, p. 123 et s., spéc. p. 125.
13 Article 17, § 3, al. 1, des lois coordonnées sur le Conseil d’État (ci-après L.C.C.E.).
14 M. QUINTIN, op. cit., p. 126.
15 Hypothèse dans laquelle l’arrêt intervient généralement dans les 3 ou 4 jours après l’introduction de la demande, ou même parfois le jour même. Rappelons que, lorsque la partie adverse n’a pas pu être entendue, l’article 17, § 1, al. 3, L.C.C.E. prévoit que la suspension ne peut être ordonnée qu’« à titre provisoire » et que, dans ce cas, l’arrêt « convoque le parties dans les trois jours devant la chambre qui statue sur la confirmation de la suspension ».
16 E. LANCKSWEERDT, Het administratief kort gedinq, Kluwer Rechtswetenschappen België, 1993, p. 34-36. Voy. les exemples de mesures provisoires de ces deux catégories données par M. QUINTIN, op. cit., p. 127-128.
17 Sans prévoir un régime particulier pour le cas où les mesures provisoires s’adressent au bénéficiaire de l’acte attaqué, ce qui risque de lui ôter une bonne partie de leur efficacité, spécialement lorsque l’acte suspendu est un acte permissif, parce que, le bénéficiaire de l’acte administratif n’étant pas partie adverse dans la procédure de suspension, il ne peut donc pas se voir infliger une astreinte. L’article 17, § 5, L.C.C.E. dispose en effet que l’arrêt de suspension peut, « à la demande de la partie requérante, imposer une astreinte à l’autorité concernée » et à elle seule.
18 Une différence existe néanmoins entre les deux juges des référés : le juge des référés judiciaire accepte, en effet, de modaliser sa condamnation en fonction du caractère plus ou moins apparent du bien-fondé de la demande ; de son côté, le Conseil d’État statuant en référé n’a d’autre solution que d’accueillir la demande de suspension de l’exécution de l’acte administratif querellé ou de la rejeter (sous réserve, il est vrai, des mesures provisoires qu’il peut ordonner lorsqu’une partie le lui demande : voy. à cet égard l’arrêt Huart et crts, no 76.593, du 22 octobre 1998, par lequel le Conseil d’État a ordonné la poursuite réduite de l’exécution d’un permis d’extraction qu’il venait de suspendre).
19 Voy. les exemples cités par M. QUINTIN, op. cit., p. 141., notes 168 à 172.
20 Voy. les exemples cités par M. QUINTIN, op. cit., p. 134. note 105.
21 M. QUINTIN, op. cit., p. 134 et les réf. à B. HAUBERT, J.-F. NEURAY et P. MARTENS.
22 B. HAUBERT, Le référé administratif : un an de jurisprudence, in R.R.D., 1992, no 64, p. 377, no 27. Il importe de souligner que la condition du préjudice grave difficilement réparable est appréciée de manière fort différente par les chambres flamandes et par les chambres francophones du Conseil d’État (sur ce point, voy. J. SOHIER, Les procédures au Conseil d’État, Diegem Kluwer éd. jurid. Belgique, 1998, p. 120 et s., et les réf. citées) mais que cette diversité de jurisprudence se retrouve aussi au sein des chambres flamandes et francophones et parfois même au sein de la jurisprudence d’une même chambre (sur ce point, voy. J. SOHIER, op. cit., p. 116 et les réf. citées).
23 P. ex. C.E., 18 juin 1991, no 37.235, Halsberghe ; C.E., 22 mai 1991, no 37.040, Standaert ; C.E., 4 décembre 1992, no 41.280, Legrand ; C.E., 31 mars 1993, no 42.520, T.H.U.W ; C.E., 21 février 1997, no 64.700, S.C. Providentia e.a.
24 P.ex. C.E., 30 octobre 1997. no 69.310, V.C. c. Bourgmestre de la commune de Koekelberg et commune de Koekelberg.
25 D. LAGASSE, Le Conseil d’État et la protection de l’environnement, in Les juges et la protection de l’environnement, Bruxelles, Bruylant, 1998, p. 159-187, no 15 et s.
26 D. LAGASSE, Un préjudice moral peut-il être grave et difficilement réparable au point de justifier la suspension d’une loi ou d’une décision administrative ?, J.T., 1991, p. 389 ; ID., A propos de (...) l’admissibilité d’un préjudice moral comme préjudice grave et difficilement réparable justifiant la suspension d’un acte administratif, J.T., 1993, p. 474. Le Conseil d’État ne retient généralement le préjudice moral que lorsque l’acte attaqué porte atteinte à l’honneur et à la réputation du requérant et qu’il a reçu une certaine publicité (voy. p. ex. C.E., 15 mai 1998, no 73.698, Demotte ; C.E., 27 novembre 1998, no 77.264, Geerinckx).
27 C.E., 12 janvier 1995, no 51.118, Azinari di San Marzano e.a. : sommaire publié in J.L.M.B., 1995, p. 740, avec la note d’observations de P. Gilliaux, « Référé administratif et actes permissifs, quelle efficacité ? ». Pour un relevé plus détaillé d’exemples de préjudices graves difficilement réparables retenus par le Conseil d’État dans les diverses matières entrant dans son champ de compétence, voy. :
- P. LEWALLE, Le référé administratif, Liège, Ed. Fac. Droit de Liège, 1993.
- D. LAGASSE, La contribution du juge des référés administratifs à la réparation des préjudices causés par les actes administratifs, in Mélanges R.O. Dalcq, Bruxelles, Larcier, 1994, p. 341 et sv.
28 Cass., 17 novembre 1994, Saldes-Baldini c. commune de Schaerbeek, J.T., 1995, p. 316, obs. B. HAUBERT ; Pas., 1994, I, p. 966, concl. av. gén. JANSSENS DE BISTHOVEN.
29 P. ex., C.E., 15 février 1993, no 41.975, Giavonini et Macaigne.
30 Et qui ne peut pas être rattachée au délai de recours de soixante jours, s’agissant d’arguments nouveaux et non de moyens nouveaux.
31 Seules sans doute les cours d’appel bruxelloise et anversoise ont connu jusqu’il y a peu une situation aussi préoccupante, qui est en voie de s’améliorer.
32 Confronté à une situation semblable existant à la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, un justiciable n’a pas hésité à assigner l’État français devant le Tribunal de grande instance de Paris en dédommagement du préjudice résultant pour lui de cette désorganisation judiciaire. Celui-ci a fait droit à cette action — en considérant qu’un délai de quarante mois d’attente imposé au justiciable lorsque l’affaire est prête à être plaidée et un délai total de cinq ans pour trancher une affaire en degré d’appel équivalent à un déni de justice « en ce qu’ils privent le justiciable de la protection juridictionnelle qu’il revient à l’État de lui assurer » — et a alloué au demandeur une somme équivalant à 50.000 BEF à titre de réparation de son préjudice moral.
33 P. ex. C.E., 18 juin 1991, no 37.235, Halsberghe et les autres arrêts mentionnés ci-avant en note 22.
34 P. ex. C.E., 25 mars 1992, no 39.049, Bedoret ; C.E., 13 novembre 1991, no 38.094, Bras, J.T., 1992, p. 35, obs. D. LAGASSE ; C.E., 16 décembre 1992, no 41.380, sprl Sound Processing Systems, 1993, p. 404, avec l’avis de M. l’auditeur M. QUINTIN.
35 P. ex. M. QUINTIN, Des mesures provisoires..., op. cit., in A.P.T., 1995, p. 123 et sv. spéc. p. 138. Dans le même sens, voy. C.A., 10 novembre 1999, no 117/99, selon lequel un simple intérêt moral peut suffir à maintenir l’intérêt d’un requérant à son recours en annulation.
36 Voy. les références citées dans D. LAGASSE, Le Conseil d’État et la protection de l’environnement, in Les juges et la protection de l’environnement, Bruxelles, Bruylant, 1998, p. 159-187, no 18.
37 C.E., 29 mai 1984, n 24.421, Vanroy ; C.E., 24 mars 1989, no 32.320, Mersch ; C.E., 10 juin 1993, n’ 43.261, sprl Ostexpo.
38 Sur les conséquences d’un arrêt d’annulation et notamment les obligations qui en découlent pour l’administration, voy. D. LAGASSE, Responsabilité de l’administration à l’occasion de l’exécution des décisions des juridictions administratives, in La responsabilité des pouvoirs publics, Bruxelles, Bruylant, 1991, p. 195.
39 Dans la matière spécifique des marchés publics, plusieurs arrêts (tous flamands) ont mis en évidence que « étant une condition de la validité du contrat, la suspension de son consentement peut amener l’administration — ne fut-ce que pour limiter son propre dommage — à ne pas poursuivre l’exécution du contrat et à fonder son action devant le juge civil, à l’encontre de son cocontractant, sur la nullité du contrat » (p. ex. C.E., 13 octobre 1992, no 40.734, s.a. Egta Contractors Antwerpen).
40 En matière environnementale, voy. supra note 35.
41 P. MARTENS, Grands juges et petites gens, note s. C.E., 25 mars 1993, no 43.486, El Matar, J.L.M.B., 1993, p. 1340.
42 M. PAQUES (Un conflit de valeurs : la sécurité publique ou la survie de la joubarde, note s. C.E., 25 septembre 1995, no 55.378, asbl L.R.B.P.O., Amén., 1996, p. 208 et 209) distingue clairement ces deux types de « balance des intérêts en présence ».
43 - Exemple d’arrêt procédant à une « balance interne » des intérêts en présence. C.E., 25 septembre 1995, no 55.378, asbl A.R.B.P.O., Amén., 1996, p. 207 (cet arrêt en a conclu qu’il n’y avait pas de risque de préjudice grave difficilement réparable).
- Exemple d’arrêt procédant à une « balance externe » des intérêts en présence : C.E., 30 août 1994, no 48.823, De l’Arbre, J.L.M.B., 1994, p. 1202, avec des extraits de l’avis contraire de l’auditeur P. GILLIAUX et les observations de J.F. NEURAY ; Amén., 1994, p. 199, avec les observations de B. JADOT (cet arrêt a conclu qu’il y avait bien un risque de préjudice grave difficilement réparable mais a néanmoins refusé la suspension parce que celle-ci, selon l’arrêt, aurait causé à des tiers un autre préjudice grave difficilement réparable).
44 M. QUINTIN, Des mesures provisoires..., op. cit., in A.P.T., 1995, p. 140.
45 Ibidem.
46 Voy. J. SOHIER, op. cit. (note 21), p. 118-120 et les références.
47 L’arrêt C.A., 10 novembre 1999, no 117/99, précité à la note 34, pourrait bien remettre en cause cette jurisprudence.
48 Il n’est pas sans intérêt, à cet égard, de comparer, dans les statistiques du Conseil d’État, le nombre de désistements exprès ou présumés des requérants dans le cadre de la procédure en annulation (1426 en 1994-1995).
49 P. ex. C.E., 22 septembre 1997, no 68.241, asbl Comité de quartier rue de Ruysbroek-Sablon.
50 En d’autres termes, les parties ne sont nullement responsables de ce retard inadmissible, à la différence de ce qui peut se passer devant le juge judiciaire.
Auteur
Chargé de cours à l’U.L.B. et à l’Université de Liège. Avocat au barreau de Bruxelles (Janson Baugniet)
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