Le droit communautaire : un espace en expansion continue
p. 301-334
Texte intégral
1Le droit communautaire se prête assurément à une analyse de l’accélération du temps juridique. On peut démontrer qu’il confirme l’hypothèse formulée plus généralement par F. Ost1 de « la formulation et la mise en œuvre réfléchie d’un projet de société inscrit dans la durée [...] créatrice, ouverte chaque jour à la réinterprétation, des valeurs fondatrices ».
2On pourrait en faire la vérification aisée à propos des aspects proprement institutionnels du droit communautaire. Il est banal d’évoquer l’inflation de l’acquis communautaire, l’adaptation rapide d’une norme réglementaire à l’évolution d’une situation économique complexe parce que mouvante, le processus de révision des traités fondateurs en fonction de l’adhésion périodique de nouveaux Etats ou de l’exigence croissante d’une participation active de corps représentatifs aux mécanismes de décision. Cette évolution laisse notamment pour trace une nouvelle numérotation du traité CE au 1er mai 19992.
3La vérification de l’hypothèse précitée appelle plutôt une analyse de l’incidence que le facteur temps peut exercer sur le droit du marché intérieur. Ce droit connaît une évolution non seulement constante, mais également radicale3. Il est peu probable que les auteurs du traité de Rome du 25 mars 1957 instituant la Communauté économique européenne aient pu anticiper la portée du concept d’espace communautaire à la fin du millénaire. L’accélération du temps communautaire sous son aspect positif est sans aucun doute explicite (section 1). Elle n’exclut pas pour autant tout risque de stabilisation susceptible de freiner le processus d’intégration communautaire (section 2)
Section 1. L’accélération du temps communautaire
4Comme ordre juridique, le droit communautaire s’inscrit dans la durée. Prenant pour objet privilégié la production de richesses dans un espace typique de la société industrielle, il accompagne indissolublement le passage à une société postindustrielle qui se caractériserait par la prise en compte de valeurs supérieures à la liberté économique et par un élargissement à la production de richesses immatérielles, comme la production d’informations.
5Le droit est-il facteur d’adaptation du social, ou suit-il celui-ci ? L’expérience du droit communautaire suggère que les institutions communautaires ont pu jouer un rôle actif dans une nouvelle perception des valeurs économiques (A). Dans le cadre d’une étude centrée sur l’incidence du temps sur le droit, il paraît intéressant de démonter ce processus évolutif (B).
A. Le droit communautaire, facteur de modernité
6Le droit communautaire repose sur un projet de société, dont le préambule du traité CEE porte les traces. Les auteurs y expriment à la fois un « idéal », celui de la sauvegarde « de la paix et de la liberté », une détermination, celle d’assurer « un progrès économique et social » et d’établir « les fondements d’une union sans cesse plus étroite entre les peuples européens », un but, à savoir « l’amélioration constante des conditions [...] de leurs peuples ».
7Ces termes traduisent la vision d’une société projetée dans le futur, projection pourtant ancrée dans le présent puisque cette vision fonde dès le départ une organisation internationale dotée d’institutions et de pouvoirs propres, mais projection cependant, projet à réaliser dans la continuité : l’on remarque la référence du texte au « progrès », à une union qui sera « sans cesse » « plus » étroite, à « l’amélioration ». C’est dire que l’acquis ne sera pas immédiat, peut-être parce que le projet, par son ampleur, est de ceux qui ne sont jamais atteints, peut-être parce que l’enjeu politique était de taille qui tendait à une paix durable entre d’anciens belligérants. Cet objectif politique suffit à tracer la pérennité du processus voulu : non contents d’établir la paix pour le présent, ce à quoi aurait suffi un traité traditionnel, les auteurs du « traité » CEE ont voulu sceller cette paix en rendant sa rupture invraisemblable.
8La création d’une « communauté » contribue à l’originalité du projet. Les auteurs du traité CEE ont certes innové en imaginant une Communauté qui serait davantage qu’une association d’Etats et moins qu’une confédération. Sans doute est-ce ce moyen terme qui en a assuré le succès et il n’est pas certain que les perspectives actuelles des « Etats-Unis d’Europe », auxquelles Jean Monnet déjà avait songé à la fin de sa vie, soient le gage le plus certain d’une irréversibilité de l’intégration européenne. Après tout, les peuples d’Europe ont-ils montré de manière durable, dans l’histoire, leur disposition à être gouvernés par d’autres ?
9Une telle « communauté » ne connaissant guère d’antécédent, il est douteux que ses auteurs aient pu déceler tout le potentiel du concept. En tout cas, l’histoire du droit du marché intérieur montre que l’acquis actuel est sans commune mesure avec les termes mêmes du traité fondateur, termes inspirés du vocabulaire traditionnel des relations économiques internationales.
10Au départ, un « marché » commun est institué. Il comprend les ingrédients d’une zone de libre échange, assortie de ceux d’une union douanière. En toute hypothèse, l’effort se concentre sur la problématique des « marchandises ». Le propos est d’assurer la circulation internationale de celles-ci et, pour y parvenir, le traité CEE énonce l’interdiction des deux types d’entraves aux échanges typiques des relations internationales, à savoir les entraves tarifaires — les droits de douane — et les mesures de contingent — les quotas à l’importation et à l’exportation. On remarque que les termes pertinents du traité CEE qui fondent la liberté de circulation ne se réfèrent pas plus largement à l’ensemble des entraves « techniques » aux échanges.
11La vision initiale se démarque pourtant d’autres modèles existants par l’extension de la liberté de circulation à des personnes. Le traité CEE traduit en cela une vision globale, qui n’est cependant pas encore une vision de société. L’ingéniosité réside dans une vision économiquement efficace : il est inefficace de vouloir une circulation internationale des marchandises, principal élément du produit intérieur brut, sans permettre en même temps celle de l’ensemble des facteurs de production. C’est en ce sens qu’est prévue la circulation des travailleurs, des entreprises, des prestataires de services, des capitaux.
12Cette lecture du droit communautaire est sans aucun doute désormais dépassée. Aujourd’hui, le domaine du droit communautaire s’étend à une liste de vingt-et-une matières qu’énonce l’article 3 du traité CE. La consultation de cette liste indique une préoccupation, notamment, pour des valeurs de solidarité, comme la « cohésion » ou l’environnement, et pour des valeurs humanitaires, comme la santé, l’éducation, la culture. L’article 13 nouveau introduit par le traité d’Amsterdam se réfère à toute forme de discrimination fondée, notamment, sur le sexe, la race, la religion. L’appellation même de la Communauté a perdu l’étiquette « économique ». De tels changements sont le fruit d’une évolution constante, sans aucun doute accélérée. La seule consultation des révisions successives du traité fondateur montre une première période de stabilité d’une trentaine d’années, suivie de trois périodes de changements successifs en une décennie, intervenus en 1986, 1992 et 1997.
13Les secteurs de la protection de l’environnement et de la condition des personnes constituent les paradigmes d’une telle évolution.
La protection de l’environnement
14La matière de l’environnement figure comme l’une des politiques communautaires, depuis l’insertion des articles 130 R à 130 T [désormais art. 174 à 176] par l’Acte unique européen, en 1986. Ceci signifie qu’en cette matière, la Communauté est habilitée à entreprendre des actions. Il y va ainsi de l’attribution d’une compétence normative à la Communauté, non pas exclusive mais partagée avec les Etats membres.
15La protection de l’environnement revêt encore une autre portée en droit communautaire. Elle intervient lors de l’évaluation d’une entrave aux échanges intracommunautaires. Qu’elle émane de l’Etat ou d’une institution communautaire, une réglementation qui gêne la production de marchandises est susceptible d’invoquer les nécessités de la protection de l’environnement, pourvu qu’elle soit apte à réaliser ce but et n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire à cette réalisation.
16La qualification de la protection de l’environnement comme un but légitime d’intérêt général est certaine dans la jurisprudence de la Cour de justice dès 19804. Depuis lors, elle appartient à la catégorie des « exigences impératives d’intérêt général », que la Cour de justice a énoncée pour la première fois, à propos des marchandises, dans le fameux arrêt « Cassis de Dijon » en 19795.
17L’apparition du concept d’« exigence impérative » d’intérêt général mérite quelque explicitation dans le cadre de cette étude. Sous la période antérieure à l’arrêt « Cassis de Dijon », la Cour de justice avait énoncé le caractère strictement exhaustif des motifs d’intérêt général prévus dès l’origine par l’article 36 [désormais article 30] du traité CEE — qui se référait à des concepts aussi traditionnels que l’ordre public ou la santé. Cette interprétation restrictive s’expliquait du fait que la notion d’intérêt général étant susceptible de justifier une entrave aux échanges, son admission relevait d’une exception à un principe fondamental, celui de la liberté de circulation.
18Comment expliquer le revirement de l’arrêt « Cassis de Dijon » ? On peut, avec le recul du temps, lui trouver deux explications, l’une et l’autre étant liées à la prise en compte d’une donnée temporelle.
19Une première explication est donnée par la Cour de justice. Il faut savoir que l’apparition des « exigences impératives » est liée à une extension considérable donnée par la Cour au domaine du droit communautaire, extension consistant à faire entrer dans la notion d’entrave aux échanges, à côté du contingent, toute mesure ayant le même effet tout en étant « indistinctement applicable » aux produits nationaux comme étrangers. Selon la Cour, une telle mesure, pourvu qu’elle repose valablement sur une « exigence impérative » d’intérêt général, perdrait la qualification d’entrave aux échanges au sens de l’article 28 [ex-30] du traité CE. La justification ne convainc guère. En effet, la Cour n’admet ce résultat que si la mesure respecte une condition de proportionnalité, notamment répond à un test d’interchangeabilité — ou de substitution — consistant à vérifier si une autre mesure moins restrictive des échanges n’aurait pas pu être adoptée. C’est dire si, pour décider de l’application de la règle — à savoir l’interdiction d’une entrave — et pour apprécier le critère déterminant pour la constitution de l’hypothèse de cette règle — à savoir l’existence d’une entrave —, la Cour vérifie l’ensemble des éléments qui constituent le dispositif de la règle — à savoir le respect des conditions d’intérêt général et de proportionnalité —, vérifications qui n’ont de sens qu’à propos d’une mesure préalablement qualifiée d’entrave.
20La position de la Cour peut paraître surprenante sous un angle stratégique dans la mesure où, en élargissant le concept d’intérêt général à tout motif d’ordre non économique, elle semble donner un coup d’arrêt au régime de la circulation des marchandises en admettant désormais de plus larges catégories d’en traves qu’auparavant. En réalité, la jurisprudence « Cassis de Dijon » signifie une extension considérable du domaine du droit communautaire, à un double titre. Non seulement, comme on le verra plus loin (infra, point B), l’arrêt ne pouvait qu’étendre la compétence normative de la Communauté. Mais surtout, cette jurisprudence compense l’extension donnée au domaine du droit communautaire par l’ouverture du contrôle aux mesures « indistinctement applicables », concept apte à couvrir l’ensemble des normes techniques sur les produits et, au delà, toute règle de droit, quelle qu’en soit la nature — même civile ou pénale — susceptible de gêner la circulation transfrontière. Le signe de la portée d’une telle extension réside dans l’une des conditions que la Cour pose à la conformité de la mesure au droit communautaire, à savoir la proportionnalité au but invoqué. Cette condition deviendra assurément décisive pour le contrôle des entraves. Dans l’affaire « Cassis de Dijon » par exemple, la Cour a conclu à la disproportion d’une mesure nationale d’interdiction chaque fois que le même résultat peut être atteint par une mesure d’information du consommateur par voie d’étiquetage.
21La création du concept d’exigence impérative peut encore trouver une autre explication. Il s’agirait d’observer qu’il convenait de consacrer, à la fin des années soixante-dix, de nouvelles valeurs supérieures à celle de la circulation de marchandises. De telles valeurs étaient pratiquement inconnues en 1957, à la différence de celles qui, posées dans l’article 36 [désormais 30] comme l’ordre public ou la protection de la santé, étaient traditionnelles dans une société industrielle. La conceptualisation de la protection du consommateur — le droit de la consommation — et de la protection de l’environnement — le droit de l’environnement — est plutôt tardive, suivant à une décennie près son apparition aux Etats-Unis. En d’autres termes, les arrêts « Cassis de Dijon » et « Teneur en soufre des combustibles » ne seraient que l’expression d’une adaptation du droit communautaire à l’évolution des valeurs de société. A tout le moins, la qualification « communautaire » de ces valeurs est certaine. Il s’agit moins d’impératifs propres à la souveraineté de l’Etat que d’objectifs d’intérêt général « poursuivis par la Communauté », ceci expliquant que cette exigence s’impose également aux institutions de la Communauté au titre de l’article 28 [ex 30]6.
La condition des personnes
22En 1957, la personne n’est pas perçue dans son humanité. La protection de droits fondamentaux va essentiellement au travailleur ou, selon les termes du traité CE, à la « main-d'œuvre ». La formulation même de l’article 141 [ex-119] qui consacre le principe de l’égalité des sexes ne contredit pas cette hypothèse. Cette disposition appartient à la politique sociale et ne couvre, selon ses termes, que la protection dans la « rémunération ». Au vrai, le principe trouvait une explication économique : il s’agissait d’éviter un avantage concurrentiel indû pour les entreprises qui, dans un secteur déterminé, occupaient une main-d’œuvre principalement féminine, sous-payée.
23Depuis lors, la notion de travailleur, comme celle de rémunération dans le cadre de l’article 141 [ex-119], ont été interprétées de manière résolument extensive, comme l’a également été le régime de contrôle des entraves puisque celui-ci a été étendu aux mesures « indistinctement applicables », comme cela avait été auparavant le cas des marchandises. L’arrêt Bosman, du 15 décembre 19957, en est l’illustration type. D’abord, il confirme, dans la ligne d’une jurisprudence évolutive, que le « travailleur » inclut toute personne percevant une rémunération effective dans un rapport de direction, quel que soit le secteur d’activité, y compris un secteur à haute valeur culturelle comme le secteur sportif. Ensuite, la Cour contrôle une entrave — le prix de transfert — indistinctement applicable aux nationaux comme aux étrangers, admet la formation des jeunes joueurs comme un objectif d’intérêt général mais estime disproportionnée une mesure dont le montant est sans relation avec le coût de cette formation.
24En 1999, la personne est ce citoyen dont l’article 17 [ex-8] du traité CE, introduit par le traité de Maastricht en 1992, exige seulement qu’il ait la qualité de ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne. Ce citoyen bénéficie d’un droit de circuler et de séjourner dans l’ensemble des Etats membres de la Communauté, sans qu’il doive être un opérateur économique.
25Demain, cette personne sera sans doute un ressortissant d’un Etat tiers admis à séjourner sur le territoire d’un Etat membre. Les accords de Schengen, initiés en 1985, précisés en 1990 et entrés en vigueur en 1994, prévoient déjà un droit de court séjour pour les territoires des Etats parties à ces accords. Le traité d’Amsterdam confirme désormais une compétence communautaire en la matière.
B. Une dynamique de la modernité
26Une chose est d’observer ce phénomène d’expansion du droit communautaire. Autre chose est d’en approcher le processus. Comment expliquer l’évolution d’un régime juridique centré sur la circulation de richesses selon un modèle plutôt traditionnel, hérité du droit des relations commerciales internationales, vers un droit capable de gérer la protection de l’environnement ou la diversité culturelle ? Comment expliquer le passage d’une Europe des travailleurs à une Europe des citoyens ?
27De même que les Pères de l’Europe savaient que celle-ci ne se ferait pas en un jour, l’évolution n’a pas pour seul facteur une attitude volontariste des responsables politiques. On peut même émettre l’hypothèse que si le traité CEE avait été présenté à la signature des Etats, en 1957, avec l’intégration de l’acquis communautaire, le droit communautaire n’aurait jamais vu le jour.
28L’expérience montre que, dans ce processus, la Cour de justice des Communautés européennes a joué un rôle déterminant. On peut en déduire l’hypothèse que l’établissement d’une union douanière n’est susceptible de mener à une union économique que si le traité de base dote l’organisation internationale, non seulement de pouvoirs normatifs propres, mais encore d’une juridiction propre, dotée d’un pouvoir de sanction mais, surtout, d’interprétation.
29Ce point de départ suggère aussitôt le mode d’évolution du droit communautaire, lié au mode de fonctionnement juridictionnel.
1) La relation du particulier au juge
30Comme toute juridiction, la Cour de justice ne peut connaître que de demandes portées devant elle. Même en matière d’interprétation, tout pouvoir de saisine d’office lui échappe. Par conséquent, la formulation d’une interprétation ne peut qu’être liée au hasard d’un contentieux individuel8. Il est vrai qu’une institution communautaire — la Commission — a la faculté — non l’obligation — d’agir en manquement contre un Etat devant la Cour et peut, par là, saisir cette occasion pour amener la Cour à une position de principe sur tel point d’interprétation du droit communautaire. Il reste que, statistiquement, c’est d’abord par le biais des renvois préjudiciels effectués par des juridictions nationales que la Cour reçoit l’occasion de contribuer au développement du droit communautaire. Ce développement est donc largement fonction des aléas des litiges entre particuliers — ou entre le particulier et l’Etat. En d’autres termes, les auteurs du traité CE ont offert à l’individu un moyen d’action sur le droit communautaire. Il est vrai que le renvoi préjudiciel est un privilège juridictionnel, qui échappe au plaideur. Dans la pratique toutefois, le juge national ne peut que recevoir l’influence des conclusions des parties à cet égard. L’affaire Bosman permet d’illustrer le propos. Son retentissement considérable est moins lié à la portée doctrinale de l’arrêt de la Cour, somme toute réduite, qu’à ses conséquences économiques et culturelles. Il est symptomatique que, dans cette affaire, le juge national ait, sans doute à l’instigation des conseils du joueur, évoqué également la question de la clause de nationalité dans les compétitions européennes, question dont la pertinence en l’espèce n’était pas évidente.
31La jurisprudence de la Cour de justice n’est pas erratique pour autant. Manifestement, la Haute Juridiction a construit une tradition d’interprétation résolument dynamique du droit communautaire, susceptible d’assurer la pleine effectivité de son application. Cette position l’a conduite à tisser, avec patience mais avec constance, une toile qui présente le droit communautaire sous un jour tellement inédit qu’une simple lecture du traité CE, même après sa révision par le traité d’Amsterdam, ne suffit plus à comprendre la portée de ses dispositions organiques des différentes libertés de circulation.
32Deux facteurs peuvent expliquer cette stratégie.
33D’un côté, la compétence d’interprétation de la Cour a ceci d’original que, certes saisie à propos d’un cas individuel, celle-ci n’est pas saisie pour autant de ce cas. Tout en étant relative quant à son domaine, puisqu’elle se limite aux besoins de l’espèce devant le juge national, l’interprétation est absolue quant à son contenu, puisqu’elle consiste à dire le sens de la règle communautaire en tant que telle, indépendamment de l’espèce. Cette caractéristique encourage donc la Cour à formuler des arrêts de règlement.
34D’un autre côté, il ne fait pas de doute que le caractère « fondamental » des libertés consacrées par le traité CEE, associé à l’ampleur du projet de société, a incité la Cour de justice à emprunter une telle voie. La structure primitive du traité, malheureusement modifiée à cet égard par le traité de Maastricht, regroupait effectivement les quatre libertés de circulation — tout en y incluant également l’agriculture et les transports — sous l’intitulé des « Fondements ». Les juristes de la Cour n’ont donc eu aucune peine à appliquer à ces dispositions le principe d’interprétation extensive d’une liberté fondamentale, assignant une portée restrictive à toute exception au principe, de même qu’ils ont pu construire le principe d’une interprétation « téléologique », centrée sur la finalité d’un marché unique, méthode résolument tournée vers l’avenir.
35La méthode suivie par la Cour trouve deux illustrations caractéristiques à propos de ce que l’on pourrait appeler la relation du juge au législateur et de l’approfondissement des droits fondamentaux, quant à leur domaine et à leur contenu.
2) La relation du juge au législateur
36On peut affirmer que le juge communautaire a été un incitant à l’action du législateur, national ou communautaire. Cette intervention a provoqué très certainement un effet d’accélération sur le processus normatif. Cet impact s’observe dans le recours à la théorie de l’effet direct, ainsi que dans l’interaction de la jurisprudence « Cassis de Dijon » et de la « nouvelle approche » en matière d’harmonisation technique et de normalisation.
L’effet direct des libertés communautaires
37L’on connaît la jurisprudence de la Cour de justice à propos de l’effet direct du traité CE. Les règles organiques de la liberté de circulation des marchandises (art. 25 [ex-12], 28 [ex-30] et 29 [ex-34]), des personnes (art. 39 [ex-48] et 43 [ex-52]) et des services (art. 49 [ex-59]) — mais non des capitaux (art. 67 [abrogé]) jusqu’à l’entrée en vigueur du traité de Maastricht (art. 56 [ex-73 B]) — sont suffisamment claires, précises et inconditionnelles pour être susceptibles d’application au cas particulier, devant le juge national, sans même l’adoption d’une mesure préalable d’exécution par une institution communautaire dans le cadre des pouvoirs normatifs conférés, notamment, par les articles 94 [ex-100], 95 [ex-100 A], 40 [ex-49], 42 [ex-51] ou 47 [ex-57]. Avec le recul du temps, la position de la Cour a de quoi surprendre. En effet, si l’affirmation concernant la clarté de la règle était vraie, la Cour n’aurait pas été appelée, comme elle l’a été, à rendre des centaines d’arrêts d’interprétation en quelques décennies. Ce phénomène ne peut s’expliquer qu’en raison du caractère très générique des termes des dispositions en question. Il est vrai que ce caractère n’est apparu clairement qu’au fil du temps, à mesure de l’extension donnée par la Cour à la notion d’entrave. Tant que celle-ci se confondait, en ce qui concerne les marchandises, avec le contingent, il n’était pas nécessaire de définir plus avant ce qu’est un contingent ni ce qu’est une mesure discriminatoire. C’est l’ampleur donnée à la notion de mesure d’effet équivalent, notion au vrai présente dans le texte de l’article 28 [ex-30] mais dont l’importance n’a pu s’apercevoir qu’à l’expérience, qui a nécessité un ajustement constant du contenu du régime de la liberté de circulation.
38L’emprunt au concept d’effet direct, dont la Cour de justice a largement contribué au succès en droit international public, peut aussi s’expliquer dans le contexte d’une politique législative. Il est fermement lié au concept des droits fondamentaux. C’est parce que la liberté de circulation figure comme un « fondement » de la Communauté, que son effectivité ne peut attendre l’intervention du législateur national ou communautaire. Il est remarquable que la première expression, chronologiquement parlant, de l’effet direct du traité CE ait eu lieu à propos de la portée d’une clause de standstill — ou clause à effet de cliquet, avant l’expiration de la période de transition. Dans l’affaire Van Gend & Loos9 était en cause l’interdiction faite à l’Etat d’introduire de nouveaux droits de douane entre Etats membres (art. 25 [ex-12]). Pour fonder l’effet direct, la Cour de justice énonce le constat, tiré à la fois de l’objectif du traité CE — instituer un marché commun qui concerne les justiciables — et de la création d’organes — singulièrement la création d’une juridiction d’interprétation impliquant la faculté pour le particulier d’invoquer le droit communautaire devant les juridictions nationales — que « la Communauté constitue un nouvel ordre juridique de droit international », dont les sujets seraient les ressortissants des Etats membres. Formulation audacieuse et originale qui contient les ferments d’un développement dynamique du droit communautaire aboutissant à l’affirmation, trente ans plus tard, de la citoyenneté européenne. Formulation qui comporte les ingrédients de l’accélération du temps juridique, puisqu’elle évoque à la fois la « nouveauté » et la pérennité, celle d’un véritable « ordre juridique », institué pour une « durée illimitée »10. Formulation qui entend signifier que la liberté de circulation existe dès le commencement. En ce sens, le qualificatif « direct » peut être assigné à la liberté autant qu’à la disposition légale organique : elle est directe en ce sens qu’elle ne saurait souffrir d’être différée.
39Cet effet d’accélération ne se fera guère sentir avant le milieu des années septante. C’est le hasard des questions préjudicielles en interprétation — et non, faut-il le souligner, le volontarisme d’une politique de sanction à l’encontre des manquements des Etats — qui fournira à la Cour de justice l’occasion de stigmatiser l’indolence des Etats et des institutions — certes préoccupées par l’organisation commune des marchés agricoles — en affirmant l’effet direct, tour à tour, des dispositions organiques11 de la liberté d’établissement12, de la circulation des travailleurs13, de la circulation des services14, de la circulation des marchandises15, à compter de l’expiration de la période de transition.
L’arrêt « Cassis de Dijon » comme paradigme
40La jurisprudence ultérieure de la Cour de justice, au cours d’une phase que l’on peut qualifier de consolidation, manifeste une implication directe du juge dans le processus législatif et reçoit alors la portée d’un facteur d’amplification. L’arrêt « Cassis de Dijon » en constitue assurément le paradigme16. Cet arrêt entend exercer une influence directe sur le législateur national et exercera, indirectement, une influence profonde, à long terme, sur le droit dérivé, voire sur la révision du traité CE. On peut estimer que cette influence a pu s’exercer par l’intermédiaire du contrôle de proportionnalité17.
41L’impact sur le législateur national est d’évidence. En posant qu’une mesure nationale comme celle de l’espèce — à savoir l’interdiction de commercialiser une liqueur de fruit dont la teneur en alcool est inférieure au prescrit légal — est disproportionnée au but poursuivi — la protection économique du consommateur — car elle est interchangeable avec une autre mesure moins restrictive des échanges, la Cour de justice oriente nécessairement la politique législative de l’Etat en lui recommandant d’adopter une politique d’information du consommateur.
42L’influence sur le législateur communautaire est plus complexe parce que diffuse et multiple. En bref, la jurisprudence « Cassis de Dijon » comporte les caractéristiques suivantes : (1°) elle requiert la primauté du droit dérivé ; (2°) elle étend le régime des entraves aux mesures indistinctement applicables ; (3°) elle permet à de telles mesures de reposer sur une exigence impérative d’intérêt général18 ; (4°) elle exige de telles mesures, au titre du contrôle de proportionnalité, qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire, c’est-à-dire qu’elles soient efficaces — ce qui ne serait pas le cas, notamment, lorsque la mesure en cause est interchangeable avec une autre mesure moins restrictive ou lorsque le produit obéit à des normes satisfaisantes au regard de l’objectif en cause établies par l’Etat d’origine. Ce dernier test, que l’on peut qualifier d’« équivalence » des normes, implicite dans l’arrêt Cassis de Dijon mais très explicite dès l’arrêt Denkavit de la même année19, mérite une attention particulière. Il signifie que, lorsque l’équivalence est établie en fait entre deux normes, l’une de l’Etat d’origine du produit, l’autre de l’Etat de commercialisation qui entend appliquer sa propre législation, il y a obligation, pour ce dernier, d’accepter une « reconnaissance mutuelle » des normes en présence20.
43Cette influence sur le législateur est double. Elle s’exerce sur la politique normative, mais aussi sur le domaine d’intervention du droit communautaire.
Un effet d’amplification sur le droit dérivé
44La règle, proprement jurisprudentielle, de reconnaissance mutuelle ne pouvait qu’influencer la politique communautaire de rapprochement des législations nationales. Cette politique a un lien fonctionnel évident avec le régime de la liberté de circulation, puisque la plupart des entraves constatées par la Cour de justice résultent de disparités des législations nationales et que l’article 94 [ex-100], augmenté de l’article 95 [ex-100 A] en 1986, habilite précisément le Conseil à rapprocher ces législations afin d’agir sur de telles disparités dans la mesure nécessaire au fonctionnement du marché commun. L’adoption, par le Conseil, de la « nouvelle approche »21 en 1985 est la résultante de la jurisprudence de la Cour de justice. Sous la période antérieure, le Conseil s’était attelé à une vérification systématique, secteur par secteur, des disparités de normes techniques, tout en accusant un retard considérable au regard du nombre de normes en cause. Désormais, sa politique se réduira à l’essentiel, c’est-à-dire à l’utile : il convient d’accélérer le processus de rapprochement en n’agissant — outre certaines questions prioritaires comme la protection de la sécurité des consommateurs — que sur les secteurs où n’existe pas d’équivalence de fait puisque, lorsque celle-ci existe, l’effet direct de l’article 28 [ex-30], tel qu’interprété par la Cour, suffit à établir une règle de reconnaissance et, partant, l’effectivité du droit du marché intérieur. Cette nouvelle attitude donnera une impulsion nouvelle à la politique normative de la Communauté. Cette impulsion sera suivie immédiatement, lors de l’adoption de l’Acte unique, d’un assouplissement de la procédure d’adoption d’un acte communautaire de rapprochement des législations nationales (art. 100 A nouveau, désormais art. 95), mais surtout de l’établissement d’un échéancier, celui du 31 décembre 1992, posé par l’Acte unique en 1986 (art. 8 A, devenu l’art. 7 A en 1992, désormais art. 14).
45Cet échéancier fameux comporte une lecture intéressante du droit du marché intérieur sous l’angle du temps. D’abord, il s’accompagne, pour la première fois, d’une définition du « marché intérieur » : c’est montrer combien ce concept est né a posteriori ; n’étant que virtuel en 1957, il n’a pu être formalisé qu’à la lumière de l’expérience qu’en a faite la Cour de justice22. Ensuite, l’échéancier fait mine d’établir la création du marché intérieur à la date fixée, la réalisation n’intervenant que « progressivement » au cours de la période de référence. Ce texte a fait croire au public que le marché intérieur serait établi en 1993. Sa portée, en réalité, est tout autre. Il s’agit d’un simple échéancier politique, dont la durée de six ans est calculée sur la base de la durée semestrielle de la présidence du Conseil, de manière à permettre au gouvernement de chaque Etat membre (douze à l’époque) de contribuer au projet commun, non sans renfort médiatique. Non seulement l’application de la théorie de l’effet direct par la Cour de justice permet-elle de faire remonter l’effectivité du marché intérieur à l’expiration de la période de transition, à savoir pratiquement au premier juillet 196823 ; mais encore, l’arrivée à l’échéance ne pouvait avoir pour effet de permettre une liberté absolue de circulation, l’Etat — ou le législateur communautaire — restant en mesure de fonder une entrave sur un motif d’intérêt général ouvert par la jurisprudence de la Cour de justice.
Un effet d’amplification sur le droit primaire
46La jurisprudence de la Cour aura aussi une influence sur le domaine que le traité CE assigne aux compétences communautaires. Cette influence s’est exercée de manière indirecte, non volontariste, par le biais du concept de l’intérêt général. La démonstration se fait aisément, mais non sans contraste, au sujet de la protection du consommateur et de la protection de l’environnement. Dès lors que la Cour de justice, parce que s’intéressant désormais aux mesures indistinctement applicables, se voit amenée à énoncer le concept d’exigence impérative d’intérêt général, élargissant du fait même la faculté pour l’Etat d’entraver les échanges, le législateur communautaire se devait nécessairement, au nom de sa responsabilité de gestion du droit du marché intérieur, de procéder à une réduction des disparités des législations nationales dans les secteurs visés par ces exigences impératives. En d’autres termes, les différents arrêts par lesquels la Cour de justice admet une exigence impérative, paraissant préserver une compétence nationale, sont autant de points de départ pour une politique communautaire en la matière. Les auteurs du traité CE ne s’y sont pas trompés qui, à l’occasion de révisions successives, ont introduit les valeurs de consommation et d’environnement dans les textes fondateurs. L’environnement entre par la grande porte dès 1986, étant alors consacré comme l’objet d’une politique communautaire (art. 130 R à 130 T [désormais art. 174 à 176]). Il en va différemment de la consommation, qui devra attendre 1992 (art. 129 A [désormais art. 153]), non sans toutefois être introduit dès 1986, comme l’environnement, en tant que valeur inhérente à la politique générale de rapprochement des législations nationales (art. 100 A [désormais art. 95], § 3). Dès ce moment, cette politique ne peut plus se contenter d’un rapprochement formel, tendant à un dénominateur commun, mais se doit de prendre pour base « un niveau de protection élevée » : c’est confirmer que l’étalon de protection de ces valeurs, de national, devient communautaire.
Continuité et discontinuité du changement
47L’analyse de l’interaction du juge et du législateur montre une continuité non volontariste, que l’on pourrait tenter d’expliquer par la théorie du chaos : non pas théorie du désordre ou de l’indéterminisme, mais théorie de l’évolution tendant à rendre prévisible une succession d’événements à l’apparence aléatoire. En somme, il est possible de montrer, a posteriori, c’est-à-dire en se basant sur l’expérience, que l’interdiction d’une mesure de contingent à l’importation portait virtuellement une règle communautaire de protection de l’environnement. Le processus se développe cependant par paliers, chaque étape étant nécessaire au franchissement de la suivante mais cachant aussi les virtualités subséquentes, et le franchissement de chaque étape étant soumis à l’aléa du contentieux générateur d’un renvoi préjudiciel en interprétation.
48Ainsi, l’interdiction d’un contingent implique nécessairement celle d’une mesure qui aboutit au même résultat. Cette mesure « d’effet équivalent » peut encore être une mesure discriminatoire à raison de l’origine du produit mais, bien vite, l’on réalise, au détour d’un arrêt de la Cour, que peut avoir le même effet discriminatoire une mesure qui, en apparence, est « indistinctement applicable » aux produits nationaux comme aux produits étrangers24. Ce pas étant franchi, l’on réalise ensuite que la différence est minime avec une mesure qui, indistinctement applicable, provoque une gêne plus forte pour les produits étrangers que pour les produits nationaux, en raison de disparités des structures nationales de marché. Le contrôle acquiert ainsi vocation à s’étendre à toute norme technique affectant les échanges économiques. Le franchissement de cette étape en appelle aussitôt un autre, à savoir la nécessité d’élargir l’intérêt général. Cet élargissement peut ne pas aller sans peine, comme en atteste la valeur de l’environnement. Il s’est fait en deux temps. Le premier arrêt, rendu en 1980, s’attache encore à démontrer que « il n’est nullement exclu que des dispositions en matière d’environnement puissent s’encadrer dans l’article 100 [désormais art. 94] du traité CE », ajoutant que « les dispositions que nécessitent des considérations de santé et d’environnement peuvent être de nature à grever les entreprises »25. Le raisonnement, à ce stade, s’efforce encore d’isoler le chaînon qui lie la préoccupation économique — inhérente au projet communautaire initial — à la préoccupation environnementale, ou autrement dit, cette dernière n’est encore prise en compte que sous sa dimension économique. Le second arrêt rompt cette contrainte en 198526, en considérant la protection de l’environnement en soi, comme un objectif désormais proprement communautaire. Le pas qualitatif est décisif. La préoccupation environnementale est vue comme une valeur supérieure à la valeur économique de circulation des richesses, comme une matière ayant acquis son autonomie en droit communautaire. Ce pas ouvrira immédiatement la porte aux révisions du traité CE, pour y inclure l’environnement comme la matière d’une nouvelle politique communautaire.
3) L’approfondissement des droits fondamentaux de la personne
49La démonstration d’une continuité atteignant par paliers successifs à une cohérence observable a posteriori, mouvement dont la première étape contient la virtualité de manière nécessaire mais non perceptible, peut également être faite à propos de la condition des personnes. Comment, de la catégorie des travailleurs, seule protégée à l’origine, le droit communautaire est-il arrivé à considérer tout ressortissant d’un Etat membre indépendamment de la qualité d’opérateur économique ? Comme à propos des marchandises, on peut affirmer que la consécration de la « citoyenneté de l’Union européenne » par le traité de Maastricht en 1992 n’est que l’aboutissement d’un processus lent géré par la Cour de justice.
50Ce processus comporte deux voies parallèles.
De l’accès à l’emploi aux avantages sociaux
51La première voie utilise nécessairement le statut du travailleur.
52Il s’est avéré bien vite qu’il est inefficace de donner à celui-ci le droit de se déplacer d’un Etat à un autre pour y accéder à un emploi, s’il ne peut entraîner avec lui les membres de sa famille : ceux-ci se verront donc reconnaître un droit dérivé lié au droit propre du travailleur. Le fait que ce droit soit consenti aussi à des membres ressortissants d’Etat tiers — alors que le travailleur doit être ressortissant d’un Etat membre — montre le caractère fonctionnel de cette extension par ce que l’on qualifie désormais de « droit au regroupement familial ».
53Ensuite, le même souci de l’effet utile de la liberté de circulation a conduit à reconnaître au travailleur — et par extension aux membres de sa famille — d’autres droits que ceux que le traité CE lui accorde. Le traité n’évoque que le droit à un égal accès à l’emploi. Est-il donc acceptable d’exclure le travailleur migrant du droit à un égal accès à l’enseignement27 ? En décider autrement reviendrait à décourager la circulation intracommunautaire. Le raisonnement amène naturellement à élargir considérablement le contenu des droits consentis, non sans conserver toute dimension fonctionnelle : le travailleur ne peut être pénalisé par le fait qu’il a exploité la liberté de circulation que lui offre le traité CE, liberté qui n’est effective que si la personne jouit de l’ensemble des facteurs qui permettront son intégration dans le milieu social d’accueil. A travers la notion d’« avantage social », au vrai rapidement formulée par le législateur communautaire28, la Cour de justice a pu consacrer des droits proprement non économiques. Ainsi, un travailleur luxembourgeois occupé en Belgique, d’expression allemande, a-t-il pu bénéficier d’une loi belge ouvrant le choix de la langue dans les procédures répressives aux Belges, à propos d’une infraction sans relation avec l’exercice de son activité professionnelle29. Ce concept de corollaire à la liberté de circulation a également permis un égal accès à des activités de loisirs30.
De l’opérateur économique au citoyen
54La seconde voie exploite plusieurs pistes, intéressant des personnes autres que des travailleurs.
55Une première piste introduit le concept de destinataire de services, en tant qu’opérateur économique. A côté des travailleurs, le traité CEE avait consacré la liberté de circulation des prestataires de services. Personnes physiques comme les travailleurs, ceux-ci bénéficient aussi du droit de se déplacer pour accéder à une activité professionnelle (art. 49 [ex-59]). Au vrai, le traité n’a prévu que cette hypothèse. Autrement dit, la définition même de la prestation protégée par le traité est celle d’une personne, physique ou morale, se déplaçant de manière temporaire à l’étranger (art. 50 [ex-60]). Un droit analogue est-il ouvert au destinataire d’un service voulant se déplacer à l’étranger, même si le traité ne l’a pas prévu ? L’affirmative ne peut faire de doute dans un raisonnement centré sur l’efficacité économique : le déplacement du destinataire vers le pays du prestataire permet à celui-ci d’exercer une activité économique : la liberté de prestation de services « active » a pour complément la liberté de prestation de services « passive ». Ce pas est franchi en 1984, dans les affaires Luisi et Carbone31. Ces Italiens résidant en Italie avaient voulu franchir la frontière italienne à destination de l’Allemagne en possession d’une quantité de devises excédant ce que permettait la législation italienne des changes. Pour obtenir le bénéfice du droit communautaire, ils durent franchir un double obstacle. D’abord, il fallait établir que la circulation en cause était moins celle de capitaux — l’effet direct n’avait pas été reconnu en cette matière à l’époque — que de moyens de paiement en vue de l’obtention d’un service, l’un médical, l’autre d’hébergement touristique. Ensuite, il fallait convaincre de l’extension de la liberté de circulation au destinataire d’un service. La Cour de justice a été convaincue par ces arguments. On peut déceler dans ces arrêts la racine de la citoyennté.
56Une deuxième piste constitue un saut qualitatif important, qui n’aurait sans doute pu être franchi sans les étapes précédentes. Par l’arrêt Gravier32, la Cour de justice a, en 1985, ouvert un droit non économique, un égal accès à l’enseignement, à une personne qui n’était pas opérateur économique. Cette personne n’était ni le descendant ni le conjoint d’un travailleur migrant et, simple citoyen, n’entrait dans aucune des catégories préconstituées du traité qui, ensemble, façonnent le régime de la liberté de circulation. Cette Française entendait s’inscrire à un enseignement technique en Belgique sans payer de droits d’inscription plus élevés que les Belges. La Cour fit droit à cette prétention, au terme d’un raisonnement complexe. D’abord, il fallut repérer, dans le traité CE, l’article 7 — devenu article 6 [désormais art. 12] — interdisant toute discrimination à raison de la nationalité, « dans le domaine d’application » du traité. En suite, il convenait de déterminer si le cas entrait dans ce domaine. Il y fut répondu par l’affirmative, pour le motif que l’article 128 [remplacé par l’art. 149 actuel] établissait une habilitation communautaire en matière de financement de programmes de formation professionnelle. Il convient de souligner que cette disposition de référence, l’article 128, n’avait aucun effet direct, se contentant de servir de base juridique à une action d’encouragement du Conseil en la matière. Mais cela fut considéré comme suffisant pour inclure la formation professionnelle, comme matière, dans le domaine du traité CE. Ce pas fut sans doute décisif pour le lancement du programme Erasmus, intervenu en 198733. Il contribuera aussi à l’avènement de la citoyenneté34. Il le fut certainement pour réviser le traité CE à l’occasion du traité de Maastricht, qui introduisit une véritable politique communautaire en la matière. Entre-temps, la Cour de justice s’était engagée dans une voie audacieuse, comme le montrera le nombre de questions d’interprétation relatives à l’arrêt Gravier. De fait, l’utilisation de l’article 128 condamnait à raisonner dans le cadre de la seule « formation professionnelle », angle d’attaque assurément étroit en matière d’enseignement. Par une série d’arrêts, la Cour de justice a intégré sous ce concept la plupart des programmes de formation, notamment universitaires35.
57Une troisième piste revient au touriste, destinataire d’un service, à propos de la reconnaissance d’un égal accès à une prestation compensatoire fournie par l’Etat français pour atteinte à l’intégrité physique causée par un délinquant insolvable. La seule circonstance qu’un Britannique résidant en Angleterre se trouve en France le justifie à invoquer le droit fondamental à la protection de son intégrité physique. On le voit, cette affirmation est désormais détachée de toute connotation économique, tant au sujet de la personne en cause que quant au contenu du droit invoqué. Il est significatif que, dans cet arrêt Cowan rendu en 198736, la Cour de justice ait raisonné à la fois sur la base de l’article 59 [désormais art. 49], marquant une filiation avec les arrêts Luisi et Carbone, et sur celle de l’article 7 [désormais art. 12], dans le prolongement de l’arrêt Gravier.
La consécration de la citoyenneté
58La porte est désormais ouverte à la consécration de la citoyenneté par le législateur, qui aura lieu en deux étapes.
59L’une est la résultante nécessaire de l’arrêt Cowan : son prononcé mettait désormais à mal, en ce qui concerne le déplacement des personnes, toute distinction entre le travailleur et celui qui ne l’est pas. La rupture avec la lettre du traité était suffisante pour que, au nom de la sécurité juridique, le Conseil fixât dans le droit dérivé la substance des arrêts Cowan et Gravier, par les directives sur le droit de séjour du 28 juin 199037.
60C’est alors sans aucune surprise que le traité de Maastricht consacre la citoyenneté de l’Union européenne en 1992. A propos du droit de séjour, l’article 18[ex-8 A] évoque des « modalités d’application » qui ne peuvent être autres que celles arrêtées précédemment par les directives de 1990. L’étape n’est pas inutile pour autant. Elle asseoit dans le droit primaire une norme qui n’était fixée que dans le droit dérivé. Elle confère aussi une identité européenne, significativement rattachée à l’Union plutôt qu’à la Communauté, mais néanmoins insérée dans les dispositions du traité CE plutôt que du traité UE, sans doute pour permettre le suivi de la Cour de justice. Pour le reste, on ne peut dire que les attributs de la citoyenneté n’étaient pas en puissance dans la jurisprudence de la Cour. Ainsi, la notion d’avantage social semblait suffire à organiser le droit de vote aux élections municipales qu’ouvre désormais l’article 19 [ex-8 B], comme l’avait pensé la Commission en préparant une proposition de directive en ce sens dès 198838. Il n’est donc pas étonnant que les premiers arrêts de la Cour de justice rendus à propos de cette disposition manifestent des hésitations quant à l’interaction de cette disposition et, notamment, de l’article 12 [ex-6]39.
Section 2. La réversibilité du temps communautaire
61L’image d’un univers en expansion exclut l’inversion de sens. La force propulsive pousse irrémédiablement vers l’élargissement du champ occupé par la matière. Mais le modèle suggère aussi que l’intensité de l’énergie va s’atténuant, jusqu’à l’extinction. Telle est la formule de l’entropie. L’évolution du droit communautaire, esquissée dans la section précédente, suggère plutôt l’application d’une formule de néguentropie, suggérant que le mouvement du matériau de base est susceptible d’engendrer une énergie nouvelle.
62Cela signifie-t-il pour autant que le droit communautaire soit à l’abri de tout phénomène de réversion ? A la différence du monde de la nature, le droit est à la libre disposition de l’homme. Une telle évolution pourrait s’exprimer de deux manières antinomiques. Tantôt, l’on pourrait assister à une fusion du concept communautaire dans le concept étatique : l’établissement à terme d’un Etat fédéral européen signifierait une disparition de l’Etat nation en Europe et un transfert total de souveraineté. Sans doute aboutissement de l’accélération du temps communautaire, un tel événement, historiquement extraordinaire, banaliserait l’expérience de la construction européenne. Jusqu’à présent, cette construction présente une originalité remarquable dans l’histoire de la gestion des collectivités nationales. Assimilable ni à l’Etat ni à la coopération entre Etats typique du droit international, la Communauté offre un modèle résolument nouveau. A côté de l’Etat et de la communauté des Etats, elle est un autre, qui agit pour la satisfaction d’intérêts qui lui sont propres. Cet autre ne nie évidemment ni l’Etat ni la communauté des Etats. Elle ne peut que s’appuyer sur le premier et se doit de respecter la seconde.
63Cet hybride reste éminnement fragile. Créé au moyen d’instruments propres au droit international — des traités —, il est soumis à l’épreuve de la durée (A). Laissant intacte la réalité étatique, il gère la disparité (B). Exposé à la nostalgie du bien-être national, il compose avec les conflits de compétences (C).
A. Un pari sur la durée
64Se présentant techniquement comme une organisation internationale au sens classique du terme, la Communauté européenne a pour base un traité international au sens le plus classique du terme.
65L’intention des auteurs du traité CEE était pourtant d’inscrire la Communauté dans la durée : le traité est en effet « conclu pour une durée illimitée » (art. 312 [ex-240]). Le texte ne dit pas que cette durée est indéterminée40, ce qui signifierait qu’il ne prend pas en compte la durée. Il précise que le projet s’inscrit dans la durée et que celle-ci est sans limite. C’est affirmer l’irréversibilité du temps communautaire.
66Cette irréversibilité s’exprime encore dans le concept de « l’acquis communautaire ». Englobant l’ensemble des actes adoptés par les institutions ainsi que la jurisprudence par laquelle la Cour de justice — avec le Tribunal de première instance — asseoit l’interprétation du droit primaire, ce terme marque le caractère définitif de ce qui a été engrangé. Cet acquis s’impose d’emblée aux nouveaux Etats adhérants.
67L’irréversibilité n’est pourtant jamais acquise. Le traité CECA explicite la réalité du droit international, en précisant qu’il est conclu pour une durée de cinquante ans (art. 97). Il est singulier qu’il ne prévoie pas de clause de reconduction tacite. Est-ce parce que l’échéance de 2002 paraissait alors bien lointaine face aux aléas de la construction européenne à venir ? Est-ce plutôt en raison du caractère expérimental d’un projet qui confiait des compétences normatives importantes à un organe alors qualifié de supranational41 ? La réversibilité du processus d’intégration sectorielle de la sidérurgie et du charbon semble aujourd’hui prévisible. L’absence de reconduction du traité de Paris ne signifierait certes pas un retour à la case départ. En raison de sa vocation résiduelle, le traité CE engloberait désormais ces secteurs industriels. Il n’empêche que, si le traité CE devait ne pas être modifié suite à cette incorporation, il y aurait une réversibilité latente dès lors que, d’exclusive, la compétence deviendrait partagée entre la Communauté et les Etats, et que la Communauté perdrait les pouvoirs de gestion qui lui avaient été attribués auparavant.
68Plus fondamentalement, même un traité conclu pour une durée illimitée ne peut empêcher sa résiliation. Fait d’un accord entre des sujets de droit, il peut être défait par ceux-ci, fût-ce à des conditions qui limitent l’exercice de ce droit. Sans doute les auteurs n’ont-ils pas osé envisager cette éventualité, qui n’ont pas posé les termes de cette condition. Le droit communautaire ne connaît pas moins un précédent à cet égard, à propos du retrait partiel opéré par le Danemark en ce qui concerne l’applicabilité du traité CE au Groenland42.
69Le droit communautaire entend, en toute hypothèse, se préserver de la réversibilité. Il exclut qu’un Etat s’estime exonéré d’une partie de ses obligations, motif pris par exemple d’une exception d’inexécution lorsqu’un autre Etat ne remplit pas ses propres obligations : la mise hors jeu de la condition de réciprocité inhérente au caractère consensuel d’un traité procède, dans l’esprit de la Cour de justice, de l’originalité du projet communautaire, qui est un projet d’intégration incompatible avec le concept d’engagements réciproques43. L’Etat n’est donc plus maître de la mesure de son engagement. Le droit communautaire est à prendre ou à laisser.
70Il arrive au droit communautaire d’exorciser le démon de la réversibilité en actant l’irréversibilité. Les dispositions organiques de l’union économique et monétaire en sont un exemple topique. La substitution d’une monnaie unique aux monnaies nationales présente une différence de taille par rapport à la phase du système monétaire européen qui avait vu l’établissement d’une zone de change relativement stable : fixée au terme d’un échéancier comportant trois phases, la valeur de la nouvelle monnaie repose sur un taux « irrévocablement » fixé (art. 123 [ex-109 L], § 4). Cela exclut donc la réversibilité du processus, mais sans pouvoir exclure pour autant une nouvelle révision du traité CE. La création d’une monnaie unique revêt ainsi une portée symbolique considérable : elle marque l’identité européenne dans un moule voulu indestructible.
71La lenteur du processus conduisant à la monnaie unique est sans doute à la mesure de l’importance de l’enjeu : initié dès 1978, en dehors de toute prévision du droit primaire, relancé en 1992, abouti en 1999, il attendra 2002 pour la mise en place d’une monnaie de paiement à part entière44.
B. Le flux de la dyschronie
72L’attente du droit communautaire, comme ordre juridique, est la création d’un espace intérieur, dont les termes sont définis par l’article 14 [ex-7 A]45. Un tel espace est voulu comme « unique »46. Cette unicité apparaît comme nécessaire à la circulation des biens et des personnes et, en ce sens, elle participe du régime du contrôle des entraves aux échanges. Elle implique une égalisation des conditions de concurrence pour les entreprises, ou plus généralement des conditions d’accès au marché ou des conditions d’exercice d’une activité professionnelle. C’est bien pour maîtriser la disparité des législations nationales, source d’entraves, que la Communauté a reçu d’importantes compétences normatives en vue du rapprochement de ces législations47.
73Une telle perspective n’est pas moins simpliste.
74L’on a vu48 combien le droit du marché intérieur ne se confond pas avec un espace juridique complètement unifié, mais qu’il gère une diversité juridique par l’édiction de normes de nature essentiellement négative imposant des limites à l’applicabilité d’une règle nationale à des produits ou services conformes au droit d’un autre Etat. D’ailleurs, la diversité peut être facteur de richesse. Au consommateur, elle offre une gamme plus complète de produits et ouvre la concurrence49. Sous un angle économique, la diversité peut être un incitant à la circulation internationale dans la mesure où la quête de marchés nouveaux peut être facilitée par l’existence de disparités de développement.
75De plus, la marche vers un marché unique peut être d’intensité variable en fonction des secteurs. Un phénomène de fragmentation par matières est inhérent au processus institutionnel. De même que la Cour de justice n’intervient qu’au hasard des actions portées devant elle, l’ampleur de l’ouverture du marché par le fait du législateur communautaire dépend de la disposition de celui-ci à agir. A cet égard, le contraste est saisissant entre les politiques communautaires en matière agricole et de transports. Alors que la fameuse « politique agricole commune » s’est mise en place rapidement et efficacement, la structuration de la politique des transports a attendu deux arrêts de la Cour de justice prononcés, le premier sur un recours en manquement50, le second sur un renvoi préjudiciel en interprétation51. La doctrine de la Cour de justice, non plus, ne s’est pas construite de manière simultanée pour les différentes libertés. On peut dire, en simplifiant, que les périodes d’accélération se sont succédées, respectivement, pour les marchandises (1980-1985), pour les services (1985-1990) et pour les personnes (1990-1995).
76Il arrive même au droit communautaire d’organiser la différenciation dans l’espace unique. Une telle différenciation peut trouver des origines diverses. Celles-ci peuvent être regroupées en deux catégories.
Différenciations dues à la situation de certains Etats
77Une première hypothèse, marginale, découle de particularités liées à l’histoire de certains Etats membres. Des régimes spéciaux affectent, dès l’origine, le commerce intérieur allemand — à l’époque de l’existence de la République démocratique allemande — (protocole annexé au traité CE) ainsi que le statut de certains territoires d’outre-mer appartenant à des Etats membres (art. 299 [ex-227]). L’applicabilité des exigences du droit du marché intérieur aux « départements d’outre-mer » n’a pas moins été affirmée avec force par la Cour de justice52, non sans, il est vrai, subir le principe d’un assouplissement sybillin dans le traité d’Amsterdam53.
78Une deuxième hypothèse peut procéder d’une différenciation correctrice. A la manière d’une discrimination positive, des avantages peuvent être consentis en compensation d’un déséquilibre préexistant. C’est ainsi que l’on peut situer la politique de « cohésion » (art. 158 [ex-130 A] à 161 [ex-130 D]), antérieurement politique régionale, ou, plus généralement, selon les termes de l’article 15 [ex-7 CJ, l’obligation faite aux institutions de tenir compte de « l’ampleur de l’effort que certaines économies présentant des différences de développement devront supporter ». Et la disposition de rendre compte du facteur temps qui, à propos de l’introduction de dérogations, énonce leur caractère temporaire. En réalité, l’on peut douter du caractère temporaire des disparités de développement. En tout cas, c’est dans le courant des années soixante-dix que l’on a réalisé que le concept de marché intérieur, au lieu de réduire les disparités, pouvait les accentuer, dans la mesure où les bénéficiaires des économies d’échelle gravitent souvent autour de pôles de développement. La politique régionale est née à cette époque, et le processus de révision du traité CE, en 1986 puis en 1992, a permis d’amplifier le mécanisme correcteur en augmentant de manière progressive mais accélérée les moyens comme l’efficacité des Fonds dits structurels54.
Différenciations basées sur le concept de renforcement
79L’organisation d’un espace à géométrie variable peut se référer à l’affirmation, non dépourvue d’ambiguïté, qu’une différenciation est tolérable si elle procède du renforcement de valeurs assumées par le droit communautaire.
80Une première méthode est celle de la « protection renforcée ». Ce concept permet aux Etats de maintenir ou d’établir un niveau de protection plus élevé que celui que la Communauté a mis en place dans un secteur déterminé. Le contexte est celui d’une intervention normative de la Communauté. Cette intervention, on le sait55, poursuit un objectif complexe puisque, à côté du rapprochement des législations nationales utile au fonctionnement du marché unique, elle sert à la promotion de l’intérêt général, valeur supérieure à celle de la production de richesses. En d’autres termes, la protection ici en cause est celle d’un intérêt assumé par le droit communautaire autant que par l’Etat, dans une hypothèse où le législateur communautaire a arrêté valablement un niveau de protection « qui paraît acceptable dans la Communauté » sans être pour autant le niveau « le plus élevé »56. Il s’agit de la protection du consommateur (art. 153 [ex-129 A], § 3), de la protection de la sécurité des travailleurs (art. 138 [ex-118 A), § 3), de la protection de l’environnement (art. 176 [ex-130 T]) ainsi que de la poursuite de l’un des objectifs qu’énonce l’article 30 [ex-36] du traité CE (art. 95 [ex-100Α], § 4)57-58. Dans chacune de ces matières, le recours à la clause de la « protection renforcée » permet d’entretenir une disparité de législations après même l’adoption d’une mesure d’harmonisation. Plus généralement, la Cour de justice elle-même admet que la détermination du niveau de protection de l’intérêt général puisse varier, certes sous contrôle communautaire, en fonction de circonstances de temps ou de lieu propres à chaque Etat59.
81Cette méthode a encore pour complément le concept de « clause de sauvegarde », qui relève d’une problématique de l’urgence. Dans les situations de crise, le traité CE prévoit l’établissement de procédures communautaires permettant à l’Etat de prendre des mesures de caractère provisoire commandées par l’urgence, lorsqu’est en péril l’un des objectifs qu’énonce l’article 30 [ex-36] du traité CE (art. 95 [ex-100 A], § 5). De son côté, le traité d’Amsterdam introduit ce concept, sans le nommer, à propos de la circulation des personnes (art. 64, § 2).
82Une seconde méthode introduit le concept de « coopération renforcée ». Ce concept reçoit une systématisation dans le traité d’Amsterdam, par l’insertion, notamment dans le traité CE, d’un article 11 nouveau qui en définit les conditions strictes. L’idée est claire : échaudés par la résistance de certains Etats au processus d’intégration, notamment d’harmonisation des législations, d’autres Etats entendent avancer sans un tel frein. Ce concept paraît donc favoriser le processus communautaire dans la mesure où il permet d’aller plus avant, en organisant une manière d’accélération différenciée. Il ne comporte pas moins un aspect de réversibilité, touchant au processus d’intégration : au concept d’un espace unique il substitue celui d’un espace à géométrie variable, laissé à l’initiative des Etats, certes sous contrôle communautaire.
83Au vrai, le phénomène n’est pas nouveau. Il a été expérimenté à propos de la politique sociale. Lors des négociations du traité de Maastricht de 1992, la majorité des Etats, soucieux d’un élargissement des compétences normatives de la Communauté —jusqu’alors particulièrement restreintes en cette matière — mais confrontés au refus britannique, imaginèrent une solution de compromis, faite de deux actes annexés au traité CE qui, en cela, resta inchangé : un « protocole social », accepté par tous les Etats membres, autorise certains d’entre eux à aller plus loin tout en précisant que ces actes communautaires ne seront pas applicables au Royaume-Uni. Parallèlement, un « accord social » définit les termes de l’habilitation donnée à la Communauté.
84A la même époque, les nouvelles dispositions mettant en place ce qui deviendrait l’union économique et monétaire prévoyaient la possibilité que certains Etats ne participent pas à cette union, dans la mesure où celle-ci ne serait ouverte qu’à ceux qui respecteraient les conditions établies, étant cependant entendu que ces conditions devraient avoir été remplies par « une majorité des Etats membres » (art. 121 [ex-109 J]). De plus, certains Etats avaient obtenu un régime particulier leur permettant de décider de leur renonciation (Royaume-Uni) ou de leur participation (Danemark) à l’intégration monétaire.
85Ainsi, la « coopération renforcée » établie par le traité d’Amsterdam amplifie-t-elle nettement un mouvement. D’ailleurs, ce traité confirme un processus de différenciation à propos de la circulation des personnes. Venue du troisième pilier consacré aux matières de la « Justice et des affaires intérieures » (art. K introduit par le traité de Maastricht), la matière du droit d’asile et du droit d’entrée des ressortissants d’Etats tiers est désormais communautarisée par son insertion dans un titre nouveau du traité CE (art. 61 à 69 nouveaux). Issue des accords de Schengen, anticipation de la coopération renforcée puisque négociés dès 1985 entre certains Etats membres (Allemagne, Benelux et France) — sur le modèle d’un mécanisme existant entre les Etats du Benelux depuis... 196060 —, cette compétence communautaire nouvelle réserve cependant, à l’exemple de ce que prévoyait le protocole social, la position de certains Etats membres (Danemark, Irlande, Royaume-Uni, art. 69) en des termes d’une complexité rare61, « merveilleux montage de poupées russes »62 qui augure assez mal du degré de transparence de ce processus aux mains des Etats.
86On le voit, le concept de « renforcement » — sous l’angle de la protection et de la coopération — bénéficie assurément de l’accélération du temps. Inauguré formellement en 1986, il s’amplifie à mesure des révisions cadencées du traité CE, en 1992 et 1997. Il ne comporte pas moins le risque d’une réversibilité partielle ou d’une accélération différenciée.
C. Le temps de la subsidiarité
87L’une des appréciations les plus délicates de la portée du droit communautaire réside dans la délimitation des compétences respectives de la Communauté et des Etats membres. La première se doit de tenir dûment compte des prérogatives des seconds. Le phénomène est connu à propos du processus d’exécution du droit communautaire. C’est aux Etats qu’il appartient de mettre en œuvre les dispositions arrêtées par la Communauté, au besoin en adoptant les mesures nécessaires pour assurer un plein effet du droit communautaire, selon les règles propres à leurs systèmes constitutionnels respectifs. Le concept de directive en rend compte, qui laisse aux Etats de déterminer le mode de transposition de la norme communautaire en droit interne63.
88Les pouvoirs normatifs de la Communauté étant d’attribution, la compétence résiduelle appartient à l’Etat. C’est à la Communauté, lorsqu’elle intervient, à justifier sa compétence. Ceci n’a pas empêché les institutions communautaires, y compris la Cour de justice, d’avoir, on l’a vu64, une conception extensive de la sphère des compétences communautaires.
L’apparition de la subsidiarité
89Ce phénomène d’extension n’est pas sans relation avec l’adoption, par le traité de Maastricht, d’une disposition conditionnant l’utilisation d’une compétence communautaire. Sans restreindre le champ de ces compétences, le principe de « subsidiarité » que pose l’article 5 [ex-3 B] du traité CE en limite l’exercice, en exigeant de l’institution communautaire la charge d’une double preuve, celle de l’efficacité d’une action à son niveau et celle d’une efficacité moins grande d’une action au niveau de l’Etat. Même si le concept peut être jugé inhérent à celui de l’habilitation, son affirmation en 1992 n’est pas moins le signe d’un coup d’arrêt dans le processus communautaire.
90L’examen de l’impact de la subsidiarité est assurément complexe. Il pourrait comporter, à son corps défendant, un facteur d’accélération du temps juridique65. En effet, la subsidiarité ne s’étend pas au domaine des « compétences exclusives », terme couvrant les matières dans lesquelles la compétence de la Communauté n’est pas partagée avec celle des Etats. Il s’agit, pour le traité CE, de l’agriculture, des transports et de la politique commerciale, alors que, par exemple, la politique de coopération au développement est une compétence partagée. Or, une compétence partagée peut acquérir un caractère exclusif du seul fait de son exercice. Ce phénomène de transmutation a reçu une consécration en matière de relations extérieures. Utilisant le concept de « parallélisme des compétences », la Cour de justice a d’abord admis que, dans les matières où la Communauté disposait d’une compétence normative affectant le marché intérieur, elle en disposait également pour régler les aspects extérieurs d’une telle politique. Elle affina cette théorie en posant qu’une fois qu’une telle compétence avait été exercée, les Etats ne disposaient plus du pouvoir de régler des questions entrant dans le champ préalablement occupé66.
91Le temps de la subsidiarité est aussi celui du retour de certaines compétences communautaires aux Etats. Le phénomène ne laisse pas d’inquiéter s’il apparaît comme le résultat d’un mouvement de balancier. Deux cas fournissent une illustration, qui procèdent, pour l’un, de la jurisprudence de la Cour de justice, pour l’autre, d’une révision du traité CE.
Vers une nouvelle approche67 de la Cour de justice ?
92Un revirement de jurisprudence communautaire reste exceptionnel. L’explication peut en être trouvée, outre dans la constance de la Cour de justice comme institution, dans le concept d’interprétation du droit, puisque celle-ci ne fait qu’expliciter ce que contient dès l’origine le texte interprété. En ce sens, le processus d’interprétation — qui, on l’a vu68, est central pour le développement du droit communautaire — comporte un ferment de conservatisme. La jurisprudence de la Cour de justice ne montre pas moins un exemple net de revirement, opéré par l’arrêt Keck & Mithouard du 24 novembre 1993. Qu’il s’agisse d’un revirement est indéniable. Non seulement l’arrêt précise-t-il que la Cour y décide « contrairement à ce qui a été jugé jusqu’ici », mais encore la jurisprudence ultérieure confirme-t-elle que tombent sous le coup de la règle spéciale créée par cet arrêt des hypothèses — concernant le temps d’ouverture des commerces de détail — qui, auparavant, relevaient de la règle générale69. Or, un tel « réexamen » a pour effet de soustraire « au domaine d’application de l’article 30 [désormais art. 28] » du traité CE toute réglementation nationale concernant les « modalités de vente » d’une marchandise, dès lors que cette discrimination est indistinctement applicable aux produits nationaux comme aux produits étrangers. L’arrêt limite donc la portée de la jurisprudence « Cassis de Dijon » aux normes concernant, essentiellement, la composition des produits. Il y a bien une position de retrait du juge communautaire, manifestement irrité — mais l’émotion a-t-elle une place à ce niveau de juridiction — par les opérateurs économiques, qui, aux termes de l’arrêt, « invoquent de plus en plus l’article 30 [désormais art. 28] du traité pour contester toute espèce de réglementations qui ont pour effet de limiter leur liberté commerciale ». En statuant ainsi, la Cour de justice ne restreint pas seulement le domaine du traité CE. En élargissant le champ laissé à l’Etat, par définition à propos d’entraves aux échanges, elle consent à une limitation de la liberté commerciale au nom d’un intérêt supérieur.
93D’autres indices, plus subtils, font pressentir une « nouvelle approche » de la Cour de justice relative au marché intérieur.
94Certains arrêts sont évasifs au sujet du contrôle de la proportionnalité, alors que le respect de cette condition est devenu la pierre d’angle du régime de contrôle des entraves aux échanges depuis l’élargissement de la notion d’intérêt général par le biais du concept d’exigence impérative70. Ainsi, à propos de l’invocation d’un objectif d’intérêt général d’ordre culturel — à savoir l’organisation de jeux de hasard —, la Cour a laissé à l’Etat le soin de juger de la proportionnalité71. Elle a fait de même à propos de l’objectif de protection économique du consommateur72, ou, dans la matière distincte de l’égalité des sexes en matière de rémunération, à propos de la poursuite d’un objectif légitime de politique sociale73. La référence à une « compétence retenue de l’Etat » à propos d’une mesure de protection renforcée autorisée par l’article 138 [ex-118 A] du traité CE a également conduit la Cour de justice à éluder le contrôle de proportionnalité74, alors même que l’adoption de telles mesures suppose encore, selon les termes du traité, qu’elles restent « compatibles » avec celui-ci, ce qui signifie normalement une référence au régime de contrôle des entraves, comme en atteste la jurisprudence concernant le contrôle d’une mesure étatique compatible avec le prescrit d’une directive d’harmonisation minimale75.
95D’autres arrêts tendent à assouplir le régime d’une mesure discriminatoire. Traditionnellement, une telle mesure ne peut trouver de justification que dans l’un des motifs d’intérêt général que prévoit le texte même du traité CE, aux articles 30 [ex-36], 39 [ex-48], § 3 ou 46 [ex-56], selon les matières. La possibilité de justifier de telles mesures au moyen d’une exigence impérative, auparavant limitée aux mesures indistinctement applicables76, ne paraît plus toujours77 exclue avec toute la rigueur voulue78. Plus fondamentalement, la Cour de justice admet de vérifier, pour asseoir la compatibilité d’une mesure discriminatoire, que celle-ci opère une différenciation fondée sur une considération objective d’intérêt général plus large que celles que prévoit le texte du traité79 et qu’elle respecte le principe de proportionnalité. Ce raisonnement est présenté comme consistant à vérifier le caractère discriminatoire même de la mesure, alors qu’il revient au même résultat que celui consistant à légitimer une mesure discriminatoire80.
Vers une fragmentation81 ouverte par le traité CE ?
96Le revirement peut encore procéder d’une révision même du traité CE. Le traité d’Amsterdam en donne une illustration claire — et malheureuse — à propos du contrôle d’une entrave nationale à la circulation des personnes fondée sur l’ordre public. Le nouveau titre consacré à la politique d’asile et à l’entrée des ressortissants d’Etats tiers précise non seulement que le titre nouveau « ne porte pas atteinte à l’exercice des responsabilités qui incombent aux Etats membres pour le maintien de l’ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure » (art. 64), ce qui serait d’évidence si la disposition ne signifiait pas une compétence retenue de l’Etat en la matière. Il ajoute en effet que la Cour de justice est sans compétence pour connaître de mesures prises en application de la disposition (art. 62) habilitant le Conseil à supprimer le contrôle des personnes aux frontières intérieures lorsqu’elles portent sur le maintien de l’ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure (art. 68, § 2). Cette réserve, dont la portée, il est vrai, n’est pas des plus claires82, signifie pour le moins une édulcoration83 de la compétence dont dispose la Cour de justice pour connaître de toute violation prétendue du droit communautaire. La circonstance que la matière en cause est une nouvelle compétence communautaire ne change rien à la critique, non seulement parce que cette constatation n’est que partielle, valant uniquement à propos des ressortissants d’Etats tiers, mais encore parce que la compétence de la Cour de justice n’est jamais fonction de la nouveauté du processus de communautarisation.
97Plus largement encore, le Royaume-Uni a obtenu, par la voie d’un protocole, une dérogation formelle à l’article 14 [ex-7 A] du traité CE l’habilitant à exercer tous les contrôles nécessaires aux frontières intérieures afin de vérifier que la personne a le droit d’entrer et de « décider d’accorder ou non à d’autres personnes [que des citoyens d’Etats parties à l’Accord sur l’Espace économique européen84 ou d’Etats avec lesquels a été conclu un accord bilatéral] l’autorisation d’entrer sur le territoire ». Même si un tel particularisme peut s’expliquer du fait de l’impossibilité technique pour les autorités britanniques de procéder à des contrôles à l’intérieur du territoire national, il ne signifie pas moins un recul au regard du régime général du contrôle des entraves à la circulation des personnes, qui n’admet de contrôle aux frontières intérieures que s’ils ne sont pas systématiques85. Bien plus grave est l’insertion, dans le protocole concernant l’article 14 [ex-7 A], d’une clause de réciprocité, au titre de compensation à la dérogation consentie au Royaume-Uni, permettant à tout Etat membre, nonobstant toute autre disposition du droit primaire ou du droit dérivé, d’exercer de tels contrôles sur des personnes en provenance du Royaume-Uni. Le retour à la réciprocité, typique des relations du droit international, signifie une rupture ontologique avec le concept d’un espace intérieur dans la mesure où ce concept, précisément détachable de ce qui caractérise les relations entre Etats, repose sur une analogie avec un espace interne.
98Force est de constater que la seule révision innovante du droit du marché intérieur depuis 1957 a conduit à une certaine régression, au profit des Etats. Ceci confirmerait alors la crainte que l’on pourrait avoir à procéder à une nouvelle codification du droit du marché intérieur qui tendrait à y incorporer l’acquis communautaire, dans la mesure où, en cette occasion, les Etats pourraient être tentés de revenir sur certains acquis.
Conclusion
99Le droit communautaire traduit bien la mise en œuvre d’un projet de société inscrit dans la durée créatrice, ouverte chaque jour à la réinterprétation, des valeurs fondatrices. Ce projet est celui d’une union entre les peuples historiquement déchirés et épuisés par la confrontation. Il s’inscrit dans la durée puisqu’à la tentation de l’immédiat les auteurs du traité ont préféré un processus progressif construit sur une solidarité acquise. Pour ce faire, dépourvus d’un quelconque précédent sur lequel appuyer conceptuellement un droit instantané de l’intégration, ils ont institué une union douanière, assortie de la liberté de circulation de personnes et d’un appareil institutionnel complexe.
100Dans ce processus continu, l’interprétation du traité fondateur a joué un rôle tel que l’on peut affirmer que, sans la mise en place d’un organe doté de ce pouvoir, le droit communautaire ne se serait sans doute pas établi en un ordre juridique autonome. Le garant le plus solide de cette autonomie est l’affirmation — a posteriori — et la consolidation de valeurs fondamentales, que la Cour de justice a trouvées dès l’abord dans les libertés de circulation. Ces fondements ont permis aussitôt, après la consécration de la théorie de l’effet direct, une vision extensive du droit communautaire, au regard tant du domaine de celui-ci que de l’approfondissement de son contenu. Cet approfondissement s’est traduit par l’énonciation de valeurs et de droits proprement non économiques, indispensable à une société de droit. Si le projet communautaire était bien sans passé, la Cour de justice, chargée d’assurer le respect du droit communautaire, fut la gardienne d’une fondation sacrée.
101Cette évolution est-elle réfléchie ? Elle répond sans nul doute à une vision. De plus, l’on a vu la Communauté s’efforcer d’encadrer le processus normatif dans des échéanciers. Pourtant, le ferment le plus fort de l’évolution subit les aléas de l’intervention juridictionnelle. Les arrêts d’interprétation de la Cour de justice attendent le renvoi opéré par une juridiction nationale, elle-même saisie au hasard des litiges soumis par des particuliers. Le droit communautaire s’est ainsi façonné au hasard de l’événementiel. C’est un droit spontané, mais non instantanéisté, laissé au libre arbitre de Facteur juridique. Les caprices du présent n’excluent pas la continuité du temps. L’avancée du droit communautaire montre une progression pas à pas, dont chaque étape comprend une virtualité prévisible à court terme mais à la fois indéterminée à long terme. Ces étapes ne sont pas que jurisprudentielles. De même qu’un arrêt d’interprétation peut aussitôt en susciter d’autres, un acquis jurisprudentiel est souvent suivi d’une norme communautaire, parfois prolongée dans une révision du traité fondateur. Le droit communautaire connaît alors une accélération, grâce à un mouvement d’amplification.
102Quoique fractionnée dans le temps, la progression est-elle linéaire ? Le temps communautaire n’est pas à l’abri de facteurs de réversibilité. Rarement affirmé comme tel, plutôt diffus dans la jurisprudence de la Cour de justice ou à l’occasion d’une révision du traité fondateur, le frein ou le retour peut n’être que le reflet d’une incertitude momentanée du politique sur le projet commun de société. Le droit communautaire n’est pas à l’abri des tensions qui marquent les relations entre Etats souverains. Ni cadre de coopération intergouvemementale ni entité fédérale, paradigmes traditionnels, il illustre un type nouveau de coexistence de collectivités distinctes. A cet égard, le concept de Communauté est plus fructueux que celui d’Union. Il est également mieux à même de conjurer les craintes d’une fusion des identités culturelles. A ce titre seulement, il peut servir de modèle à d’autres projets tendant à substituer une ère de gestion en commun à celle de la confrontation, préfigurant peut-être un mode efficace d’organisation des relations entre les peuples.
103Projet sans passé à l’avenir infigurable, le droit communautaire vit pleinement le présent créateur d’un futur non subi.
Notes de bas de page
1 F. OST, L’instantané ou l’institué ? L’institué ou l’instituant ? Le droit a-t-il pour vocation de durer ?, in Temps et droit. Le droit a-t-il vocation de durer ?, Bruxelles, Bruylant, 1998, p. 14.
2 Dans le cadre de cette étude, la nouvelle numérotation est adoptée chaque fois que cela n’altère pas le sens du texte. Une correspondance de l’ancien et du nouveau numéro est donnée systématiquement. Le texte respecte aussi l’évolution de l’appellation « CEE » en « CE », en utilisant l’une et l’autre en fonction du sens de la phrase. L’appellation a été modifiée en 1992, à l’occasion du traité de Maastricht, la Communauté perdant alors l’attribut « économique ».
3 Pour un exposé général du droit du marché intérieur, voy. M. FALLON, Droit matériel général des Communautés européennes, Louvain-la-Neuve, Paris, Academia-Bruylant, L.G.D.J., 1997, 722 p.
4 C.J.C.E., aff. 92/79, 18 mars 1980, Italie, « Teneur en soufre des combustibles ».
5 C.J.C.E., aff. 120/78, 20 février 1979, Rewe-Zentral.
6 C.J.C.E., aff. 240/83, 7 février 1985, « Huiles usagées ».
7 Aff. 415/93.
8 Le traité d’Amsterdam introduit cependant le concept de renvoi dans l’intérêt de la loi, à propos des dispositions concernant le nouveau titre IV consacré au droit d’asile, à l’immigration et aux contrôles aux frontières, en permettant une saisine de la Cour par le Conseil, la Commission ou un Etat membre.
9 C.J.C.E., aff. 26/62, 5 février 1963.
10 C.J.C.E., aff. 6/64, 15 juillet 1964, Costa.
11 D’autres dispositions, marginales, avaient fait l’objet, auparavant, d’une déclaration analogue, à savoir les articles 31 à 33 — depuis lors supprimés — (C.J.C.E., aff. 13/68, 19 décembre 1968, Salgoil), l’article 37 — désormais art. 31 (C.J.C.E., aff. 6/64, 15 juillet 1964, Costa), l’article 53 — depuis lors supprimé — (arrêt Costa précité).
12 C.J.C.E., aff. 2/74, 21 juin 1974, Reyners.
13 C.J.C.E., aff. 41/74, 4 décembre 1974, Van Duyn.
14 C.J.C.E., aff. 33/74, 3 décembre 1974, Van Binsbergen.
15 C.J.C.E., aff. 74/76, 22 mars 1977, Iannelli & Volpi.
16 Précité note 5. Dans le secteur des services, l’évolution tarde davantage mais son accélération est tout aussi significative. On peut voir l’équivalent de l’arrêt « Cassis de Dijon » dans la série des arrêts « Assurance », rendus le 4 décembre 1986 (notamment : aff. 205/84, Allemagne), significativement sur recours en manquement. Ces arrêts sont confirmés, pour le secteur des services, par plusieurs arrêts prononcés le 25 juillet 1991. Pour le secteur des assurances, ils seront suivis d’une nouvelle dynamique de la politique normative de la Communauté, qui conduira, en deux étapes successives — pour les assurances autres que sur la vie : directives no 88/357 du 22 juin 1988, J.O.C.E., 1988, L 172, et no 92/49 du 18 juin 1992, J.O.C.E., 1992, L 228, modifiant une première directive no 73/239 du 24 juillet 1973, J.O.C.E., 1973, L 228, au système de « l’agrément unique », virtuellement présent dans l’arrêt de 1986.
17 Par ce contrôle, la Cour de justice pratique divers types de test, que l’on a pu repérer comme des tests d’aptitude, d’interchangeabilité et d’équivalence (M. FALLON, précité note 3, p. 78 et 132). De ces tests, seul le premier semble relatif à l’espèce soumise au juge, puisque, vérifiant si la mesure en cause est à même de réaliser le but, il porte essentiellement sur l’existence d’un lien de causalité.
18 Voy. supra, point A.
19 C.J.C.E., aff. 251/78, 8 novembre 1979, suivi d’autres arrêts dans la même période, notamment l’arrêt Biologische Produkten, aff. 272/80, 17 décembre 1981.
20 Ce contrôle de l’équivalence est central dans les arrêts rendus en matière d’assurances le 4 décembre 1986, et sera déterminant pour l’évolution du droit dérivé vers le système de « l’agrément unique ».
21 Résolution du 7 mai 1985, J.O.C.E., 1985, C 136.
22 Les termes « marché intérieur » et « marché unique » sont le fait de la jurisprudence de la Cour de justice. Voy. par exemple : C.J.C.E., aff. 78/70, 8 juin 1971, Deutsche Grammophon, précisant que le but essentiel du traité est de « tendre à la fusion des marchés nationaux en un marché unique » ; aff. 193/80, 9 décembre 1981, Italie. Le terme « espace » est utilisé notamment par : C.J.C.E., aff. 9/73, 24 octobre 1973, Schlüter.
23 Décision no 66/532 du Conseil du 26 juillet 1966, J.O.C.E., 1966, L 165.
24 C’était le cas, parmi d’autres, dans l’affaire de la « Publicité des boissons alcooliques », concernant une réglementation française qui, tout en visant de manière objective les alcools à base de grains, affectait en fait principalement des boissons d’origine étrangère (C.J.C.E., aff. 152/78, 10 juillet 1980, France).
25 C.J.C.E., aff. 92/79, 18 mars 1980, Italie, « Teneur en soufre des combustibles ».
26 C.J.C.E., aff. 240/83, 7 février 1985, « Huiles usagées ».
27 C.J.C.E., aff. 152/82, 13 juillet 1983, Forcheri, à propos du conjoint d’un fonctionnaire CE, faisant apparaître, dans le contexte d’une interprétation extensive, la nécessité de favoriser la mobilité de la main-d'œuvre.
28 Art. 7 du règlement no 1612/68 du Conseil du 15 octobre 1968, J.O.C.E., 1968, L 257.
29 C.J.C.E., aff. 137/84, 11 juillet 1985, Mutsch.
30 C.J.C.E., aff. C-334/94, 7 mars 1996, France.
31 C.J.C.E., aff. 286/82 et 26/83, 31 janvier 1984 (2 arrêts).
32 C.J.C.E., aff. 293/83, 13 février 1985.
33 Décision no 87/327 du Conseil du 15 juin 1987, J.O.C.E., 1987, L 166.
34 On trouve une allusion à ce concept dans l’arrêt « Erasmus », du 30 mai 1989 (aff. 242/87, Commission c. Conseil), admettant que « la réalisation de l’Europe des citoyens [s’inscrit] dans le cadre des objectifs généraux de la Communauté ».
35 C.J.C.E., aff. 39/86,21 juin 1988, Lair (enseignement universitaire) ; aff. 24/86, 2 févries 1988, Blaizot (enseignement général) ; aff. 42/87, 27 septembre 1988, Belgique (enseignement supérieur non universitaire).
36 C.J.C.E., aff. 186/87, 2 février 1989, Cowan.
37 Directives no 90/364, 90/365 et 90/366 du 28 juin 1990 sur le droit de séjour, J.O.C.E., 1990, L 180.
38 J.O.C.E., 1988, C 246.
39 Voy. singulièrement les arrêts Sala (C.J.C.E., aff. C-85/96, 12 mai 1998) et Calfa (C.J.C.E., aff. C-348/96, 19 janvier 1999), tardant à attribuer à l’article 18 [ex-8 A] une portée autonome et un effet direct. Ce pas peut avoir été franchi par l’arrêt WIJSENBEEK (C.J.C.E., aff.C.-378/97, 21 septembre 1999) admettant quant au principe du moins, que l’article 18 [ex-8A] « confère » des droits au citoyen.
40 J. VERHOEVEN, Droit de la Communauté européenne, Bruxelles, Larcier, 1996, p. 136.
41 J. VERHOEVEN, op. cit., p. 135.
42 J. VERHOEVEN, op. cit., p. 193, citant le traité du 13 mars 1984, J.O.C.E., 1985, L 29.
43 Voy. par exemple : C.J.C.E., aff. 265/95, 9 décembre 1997, France.
44 Pour plus de détails sur l’évolution, voy. M. FALLON, op. cit., note 3, p. 549 et sv.
45 Voy. supra, section 1, point B.
46 Voy. notamment : C.J.C.E., aff. 193/80, 9 décembre 1981, Italie.
47 Voy. supra, section 1, point B.
48 Voy. supra, section 1, point B.
49 C.J.C.E., aff. 178/84, 12 mars 1987, « Loi sur la pureté de la bière ».
50 C.J.C.E., aff. 13/83, 22 mai 1985, Parlement européen c. Conseil.
51 C.J.C.E., aff. 209/84, 30 avril 1986, « Nouvelles Frontières ».
52 C.J.C.E., aff. 163/90, 16 juillet 1992, Legros.
53 L’article 227 [désormais art. 299] est modifié en permettant l’adoption de mesures spécifiques qui ne puissent néanmoins nuire à l’intégrité et à la cohérence de l’ordre juridique communautaire... Là est précisément la question.
54 Pour plus de détails, notamment les réformes successives de 1984, 1988 et 1993, voy. M. FALLON, op. cit., note 3, p. 558.
55 Voy. supra, section 1, point A.
56 C.J.C.E., aff. C-233/94, 13 mai 1997, Allemagne c. Parlement européen & Conseil, à propos de la protection du consommateur au sens de l’art. 95 [ex-100 A] ; aff. C-284/95, 14 juillet 1998, Safety High-Tech, à propos de la protection de l’environnement au sens des art. 174 [ex-130 R] et 175 [ex-130 S],
57 Assez curieusement, lorsque le régime communautaire de référence repose sur le fonctionnement du marché intérieur (art. 95 [ex-100 A]), le concept de protection renforcée n’est pas étendu à la protection du consommateur et de la sécurité du travailleur.
58 Ce qui exclut singulièrement des objectifs analogues que l’article 46 [ex-56] énonce pour le secteur des services.
59 C.J.C.E., aff. 41/74, 4 décembre 1974, Van Duyn, à propos de la définition du contenu de l’ordre public comme motif d’intérêt général au sens de l’article 39 [ex-48], Comp. la « flexibilité » qu’une directive peut laisser aux Etats lors de la transposition d’une directive en matière d’environnement, afin de leur permettre de respecter le principe de proportionnalité : les principes du pollueur-payeur et de la correction à la source relèvent de ce principe et peuvent être mis en œuvre de manière différenciée en fonction de l’ensemble des sources de pollution d’un pays, afin de ne pas faire subir de charges non nécessaires aux entreprises : C.J.C.E., aff. C-293/97, 29 avril 1999, Standley.
60 Convention du 11 avril 1960 concernant le transfert du contrôle des personnes vers les frontières extérieures du territoire Benelux, Moniteur, 1er et 11 août 1960.
61 Sur la complexité de ce mécanisme, voy. H. BRIBOSIA, « De la subsidiarité à la coopération renforcée », Le traité d’Amsterdam, Bruxelles, Bruylant, 1998, p. 71 et sv. ; B. VAN SIMAEYS et J.-Y. CARLIER, « Le nouvel espace de liberté, de sécurité et de justice », op. cit., p. 227-295, spéc. p. 261 et sv.
62 Les termes sont de M. WATHELET, « La Cour de justice : acteur et objet des réformes du traité d’Amsterdam », Le traité d’Amsterdam, Bruxelles, Bruylant, 1998, p. 138.
63 Sur ce lien entre directive et différenciation, voy. H. BRIBOSIA, op. cit., p. 50.
64 Voy. supra, section 1, point A.
65 Sur la relation entre subsidiarité et le caractère évolutif de la notion de compétence rendue exclusive par son exercice, voy. : H. GAUDIN, « Les principes d’interprétation de la Cour de justice des Communautés européennes et la subsidiarité », Rev. Aff. Eur., 1998, p. 10 et sv., spéc. p. 17-19.
66 Voy. nettement : C.J.C.E., avis 1/94, 15 novembre 1994, « Accord OMC », à propos de la matière de la protection de la propriété intellectuelle, affectée par les accords TRIPs de l’OMC.
67 L’expression est de F. PICOD, « La nouvelle approche de la Cour de justice en matière d’entraves aux échanges », Rev. trim. dr. eur., 1998, p. 169-189.
68 Voy. supra, section 1, point B.
69 Dans les affaires « Sunday Trading » (C.J.C.E., aff. C-169/91, 16 décembre 1992) et « Punto Casa » (C.J.C.E., aff. C-69/93 e.a., 2 juin 1994). Toutefois, cette différence ne se remarque pas dans les résultats, puisque les arrêts rendus avant l’arrêt Keck à propos de ce type d’entrave avaient conclu à la compatibilité avec l’article 28 [ex-30] au terme d’une appréciation plutôt évasive de la proportionnalité.
70 Voy. supra, section 1, point B.
71 C.J.C.E., aff. 275/92, 24 mars 1994, Schindler. La même appréciation apparaît dans l’arrêt « Sunday Trading » précité.
72 C.J.C.E., aff. C-3/95, 12 décembre 1996, Reisebüro Broede, s’en référant à la compétence de l’Etat pour ce faire.
73 C.J.C.E., aff. C-8/94, 8 février 1996, Laperre.
74 C.J.C.E., aff. C-2/97, 17 décembre 1998, Società italiana petroli.
75 Voy. par ex. : C.J.C.E., aff. C-222/95, 9 juillet 1997, Parodi, à propos de l’art. 49 [ex-59].
76 Voy. par ex. : C.J.C.E., aff. C-21/88, 20 mars 1990, Du Pont de Nemours Italiana.
77 Pour une interdiction proclamée par un arrêt rendu en audience plénière, voy. : C.J.C.E., aff. C-264/96, 16 juillet 1998, Imperial Chemical Industries (art. 43 [ex-52]) ; aff. C-212/97, 9 mars 1999, Centros (art. 43 [ex-52]).
78 A propos des marchandises : C.J.C.E., aff. C203/96, 25 juin 1998, Chemische Afvalstoffen Dusseldorp ; aff. C-34/95 e.a., 9 juillet 1997, De Agostini, au sujet d’une mesure « qui n’affecte pas de la même manière » produits nationaux et étrangers ; à propos des travailleurs : C.J.C.E., aff. C-415/93, 15 décembre 1995, Bosman, en ce qui concerne la condition de nationalité dans les équipes de football.
79 Cette constatation est également faite par : D. MARTIN, « “Discriminations”, “entraves” et “raisons impérieuses” dans le traité CE : trois concepts en quête d’identité », in Cah. dr. eut., 1998, p. 261318, 561-637, spéc. p. 601 et sv.
80 Dans le contexte de l’art. 141 [ex-119], voy. : C.J.C.E., aff. C-167/97, 9 février 1999, Seymour-Smith ; dans le contexte de l’art. 12 [ex-6], voy. : C.J.C.E., aff. 274/96, 24 novembre 1998, Bickel, montrant qu’une mesure discriminatoire peut reposer sur une considération objective indépendante de la nationalité — tel un objectif de protection de minorités — à condition de respecter la proportionnalité. Le même raisonnement apparaît à propos de la circulation des travailleurs : C.J.C.E., aff. 350/96, 7 mai 1998, Clean Car Autoservice, procédant à un contrôle singulier à double détente qui, après avoir constaté que la mesure contient une discrimination indirecte pour ne pas avoir respecté les conditions précitées d’intérêt général et de proportionnalité, contrôle encore la conformité de la mesure au regard du motif de l’ordre public.
81 Terme utilisé par G. DE KERCHOVE D’OUSSELGHEM, Un espace de liberté, de sécurité et de justice aux dimensions incertaines, in Le traité d’Amsterdam, Bruxelles, Bruylant, 1998, p. 295.
82 On ne sait si elle exclut une compétence de la Cour de justice uniquement pour les constatations de manquement ou également pour les questions d’interprétation (B. VAN SIMAEYS et J.-Y. CARLIER, Le nouvel espace de liberté, de sécurité et de justice, op. cit., note 61, p. 253). Au demeurant, le texte est singulièrement libellé car, syntaxiquement, il se réfère à des « mesures ou décisions » d’application d’un article d’habilitation, ce qui ne peut viser qu’un acte communautaire, non une mesure nationale. La disposition analogue figurant dans le protocole sur l’acquis de Schengen ne comporte pas cette anomalie, puisqu’il évoque simplement des « mesures ou décisions », ce qui peut couvrir plus généralement celles adoptées par les Etats.
83 L’euphémisme est de M. WATHELET, La Cour de justice acteur et objet des réformes du traité d’Amsterdam, op. cit., note 62, p. 136, observant par ailleurs que les nouvelles dispositions du traité étendent la compétence de la Cour à des matières auparavant exclues puisqu’alors sujettes à la coopération intergouvemementale.
84 Il s’agit d’un traité parallèle au traité CE, tendant à créer un zone de libre échange (incluant la circulation des personnes) entre la Communauté européenne et les Etats de l’Association européenne de libre échange.
85 M. FALLON, op. cit., note 3, p. 434.
Auteur
Professeur à l’Université catholique de Louvain
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