La maîtrise et l’utilisation du temps juridique dans la société internationale : l’exemple des ordonnances en indication de mesures conservatoires rendues par la Cour internationale de Justice
p. 255-280
Remerciements
Je remercie Barbara Delcourt et Pierre Klein pour les remarques critiques qui ont permis l’amélioration de ce texte.
Texte intégral
1Si on reprend la conception du sens commun (qui est aussi celle de la dogmatique juridique) selon laquelle le temps est conventionnellement mesuré de manière linéaire1 l’expression de l’« accélération du temps » n’a guère de sens : une année sera, par définition, toujours égale à une année. Le thème de l’accélération suppose que l’on confronte une temporalité juridique qui se veut linéaire et unique à d’autres conceptions du temps, multiples et socialement construites. Dans ce contexte, l’« accélération du temps » peut désigner la multiplication d’événements sociaux et politiques perçus comme significatifs dans le cadre d’une unité de temps donnée : par exemple, on parlera d’accélération du temps s’il s’est produit plus d’événements significatifs entre 1989 et 1999 qu’entre 1979 et 1989. Plus spécifiquement, le processus se caractériserait par le « développement plus rapide des contradictions nouvelles et l’éphémérisation des situations sociales »2. Il exprimerait des tensions grandissantes entre une temporalité juridique conservatrice et des temporalités sociales et politiques dynamiques3. Ainsi définie, l’« accélération du temps » générerait l’impression d’une instabilité grandissante, ce qui pourrait susciter en retour un recours plus fréquent aux institutions traditionnellement conçues comme garantes d’un minimum de sécurité juridique et donc de stabilité d’un certain ordre social.
2Ces réflexions théoriques, qui se sont essentiellement développées à partir d’une analyse de sociétés nationales, apparaissent parfaitement applicables à la société internationale. A plus forte raison serait-on tenté de penser que les événements de 1989 ont marqué un changement de paradigme sur le plan politique et que ce changement suscite des tensions qui touchent les institutions les plus fondamentales de l’ordre juridique international4. Dans ce contexte, le recours aux mesures conservatoires pourrait être envisagé comme une forme de repli, de réaction à l’instabilité grandissante, de recours au droit et à sa temporalité juridique rassurante, face à l’instabilité grandissante qui serait caractéristique du monde de l’après-guerre froide5. Par définition, ces mesures visent en effet à conserver la situation en l’état en vue de permettre au juge de trancher utilement la question qui lui est soumise6. Il s’agit, en d’autres termes, de prolonger juridiquement la situation présente, et de neutraliser — provisoirement — les effets du temps.
3Pour ce qui concerne la Cour internationale de Justice, l’institution est fondée sur l’article 41 de son Statut, selon lequel « la Cour a le pouvoir d’indiquer, si elle estime que les circonstances l’exigent, quelles mesures conservatoires du droit de chacun doivent être prises à titre provisoire ». La latitude de la Cour apparaît donc extrêmement large et on s’accorde à considérer que les conditions qu’elle requiert renvoient principalement à l’existence d’une base de compétence prima facie, de l’urgence de la situation et du caractère irréparable des dommages qui se produiraient en l’absence de mesures7. Dans la pratique, on pourrait relever une certaine tendance à l’accélération sur le plan quantitatif : neuf ordonnances ont été rendues de 1947 à 1989, sept de 1990 à 1998, soit une moyenne par an environ cinq fois plus élevée dans la deuxième période que dans la première. Ce constat d’ordre quantitatif laisse évidemment la question largement ouverte. Il s’appuie d’abord sur une pratique disparate — même pas un recours par an — qui rend toute généralisation difficile8. Par ailleurs, rien ne démontre que le recours plus fréquent observé depuis 1990 s’explique par une « accélération du temps juridique ». La compétence de la Cour ne pouvant s’exercer que moyennant son acceptation préalable par les Etats9, le changement pourrait résulter d’une simple augmentation du nombre des Etats, ou en tout cas des Etats ayant accepté la compétence de la Cour10 ; elle pourrait aussi dépendre d’un changement de stratégie de certains Etats qui s’orienteraient, pour des raisons diverses, vers le règlement judiciaire de leurs différends11. Ces phénomènes pourraient certes être interprétés comme le signe d’un besoin de sécurité juridique, lui-même reflétant les effets d’une accélération du temps. Mais la relation de cause à effet reste à établir. On peut encore ajouter à cet égard que la date pivot choisie pour séparer les deux périodes (1989-1990) est encore très proche. Peut-être ce bouleversement a-t-il induit un phénomène d’accélération du temps. Mais, à supposer même que l’on puisse se prononcer en ce sens à peine quelques années plus tard, ce phénomène peut s’avérer momentané, dans la mesure où il s’expliquerait par une mutation profonde mais amenée à laisser progressivement la place à une normalisation.
4Toutes ces raisons mènent à aborder la question de l’accélération du temps juridique avec la plus grande prudence. Dans le cadre de cette étude, les mesures conservatoires seront dès lors envisagées en partant de la problématique plus générale de la gestion ou de la maîtrise du temps. Les précédents choisis pour illustrer le raisonnement le seront toutefois en établissant un équilibre entre les deux périodes dégagées ci-dessus : celle de la guerre froide (1945-1989) et la période actuelle (1990 à nos jours). Ce n’est que si l’on constatait que le recours aux mesures conservatoires était devenu, au cours de la seconde période, une forme de réaction à une instabilité grandissante que l’on pourrait accréditer l’hypothèse de l’accélération du temps juridique. On ne pourra donc se prononcer sur ce point spécifique que dans les conclusions.
5Sur le plan méthodologique, l’étude sera menée à travers un double prisme, théorique et empirique. Sur le plan théorique, la grille d’analyse choisie est celle de l’« école de Reims », pour qui la règle de droit international doit être replacée dans le cadre de contradictions qui président à son élaboration (« contradictions primitives ») comme à son interprétation (« contradictions consécutives »)12. Dans cette perspective, Monique Chemillier-Gendreau a analysé le rôle du temps dans une étude qui nous servira de référence privilégiée13. L’approche relève de la sociologie (politique) du droit14, et plus spécifiquement du courant conflictualiste selon lequel le droit est conçu à la fois comme un enjeu et comme un moyen, pour des acteurs sociaux engagés dans des relations qui sont caractérisées par les rapports de force, en particulier dans une société internationale faiblement intégrée15. Sur le plan empirique, on examinera concrètement comment les mesures conservatoires sont utilisées par la Cour et par les Etats pour tenter de maîtriser ou gérer le temps ; lire et présenter le passé, annihiler ou éroder les effets du futur. Le matériau couvre l’ensemble des procédures en indication de mesures conservatoires engagées devant la Cour de l’O.N.U. depuis sa création16.
6Dans une première partie, on envisagera la question en prenant en compte la logique du système juridique dans son ensemble, telle qu’elle se traduit dans le discours judiciaire lui-même. On verra comment le système gère l’évolution du temps et tente de le maîtriser, voire de l’éviter grâce à des mesures « conservatoires ». La deuxième partie sera axée sur la logique des acteurs du système juridique. On se demandera comment les Etats utilisent les mesures conservatoires dans le cadre de stratégies judiciaires ou, plus largement, de ce qu’on a appelé leur « politique juridique extérieure »17. On montrera plus particulièrement comment le passé est utilisé en vue d’influencer le futur.
I. La logique du système juridique - Maîtriser le temps
7Traditionnellement, le « pouvoir judiciaire » est associé au passé, le « pouvoir exécutif » au présent et le « pouvoir législatif » au futur18. La procédure d’indications des mesures conservatoires bouleverse le schéma, comme en témoigne cet extrait d’une ordonnance de la Cour internationale de Justice : « la Cour, en décidant si elle doit ou non indiquer des mesures conservatoires, se préoccupe moins du passé que du présent et de l’avenir »19.
8Par définition, les mesures conservatoires visent à gérer le futur en gelant le présent (ou le passé proche), ce qui n’est possible que grâce à une maîtrise du passé. La lecture d’une ordonnance particulière peut être divisée dans cette perspective : les motifs traduisent une certaine maîtrise du passé, le dispositif renferme une vocation à la gestion du futur.
1. Les motifs : la maîtrise du passé
9Lorsqu’elle rend une ordonnance en indication de mesures conservatoires, la Cour commence par en exposer les motifs. Au-delà de la fonction explicative remplie par cette motivation, le langage qu’elle utilise permet de présenter une lecture particulière des événements passés. Il s’agit certes d’une version théoriquement provisoire, non définitive, dans la mesure où elle pourra être complétée ou révisée à un stade ultérieur de la procédure20. Les faits sont cependant déjà problématisés dans des catégories juridiques déterminées et c’est sur cette base que seront, le cas échéant, indiquées des mesures conservatoires destinées à établir un lien entre passé, présent et futur. Le langage juridique aboutit ainsi à représenter les faits et à les intégrer à l’intérieur du système juridique même si, dans la réalité, on pouvait considérer qu’ils s’étaient déroulés en marge de ce système21. Bref, à côté d’une fonction manifeste tendant à geler la situation présente, les mesures conservatoires ont une fonction latente tendant à offrir une lecture juridiquement autorisée du passé, désormais assortie d’une sorte de label « Cour internationale de Justice » renvoyant à la plus haute autorité judiciaire mondiale.
10Un premier exemple est fourni par l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua/Etats-Unis), qui a donné lieu à l’indication d’une ordonnance de mesures conservatoires en 1984, puis par deux jugements, le premier portant sur les exceptions préliminaires (1984)22, le second sur le fond (1986)23. A l’origine, il s’agit d’un conflit de nature essentiellement politique ou idéologique, caractéristique de l’époque de la guerre froide. A tort ou à raison, l’opposition entre les Etats-Unis et le Nicaragua est généralement perçue par l’opinion publique dans le cadre d’une logique de blocs et de sphères d’influence, l’Union soviétique étant accusée de pénétrer sur le continent américain par le biais de l’établissement d’un régime qualifié de communiste. Une fois l’affaire portée devant la Cour, les faits sont cependant présentés selon une tout autre logique, qui renvoie à des questions telles que l’imputabilité (des actes des contras aux Etats-Unis), la qualification d’agression (des actions militaires et paramilitaires des Etats-Unis) ou de légitime défense (en réaction à un soutien supposé du Nicaragua aux rebelles salvadoriens), la souveraineté et la non-intervention (notamment par rapport aux mesures économiques prises par les Etats-Unis à l’encontre du Nicaragua) et, avant tout, de compétence de la Cour et de recevabilité de la requête nicaraguayenne (toutes deux contestées par les Etats-Unis). Sur ce dernier point en particulier, le débat qui a lieu devant la Cour au stade de la demande en indication de mesures conservatoires relève de la technique juridique et se présente comme dépolitisé. Les faits sont désormais représentés dans une perspective juridique : ils ne sont déjà plus en marge du système juridique international. Si toutes les solutions restent par définition envisageables à un stade ultérieur de la procédure (que ce soit sur le plan de la compétence ou de la recevabilité, ou sur celui du fond), les événements sont d’abord qualifiés puis problématisés dès le 10 mai 1984, date de l’indication par la Cour d’une série de mesures visant à geler le différend. Le passé est enfermé dans des formes juridiques définies qui constituent désormais une grille de lecture apte à encadrer le déroulement des événements futurs.
11L’affaire de l’Interprétation et de l’application de la Convention sur le génocide (Bosnie-Herzégovine/République fédérative de Yougoslavie) est un exemple que l’on pourrait considérer comme caractéristique de la période du « nouvel ordre mondial », dans la mesure où elle porte directement sur un conflit qui a éclaté en 1991-1992. A la base, le différend n’est le plus généralement perçu ni sous l’angle juridique, ni spécifiquement sous l’angle politique, mais plutôt sur un plan moral ou éthique. C’est le « nettoyage », voire la « purification ethnique » qui est en cause et sa condamnation par l’opinion publique s’opère moins sur la base de critères juridiquement et techniquement définis que sur la base de valeurs. La fréquente mention de la circonstance que les événements se déroulent « à deux heures d’avion » de Paris ou de Bruxelles est caractéristique : la réprobation est largement affective et semble le fruit d’un sentiment plus communautaire (en ce sens qu’il se fonde sur des valeurs communes) que sociétal (qui reste limité à des intérêts communs). Cette dimension éthique se marquera aussi dans le langage utilisé par le Conseil de sécurité de l’O.N.U. qui, tout en s’appuyant sur des critères juridiques définis, se livre à des condamnations dans un langage qui semble les dépasser24. Une fois portée devant la Cour, l’affaire est cependant problématisée dans un cadre de référence juridique. La question de la réprobation morale s’efface derrière des questions d’ordre technique telles que : la Cour est-elle compétente pour appliquer la Convention sur le génocide à des faits qui se seraient déroulés avant son entrée en vigueur sur le territoire bosniaque ? Sa compétence s’étend-elle à une condamnation de l’embargo sur les armes édicté par le Conseil de sécurité à l’égard de l’ensemble du territoire de l’ancienne Yougoslavie, dans la mesure où cet embargo, en empêchant la Bosnie de se défendre, favoriserait la perpétuation du crime de génocide ? Peut-on juridiquement évoquer un « génocide », dans la mesure où le terme suppose que les actes en cause visent la destruction d’un groupe ethnique ou religieux en tant que tel, et non la seule conquête de territoires ? Ces actes, perpétrés par des forces armées à l’intérieur de l’Etat bosniaque, peuvent-ils juridiquement être attribués au nouvel Etat yougoslave (Serbie/Montenegro) ? Les faits sont juridicisés ; ils sont désormais encadrés par le système juridique. La question, éthique à l’origine, est appréhendée et maîtrisée par le droit même si, ici encore, la problématisation sera précisée lors d’étapes ultérieures de la procédure.
12On pourrait multiplier les exemples. La procédure en indication de mesures conservatoires aboutit à une juridicisation de questions qui échappaient jusque-là en grande partie à l’emprise du droit. Celui-ci étend son emprise grâce à une traduction judiciaire des événements passés, le tout étant opéré dans un cadre institutionnel défini. A ce stade, on constate qu’aucune différence marquante ne semble distinguer les deux périodes envisagées. Si le différend caractérisant la guerre froide apparaît plus politique que le différend qui caractérise la période du « nouvel ordre mondial », davantage envisagé en termes éthiques, la juridicisation s’opère dans les deux cas devant la Cour internationale de Justice. Dans les deux cas, les événements passés se déroulaient très largement en marge du système juridique. Dans les deux cas, ils sont désormais représentés et insérés dans le cadre de ce système. Mais il semble difficile d’aller plus loin en évoquant une hypothèse de l’accélération du temps juridique.
13On aura aussi relevé que la lecture du passé par la Cour — et à travers elle son appropriation par le système juridique — connaît des limites propres aux particularités de ce système juridique. Ces limites méritent d’être précisées, en se référant aux outils théoriques d’analyse qui ont été élaborés en vue de traiter des spécificités de l’ordre juridique international.
14Si on reprend les enseignements dégagés par l’« école de Reims », un énoncé juridique n’a de sens que s’il existe à sa base une contradiction primitive, contradiction que cet énoncé vise à résoudre, ou au moins à mettre entre parenthèses25. La règle juridique trouve son origine dans un accord entre Etats, dans un compromis, même si ce compromis — et, par conséquent, la règle juridique qui le formalise — sera impuissant à résoudre définitivement les contradictions qui le sous-tendent26. En l’absence de pouvoir politique centralisé, le droit international ne repose donc que sur l’accord formel et provisoire entre Etats souverains27.
15Les mesures conservatoires indiquées par la Cour internationale de Justice entrent dans ce schéma théorique, pourvu que l’on comprenne que l’énoncé juridique est ici produit, non par les Etats en conflit, mais par un tiers qui vise à les réconcilier. Aucun problème particulier ne se pose si le tiers a lui-même été investi en application d’un accord entre les Etats concernés. Mais l’hypothèse est loin de se vérifier systématiquement pour les mesures conservatoires, qui sont le plus souvent demandées unilatéralement par un Etat à l’encontre d’un second qui conteste la compétence de la Cour pour régler le différend. Les deux exemples que nous venons d’exposer montrent comment l’Etat défendeur (les Etats-Unis dans un cas, la Yougoslavie dans le second28, peut persister à refuser l’autorité du tiers, y compris pour produire une version juridiquement autorisée des événements passés. Dans ces conditions, l’énoncé juridique que constitue une ordonnance en indication de mesures conservatoires n’aboutira qu’à une maîtrise toute relative des événements passés. La version judiciaire relève alors essentiellement de l’ordre du discours, dans la mesure où elle n’est ni acceptée par les protagonistes concernés, ni imposée par une autorité supérieure, inexistante dans la société internationale. Le plus souvent, l’ordonnance ne constituera donc qu’une version juridique particulière des faits, version appuyée par certains et dénoncée par d’autres.
16En dépit des difficultés rencontrées dans la maîtrise du passé, on constate que la Cour s’appuie sur ses motifs pour énoncer des mesures dans le cadre d’un dispositif par définition destiné à une maîtrise du futur.
2. Le dispositif : la maîtrise du futur
17Le dispositif, énoncé en termes de devoir-être, consacre l’aspect spécifiquement normatif des mesures conservatoires. En vertu de l’article 41 de son Statut, « la Cour a le pouvoir d’indiquer, si elle estime que les circonstances l’exigent, quelles mesures conservatoires du droit de chacun doivent être prises à titre provisoire ».
18L’expression n’est pas exempte d’ambiguïté. D’un côté, les mesures qui « doivent » être prises ne sont qu’« indiquées » par la Cour, ce qui, comme on le verra, laisse planer un doute sur leur caractère obligatoire29. D’un autre côté, le pouvoir discrétionnaire qui est conféré à la Cour peut la mener à indiquer des mesures qui iraient au-delà de la simple répétition d’obligations juridiques préexistantes, à l’instar de ce qu’on observe théoriquement dans le dispositif d’un arrêt. En réalité, l’indication de mesures conservatoires s’apparente davantage à une fonction d’ordre exécutif qu’à une fonction d’ordre judiciaire. A l’instar du Conseil de sécurité, avec lequel elle dispose de compétences parallèles en la matière, la Cour internationale de Justice exerce un pouvoir de police provisoire, indépendamment du point de savoir quel est l’Etat qui a raison sur le fond. Ce pouvoir est limité dans le temps entre la date du dépôt de la requête et celle où la Cour se prononce, soit en proclamant son incompétence, auquel cas les mesures sont frappées de caducité30, soit en se déclarant compétente puis en jugeant sur le fond, les mesures conservatoires s’effaçant alors derrière l’obligation secondaire de faire cesser toute violation du droit qui pèse sur l’Etat condamné31.
19Le dispositif concentre ainsi en lui une lecture particulière du passé, un gel du présent et donc une maîtrise, au moins formelle, du futur. Celui-ci est désormais lui aussi juridicisé, les événements étant désormais lus et appréhendés à l’aune de la logique du système juridique tel qu’il ressort de l’ordonnance de la Cour. En d’autres termes, les faits passés ayant été intégrés dans le système juridique, les faits futurs sont invités à y prendre place également. La grille de lecture du passé servira aussi pour envisager le futur.
20On peut reprendre dans cette perspective l’affaire des Activités militaires, exposée plus haut. Après avoir problématisé les faits dans le cadre de règles classiques du droit international, la Cour énonce, dans son dispositif, des mesures conservatoires invitant les Etats-Unis à mettre fin à toute action bloquant les ports du Nicaragua, afin que les droits de cet Etat soient respectés. Le but est bien de geler la situation, et donc de maîtriser la suite des événements dans un contexte politique difficile. C’est pourquoi, la Cour « Décide en outre que, jusqu’à ce [qu’elle] rende son arrêt définitif en l’espèce, elle demeurera saisie des questions qui font l’objet de la présente ordonnance »32.
21L’extrait est rappelé dans l’arrêt qui condamne les Etats-Unis sur le fond, le 27 juin 198633. Le souci de la Cour est bien de maîtriser le temps, grâce à une représentation périodique des événements par le biais d’énoncés judiciaires. Tout ne se déroule peut-être pas selon les prescriptions du système juridique (et, en l’espèce, on sait que les Etats-Unis n’ont pas donné suite aux mesures indiquées). Mais au moins ce système donne-t-il l’impression de pouvoir appréhender les faits, de les qualifier et de les maîtriser dans le cadre formel d’un discours juridique.
22L’affaire du Génocide peut également être envisagée dans cette perspective. Même si les événements échappent sur le terrain à l’emprise du droit, la Cour veut donner l’impression d’une certaine maîtrise alors même que le conflit fait rage. Le 8 avril 1993, dans sa première ordonnance, la Cour dit que « le Gouvernement de la république fédérative yougoslave doit immédiatement [...] prendre toutes mesures en son pouvoir afin de prévenir la commission du crime de génocide, et en particulier veiller à ce qu’aucune des unités militaires qui pourraient relever de son autorité ou bénéficier de son appui, [ou aucune organisation ou personne] qui pourraient se trouver sous son pouvoir, son autorité ou son influence, ne commettent le crime de génocide »34.
23Le 5 août 1993, le Président de la Cour fait usage de l’article 74 § 4 du Statut qui lui permet « d’inviter les Parties à agir de manière que toute ordonnance de la Cour en indication de mesures conservatoires puisse avoir effet »35. Il émet une déclaration selon laquelle les mesures conservatoires indiquées « continuent de s’appliquer »36. Le 13 septembre 1993, la Cour rend une deuxième ordonnance à la demande de la Bosnie, par laquelle elle « réaffirme ses mesures conservatoires de l’ordonnance du 8 avril », ordonnance « qui doit être immédiatement et effectivement mise en œuvre »37. Dans son arrêt sur les exceptions préliminaires du 11 juillet 1996, la Cour rappelle l’adoption de mesures conservatoires38. L’arrêt sur le fond n’a toujours pas été rendu à ce jour, mais il est clair que, tout au long de la procédure, la Cour vise à maintenir les événements sous l’emprise d’une grille de lecture juridique.
24Les deux affaires sont donc une fois encore assez similaires, dans la mesure où elles donnent lieu à un processus que l’on peut schématiser de la manière suivante :
des faits (F1) sont problématisés en un moment (M1), à la date de la première ordonnance qui vise à maîtriser des faits futurs (F2) ;
d’autres faits (F2bis), qui ne correspondent pas nécessairement aux mesures indiqués en Ml, sont juridicisés en un moment ultérieur (M2), à la date d’un deuxième acte de procédure ;
le processus peut se poursuivre dans des actes ultérieurs, la lecture des événements étant réactualisée périodiquement dans le langage de la Cour.
25On pourrait certes prétendre que l’affaire du Génocide a donné lieu à davantage d’actes de procédure, ce qui serait le signe d’un besoin accru de sécurité juridique lui-même généré par une accélération du temps juridique. On relève cependant au moins un précédent dans lequel la Cour a adopté deux ordonnances comportant les mêmes mesures conservatoires39. Aucune différence significative ne semble donc pouvoir être démontrée à ce stade selon que l’on se place dans la période de la guerre froide, ou de celle qui la suit.
26Par ailleurs, le mécanisme montre, dans tous les cas, les limites de l’institution des mesures conservatoires dans un ordre juridique international faiblement institutionnalisé. La réaffirmation des mesures peut en effet être perçue comme le signe de l’impuissance de la Cour à maîtriser effectivement les événements futurs. Les Etats-Unis ont continué à soutenir les contras et à tenter de renverser le gouvernement du Nicaragua, tout comme les actes de « nettoyage ethnique » n’ont pas pris fin en Bosnie-Herzégovine. Et il ne s’agit pas là d’exemples isolés. L’affaire de la Convention sur les relations consulaires (Paraguay/Etats-Unis) est sans doute particulièrement significative à cet égard. La Cour a en effet été saisie le 3 avril 1998 d’une demande du Paraguay tendant à ce qu’elle demande aux Etats-Unis de surseoir à l’exécution d’un ressortissant paraguayen condamné à mort en Virginie, exécution programmée le 14 avril 1998. Selon l’Etat demandeur, cette condamnation était irrégulière, en raison du fait que l’accusé n’avait pas bénéficié d’une assistance de son pays conformément à la Convention de Vienne de 1963 sur les relations consulaires. La Cour a entendu les parties en urgence le 7 avril, et a rendu une ordonnance conforme à la requête du Paraguay le 9 avril40. L’exécution a pourtant bel et bien eu lieu le 14 avril à l’aube, dans l’Etat de Virginie. L’échec de l’institution est évidemment symbolique. Si elle entraîne la mort d’un homme, et non celle de plusieurs milliers comme au Nicaragua ou en Bosnie, elle montre on ne peut mieux la faiblesse sur le plan pratique des mesures indiquées. Plus généralement, les chiffres montrent que, sur les 16 ordonnances rendues par la Cour internationale de Justice depuis sa création dans le cadre de cette procédure, 11 ont abouti à l’indication de mesures, mais une seule d’entre elles a été effectivement et entièrement respectée41.
27Le cadre d’analyse élaboré par l’« école de Reims » permet, ici encore, de mieux comprendre les limites de l’institution. Dans le cas des ordonnances en indication de mesures conservatoires, nous avons vu que les contradictions qui président à l’élaboration de l’énoncé juridique (les « contradictions primitives ») n’étaient le plus souvent même pas mises entre parenthèses par la formulation d’un accord, l’Etat défendeur contestant le plus souvent le pouvoir de la Cour. Par ailleurs, on sait que la société internationale ne connaît aucun pouvoir politique supérieur aux Etats, apte à assurer le respect des règles de droit international existantes. Dans ce contexte, la solution proposée dans le dispositif n’aura pas plus de poids que la version des faits énoncée dans les motifs : l’ordonnance ne parviendra généralement à maîtriser ni le passé, ni le futur.
28La faiblesse de cette institution judiciaire découle du reste non seulement de la persistance de contradictions primitives mais aussi de l’émergence de contradictions consécutives qui porteront cette fois sur l’interprétation de la norme42.
29Des contradictions peuvent d’abord porter sur le contenu même des ordonnances rendues par la Cour, et plus spécifiquement sur la question de savoir si elles ont été respectées. Dans l’affaire du Génocide, la Yougoslavie prétendait qu’elle faisait tout ce qui était en son pouvoir pour arrêter les actes de « nettoyage ethnique », en particulier en ayant rompu ses liens avec les forces serbes de Bosnie. Au contraire, la Bosnie-Herzégovine considérait que Belgrade continuait à soutenir les forces serbes, ce qui aurait été incompatible avec les ordonnances rendues par la Cour. Dans l’affaire de la Convention consulaire, les Etats-Unis se sont prévalus de la théorie de la séparation des pouvoirs. Le Gouvernement ne pouvant émettre d’injonctions à l’égard du pouvoir judiciaire, l’exécution du citoyen paraguayen a eu lieu à la date prévue, en dépit de l’ordonnance de la Cour. On pourrait pourtant considérer que, conformément au droit international traditionnel, les principes constitutionnels qui relèvent de l’ordre juridique interne ne sont pas opposables aux autres Etats, ni bien évidemment à la Cour internationale de Justice. Dans le cadre de cette deuxième interprétation, les Etats-Unis ne se seraient pas conformés à l’ordonnance. On mesure l’ampleur de ces contradictions qui peuvent porter sur l’interprétation des mesures indiquées comme sur la qualification des situations que ces mesures visent à régir.
30Un deuxième type de contradictions consécutives est plus spécifique aux mesures conservatoires. Il porte sur le statut juridique des ordonnances rendues en ce domaine : s’agit-il d’actes à portée obligatoire ou seulement recommandatoire ? Une partie de la doctrine penche pour la première branche de l’alternative, en considérant que les Etats ont le devoir de mettre en œuvre les mesures édictées par la Cour43. D’autres auteurs considèrent au contraire, en se basant sur certains éléments de la jurisprudence existante44, que la Cour ne fait qu’« indiquer » ces mesures, sans que le Statut ne leur donne de portée explicitement obligatoire45. L’ambiguïté de l’institution se reflète dans certains motifs : « Lorsque la Cour conclut que la situation exige l’adoption de mesures de ce genre, il incombe à chaque partie de prendre sérieusement en considération les indications ainsi données et de ne pas fonder sa conduite uniquement sur ce qu’elle croit être ses droits »46.
31On la retrouve aussi dans les termes de dispositifs, la Cour utilisant généralement le présent de l’indicatif (« les Etats-Unis mettent immédiatement fin ») sans recourir à des formules impératives (comme « les Etats-Unis doivent immédiatement mettre fin »...). Si on retrouve occasionnellement une formule explicitement impérative, on constate qu’elle ne fait qu’énoncer une obligation préexistante47. En tout état de cause, le statut juridique des mesures conservatoires donne lieu à des divergences constantes d’interprétation, ce qui explique en grande partie leur faible aptitude à remplir leur objectif, et en particulier à maîtriser les événements futurs.
32Un troisième type de contradictions consécutives s’ajoute aux précédents. Il concerne les suites à donner à un éventuel — mais fréquent — non-respect des mesures indiquées. Dans l’affaire des Activités militaires, le Nicaragua prie, le 25 juin 1984, la Cour de rendre une ordonnance sanctionnant les Etats-Unis pour leur violation de l’ordonnance du 10 mai 1984, en leur refusant jusqu’à ce qu’ils la respectent tout accès à la Cour. Celle-ci refuse de se prononcer en ce sens, son Président considérant « cette demande assez inédite et difficile à envisager »48. La prudence de la Cour se vérifie au regard de plusieurs autres précédents, où elle ne mentionne même pas le non-respect de ses ordonnances49. Tout au plus y fait-elle occasionnellement allusion, de façon parfois singulièrement elliptique50. Dans l’affaire du Génocide, un juge ayant posé une question aux parties leur demandant quelles mesures avaient été prises pour se conformer à l’ordonnance, la Cour mentionne qu’elle « n’est pas convaincue que tout ce qui pouvait être fait ait été fait pour prévenir la commission du crime de génocide »51 pour considérer que « la situation dangereuse qui prévaut actuellement exige non pas l’indication de mesures conservatoires s’ajoutant à celles qui ont été indiquées par l’ordonnance de la Cour du 8 avril 1993 [...] mais la mise en œuvre immédiate et effective de ces mesures »52. La violation de l’ordonnance n’est ainsi qu’implicitement constatée53. La plus grande incertitude règne donc quant aux suites à donner à une ordonnance, et les vues divergentes continuent à s’affronter dans le contexte propre de chaque affaire portée devant la Cour.
33Contradictions sur le contenu, le statut juridique et les suites à donner aux ordonnances, tout cela ne concourt guère à une maîtrise du futur par l’institution judiciaire. La Cour semble du reste parfaitement consciente des ambiguïtés qui entourent ce domaine particulier de son activité. En réalité, la Cour tente parfois d’obtenir un accord entre les Etats parties en marge des ordonnances, celles-ci ayant moins vocation à réglementer l’avenir qu’à en favoriser une maîtrise concertée. Dans l’affaire des Pêcheries, les mesures conservatoires de l’ordonnance du 17 août 1972 n’ayant pas été respectées, la Cour avance, dans son ordonnance du 12 juillet 1973, que « les mesures conservatoires indiquées par la Cour et confirmées par la présente ordonnance n’excluent pas que les gouvernements intéressés puissent parvenir à un arrangement provisoire fondé sur des chiffres prévoyant, pour les prises de poisson, des limites autres que le maximum indiqué dans l’ordonnance du 17 août 1972... »54.
34Un accord surviendra effectivement le 13 novembre 197355. Dans l’affaire du Différend frontalier, la Cour invite les parties à déterminer par accord la ligne de cessez-le-feu qui devra être respectée en application de son ordonnance, et avertit qu’elle fixera elle-même cette ligne en cas d’échec56. Un accord surviendra rapidement à ce sujet57. Dans l’affaire du Passage par le Grand Belt, la Cour refuse d’indiquer des mesures mais précise que, « en attendant une décision de la Cour sur le fond, toute négociation entre les parties en vue de parvenir à un règlement direct et amiable serait la bienvenue »58. Dans la même ordonnance, elle rappelle que « le règlement judiciaire des conflits... n’est qu’un succédané au règlement direct et amiable de ces conflits entre les parties ; que dès lors il appartient à la Cour de faciliter, dans toute la mesure compatible avec son statut, pareil règlement direct et amiable »59.
35Un accord surviendra d’ailleurs effectivement, l’affaire étant rayée du rôle le 10 septembre 1992.
36Au vu de ces développements, on peut considérer que la maîtrise du futur n’est certainement pas assurée par le dispositif, celui-ci ne mettant pas fin aux contradictions primitives et générant par ailleurs des contradictions consécutives de plusieurs ordres. Seuls certains aspects des motivations de la Cour sont aptes, dans certaines conditions politiques particulières, à favoriser une gestion conjointe de l’avenir par les Etats concernés, dont il s’agit de favoriser l’accord. En d’autres termes, le juge n’intervient ici que comme médiateur, et non comme autorité apte juridiquement et politiquement à imposer sa solution.
37En conclusion de cette première partie, on peut avancer que :
les mesures conservatoires ont officiellement pour but de geler la situation présente, ce qui suppose d’abord une lecture autorisée du passé (grâce à une juridicisation des événements) et, sur cette base, une vocation normative tendant à prévenir les effets d’événements futurs ; on est dans le cadre d’une logique de système, tendant à intégrer et à maintenir les faits dans la grille de lecture de l’ordre juridique international ;
les limites de l’institution, qui s’observent dans les faits, renvoient à celles du système juridique lui-même ; l’ordre juridique international se caractérise par un pluralisme politique qui mène le juge à jouer un rôle de médiateur tendant à mener les Etats à un accord à la fois sur une lecture du passé et sur une gestion du futur.
38La logique du système se traduit ainsi par la formalisation d’événements passés dans un langage juridique (le droit international est un droit positif ou, pour reprendre la terminologie de Max Weber, formel et non matériel) mais par une maîtrise peu assurée des événements futurs (le droit international est formel mais peu rationnel, au sens wébérien d’un droit prévisible dans son application)60. On aura relevé que ces conclusions résultent de l’analyse d’ordonnances rendues tant avant qu’après 1989. Il est donc, à ce stade, difficile de dégager des indices en faveur de la thèse de l’accélération du temps juridique. Par ailleurs, on s’est jusqu’ici cantonné à une analyse de la logique du système juridique dans son ensemble, sans prendre en compte celle des acteurs qui le composent. C’est à cet aspect particulier qu’est consacrée la deuxième partie de notre étude.
II. La logique des acteurs du système juridique - Utiliser le temps
39Pourquoi les Etats recourent-ils à l’institution des mesures conservatoires alors que, sauf exception, les ordonnances ne sont pas respectées ni garanties par la mise en œuvre de sanctions ? Cette question échappe à une logique de système, basée sur la fonction régulatrice classique du droit, mais renvoie à une logique d’acteur, basée plutôt sur les fonctions idéologiques du droit61. Ces fonctions idéologiques sont particulièrement ostensibles dans un ordre juridique international où, comme on l’a vu, le monisme juridique (existence d’un système juridique) coexiste avec un pluralisme politique (coexistence de plusieurs Etats souverains). Dans une société internationale traversée par les contradictions, chaque Etat vise en effet à utiliser le droit en vue de légitimer sa position. Et c’est le droit « en tant que tel » dont il s’agit, dans la mesure où il ne peut s’appuyer sur un pouvoir politique supérieur qui en assurerait le respect62. En d’autres termes encore, c’est l’importance du droit en tant que discours idéologique qui transparaît ici, et c’est dans ce contexte que l’on peut comprendre le recours fréquent à des mesures conservatoires, peut-être inefficaces en termes de régulation, mais souvent efficaces en termes de légitimation.
40Pour ce qui concerne les mesures conservatoires, la stratégie des Etats consistera tant à obtenir une version judiciaire autorisée du passé conforme à leur propre version, qu’à pouvoir fonder leurs positions normatives sur une autorité judiciaire. On retrouve la distinction opérée dans le cadre de la première partie, les spécificités de la logique étatique menant cependant à un certain nombre de particularités qui seront détaillées dans les lignes qui suivent.
1. Les lectures du passé
41On a déjà mentionné que les mesures conservatoires remplissaient, au-delà de leur fonction manifeste (geler la situation présente), une fonction latente permettant au système juridique de produire une lecture autorisée du passé. La production d’une version officielle permettra, dans une large mesure, de légitimer l’acteur qui a proposé tout ou partie de la vision particulière de l’histoire qui y est contenue. C’est dans cette perspective que se déploient les stratégies judiciaires des Etats. Ces stratégies s’appuient d’abord sur une présentation des faits offerte à la Cour lors de la procédure précédant l’adoption d’une ordonnance. Chaque Etat — en tout cas s’il souhaite recourir au droit pour justifier sa position — « traduit » les événements dans un langage juridique susceptible d’être repris par la Cour. Une fois l’ordonnance rendue, chaque Etat se réfère à l’ordonnance pour appuyer sa version, ce qui suppose d’interpréter son texte en ce sens. La légitimation ne fonctionne donc que moyennant une utilisation soutenue de l’institution, tant en amont (préalablement à l’indication des mesures) qu’en aval (postérieurement à cette indication). Dans ce contexte, les mesures conservatoires constituent l’enjeu de conflits entre Etats qui se manifestent avant tout sur le terrain idéologique.
42Les exemples sont évidemment nombreux.
43On peut d’abord reprendre l’affaire des Activités militaires, dans la mesure où elle illustre le rôle de la Cour pour gérer une opposition entre deux versions radicalement différentes des faits. Pour les Etats-Unis, on était en présence d’un différend essentiellement politique, à envisager non selon des critères juridiques mais selon le prisme géostratégique est/ouest, et le clivage idéologique démocratie/totalitarisme. Ce différend concernait du reste tous les pays d’Amérique centrale, le gouvernement sandiniste étant accusé de fomenter la subversion dans les pays voisins. Pour le Nicaragua, le différend était essentiellement juridique et pouvait donc être tranché par la Cour. Il opposait un Etat superpuissant qui agressait et intervenait dans les affaires intérieures d’un Etat du Tiers-monde, les autres pays n’étant impliqués que de manière subsidiaire. Lorsqu’elle rend son ordonnance, la Cour consacre essentiellement la seconde de ces thèses, en acceptant d’envisager la question à l’aune des principes traditionnels de droit international, et de la centrer sur les relations entre les Etats-Unis et le Nicaragua. Elle permet ainsi au régime sandiniste de voir sa position revêtue du sceau de la légalité, et ce tant vis-à-vis de sa propre opinion publique que de divers cénacles internationaux, en particulier à l’O.N.U.
44Dans l’affaire du Génocide également, le conflit porte d’abord sur la présentation des faits, l’interprétation de l’histoire. Selon la République fédérative yougoslave, on est en présence d’un conflit intérieur à la Bosnie-Herzégovine, qui oppose les Musulmans, les Croates et les Serbes. Le droit international n’a dès lors pas à s’appliquer à titre principal et la Cour est incompétente pour se prononcer. Selon le gouvernement bosniaque, le litige est au contraire international : il oppose deux Etats souverains, la Bosnie-Herzégovine et la Yougoslavie63. Il s’agit pour la Cour de condamner le second pour génocide et de permettre au premier de se défendre, nonobstant la résolution 713 du Conseil de sécurité établissant un embargo sur les livraisons d’armes. Dans les deux ordonnances qu’elle rend en 1993, la Cour donne en partie raison à la thèse bosniaque. L’implication de Belgrade dans les actes de génocide présumés paraît claire à la lecture des textes produits. Cette version des faits accrédite la vision du conflit défendue par les autorités bosniaques, et on peut considérer qu’elle a favorisé l’évolution ayant mené à un appui politique et militaire des Grandes Puissances en 1994 puis 1995. En même temps, la Cour apportera certains éléments à l’appui de la thèse yougoslave. Elle refuse de lier le génocide au problème de l’agression, en affirmant que sa compétence est strictement limitée à la vérification du respect de la Convention interdisant le crime de génocide. Par ailleurs, elle dicte des mesures conservatoires qui, pour certaines d’entre elles, visent les deux Etats parties au litige, accréditant la version yougoslave d’un génocide perpétré par les autorités de Sarajevo à l’encontre des Serbes64. Dans l’ensemble, les énoncés de la Cour seront abondamment utilisés par les protagonistes dans le cadre d’un conflit idéologique intense65.
45L’affaire de l’Incident aérien de Lockerbie offre un dernier exemple particulièrement remarquable à cet égard66. On sait que la Libye a saisi la Cour pour mettre fin aux pressions américaines et britanniques visant à ce que Tripoli extrade deux de ses nationaux soupçonnés, notamment par les autorités écossaises, d’être les auteurs de l’attentat de Lockerbie. Selon les Etats-Unis (ainsi que le Royaume-Uni), c’est un problème politique qui se pose, celui du terrorisme international. La Libye est dès lors opposée à l’ensemble de la « communauté internationale », représentée par le Conseil de sécurité qui a sommé la Libye d’extrader les deux intéressés. Selon Tripoli, le différend relève de la coopération judiciaire entre Etats dans le domaine de la répression des actes de terrorisme perpétrés par des individus. Il s’agit d’appliquer la Convention de Montréal qui, en cette matière, laisse à chaque Etat le soin de choisir entre l’extradition et le jugement des personnes soupçonnées, cette deuxième branche de l’alternative ayant été choisie par les autorités libyennes conformément au droit local interdisant l’extradition des nationaux. La Cour donne partiellement raison à la Libye, en envisageant la question sur le plan de la technique juridique, pour considérer que la Convention de Montréal s’applique, au moins à première vue. Elle donne aussi des arguments à la version anglo-américaine, en refusant d’indiquer des mesures conservatoires au motif que le Conseil de sécurité avait déjà tranché la question. Une fois encore, le texte offre aux divers protagonistes des éléments leur permettant de légitimer leurs versions respectives des événements passés. Indépendamment de la question de l’obtention de « mesures » dans un dispositif, l’enjeu renvoie à une lecture judiciaire de l’histoire.
46Le recours à l’institution des mesures conservatoires s’explique donc moins par leur force normative, dont on a vu qu’elle était singulièrement faible, mais par l’espoir de voir « objectivée » par le droit une version des faits qui pourra ensuite être invoquée par l’Etat demandeur à l’appui de sa position67. Une fois encore, la conclusion s’impose quelle que soit la période envisagée et ne semble pas devoir accréditer l’hypothèse d’une accélération du temps.
47Les exemples mentionnés peuvent aussi être envisagés dans le cadre théorique tracé par l’école de Reims. Comme le rappelle Monique Chemillier-Gendreau, l’ordre juridique international se caractérise par un régime de relativité des qualifications et des interprétations68. En l’absence d’autorités supérieures aptes à se prononcer systématiquement, chaque Etat dispose du pouvoir discrétionnaire en ce domaine, étant entendu qu’une qualification ou une interprétation particulière ne sera pas opposable à un autre Etat sans son consentement. Dans ces circonstances, un prononcé judiciaire pourrait être perçu comme une manière d’objectiver une position, ce qui pourrait permettre ultérieurement de convaincre un interlocuteur et de parvenir à un accord avec lui. Le droit est alors envisagé comme un argument, et un argument fondé non sur la force (dans la mesure où il n’est pas encadré par une autorité politique qui en assure le respect) mais sur la raison. Le droit international tel que « révélé » par un énoncé judiciaire autorisé fera office de langage commun, censé transcender les oppositions particulières. Bien entendu, l’argument juridique aura une importance variable selon à la fois l’état du rapport de force dans le cadre duquel il est utilisé, et le partage plus ou moins étendu de valeurs communes entre les différents protagonistes de ce rapport de forces. C’est sans doute en ce sens qu’on peut comprendre que la seule ordonnance prescrivant des mesures qui ont été respectées ait été appliquée par le Burkina Faso et le Mali en 1986, deux Etats de puissance comparable et relativement proches sur le plan culturel. En revanche, l’institution judiciaire n’a été que de peu de secours pour permettre au Nicaragua sandiniste de parvenir à un accord avec les Etats-Unis.
48Ce dernier exemple nous mène à franchir un pas supplémentaire. Les mesures conservatoires sont souvent utilisées alors même que le demandeur est parfaitement conscient qu’elles ne lui fourniront aucun argument susceptible de convaincre l’Etat défendeur. Tout dépend en effet de l’auditoire auquel on destine l’argument juridique. Il peut en effet s’agir de l’opinion publique interne, qui sera certainement sensible au sceau du droit international qui aura été délivré par la Cour internationale de Justice à la version des faits qui lui est présentée depuis longtemps par son gouvernement. Les ordonnances de la Cour sont d’abord utilisées par les Etats demandeurs sur leur propre territoire, dans un contexte particulier qui relève de la politique intérieure. Et cela est valable pour des Etats aussi différents que la Nicaragua, la Libye ou la Bosnie-Herzégovine. Il se peut par ailleurs que l’argument juridique soit destiné à un auditoire international élargi, qui regroupe des Etats ou des institutions diverses. Les énoncés de la Cour sont ainsi invoqués par le Nicaragua à destination des Etats européens et du Tiers-monde, ou de certaines organisations internationales, en vue de combattre les effets de la politique américaine. Les autorités de Sarajevo ne manquent pas non plus d’invoquer les prononcés de la Cour pour nouer des alliances et isoler le nouvel Etat yougoslave, notamment par le biais de pressions sur les membres du Conseil de sécurité. Dans tous les cas, l’argument juridique est privé de la force d’une autorité politique unique, mais a pour lui une objectivité qui reste exceptionnelle dans un contexte général d’affrontement des subjectivités.
49Envisagées de la sorte, les « mesures conservatoires » ont pour vocation première la légitimation d’une vision du monde, et certainement pas la prescription d’obligations particulières. La Cour internationale de Justice en semble du reste parfaitement consciente, comme en témoigne cet extrait de l’affaire du Génocide : « il est clair que l’intention du demandeur, en sollicitant ces mesures, n’est pas d’obtenir que la Cour indique que le défendeur doit prendre certaines dispositions pour la sauvegarde des droits du demandeur, mais plutôt que la Cour fasse une déclaration précisant ses droits, déclaration qui clarifie rait la situation juridique à l’intention de l’ensemble de la communauté internationale, en particulier des membres du Conseil de sécurité de l’O.N.U. »69.
50Ainsi, le but du demandeur n’est pas d’obtenir des mesures mais une caution judiciaire à ses positions, caution qui sera utilisée dans le cadre d’auditoires définis. On ne saurait illustrer plus clairement la fonction principale de l’institution des mesures conservatoires. Et ce qui est dénoncé par la Cour pour les demandes trop ostensiblement « déclaratoires » est en réalité valable pour tous les aspects d’une requête. L’enjeu principal renvoie bien aux lectures du passé qui, dans une certaine mesure, détermineront les différentes gestions possibles du futur.
2. Les gestions du futur
51On a vu que l’effet prescriptif d’une ordonnance en indication de mesures conservatoires était assez limité, dans la mesure où même son effet obligatoire de principe était contesté. On retrouve néanmoins dans les énoncés de la Cour une vocation normative qui se traduit par l’utilisation d’un langage « performatif ». Ce langage sera utilisé par l’Etat qui y trouve un avantage, qui reliera fort logiquement sa vision du passé à une prescription pour l’avenir, le tout sous le couvert d’un énoncé judiciaire présumé objectif. Bien sûr, il ne faut pas prendre le dispositif au pied de la lettre : celui-ci ne sera utilisé que pour parvenir à un accord, ou pour obtenir un appui, mais certainement pas pour « obliger » un interlocuteur au plein sens du terme. Sociologiquement, une obligation traduit, d’une part, la volonté d’un acteur social qu’un autre acteur se comporte d’une certaine manière et, d’autre part, l’existence de conséquences probables en cas de non-respect de cette volonté. Dans le cas d’une ordonnance, la volonté de la Cour n’est pas toujours très claire, et les probabilités de subir les conséquences en cas de non-respect sont extrêmement faibles...
52Dans ces conditions, on ne s’étonnera pas que le normatif reste le plus souvent cantonné à l’ordre du discours. En réalité, le dispositif est, comme le sont les motifs, utilisé comme argument, et non comme norme. L’institution peut, dans ce contexte, connaître un certain succès. Après avoir obtenu une ordonnance puis un jugement à l’encontre des Etats-Unis, le Nicaragua a introduit une demande tendant à ce que la Cour indique des mesures conservatoires au Honduras afin que cet Etat mette fin à son appui aux contras70. Dix jours plus tard, les deux Etats parvenaient à un accord. La simple probabilité d’obtenir une ordonnance a sans doute permis au gouvernement sandiniste de disposer d’un argument de poids. Une condamnation judiciaire, même au stade des mesures conservatoires, peut indéniablement avoir certains effets néfastes dans le cadre d’un débat politique. Cet exemple montre bien que l’efficacité de l’institution ne doit certainement pas, aux yeux des Etats, être mesurée à partir des critères juridiques classiques, comme la portée normative. Elle dépend plutôt de la mise en œuvre d’une argumentation située dans un contexte historique et politique plus ou moins réceptif à la dimension juridique. Dans cette perspective, l’obtention d’une lecture autorisée du passé va de pair avec l’acquisition d’une position de force apte à assurer une meilleure gestion du futur.
Conclusion
53Les « mesures conservatoires » constituent une institution judiciaire qui obéit à une logique juridique très particulière. Le juge exerce des pouvoirs de police et se préoccupe dès lors, selon ses propres termes, moins du passé que du pré sent et de l’avenir. L’ordre juridique international se caractérise cependant par la cohabitation entre un monisme juridique et un pluralisme politique. La plus haute juridiction mondiale est donc soumise à la volonté de ses justiciables, tant pour ce qui concerne sa compétence que pour la mise en œuvre effective de ses prononcés. Or, les Etats utilisent les mesures conservatoires dans le cadre d’une logique d’acteurs parfois très éloignée de la logique du système. Ce n’est pas le normatif, et donc l’obtention de mesures en tant que telle, qui est recherché. C’est plutôt le descriptif, et donc une rédaction des motifs conforme à la vision de l’histoire de l’Etat demandeur. Dans cette perspective, le discours juridique reste principalement tourné vers le passé, même s’il est utilisé comme argument dans le cadre de rapports de force qui se déploient dans des contextes et à destination d’auditoires divers. Cette double logique explique le recours aux mesures conservatoires en dépit de leur faiblesse en termes d’efficacité sur le plan normatif. En juridicisant un conflit politique ou éthique, la Cour intègre le fait dans l’ordre du discours juridique et donne ainsi l’impression d’une maîtrise — même relative — des événements tout au long de la période pendant laquelle elle produit son discours. En obtenant un énoncé judiciaire, l’Etat demandeur parvient, de manière plus ou moins aboutie, à objectiver son propre discours dans le moule du langage commun que représente le droit international. Différentes lectures du passé et gestions du futur s’opposent donc, chaque Etat visant à faire prévaloir sa position, avec pour enjeu le discours juridique officiel.
54Les exemples mentionnés ont été choisis intentionnellement de manière à réaliser un équilibre entre les deux périodes qui, sur le plan purement quantitatif, semblaient se distinguer, un recours plus fréquent (en termes relatifs) aux mesures conservatoires ayant été constaté après 1989. Sur le plan qualitatif, force est de constater qu’aucune différence notable ne mérite d’être signalée. Les fonctions, manifestes ou latentes, de l’institution judiciaire semblent toujours bien présentes. Il paraît difficile de relier un recours plus fréquent aux mesures conservatoires à une insécurité grandissante, elle-même issue d’une accélération du temps juridique.
55Il reste que l’hypothèse n’est pas non plus exclue. Sa vérification mériterait cependant un approfondissement de la recherche qui, à notre sens, devrait s’articuler en deux étapes, la première visant à montrer un « développement plus rapide de contradictions nouvelles et l’éphémérisation des situations sociales » pendant une période donnée (par comparaison avec une période antérieure), la seconde à expliquer dans ce contexte le recours aux mesures conservatoires en tant que gage de stabilité et de sécurité juridiques.
56La première étape de la démonstration appelle une analyse sociologique et politique substantielle. A première vue, il apparaît que, depuis 1989, les contradictions de types économique (dette, guerres commerciales), social (instabilité, précarisation) ou politique (conflits armés internes et internationaux) se sont multipliées71. Derrière un « nouvel ordre mondial » censé se placer sous le règne du droit se profile une société internationale au sein de laquelle des contradictions nouvelles s’ajoutent à des contradictions anciennes. Ces contradictions se traduisent d’ailleurs par des tensions qui touchent les concepts juridiques fondamentaux de l’ordre juridique international, et en particulier la souveraineté étatique72. Conçue traditionnellement comme le pouvoir exclusif d’un pouvoir politique sur un territoire défini, la souveraineté étatique est en effet de plus remise en cause par les phénomènes de transnationalisation du pouvoir, en même temps que par l’affirmation de la domination d’une puissance mondiale apte à intervenir dans les Etats « faibles », y compris par l’intermédiaire du Conseil de sécurité de l’O.N.U.73. C’est dans ce contexte que Monique Chemillier-Gendreau considère que « la fonction traditionnelle du droit, assurer la stabilité des situations juridiques, donc des relations sociales, est de plus en plus difficilement assurée parce que le renouvellement des contradictions s’est accéléré »74.
57Concernant la deuxième étape du raisonnement, on pourrait poser l’hypothèse que cette nouvelle configuration favoriserait le recours aux institutions judiciaires en tant qu’institutions garantes de concepts juridiques traditionnels. Certaines affaires peuvent, à première vue, être interprétées en ce sens. Dans l’affaire Lockerbie, la Libye recourt à la plus haute juridiction mondiale en lui demandant que sa souveraineté soit respectée, et que prennent fin les pressions politiques avalisées par le Conseil de sécurité75. Dans l’affaire du Génocide, la Bosnie-Herzégovine vise à opposer à la logique politique du Conseil de sécurité une logique juridique, basée sur une règle définie comme l’interdiction du génocide. Dans les deux cas, le recours à la Cour internationale de Justice peut être perçu comme le signe de la recherche d’une sécurité pour faire face à l’instabilité générée par une accélération du temps symbolisée ici par le regain extraordinaire de l’activité du Conseil de sécurité depuis la guerre du Golfe. En même temps, on a vu que la force normative des mesures conservatoires était extrêmement faible et que cette faiblesse était parfaitement intégrée par les acteurs concernés. On peut penser que la recherche d’ordonnances en la matière vise plus à légitimer une prise de position en la parant du sceau de la juridicité qu’à obtenir une sécurité dès l’origine perçue comme illusoire. Dans cette perspective, la juridiciarisation des différends ne serait que le signe d’une plus grande utilisation du droit comme facteur de légitimation depuis la fin de la guerre froide, pendant laquelle le discours justificatif était plus explicitement idéologique et politique76.
58Il ne s’agit évidemment ici que de pistes de réflexion qui non seulement mériteraient d’être approfondies, mais dont il ne faut pas oublier qu’elles concernent une période qui n’a débuté qu’il y a quelques années. Toute conclusion définitive à ce propos apparaîtrait dès lors comme prématurée.
Notes de bas de page
1 F. OST, v° Temporalité juridique in A.J. Arnaud (ed.), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Bruxelles, Story scientia, Paris, L.G.D.J., 1988, p. 415 et F. OST et M. van de KERCHOVE, Pluralisme temporel et changements. Les jeux du droit, in Mélanges François Rigaux, Bruxelles, Bruylant, 1993, p. 388 et sv.
2 M. CHEMILLIER GENDREAU, Le rôle du temps dans la formation du droit international, Paris, Pedone, 1987, p. 45.
3 V. J. COMMAILLE, La régulation des temporalités juridiques par le social et le politique, in F. Ost et M. Van Hoecke (eds.), Temps et droit. Le droit a-t-il pour vocation de durer ?, Bruxelles, Bruylant, 1998, p. 317 et sv.
4 V. p. ex. B. BADIE et M.C. SMOUTS, Le retournement du monde. Sociologie de la scène internationale, 2ème éd., Paris, Dalloz, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1995.
5 V. les réflexions de Z. LAïDI, Le temps mondial, in M.C. Smouts (ed.), Les nouvelles relations internationales. Pratiques et théories, Paris, Presses de sciences po., 1998, p. 183-202, sp. p. 193 et sv.
6 Voy. v° conservatoires (mesures) dans J. BASDEVANT, Dictionnaire de la terminologie du droit international, Paris, Sirey, 1960, p. 155-156.
7 V. P. DAILLIER et A. PELLET (NGUYEN QUOC DINH), Droit international public, 6ème éd., Paris, L.G.D.J., 1999, p. 866-867.
8 Divers facteurs ont été avancés pour expliquer le caractère peu fréquent de la procédure, et en particulier la longueur de l’ensemble d’une instance devant la Cour ; v. The International Court of Justice. Efficiency of Procedures and Working Methods, Report of the Study Group established by the British Institute of International and Comparative Law as a contribution to the United Nations Decade of International Law, D.W. Bowett, J. Crawford, I. Sinclair, A.D. Watts, Int. & Comp. Law Quaterly, 1996, suppl., p. 4.
9 Contrairement au cas du droit interne — ou en tout cas de celui de certains droits internes —, le juge international ne dispose que d’une compétence limitée, qui dépend du consentement de ses principaux justiciables que sont les Etats. V. p. ex. Ch. LEBEN, La juridiction internationale, in Droits, 1989, p. 143-155 et M. BOURQUIN, Stabilité et mouvement dans l’ordre juridique international, in Recueil des cours de l’Académie de droit international, 1938-II, tome 64, p. 416 et sv.
10 The International Court of Justice. Efficiency of Procedures and Working Methods, op. cit., p. 22 et 23. V. p. ex. V. LAMM, Quatre nouvelles déclarations d’acceptation de la jurisprudence obligatoire de la CIJ émanant d’Etats d’Europe centrale (Bulgarie, Estonie, Hongrie, Pologne), in Revue générale de droit international public, 1996, p. 335 et sv.
11 V. p. ex. G. GUILLAUME, La Cour internationale de Justice. Quelques propositions concrètes à l’occasion du Cinquantenaire, in Revue générale de droit international public, 1996, p. 323 et sv. ; M. BEDJAOUI, Le cinquantième anniversaire de la Cour internationale de Justice, in Recueil des cours de l’Académie de droit international, 1996, tome 257, p. 15 et sv. ; v. déjà Sh. ROSENNE, The Role of the International Court of Justice in Inter-State Relations Today, in Revue belge de droit international, 1987, p. 275 et sv.
12 On se référera notamment aux études de Ch. CHAUMONT, Cours général de droit international public, in Recueil des cours de l’Académie de droit international, 1970-I, vol. 249 ou de J. SALMON, Accords internationaux et contradictions interétatiques, in G. Haarscher et L. Ingber (éds.), Justice et argumentation. Essais à la mémoire de Chaïm Perelman, Bruxelles, éd. U.L.B., 1986, p. 67-77.
13 Le rôle du temps dans la formation du droit international, op. cit., 70 p.
14 V. notre étude : Eléments de définition pour une sociologie politique du droit, in Droit et société, 1998, no 39, p. 347-370. Ce type d’approche se démarque radicalement d’une approche de technique juridique (v. p. ex. R. HIGGINS, Time and the Law : International Perspectives on an Old Problem, in Int. & Comp. Law Quaterly, 1997, p. 501-520) qui consisterait à dégager le sens en droit international positif de notions comme l’« urgence », le caractère irréparable du dommage ou la compétence prima facie de la C.I.J. Tel qu’il est généralement pratiqué, le positivisme formaliste, par son étude abstraite et désincarnée de notions juridiques, revient à évacuer la question du temps (v. M. CHEMILLIER GENDREAU, Le rôle du temps..., op. cit., p. 24 et sv. et J. CARBONNIER, Sociologie juridique, Paris, P.U.F.-Quadrige, 1994, p. 350 ; F. OST et M. van de KERCHOVE, Pluralisme temporel et changements. Les jeux du droit, op. cit., p. 390-391).
15 V. notre ouvrage, écrit en collaboration avec B. DELCOURT, Ex-Yougoslavie. Droit international, politique et idéologies, Bruxelles, Bruylant, 1998, en particulier le chapitre II.
16 Nous ne prendrons pas en compte les ordonnances en indication de mesures conservatoires rendues par la Cour permanente de Justice internationale (qui sont au nombre de six).
17 G. de LACHARRIÈRE, La politique juridique extérieure, Paris, Economica, 1983.
18 V. F. OST, v° Temporalité juridique, in Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Bruxelles, op. cit., p. 415.
19 C.I.J., Affaire relative à l’Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (ci-après Affaire du Génocide), ordonnance du 8 avril 1993, C.I.J., Recueil, 1993, p. 16, par. 25.
20 Voy., e.a., C.I.J., Affaire du Génocide, Recueil, 1993, p. 349, par. 60.
21 Voy. de manière générale l’étude de J. SALMON, Le fait dans l’application du droit international, in Recueil des cours de l’Académie de droit international, 1982-II, tome 175, p. 257-414.
22 Arrêt du 26 novembre 1984, Recueil, 1984, p. 392 et sv.
23 Arrêt du 27 juin 1986, Recueil, 1986, p. 13 et sv.
24 V. notre ouvrage précité Ex-Yougoslavie. Droit international, politique et idéologies, p. 58 et sv.
25 Ch. CHAUMONT, Rapport sur l’institution fondamentale de l’accord entre Etats, in Annales de la faculté de droit et des sciences économiques de Reims, Reims, A.R.E.R.S., 1974, p. 249-250 et M. CHEMILIER-GENDREAU, Introduction générale au droit, Paris, Eyrolles, 1990, p. 54.
26 M. CHEMILIER-GENDREAU, Le rôle du temps..., op. cit.,p. 31 et Humanité et souverainetés. Essai sur la fonction du droit international, Paris, La découverte, 1995, p. 197-198 ; P.F. GONIDEC, Dialectique du droit international et de la politique internationale, in Mélanges Chaumont, Paris, Pedone, 1984, p. 320 ; J. SALMON, Changements et droit international public, in Mélanges François Rigaux, op. cit., p. 427 et sv.
27 J. SALMON, Accords internationaux et contradictions interétatiques, op. cit., p. 67 et sv. ; v. aussi E. GIRAUD, Le droit international public et la politique, in Recueil des cours de l’Académie de droit international, 1963-II, tome 110, p. 502 et sv. ; J. COMBACAU, Le droit international : bric-à-brac ou système ?, in Archives de philosophie du droit, 1986, p. 85-105.
28 La Yougoslavie est en réalité à la fois défendeur (à titre principal) mais aussi demandeur (à titre incident), dans la mesure où elle a introduit une demande reconventionnelle tendant à condamner la Bosnie-Herzégovine pour des actes de génocide perpétrés à l’encontre des Serbes de Bosnie, demande que la Cour internationale de Justice a accepté d’examiner au fond (C.I.J., ordonnance du 17 décembre 1997, Recueil, 1997, p. 241 et sv.).
29 P. DAILLIER et A. PELLET, Droit international public, op. cit., p. 866.
30 V. p. ex. C.I.J., Affaire de l’Anglo Iranian Oil Co., Recueil, 1952, p. 114.
31 La doctrine débat sur le point de savoir si l’obligation de faire cesser la violation constitue une obligation secondaire spécifique, ou s’il ne s’agit que du maintien de la norme primaire violée ; v. à ce sujet C. DEMAN, La cessation de l’acte illicite, in Revue belge de droit international, 1990, p. 476-495.
32 C.I.J., Recueil, 1984, p. 187.
33 C.I.J., Recueil, 1986, p. 16, par. 3.
34 C.I.J., Recueil, 1993, p. 24.
35 Le Président de la Cour avait en revanche écarté l’usage de cette possibilité dans l’affaire de l’Incident aérien de Lockerbie, C.I.J., Recueil, 1992, p. 9, par. 17.
36 V. C.I.J., Recueil, 1993, p. 333-334, par. 10.
37 C.I.J., Recueil, 1993, p. 349-350.
38 C.I.J., Recueil, 1996, p. 598-599.
39 Il s’agit de l’affaire de la Compétence en matière de pêcheries ; v. les ordonnances des 17 août 1972 (C.I.J., Recueil, 1972, p. 12et sv.) et du 12 juillet 1973 (C.I.J., Recueil, 1973, p. 303).
40 Ordonnance du 9 avril 1998 ; texte sur http://www.icj-cij.org/Cijwww/cdocket/cpaus/cpausframe.htm.
41 Il s’agit de l’ordonnance rendue le 10 janvier 1986, dans le cadre de l’affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/Mali), Recueil, 1986, p. 1 et sv. Un conflit armé a éclaté entre les deux Etats quelques semaines après qu’ils aient porté l’affaire devant la Cour, qui leur a demandé, dans son ordonnance, d’y mettre fin immédiatement. L’arrêt sur le fond, rendu le 22 décembre 1986, mentionne que les deux Etats ont conclu un accord de cessez-le-feu le 18 janvier (Recueil, 1986, p. 559, par. 10). Le fait que les deux Etats obéissent aux demandes de la Cour peut s’expliquer par la circonstance qu’ils aient porté de concert l’affaire devant elle, et que l’on ne se trouve en revanche pas dans une situation où un demandeur assigne unilatéralement un défendeur sans avoir obtenu son accord ad hoc.
42 M. CHEMILIER-GENDREAU, Le rôle du temps..., op. cit., p. 35-36 ; Humanité et souverainetés. Essai sur la fonction du droit international, op. cit., p. 85.
43 Voy. l’op. indiv. du juge Weeramantry, CI.J., Affaire du Génocide, Recueil, 1993, p. 374 et sv.
44 Dans l’affaire des Zones franches, la Cour permanente de Justice internationale énonce que « les ordonnances rendues par la Cour, bien qu’étant, en règle générale, lues en audience publique,..., ne décident pas avec force ‘obligatoire’ (art. 59 du Statut) et avec effet ‘définitif’ (art. 60 du Statut) le différend que les Parties ont porté devant la Cour » (C.P.J.I., Sér. A, no 22, p. 13).
45 V. p. ex. PM. DUPUY, Droit international public, Paris, Dalloz, 4ème éd., 1998, p. 495.
46 C.I.J., Affaire des Activités militaires, Recueil, 1986, p. 144 ; Affaire du Génocide, Recueil, 1993, p. 349.
47 Ainsi, dans l’affaire du Génocide, la Cour conclut que la R.F.Y. « doit » se conformer à la Convention interdisant le génocide. Il s’agit bien d’énoncer une obligation qui existe et qui s’applique indépendamment de l’ordonnance.
48 Lettre du Président du 6 juillet 1984 (C.I.J., Recueil, 1986, p. 144, par. 287).
49 Dans l’affaire des Essais nucléaires, la Cour relève l’accusation de l’Australie selon laquelle la France aurait violé l’ordonnance du 22 juin 1973. La Cour ne croit pas utile de répondre à l’allégation (v. C.I.J., Recueil, 1974, p. 259). On retrouve parfois des dénonciations du non-respect d’ordonnances dans des déclarations ou des opinions individuelles ou dissidentes de juges ; v. p. ex. C.I.J., Affaire des Pêcheries, Recueil, 1973, Déclaration du juge Ignacio-Pinto, p. 305.
50 Dans l’affaire du Personnel diplomatique, la Cour « regrette profondément que la situation ayant donné lieu à ces observations [mentionnées dans une ordonnance en indication de mesures conservatoires] n’ait pas été corrigée depuis lors » (C.I.J., Recueil, 1980, p. 42, par. 92).
51 C.I.J., Recueil, 1993, p. 348-349, par. 57. Le juge concerné affirme plus clairement qu’il « regrette de dire que leurs réponses ne [l]’ont guère convaincu que l’une ou l’autre [des parties] se soit conformée aux mesures relatives à la commission d’actes de génocide que la Cour avait indiquées » (op. diss. juge Ajibola, Recueil, 1993, p. 394).
52 C.I.J., Recueil, 1993. p. 349, par. 59.
53 La Cour relève par ailleurs que « depuis que l’ordonnance du 8 avril 1993 a été rendue, et en dépit de cette ordonnance et de nombreuses résolutions du Conseil de sécurité de l’O.N.U., de très vives souffrances ont été endurées et de lourdes pertes en vies humaines ont été subies par la population de Bosnie-Herzégovine dans des circonstances qui bouleversent la conscience humaine et sont à l’évidence incompatibles avec la loi morale ainsi qu’avec l’esprit et les fins des Nations Unies » (C.I.J., Recueil, 1993, p. 348, par. 52).
54 C.I.J., Recueil, 1973, p. 303, par. 7.
55 L’accord est mentionné dans l’arrêt du 25 juillet 1974 ; C.I.J., Recueil, 1974, p. 5.
56 C.I.J., Recueil, 1986, p. 12.
57 Voy. R. HIGGINS, Interim Measures for the Protection of Human Rights, in Columbia Journal of Transnational Law, 1997, p. 101.
58 C.I.J., Recueil, 1991, p. 20, par. 35.
59 Ibid.
60 V. M. WEBER, Sociologie du droit, Paris, P.U.F., 1986 et M. COUTU, Max Weber et les rationalités du droit, Paris, L.G.D.J, Droit et société, 1995.
61 V. notre ouvrage L’utilisation du « raisonnable » par le juge international. Discours juridique, raison et contradictions, Bruxelles, Bruylant et éd. U.L.B., 1997, chap. IV.
62 V. les chapitre I et II de notre ouvrage précité, Ex-Yougoslavie : droit international, politique et idéologies.
63 La Croatie, qui soutient à l’époque les Croates de Bosnie en conflit ouvert contre les autorités centrales, n’est pas mentionnée pour des raisons d’opportunité politique.
64 Voy. C.I.J., Recueil, 1993, p. 346 et sv. C’est en ce sens qu’en 1997, elle s’affirmera compétente pour juger de la validité d’une demande reconventionnelle de la R.F. Y. tendant à condamner la Bosnie-Herzégovine pour génocide à l’encontre des Serbes (v. réf. supra).
65 C’est pour éviter pareille utilisation que la Yougoslavie avait, en vain, demandé de rejeter les demandes de la Bosnie-Herzégovine « parce qu’elles visent le passé et non l’avenir » (C.I.J., Recueil, 1993, p. 335-336, par. 19). Dans sa déclaration jointe à la première ordonnance et son opinion dissidente jointe à la seconde, le juge Tarassov condamne la version des faits retenue par la Cour en considérant qu’elle est favorable à la thèse de Sarajevo (C.I.J., Recueil, 1993, p. 26-27 et p. 450-451) ; v. aussi l’opinion dissidente du juge Kreca (ibid., p. 462).
66 V. C.I.J., Affaire relative à des Questions d’interprétation et d’application de la Convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie, ordonnances du 14 avril 1992, Recueil, 1992, p. 3 et sv.
67 Voy. aussi l’affaire de la Délimitation frontalière, dans laquelle la Cour est contrainte de prendre position sur des faits contestés (ordonnance du 15 mars 1996 ; C.I.J., Recueil, 1996), ce qui permettra au Cameroun d’invoquer l’ordonnance pour condamner l’occupation de la presqu’île de Bakassi par le Nigeria.
68 V. p. ex. son étude, Quelle méthode pour l’analyse des développements récents du droit international ?, in R. Ben Achour et S. Laghmani (éds.). Les nouveaux aspects du droit international, Paris, Pedone, 1994, p. 15-30.
69 C.I.J., Recueil, 1993, p. 344-345, par. 41.
70 Voy. la mention de cette phase de la procédure dans l’arrêt rendu sur les exceptions préliminaires ; C.I.J., Affaire des Actions armées frontalières et transfrontalières, Recueil, 1988, p. 72, par. 10.
71 V. p. ex. M. CHEMILLIER-GENDREAU, Humanité et souverainetés. Essai sur la fonction du droit international, op. cit.
72 Voy. p. ex. B. BADIE et M.C. SMOUTS, Le retournement du monde. Sociologie de la scène internationale, op. cit., not. p. 14 et sv.
73 Voy. e. a. B. BADIE, La fin des territoires. Essai sur le désordre international et sur l’utilité sociale du respect, Paris, Fayard, 1995, p. 190 et sv.
74 Le rôle du temps, op. cit., p. 45.
75 V. les réflexions de J.M. SOREL, Les ordonnances de la Cour internationale de Justice dans l’affaire relative à des questions d’interprétation et d’application de la Convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie, in Revue générale de droit international public, 1993, p. 723-725.
76 V. notre étude, Droit, force et légitimité dans une société internationale en mutation, in R.I.E.J., 1996. no 37, p. 102 et sv.
Auteur
Maître de Conférences à l’U.L.B.
Centre de droit international et de sociologie appliquée au droit international.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Imaginaire et création historique
Philippe Caumières, Sophie Klimis et Laurent Van Eynde (dir.)
2006
Socialisme ou Barbarie aujourd’hui
Analyses et témoignages
Philippe Caumières, Sophie Klimis et Laurent Van Eynde (dir.)
2012
Le droit romain d’hier à aujourd’hui. Collationes et oblationes
Liber amicorum en l’honneur du professeur Gilbert Hanard
Annette Ruelle et Maxime Berlingin (dir.)
2009
Représenter à l’époque contemporaine
Pratiques littéraires, artistiques et philosophiques
Isabelle Ost, Pierre Piret et Laurent Van Eynde (dir.)
2010
Translatio in fabula
Enjeux d'une rencontre entre fictions et traductions
Sophie Klimis, Laurent Van Eynde et Isabelle Ost (dir.)
2010
Castoriadis et la question de la vérité
Philippe Caumières, Sophie Klimis et Laurent Van Eynde (dir.)
2010