Le droit divin des canonistes et le droit naturel des juristes : des facteurs stabilisateurs en asymétrie
p. 213-253
Texte intégral
SOMMAIRE :
1Introduction
2I. Le droit divin — naturel et révélé — canonique
- Le droit divin, dimension immuable du droit canonique
- L’historicité et la mutabilité du droit canonique
- L’articulation entre le droit divin et le droit humain dans l’Église
- Le droit naturel en droit canonique
3II Le droit naturel dans l’ordre juridique étatique : un dialogue de sourds ?
- Le droit naturel dans la doctrine juridique belge
- Perpectives d’avenir pour le droit naturel classique : des références explicites aux manifestations implicites
4III. Réflexions comparatives et conclusives
Introduction
5L’accélération du temps juridique est-il l’apanage du droit étatique ? Ne fût-ce que par ses nombreux contacts avec ce dernier, dont il reprend parfois des matières entières (par exemple, la matière des contrats et des obligations)1, ou par le biais des techniques, entre autres informatiques, qui révolutionnent aussi la pratique du droit dans l’Église, on peut soutenir la thèse de l’accélération du « temps canonique ».
6Bon nombre des sujets qui sont abordés dans le cadre de ce Séminaire pourraient être étudiés également du point de vue du droit ecclésial catholique. On y retrouve, par exemple, des efforts comparables en vue d’accélérer le rythme des procès matrimoniaux, notamment en offrant la possibilité d’entamer une procédure documentaire pour obtenir plus rapidement une déclaration de nullité de mariage flagrante2. On note aussi la présence d’éléments sans pareil en droit étatique, telle l’absence de force jugée formelle en matière d’état des personnes. Cette particularité du système canonique, justifiée par l’attention extrême qu’il porte aux personnes et au sacrement concernés, rend toujours possible, lorsque de nouveaux arguments sérieux peuvent être fournis, un ultérieur recours devant le juge ecclésiastique pour demander une révision d’une sentence, même lorsque, après l’épuisement des recours ordinaires ou leur prescription, celle-ci est devenue définitive3.
7On pourrait ainsi passer en revue une infinité d’institutions qui, dans les différentes branches du droit canonique, freinent ou accélèrent le temps juridique. Telle n’est cependant pas la méthode que nous avons choisie. Nous avons préféré mettre en relief sa capacité au changement dans la continuité, l’un des éléments les plus caractéristiques du droit canonique, pour nous attacher à l’étude de son principal facteur de stabilisation. Dans cette introduction, quelques repères historiques nous suffiront pour donner un bref aperçu de l’importance des mutations opérées dans les sources canoniques et de l’accélération qui s’en dégage.
8Gratien est généralement considéré comme le père de la science canonique. Son Décret (1140), mettant en concordance décrétales pontificales et canons conciliaires, a été comparé au Digeste. Plus tard, à cette œuvre du maître de Bologne s’ajouteront les Décrétales de Grégoire IX, le Sexte de Boniface VIII et les Clémentines de Jean XXII (1314-1317). Le Corpus Iuris Canonici ainsi composé constituera le pendant canonique du Corpus Iuris Civilis et la principale source de droit de la chrétienté médiévale4. Les deux Corpus formeront ensemble la science juridique de l’utrumque ius5. Alors qu’au XVIIIe siècle, l’autorité du ius commune fut mise en question par la science juridique séculière, sur le plan canonique, le Corpus restera en usage jusqu’au début du XXe siècle, dans un contexte pourtant culturellement et religieusement très différent.
9Après une telle stabilité pluriséculaire des sources de droit — compensée par la souplesse de leur application provenant notamment du recours à l’équité et d’un certain choix de solutions —, le siècle que nous terminons semble, apparemment du moins, se caractériser par une nette accélération de l’activité législative de l’Église6 : une première codification (au sens moderne du terme) a lieu en 1917 ; une seconde suit en 1983 (et en 1990 pour la partie orientale de l’Église catholique)7. Or, il faut savoir que la promulgation d’un Code de droit canonique représente une entreprise gigantesque qui équivaudrait, au plan étatique, au renouvellement, en une fois et en un seul volume, des différents Codes et, dans une certaine mesure, de la Constitution ! C’est, en effet, l’ensemble de la Lex Ecclesiae positiva qui s’est métamorphosé, le 25 janvier 1983, sous la signature de Jean-Paul II. Le pontife romain concluait ainsi la révision du Code précédent, annoncée par Jean XXIII et mise en œuvre par Paul VI. Le résultat n’est pas seulement une mise à jour de l’ancien Code, mais un profond renouveau de la législation ecclésiale, dans le sillage du Concile Vatican II et de son ecclésiologie de communio8.
10Le droit canonique avait besoin de ce nouvel élan, car le Code de 1917, qui avait été l’objet de tant d’exégèses, cessa progressivement d’être appliqué, avant de devenir presque inapplicable. Pendant des décennies, cette situation paralysa l’efficacité du droit canonique, tout en provoquant une inévitable production réglementaire en ordre dispersé, qui entravait aussi bien la qualité de formalisation juridique souhaitable que le respect effectif de la hiérarchie des normes. La formulation rigoureuse des canons, ainsi que le caractère illusoire des possibilités d’introduire des modifications et des ajouts, expliquent en partie la déficiente application de ce qui constituait, par ailleurs, un véritable monument juridique et un progrès méthodologique par rapport aux anciennes compilations.
11Depuis 1983, le droit canonique est en relatif essor9, même s’il se heurte encore à certains courants intra-ecclésiaux qui sont, en définitive, peu juridiques, en raison notamment de leur singulière conception de la pastorale et de la charité évangélique10. De telles objections devraient pourtant être vite dissipées dès lors qu’on prendra en compte comme il se doit la finalité même du droit canonique : le « salut des âmes » (can. 1752). Il tombe alors sous le sens que, par « canonistes », il faut entendre des juristes qui s’occupent des relations de justice au sein de l’Église, dans la perspective pastorale susmentionnée, sans qu’une réduction de leur fonction au sens strictement étymologique d’experts en règles ou canons soit fondée. La science canonique apparaît ainsi dans sa double dimension à la fois « sacrée » (ou théologique au sens large) et juridique.
***
12L’observateur du phénomène canonique sera sans doute aussi frappé par la continuité dont celui-ci témoigne au travers de ses mutations. D’où ce droit tient-il son aptitude à vivre son historicité et sa mutabilité sans perdre son identité et sa spécificité, non seulement au fil des siècles mais au terme d’un second millénaire ? Le plus important facteur de stabilisation du droit du Peuple de Dieu est sans aucun doute le droit divin. Cette véritable clef de voûte de la structure juridique de l’Église s’avèrera peut-être aussi être une source de réflexion utile aux juristes séculiers, en se prêtant à une comparaison avec le rôle du droit naturel dans l’ordre juridique étatique.
13D’où la structure tripartite de cette contribution. Nous commencerons par préciser, au plan canonique, les frontières de l’immuable ainsi que l’imbrication de la dimension divine et de la dimension humaine du droit de l’Église. Puis nous aborderons la question du droit naturel dans l’ordre canonique. Dans la seconde partie, nous livrerons quelques réflexions sur la place du droit naturel en droit étatique, en dialogue avec la philosophie du droit contemporaine. Il y sera notamment question du rôle que pourrait jouer le droit naturel classique — souvent éclipsé par le droit naturel rationaliste des modernes —, y compris dans une société pluraliste, non confessionnelle et sécularisée. Ces portraits des facteurs stabilisateurs primordiaux de deux systèmes juridiques en évolution permettront de tirer, dans la troisième partie, quelques conclusions comparatives quant à leur asymétrie apparemment croissante ainsi que sur les effets prévisibles de cette évolution, si elle devait se confirmer, sur la société elle-même.
I. Le droit divin - naturel et révélé - canonique
14S’il y a, indéniablement, une historicité des structures juridiques ecclésiales, leurs modifications s’opèrent dans la continuité, qui se mesure par rapport à un noyau immuable sans lequel l’Église ne serait plus elle-même. Ce noyau est le « critère d’authenticité »11 de toute évolution du Peuple de Dieu. Lorsqu’on le considère du point de vue juridique, il porte l’appellation classique de droit divin12.
1. Le droit divin, dimension immuable du droit canonique
15Poser la question de l’immutabilité du droit de l’Église revient donc à se demander quel est le droit divin ecclésial. Le droit divin a notamment été défini comme « l’ensemble des facteurs juridiques qui ont Dieu comme auteur et auxquels les normes du droit canonique humain sont subordonnées, de telle sorte que ces dernières manquent complètement de valeur si elles sont contraires au droit divin »13. La plupart des définitions actuelles soulignent que le droit divin est à la fois « fondement », « principe informateur » et « clause-limite » du droit humain. Dès lors, il ne faudrait pas se représenter le droit divin comme s’il s’agissait surtout d’un carcan réducteur de la liberté humaine14. Le ius divinum est aussi fondement et principe inspirateur, qui stimule et indique des principes et des orientations, qu’il reviendra au juriste et au législateur de déterminer, mettre en œuvre, en faisant souvent un véritable travail « inventif ». Comme cette activité humaine se fonde sur un ensemble de réalités juridiques qui sont permanentes dans l’Église, il ne s’agit ni d’une œuvre purement créatrice — le droit divin est préexistant — ni d’une simple concrétisation15 de données abstraites. Le « critère d’authencité » synthétise, en quelque sorte, la trilogie (fondement, principe informateur et clause-limite) qui caractérise le droit divin.
16Pour éviter un éventuel malentendu dans la suite de notre réflexion, il y a lieu de préciser que le concept de droit divin doit être préservé de la réduction normativiste qui le menace tout autant que le droit humain. Cette affirmation ne saurait être saisie dans toute sa portée que si on la situe dans le contexte du réalisme juridique classique16. Sous cet angle, la loi ne peut être confondue avec le droit. Qu’elle soit divine (révélée ou naturelle) ou humaine, canonique ou étatique, la loi ne constitue que la cause, la règle ou la mesure du droit. Le droit est, quant à lui, la chose juste : le bien, la faculté, la prestation... attribué ou reconnu en justice à un titulaire. Que ce soit dans un contexte ecclésial ou séculier, le « sien » de tout titulaire doit lui être donné ou rendu. Alors que le juriste évalue « le juste » et veille à sa protection ainsi qu’à sa réalisation par d’autres, la personne juste, au sens de la vertu particulière, est celle qui accomplit les actes de justice, donne au « créancier » (pris ici au sens le plus large) ce qui lui est dû, et ajuste de cette manière les rapports entre les sujets.
17Si l’on applique cette conception du droit à notre thématique, l’on comprend aisément que, loin de se réduire à la loi divine (par exemple, les préceptes du genre « tu ne tueras pas »), le droit divin englobe tous les éléments juridiques qui sont permanents selon le dessein divin pour l’Église. Outre les normes ou formulations divino-positives, il comprend aussi les rapports de justice, les structures ecclésiales ainsi que les biens salvateurs qui, en vertu des prescrits de la Raison divine, sont dus en justice au sein de la communauté catholique. Dans cette optique, le droit divin ne se profile plus avant tout comme un ensemble de règles immuables. Il apparaît plutôt comme la totalité des « res iustœ », des biens qui, par institution divine, sont dus en justice aux fidèles et, en définitive, à l’Église elle-même.
18Un bon exemple de ce noyau fondamental de la juridicité ecclésiale nous est donné au canon 213 du Code. Cette disposition reconnaît un droit fondamental de tous les fidèles à recevoir des ministres ordonnés l’aide provenant des biens spirituels, surtout de la parole de Dieu et des sacrements. L’annonce authentique de l’Évangile et l’administration des sacrements selon le droit aux fidèles qui y sont bien préparés constituent autant de choses justes d’institution divine. Ces droits divins sont immergés dans des règles et des structures qui, en revanche, sont de droit humain et, à leur tour, sont une source de rapports juridiques.
19La Révélation divine — Écriture sainte et Tradition — interprétée authentiquement par le magistère ecclésiastique17, lui-même assisté à des degrés divers par l’Esprit Saint, dévoile progressivement des contenus du plan divin éternel18. C’est toute la question du progressif dévoilement du « permanent » au sein même du mystère de l’Église. Mis à part les préceptes et les commandements, la conscience ecclésiale a pu, au fil du temps, dégager bien d’autres aspects du noyau immuable. Il suffit de penser, par exemple, à la différence essentielle entre le sacerdoce ministériel et le sacerdoce commun des fidèles, au primat du romain pontife en tant qu’unique successeur de Pierre, au collège des évêques succédant au collège des apôtres, ou encore à l’évêque, tête nécessaire de l’Église particulière qui lui est confiée. On songera encore à certains dogmes définis (par exemple, l’existence de sept sacrements, institués par le Christ, conférant la grâce19 Ces contenus d’origine divine, qui permettent à l’Église catholique de rester elle-même, tant dans ses rapports avec le monde que dans ses tentatives de rapprochements œcuméniques considérés dans leur dimension juridique, forment le droit immuable.
20Dieu n’est pas sujet au changement ni au caprice, car il est Acte pur et se trouve, dès lors, en dehors du temps. Ses desseins, même s’ils font appel à la réponse libre des personnes humaines souvent versatiles, sont donc permanents. La théologie nous enseigne aussi que la Sagesse divine comprend et prévoit de façon absolue, sans nécessité de revoir ses plans, tout en veillant à respecter la liberté humaine d’adhésion à ces desseins. En effet, s’il venait à être dépouillé de sa capacité de libre choix rationnel, l’homme ne pourrait plus répondre aux attentes de l’Amour divin en tant que créature faite à l’image et à la ressemblance de Dieu.
21À ce propos, on précisera que, si le droit divin est immuable et indérogeable, il a parfois été confondu avec des expressions juridiques portant sur des éléments humains qui sont, quant à eux, dérogeables et sujets à évolution. De ce point de vue, il faudrait distinguer des degrés à l’intérieur de ce qui est présenté comme étant de droit divin, de manière analogue à ce qui se passe dans l’exercice de la fonction d’enseignement (munus docendi) : les doctrines magistérielles, selon le cas, engagent, plus ou moins, l’autorité de l’Église. À ce propos, il faut bien reconnaître que la qualification « de droit divin » n’a pas toujours été utilisée avec la rigueur souhaitable et ne possède pas nécessairement la valeur prétendue20. Or, comme le signalait Lombardίa, les deux risques fondamentaux consistent, d’une part, à s’écarter du dessein divin (ce qui rendrait stériles tous les progrès techniques du droit canonique) et, de l’autre, à qualifier de dessein divin ce qui n’est rien d’autre que sa formulation historique concrète21.
22Un exemple de qualification critiquable de la part du législateur canonique se trouve dans le canon 113, § 1 du Code de 1983. Cette disposition, reprise au canon 100, § 1 du Code de 1917, stipule que « l’Église catholique et le Siège Apostolique ont qualité de personne morale de par l’ordre divin lui-même ». Or, le concept de « personne morale » ne se situe pas au plan fondamental mais relève de la technique scientifique humaine. Par ailleurs, loin d’être un point acquis depuis toujours, il semble lié à des circonstances historiques bien concrètes. Une étude a pu établir que cette affirmation ne remonte qu’à une allocution de Pie IX en date du 8 décembre 185422. L’assertion en question s’inscrit dans le contexte concret de la prise de conscience, à cette époque-là, de ce que la personnalité juridique de l’Église et du Siège Apostolique pouvait, pour les uns, se défendre et, pour les autres, être rejetée. Il y a donc lieu de préciser chaque fois s’il est question d’une institution de droit divin, ou si l’on veut simplement affirmer que telle solution a un fondement ou une origine de droit divin, ou encore si l’on se limite à reconnaître qu’une norme déterminée est conforme au droit divin ou, à tout le moins, qu’elle n’est pas incompatible avec celui-ci.
23Cette difficulté de qualification se présente aussi en matière d’empêchements au mariage. Que ce soit à propos de la notion même d’empêchement ou de la détermination des empêchements de droit divin, la doctrine canonique est loin d’être unanime23. De manière significative, l’autorité ecclésiastique compétente se réserve le droit de déclarer authentiquement les empêchements de droit divin à l’exercice du droit au mariage (cf. can 1705, § 1). Un autre exemple, tiré du droit matrimonial, nous est fourni par le dol qui peut être prouvé, entre autres, en cas de silence d’un conjoint à propos de sa stérilité (cf. can. 1084, § 3). Ce chef de nullité, qu’un certain nombre de législations civiles n’ont pas encore introduit, a donné lieu à un débat dont l’enjeu est loin d’être purement académique. C’est la question de sa rétroactivité qui est posée, avec des conséquences importantes pour les procès : si le dol est une cause de nullité de droit divin naturel, il est applicable aux mariages conclus avant l’entrée en vigueur du Code de 1983. Dans le cas contraire, s’agissant d’une institution de droit humain, il ne vaut qu’à l’endroit des mariages célébrés ultérieurement. Les discussions doctrinales qui s’ensuivirent témoignent de la difficulté de trancher ce genre de questions24.
24Cependant, les difficultés inhérentes au dévoilement du droit divin, aussi sérieuses soient-elles, sont techniquement surmontables. Elles demeurent localisées à quelques domaines bien déterminés et ont, par ailleurs, le mérite de rappeler l’existence du droit divin, tout en manifestant son étroite imbrication dans le droit humain. Sous cet angle, le droit matrimonial canonique illustre clairement cette absence de cloisonnement étanche entre le divin et l’humain et assure la protection de la dignité du mariage classique, connu sous le nom d’institution naturae25. Loin de se cantonner au domaine du mariage, le droit divin concerne, bien que dans des proportions variables, l’ensemble du droit canonique.
2. L’historicité et la mutabilité du droit canonique
25Les pages précédentes ont présenté le droit divin comme la dimension immuable du droit canonique. Il ne faudrait pas en conclure, par un simple effet de symétrie, que l’historicité du droit canonique partagerait pleinement le sort de la mutabilité de celui-ci et concernerait, dès lors, uniquement le droit canonique humain. Ces deux aspects méritent une approche spécifique.
26Nous commencerons par l’historicité. Le droit canonique est une réalité complexe qui n’apparaît dans toutes ses nuances que lorsqu’il fait l’objet d’une approche systémique unitaire, attentive à l’imbrication entre le divin et l’humain. L’ecclésiologie a bien montré l’analogie entre les données christologiques et la dimension juridique de l’Église. Dans la personne du Christ, la nature divine s’est unie définitivement à la nature humaine par l’Incarnation. De manière analogue — le Concile Vatican II l’a souligné à juste titre —, l’Église est à la fois une « société organisée hiérarchiquement » et un « Corps mystique », tout en constituant « une seule réalité complexe, faite d’un double élément divin et humain »26. Il n’est donc pas étonnant qu’au plan de sa vigueur, le droit divin trempe dans l’histoire, tout comme la nature divine y a fait, elle aussi, son entrée.
27Si l’historicité du droit divin est une chose, sa mutabilité en est une autre. En effet, ce qui change dans le temps, ce n’est pas la réalité de droit divin mais bien la dimension juridique humaine qui prolonge le ius divinum, que ce soit en raison de la formulation de ce dernier dans les termes du droit humain ou de son application à des circonstances spatio-temporelles nouvelles. Nous touchons ici l’un des aspects du droit divin les plus problématiques, que nous retrouverons plus tard à propos de l’articulation entre le droit naturel et le droit étatique. L’immutabilité du plan éternel de la Trinité pour l’humanité ne contredit pas sa dimension historique. Dans le domaine ecclésial, nous pouvons fixer le début du droit — en tant que phénomène saisissable par les hommes — au moment de la fondation de l’Église par le Christ27.
28Le dessein éternel de Dieu pour son Peuple (considéré dans ses aspects juridiques) est historique, car il devait pouvoir être découvert par ses destinataires et, une fois connu, formulé juridiquement, afin d’être appliqué ou protégé efficacement. L’Incarnation du Verbe permet la communication fondatrice de l’Église et de son droit. En assumant la condition humaine, tout en restant Dieu, il pénètre dans l’histoire et, pendant un laps de temps bien déterminé, il y insère le noyau essentiel des structures et normes juridiques de l’Église, laissant aux chrétiens le soin de s’atteler eux-mêmes à la tâche de la décantation du droit, notamment sous sa forme de législation formelle. Il lègue à Pierre et à ses successeurs, à travers le pouvoir des clefs, le pouvoir de gouvernement suprême dans l’Église, qui comporte la triple fonction législative, exécutive et judiciaire28. Rappelons à ce propos que les tria munera peuvent être exercés par les mêmes personnes, par exemple le pape et l’évêque diocésain, même si ce sera souvent à travers leurs vicaires. Ces fonctions ne doivent donc pas être perçues dans le sens de trois pouvoirs auxquels devrait s’appliquer le principe de stricte séparation tel qu’il est prôné par Montesquieu29.
29La production des normes canoniques s’exerce de manière historique, en tenant compte, à chaque époque, des techniques et de la culture juridiques ainsi que des besoins et des caractéristiques de l’Église et du monde. C’est ainsi que, sur le plan de la technique législative, il faudra attendre l’éclosion des codes étatiques du XIXe siècle, en particulier celui de Napoléon, pour voir apparaître, au XXe, les codes canoniques qu’avait déjà appelés de ses vœux, dans une certaine mesure, le Concile Vatican Ier30.
30Si, de la forme, nous passons au fond, on remarque qu’à côté des structures et des contenus définitifs et permanents — de droit divin —, auxquels nous avons déjà fait allusion31, apparaissent aussi des contenus de droit humain. Dans le domaine de l’organisation hiérarchique de l’Église, par exemple, on opposera la nécessité des Églises particulières (« c’est en elles et à partir d’elles qu’existe l’Église une et unique »)32, présidées par un évêque (office capital), à la contingence des modalités des structures pastorales concrètes, qui présentent une extrême variété et ne réunissent pas nécessairement tous les éléments constitutifs requis par le concept théologique d’Église particulière. Notre époque se caractérise par l’émergence des structures pastorales de type personnel (diocèse personnel, ordinariat militaire, prélature personnelle...) à côté des plus anciennnes structures territoriales et, en particulier, de la figure emblématique de l’Église particulière qu’est le diocèse33. Manifestement, il ne s’agit pas là de principes d’organisation de droit divin, mais bien d’une option ecclésiale prise par les Pères du Concile Vatican II, qui tient compte de la situation contemporaine de mobilité croissante et des besoins pastoraux nouveaux qui en découlent. Par delà la diversité des formulations et des choix historiques, qui ne remettent pas en cause les éléments de droit divin, c’est la recherche du salut des âmes qui est la caractéristique constante du droit canonique. Quant aux moyens concrets à mettre en œuvre, dans ce domaine comme dans tous les autres, ils sont passés au crible des critères spatio-temporels.
31A cet effet, le principe de subsidiarité remplit une fonction non négligeable, dans la mesure où il permet, dans le respect du droit canonique universel, de tenir davantage compte des particularités régionales. Beaucoup de normes, en effet, sont confiées par le législateur universel au soin des Conférences des évêques pour leur territoire (le plus souvent un pays)34, ou relèvent du pouvoir législatif propre des évêques pour leur diocèse, ou encore, sont régies par les statuts propres des personnes juridiques de l’Église, etc.
3. L’articulation entre le droit divin et le droit humain dans l’Église
32Le moment est venu d’aborder le nœud gordien de cette première partie : comment les canonistes expliquent-ils le lien entre droit divin et droit humain ? Si l’on fait abstraction de nombreuses étapes intermédiaires et d’intéressantes nuances de diverses provenances, l’on peut se risquer à synthétiser la conception du droit divin selon la doctrine canonique du XXe siècle, en attirant l’attention sur deux moments essentiels : 1 ) la théorie de la canonizatio de Vincenzo del Giudice ; 2°) les concepts de positivation et de formalisation du droit divin introduits par Javier Hervada.
1) La théorie de la canonizatio de Vincenzo Del Giudice
33Même si certaines influences de type volontariste n’ont pas manqué, notamment dans le sillage de courants nominalistes, on peut affirmer que la doc trine canonique traditionnelle présentait le plus souvent la loi divine comme le fruit de la Raison divine (et pas seulement de la Volonté de Dieu). Conformément à l’idée traditionnelle de la participation de la raison humaine à celle de Dieu, l’on faisait dériver les normes humaines de la loi divine, par voie de conclusion et de détermination, de telle manière que toute norme humaine incompatible avec cette dernière était taxée de simple apparence de loi ou de corruptio legis. Si certains canonistes du XXe siècle (dont le louvaniste A. Van Hove)35 ont émis certaines réserves concernant le caractère juridique de la loi divine, ils se gardaient bien de remettre en cause son caractère moralement obligatoire pour le législateur ecclésiastique. Il existait donc un consensus entre canonistes sur l’origine transcendante36 du droit et sur le caractère obligatoire du droit divin37.
34Tout en admettant, lui aussi, le caractère moralement obligatoire du ius divinum, V. Del Giudice, avec sa formation de juriste laïque rompu à la technique juridique civile, entend faire bénéficier le droit canonique des apports techniques de l’École dite « dogmatique italienne ». Compte tenu des limites qu’accuse le développement technique et scientifique du droit canonique de l’époque, ce souci est tout à fait louable. Il s’agit essentiellement de dépasser la simple « exégèse » des règles canoniques en élevant les normes juridiques au rang de « système »38. Comme c’est le cas en droit séculier, il y a lieu de construire le système canonique matrimonial, processuel, patrimonial, pénal, etc. À cet effet, V. del Giudice39 recourt à la théorie de l’ordinamento giuridico forgée par Santi Romano40.
35Pour justifier l’insertion des normes divines dans l’ordre canonique, il introduit la notion de canonizatio, selon laquelle seul un acte du législateur, conforme aux règles de procédure canonique, est à même de transformer une norme divine en norme juridique efficace dans l’ordre canonique. Toutefois, vu son acceptation du caractère moralement obligatoire des normes divines, le législateur canonique en reçoit les contenus matériels. Nous ne sommes donc pas en présence d’une rébellion contre la transcendance, mais bien face à une conception du droit qui, à défaut de reconnaître le caractère intrinsèquement juridique des normes divines, requiert un acte de réception formelle de la part du législateur humain pour couler le critère divin en forme de règle ou « canon » : c’est la canonizatio. En ce sens, cette théorie opère une radicalisation positiviste dans la mesure où elle fait dépendre d’un acte de l’autorité ecclésiastique l’efficacité juridique de la volonté divine, ce qui n’était certainement pas la position de la doctrine traditionnelle.
36La thèse de la canonizatio, qui provient des Facultés de Droit italiennes, sera acceptée, à quelques exceptions près41, par la doctrine canonique de ce pays-là. Mais une conception aussi positiviste avait-elle la possibilité de s’imposer dans l’Église ? En réalité, une « canonisation » du droit divin qui serait comprise comme fonction déclarative de la norme juridique, et non plus constitutive comme c’est le cas de la théorie que nous venons d’aborder, serait compatible avec la nature de l’Église42. Le mérite revient à l’auteur que nous aborderons ensuite de parvenir à épurer cette conception de la norme de tout ce qu’elle avait d’incompatible avec l’ecclésiologie, tout en gardant non seulement le concept d’ordre juridique, mais aussi Futile know how de la technique juridique civile.
2) Les concepts de positivation et de formalisation du droit divin selon J. Hervada
37Le disciple du professeur Pedro Lombardía, qui devint ensuite son plus étroit collaborateur, renoue avec la tradition non-positiviste tout en la renouvelant. Bénéficiant des lumières que son maître a pu lui procurer suite à sa première « conversion méthodologique », à savoir la reconnaissance du caractère juridique du droit divin naturel et révélé43, Javier Hervada élabore un concept d’ordre juridique novateur par rapport à celui que nous venons d’exposer44. L’innovation se situe avant tout au plan de la conception du droit : d’une part, le droit canonique intègre en un système unique le droit divin et le droit humain ; la juridicité du droit divin n’est dès lors pas liée à une canonisation par l’autorité ecclésiastique ; d’autre part, il y a lieu de dépasser les horizons réducteurs du normativisme pour arriver à une conception plus large du droit et de l’ordre canonique, qui prenne en compte non seulement les règles mais aussi les institutions, les structures et les relations juridiques ecclésiales. Sur la base de ces prémisses, Hervada élabore alors les notions de positivation et de formalisation du droit divin45.
38Comment le droit divin entre-t-il en vigueur dans le domaine ecclésial ? L’imbrication entre le divin et l’humain, l’entrelacement de l’éternel et du temporel, auquel nous avons déjà fait allusion, suppose un processus historique. Les normes voulues par la Raison divine et, en ce qui concerne l’Église, les directives données par le Christ, sont déjà des normes ou des structures juridiques obligatoires. Toutefois, leur entrée en vigueur est liée à une certaine forme de « promulgation » produisant une prise de conscience par la communauté ecclésiale de ces dimensions de justice. L’entrée en vigueur du droit divin est donc bien historique. Comment la « promulgation » du droit divin a-t-elle lieu ? Hervada distingue, à cet égard, le droit divin naturel et le droit divin positif (même si, en accord avec la doctrine contemporaine, il admet aussi l’expression « droit divin révélé », incluant le droit naturel). Selon lui, le droit naturel est promulgué par le Créateur dans la nature humaine. Quant au droit divin positif (ou révélé), il est promulgué par la Révélation46.
39Dans cette perspective, pour devenir une norme juridique humaine, la norme divine ne doit pas nécessairement faire l’objet d’une canonizatio, au sens où l’entend Del Giudice. Une prise de conscience de la part du Peuple de Dieu suffit : la positivation. Cette prise de conscience peut se manifester, non seulement sous la forme d’une norme canonique humaine, mais aussi selon de multiples autres modalités : sentence judiciaire, reconnaissance par la doctrine, coutume canonique, déclaration du magistère ecclésiastique, sensus fidei des fidèles47, etc. Nombreuses et diversifiées sont donc les voies d’intégration d’exigences de justice dans la vie de l’Église. Tout en montrant qu’on n’échappe pas aux références transcendantes et à la « non-autonomie » du droit canonique, cette analyse permet d’éviter tout réductionnisme normativiste dans le domaine canonique, aspect auquel le canoniste navarrais se montrera de plus en plus sensible au fil du temps.
40Lorsque le processus de positivation du droit divin se déroule idéalement, il aboutit — après un éventuel stade intermédiaire de pré-formalisation — à la formalisation. Ainsi, une exigence de justice est juridiquement formalisée lorsqu’elle satisfait aux critères techniques-scientifiques de formulation et de protection juridique qui lui procure l’efficacité canonique souhaitable. Cette dernière théorie dote l’ordonnancement canonique des ressources apportées par les techniques juridiques modernes séculières, sans comporter l’inconvénient d’une incompatibilité avec l’esprit du droit de l’Église. Selon cette doctrine, qui est sans doute celle qui jouit de la plus large acceptation au sein de la « canonistique » contemporaine, le droit divin se présente donc nécessairement au droit humain en tant que son fondement, son principe inspirateur et sa clause-limite. Cela correspond à la position du législateur canonique qui, à propos du renvoi aux lois civiles (par exemple, dans le domaine des contrats), établit la règle suivante : « les lois civiles auxquelles renvoie le droit de l’Église doivent être observées en droit canonique avec les mêmes effets, dans la mesure où elles ne sont pas contraires au droit divin et sauf disposition autre du droit canonique »48.
41La doctrine récente — y compris Hervada — met l’accent sur le fait que le droit divin ne doit pas être considéré comme une entité statique et séparée du droit humain. En réalité, le droit divin à l’état pur n’existe pas, pas plus que le droit canonique exclusivement humain. Le droit divin n’a d’existence effective qu’en union avec le droit humain — sa détermination ou sa conclusion —, dont elle reçoit ainsi une touche d’historicité. Si bien que le droit divin n’est pas envisageable séparément du droit humain. La réalité du phénomène canonique, en effet, se présente sous la forme d’une imbrication tellement étroite de ces deux dimensions qu’elle ne forme qu’un seul système juridique. Il existe un seul ordre juridique canonique, qui peut être observé tant dans sa dynamique (la formation et l’extinction de relations juridiques) que dans sa forme statique (les droits et les devoirs existants ainsi que les structures actuelles).
42C’est pourquoi, hormis ce qui concerne le noyau juridique essentiel, il serait déplacé de tenter une démarcation nette et durable entre ce qui est immuable (tout en étant historique par rapport au Peuple de Dieu) et ce qui est sujet à évolution dans l’espace et dans le temps. En ce sens, le droit divin reste un « mystère », qui appelle à poursuivre son progressif dévoilement. Ceci dit, bien que sa validité ne provienne pas de la « canonisation » du législateur, la norme divine en appelle à l’activité humaine comme son prolongement nécessaire en vue d’obtenir sa positivité (détermination, conclusion...) et son efficacité dans l’ordre canonique (la sanction de la norme desservant tant sa dimension divine que sa réalité humaine).
4. Le droit naturel en droit canonique
43A propos du droit naturel, il y a lieu de s’interroger sur l’apport potentiel de la science canonique à la science juridique étatique. Les échanges, qui ont été si fructueux dans le passé et qui se poursuivent sur des questions concrètes (un historien rappelait dernièrement, dans le cadre de cette Faculté de droit, le rôle joué par les canonistes à l’origine de la clause contractuelle rebus sic stantibus)49, devront-ils à l’avenir porter aussi sur la question du fondement ? Le droit canonique serait-il investi également de la mission de conservation d’une certaine sagesse ou expertise en humanité, ainsi que d’une certaine tradition et culture juridique qui serait en déclin ou peut-être même en voie de disparition ? Lorsque, en effet, le droit naturel classique, pâtissant souvent d’une confusion avec le droit naturel moderne, est progressivement banni du domaine du droit séculier par un certain nombre d’auteurs imprégnés d’immanentisme et de positivisme légaliste — à tout le moins comme source de droit explicite —, le droit canonique se présente à l’« exilé » comme une « terre d’accueil » sur laquelle il n’a jamais été déclaré persona non grata. Seul le courant minoritaire, dont nous avons parlé à propos de la théorie de la canonizatio (le « positivisme canonique »), a tenté d’en faire abstraction, en conditionnant la valeur juridique du droit naturel à sa réception formelle (constitutive) par le législateur. Mais cette thèse, qui n’avait pas rompu les amarres avec la tradition du droit divin moralement obligatoire — mutatis mutandis, elle est assez proche de la conception du droit chère à J. Dabin50 — ne réussit pas à s’imposer. La science canonique s’est toujours maintenue dans le droit fil de la tradition du ius commune. Le contraire eut d’ailleurs été surprenant puisque, comme en témoigne le célèbre passage paulinien faisant état de la loi inscrite par Dieu dans le cœur humain (Rm 2, 14-16), la doctrine de la loi naturelle fait partie de la Révélation. La patristique — notamment S. Augustin — et le magistère confirment cette doctrine51.
44La question qui se pose en droit canonique n’est donc pas celle du caractère obligatoire du droit naturel mais bien celle de son rôle spécifique. Le recours explicite au ius naturae est justifié dans un certain nombre de domaines du droit ecclésial ayant la nature humaine pour point de référence. Deux exemples rendront cette affirmation évidente : la bonne réputation et l’intimité sont tous les deux des biens naturels dus en justice. Ces droits naturels sont formalisés au canon 220 du Code de droit canonique : « il n’est permis à personne de porter atteinte d’une manière illégitime à la bonne réputation d’autrui, ni de violer le droit de quiconque à préserver son intimité ». Nous sommes en présence de droits humains devant être respectés dans tout ordonnancement juridique et dont la formalisation canonique se base sur la dignité de la personne, indépendamment de sa condition de baptisé et de fidèle du Christ52.
45L’Église s’engage ainsi à protéger juridiquement toute personne, même non baptisée, qui serait l’objet d’une atteinte à l’exercice des droits fondamentaux applicables en son sein. Tous les droits de l’homme, en effet, ne sont pas visés : en raison de leur contenu, ils ne sont pas tous transposables au Peuple de Dieu. En revanche, l’ordre canonique doit assurer la protection juridique des droits humains qui valent erga Ecclesiam, indépendamment de leur éventuelle formalisation canonique. Et ce, parce que, dans l’ordre juridique ecclésial aussi, c’est la Raison divine qui doit prévaloir, pas le positivisme légaliste.
46Ceci dit, comme Hervada l’a justement fait remarquer53, la place du droit naturel dans l’Église n’est pas aussi centrale qu’en droit séculier. Alors que, selon la tradition juridique de l’utrumque ius, le droit naturel est la base sur laquelle repose l’ordre juridique positif, celui-ci ne revêt dans l’Église qu’une importance secondaire : il ne jouera la fonction de fondement, principe informateur et clause-limite que par rapport à quelques droits bien précis. Outre les domaines susmentionnés, on songera notamment à l’institution du mariage, cette réalité naturelle qui, entre baptisés, a été élevée par le Christ à la dignité de sacrement, comme le précise le canon 1055. Dans l’Église, c’est la Lex gratiae qui joue le rôle fondamental que le droit naturel remplit — ou devrait remplir, selon le point de vue iusnaturaliste — dans la société civile54. Autrement dit, le fondement du droit ecclésial ne réside pas dans la nature humaine, mais bien dans la réalité surnaturelle qu’est l’Église, telle que le Christ l’a fondée, et dans l’action de l’Esprit Saint qui la vivifie de l’intérieur. Au niveau des baptisés qui constituent le Peuple de Dieu, la grâce perfectionne la nature sans la détruire, l’élève à l’ordre surnaturel, conférant ainsi aux fidèles du Christ cette « surnature » qu’est la filiation divine.
47On peut en conclure que, si le fondement du droit canonique est le droit divin révélé, le droit naturel — éventuellement parachevé par une interprétation magistérielle à la lumière de la foi et de la Révélation — y joue néanmoins un rôle explicite dans les matières où c’est la dignité des personnes qui entre en ligne de compte, et pas la dimension spécifique de conformation au Christ propre aux baptisés. Quant aux nombreuses relations juridiques ecclésiales liées à la condition de baptisés, précisons que la dimension juridique naturelle continue d’exister, car le fidèle du Christ est d’abord une personne humaine et, à ce titre, il possède la dignité qui lui revient ainsi que les droits et les devoirs qui découlent de ce rang55.
II. Le droit naturel dans l’ordre juridique étatique : un dialogue de sourds ?
48Le rapport entre le droit divin et le droit humain ecclésial, que nous venons de présenter, aura évoqué aux juristes certains thèmes qui ont fait l’objet d’une extrême attention tant en philosophie du droit qu’en philosophie morale, sociale et politique. On se souviendra notamment d’Aristote et de Gaius, de Thomas d’Aquin et de la Scolastique espagnole, pour ne reprendre que quelques sommets de la réflexion sur le droit et le juste. Depuis lors, de nombreux philosophes et théoriciens du droit n’ont cessé de traiter ces sujets, de manière extrêmement variée, y compris en cette fin de millénaire56. Encore que les exceptions ne manquent pas, notre époque largement pluraliste et sécularisée a tendance à n’accepter qu’avec difficulté toute référence à un ordre transcendant. Dans les cas extrêmes, il est même question, à propos du droit naturel objectif et antérieur au droit positif, d’un véritable fantasme ou une mystification à stigmatiser à tout prix. N’est-on pas alors en présence d’un droit qui « se vérifie artefact, production abusive de l’esprit, projection de l’inconscient »57 ?
49Si nous laissons de côté les présentations caricaturales, il faut bien reconnaître que la question est rendue complexe par la polysémie de l’expression « droit naturel ». Cet inconvénient ne semble toutefois pas justifier l’adoption d’une autre appellation, ne fût-ce que par la finitude du langage humain58. Bien que ce problème soit connu depuis longtemps, il est arrivé à plus d’un auteur d’omettre de vérifier si les critiques adressées au droit naturel en général ou à l’un de ses courants en particulier valent pour toutes les conceptions iusnaturalistes. Depuis le triomphe de l’École du droit naturel moderne, les théoriciens ont surtout retenu l’idée d’un droit rationnel moderne, pur produit de la raison humaine59. L’éclipse — heureusement partielle — du droit naturel classique fut facilitée par les perspectives optimistes de la philosophie des lumières : à quoi bon, si ce n’est à titre historique et culturel, se souvenir encore d’un droit naturel classique grec, romain ou médiéval ? A fortiori, s’il peut ou doit être rapproché d’une conception théocentrique de la société. Lorsque l’euphorie vis-à-vis de la théorie moderne fit place à une période de relative décadence de cette dernière, un certain nombre de critiques qui lui étaient adressées (notamment les « codes » détaillés de droit naturel) vont contribuer à discréditer également le droit naturel classique, en raison de la communauté d’appellation, sans que cela ne se justifie scientifiquement. Le droit naturel classique va de la sorte faire l’objet d’un a priori négatif dans une bonne partie de la doctrine juridique. Le flambeau du ius naturae passe alors quasi exclusivement aux juristes-philosophes et aux philosophes, phénomène qui fut dénoncé avec virulence notamment par M. Villey. Celui-ci fit valoir que le droit naturel devrait faire partie intégrante de la formation du juriste60.
50Qu’en est-il aujourd’hui ? En dépit de l’existence d’une littérature iusnaturaliste encore florissante, les praticiens du droit ne sont cependant pas légion à afficher leur attachement effectif au droit naturel, hormis peut-être, et pas toujours explicitement, dans les hypothèses de crises aiguës du système de droit positif. Ce fut le cas notamment face aux dérives du « droit » national-socialiste61 et, plus près de nous, à propos de la question du droit d’ingérence62. Par ailleurs, il existe des différences importantes d’un pays à l’autre qu’il ne faut pas sous-estimer. Il semble logique, dès lors, de se poser la question de l’avenir du droit naturel classique en commençant par fournir un bref état de la question en ce qui concerne les Facultés de droit en Belgique.
1. Le droit naturel dans la doctrine juridique belge
51Pour mener à bien cette investigation brève et non exhaustive sur le sort que les publications universitaires belges réservent au droit naturel — dont l’enseignement figure toujours au programme des cours obligatoires —, nous prendrons comme point de départ l’étude des professeurs Ost et Van Hœcke, qui porte sur la période 1968-199363.
1) Panorama de la période 1968-1993
52Du côté néerlandophone, trois auteurs sont pris en considération. Plutôt que des défenseurs d’un droit naturel en tant que tel, ils apparaissent en réaction par rapport à certains effets négatifs du positivisme juridique. Le premier souligne l’importance d’un contenu minimal de droit naturel basé sur la liberté humaine et se traduisant par un certain nombre de valeurs ou concepts éthiques de base (auto-réalisation, Anerkennung, nécessité d’un ordonnancement raisonnable de la vie en société, etc.)64. Le deuxième pousse la défense de la liberté jusqu’à prôner un système que l’étude précitée qualifie de « libertaire »65. Quant au troisième, il recherche une théorie sur la validité du droit compatible avec un certain criticisme moral dans la voie du « positivisme légal modéré »66.
53En Belgique francophone, également, si les traces d’une doctrine construite en référence à un certain droit naturel ne manquent pas, les juristes qui entrent en ligne de compte se caractérisent surtout par leur souci d’apporter au positivisme juridique les correctifs qui s’imposent. Au-delà de la validité formelle des normes et de la dimension sociologique de l’effectivité, ils veillent au respect du critère éthique de la légitimité67. On constate toutefois qu’un seul auteur est répertorié comme iusnaturaliste : Jean Dabin. Et encore faudra-t-il s’interroger sur le type de droit naturel dont il se fait le champion.
2) Jean Dabin
54Dabin mérite de retenir l’attention, non seulement en raison de l’éminence de sa pensée et de son rayonnement international, mais aussi — et dans cette étude nous dirions même surtout — compte tenu du virage qu’il a amorcé et que, à sa suite, le droit naturel a pris en Belgique. En effet, bien que sa conception du droit naturel soit, à bien des égards, d’inspiration classique, son « droit naturel moral »68 traduit, en réalité, une concession importante : s’il n’est plus que « moral », c’est que le droit naturel n’est plus juridique. Dans cet ordre d’idée, il va tirer une conséquence logique : « il ne faut plus parler des rapports entre le droit naturel et le droit positif (...) Il faut parler des rapports entre la morale et (...) le droit »69.
55Sa position appelle une interrogation essentielle : parler en termes de droit naturel moral ne revient-il pas à enterrer juridiquement le droit naturel ? Toute l’attention du législateur et des juristes tend alors, en effet, à se porter sur ce que Dabin appelle le « construit », par opposition au « donné »70. Le rapport au « donné » risque de devenir une relégation au domaine privé de la conscience de chaque citoyen, sauf ce qui est considéré par le droit comme de moralité publique (par exemple, dans l’exercice d’une fonction politique). Aux yeux d’un grand nombre d’auteurs et d’acteurs de la scène politique, ce qui est seulement moral, jusqu’à preuve du contraire, est juridiquement irrelevant71.
56Importante fut donc sa contribution à la tendance qui consiste à abandonner les paradigmes du droit positif et du droit naturel ou, à tout le moins, à déplacer cette summa divisio, en cherchant des voies de légitimation du droit, notamment par le biais de la fonction du juge et le recours à la notion de « nature des choses ». On rejoint ainsi la voie sur laquelle s’est engagée l’École de Bruxelles72, fondée par Chaïm Perelman73 et représentée aussi par Paul Foriers74, qui va élaborer le concept de « droit naturel positif ». Précisons que ces auteurs partent d’une conception rationaliste du droit naturel. Parmi les autres solutions envisagées pour pallier les inconvénients du positivisme juridique, il faut signaler également la recherche d’une « légitimation procédurale du droit », souvent d’inspiration néo-kantienne, qui occupe une place non négligeable dans le débat actuel, et sur laquelle nous reviendrons75.
57En somme, l’étude qui nous a servi de fil rouge a fait apparaître un relatif enlisement du droit naturel classique dans les sables mouvants de la positivité juridique, sans que le filet tendu par le positivisme ne se soit tout à fait refermé sur le droit belge. Les maigres productions scientifiques iusnaturalistes induisent à penser que, s’il en ainsi, c’est essentiellement en raison de la crise profonde dont le positivisme légal a, lui aussi, été frappé, en tout cas sous sa forme radicale : Kelsen est beaucoup plus visé que Hart. Il s’en est suivi un salutaire effet « réactif » qui se caractérise par le souci d’une légitimation éthique des normes juridiques et d’une défense de la liberté humaine face aux abus éventuels du pouvoir politique. Mais est-ce vraiment là l’ultime vestige du droit naturel encore repérable au sein de la science juridique belge ? La période examinée dans ledit article — 1968-1993 — n’a pas permis de mentionner l’œuvre colossale de Jacques Leclercq, qui publiait en 1960 son dernier ouvrage relatif au droit naturel. Pour la même raison, il n’a pas non plus été possible de mentionner le récent manuel de droit naturel signé par le professeur Xavier Dijon. La référence à ces deux auteurs nous amènera à nuancer notre « diagnostic » sur le droit naturel en Belgique.
3) Jacques Leclercq
58L’auteur des célèbres Leçons de droit naturel76 a eu tout le loisir de porter un jugement sur le changement de cap opéré par Jean Dabin, dont il est pratiquement le contemporain. Dans son ouvrage de 1960, intitulé Du droit naturel à la sociologie77, il a émis ou, plus précisément, il a réitéré des critiques non négligeables concernant la position de ce dernier. Contrairement à ce que paraît évoquer le titre du livre susmentionné, il ne s’agit pas d’une évolution personnelle : il n’a pas renié un droit naturel qui serait devenu obsolète pour rejoindre la sociologie promise à plus d’avenir (ce qui aurait pu, dans une certaine mesure, corroborer les vues de Dabin, dans la mesure où il renoncerait, lui aussi, à la valeur opérationnelle du droit naturel). Il y prend, sans aucune ambiguïté, la défense du droit naturel classique — entendu comme juridique —, tout en situant celui-ci au sein de la panoplie des sciences sociales qu’il présente au long des deux volumes de l’ouvrage.
59Nous voici parvenus à la croisée des chemins. Dabin avait-il raison de renoncer au caractère juridique du droit naturel ? Faut-il plutôt reprendre la tâche au point où Leclercq l’a laissée ? À nos yeux, la question ne fait guère de doute : l’avenir du droit naturel passe par la redécouverte du droit naturel classique, véritable base du droit positif enracinée dans la nature humaine. Cela suppose le contournement de deux écueils, à savoir, d’une part, la confusion avec le iusnaturalisme rationaliste moderne et, de l’autre, la déjuridicisation d’un droit naturel « moralisé ».
60Par rapport à l’École moderne, il y a lieu de préciser que le droit naturel classique est à la portée de la raison pratique par laquelle l’homme est à même de lire les exigences juridiques inhérentes à sa nature et de les appliquer en tenant compte des circonstances du temps présent. Contrairement au droit naturel moderne, il n’est pas une pure construction de l’esprit jouissant d’une indépendance et d’une autonomie absolues78. Mais il n’est pas davantage une pure « hétéronomie » qui, d’en haut, s’imposerait à une raison humaine contrainte à la soumission et à la passivité. Cette dernière joue, en effet, un rôle essentiel dans la découverte du droit naturel ainsi que dans son articulation avec le droit positif.
61Venons-en au péril de la déjuridicisation du droit naturel et de la tendance « moralisante » corrélative. À ce sujet, il convient de lever d’emblée une éventuelle équivoque : loin de nous l’idée de rejeter toute tentative de réponse éthique au positivisme juridique ; nous ne mettons en doute ni la dimension éthique du droit naturel classique, ni l’importance du fondement moral des institutions démocratiques, ni, partant, la place qui revient à l’éthique dans la formation des juristes et des politiques. Nous voulons seulement insister sur la nature juridique du droit naturel. Ce dernier est, à nos yeux, une science juridique qui étudie l’ensemble des chose justes naturelles. S’il partage avec l’éthique le domaine de l’objet matériel de la justice, il conserve toutefois son objet formel spécifique (le dû juridique naturel), alors que l’éthique, qui a un objet matériel beaucoup plus vaste, s’intéresse à l’objet de la justice, non pas par égard à l’ordre social juste, mais bien en tant que l’accomplissement du juste constitue la bonne conduite des personnes79. Le chevauchement de l’éthique et du droit naturel se fait, dès lors, dans le respect des statuts épistémologiques respectifs. Par ailleurs, il est souhaitable que l’éthique, de son point de vue formel propre, progresse en développant des spécialisations professionnelles. D’où l’intérêt que peut présenter ce que nous appelons l’éthique juridique et l’éthique politique80. Le danger que nous voulions indiquer ici n’a donc pas trait à la dimension morale inhérente au droit naturel ni au développement des éthiques spécialisées dans le domaine du droit, mais bien à la tendance qui consiste à vouloir évacuer la dimension proprement juridique du droit naturel81.
62La déjuridicisation du droit naturel constitue justement le principal reproche que Jacques Leclercq formule à l’endroit de Jean Dabin : celui d’avoir accepté de façon a-critique la présentation du droit naturel comme une sorte de morale spéciale, sans aborder le fond du problème. Ensuite, à partir de cette conception faussée du droit naturel, il a logiquement tiré la conclusion : « si le droit naturel est de la morale, comme le droit n’est pas de la morale, qu’on ne dise pas que le droit naturel est du droit : qu’on supprime donc le mot et qu’on parle de morale naturelle »82. Face à la déjuridicisation du droit naturel, Leclercq déplore concrètement l’absence de « corporation » de juristes qui étudient la science du droit naturel de façon à pouvoir la pratiquer83. Selon lui, ce n’est pas que le droit naturel n’existe pas, mais bien que la science du droit naturel est encore élémentaire, ce qui ne va pas sans entraîner des conséquences désastreuses sur le droit et, par ricochet, sur la société.
63Cette analyse n’a rien perdu de son acuité. Dans la plupart de nos Facultés, le droit naturel classique n’est toujours pas enseigné comme une science opérationnelle à l’attention des praticiens du droit (qui pourront trouver un complément nécessaire dans l’éthique juridique et politique). Dans cette perspective, il ne s’agit plus tant de mettre l’accent sur l’idée d’un droit naturel, ni de se contenter de fournir à la mémoire collective le récit des diverses théories qui se sont succédé dans l’histoire, que de rechercher ce que Leclercq appelait les « signes propres à l’homme et communs à tous les hommes ». Ces exigences de justice sont appelées à constituer le ciment de l’ordre social juste de notre temps. Ces signes sont objectifs et constatables indépendamment d’une croyance religieuse, même si ce même auteur reconnaît que leur explication profonde puisse être déficiente si l’on n’admet pas l’existence de Dieu. En toute hypothèse, les signes constatés s’imposent à l’esprit, et c’est ce qui compte, conclut-il84. Ce à quoi nous ajouterions : en particulier dans une société pluraliste, non confessionnelle et sécularisée comme la nôtre. De ce point de vue, on ne soulignera jamais assez Futilité du droit naturel classique séparé de toute croyance85 qui, à défaut de résoudre tous les problèmes soumis à son expertise, permet néanmoins de fournir une plate-forme commune utile pour forger un consensus démocratique, tout en orientant celui-ci dans une direction conforme aux exigences de la dignité humaine et en assurant ainsi, face aux aléas de la loi de la majorité, le respect de certaines balises essentielles à l’humanité. Tel est son rôle d’instance de « distanciation critique qu’il représente par rapport au droit positif »86.
64Dans nos Facultés de droit, les références au droit naturel continuent à répondre davantage à un intérêt culturel et historique qu’à une logique de droit opérationnel. Sans doute faut-il y déceler les conséquences d’un immanentisme omniprésent, combiné à un positivisme légaliste qui tend à faire peu de cas des valeurs dites « métajuridiques ». Or, une telle option réductrice de l’univers intellectuel ne va pas sans présenter de graves inconvénients. En effet, les sociétés pluralistes voient se réduire comme une peau de chagrin les certitudes qui font encore l’objet d’un consensus politique, à tel point que si rien ne redresse la tendance, elles risquent de n’avoir bientôt plus en commun que des règles de procédure.
65À ce propos, certains auteurs contemporains, conscients des carences du procéduralisme pur, ont tenté de corriger ce système en ébauchant des modèles « quasi procéduralistes », pour reprendre l’expression de Ch. Greich87. L’un d’entre eux, le Doyen Philippe Gérard a souligné toute l’importance des principes d’égalité entre citoyens et d’autonomie collective88. Des conventions premières établissent ces deux balises en tant que principes fondateurs de la démocratie et critère de limitation des décisions majoritaires. Toutefois, l’indéniable acquis démocratique qu’elles représentent ne saurait faire perdre de vue l’incertitude radicale et chronique quant à leur contenu. L’indétermination, à laquelle le citoyen est censé se résigner quant aux exigences concrètes que contiennent les concepts d’égale dignité des personnes et de leur autonomie dans la communauté politique, semble provenir du rejet — lui aussi conventionnel et, dès lors, réfutable —, de toute référence à un absolu transcendant comme source d’inspiration. Elle implique que toute décision démocratique demeure fondamentalement contestable.
66Face à une telle position, on est toutefois en droit de formuler une objection, que nous empruntons à un commentateur de l’ouvrage en question : « si la liberté accepte de jouer le jeu, n’est-ce pas parce qu’elle a reconnu dans la démocratie l’expression aujourd’hui la plus élaborée d’une égalité et d’une autonomie non pas induites par incertitude mais aussi certaines que sa propre nature humaine ? »89. L’on ne pourra pas non plus s’empêcher de penser que « l’affirmation théorique ou pratique de l’égalité entre les hommes et de leur autonomie collective ne se trouve ni nécessairement contredite par l’invocation d’une référence métaphysique ni nécessairement assurée par la réclamation de l’autonomie collective »90.
67Il y a donc lieu de se demander si la tendance à présenter le procéduralisme comme une sorte d’absolu social — peut-être, le seul absolu encore toléré —, ne risque pas de conduire la démocratie vers une impasse non exempte de danger91. D’autant que la société s’expose inévitablement à la sanction propre du droit naturel, sanction que d’aucuns mettent en doute, mais que Leclercq synthétisait en ces termes percutants : « puisque le droit naturel correspond aux exigences sociales de la nature humaine, les institutions sociales contraires à la nature humaine ne donneront pas les fruits de développement qu’elles doivent donner. Cette formule abstraite signifie concrètement que les hommes resteront barbares et ne seront pas heureux »92.
4) Xavier Dijon
68Le récent ouvrage de Dijon affiche lui aussi clairement la couleur dans son titre : Droit naturel93. Dans cet épais premier tome, le iusnaturaliste de Namur surprend son lecteur en ne commençant pas par fournir de définition précise du droit naturel. Il préfère adopter un point de vue englobant la diversité sémantique du mot « nature » — celui-ci évoque à la fois la spontanéité et l’ordre, réconciliés par la naissance, dans la condition corporelle —, tout en se gardant bien de verser dans une lecture rationaliste du droit naturel. L’auteur s’en tient à une réponse succincte et suggestive aux objections qui sont habituellement formulées à l’encontre du droit naturel. Outre la critique de la polysémie du concept déjà évoquée, il affronte les quatre autres objections majeures : le droit naturel serait un sujet philosophique et non juridique94 ; il serait dépourvu de sanction juridique95 ; il représenterait un argument réactionnaire, une fuite dans le passé96 et, finalement, il poursuivrait la prétention d’imposer une vérité, ce qui a l’air bien peu démocratique97.
69Dans le climat des courants juridiques dominants, l’usage de semblables arguments, même s’ils sont comme ici formulés avec finesse, expose inévitablement à des critiques. En réaction, un auteur faisait récemment allusion à un manque de congruence lié à « l’origine théologique » de certains des arguments qui y sont utilisés dans la mesure où ils feraient référence à la patristique, ce qui impliquerait un glissement méthodologique ou une « rupture épistémologique »98. Tout en partageant avec ce juriste l’opinion que les manquements à la pureté méthodologique formelle de la science du droit naturel sont à déplorer, il ne nous a pas été possible de lui donner raison, car pour qu’il y ait une véritable rupture épistémologique, il faut que l’éventuelle invocation de la patristique entende trouver auprès des Pères de l’Église un argument d’autorité ; s’il s’agit seulement d’emprunter à ces derniers un raisonnement au titre d’auteurs privés, il se peut que cette référence soit compatible avec une démarche de droit naturel. Dans le cas présent, l’absence dans le compte rendu de référence précise n’a pas permis de confirmer cette critique. On ajouterait volontiers qu’il paraît de même peu scientifique et regrettable de laisser entendre au lecteur (même si telle n’est peut-être pas l’intention dudit recenseur) que l’ensemble de la démarche intellectuelle de l’auteur, dont il reconnaît par ailleurs l’honnêteté, se situerait en rupture épistémologique. D’autant qu’en filigrane cela sous-entendrait l’idée de la fausseté méthodologique du droit naturel comme science. S’il est vrai que, dans ce premier tome, X. Dijon n’offre pas de système global de droit naturel — il se défend d’ailleurs lui-même d’avoir nourri un tel projet — il ne faut pas perdre de vue que d’autres iusnaturalistes ont démontré qu’il était tout à fait possible de développer un droit naturel (classique) dans le respect de son statut épistémologique de science juridique99.
70Quant à la méthode choisie dans le premier tome, elle permet à Dijon de porter toute son attention sur les signes révélateurs de la présence du droit naturel au sein même des grands chapitres du droit positif : l’ordre constitutionnel, le sujet de droit, les relations familiales, l’appropriation des biens, le respect des obligations, la répression des infractions et enfin, le droit international. Ce sont, comme le suggère le sous-titre, « Les questions du droit ». De la sorte, les lecteurs se trouvent d’emblée sur un terrain familier aux juristes. Quant à l’auteur, il commence, pour ainsi dire, par un surcroît d’énergie là où d’autres iusnaturalistes ne sont parvenus qu’à bout de souffle. Il espère ainsi capter l’attention des étudiants et des praticiens en vue des « Réponses de l’histoire » qui constituent le sujet du second tome annoncé et, de fait, son indispensable complément. Il est, dès lors, permis de penser que Xavier Dijon prend le relais du chanoine Leclercq dans sa tentative de sensibilisation au droit naturel opérationnel. Que la tâche entreprise soit immense, et les résultats, provisoires, n’étonnera personne... Le principal n’est-il pas d’œuvrer dans la direction d’un droit plus conforme aux exigences de la dignité humaine ?
71Parvenus au terme de ce bref survol, nous ne tirerons donc pas de conclusion trop hâtive sur l’état de santé du droit naturel : si l’on ne peut, certes, prétendre que cette science soit très avancée — encore moins dans son acception classique —, comme le déplorait J. Leclercq, ni qu’elle soit fort à l’honneur dans la pratique juridique actuelle, suite à l’option prise par J. Dabin et bien d’autres en faveur de sa déjuridicisation, on constatera toutefois qu’avec les pespectives tracées par X. Dijon (qu’il n’est sans doute pas le seul à soutenir), la source du ius naturae est loin de s’être tarie dans le monde juridique belge.
2. Perspectives d’avenir pour le droit naturel classique : des références explicites aux manifestations implicites
72Si l’on élargissait à présent le champ de notre observation à la littérature universelle — ce qui dépasserait le cadre de cette contribution — l’on pourrait déceler, derrière une extrême variété de courants, l’indéniable vitalité du droit naturel, même s’il n’apparaît certainement pas comme la position qui tient le haut du pavé dans la doctrine juridique. Si on se limite aux écoles et aux courants qui en appellent ouvertement au droit naturel (pris dans son sens classique, par opposition au moderne), on constate, au plan international, un certain essor du iusnaturalisme. En philosophie du droit de langue française, la revitalisation du droit naturel juridique de Michel Villey100 a connu un rayonnement qui va bien au-delà de Paris, puisque des professeurs tels que Jean-Marc Trigeaud101, à Bordeaux, et Alain Sériaux102 à Aix-en-Provence, s’inscrivent, à plus d’un égard, dans la même ligne. L’influence de Villey a dépassé largement les fontières de la francophonie, comme en témoigne l’œuvre de Javier Hervada. Alors que celui-là était principalement un historien du droit, ce dernier, en tant que juriste chevronné (outre sa formation de canoniste), a pu se consacrer davantage à la mise en œuvre du droit naturel dans la pratique juridique séculière103. Comme autres représentants de la littérature juridique espagnole, on signalera, entre autres, Jesús Ballesteros104, Andrés Ollero105, Francisco Carpintero106 et Pedro Serna107. On y ajoutera l’argentin Carlos Ignacio Massini108 et le chilien Joaquín García-Huidobro109. En Italie, outre des représentants néo-thomistes, tels que D. Composta110, on notera l’existence d’un courant iusnaturaliste d’orientation phénoménologique-existentielle fondé par Sergio Cotta à l’Université romaine de la Sapienza111 et suivi par Francesco d’Agostino112 ainsi que par Francesco Viola113 et plusieurs autres disciples. Pour ce qui est de la philosophie anglo-saxonne et américaine, on mentionnera spécialement la « Nouvelle Ecole de droit naturel », fondée par l’éthicien Germain Grisez114, et à laquelle appartiennent des auteurs aussi renommés que John Finnis115, William May116, Joseph Boyle117 et, las ! but not least, Robert P. George118. Nous ne pourrions pas terminer ce bref aperçu sans mentionner le moraliste Robert Spaemann119 ainsi que l’ancien doyen de la Faculté de droit de Munich, Arthur Kaufmann120 qui, avec son « herméneutique juridique », adopte une position proche du iusnaturalisme.
73À côté des auteurs qui recourent explicitement au droit naturel classique, il faut encore relever la fréquente invocation implicite du droit naturel. De nos jours, souligner qu’au sein même de nombreuses positions doctrinales et jurisprudentielles de signe positiviste, le droit naturel transparaît souvent sous des « étiquettes » non avouées, n’est plus du tout original. Pour banal qu’il puisse être devenu, ce constat nous paraît néanmoins suffisamment fondé pour ne pas pouvoir être passé sous silence ou interprété d’une autre manière. Ces manifestations implicites ont pour noms les « principes généraux du droit », les « principes de justice », les « principes métaconstitutionnels », le « raisonnable », l’« équité », la « bonne foi », la « nature des choses », etc.
74Dans le même ordre d’idée, on notera aussi le crédit dont jouissent à présent les droits de l’homme, après un progressif développement au cours de ces dernières décennies. Quel est aujourd’hui le législateur, le juge, le gouvernement ou l’auteur qui oserait encore faire abstraction de droits humains désormais régis par le droit international et sanctionnés par des Cours de justice spécialisées aux moyens sans cesse accrus ? Mais ces droits de l’homme, lorsqu’il sont appréhendés dans leur simple positivité contractuelle, posent eux-mêmes des problèmes considérables de fondement, d’incompatibilité, de manque de reconnaissance universelle121. Très révélatrices sont les différences repérables en matière de droits humains et de libertés fondamentales, non seulement selon les générations de droits humains122, entre les droits-franchises et les droits-créances, mais aussi d’un droit constitutionnel à l’autre, à propos de la teneur d’un droit fondamental déterminé. Ainsi, à l’égard du droit à la vie, on observe une position diamétralement opposée en Allemagne et aux États-Unis, ces deux pays ayant connu une évolution radicale. Aux États-Unis, faut-il le rappeler, étant donné l’absence de prescrit constitutionnel assurant la protection de la vie à un être humain en gestation, on en est arrivé, suite à un revirement jurisprudentiel, à reconnaître à la mère un droit à l’avortement comme liberté protégée dans la Constitution. En revanche, en Allemagne, le droit est passé d’une position semblable à la reconnaissance du droit de l’enfant à naître (au moins tant que la défense de la vie de l’embryon ne met pas en danger la vie de la mère), refusant de la sorte à cette dernière un droit généralisé à l’autodétermination susceptible de prévaloir, à certaines conditions, sur le droit à la vie de l’être humain qu’elle porte en son sein. Ce n’est plus l’idée d’un droit contre l’État, mais bien celle d’un droit protégé par l’État, dans une conception hobbésienne123. Si une divergence aussi flagrante et de tels revirements sont possibles de la part de deux États de droit couramment donnés en exemple aux régimes politiques, et ce, concernant le droit le plus fondamental, on mesure bien la précarité des droits de l’homme lorsque, considérés dans leur simple positivité, ils sont livrés à eux-mêmes. Outre les points faibles que nous venons de relever, des spécialistes convaincus des droits de l’homme en arrivent à évoquer les risques de dégénérescence que ceux-ci comportent. Ainsi, l’un d’entre eux admet que, laissée à elle-même, cette nouvelle culture juridique conduit facilement à un hédonisme individualiste, qui rend très urgents un « cran d’arrêt » au « tout est permis » et « tout est possible » ainsi qu’une véritable « éducation » citoyenne aux droits de l’homme124.
75C’est pourquoi le débat doit porter aussi sur la justification qu’appellent ces droits déclarés. Quel fondement allons-nous leur trouver ? De même, quel cran d’arrêt ? Quelle éducation, si ce n’est la redécouverte de cette vérité élémentaire — elle semble une lapalissade — que les droits humains découlent de la dignité inaliénable de chaque personne ? Or, la dignité de chacun ne peut qu’émaner de la nature humaine. Au-delà d’un formalisme juridique qui renverrait uniquement aux déclarations et aux traités en faveur des droits de l’homme, mais toujours révisables, le seul fondement véritable de ces droits ne peut provenir, selon nous, que de l’appartenance de biens essentiels en justice et par nature à chaque personne. Cette conclusion importante en appelle une seconde : une herméneutique réaliste des exigences de justice qui émanent de la nature humaine, voilà la source incontournable du savoir juridique et de l’éducation citoyenne aux droits humains que nous évoquions précédemment. C’est donc à la fois au détour de ses manifestations implicites — parmi lesquelles les droits de l’homme pèsent lourd et à travers ses références explicites toujours actuelles que nous assistons, une fois de plus, à l’aube du troisième millénaire, à ce que Rommen appelait « l’éternel retour du droit naturel ». Un tel retour du iunaturalisme ne semble toutefois guère envisageable si ce n’est au travers d’une nouvelle formulation, qui prenne en compte à la fois les catégories notionnelles contemporaines (droits humains notamment) et les problématiques actuelles (entre autres, celles qui sont relatives à la bioéthique et aux éthiques professionnelles spécialisées)125.
III. Réflexions comparatives et conclusives
761. Cette étude nous a permis d’établir que, dans l’ordre canonique, le droit divin (naturel et positif) constitue un critère d’authenticité remplissant à la fois les fonctions de fondement, de principe informateur et de clause-limite. Son rôle ne se borne donc pas à la stabilisation d’un droit ecclésial qui, depuis le Christ, trempe dans l’histoire et se déploie dans l’espace universel.
772. Le droit naturel fait l’objet d’une subsomption par le droit divin révélé. Néanmoins, il arrive à l’ordonnancement canonique de faire expressément appel au droit divin naturel, ce qui est de moins en moins fréquent en droit séculier. Une autre différence par rapport à ce dernier mérite d’être soulignée : le droit naturel ecclésial, si l’on peut s’exprimer ainsi, va parfois au-delà de la simple science du droit naturel. Dans l’ordre canonique, le droit naturel peut, soit être reconnu et invoqué expressément, soit se muer en droit divin révélé, soit encore faire l’objet d’un parachèvement par l’autorité ecclésiale, à la lumière de la foi et de la Révélation. Le droit naturel parachevé peut, de la sorte, atteindre une certitude et une précision sans équivalent dans la science du ius naturae (qui relève entièrement de l’ordre de la raison), mais alors il faut se demander si, à cause dudit parachèvement, il ne cesse pas d’être du droit naturel proprement dit ? Dans les hypothèses où il n’est ni « subsumé », ni parachevé, mais demeure du droit divin naturel, il ne constitue qu’une base partielle du système canonique, la fonction de fondement de l’ensemble du système revenant au droit divin révélé.
783. Il en va différemment dans l’ordre juridique étatique. Alors que dans le système canonique, le droit naturel n’exerce que partiellement un rôle fondateur et n’acquiert dès lors qu’une importance de ce point de vue secondaire, le ius naturae constitue en revanche le fondement traditionnel de l’ensemble du droit séculier. Toutefois, sa visée est plus modeste : fournisseur de principes, il ne prétend pas apporter des réponses techniques et détaillées à toutes les questions juridiques qui se posent. Ce qui ne veut pas dire qu’il se borne nécessairement à donner de vagues orientations. Pour se convaincre du contraire, il suffit de songer, par exemple, à l’institution familiale, dont il précise les éléments d’hétérosexualité, d’indissolubilité, de fidélité et d’ouverture aux enfants. Le droit naturel s’articule au droit positif, au travers de sa positivation, idéalement suivie de sa formalisation. Il s’intègre dans le droit positif qu’il informe, et en reçoit ainsi la sanction, sans pour autant se départir de sa sanction propre.
794. Cette vision typique du ius commune a été remise en cause par l’avènement du droit naturel moderne. Au terme du processus, c’est la référence à la transcendance qui va être rejetée. L’hypothèse de la non-existence de Dieu contenue dans la formule « etiamsi daremus » de Grotius n’était, en définitive, qu’une étape dans un parcours qui allait mener à la prétention nietzschéenne d’avoir « tué Dieu ». Plongée par le postulat aprioriste de la mort de Dieu dans un univers conceptuel immanentiste et, en ce qui concerne la science juridique, largement imprégné de positivisme légaliste, la société pluraliste s’est repliée sur elle-même. En proie à un auto-réductionnisme intellectuel qui l’empêche d’adhérer à des valeurs stables, celle-ci reporte toutes ses visées sur un souci de procéduralisme formel allant de pair avec une incertitude radicale et un contractualisme tous azimuts. La quête de nouvelles formes de vie commune qui, selon certains, seraient peu ou prou assimilables à l’institution familiale, en est un exemple éloquent.
805. Dans ces conditions, il y a lieu de se demander si la référence au droit naturel a encore un sens pour nos démocraties. Pour répondre à cette interrogation, on notera qu’en dépit des différences de contexte non négligeables, que nous venons de rappeler, au sein du droit naturel classique, à savoir celles qui distinguent le droit divin naturel (ouvert au parachèvement à la lumière de la foi) et le droit naturel séparé de toute croyance religieuse, il ne faut pas perdre de vue que le droit naturel constitue une réalité unique, plus ou moins découverte et développée. L’on peut alors se poser la question de savoir si, compte tenu de l’érosion qui ronge le droit naturel dans l’ordre juridique séculier, l’ordre canonique ne va pas, au fil du temps, se convertir en iuris naturœ refugium. De même, on peut imaginer que, outre son rôle de dépositaire d’un droit naturel tombé dans l’oubli, le droit canonique pourrait un jour être appelé à restituer celui-ci à des juristes qui, après avoir fait la dramatique expérience de son évacuation, s’en trouveraient déboussolés.
816. Jusqu’à présent un tel scénario semble toutefois relever de la fiction. En effet, même dans le contexte immanentiste et positiviste prédominant, on remarque une utilisation implicite du droit naturel, par le biais d’autres catégories juridiques telles que les principes généraux du droit, la nature des choses, l’équitable, le raisonnable, les droits de l’homme... Cette référence masquée au droit naturel est le plus souvent faite dans une totale confusion entre la conception rationaliste et l’acception classique du droit naturel. La clarification de ce concept, la redécouverte de son acception classique, la réhabilitation du droit naturel dans son statut épistémologique de science juridique, ainsi que le recours explicite à celui-ci, devraient contribuer à porter un jugement critique sur un certain nombre d’idées reçues en la matière. Voilà qui pourrait rendre les juristes et les politiciens plus confiants devant la perspective de remplir le consensus démocratique et « procéduralement correct » de contenus plus substantiels et éthiquement légitimes. De la sorte, on aurait redécouvert les principes juridiques fondamentaux de la vie en société émanant de la nature humaine et qui, dès lors, valent partout et pour tous, indépendamment de toute croyance religieuse. Encore faut-il pour cela que les juristes abordent le droit naturel comme une science opérationnelle. S’agissant d’une capacité opérative limitée, il ne faut pas attendre de cette dernière plus que ce qu’elle peut donner. Mais ce serait une erreur bien plus lourde de conséquences que d’oublier l’enjeu vital pour la société qui y est lié : les principales balises humanisant les rapports juridiques qui, en leur assurant une tension éthique, les préservent des abus et des passions, caractéristiques inévitables d’une vie sociale peu « angélique ».
827. La comparaison entre le droit divin des canonistes et le droit naturel des juristes séculiers se solde sur un constat de grandissante asymétrie entre ces deux facteurs stabilisateurs de leur ordre juridique respectif. La différence serait sans doute moins nette si le droit étatique accordait davantage de crédit explicite, voire systématique, au droit naturel classique. En effet, dans cette hypothèse, la nature ou dignité humaine agirait comme facteur inspirateur et stabilisateur commun aux deux ordres juridiques (sans nier pour autant l’éclairage complémentaire et l’effectivité du droit divin révélé dans l’ordre canonique).
838. Mais ce processus d’asymétrie croissante entre les deux facteurs stabilisateurs est-il irréversible ? L’avenir de nos Etats de droits démocratiques n’est-il pas aux mains de personnes libres et responsables, censées tenir compte non seulement des droits de l’homme actuellement reconnus, mais aussi des inspirations et des exigences de la nature humaine ? D’autant que, au cas où ces exigences juridiques ne seraient pas respectées, ces autorités responsables, et la société démocratique qu’elles représentent, seront inéluctablement rappelées à l’ordre par la sanction propre du droit naturel : souhaiteront-ils, pour reprendre les termes de J. Leclercq, rester « barbares » — ou le devenir — et ne pas être « heureux » ? On formulera donc l’espoir que la société prendra conscience du déficit de « légitimité » substantielle, auquel n’échappe pas une législation tâtonnante, appuyée sur des consensus éphémères, dénuée de vision profondé ment humaniste. Le procéduralisme formaliste du « politiquement correct » risque de porter atteinte à la dignité authentique de la personne humaine et de constituer une sorte de bombe à retardement susceptible de se retourner contre le régime démocratique qui l’a engendré. Devant les grandes inconnues éthiques et juridiques qui planent sur diverses questions, par exemple, en matière de bioéthique ou d’identité familiale, les juristes sauront-ils rechercher, au-delà des critères de légalité et de procédure — mais aussi conformément à ces derniers — un « critère d’authenticité » qui fasse, au plan étatique, le pendant du droit divin canonique ?
849. Cette contribution a, par ailleurs, décelé bien des signes de vitalité et de relance du droit naturel mais, si l’on veut rester réaliste, on avouera que l’adoption pure et simple d’un système iusnaturaliste opérationnel ne semble pas être (encore ?) dans le cours des choses. Miser sur la notion de dignité humaine, aux confins du droit naturel et des droits de l’homme, semble plus raisonnable. Dans cette optique, il reste à souhaiter que la référence attentive à la dignité de chaque personne permettra à notre société pluraliste de défendre et de promouvoir le meilleur d’elle-même. Cependant, les droits de l’homme n’échappent pas eux-mêmes à une extrême fragilité, que ce soit dans leur fondement, leur universalité ou leur compatibilité. De surcroît, l’expérience a démontré, lors des conférences du Caire (1994) et de Pékin (1995) notamment, que les droits de l’homme ne sont pas à l’abri des manipulations politiciennes et d’interprétations allant à l’encontre de la vision humaniste qui a présidé à la rédaction de la Déclaration de 1948.
8510. C’est pourquoi la question de la réouverture de nos Etats de droit démocratiques à la transcendance devrait pouvoir, à tout le moins, être posée. L’inspiration de la Sagesse divine, en effet, nous paraît une démarche capitale pour pouvoir mettre pleinement au jour les véritables contenus concrets de la dignité humaine. Toutefois, dans l’éventualité où la majorité des citoyens rejetterait une telle référence à un absolu transcendant, le recours au droit naturel séparé de toute croyance — la véritable science juridique du droit naturel — apparaîtrait comme une alternative plausible pour identifier les biens essentiels dus à chaque personne humaine et assurer à ceux-ci une protection, en donnant ainsi au consensus démocratique une garantie quant à l’authenticité de son contenu. Le droit naturel est, à nos yeux, le seul et véritable fondement des droits de l’homme qui, autrement, suite à leur multiplication et à leur diversification au fil des générations successives, finissent par perdre de leur consistance naturelle et par se mêler à des éléments culturels ne répondant plus au critère d’universalité. Au-delà de tout procéduralisme purement formel, le respect des exigences juridiques inhérentes à la nature humaine nous paraît constituer un gage essentiel de l’épanouissement des personnes et du bien-être social.
8611. Cette contribution n’avait pas la prétention d’entrer dans la pratique du droit naturel et dans les problèmes que celle-ci peut indéniablement poser. Plus modestement, nous avons mis en évidence le rôle du droit divin, naturel et révélé, comme facteur d’inspiration et de stabilisation du droit canonique. Par ailleurs, nous avons souligné la situation d’asymétrie croissante sur le plan du facteur de stabilisation primordial entre le droit canonique et le droit séculier. Tout en posant la question de l’irréversibilité de ce phénomène, nous avons témoigné auprès des juristes de l’intérêt que peut présenter la redécouverte de la science du droit naturel — à la fois immuable et historique — pour donner, dans le droit fil d’une tradition juridique commune, un contenu profondément humain aux procédures formelles de nos sociétés pluralistes qui, autrement, risquent de ne plus être des États de droit que dans le sens réducteur du positivisme légaliste et du sociologisme juridique. Le droit naturel classique n’est-il pas, dès lors, le facteur — parfois oublié, mais jamais inefficace — de la stabilisation et de l’humanisation de nos sociétés en proie à l’emballement du temps juridique ?
Notes de bas de page
1 Cf. can. 1290 du Code de droit canonique, 1983.
2 Cf. cc. 1686-1688.
3 Cf. can. 1644.
4 Voir à ce sujet A. VAN HOVE, Prolegomena, 2e éd., Malines-Rome, 1945 ; G. LE BRAS - Ch. LEFEBVRE - J. RAMBAUD, L’âge classique. Sources et théories du droit, in Histoire du Droit et des Institutions de l’Eglise en Occident (éd. G. Le Bras et J. Gaudemet), VII, Paris, 1965 ; C. VAN DE WIEL, History of Canon Law, Louvain, 1991.
5 Cf. M. BELLOMO, L’Europa del diritto comune, Roma, 7e éd., 1994.
6 Pour une étude mise à jour sur l’histoire des sources de droit canonique jusqu’à nos jours, voir J. GAUDEMET, Les sources du droit canonique (VIIIe-XXe siècle), Paris, 1993.
7 Ce dernier ne s’intitule pas « Code de droit canonique » mais bien « Code des canons des Églises orientales ». Voir R. METZ, Le nouveau droit des Églises orientales catholiques, Paris, 1997.
8 Cf. W. ONCLIN, Le nouveau Code de droit canonique, in Ephemerides Theologicœ Lovanienses, 60 (1984), p. 325-345 ; G. FRANSEN, Le nouveau Code de droit canonique. Présentation et réflexions, in Revue théologique de Louvain, 14 (1983), p. 275-288.
9 Rien qu’en langue française, plusieurs publications attestent le renouveau du droit canonique. Les principaux ouvrages d’introduction à la matière sont les suivants : M. BONNET-B. DAVID, Introduction au Droit ecclésial et au nouveau Code, Luçon, 1984 ; J. BEYER, Du Concile au Code de droit canonique, la mise en application de Vatican II, Paris, 1985 ; D. LE TOURNEAU, Le droit canonique, Paris, 2e éd. 1997 ; J. GAUDEMET, Le droit canonique, Paris, 1989 ; J.-P. SCHOUPPE, Le droit canonique. Introduction générale et droit matrimonial, Bruxelles, 1991 ; J. VERNAY, Le droit dans l’Eglise catholique. Initiation au droit canonique, Paris, 1995. En ce qui concerne les traités, on signalera le Précis de Droit canonique (sous la direction de P. VALDRINI), 2e éd., Paris, 1999 et A. SÉRIAUX, Droit canonique, Paris, 1996. Pour ce qui est des codes commentés, outre le Guide pratique de Droit canonique de R. PARALIEU (Paris, 1985), on peut mentionner le Code de droit canonique bilingue et annoté, 2e éd. (Montréal, 1999), le Code de droit canonique annoté (Paris, 1989), ainsi que Le nouveau droit ecclésial. Commentaire du Code de droit canonique (Paris), dont plusieurs volumes ont paru à partir de 1988.
10 Comme exemples de perspectives théologiques relativement critiques et perplexes quant à la nature pleinement juridique du droit canon, voir E. CORECCO, Théologie et Droit canon, Fribourg, 1990 ; L. GEROSA, Le droit de l’Église, Luxembourg, 1998.
11 Cf. P.J. VILADRICH, El ‘ius divinum’ como criterio de autenticidad en el Derecho de la Iglesia, in Collectif, La norma en el Derecho canónico, Pampelune, 1979, p. 33.
12 En ce qui concerne les études théologiques du concept de droit divin, on consultera avec intérêt Y. CONGAR, Ius divinum, in Revue de droit canonique 28 (1978), p. 108-122 ; T.-I. JIMÉNEZ URRESTI, De la teología a la canonística, Salamanque, 1993, p. 277 et sv.
13 P. LOMBARDÍA, Lecciones de Derecho canónico, Madrid, 1984, p. 20 (trad. libre).
14 Cf. G. LO CASTRO, Il mistero del diritto divino, in Ius Ecclesiœ, 8 (1996), p. 427-463.
15 Un auteur préconise toutefois l’emploi du terme « concrétisation » du droit divin, voir H. PREE, The divine and the human of the ‘Ius divinum’, in Collectif, In diversitate unitas (Monsignor W. Onclin Chair 1997), Louvain (Leuven), 1997, p. 36 et sv.
16 Pour une présentation actuelle du réalisme juridique classique, voir J. HERVADA, Introduction critique au droit naturel, Bordeaux, 1991. Pour une étude de la genèse de cette conception et de son prolongement jusqu’à nos jours, voir J.-P. SCHOUPPE Le réalisme juridique, Bruxelles, 1987. Pour une application du réalisme juridique au droit canonique, voir IDEM, Le droit canonique, op. cit., en particulier les pages 82-88 sur le droit divin.
17 Cf. CONCILE VATICAN II, Constitution dogmatique Dei Verbum, nos 8-10. On consultera aussi avec profit le motu proprio de Jean-Paul II Ad tuendam fidem, du 18 mai 1998, et, à sa suite, la note de la Congrégation pour la doctrine de la foi qui, à défaut de fournir une liste exhaustive, illustre clairement ce que l’on doit considérer dans l’Église catholique comme vérités « définitives » (cf. La documentation catholique, 19 juillet 1998, p. 651-657).
18 Cf. R. SOBANSKI, Immutabilità e storicità del diritto della Chiesa : diritto divino e diritto umano, in Ius Ecclesiœ, 9 (1997), p. 19-43.
19 Les hésitations des théologiens quant à la place du mariage dans la liste des sacrements — le magistère ecclésiastique ne se prononça sur la question qu’avec la bulle d’union avec les Arméniens au Concile de Florence (22 novembre 1439) — est une illustration du dévoilement progressif du droit divin pourtant immuable (sur la question historique, voir J. GAUDEMET, Le mariage en Occident, Paris, 1987, p. 188).
20 Cf. S. BERLINGÒ, Diritto divine e diritto umano nella Chiesa, in Il diritto ecclesiastico, I, 106 (1995), p. 58.
21 Cf. P. LOMBARDÍA, Estructura del ordinamiento canónico, in Catedráticos de Derecho Canónico de Universidades Españolas, Derecho Canónico, 2e éd., Pampelune, 1975, p. 174.
22 Cf. G. LO CASTRO, Personalità morale e soggettività giuridica nel Diritto canonico (Contributo allo studio delle persone morali), Milan, p. 205, note 119.
23 Cf. J. GAUDEMET, Le mariage en Occident, op. cit., en particulier p. 195-219.
24 Cf. U. NAVARRETE, Le canon 1098 sur l’erreur dolosive est-il de droit naturel ou de droit positif ecclésiastique ?, in Recueil canonique d’Arras (1988), p. 174-184.
25 Voir notamment la définition du mariage (can. 1055, § 1) et ses propriétés essentielles — unité et indissolubilité — (can. 1056). Concernant les pressions déstabilisantes auxquelles l’institution du mariage est soumise, voir L.-L. CHRISTIANS, Les nouvelles tensions du concept de mariage. Enjeux du pluralisme pour une théologie des droits civil et canonique, in Nouvelle revue théologique, 120/4 (1998), p. 564-589.
26 CONCILE VATICAN II, Constitution dogmatique Lumen Gentium, no 8.
27 Sans exclure pour autant certains aspects juridiques déjà contenus dans l’Ancienne Alliance.
28 Cf. cc. 331 et sv. Voir à ce sujet J.I. ARRIETA, Diritto dell’organizzazione ecclesiastica, Milan, 1997, p. 219 et sv.
29 MONTESQUIEU, De l’esprit des lois, vol. I, livre XI, chap. VI, Paris, 1922, p. 152 et sv.
30 Cf. R. METZ, Les sources du droit, in Le droit et les institutions de l’Église catholique latine de la fin du XVIIIe siècle à 1978. Sources et institutions, t. 16 de l’Histoire du Droit et des Institutions de l’Église en Occident, op. cit., Paris, 1981, p. 183 et sv.
31 Voir supra, I, 1, 219-221.
32 CONCILE VATICAN II, Const. dogmatique Lumen Gentium, no 23.
33 Cf. J.I. ARRIETA, Diritto dell’organizzazione ecclesiastica, op. cit., p. 345 et sv.
34 Pour une présentation des normes d’application du Code édictées par la Conférence des évêques de Belgique, voir Pastoralia. Bulletin officiel de l’archidiocèse de Malines-Bruxelles, juin-juillet 1985/6, p. 94 et janvier 1987/1, p. 2. Pour des commentaires, voir J.-P. SCHOUPPE, Le droit canonique, op. cit., p. 104-109, ainsi que in Ius Ecclesiae, 1 (1989), p. 763-767. Un aperçu de l’ensemble des normes édictées par les Conférences des évêques de par le monde se trouve dans J.T. MARTÍN DE AGAR, Legislazione delle Conferenze episcopali complementare al C.I.C., Milan, 1990.
35 Cf. A. VAN HOVE, Prolegomena, op. cit., p. 48, n. 45.
36 Le terme « transcendant » est pris dans son sens philosophique classique. Comme l’a bien montré Jolivet, la transcendance a plusieurs acceptions. Dans son sens métaphysique, c’est un « attribut par lequel Dieu est conçu comme un Être personnel, absolument indépendant de l’univers qu’il a créé par un acte de libre volonté [...] La transcendance de Dieu exclut si peu toute espèce d’immanence au monde, qu’elle implique au contraire nécessairement cette immanence, conçue comme un mode de présence spirituelle, irréductible aux formes de la présence corporelle, mais par là-même infiniment plus intime et plus enveloppante ». Par ailleurs, en théorie de la connaissance, la transcendance est la « propriété qui est au-dessus d’un ordre de réalité donné », alors que l’immanence est le produit spontané de la conscience humaine (R. JOLIVET, Vocabulaire de la philosophie, V° Transcendance, 3e éd., Paris, 1951, p. 187-188). Le point de vue classique exposé par Jolivet est compatible avec le concept de théonomie participée, comme participation de la raison humaine à la Sagesse éternelle dans l’élaboration des normes (cf. JEAN-PAUL II, Lettre encyclique La splendeur de la vérité, 6 août 1993, no 41), dans un esprit de respect mutuel et de collaboration réciproque entre la foi et la raison (cf. IDEM, Lettre encyclique Foi et raison, 14 septembre 1998, no 36 et sv.). Il s’agit donc d’une optique qui n’a rien de commun avec la propositon de F. Ost (reprise à J.-P. Dupuy) visant à dépasser l’opposition entre transcendance et immanence par le recours au concept d’auto-transcendance sociale (voir F. OST, Les lois conventionnellement formées tiennent lieu de convention à ceux qui les ont faites, in Collectif, Droit négocié, droit imposé ?, Bruxelles, 1996, p. 29). En effet, la dimension intersubjective ou communautaire d’une pensée ne fait pas encore émerger celle-ci de l’immanence, prise dans son acception gnoséologique. Pour une critique de cette approche, voir X. DIJON, Pour une transcendance de bonne foi dans la légitimité du droit, in R.I.EJ., 39 (1997), p. 167-188. S’agissant de concepts fondamentaux de la pensée, la clarté nous paraît ici de la plus haute importance.
37 Cf. G. MICHIELS, Normœ generales iuris canonici, Toumai-Paris-Rome, 1949, (2e éd.), p. 11-12.
38 Cf. A. DE LA HERA, Introducción a la Ciencia del Derecho Canónico, Madrid, 1973, p. 104 et sv.
39 Cf. V. DEL GIUDICE, Nozioni di Diritto canonico, 12e éd., Milan, 1970, p. 23-25 ; IDEM, Canonizatio, in Collectif, Scritti giuridici in onore di Santi Romano, IV, Padoue, 1940, p. 226.
40 Cf. S. ROMANO, L’ordinamento giuridico, 2e éd., Florence, 1951. Pour une présentation générale de la notion d’« ordre canonique » ainsi que des réflexions actuelles à ce sujet, voir notamment S. BERLINGÒ, V° Ordinamento giuridico. II) Ordinamento giuridico canonico, in Enciclopedia giuridica, Rome, 1990.
41 Parmi les réactions à la théorie de la canonizatio de V. Del Giudice, mentionnons, entre autres, P. CIPROTTI, Contributo alla teoria della canonizzazione delle leggi civili, Rome, 1941, p. 51 ; P. BELLINI, Osservazioni sulla completezza dell’ordinamento giuridico ecclesiastico, in Il Diritto ecclesiastico, 58 (1957), I, p. 121-243.
42 Voir dans ce sens E. MOLANO, Precisiones en torno al ‘lus divinum’, in Ius canonicum, 22 (1982), p. 794. Quant à l’incompatibilité entre le positivisme de Kelsen et le droit canonique, on se rapportera à C.J. ERRÁZURIZ, El Derecho canónico en clave positivista, in Ius Canonicum, 25 (1985), p. 29-56.
43 Cf. J. HERVADA, Personalidad científica de Pedro Lombardía, in Ius canonicum, 26 (1986), p. 492.
44 Son ordenamiento jurídico est conçu comme un « ordre juridique primaire », mais ce n’est pas sur ce point que se marque la différence par rapport au canoniste italien. Par « primaire », on veut indiquer qu’il s’agit d’un ordre juridique indépendant, qui n’émane pas d’un autre ordre juridique et qui garantit, dans son domaine propre, l’autonomie de l’Église par rapport à l’État et aux nouvelles entités supra-nationales (cf. J. HERVADA, El ordenamiento canónico, I, Pampelune, 1966 ; IDEM, Elementos de Derecho Constitucional Canónico, Pampelune, 1987, p. 6264). Cette position, qui est confortée par l’existence de nombreux concordats, n’est pas toujours acceptée par la doctrine et la jurisprudence étatique, spécialement dans les pays non concordataires, où l’on se montre parfois plus attentif à une approche de l’Église comme entité associative ou statutaire qu’à sa reconnaissance comme sujet de droit international pourtant indéniable. Au plan national, si l’Église ne jouit pas toujours de la personnalité juridique en tant que telle, elle bénéficie en tout état de cause de libertés publiques de droit constitutionnel. Notre réflexion se situant au niveau fondamental, il n’est pas possible d’entrer dans ces questions au plan technico-scientifique. On consultera à ce sujet, par exemple, J.-P. DURAND, Le droit canonique et les relations Église-États. Une recherche d’efficience en droit communautaire européen, trente ans après Vatican II, in L’année canonique, 38, 1996, p. 113-126. En ce qui concerne le droit communautaire européen, on notera la onzième déclaration annexée au Traité d’Amsterdam, qui reconnaît le régime en vigueur dans chaque État membre et renvoie à ce dernier. Pour une analyse de la portée de cette disposition, voir L.-L. CHRISTIANS, Droit et religion dans le Traité d’Amsterdam : une étape décisive ?, in Le Traité d’Amsterdam. Espoirs et déceptions (coord. Y. Lejeune), Bruxelles, 1998, p. 195-223.
45 Cf. J. FORNÉS, Derecho divine y derecho humano en el ordenamiento canónico, in Collectif, Studi in memoria di Mario Condorelli, vol. 2, tome 2, Milan, 1988, p. 685 et sv.
46 Cf. J. HERVADA-P. LOMBARDÍA, Prolegómenos, I, Introducción al Derecho canónico, in Comentario exegético al Código de Derecho Canónico, vol. I, Pampelune, 1996, p. 50-55.
47 Le sensus fidelium est un concept théologique bien précis pris en considération par la constitution conciliaire Lumen Gentium (no 12). Cette participation de l’ensemble du Peuple de Dieu, clercs et laïcs, à la fonction prophétique du Christ, qui suppose toujours un acte de discernement de la part de l’autorité ecclésiastique compétente, ne doit pas être confondue avec la notion d’opinion publique (cf. P. VALDRINI, Opinione pubblica, « sensus fidelium » e diritto canonico, in Il diritto ecclesiastico, 118 [1997], I, p. 98 et sv.).
48 Can. 22. Les italiques ne figurent pas dans le texte codiciaire.
49 Cf. A. WIJFELS, La validité rebus sic stantibus des conventions : quelques étapes du développement historique (Moyen Age - Temps modernes), in F. OST et M. VAN HŒCKE (sous la direction de), Temps et droit. Le droit a-t-il pour vocation de durer ?, Bruxelles, 1998, p. 254.
50 Voir infra, II, 2), p. 235-237.
51 Cf. JEAN-PAUL II, La splendeur de la vérité, op. cit., nos 95-97.
52 Le Code de droit canonique comporte bien d’autres références explicites au droit naturel. Ainsi, en matière de prescription, le can 199, 1° stipule que ne sont pas soumis à prescription « les droits et obligations qui sont de droit divin naturel ou positif ». Concernant les empêchements et vices du consentement, voir cc. 1075, § 1 ; 1163, § 2 ; 1165, § 2 et 1084. On trouve également une référence explicite au droit naturel à propos de l’exercice du ius connubii du mineur (cf. can. 1071, § 1,6°).
53 Sur toute cette question, on se rapportera à l’excellente synthèse de J. HERVADA, El Derecho natural en el ordenamiento canónico, in Vetera et Nova. Cuestiones de Derecho canónico y afines (1958-1991). p. 1396-1397.
54 Cf. J. HERVADA, La « Lex naturae » y la « Lex Gratiae » en el fundamento del ordenamiento jurídico de la Iglesia, in Vetera et Nova, op. cit., p. 1605-1629.
55 Cf. C.J. ERRÁZURIZ, La persona nell’ordinamento canonico : il rapporte tra persona e diritto nella Chiesa, in Ius Ecclesiœ, 10 (1998), p. 3-36.
56 Cf., entre autres, M. VILLEY, La formation de la pensée juridique moderne, Paris, 1975 ; M. BASTIT, Naissance de la loi moderne, Paris, 1990.
57 D. de BECHILLON, Retour sur la Nature. Critique d’une idée classique du Droit naturel, in Images et usages de la nature en droit, sous la dir. de Ph. GÉRARD, F. OST et M. van DE KERCHOVE, Bruxelles, 1993, p. 581.
58 On rappellera cette réflexion de J. Leclercq à propos de l’expression « droit naturel » : « changer le sens d’un mot qu’on a compris d’une certaine façon, depuis deux mille ans, n’amènera-t-il pas de nouvelles confusions ? Peut-être serait-il préférable de trouver un mot nouveau, mais lequel ? Le mot « droit naturel » est celui qui s’applique exactement à la réalité dont il est question, car il s’agit de droit et de nature. Dans le cas présent, le mot colle à la chose ; on ne voit pas comment donner un autre nom à cette réalité qui est du droit et qui est le droit limité et défini par les exigences de la nature. Nous n’échapperons pas à la conclusion que le droit naturel existe et qu’il est du droit » (J. LECLERCQ, Du droit naturel à ta sociologie, vol. I, Paris, 1960, p. 122-123).
59 Cf., entre autres, A. DUFOUR, Droit de l’homme, droit naturel et histoire, Paris, 1991, p. 39-148.
60 Cf., entre autres, M. VILLEY, Abrégé du droit naturel classique, in Archives de philosophie du droit, 6 (1961), p. 71-72.
61 Cf. J.M. PIRET, Interprétation, rhétorique et transcendance en droit, in R.I.E J., 38 (1997), p. 15.
62 Cf. O. CORTEN, Droit, force et légitimité dans une société internationale en mutation, in R.I.E.J., 37 (1996), p. 71-112.
63 F. OST et M. VAN HŒCKE, La théorie du droit en Belgique [La jurisprudence en Belgique] (1968-1993), in R.I.E.J., 33 (1994), p. 107-137.
64 F. VAN NESTE, Fundamenten van het recht, in Tijdschrift voor Privaatrecht, 12 (1975), p. 821-850 ; IDEM, Hœ etisch is het recht ? Tussen ordening en vrijheid ?, Anvers, 1991.
65 F. VAN DUN, Het fundamenteel rechtsbeginsel. Een essay over de grondslagen van het recht, Anvers, 1983.
66 L. WINTGENS, Rechtspositivisme en westpositivisme. Een rechtstheoretische en rechtsfilosofische analyse, Bruxelles, 1991.
67 Cf. F. OST et M. van de KERCHOVE, Jalons pour une théorie critique du droit, Bruxelles, 1987, p. 257-314. Voir aussi Centre interuniversitaire de philosophie du droit, Droit et pouvoir, t. I, La validité, (Bruxelles, 1987). Cet ouvrage collectif donne un bon aperçu de la philosophie du droit en Belgique. Voir également Collectif, Licéité en droit positif et références légales aux valeurs (Xe Journées juridiques Jean Dabin), Bruxelles, 1982. On pourrait ajouter ici le plus récent ouvrage collectif Images et usages de la nature en droit, déjà cité.
68 J. DABIN, Théorie générale du droit, 2e éd., Paris, 1969, p. 341.
69 Ibidem, p. 342.
70 Il est enclin à attribuer l’origine du concept de « donné » juridique au « donné révélé » du théologien (ibidem, p. 187).
71 Notons toutefois que, dans sa conception normativiste, J. Dabin soutient le principe de la moralité des lois. En cas de conflit entre une règle de droit et une règle de morale, il propose de comparer les avantages et les inconvénients résultant de l’obéissance à la loi juridique au regard du bien public, étant entendu que « si la balance devait pencher pour le maintien, la loi immorale ne liera qu’au for externe et que tous les moyens licites pourront être mis en œuvre à l’effet d’en obtenir l’abrogation » (ibidem, p. 399-400).
72 Cf. O. CORTEN, La référence à la nature des choses dans l’herméneutique de l’« École de Bruxelles » : une critique sociologique, in R.I.E.J., 40 (1998), p. 79-113.
73 Cf. Ch. PERELMAN, Éthique et droit, Bruxelles, 1990.
74 Cf. P. FORIERS, Le juriste et le droit naturel. Essai d’une définition d’un droit naturel positif, in La pensée juridique de P. Foriers, vol. 1, Bruxelles, 1982, p. 411-428 ; IDEM, Le droit naturel, évolution d’une notion, ibidem, vol. 2, p. 827-845.
75 On se reportera, par exemple, à l’excellente synthèse de Ph. GÉRARD, Droit et démocratie. Réflexion sur la légitimité du droit dans la société démocratique, Bruxelles, 1995, et au compte rendu de H. DUMONT, in R.I.E.J., 39 (1997), p. 189-206. Voir aussi les observations de X. DIJON, La légitimité démocratique : de l’incertitude à la conviction. A propos de l’ouvrage de Ph. Gérard « Droit et démocratie », in Annales de Droit de Louvain, 1996/2, p. 225-242. Voir nos remarques infra, p.241-242.
76 Cf. J. LECLERCQ, Leçons de Droit naturel I. Le fondement du droit et de la société, 4e éd., Louvain, 1957.
77 Cf. J. LECLERCQ, Du droit naturel à la sociologie, op. cit.
78 Certes, par la variété des thèses qu’il rassemble, le droit naturel moderne tient davantage d’un vaste courant de pensée que d’une École proprement dite. En son sein, deux tendances principales ont émergé : d’une part, le droit naturel conçu comme une « liberté naturelle » (Hobbes, Spinoza, Locke, Rousseau...) ; d’autre part, le droit naturel de la recta ratio (Pufendorf, Wolff, Leibniz...), position qui, de ce point de vue, semble moins éloignée de la doctrine scolastique. Au-delà des multiples divergences entre eux, ces auteurs ont pour commun dénominateur une position rationaliste ; il se situent, dès lors, en net contraste par rapport aux tenants du droit naturel classique, science rationnelle mais non rationaliste (cf. J. HERVADA, Historia de la Ciencia del Derecho natural, Pampelune, 1987, p. 249 et sv.). On lira aussi avec intérêt l’analyse pertinente d’Aubert. Ce dernier décrit les tendances globales (et donc plus ou moins présentes chez chaque auteur) du droit naturel moderne : autonomie de l’homme, état de nature et absence de référence à une finalité pré-établie, individualisme marqué, exaltation de la liberté individuelle et, finalement, rationalisme abstrait (cf. J.-M. AUBERT, Loi de Dieu, Loi des hommes, Paris, 1964, p. 110-111).
79 Il est classique de situer la morale, le droit et la politique les uns par rapport aux autres de la manière suivante : la science morale étudie la bonté de l’ensemble des actes humains, y compris envers soi-même et envers Dieu. La science juridique a pour objet la détermination de l’objet (extérieur) de la vertu de la justice ; elle se cantonne donc dans les relations de justice intersubjectives. Tant l’intériorité du sujet que les vertus autres que la justice lui échappent. Et lorsqu’elle s’intéresse à la justice, ce n’est pas pour la vertu en tant que chemin de perfection morale, mais uniquement pour sa dimension juridique. Quant à la science politique, elle vise la recherche du bien commun. Pour de plus amples développements, nous renvoyons à notre ouvrage Le droit canonique, op. cit., p. 38-42.
80 À l’occasion de Séminaires portant sur des « Questions actuelles d’éthique juridique » destinés aux praticiens du droit, nous avons pu expérimenter la nécessité et l’urgence de développer une véritable éthique juridique. En tant que morale spécialisée, cette « éthique juridique » s’inscrit dans le domaine du « bien agir » ; il s’agit de la recherche d’une certaine perfection éthique dans l’exercice des professions juridiques, qui se situe dans le prolongement de la morale individuelle, habituellement orientée vers la recherche d’une certaine perfection par la pratique des vertus. L’éthique juridique ainsi conçue possède certaines spécificités liées aux caractéristiques du milieu professionnel. Elle se distingue à la fois du droit naturel et de la déontologie juridique. Le droit naturel se borne à la détermination des exigences de justice naturelles dans les rapports interpersonnels et sociétaires, sans aborder la recherche de la bonne conduite de la personne dans l’exercice de sa profession. Par ailleurs, l’éthique juridique va au delà d’un simple « code déontologique » ou d’une information sur les règles élémentaires des diverses professions juridiques, qui en restent souvent à des critères formels ou à des approches superficielles. Les questions de conscience ne sont généralement pas abordées systématiquement ni approfondies. Si la déontologie juridique reconnaît un espace à l’objection de conscience, elle se garde bien, le plus souvent, d’en franchir le seuil. L’éthique juridique, en revanche, est censée faire un pas de plus, de façon à pouvoir approfondir les aspects éthiques et les questions de conscience que les notaires, magistrats, avocats, juristes d’entreprise... peuvent rencontrer dans la pratique : savoir comment et pourquoi l’objection de conscience peut, doit, ou ne peut pas être invoquée ; préciser ce que signifie le respect de la vérité dans les sentences et les plaidoiries, la bonne foi dans les négociations et les procédures, la disponibilité aux prestations gratuites, l’implication éthique de certains actes notariés, le rôle de l’avocat face à un mariage en crise, etc. Lors des sessions, à la fois théoriques et pratiques, nombreux sont les juristes qui ont reconnu avoir éprouvé des situations de désarroi, voire de véritables problèmes de conscience professionnelle. Certains y voyaient notamment la conséquence de carences manifestes remontant à leur formation universitaire. À cet égard, n’est-il pas frappant de constater le décalage entre l’éthique des professions juridiques (pratiquement inexistante, en langue française en tout cas, hormis dans ses aspects déontologiques) et l’éthique des affaires ou la bio-éthique, par exemple, qui connaissent un essor remarquable ? Le programme d’étude des Facultés de droit belges qui, à notre connaissance, consacre à peine quelques heures à l’une ou l’autre déontologie spécialisée (par exemple, dans le cadre de la licence en notariat), n’aurait-il pas quelque parti à tirer de ce constat pour la préparation des générations de juristes à venir ? Par ailleurs, dans des questions relatives au bien commun (ordre, paix, sécurité...), l’éthique juridique rejoint l’éthique politique. À cet égard, nous coïncidons pleinement avec M. Ronheimer sur la nécessité de développer une « éthique politique » spécifique (cf. M. RONHEIMER, Perché una filosofia politica ? Elementi storici per una risposta, in Acta philosophica, 1 (1992), p. 233-263). En conclusion, nous pensons que la formation professionnelle du juriste devrait réserver une place non négligeable à l’enseignement du droit naturel, conçu comme science juridique et opérationnelle, ainsi qu’à l’éthique juridique et politique.
81 Sur le rôle de liaison que jouent le droit naturel et les droits de l’homme entre l’éthique — à vocation universelle mais privée d’effectivité juridique — et le droit (positif) qui, dans des déterminations particulières jouit, en revanche, de l’effectivité, voir J. LADRIÈRE, Droit naturel, droit, éthique, in R.I.E.J., 13 (1984), p. 90-97.
82 J. LECLERCQ, Du droit naturel à la sociologie, op. cit., p. 117.
83 Cf. Ibidem, p. 131.
84 Cf. Ibidem, p. 135.
85 Cf. J. LECLERCQ, Leçons de droit naturel. I, op. cit., p. 83.
86 A.M. DILLENS, D’« une idée classique du droit naturel » ou d’une idée contemporaine du droit naturel classique ?, in Images et usages..., op. cit., p. 605.
87 Cf. Ch. R. GREICH, Political Equality. An Essay in Democratic Theory, Princeton, 1989.
88 « L’égale dignité des individus, de même que la nécessité de l’autonomie collective, constituent les éléments fondateurs de l’idéal démocratique. Tout en déterminant, fût-ce de manière partielle, les rapports sociaux et politiques, les principes d’égalité et d’autonomie collective livrent les critères de légitimité du pouvoir dans les sociétés démocratiques et, partant, du droit d’imposer des obligations à leurs membres. Cette légitimité implique une dimension d’universalisation qui résulte du principe d’égalité. L’on peut en effet considérer que les normes sociales, et en particulier les normes juridiques, ne s’appliquent légitimement à leurs destinataires que si, en principe, tous les membres de la société démocratique peuvent prendre part, sur pied d’égalité, au processus de décision collective » (Ph. GERARD, Droit et démocratie, op. cit., p. 285).
89 X. DIJON, La légitimité démocratique…, op. cit., p. 236.
90 Ibidem, p. 235.
91 Une certaine tendance au développement des procédures, dans une perspective pragmatique, est également décelable en droit canonique. Voir à ce sujet L.-L. CHRISTIANS, Une procéduralisation des droits religieux ? Introduction à une réflexion sur les mutations de la pensée canonique contemporaine entre anticipation et adaptation, Carnet du Centre de philosophie du droit de l’UCL, no 55, Louvain-la-Neuve, juin 1998. Toutefois, comme nous avons déjà eu l’occasion de le signaler, en droit canonique, cette procéduralisation est nécessairement limitée par le cadre bien défini basé sur le droit divin dans lequel elle doit s’inscrire.
92 J. LECLERCQ, Du droit naturel à la sociologie, op. cit., p. 138.
93 X. DIJON, Droit naturel. t. 1. Les questions du droit, Paris, 1998.
94 « Le « détour philosophique » proposé par le droit naturel s’avère sans doute le chemin le plus court pour rejoindre le droit lui-même » (ibidem, p. 23). D’ailleurs, refuser ce détour entraîne l’adhésion nolens volens à la position philosophique que représente le positivisme juridique.
95 « La question consiste moins à savoir si le droit naturel connaîtra jamais une sanction comparable à celle que reçoit le droit positif, que, plutôt, à savoir si les sanctions possibles s’appuient suffisamment sur les exigences du droit naturel pour mériter de figurer dans l’ordre du droit » (ibidem, p. 24).
96 « En réalité, loin que l’histoire refuse la nature comme décidément fixiste, ou que la nature précise l’histoire comme un accident superficiel, ne vaut-il pas mieux reconnaître leur indissociable complicité ? L’une et l’autre renvoient mutuellement à ce qu’elles portent chacune en elles en fait de permanence et en fait de changement » (ibidem, p. 27).
97 « La recherche du droit que commande la nature humaine elle-même, loin de perturber le débat démocratique, lui donne au contraire un fondement. Une telle recherche empêche en effet ce débat de tomber dans la seule lutte d’intérêts qui, privilégiant jusqu’à l’exclusive le rapport des forces, s’empêcherait par là à dire le droit » (ibidem, p. 29). Par ailleurs, le vrai iusnaturalisme est respectueux aussi bien de la liberté de conscience que des autres libertés publiques des citoyens.
98 Voir le compte rendu de M.-F. RIGAUX in R.I.E.J., 41 (1998), p. 130.
99 Nous songeons en particulier, mais pas uniquement, à J. Hervada, qui a toujours fait preuve d’un grand souci de cohérence quant au statut épistémologique des différentes disciplines juridiques (cf. J. HERVADA, Introduction critique..., op. cit.). Cela rejoint la voie qu’avec J. Leclercq, nous avons appelée le « droit naturel séparé de toute croyance » et sur laquelle nous reviendrons plus tard, étant donné son importance.
100 Pour un aperçu global de sa pensée, voir notamment R. RABBI-BALDI CABANILLAS, La filosofίa jurίdica de Michel Villey, Pampelune, 1990.
101 Cf. J.-M. TRIGEAUD, Humanisme de la liberté et philosophie de la justice, t. 1, Bordeaux, 1985 ; IDEM, Droit « positif » et droits de l’homme, Bordeaux, 1997.
102 Cf. A. SÉRIAUX, Le droit naturel, Paris, 1993.
103 Cf. J. HERVADA, Introduction critique..., op. cit., en particulier p. 161 et sv. et Cuatro lecciones de Derecho Natural, 2e éd., Pampelune, 1991. Voir aussi IDEM, Escritos de Derecho Natural, Pampelune, 1986.
104 Cf. J. BALLESTEROS, Sobre el sentido del derecho. Introducción a la filosofía jurídica, Madrid, 1984 ; IDEM, Postmodernidad : decadencia o resistencia, Madrid, 1989.
105 Cf. A. OLLERO TASSARA, ¿Tiene razón el derecho ?, Madrid, 1996.
106 Cf. F. CARPINTERO, Derecho y ontología jurídica, Madrid, 1993 ; IDEM, Nuestros prejuicios acerca del llamado derecho natural, in Persona y Derecho, 27 (1992), p. 21-200.
107 Cf. P. SERNA, Positivismo conceptual y fundamentación de los derechos humanos, Pampelune, 1990.
108 Cf. I. MASSINI, El iusnaturalismo actual, Buenos Aires, 1996.
109 Cf. J. GARCÍA-HUIDOBRO, Razón práctica y derecho natural, Valparaiso, 1993.
110 Cf. D. COMPOSTA, Filosofia del Diritto, t. I, 1991 ; t. II, Rome, 1994.
111 Cf., par exemple, S. COTTA, Il diritto nell’esistenza. Linee di onofenomenologia giuridica, Milan, 1991 ; S. COTTA et alii, Diritto naturale e diritti dell’uomo all’alba del XXI secolo, Milan, 1993.
112 Cf. F. d’AGOSTINO, Filosofia del diritto, Turin, 1993 ; Pluralità delle culture e universalità dei diritti (a cura di F. d’AGOSTINO), Turin, 1996.
113 Cf. F. VIOLA, Diritti dell’uomo, diritto naturale, etica contemporanea, Turin, 1989 ; IDEM, Dalla natura ai diritti ? I luoghi dell’etica contemporanea, Rome, 1997.
114 Sur cette école, voir par exemple R. A. GAHL, Practical Reason in the Foundation of Natural Law according to Grisez, Finnis, and Boyle, thèse, Rome, 1994.
115 Cf. J. FINNIS, Natural law and natural Rights, Oxford, 1980 ; IDEM, Fundamental of Ethics, Oxford, 1983 ; IDEM, Moral Absolutes, Washington, 1991.
116 Cf. W. MAY, Moral Absolutes. Tradition, Current Trends and the Truth, Milwau kee, 1989.
117 Cf. J. BOYLE, Natural Law and the Ethics of Traditions, in Natural Law Theory (ed. Robert P. George), Oxford, 1992.
118 Cf. Natural Law Theory (ed. Robert P. GEORGE), op. cit.
119 Cf. R. SPAEMANN, Das Naturliche und das Vernunftige. Aufsatze zur Anthropologie, Munich, 1987.
120 Cf. A. KAUFMANN, Grundprobleme der Rechtsphilosophie, Munich, 1994.
121 On se souvient notamment des objections formulées dans M. VILLEY, Le droit et les droits de l’homme, Paris, 1983. Toutefois, la conclusion de l’impossibilité méta physique des droits de l’homme à laquelle aboutit le professeur parisien ne nous semble pas fondée. Elle s’explique peut-être par sa vision trop radicalement cosmique (et pas assez axée sur la nature humaine) des rapports de justice. Nous pensons que les droits humains se fondent sur le droit naturel et que la survie de ceux-là requiert la nécessité d’un tri entre ceux qui sont naturels — et universels — et ceux qui, étant culturels et/ou socio-économiques, sont régionaux et variables (cf. J.-P. SCHOUPPE, Réflexions sur la conception du droit de M. Villey : une alternative à son rejet des droits de l’homme, in Persona y Derecho, 25 (1991), in memoriam Michel Villey, p. 151-169). Voir, dans le même sens, J.-B. d’ONORIO, À la recherche des droits de l’homme. Les équivoques d’un concept, in Collectif, Droits de Dieu et droits de l’homme, Paris, 1989, p. 205.
122 À ce sujet, on constate non seulement le déploiement historique et progressif des déclarations des droits de l’homme concernant le présent, mais aussi la tendance qui consiste à anticiper l’avenir par une prise en compte des générations futures d’êtres humains, récemment mise en relief par certains auteurs dans le domaine écologique (voir notamment F. OST, La nature hors la loi. L’écologie à l’épreuve du droit, Paris, 1995, p. 278 et sv.).
123 Cf. M. RONHEIMER, Diritti fondamentali, legge morale e difesa legale della vita nello stato costituzionale democratico. L’approccio costituzionalistico all’enciclica « Evangelium vitae », in Annales Theologici, 9 (1995/2), p. 289 et sv.
124 Cf. G. HAARSCHER, Philosophie des droits de l’homme, Bruxelles, 4e éd., 1993, p. 138-139.
125 Cf. C.I. MASSINI, La teoría dell derecho natural en el tiempo postmoderno, in Rivista internazionale di filosofia del diritto, 74 (1997), p. 647 et sv.
Auteur
Professeur à l’Université pontificale de la Sainte Croix
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Imaginaire et création historique
Philippe Caumières, Sophie Klimis et Laurent Van Eynde (dir.)
2006
Socialisme ou Barbarie aujourd’hui
Analyses et témoignages
Philippe Caumières, Sophie Klimis et Laurent Van Eynde (dir.)
2012
Le droit romain d’hier à aujourd’hui. Collationes et oblationes
Liber amicorum en l’honneur du professeur Gilbert Hanard
Annette Ruelle et Maxime Berlingin (dir.)
2009
Représenter à l’époque contemporaine
Pratiques littéraires, artistiques et philosophiques
Isabelle Ost, Pierre Piret et Laurent Van Eynde (dir.)
2010
Translatio in fabula
Enjeux d'une rencontre entre fictions et traductions
Sophie Klimis, Laurent Van Eynde et Isabelle Ost (dir.)
2010
Castoriadis et la question de la vérité
Philippe Caumières, Sophie Klimis et Laurent Van Eynde (dir.)
2010