Un objet hybride. Étude de cas : La Culture des Idées
p. 29-51
Texte intégral
1. Introduction
1A l'occasion d'un colloque qui a eu lieu en Suisse, à Neuchâtel, à propos de Charles Sanders PEIRCE. Apports récents et perspectives en épistémologie, sémiologie, logique1'nous avons abordé l’œuvre de Magritte à la lumière de Peirce. Au cours de cette étude, Peirce et Magritte se sont rendu service réciproquement. En effet, d'une part, la sémiotique de Peirce nous a permis de mettre en évidence le processus interprétatif déclenché par les tableaux de Magritte ; et d'autre part, l’œuvre de Magritte et sa pensée, ses écrits nous ont aidée à comprendre certaines notions de Peirce. Notamment, la distinction que Magritte établit, et à laquelle il tient beaucoup, entre la ressemblance et la similitude nous a été utile pour clarifier la notion d'icône chez Peirce.
2A présent, en nous appuyant sur les résultats de cette première étude, nous analyserons un tableau particulier. Le tableau en question date de 1961. Il est assez peu connu, il a été peu reproduit ; et il est unique dans l'œuvre de Magritte : il n'a pas donné lieu à des reprises ni à des variations. Ce tableau (gouache, 45,5 x 35,5) s'intitule La Culture des Idées2, et il présente un objet hybride, résultant du croisement de tulipes et de pipes. Nous ferons donc une étude de cas à propos de cet objet hybride. Nous procéderons également à une confrontation entre ce tableau de Magritte et une annonce publicitaire, qui exploite apparemment le même procédé que dans le tableau de Magritte, et à propos de tulipes également, mais nous verrons que le processus interprétatif déclenché par les deux images est extrêmement différent.
2. Le processus interprétatif des tableaux de Magritte
3Pour résumer notre première étude, nous proposons de décomposer en trois étapes le processus interprétatif déclenché par les tableaux de Magritte :
Première étape
4Magritte représente dans ses tableaux un répertoire d'objets banals, prototypiques, qui font partie de notre réalité quotidienne. Le spectateur reconnaît immédiatement ces objets familiers. Sortis de leur contexte habituel, ces objets sont donnés à reconnaître d'abord séparément, et Magritte utilise différents moyens pour accentuer leur isolement. L'identification immédiate est assurée par la façon de peindre de Magritte, une façon de peindre réaliste, c'est-à-dire standardisée, conventionnelle, absolument conforme aux habitudes de voir.
Deuxième étape
5Cependant, dans le contexte du tableau, les objets familiers sont placés dans un ordre tellement inhabituel qu'ils en perdent leur identité. Et le spectateur perd aussitôt de vue ce qu'il croyait si bien connaître et si aisément reconnaître.
6On peut dire que la représentation d'objets banals sert à Magritte de tremplin pour procéder à la présentation d'objets nouveaux, jamais vus.
7Dans le tableau, des événements se produisent : par exemple, un objet apparaît là où l'on en attendait un autre (l'œuf au lieu de l'oiseau, ou l'inverse) ; deux objets ou deux phénomènes se rencontrent de manière inattendue (un verre d'eau posé sur un parapluie ouvert ; le jour et la nuit ; la fermeture et l'ouverture de la porte) ; un objet change d'échelle, ou de matière, ou se trouve en apesanteur, etc. Magritte utilise divers procédés – qu'on pourrait assez facilement répertorier – pour provoquer un choc visuel. Et le spectateur passe brusquement de la reconnaissance à la surprise.
Troisième étape
8Les événements qui se produisent dans le contexte du tableau sont tels qu'ils libèrent la pensée du spectateur des « façons de penser » habituelles, et l'engagent sur la voie du Mystère ou de la ressemblance.
9Mystère, ressemblance et pensée sont trois notions liées pour Magritte. Mais il ne faut surtout pas confondre ressemblance et similitude.
10La ressemblance n'appartient qu'à la pensée, en certains moments privilégiés, que Magritte appelle des moments de « présence d'esprit ». Comment la pensée peut-elle ressembler ?
La pensée ressemble en devenant ce que le monde lui offre et en restituant ce qui lui est offert au mystère sans lequel il n'y aurait aucune possibilité de monde ni aucune possibilité de pensée3.
11La ressemblance, c'est la pensée qui devient connaissance immédiate. Par contre, le dessin d'une pipe, par exemple, ne ressemble pas à l'objet « pipe » ; il ne peut avoir que des similitudes avec cet objet. La similitude est de l'ordre de la distinction : elle résulte, dit Magritte, d'un acte de pensée qui examine, évalue et compare4. Tandis que la ressemblance est de l'ordre de l'indistinction. Elle correspond à la catégorie de la priméité chez Peirce, c'est-à-dire une conception de l'être comme totalité, comme qualité totale et possible, purement possible.
12En mettant en parallèle Peirce et Magritte, on comprend que, paradoxalement, une pensée peut être plus « iconique » qu'un dessin. Seule la pensée peut être une icône pure. Le dessin d'une pipe représentant l'objet pipe n'est qu'une hypoicône5, c'est-à-dire un signe conventionnel, donc un symbole, mais qui produit un effet de similitude si la convention est si généralement admise qu'on en vient à l'oublier, qu'elle se naturalise. En résumé :
SIMILITUDE | VS | RESSEMBLANCE |
distinction | indistinction | |
dessin d'une pipe/objet pipe | pensée qui voit pensée présente à elle-même | |
hypoicône | icône pure | |
tiercéité | priméité |
13Le processus interprétatif des tableaux de Magritte tel que nous l'avons décrit en trois étapes nous fait passer à travers les catégories peirciennes de la façon suivante :
Processus interprétatif des tableaux de Magritte en trois étapes comme acte de pensée poétique
étape 1 → | étape 2 → | étape 3 |
TIERCÉITÉ | SECONDÉITÉ | PRIMÉITÉ |
convention | expérience | possible |
REPRÉSENTATION | PRÉSENTATION | ÉVOCATION |
de l'objet banal | de l'objet nouveau | du Mystère |
RECONNAISSANCE | SURPRISE | LIBÉRATION |
(habitudes de voir) | (épuration du regard) | (de la pensée) |
distinction | confrontation | indistinction |
(objets isolés) | (choc visuel) | (qualité totale) |
similitude | contexte du tableau : | ressemblance |
(hypoicône) | événements | (pensée) |
14Sans expliquer ici longuement les catégories peirciennes6, commentons rapidement le tableau ci-dessus. Les catégories sont trois modes d'appréhension des phénomènes ; elles correspondent aux nombres un, deux et trois.
15La priméité est la conception de l'être « indépendamment » de toute autre chose. Dans la priméité, il n’y a que du UN. Il s'agit donc d’une conception de l'être dans sa globalité, sa totalité, sans distinctions, sans limites ni parties, sans cause ni effet. C’est la catégorie de la qualité, du possible. Elle est vécue dans une sorte d’instant intemporel.
16La secondéité est la conception de l’être « relatif à »quelque chose d’autre. C’est la catégorie de l’expérience, du fait, du hic et nunc. Elle s'inscrit dans un temps discontinu.
17La tiercéité est la « médiation » par laquelle un premier et un second sont mis en relation. C'est la catégorie de la règle, de la loi, du nécessaire, des conventions et des habitudes. Elle s'inscrit dans la continuité, car une loi, dit Peirce, est « la manière dont un futur qui n'aura pas de fin doit continuer à être » (C.P. 1.536).
18Notre processus interprétatif des tableaux de Magritte nous conduit de la tiercéité à la priméité, en passant par la secondéité : des habitudes de voir (étape 1) à la libération de la pensée (étape 3), en passant par un choc visuel, une expérience, des événements qui, dans le contexte de l'image, provoquent la surprise et l'épuration du regard (étape 2).
19Un tel processus interprétatif, compris comme un acte de pensée poétique, fonctionne exactement à l'inverse de ce que serait une interprétation symbolique des tableaux de Magritte, laquelle nous conduirait de la priméité (soi-disant ressemblance entre le dessin de la pipe, par exemple, et l'objet pipe) à la tiercéité (signification symbolique), en réduisant ce qui se passe dans le contexte de l'image à des « figures de rhétorique » :
Interprétation symbolique
étape 1 → | étape 2 → | étape 3 |
PRIMÉITÉ | SECONDÉITÉ | TIERCÉITÉ |
hypoicône | contexte du tableau : | maîtrise du sens |
soi-disant | figures | signification |
ressemblance | de rhétorique | symbolique |
20Une interprétation symbolique aboutirait, non à la libération de la pensée, mais à la maîtrise du sens. A notre avis, une telle interprétation serait tout à fait inadéquate, non pertinente par rapport à la pensée de Magritte. En effet, Magritte s'est toujours opposé à toute interprétation symbolique ou psychanalytique de ses tableaux :
Les symboles dans les arts de représentation étant surtout utilisés par des artistes très respectueux d'une habitude de penser : celle de doter d'une signification quelconque et conventionnelle un objet. Ma conception de la peinture tend, au contraire, à restituer aux objets leur valeur en tant qu'objets (ce qui ne manque pas de choquer les esprits qui ne peuvent voir une peinture sans penser automatiquement à ce qu’elle pourrait avoir de symbolique, d’allégorique, etc.)7.
Une expérience récente me fait mesurer l'abîme qui sépare les intelligences : je viens d'entendre une « explication » d'un tableau que j’ai peint. Il s'agit des Droits de l'Homme. Il paraîtrait que le feu qu'on voit dans ce tableau, est celui de Prométhée, mais aussi le symbole de la guerre ! Le personnage qui tient la feuille à la main « représenterait » la paix - cette feuille serait celle de l’olivier ! ! ! Ainsi ce tableau, etc ... Je m’arrête, car l'imagination des amateurs de peinture est inépuisable, mais elle est très banale, ces amateurs n'ayant aucune inspiration8.
21Magritte est bien au courant des significations symboliques traditionnellement attribuées aux objets qu'il représente dans ses tableaux. Mais, par les événements qu'il provoque dans le contexte de ses tableaux, il parvient à libérer les objets de leurs significations acquises, tant pratiques que symboliques9, pour les « restituer au Mystère ».
22Pour nous, tous les tableaux de Magritte aboutissent à l'évocation du Mystère et libèrent la pensée en l'ouvrant sur la qualité totale, l’indistinction, la « ressemblance », la « priméité ». Tous les tableaux de Magritte conduisent à :
(...) Un certain point de l'esprit d'où la vie et la mort, le réel et l'imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l'incommunicable, le haut et le bas cessent d'être perçus contradictoirement10.
23Par exemple, dans La Trahison des Images, la pipe est très clairement représentée et identifiée comme telle (étape 1) ; mais elle rencontre, dans le contexte du tableau, une proposition qui prétend, contre toute attente, qu'elle « n'est pas une pipe » (étape 2) ; ainsi, la pipe a perdu son nom, donc son identité ; elle est rendue au mystère qui précède toute nomination, et donc toute distinction (étape 3).
24Autre exemple : dans Les Vacances de Hegel, l'association surprenante du verre d'eau et du parapluie ouvert nous donne à penser une qualité totale par l'union des contraires (puisque le verre contient l'eau et que le parapluie écarte l'eau).
25Ou encore : dans Le Tombeau des Lutteurs, une rose qui occupe toute une pièce est une conception de l'être comme totalité, donc priméité. Ce n’est qu'en des moments privilégiés, à la faveur de la pensée inspirée ou pensée de la ressemblance, que nous pouvons concevoir une telle rose : une rose dans l’univers !
S'il est facile de dire : une rose dans le jardin, il n'est pas facile de dire : une rose dans l'univers11.
26Peindre une rose qui occupe toute une pièce, c'est rendre visible la pensée d'« une rose dans l'univers », d’une rose totale.
3. La Culture des Idées (1961)
27Nous allons voir quels procédés sont utilisés dans La Culture des Idées pour provoquer le choc visuel et libérer la pensée, l'ouvrir sur le Mystère, sur la totalité, sur la priméité...
28Nous allons décrire le processus interprétatif déclenché par ce tableau en suivant nos trois étapes. Nous ferons ensuite la confrontation annoncée avec l'annonce publicitaire. Nous verrons enfin comment l'interprétation de l’image de Magritte s'enrichit encore lorsqu'on prend en considération le titre du tableau, ainsi que d'autres éléments linguistiques appelés par l'image.
3.1. L'image
3.1.1. La reconnaissance d'un monde familier
29On peut facilement décrire ce que représente cette image. Elle représente au premier plan un vase contenant un bouquet de tulipes. Ce vase est posé sur une table en bois, placée devant un muret en briques blanches. Ce muret rencontre à angle droit, à l'extrémité gauche de l'image, un pan de mur fait du même matériau. L'avant-plan apparaît comme la limite d'un espace intérieur, par exemple une terrasse, ouvrant sur l'extérieur. La limite intérieure du mur et du muret est visible.
30Le fond du tableau, lointain et flou, s'articule en trois zones, en remontant : une zone vert pâle représentant un feuillage, une zone de ciel gris nuageux, et enfin une zone de ciel bleu ; ces trois zones font écho aux trois parties qui constituent la figure du premier plan : le vase, les feuilles du bouquet et enfin les fleurs.
31Jusqu'ici, rien que de très banal : un bouquet de fleurs placé sur une tablette, selon l'usage domestique ! Ce bouquet de fleurs semble remplir parfaitement sa fonction traditionnelle de décoration. Il est composé de dix fleurs, comme le sont généralement les bouquets de tulipes que l'on achète sur le marché.
32Cependant, dans le bouquet, il n'y a qu'une seule tulipe, qui est rouge. Les neuf autres, jaunes panachées de brun, toutes exactement semblables en forme, couleur et grandeur, présentent en fait les traits pertinents d'une pipe : ce sont des pipes, immédiatement reconnaissables comme pipes, mais positionnées comme des tulipes.
3.1.2. La surprise d'un monde possible : l’objet hybride
33Surprise, donc, pour le spectateur, qui se trouve devant un objet nouveau, jamais vu, un objet hybride : un bouquet de tulipes qui se sont épanouies en prenant l'allure de pipes.
1) Le problème de la tulipe
34Magritte pose ici le « problème de la tulipe ». Magritte se posait en effet régulièrement des « problèmes d'objets », c'est-à-dire qu'il recherchait, pour chaque objet pris en considération, un autre objet qui aurait des affinités profondes mais cachées avec le premier. Et lorsque la « seule réponse exacte » était trouvée, dit Magritte, le rapprochement était saisissant. Dans sa recherche des solutions aux « problèmes d'objets », Magritte exploite divers procédés, toujours très logiques, rigoureux. Il combine les objets en suivant des logiques d'associations qui fonctionnent dans nos scénarios quotidiens, mais en les poussant à bout. Il questionne, par exemple, les rapports de partie à tout (l’arbre et la feuille, la tête de la femme et son corps), d'intérieur et extérieur (les pieds dans les chaussures), d’avant et après (l'œuf et l'oiseau), etc.
2) Une hybridation au sens fort
35Ici, l'association entre l’objet-problème et la solution consiste en un cas très logique d'hybridation, suivant le scénario de la recherche botanique. Il s'agit d'une hybridation au sens biologique, c'est-à-dire au sens fort et premier du terme12.
36Cf. le Robert Méthodique :
hybridation : n. f. Croisement entre plantes, animaux de variétés ou d'espèces différentes.
hybride : adj. et n. m. 1 ° Se dit d'une plante, d'un animal provenant du croisement de variétés, d'espèces différentes.
37Dans cette image, Magritte présente une nouvelle variété de tulipes. Il nous montre un cas d'hybridation que les plus grands spécialistes de la botanique ne sont « pas encore » parvenus à réaliser !
38Ce n'est pourtant pas faute d'avoir essayé, à propos des tulipes précisément ! En effet, dès la fin du XVIe siècle et pendant tout le XVIIe siècle a régné en Europe une véritable « tulipomanie ». La Bruyère décrit, en 1691, l’amateur de tulipes, en tête de tous les types de collectionneurs :
Le fleuriste a un jardin dans un faubourg ; il y court au lever du soleil, et il en revient à son coucher. Vous le voyez planté, et qui a pris racine au milieu de ses tulipes et devant la Solitaire : il ouvre de grands yeux, il frotte ses mains, il se baisse, il la voit de plus près, il ne l'a jamais vue si belle, il a le cœur épanoui de joie ; il la quitte pour l'Orientale, de là il va à la Veuve, il passe au Drap d'or, de celle-ci à l'Agathe, d'où il revient à la Solitaire, où il se fixe, où il se lasse, où il s'assit, où il oublie de dîner : aussi est-elle nuancée, bordée, huilée, à pièces emportée ; elle a un beau vase ou un beau calice : il la contemple, il l’admire. Dieu et la nature sont en tout cela ce qu’il n’admire point ; il ne va pas plus loin que l’oignon de sa tulipe, qu’il ne livrerait pas pour mille écus, et qu’il donnera pour rien quand les tulipes seront négligées et que les œillets auront prévalu. Cet homme raisonnable, qui a une âme, qui a un culte et une religion, revient chez soi fatigué, affamé, mais fort content de sa journée : il a vu des tulipes13.
39Un catalogue français datant de 1653 décrit 525 variétés de tulipes, et un manuscrit turc écrit vers 1730 en signale 1.323 variétés14. Les tulipes les plus banales sont les rouges et les jaunes unies ; les plus extraordinaires sont les panachées. Un petit « Traité des tulipes et de la manière de les faire panacher » est ajouté à la réédition en petit format (1689) du Traité de jardinage de Boyceau de la Baraudière (1ère éd., 1638). On y apprend qu’une tulipe qui a panaché et qui réussit se stabilise au bout de deux ans. Elle peut cependant encore s'améliorer, et la principale amélioration porte sur la netteté du panachage.
40Or, que nous présente Magritte dans son bouquet ? Une tulipe rouge unie, et neuf tulipes au panachage très net : jaunes bordées d'un double anneau brun, à la base et à la pointe de la fleur. Magritte réunit donc dans ce bouquet les extrêmes de l'histoire de la tulipe : la variété la plus banale qui soit, et la plus perfectionnée... qu'on puisse imaginer ! Ainsi, Magritte pousse à bout un scénario logique : celui de l'histoire de la tulipe, de l'évolution botanique.
3) Pas une hybridation au sens large
41On appréciera encore mieux la justesse de l'image de Magritte en la confrontant à un dessin de Marcel Mariën (daté du 5/5/76) qui représente la combinaison d'une pipe et d'une épingle à cheveux, accompagnée de l’inscription : « Si vous ne trouvez pas cela ridicule, c'est que vous n'y comprenez rien ».
42La combinaison dessinée par M. Mariën n'est pas une hybridation au sens premier, fort, du terme, puisqu'il ne s'agit pas de croisement entre plantes ni animaux, mais seulement d'une combinaison entre deux objets quelconques, soit d'une hybridation au sens large, troisième sens donné par le Robert Méthodique15 :
hybride : adj. et n.m. 3° Composé de deux ou plusieurs éléments de nature, genre, style... différents. Exemples : Œuvre d'un genre hybride. C'est une solution hybride.
43Or, ce sens d'hybridation comporte une connotation péjorative, comme le montre le Robert Electronique qui précise comme troisième sens :
Composé de deux éléments de nature différente anormalement réunis. Exemple : « L'homme d'affaires, hybride du danseur et du calculateur » (cit. de Valéry).
44A l'adverbe « anormalement » du troisième sens s'oppose, dans le Robert Electronique, l'adjectif « fécond » qui apparaît dans la définition du premier sens :
Croisement fécond entre sujets différant au moins par la variété.
45Associer des éléments de nature aussi différente qu'une pipe et une épingle à cheveux n’est pas « fécond », mais « anormal » : c'est ridicule, nous dit avec raison Marcel Mariën !
4) Une trouvaille
46Au contraire, obtenir par croisement une nouvelle variété de tulipes, donc réaliser une hybridation dans le sens premier du terme, est “fécond” : c’est un exploit pour un botaniste !
47Et pousser à bout, comme l'a fait Magritte, ce processus d'hybridation, c'est une « trouvaille », dans le sens d’André Breton, c'est-à-dire :
(...) Une solution toujours excédente, une solution certes rigoureusement adaptée et pourtant toujours supérieure au besoin.16
48La solution apportée par Magritte au « problème de la tulipe » est « rigoureusement adaptée » : elle s'inscrit, de façon cohérente, dans un scénario logique, celui de la recherche botanique ; mais la solution est “excédente”, “supérieure au besoin”, car le scénario est poussé jusqu'à l'extrémité d'un possible impossiblement actualisable (jamais, en réalité, malgré ses 1.323 variétés, la tulipe ne s'est dénaturalisée au point de se métamorphoser en pipe !).
3.1.3. L’évocation du mystère et la libération de la pensée
49Magritte effectue dans son image plusieurs condensations, une triple condensation spatio-temporelle et une condensation actorielle :
50a) Les deux extrémités temporelles du scénario de la recherche botanique sont condensées dans le même espace du bouquet, où se trouvent présents à la fois l'objet-témoin (la tulipe banale) et la trouvaille (la tulipe jamais vue, la tulipe possible, la tulipe-pipe).
51b) La justesse de l'image est encore renforcée par son inscription dans un autre scénario logique et chronologique : celui de l'épanouissement des fleurs dans un vase, et les deux extrémités temporelles du processus sont également confrontées dans le bouquet : la tulipe-tulipe est à peine ouverte, tandis que les tulipes-pipes ont l'attitude caractéristique des tulipes épanouies. Par cette confrontation, Magritte nous donne à penser que la « vraie » tulipe en s'épanouissant prendra l'attitude des tulipes-pipes, se transformera donc à son tour en une espèce de tulipe-pipe.
52Ainsi, c'est un double processus temporel qui se trouve simultanément condensé dans le bouquet : celui de la recherche botanique et celui de l'épanouissement des fleurs dans un vase. Et dans ce double processus, la tulipe-tulipe (à la fois rouge et fermée) constitue le point de départ et les tulipes-pipes (à la fois panachées avec netteté et épanouies) représentent l'aboutissement.
53c) Ce n'est pas encore tout, en fait de condensation spatio-temporelle. Les tulipes-pipes adoptent, il est vrai, la courbure des tulipes qui s'épanouissent ; mais elles ne s'ouvrent pas, leurs pétales ne s'écartent pas, elles restent compactes comme en boutons. Elles sont donc à la fois à peine écloses et déjà épanouies : elles unifient en elles-mêmes les extrémités de la durée de vie des fleurs dans un vase.
54d) En plus de la triple condensation spatio-temporelle, l’image présente une condensation “actorielle” : chaque tulipe-pipe est unifiée en elle-même. Chacune des tulipes-pipes constitue un objet hybride, dans lequel on reconnaît clairement la pipe et la tulipe sans pouvoir pour autant les dissocier. La haute tige caractéristique de la tulipe devient progressivement le tuyau de la pipe, sans cesser d'être la tige de la tulipe ; il est impossible de « couper » le tuyau de la tige, car ils sont traités en continuité. L'objet hybride est donc à la fois une tulipe et une pipe, et il n'est ni l'une ni l'autre. Il occupe une position indifférenciée, à la fois complexe et neutre17.
55Dans cette situation, aussi bien les pipes que les tulipes ont perdu leur fonction habituelle. Il est impossible, en effet, d’utiliser les pipes, puisqu’elles ne peuvent pas être dégagées des tulipes. Quant au bouquet de tulipes, au lieu de susciter la contemplation, il provoque l’étonnement. Il a donc perdu sa fonction conventionnelle, symbolique, de décoration ; il a acquis une fonction poétique de conciliation des contraires, conduisant à la pensée de la ressemblance. Ni le bouquet, ni le tableau qui le présente ne permettent la contemplation :
Le tableau parfait ne permet pas la contemplation, sentiment banal et sans intérêt18.
56Le tableau parfait produit un choc visuel, introduit l'incertitude dans le déjà-vu et libère ainsi la pensée.
57L'image de Magritte conduit la pensée à un point où serait abolie toute distinction actorielle et spatio-temporelle :
actorielle : les acteurs ou figures « pipes » et « tulipes » ont perdu leur identité d'objet ;
spatio-temporelle : condensation des étapes de la recherche botanique, ainsi que de la temporalité de l'épanouissement des fleurs dans un vase.
58En assistant à l'abolition de toutes ces distinctions, la pensée s'ouvre sur l'indistinction, la continuité, l'unité : le Mystère.
3.2. Image poétique et rhétorique publicitaire
59Pour mieux mesurer la portée de l'image de Magritte, nous allons la confronter à un prospectus publicitaire pour une marque de voitures, qui invite le récepteur à « cueillir les conditions de printemps » en lui présentant des billets de 5000 BEF enroulés et fixés sur des tiges comme des tulipes dans un champ. Ces deux images ont un point commun : dans la première, des pipes se trouvent là où l'on attendait des tulipes ; et dans la deuxième, ce sont des billets de 5000 BEF qui occupent la place de tulipes. Nous allons montrer cependant que le processus de l'association des tulipes avec l'autre objet (pipes ou billets) est très différent dans l'image poétique de Magritte et dans la rhétorique publicitaire.
60Le prospectus publicitaire Opel met en scène des billets de 5000 BEF, de telle façon qu'ils occupent, dans le contexte de l'image, la place de tulipes. Mais ce sont des billets de 5000 BEF, ce ne sont pas des tulipes. Le spectateur ne voit pas, dans l'image, de tulipes ; il voit des billets de 5000 BEF occupant la place de tulipes. La publicité lui fait voir l'offre d’achat promotionnelle comme des tulipes à cueillir. Il s'agit ici d'une métaphore, qui fait comprendre partiellement une chose (l'offre d'achat) dans les termes d'une autre (des tulipes à cueillir). Mais seulement partiellement : s'il s'agit de cueillir les billets de 5000 BEF comme des tulipes, le comportement à adopter ensuite ne se rapporte plus du tout à des tulipes (il n'est pas question de les mettre dans de l'eau, par exemple), mais bien à de l'argent : à l'intérieur du prospectus publicitaire, les billets cueillis sont remplacés par des chèques à valoir comme remise en cas d'achat d'une voiture. La métaphore permet de concrétiser une notion abstraite : tulipes à cueillir ! billets ! chèque ! remise (conditions à saisir).
61Dans le tableau de Magritte, nous avons vu comment l’image du bouquet de tulipes-pipes conduisait la pensée du spectateur vers l'indistinction du Mystère, en établissant une continuité sur le plan actoriel et spatio-temporel. Dans le prospectus publicitaire, c'est au contraire la discontinuité, ou la distinction, qui fonctionne pour conduire le récepteur vers l’achat. Le récepteur voit des billets à la place de tulipes. Ce n'est pas conforme à la réalité. Il cherche donc une autre interprétation. Il y est aidé par le texte : « Cueillez nos conditions de printemps ». Il est invité à mettre en parallèle le texte et l'image :
62Le texte propose une action à opérer sur les billets positionnés comme des tulipes. Il s'agit de les cueillir. « Cueillir » signifie « détacher (une partie d'un végétal) de la tige » (Robert Méthodique). Il s'agit bien, ici, de détacher le billet de la tige, non pas de couper un morceau de la tige ; il suffit en effet de tirer le billet du bout des doigts, et il se séparera de la tige, avec laquelle il ne se confond pas. Contrairement à la tulipe-pipe de Magritte, la tige et le billet sont traités en discontinuité et sont aisément dissociables. Une fois cueilli, le billet ne sera plus qu’un billet (ce qu'il n'a en fait jamais cessé d'être), il se déroulera et perdra totalement sa forme de tulipe ; il fonctionnera comme billet. Il entrera dans un calcul :
3 tulipes-billets seront rassemblés en un chèque de 15.000 BEF,
4 tulipes-billets seront rassemblés en un chèque de 20.000 BEF,
5 tulipes-billets seront rassemblés en un chèque de 25.000 BEF.
63La tulipe-pipe de Magritte, par contre, ne fonctionnera jamais comme pipe. L’objet hybride de Magritte n'est pas une métaphore. Selon LAKOFF et JOHNSON (1985), une métaphore conceptuelle permet de penser un domaine dans les termes d'un autre, de penser l'inconnu à partir du connu. Or Magritte ne nous donne pas à penser un domaine (qui serait inconnu) à partir d’un autre (qui serait connu). Il ne nous donne pas à interpréter les pipes « en termes de » tulipes, ni l'inverse. Il part du connu (des pipes et des tulipes) et crée de l'inconnu : une nouvelle réalité, un objet hybride, qui ne renvoie à rien d'autre qu'à lui-même, qui est autoréférentiel.
64Magritte crée un autre réel, dont on peut apprécier la justesse (la logique, la cohérence, la trouvaille). Au contraire, la métaphore publicitaire concerne le réel préexistant, elle se veut vraisemblable : les billets à cueillir réfèrent à des conditions d'achat à saisir.
65L'image poétique de Magritte a une fonction cognitive : elle donne à penser le Mystère, en conciliant les contraires ; elle libère la pensée, et elle libère les choses de leurs significations acquises.
66La métaphore publicitaire a une fonction pragmatique : elle concrétise l'offre d'achat ; elle conduit à l'action, au calcul et à la maîtrise des choses.
67En résumé :
MAGRITTE | PUBLICITÉ OPEL |
tulipes-pipes | Tulipes → billets |
objet hybride à la fois complexe et neutre | métaphore fait comprendre : offre d'achat dans les termes de : tulipes à cueillir |
Indistinction continuité | Distinction discontinuité |
Magritte crée un objet autoréférentiel | la publicité concerne un réfèrent préexistant |
justesse | vraisemblable |
poétique | rhétorique |
fonction cognitive | fonction pragmatique |
3.3. Les interprétants linguistiques
68Nous allons prendre en considération à présent les mots qui accompagnent l'image de Magritte.
3.3.1. Le titre du tableau
69La prise de connaissance du titre donné au tableau, loin de clore le processus interprétatif, le fait rebondir. Comme souvent chez Magritte, les mots qui composent le titre peuvent être pris dans des sens différents, voire contradictoires. Et ces différents sens trouvent un ancrage possible dans l'image. Ainsi, l'image est un lieu où s'abolissent les frontières non seulement entre les choses, mais aussi entre les mots.
70Le titre qui nous occupe est La Culture des Idées.
71Le Robert Méthodique distingue deux mots « culture », qui sont des homonymes :
1) Culture : | 1° action de cultiver la terre |
72Ce troisième sens (« cultiver un végétal ») convient à l'image : on pourrait parler de « la culture des tulipes ».
732) Culture : 1 ° développement de certaines facultés de l'esprit par des exercices intellectuels appropriés.
74Ce premier sens du deuxième mot convient pour désigner l'activité de Magritte, penseur par images : il développe ses facultés de l'esprit par un exercice intellectuel approprié, consistant à se poser des « problèmes d'objets ». On pourrait dire que Magritte pratique « la culture des idées », et que son tableau en est la preuve.
75Troisième sens donné par le Robert Méthodique au deuxième mot :
3 ° (opposé à nature) information non héréditaire que recueillent, conservent et transmettent les sociétés humaines.
76Les jardiniers du XVIIe siècle, ainsi que les écrivains comme La Bruyère et les historiens, ont recueilli, conservé, transmis des informations à propos du traitement à apporter aux tulipes pour les faire panacher. Dans ce sens, on peut dire que la vogue des tulipes, la « tulipomanie » est un fait de culture, un événement culturel au XVIIe siècle.
77Voilà donc trois sens différents de « culture » qui peuvent être mis en rapport avec l'image de Magritte. On pourrait tenter de les combiner : en pratiquant « la culture des idées » à propos de l'objet tulipe, Magritte a poussé à bout la logique d'un « fait de culture » du XVIIe siècle, et il a abouti ainsi à présenter une nouvelle variété dans « la culture des tulipes » ! Magritte a donc procédé selon la logique des jardiniers du XVIIe siècle qui, eux aussi, pour pratiquer « la culture des tulipes », devaient pratiquer « la culture des idées » ; ils étaient en quête de nouvelles « idées de tulipes », de nouveaux procédés d'hybridation.
78Il y a cependant une grande différence entre Magritte et les jardiniers du XVIIe siècle : en trouvant une nouvelle idée de tulipes, une nième variété de tulipes, Magritte n'apporte pas une distinction supplémentaire parmi les tulipes. Il procède au contraire, dans son image, à la suppression des distinctions entre toutes les variétés de tulipes (y compris celles qui sont aussi des pipes).
79Trouver des idées (par exemple en se posant des problèmes d'objets) n'est pas une fin pour Magritte, mais un moyen qu'il emploie, précisément, pour libérer la pensée de toutes les idées. Car Magritte distingue les « idées » et la « pensée ». Ce qu'il cherche à provoquer par ses images, c'est une « pensée sans idées », une pensée libérée de toutes les distinctions établies, de « toutes les idées parasites », une « pensée qui voit », qui est « présente à elle-même », une « pensée qui n'a d'autre contenu que la pensée » :
Les erreurs sont dues, je crois, à l'incapacité pour beaucoup de personnes d'avoir une pensée qui voit ce que les yeux regardent. Leurs yeux regardent et leur pensée ne voit pas, elles substituent, à ce qui est regardé, des « idées » qui leur semblent intéressantes : ces personnes ne peuvent pas avoir une pensée sans idées, c'est-à-dire une pensée qui voit et, par là-même, ne connaissent pas le mystère qu'une telle pensée évoque19.
80Les idées ne sont jamais parfaites, elles peuvent être, tout au plus, « intéressantes », ce qui veut presque dire, pour Magritte, « sans intérêt » ! Seule la pensée peut être parfaite20, lorsqu'elle est inspirée, lorsqu'elle ressemble, c'est-à-dire qu’elle devient ce que le monde lui offre et restitue ce qui lui est offert au Mystère, lequel précède toute distinction factorielle ou spatio-temporelle).
3.3.2. Les mots et les images
81En plus du titre du tableau, d'autres mots sont appelés par l'image... Magritte nous laisse le plaisir d'appeler ici les choses par leur nom, et de nous étonner du rapprochement qui nous apparaît soudain (à un moment quelconque de notre observation du tableau) entre les mots tulipe et pipe. Ces « affinités » linguistiques, lorsqu'on en prend conscience, font résonner l’image encore davantage21.
82Continuons à jouer quelques instants avec les mots : rappelons-nous que le premier sens de « pipe » est, au XIIe siècle, « chalumeau », et par extension « tuyau » ; on retrouve d'ailleurs ce sens dans l'anglais « pipe-line ». Ce sens de « tuyau » augmente encore la pertinence du rapprochement visuel entre la pipe et la haute tige caractéristique de la tulipe.
83Ajoutons que « pipe » est dérivé de « piper », signifiant « jouer du pipeau » ; et que « tige » vient du latin « tibia », signifiant « flûte ». Que de rapprochements, donc : la pipe est à la tulipe, comme le chalumeau ou le tuyau à la tige, comme le pipeau à la flûte !
84Un dernier mot : le deuxième sens de tulipe (attesté en 1752) est :
Objet dont la forme rappelle celle d'une tulipe - Spécialement : Tulipe de verre (verre à boire, globe électrique, lampe, etc.) - Tulipe de certaines cafetières en verre (Robert Electronique).
85Or, Magritte a créé un nouvel objet, « dont la forme rappelle celle d'une tulipe », qu'on pourrait donc désormais appeler « tulipe » : il s'agit d'une pipe !
86Et pour terminer, une locution : « Faire la tulipe » signifie « se retourner », en parlant d'un parapluie (Robert Electronique). L'image de Magritte prend cette expression au pied de la lettre : ses pipes se retournent et « font la tulipe » !
4. Conclusion
87La Culture des Idées, comme toute image de Magritte, conduit à la libération de la pensée. Et, quand les mots font écho à l'image, le réseau interprétatif déclenché par l'œuvre de Magritte ne cesse de s'intensifier, sans jamais se fixer...
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Les Actes de ce colloque sont parus dans les Travaux du Centre de Recherches sémiologiques de l'Université de Neuchâtel (Espace Louis-Agassiz 1, CH 2000 Neuchâtel), no 62, 1994.
2 A notre connaissance, le même titre accompagne trois autres tableaux de Magritte, très différents de celui qui nous occupe. Dans le Catalogue raisonné établi par D. SYLVESTER, La Culture des Idées désigne, en effet, les œuvres no 86 (1927), no 839 (1956), no 1486 (1961), ainsi que le no 1494 (1961), dont nous parlerons ici.
3 R. MAGRITTE, Écrits complets, Paris, Flammarion. 1979, p. 529.
4 Ibid.
5 « Un signe par priméité est une image de son objet et, pour parler avec plus de précision, ne peut qu'être une idée. (...) Mais, pour parler avec plus de précision, même une idée, sauf dans le sens d'une possibilité ou priméité, ne peut pas être une icône. Seule une possibilité est une icône, purement en vertu de sa qualité ; et son objet ne peut qu'être une priméité. Mais un signe peut être iconique, c'est-à-dire peut représenter son objet principalement par sa similarité, quel que soit son mode d'être. S'il faut un substantif, un representamen iconique peut être appelé une hypoicône. Toute image matérielle, comme un tableau, est largement conventionnelle dans son mode de représentation ; mais en soi, sans légende ni étiquette, on peut l'appeler une hypoicône » (C.S. PEIRCE, C.P. 2.276, traduction G. DELEDALLE, 1978, p. 149).
6 Nous avons présenté les catégories peirciennes et nous avons décrit les processus sémiotiques qui découlent de leurs combinaisons hiérarchisées dans N. EVERAERT-DESMEDT, Le processus interprétatif. Introduction à la sémiotique de Ch.S. Peirce. Liège, Mardaga, 1990.
7 R. MAGRITTE, Écrits complets, Paris, Flammarion, 1979, p. 596
8 R. MAGRITTE, lettre à André Bosmans du 20 septembre 1961, dans D, SYLVESTER (sous la direction de), René Magritte, Catalogue raisonné, Anvers, Fonds Mercator (5 volumes), 1992, p. 396.
9 Dans une étude consacrée au Double Secret (N. EVERAERT-DESMEDT, 1997), nous montrons comment Magritte perturbe à la fois la fonction pratique des grelots (fixés à une paroi, ils ne peuvent plus être agités pour produire leur tintement) et leur fonction symbolique (les grelots ont en effet une signification symbolique en rapport avec la « marotte de la folie », celte espèce de sceptre, surmonté d'une tête coiffée d'un capuchon et garnie de grelots, que portait le fou du roi ; mais une marotte est aussi, dans un autre sens, une tête de femme en bois, carton, cire... dont se servent les modistes, les coiffeurs ; donc, la tête de mannequin que Magritte représente dans son tableau est précisément une marotte ; en plaçant à l'intérieur de cette tête de mannequin une surface ondulée incrustée de grelots, Magritte « déplace » les grelots d'un sens de la marotte à l'autre !). On pourrait attribuer également aux grelots un symbolisme sexuel féminin, parce qu'ils ont une fente,... mais laissons cette interprétation aux « esprits qui ne peuvent voir une peinture sans penser automatiquement à ce qu’elle pourrait avoir de symbolique, d'allégorique, etc. » !
10 A. BRETON, Manifestes du surréalisme, Paris, Gallimard, 1965, pp. 76-77.
11 R. MAGRITTE, Écrits complets. Paris, Flammarion, 1979, p. 436.
12 R. JONGEN (1995, pp. 207-228) consacre une vingtaine de pages aux « hybrides » dans l’œuvre de Magritte. Il envisage tout d’abord des cas que nous considérons comme relevant d’une « hybridation au sens fort », par exemple, l'oiseau-plante ; mais il désigne ensuite également comme « hybrides » des associations qui, pour nous, suivent d’autres logiques.
13 J. de LA BRUYERE, Les caractères, ch. XIII : « De la mode », Paris, Hachette, 1950.
14 Nos informations sur les tulipes sont extraites de A. SCHNAPPER, Le géant, la licorne et la tulipe, Paris, Flammarion, 1988, pp. 48-51. Nous remercions notre collègue, S. Le Bailly de Tilleghem, historien de l’art, qui nous a communiqué ces informations.
15 Le deuxième sens de « Hybride », qui ne nous retiendra pas ici, est linguistique : des hybrides sont des mots formés d'éléments empruntés à deux langues différentes. Ex. : hypertension, formé à partir du grec et du latin.
16 A. BRETON, L’amour fou, Paris, Gallimard, 1937, p. 16.
17 Nous rejoignons ici l'étude de M. BALLABRIGA, Sémiotique du surréalisme. André Breton ou la cohérence, Toulouse, Presses Universitaires du Mirai], 1995, ch. 1 « La conciliation des contraires dans le surréalisme ».
18 R. MAGRITTE, Écrits complets, Paris, Flammarion, 1979, p. 274.
19 R. MAGRITTE, extrait exposé à la galerie Isy Brachot, Bruxelles, février 1993.
20 Pensée parfaite est précisément le titre d'un tableau de 1943, qui présente une parfaite condensation spatio-temporelle : en un arbre se trouve condensé le cycle des saisons (feuilles vertes au sommet, puis progressivement jaunes et oranges en descendant vers la droite, puis branches sans feuilles et couvertes de neige en remontant vers la gauche).
21 Le rapprochement entre « tulipe » et « pipe » résonne à la manière du slogan étudié par R. JAKOBSON, (Essai de linguistique générale, Paris, Minuit, 1963, p. 219) : « I Iike Ike ». Voir aussi un autre tableau de Magritte, intitulé Le Séducteur, qui représente de l'eau ayant les formes d'un bateau sur la mer : « Le batEAU contient l'EAU, phonétiquement et même orthographiquement. Ce que Magritte, en effet, s'est contenté de peindre » (G. ROQUE, Ceci n'est pas un Magritte. Essai sur Magritte et la publicité, Paris, Flammarion, 1983, p. 117).
Auteur
Facultés Universitaires Saint-Louis, Bruxelles
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