Libéralisme, égalitarisme et droits sociaux. De l’égalité des revenus à une réelle égalité des chances1
p. 87-107
Texte intégral
1Par-delà sa diversité, le libéralisme présente au moins deux caractères fondamentaux : il est universaliste et vise à garantir la liberté. Si cette définition générale, qui convient à tous les libéralismes, demeure très vague, elle indique du moins que le libéralisme doit, de par son universalisme, reconnaître une certaine forme d’égalité à tous les êtres humains et que, par ailleurs, cette égalité est relative à la liberté et non pas, par exemple, au bienêtre. La question centrale du libéralisme est alors de déterminer quelle est cette liberté et quelle est celte égalité qu’il convient de reconnaître et de garantir à chacun de manière égale.
2On connaît bien la réponse de la majorité des libéraux : seulement une liberté négative, ou formelle. A cette restriction s’oppose la revendication d’une égalité qui porte sur l’ensemble de la sphère de la liberté, c’est-à-dire sur l’ensemble de la sphère de nos actions, bref sur le rapport entre la liberté et l’ensemble du monde matériel. A la liberté formelle s’oppose la liberté réelle, et à l’égalité formelle des libertés formelles, l’égalité réelle des libertés réelles. Là se trouve la justification philosophiquement la plus forte des droits sociaux : les droits sociaux sont destinés à garantir la liberté réelle.
3Cependant, la revendication de la liberté réelle et de droits sociaux ne se présente pas seulement comme un complément de l’égalité formelle des libertés formelles. Elle semble avoir abouti, dans nombre de doctrines et pratiques politiques, à la négation de la liberté formelle, ou de l’égalité des libertés formelles. De ces phénomènes, on a souvent tiré la conclusion que liberté formelle et égalité réelle sont inconciliables ou encore, par exemple, que libéralisme et socialisme sont inconciliables.
4Or, force est de constater une aspiration très large, même parmi ceux qui tiennent l’opposition entre liberté formelle et égalité réelle pour inéluctable, à ne renoncer ni à l’une, ni à l’autre. Cette aspiration trouve sa transcription dans le compromis que réalisent nos systèmes démocratiques. Seules varient alors, selon ces différents systèmes, la proportion entre l’égalité formelle et l’égalité réelle, et les modalités du compromis.
5La faiblesse de ces compromis, qui ne tient pas seulement dans leur hétérogénéité théorique, consiste naturellement dans le manque de justification qui les accompagne, eu égard au présupposé que constitue l’opposition inéluctable entre liberté formelle et égalité réelle.
6Or, cette opposition inéluctable est certes une conclusion tirée de l’observation de nombreux échecs de tentatives de conciliations, mais n’a jamais été démontrée. La conciliation n’est donc pas a priori impossible. D’où l’intérêt des tentatives contemporaines de conciliation. Les années soixante-dix ont ainsi vu naître un questionnement sur la possibilité d’un « socialisme à visage humain », c’est-à-dire sur la possibilité d’introduire la liberté dans un système d’égalité réelle.
7Dans ce qui suit, j’entreprendrai une réflexion sur la tentative inverse, qui part de la liberté pour retrouver l’égalité. Celle-ci consiste à penser l’égalité réelle dans le cadre de principes et d’un modèle libéraux. C’est, à mon sens, dans ce cadre qu’entendent se situer des modèles comme ceux de Rawls, de Dworkin ou encore de Van Parijs. Il s’agit, en quelque sorte, de tenter de montrer que le libéralisme n’est pas, par exemple, condamné à commettre inéluctablement « l’horreur économique » que certains de ses critiques lui reprochent en le confondant parfois tout simplement avec le néolibéralisme, mais qu’il est au contraire possible de concevoir, en quelque sorte, un « libéralisme à visage humain ». Cette tentative me semble plus juste et plus féconde que la précédente. Car si l’égalité, en tant que telle, est un simple rapport, qui reste à déterminer et à justifier, c’est la liberté, et elle seule, qui peut nous fournir un principe pertinent, car c’est aussi à partir de la liberté que nous reconnaissons à chaque homme que nous déduisons l’exigence d’égalité, qu’il s’agisse de celle d’égalité formelle ou de celle d’égalité réelle, et que nous disposons d’un contenu qui permette de déterminer l’égalité, même s’il reste à explorer et demeure sujet à controverses. L’inverse n’est pas possible. Du concept de l’égalité seul, abstrait, nous ne pouvons obtenir le concept de liberté ; du concept d’égalité réelle, nous ne pouvons pas non plus obtenir la liberté, sinon en introduisant le concept de liberté réelle. En ce sens, les revendications des droits sociaux comme conditions d’exercice de la liberté réelle, et les formes du socialisme qui se réclament de telles revendications, ne constituent, on l’oublie trop souvent, que des interprétations possibles du libéralisme.
8Dans ce qui suit, je partirai du principe d’égalité des ressources développé par Dworkin, à la fois pour indiquer quelle est sa fécondité et pour m’interroger sur les modifications à lui apporter afin d’assurer une réelle égalité des libertés réelles, qui ne retombe ni dans un dilemme, ni dans un compromis entre égalité et liberté. C’est la seule manière, à mon sens, d’assurer l’unité et la cohérence du libéralisme.
I. Mise aux enchères et assurance
9Ronald Dworkin a écrit cinq articles sur la question « Qu’est-ce que l’égalité ? ». Un unique principe guide tous ces articles : le principe qui exige que la communauté traite ses membres en accordant à chacun une égale importance. Dans son œuvre principale, Prendre les droits au sérieux, aucun principe n’a de validité absolue (pas même le principe d’égalité de traitement)2. Ce principe est, par conséquent, l’unique principe cardinal du libéralisme de Dworkin. Lorsque Dworkin répond, dans le second article de la série Qu’est-ce que l’égalité ?, par l’égalité des ressources, qui donne son titre à cet article, cette réponse ne constitue qu’une interprétation du principe qui veut que tous soient traités avec la même importance. C’est pourquoi l’égalité de ressources n’a pas de validité absolue. Elle est limitée, par exemple, par « le présupposé général de la liberté de choix » qui est « au cœur de l’égalité »3. Négliger la liberté de choix transformerait l’égalité de ressources en une égalité de bien-être. Si Dworkin choisit l’égalité de ressources et récuse l’égalité de bien-être, dont il traite longuement dans le premier article de la série, c’est pour la raison suivante : « les libéraux éthiques doivent traiter de la question de la justice comme d’une partie de l’éthique. Ils décident quelle part de ressources chacun devrait avoir en décidant des paramètres qu’il convient que chacun accepte comme définissant les caractéristiques d’une vie bonne pour lui. Supposez qu’ils adoptent, comme point de départ, la présupposition que tous les membres de la communauté politique affrontent le même défi éthique abstrait, de sorte qu’il convient que chacun ait une part de ressources égale. Quels contre-arguments peut-il exister ? »4. Dworkin ne trouve aucun contre-argument. Il en conclut, par conséquent, que l’égalité de ressources devrait être une interprétation légitime du principe libéral qu’il adopte et qui requiert de traiter tous les individus en accordant à chacun une importance égale.
10Dans ce qui suit, je tiendrai pour acquises la justesse de ce principe libéral et la validité de l’égalité des ressources comme interprétation de ce principe. Je souhaiterais toutefois examiner de manière critique la méthode au moyen de laquelle Dworkin définit de manière substantielle le principe d’égalité des ressources.
11Dworkin distingue entre ressources impersonnelles et ressources personnelles. Ce sont les premières qu’il désigne par le terme de « propriété », c’est-à-dire « la terre, les matières premières, les immeubles, les appareils de télévision, les ordinateurs, ainsi que les divers droits et participations légaux relatifs à ces sortes de ressources »5. Les secondes recouvrent les « qualités intellectuelles et physiques qui influencent le succès des individus dans la réalisation de leurs plans et de leurs projets : la santé mentale et physique, la force et le talent ». Dworkin suppose tacitement que les deux sortes de ressources, les impersonnelles et les personnelles, devraient être soumises au principe d’égalité pour des raisons morales. Néanmoins, il ne traite pas les deux de la même manière. Chacune des deux sortes de ressources est soumise à une procédure distributive différente : la première sorte de ressources à une mise aux enchères, la seconde à une sorte de système d’assurance.
12Chacun prend part à la mise aux enchères imaginée par Dworkin sur un pied d’égalité. Chaque participant aux enchères est représenté comme un immigrant arrivant sur une île déserte qui détient le même montant de « coquillages », une sorte de monnaie qui permet à chacun d’enchérir. Dans ce qui suit, j’accepterai, dans l’ensemble, la validité de cette procédure basée sur le marché, comme une manière de réaliser l’égalité des ressources, en respectant, comme chez Nozick, le choix des individus. Cependant, les ressources personnelles se trouvent soumises à une procédure différente, qui est une assurance que chaque participant aux enchères est censé contracter après avoir acquis sa part égale de ressources impersonnelles avec ses coquillages, mais avant de savoir quelles ressources personnelles il aura à sa disposition. La différence entre les enchères et le système d’assurance ne réside pas seulement dans le moment auquel ils exercent leur effet (les enchères au commencement, l’assurance après que les participants soient entres dans la vie économique du monde réel), mais aussi et surtout dans le fait que, à la différence des ressources impersonnelles, les ressources personnelles ne sont pas distribuées au sens propre du terme. Le système d’assurance imaginé par Dworkin est basé sur l’impôt sur le revenu. C’est pourquoi les ressources distribuées dans le système de l’assurance sont d’une nature différente de celles qui sont attribuées durant les enchères. Les enchères sont présentées par Dworkin comme une sorte de position originelle dans laquelle les ressources sont distribuées pour la première fois. Les enchères représentent le mode de distribution originel des ressources. L’assurance, au contraire, implique la redistribution de ce que ceux qui sont les moins bien placés auraient si la distribution originelle avait été juste, au sens où elle leur avait conféré une part égale de talents et de chance. Par conséquent, les enchères assignent des ressources originelles, tandis que l’assurance distribue des ressources produites. Or, les ressources produites résultent de la combinaison d’au moins deux facteurs : (1) les ressources originelles impersonnelles et (2) le travail nécessaire à leur production. Dworkin ne se demande pas s’il est juste de distribuer ainsi à la fois la part des ressources produites correspondant au travail et la part des ressources produites correspondant aux ressources impersonnelles originelles. Il se pourrait certes qu’il soit, en définitive, impossible de distinguer ces deux parts l’une de l’autre. Mais Dworkin devrait du moins expliquer pourquoi il n’établit pas de distinction explicite entre les ressources originelles et les ressources produites.
13Nous pouvons toutefois inférer la raison pour laquelle il ne fournit pas d’explication.
14Examinons d’abord la raison invoquée par Dworkin pour ne pas traiter les ressources personnelles et les ressources impersonnelles de la même manière. Dworkin renvoie implicitement à l’impossibilité physique de séparer une personne de son caractère et de ses aptitudes physiques et intellectuelles. C’est pourquoi on ne pourrait mettre aux enchères les ressources personnelles sans accepter d’imposer éventuellement cette répartition contre la volonté, voire contre la résistance des personnes concernées, à savoir sans les contraindre à travailler d’une certaine manière et avec une certaine productivité, et sans faire don d’une partie des produits ainsi obtenus aux personnes les moins douées. Le principe de la liberté individuelle de choix ne permet manifestement pas un tel « esclavage »6, comme le reconnaît Dworkin à la suite de Nozick. C’est pourquoi Dworkin imagine le système d’assurance comme l’ersatz moralement permis qui remplace une mise aux enchères qui réaliserait légitimement une distribution moralement justifiée, si ces enchères n’étaient pas rendues immorales par des circonstances physiques, à savoir par la nécessaire réduction en esclavage qui en résulterait.
15Dans ce qui suit, j’examinerai si, d’une part, la soumission morale des ressources personnelles au principe distributif et, d’autre part, la solution de remplacement que constitue l’assurance, peuvent s’accorder avec les principes libéraux de Dworkin.
16Mon intuition est que ni l’une ni l’autre n’est compatible avec ces principes, comme je vais essayer de le démontrer. Supposons, en effet, que la première étape est compatible avec les principes généraux de Dworkin, c’est-à-dire que les ressources personnelles se trouvent légitimement soumises à une distribution égale entre les participants à la communauté. Il existerait alors une forme d’ersatz plus simple et plus convaincante pour remplacer la mise aux enchères moralement prohibée en raison de la réduction en esclavage qu’elle impliquerait. Imaginons, en effet, que nous n’ayons ni deux mises aux enchères (l’une pour les ressources impersonnelles et l’autre pour les ressources personnelles), ni une seule mise aux enchères (pour les seules ressources impersonnelles), suivie d’un contrat d’assurance (pour les seules ressources personnelles), mais seulement une unique mise aux enchères qui concernerait indifféremment toutes les ressources et débuterait une fois que seraient connus les dons de chacun. Afin de réaliser l’égalité de toutes les ressources (à savoir des ressources impersonnelles et des ressources personnelles considérées indistinctement), l’inégalité observée dans la distribution naturelle des ressources personnelles devrait être compensée par la distribution des ressources impersonnelles durant la mise aux enchères unique. Cela signifie que plus les dons naturels possédés par un individu excéderaient la moyenne de la communauté, plus le nombre de coquillages qui devraient être déduits de la somme que cet individu aura reçue, si ces dons avaient été moyens, devrait être élevé, et que ces coquillages déduits seraient ensuite attribués aux personnes qui posséderaient moins de dons que la moyenne. De cette façon, l’égalité de toutes les ressources devrait être réalisée sans que nul ne soit réduit en esclavage. Cela conduirait aussi à une égalité de revenu, pourvu que nous laissions de côté le facteur de la chance et de la malchance. De fait, puisque la chance n’est pas quelque chose de prévisible, elle ne saurait être incluse dans les lots mis aux enchères au départ. Si notre but est de traiter la chance comme partie intégrante des ressources qui doivent être moralement distribuées de manière égale, la chance devrait être égalisée par un système d’assurance, qui serait naturellement différent de celui de Dworkin et naturellement beaucoup moins étendu que lui.
17Le modèle de Dworkin et la solution alternative que je viens d’esquisser arrivent au même résultat, à savoir une égalité de revenu. Cependant, il existe au moins une différence entre les deux. Dans le modèle proposé par Dworkin, la redistribution des dons naturels s’opère par un système d’assurance, tandis que dans la solution alternative que je viens de suggérer, la redistribution intervient à travers une unique mise aux enchères. Il s’agit d’une différence importante. Dans la vente aux enchères proposée par Dworkin comme dans la vente aux enchères alternative que j’ai suggérée, nul ne décide du nombre de coquillages qui est à sa disposition, tandis que l’assurance proposée par Dworkin est supposée pouvoir être un acte volontaire. De fait, Dworkin présente l’assurance comme un acte volontaire, même si c’est pour émettre aussitôt une hypothèse générale sur la psychologie et la volonté humaines. En effet, il suppose que chacun préfère contracter une assurance plutôt que de prendre le risque de subir la malchance de se retrouver avec des dons inadéquats à assurer une vie décente.
18Si l’acte de contracter n’était pas plus volontaire que la détermination du nombre de coquillages attribués à chacun, Dworkin serait incapable de justifier une situation dans laquelle le système d’assurance n’égaliserait pas les revenus. Une des raisons que Dworkin invoque pour motiver son refus de l’égalisation des revenus ne doit pourtant pas être prise très au sérieux. Dworkin affirme que les coûts administratifs découlant d’un système d’assurance qui garantirait l’égalité des revenus seraient trop élevés. C’est le contraire qui me semble vrai. Un tel système ne serait pas plus difficile à mettre en œuvre qu’un système qui garantit des compensations, mais sans égalisation des revenus. A l’administration publique incomberait simplement la tâche de fixer un impôt sur tous les revenus, au taux unique de 100 %, puis de distribuer un montant égal à chacun. Mais Dworkin invoque aussi une seconde raison, plus convaincante : « On se trouve en présence d’un problème d’assurance lorsque, pour une faible dépense, on acquiert la garantie d’être dédommagé pour une perte improbable, mais grave. On se trouve, en revanche, en face d’un problème relatif aux jeux de hasard lorsque, pour un faible coût, on acquiert une faible chance d’obtenir un gain élevé »7. Dworkin présume ensuite que chacun contracterait volontairement une telle assurance, tandis que tous les membres de la communauté ne choisiraient pas forcément un tel jeu de hasard, seuls le faisant ceux qui sont motivés en premier lieu par l’espoir d’un gain gigantesque, aussi minime la probabilité de l’obtenir soit-elle. Par conséquent, l’assurance ne devrait couvrir qu’un montant tout juste suffisant à assurer une vie décente, une vie digne d’être vécue, ce qui est ce que le libéralisme cherche donc à garantir.
19Parvenue à ce point, la différence entre le modèle présenté par Dworkin et le modèle alternatif que j’ai esquissé engendre des conséquences importantes pour les principes qui sont en jeu. Le système d’assurance est destiné à constituer le succédané d’une seconde mise aux enchères, laquelle est moralement inacceptable, du fait de ses caractéristiques physiques, à savoir de l’esclavage qui en résulterait. Or, la mise aux enchères elle-même était conçue dans le seul et unique but de réaliser l’égalité de ressources. C’est pourquoi le même principe éthique d’égalité de ressources devrait guider le choix du montant de l’assurance. La psychologie humaine devrait avoir tout aussi peu à voir dans cette affaire que lorsqu’il s’agit de déduire le principe éthique d’égalité de ressources, puis la mise aux enchères des ressources impersonnelles.
20On pourrait suggérer alors un autre argument en faveur de la modicité du montant couvert par l’assurance. Il pourrait être fait appel à l’argument selon lequel l’inégalité des revenus accroît la motivation, et par conséquent la production, d’une manière telle que même les moins bien placés se retrouvent mieux placés que si l’assurance égalisait les revenus. Dans A Matter of Principle8, Dworkin évoque la possibilité d’un tel argument pour justifier une distribution inégalitaire. Il prétend que les coupures effectuées par Ronald Reagan dans les budgets sociaux seraient justifiées si elles avaient pour effet d’empêcher que « la richesse de la communauté s’amenuise à tel point que les futurs Américains soient encore moins bien placés que les plus pauvres de nos contemporains », et si les mêmes personnes qui subissent aujourd’hui ces coupures budgétaires profilaient de leur effet bénéfique dans l’avenir. D’après Dworkin, cela ne sera pas le cas, si bien que les coupures de l’administration Reagan sont discriminatoires et injustes. On pourrait imaginer que Dworkin applique ce critère de motivation et de production croissantes dans une clause de la mise aux enchères qui exige que les nouvelles ressources que quelqu’un produit lui permettent d’obtenir plus de ressources dans la mise aux enchères que les autres membres de la communauté. Dans ce cas, les autres membres profiteraient de celte inégalité, par exemple grâce à la couverture élevée de l’assurance qui serait garantie par les revenus moyens plus élevés des contractants, ou parce que les personnes privilégiées seraient plus prospères, investiraient davantage et créeraient alors plus d’emplois, et des emplois bien payés. Je doute que Dworkin puisse réellement accepter un tel argument, qui constituerait en effet une infraction à l’égalité des ressources qui ne doit pas s’appliquer seulement au commencement. Cela reviendrait, en effet, à supprimer l’égalité de ressources au profit d’un type de justice distributive plus rawlsien. Je me demande donc si Dworkin n’emploie pas, dans le passage cité, une simple stratégie rhétorique contre la politique budgétaire reaganienne. C’est pourquoi je ne pense pas que Dworkin puisse trouver une quelconque justification pour le niveau peu élevé de l’assurance qu’il propose en faisant appel à un argument relatif à l’accroissement de la motivation et de la production qui en résulterait.
II. Les talents et aptitudes sont-ils réellement des ressources qui devraient être distribuées ?
21Je ne vois vraiment aucune justification pour la modicité de cette couverture par l’assurance, étant donné les principes fondamentaux de Dworkin, et plus spécialement le principe de liberté de choix. Dworkin exclut explicitement les choix, les plans et les projets individuels de la distribution ordonnée par l’éthique. Cela me semble incompatible avec le fait qu’il soumet par contre les talents et les dons à un principe éthique de distribution. Je soupçonne que la raison pour laquelle Dworkin réduit la couverture par l’assurance à un niveau peu élevé est que, d’une manière ou d’une autre, il est conscient de la contradiction qui existe entre la liberté de choix qu’il adopte pour principe de son libéralisme et le traitement des dons personnels comme ressources à redistribuer de manière égale qu’il adopte pour principe de son modèle.
22Au lieu de suivre Dworkin sur ce chemin, nous devons d’abord nous poser la question de savoir comment quelqu’un peut bien faire des choix, avoir des plans et des projets, sans savoir quels sont ses talents et ses aptitudes. Je vais maintenant tenter de montrer par l’absurde que c’est impossible. Je peux en effet fort bien rêver de devenir un homme de science reconnu, un peintre talentueux, un romancier célèbre, un explorateur légendaire et un entrepreneur de high-tech qui fait fortune dans une seule et même vie. Mais ce rêve ne saurait faire l’objet de mon choix. Je sais assurément que je dois me limiter à l’une de ces carrières. Mais quelle est celle que je choisirai, et choisirai-je jamais l’une d’entre elles ? Comme le suppose Dworkin, nous pouvons fort bien connaître la structure du monde réel avant le contrat d’assurance. Nous pouvons aussi savoir, par exemple, que la société recherche malheureusement davantage de serveurs de bar et de chauffeurs de camion que d’artistes. Mais cela me met-il pour autant en état d’effectuer un choix ? Supposons que durant les enchères je me porte acquéreur des ressources nécessaires à la carrière de metteur en scène ou de producteur de films. S’il s’avère ensuite que mes talents pour produire des films sont très médiocres, je n’aurai aucun succès, et si je n’ai absolument aucun talent de cette espèce, je ne serai même pas capable de tourner de mauvais films, bref de travailler tout court. Il faudra donc que je change de métier. Cependant, je n’aurai pas les ressources indispensables à ce changement, à moins que je n’échange mes ressources contre celles de quelqu’un d’autre. Mais qu’arrivera-t-il si je ne trouve personne qui soit disposé à conclure ce marché ? Anticipant ce problème, je pourrais alors choisir non pas d’enchérir pour les ressources de metteur en scène et de producteur de films, mais d’être plus modeste et de me porter acquéreur des ressources pour être technicien ou secrétaire. Mais, là encore, il se pourrait que je manque des talents requis. Il se pourrait même que je sois la personne la plus dénuée de talents qui existe au monde. C’est pourquoi la seule décision rationnelle que je puisse prendre serait de ne choisir que les ressources nécessaires au travail qui requiert le moins de talents. Cela vaut également pour tous les autres membres de la société. Il n’existerait alors plus aucune raison de recourir à la procédure des enchères, laquelle a pour seule utilité de permettre aux différences de s’exprimer dans des choix. Il n’y aurait pas non plus de raison d’appliquer le « principe d’abstraction »9 formulé par Dworkin, qui requiert la flexibilité dans la mise aux enchères. Ce principe est destiné en effet à remédier à la situation où « quelqu’un doit payer le même prix pour une certaine terre, que ses ambitions et ses goûts se portent seulement sur une modeste fermette à y construire ou sur un vaste complexe immobilier à y édifier ». Ce principe d’abstraction vise à « proposer des choix plus différenciés et il est par conséquent plus sensible aux plans et aux préférences distinctes que les gens en ont fait ». A cette fin, ce principe « requiert que les ressources naturelles soient mises aux enchères sous la forme la plus indifférenciée possible, que l’on mette aux enchères le fer plutôt que l’acier, et que les gens puissent enchérir pour des unités indéfiniment petites de chaque ressource (quoique pas, par exemple, pour des unités si petites qu’aucune d’elles ne puisse servir à aucun but »). Un tel principe d’abstraction n’aurait pas de sens si tous les individus ne pouvaient rationnellement rien faire d’autre que de choisir tous les mêmes ressources, qui permettent de travailler même aux moins doués. Un problème corollaire se présente ici : personne n’enchérirait pour d’autres ressources, à savoir pour les ressources nécessaires aux emplois autres que ceux qui requièrent le moins d’adresse. Par conséquent, les enchères ne pourraient jamais être menées à leur terme, donc ne pourraient pas du tout avoir lieu. Les ressources ne pourraient être distribuées que de manière arbitraire. Plus tard, après avoir reçu leurs talents et leurs aptitudes, certaines personnes découvriraient qu’elles ont acquis des ressources qui correspondent à des professions qui requièrent moins d’habileté que leurs talents. D’autres apprendraient qu’elles ont moins de talents qu’il n’est nécessaire pour faire un usage approprié de leurs ressources. Dans l’échange qui s’avérerait nécessaire, les premières auraient manifestement de meilleures cartes en main parce qu’elles pourraient malgré tout faire quelque chose de leurs ressources, tandis que les secondes seraient absolument incapables de faire usage de leurs propres ressources. Or, des ressources ne sont véritablement des ressources pour quelqu’un qui les reçoit que s’il peut vraiment les utiliser. Donc, on peut dire à bon droit que les plus talentueux auraient plus de chance de recevoir davantage de ressources impersonnelles. Les ressources personnelles et les ressources impersonnelles tendraient alors à être cumulées. L’égalité des ressources aurait manifestement échoué.
23Supposons maintenant que l’assurance imaginée par Dworkin ne soit pas limitée à un niveau peu élevé, mais que son montant équivale à une complète compensation. Cela reviendrait à une égalité de revenu, puisque Dworkin entend inclure dans la garantie non seulement les ressources personnelles, mais aussi la chance. Dans un tel cas de figure, chacun pourrait acquérir les ressources pour devenir peintre, producteur de films, explorateur, etc... sans risque. Mais nul n’aurait réellement de motivation pour assurer la production ou la reproduction de ce qui, quoi qu’il arrive, serait redistribué intégralement en parts égales entre tous. Abstraction faite de ce problème, une seconde difficulté apparaît. Dworkin exige que ce que les gens reçoivent en fin de compte ne soit jamais « influencé par les dons », mais plutôt « à chaque instant particulier, influencé par leur ambition. Cela signifie que ce qu’ils reçoivent doit refléter le coût ou le bénéfice pour autrui du choix qu’ils font, de façon à ce que, par exemple, ceux qui choisissent d’investir plutôt que de consommer, ou de consommer moins cher, ou de travailler de manière plus rentable, doivent être autorisés à conserver les gains qui découlent de ces décisions prises après que des enchères menées dans des conditions d’égalité aient été suivies d’un commerce libre »10. Pour Dworkin, ce qui n’est pas susceptible d’être distribué, que ce soit au moyen d’une mise aux enchères ou d’un système d’assurance, ce sont les choix personnels. Cela correspond en fait au réquisit le plus fondamental du libéralisme. Au contraire, dans un système d’assurance qui effectue une égalisation complète, il n’y a pas de place pour une quelconque influence de la liberté de choix sur le résultat de la distribution des ressources produites.
24La raison probable pour laquelle Dworkin réduit l’assurance à un niveau peu élevé est qu’il souhaite que le libre choix des individus influence la distribution. Si tel est bien le cas, son modèle ne nous présente alors qu’un simple compromis auquel toute véritable justification éthique fait défaut. Si nous l’acceptons, nous admettons qu’il existe un conflit juridique auquel nous ne pouvons trouver une réponse moralement juste, ce qui contredit le concept dworkinien du droit, et en particulier sa méthode de résolution des cas difficiles11. Or, l’égalité des ressources n’était destinée à être qu’une interprétation du principe libéral qui enjoint de traiter tout le monde en accordant à chacun une égale importance, c’est-à-dire de traiter le libre choix de chaque individu comme étant aussi important que celui de chacun des autres membres de la communauté juridique. Si l’égalité de ressources et la liberté de choix entrent réellement en conflit l’une avec l’autre, nous possédons donc une règle de priorité claire : nous devons préférer la liberté de choix à tout modèle de distribution déterminé. Cela implique-t-il que nous abandonnions l’égalité de ressources ? Ou bien, si nous ne l’abandonnons pas, notre seul choix rationnel est-il réellement d’enchérir pour des ressources correspondant aux emplois qui demandent le moins de talents et d’aptitudes, comme nous l’avons suggéré plus haut ?
25Je ne pense pas que cette alternative soit irrésistible. Dans ce qui suit, j’admettrai l’égalité de ressources et la procédure de mise aux enchères comme étant une interprétation valide du principe de traiter le choix de chacun comme étant aussi important que celui de chaque autre personne. Mais, comme nous l’avons déjà observé, ce que Dworkin entend par « ressources » apparaît étonnamment extensif. Dworkin ne définit pas ni ne délimite ce concept de manière distincte. Il convient, par conséquent, que nous proposions dans ce qui suit une définition du concept de ressources qui nous permette de résoudre les contradictions notées plus haut.
26Si nous ne savions rien de nos talents et aptitudes, nous ne pourrions jamais former nos propres fins. La raison en est que les fins, les plans et les projets que nous avons sont quelque chose de situé, quelque chose de conditionné par les circonstances dans lesquelles nous vivons. Cela ne signifie certes pas que les circonstances déterminent entièrement nos choix, mais plutôt que nos fins, plans et projets n’apparaissent jamais qu’inscrits dans un horizon de circonstances qui nous offre des possibilités de choix déterminés. Nous adaptons sans cesse nos fins et nos projets à la situation qui nous est donnée. Il est certes possible de faire abstraction de beaucoup de circonstances tout en possédant encore des fins et des projets. Nos fins et nos projets en deviennent plus abstraits et plus généraux. Ils dépendent alors, pour leur mise en œuvre, de la question de savoir si les circonstances actuelles précises les rendent possibles ou impossibles, difficiles ou faciles, etc..., ou s’il faut attendre d’autres circonstances plus favorables. Une fois que nous avons ainsi déterminé nos intentions en fonction de circonstances particulières, ces circonstances peuvent changer. Eu égard à ce changement de circonstances, il se peut que nous changions ou modifiions nos plans généraux. En revanche, si nous faisions abstraction de nos talents et de nos aptitudes, nous ne pourrions jamais former aucun projet ni aucune fin, pas même les plus abstraites et les plus générales. On pourrait objecter que nous pouvons du moins modifier nos talents et aptitudes d’une manière telle que nous ne sommes pas liés à eux pour toujours. Pourtant, le projet de modifier nos propres talents et aptitudes ne peut ni être réalisé, ni même être conçu sans que nous réfléchissions explicitement à eux et ne les déployions comme moyens d’acquérir de nouvelles aptitudes et de nouveaux talents, ou encore d’accroître ou de modifier ceux que nous possédons déjà. Par conséquent, faire entièrement abstraction de nos talents et de nos aptitudes nous empêcherait d’opérer des choix, et nous rendrait identiques les uns aux autres. C’est pourquoi les talents et aptitudes ne peuvent être mis aux enchères sans rendre ces enchères « sensibles à l’ambition » et sans enfreindre la liberté de choix.
27Le fait que Dworkin ne reconnaisse pas cette conclusion me semble reposer sur une confusion de sa part. Tout se passe comme si Dworkin ignorait que la liberté qui est en jeu ici est la liberté d’action, et non pas la liberté de la volonté. La liberté d’action existe dès lors que je peux faire ce que je veux. La liberté de la volonté n’existe que si je peux vouloir ou non ce que je veux. Il s’agit d’une liberté de second degré. La controverse sur la liberté de la volonté porte sur la question de savoir si je suis libre de vouloir ce que je veux ou si je suis déterminé à le vouloir. C’est une question métaphysique qui n’importe pas pour les relations juridiques, parce que ces dernières ne concernent que les rapports extérieurs entre les personnes, et non pas la motivation interne de la volonté. En revanche, si nous considérons la liberté de la volonté, la volonté ne peut pas être libre si elle se trouve déterminée par les aptitudes, les talents et les dons, qu’ils soient innés ou acquis. En effet, du point de vue de la liberté de la volonté, les dons naturels sont reçus, et non pas choisis par la volonté. C’est sur la base de cette distinction décisive entre liberté de la volonté et liberté d’action que Kant, par exemple, traite le problème de la liberté de la volonté et de la pureté des actions séparément des questions juridiques. Toute la pensée juridique moderne et, par excellence, le libéralisme font de celle distinction un principe fondamental de tout système juridique. C’est seulement récemment que certains, influencés notamment par Rawls, ont, comme Amy Gutman ou Thomas Nagel12, considéré que nos talents, nos dispositions naturelles et les efforts que nous fournissons étant arbitraires d’un point de vue moral, ils ne nous appartiennent pas et que nous ne devons en tirer aucun « mérite ». Seule la rationalité étant commune à tous les hommes, les institutions de base de la société et ses principes distributifs ne devraient tenir compte que de cette rationalité, et non pas du mérite individuel. Une telle position suppose une thèse sur la liberté de la volonté, quoique cette thèse soit négative. Outre le fait qu’elle réduit les différences individuelles à de simples préférences, qui ne sont pas moins arbitraires moralement et qui ne devraient donc pas plus compter que les talents individuels, notamment lorsqu’il s’agit de rejeter le paternalisme. Cette position confond surtout deux niveaux. En effet, si j’accorde volontiers que le principe distributif doit être neutre par rapport aux talents, au sens où il ne doit pas viser à favoriser un talent par rapport à un autre au niveau de la détermination du principe distributif, il ne doit pas non plus, en revanche, viser à neutraliser l’effet des talents dans les rapports ultérieurs entre les individus.
28En effet, si ce qui est en jeu est la liberté d’action, et non pas la liberté de la volonté, les choix individuels doivent être considérés tels qu’ils sont exprimés, en excluant toute prise en compte de leur genèse intérieure. Dans cette mesure, les talents et les aptitudes appartiennent à ces choix et constituent le « mérite » individuel, quoique seulement dans un sens qui ne saurait être moral. Dworkin lui-même en convient. En effet, curieusement, le mérite est l’un des arguments qu’il invoque en faveur de la discrimination inversée, ou action affirmative. Parfois, comme dans Prendre les droits au sérieux, Dworkin associe la discrimination inversée aux « standards méritocratiques », en faisant de critères ethniques — en ce cas de la couleur noire — une qualification pour certains emplois. Par exemple, « s’il y a des juristes noirs, ils aideront à fournir de meilleurs services légaux à la communauté noire, et à réduire ainsi les tensions sociales »13. Dans un article antérieur, Dworkin se faisait plus explicite : « il n’y a pas de combinaison d’aptitudes et d’adresse qui constitue le mérite dans l’abstrait ; si des mains agiles comptent comme un « mérite » dans le cas de la chirurgie, c’est parce qu’elles permettent de mieux servir le public, et pour cette seule raison »14. En plusieurs autres occurrences, Dworkin reconnaît le mérite comme critère de recrutement. Dans l’article qui nous intéresse, on notera d’ailleurs la mise en œuvre du même principe. En effet, le système d’assurance ne fournit pas à celui qui a peu de talents et peu de chance le travail qu’il aurait obtenu s’il avait eu des dons et de la chance dans la moyenne. A la place, le système d’assurance lui donne d’autres ressources. Peut-être celles-ci sont-elles des emplois, mais elles ne le sont pas nécessairement. Et si ces ressources sont des emplois, il ne peut s’agir que d’emplois différents. C’est pourquoi, chez Dworkin, l’attribution des positions professionnelles n’est pas affectée par l’égalité des ressources. Mais Dworkin n’indique pas la raison pour laquelle elle ne subit pas l’influence de cette égalité.
III. Redéfinir les ressources
29Son silence sur le point de savoir pourquoi les postes de travail ne sont pas redistribués fait perdre au modèle de Dworkin beaucoup de son attrait et le fait ressembler aux théories plus traditionnelles de l’égalité de revenu réalisée par la redistribution fiscale. D’après Dworkin, les positions professionnelles ne constituent pas des ressources, tandis que les talents, les aptitudes et les ressources produites en constituent. On peut en conclure que, pour Dworkin, certaines qualités personnelles constituent des ressources, tandis que certains objets extérieurs n’en sont pas, cela me semble contredire notre intuition éthique et conduire Dworkin à se contredire lui-même. Essayons donc maintenant de définir le concept de ressources de manière plus plausible et plus compatible avec le principe libéral de Dworkin.
30Premièrement, les ressources ne peuvent être qu’impersonnelles. Deuxièmement, elles doivent toujours être rapportées à une fin ou à une activité humaine. Troisièmement, on doit établir une distinction entre les ressources qui constituent des moyens de production, d’une part, et celles qui sont des biens de consommation, d’autre part. Dworkin ne semble pas observer cette distinction lorsqu’il donne comme exemple des ressources impersonnelles cet échantillon à la Prévert : « la terre, les matières premières, les immeubles, les appareils de télévision, les ordinateurs et les divers droits et participations légaux relatifs à cette sorte de ressources »15. Cette distinction fait abstraction du fait qu’on peut se servir de ces articles de deux façons : je peux me servir de ma terre pour me livrer à l’agriculture ou pour aménager un golf pour mon propre agrément et je peux utiliser mon ordinateur à des fins personnelles ou à des fins privées et ma voiture pour partir en week-end ou pour livrer des pizzas. Dans les enchères originelles, le principe d’égalité des ressources requiert la neutralité par rapport aux fins individuelles, donc par rapport à l’utilisation que chacun prévoit de faire des ressources dont il se porte acquéreur. Mais si quelqu’un choisit de consommer ses ressources au lieu de les utiliser comme moyens de production, le système d’assurance de Dworkin exclut clairement toute compensation pour des talents ou capacités dont il n’est d’ailleurs peut-être pas possible de savoir vraiment si elles font réellement défaut. Mais il ne l’exclut que dans son principe. Car, en fait, le système d’assurance ne peut pas empêcher qu’une compensation indue ne survienne, puisqu’il n’existe aucun moyen de distinguer entre les personnes qui restent pauvres en raison de leur manque d’aptitudes et de talents et malgré une réelle volonté de travailler, et les gens doués qui demeurent pauvres parce qu’ils accordent plus de valeur à l’oisiveté qu’aux commodités de la vie, voire au luxe, qui leur seraient pourtant abordables avec un revenu plus élevé que celui qu’ils visent par leur travail. Donc, les personnes talentueuses, mais paresseuses, recevront constamment une part de ressources produites par d’autres, quelles que soient, par ailleurs, les aptitudes de ces derniers, et même si toutes reçoivent une part égale dans les enchères originelles. Etant donné cette situation, l’idée d’un revenu de base inconditionnel et universel, avancée par Philippe Van Parijs16, présente l’avantage d’être plus cohérente que le système d’assurance de Dworkin, puisque Van Parijs adopte un principe qui résulte du modèle de Dworkin, mais qui va à l’encontre du principe fondamental de Dworkin. En effet, dans le modèle de Dworkin, après que le système d’assurance a accompli son opération redistributrice, il n’est pas impossible que les gens pourvus de talents et travailleurs possèdent un revenu inférieur à celui des gens pourvus des mêmes talents, mais paresseux. Il se peut que les premiers aient réinvesti une partie de leurs ressources, tandis que les seconds ne l’ont pas fait. La partie réinvestie serait une part de ressources que les gens doués de talents et industrieux ne consommeraient pas. Pourtant, le produit de leur investissement et de leur travail sera partagé avec les personnes également douées de talents, mais paresseuses. Enfin, dans certaines circonstances, ce système aurait pour effet de diminuer considérablement les salaires et le prix du travail en général. Nul n’aurait besoin de recevoir un salaire minimal ou une rémunération minimale pour son travail qui lui permette de vivre décemment, parce que le système d’assurance distributif fournirait déjà ce minimum17.
31Dans les Tanner Lectures, Dworkin oppose l’égalité du bien-être à l’égalité des ressources et préfère la seconde pour la raison suivante : « l’égalité politique et la partialité personnelle seraient en effet incompatibles si l’égalité en question était celle du bien-être. Si nous menions un combat politique, des décades durant, afin d’égaliser le bien-être social de chacun à une date particulière, mais que nous retombions ensuite dans la vie privée où chacun de nous dépense les ressources dont il peut disposer à améliorer son propre bien-être, c’est seulement par la plus folle coïncidence que le bien-être pourrait demeurer égal parmi nous. Nous aurions alors ruiné individuellement ce que nous avions atteint collectivement, et nous devrions recommencer une nouvelle fois »18. Au contraire, après les enchères relatives aux ressources impersonnelles, continue Dworkin, « ma décision de rechercher mon propre bien-être dans mes plans et dans mes investissements, et de travailler au bienêtre de ma famille et de mes amis ne pourrait pas, en elle-même, invalider l’égalité que la mise aux enchères a réalisée ». Pourtant, nous avons vu que le propre modèle de Dworkin aboutit à ce que nous devions constamment le redémarrer.
32Imaginons maintenant que les seules choses qui fassent l’objet de la vente aux enchères soient les moyens de production. Comparons deux personnes dotées de talents et d’aptitudes similaires, la première travaillant plus, et gagnant par conséquent davantage que la seconde. Le problème classique qui se pose est que la première peut utiliser son surplus comme moyen de production, afin d’accumuler toujours plus de ressources productives. Ce faisant, elle louera bientôt ses ressources productives à la seconde personne et tirera les bénéfices du travail de celle-ci. En outre, la seconde dépendra de la première pour la simple possibilité de travailler. Je crois que c’est à ce processus classique d’accumulation du capital que Dworkin a tenté d’échapper dans son modèle. Cela me semble constituer sa plus importante raison de critiquer Nozick. Il lui reprochait de ne pas soumettre aux mêmes conditions les personnes qui acquièrent des terres vierges par leur travail et celles qui arrivent ultérieurement : « si la justice requiert une mise aux enchères où tous sont égaux lorsque les premières personnes arrivent sur l’île déserte, cette même justice doit requérir ensuite une nouvelle mise aux enchères, où chacun est placé sur pied d’égalité, de temps en temps ; et si la justice requiert le laissez-faire ensuite, elle doit l’exiger dès l’arrivée sur l’île »19. Ce point est essentiel et fait appel à la distinction kantienne entre « originel » et « primitif » évoquée plus haut. Or, une exigence éthique fondamentale doit toujours être originelle, c’est-à-dire qu’elle doit être toujours valide, et non pas l’être seulement au démarrage de la société. Donc, pour Kant, une distribution normative des moyens de production est requise continuellement. Mais l’opinion de Dworkin en la matière n’est pas entièrement claire. A un autre endroit, il prescrit d’appliquer un « test d’envie » et de faire porter la mise aux enchères « sur les ressources de toute une vie »20. Dworkin semble donc plaider pour une distribution « primitive » plutôt qu’originelle et continuelle. Je crois que Dworkin n’a pas de solution à cette tension entre une prétention au caractère originel et continuel de la distribution et cette représentation qui se rapproche plutôt d’un partage unique et primitif.
IV. L’égalité des ressources productives
33Il se pose alors le problème suivant. Comment pouvons-nous éviter l’égalité de revenu ou de bien-être réalisable seulement par une redistribution régulière des biens de consommation ? Nous avons vu que, la plupart du temps, les ressources peuvent être utilisées indifféremment, soit comme moyens de production, soit comme biens de consommation. La différence entre les premiers et les derniers ne réside pas dans la nature des ressources, mais seulement dans l’usage qui en est fait. Cela rend-il impossible de s’assurer que les ressources productives, et elles seules, sont distribuées constamment de manière égale ? Je ne le pense pas. Car les procédures de contrôle nécessaires existent déjà. Chaque administration fiscale et chaque autorité judiciaire a développé des méthodes efficaces pour vérifier si les ressources professionnelles ou les biens de l’entreprise sont utilisés à des fins professionnelles ou détournés à des fins privées. Ces contrôles, qui servent surtout à dépister les « détournements de biens sociaux », pourraient tout aussi bien servir à repérer l’usage productif de certains biens déclarés biens de consommation par leur propriétaire. On peut donc parfaitement envisager de mettre en œuvre le principe d’égalité des ressources productives. En outre, il s’agirait d’un modèle plus modeste et plus facilement réalisable que l’égalité de toutes les ressources proposée par Dworkin.
34L’alternative que je viens de proposer au modèle dworkinien d’égalité des ressources résout deux problèmes que la mise aux enchères de Dworkin se révèle incapable de surmonter. Elle présente en outre l’avantage de n’avoir pas besoin pour cela d’être complétée par un système d’assurance.
35Le premier problème concerne les personnes « handicapées » ou présentant certaines inaptitudes. A première vue, l’égalité des biens de production semble être inutile dans leur cas. Pourtant, une inaptitude à un travail ou même à un ensemble de travaux ne signifie pas une inaptitude à tous les travaux. Les personnes présentant certaines inaptitudes pourraient enchérir pour les ressources qu’elles sont capables d’utiliser dans les travaux qu’elles peuvent accomplir en dépit des inaptitudes qu’elles ont par ailleurs. Mais, en cas d’inaptitude à tout travail, laissera-t-on la personne concernée mourir de faim à côté des ressources inutilisables qui lui sont allouées (et qui ne constituent donc pas des ressources pour elle) ? L’égalité des seuls biens de production aurait exactement cette conséquence si les enchères ne devaient pas obtenir le consentement de tous les membres de la communauté pour pouvoir être closes et pour que chacun reçoive son lot. Or, Dworkin écrit précisément : « celui qui mène les enchères [...] propose un ensemble de prix pour chaque lot et découvre si cet ensemble de prix épuise tout le marché, c’est-à-dire si chaque lot trouve un et un unique acquéreur ».21. Ce processus d’ajustement des prix effectué par celui qui mène les enchères doit se poursuivre jusqu’à ce que chacun se déclare satisfait et que les biens aient été distribués en conséquence. A la différence des enchères proposées par Dworkin, les participants à ces enchères alternatives savent quelles aptitudes ils possèdent et, par conséquent, aussi de quelles inaptitudes ils sont affectés. Les personnes présentant des inaptitudes ne pourraient pas accepter une part de ressources dont elles sauraient qu’elle les condamnerait à mourir de faim. Il faut donc que les enchères de tous les autres participants s’adaptent en conséquence. Car si elles ne le font pas, aucun bien de production ne peut être attribué à quiconque. Un tel argument ressemble un peu à un contrat de location : les personnes présentant des inaptitudes donnent aux autres membres de la communauté la part de ressources productives à laquelle elles ont droit dans les enchères, et en reçoivent en retour un revenu minimal, mais décent. On pourrait objecter que ces personnes affectées d’inaptitudes pourraient adopter une stratégie d’obstruction systématique des enchères et de chantage, afin de maximaliser le revenu qu’elles reçoivent des autres membres. Toutefois, une hypothèse de cette nature serait étrangère aux prémisses psychologiques que Dworkin indique comme étant pertinentes pour la mise aux enchères, puisque la mise aux enchères dont il s’agit constitue une procédure éthique, et non pas une mise aux enchères comme celles que nous connaissons dans le monde réel. La règle de cette procédure éthique est définie et limitée uniquement par le « test de l’envie » qui prévoit qu’aucune « division des ressources n’est une division égale si, lorsqu’elle est achevée, un quelconque immigrant de l’île préférerait le lot de ressources de quelqu’un d’autre au sien propre »22. C’est pourquoi mon modèle d’égalité des ressources productives peut justifier un revenu minimal financé par l’impôt en faveur de personnes présentant de graves inaptitudes.
36Le second problème que notre modèle alternatif traite mieux que ne le fait celui de Dworkin est le problème des personnes qui se trouvent dans la misère par leur propre faute (par manque de travail, à cause de dépenses dispendieuses, etc...). Sans assurance et avec un lot de ressources calculé pour la vie entière, rien ne pourrait plus sauver ces personnes que la charité d’autrui. Elles ne pourraient même pas travailler, car elles auraient déjà épuisé toutes les ressources qui leur avaient été attribuées pour l’ensemble de leur vie. Pour remédier à ce problème, il faudrait diviser le lot de ressources destiné à la vie entière en tranches. Mais sur quelle durée de vie calculer ces tranches, et sur quelle assiette le faire ? A l’opposé, avec l’assurance, les personnes qui se trouvent dans la misère recevraient plus que la part de ressources qui leur revient dans un partage égal. Si nous sortons du cadre défini par Dworkin, l’égalité des biens de production fournit une solution aisée à ce problème : nul ne serait autorisé à consommer sa part de ressources productives, par exemple en vendant ses biens de production pour acheter des biens de consommation. De cette manière, chacun conserverait toujours la possibilité de travailler pour pourvoir à sa subsistance.
37On peut se demander comment l’égalité des ressources productives peut être réalisée dans un monde réel qui est gouverné par une division du travail croissante. Dans un tel monde, nul ne peut vivre du fruit de son travail solitaire, comme Robinson Crusoë sur son île. A moins que la société ne régresse vers une utopie pastorale le choix d’un métier ne saurait dépendre seulement d’un désir individuel arbitraire. Environ 90 % des gens qui travaillent actuellement ne sont pas indépendants, mais employés. Pourraient-ils donc exiger que leur soit attribué le poste de travail de leur choix, au nom de l’égalité des biens de production ? Certes non, mais j’incline à penser qu’ils choisiraient d’eux-mêmes de ne pas occuper les emplois pour lesquels ils ne sont pas qualifiés. La raison en est qu’ils savent qu’en détenant une position pour laquelle ils seraient sous-qualifiés, ils produiraient moins et que, dans le modèle proposé qui ne connaît d’autre égalité que celle des biens de production, ils ne peuvent gagner qu’à proportion de ce qu’ils produisent. Une raison complémentaire en est que, quoi qu’ils fassent, ils sauraient qu’ils ne possèdent pas de revenu minimal garanti financé par autrui (parce qu’une telle garantie suppose une assurance sur les ressources personnelles, ce que nous avons dû récuser). Ce modèle serait donc pleinement orienté vers le marché et la division du travail tels qu’ils fonctionnent dans le monde réel, bien qu’il différerait de notre monde, dans la mesure où ce modèle insiste sur le droit de chacun à un emploi. L’égalité des biens de production empêcherait toutefois que surviennent des situations semblables à celle qui prévalait au milieu du XIXe siècle, sous l’effet de l’absence de législation du travail et de salaires minimaux garantis. A celle époque, les travailleurs devaient accepter des emplois à n’importe quelle condition, parce qu’il n’existait pas d’alternative, puisqu’ils n’avaient droit à aucune ressource productive.
38Une autre objection qui pourrait être soulevée à ce propos est que l’égalité des ressources productives, considérée comme un droit exigible de travailler, réduirait la productivité et la production parce que les travailleurs ne seraient plus motivés par la peur du chômage. C’est oublier qu’il existe bien d’autres incitations au travail. Si le revenu dépend davantage qu’actuellement de ce que chacun produit et moins de la position dans une hiérarchie ou d’un revenu minimum garanti, cela ne peut que contribuer à renforcer la motivation.
39Ce n’est pas le lieu d’aborder de façon plus détaillée et exhaustive les objections et les problèmes qui apparaissent indéniablement au sujet de l’égalité des ressources productives23, j’ai tenté d’y répondre ailleurs, notamment en ce qui concerne la question de l’épargne, de l’investissement et de l’accroissement des ressources. En conclusion, je souhaiterais également souligner deux avantages majeurs du principe d’égalité des seules ressources productives, comparé au principe d’égalité de toutes les ressources.
40Le premier avantage que présente ce principe est d’engendrer un modèle simple et homogène. Ma mise aux enchères alternative ne nécessite pas de système d’assurance pour la compléter. Par là, elle ne présente pas la difficulté de devoir déterminer un niveau de couverture approprié. Le fait que seul l’entretien des handicapés reste alors à la charge d’autrui, à travers les impôts, par exemple, fait que ce modèle alternatif requiert un appareil administratif beaucoup plus léger que celui nécessité par le modèle d’assurance dworkinien.
41Son second avantage est de satisfaire mieux que l’égalité de toutes les ressources les exigences des deux formes majeures du libéralisme que j’ai évoquées en commençant et que Dworkin cherche à réconcilier. Selon Dworkin, la première, le « libéralisme basé sur la neutralité », considère les libertés négatives comme fondamentales, tandis que pour le « libéralisme basé sur l’égalité », l’essentiel est l’égalité. Je crois que Dworkin a raison de prétendre, dans le troisième article de la série Qu’est-ce que l’égalité ?, intitulé La place de la liberté, que la véritable égalité libérale n’a ni l’intention, ni la conséquence de réduire les libertés négatives de quelques personnes, comme on lui en fait souvent le reproche, mais au contraire d’assurer les libertés négatives de tous, contre les théories du laissez-faire qui dénient en pratique les libertés négatives à de nombreuses personnes. Toutefois, il me semble que l’égalité de toutes les ressources ne garantit complètement ni les libertés négatives, ni la neutralité, puisqu’elle favorise en fait ceux qui font le choix de l’oisiveté, et qu’elle ne prend pas assez au sérieux la particularité des talents et aptitudes qui sont pourtant des éléments constitutifs des choix d’une personne. L’égalité de toutes les ressources proposée par Dworkin ne rend assurément pas tout choix impossible, mais elle empêche les individus de profiter ou d’être affectés d’une très large part du résultat de leurs choix et de leurs efforts pour les réaliser. L’égalité de toutes les ressources représente encore un très fort empiétement sur la liberté négative. A l’opposé, je pense que l’égalité des seules ressources productives réussit à garantir des libertés négatives beaucoup mieux que le modèle de Dworkin, et surtout qu’elle le fait envers chaque personne. Il me semble que ce principe alternatif n’est pas affecté par les critiques que Sandel adresse, en revanche, à juste titre à Dworkin. Tandis que « le libéralisme contemporain défend une notion forte des droits individuels » et « insiste sur la pluralité et la distinction des individus », Sandel souligne que l’accent mis par les libéraux sur le partage « semble requérir une théorie forte de la communauté, une explication de la manière dont notre identité de citoyens est modelée par nos buts et mérites communs »24. Interpréter l’égalité libérale comme requérant l’égalité de ressources, c’est certes la prendre plus au sérieux que le principe d’égalité des libertés négatives du laissez-faire. Mais interpréter l’égalité libérale comme requérant l’égalité des ressources productives, c’est la prendre encore plus au sérieux. Tel est, je crois, ce que réclame une interprétation libérale de l’égalité des chances.
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Notes de bas de page
1 Je tiens à remercier la Humboldt-Stiftung qui a généreusement financé mon séjour à Georgetown University et a rendu possible le présent article.
2 R. Dworkin, Prendre les droits au sérieux, trad. M.J. Rossignol et F. Limare, Paris, Presses universitaires de France, 1995, p. 332.
3 R. Dworkin, What is Equality ? Part 3 : The Place of Liberty, in Iowa Law Review, 1987, no 1, p. 29.
4 R. Dworkin, The Foundations of Liberal Equality, in G.B. Peterson, The Tanner Lectures of Human Values, vol. XI, Salt Lake City, 1990, pp. 101-102.
5 R. Dworkin, Freiheit, Gleichheit und Gemeinschaft, in K. Michalski, Die liberale Gesellschaft. Castelgandolfo-Gespräche 1992, Stuttgart, Klett-Cotta, 1987, p. 85.
6 R. Dworkin, What is Equality ? Part 2 : Equality of Ressources, in Philosophy and Public Affairs, vol. 10, no 4, automne 1981, p. 320.
7 Ibidem, p. 318.
8 R. Dworkin, A Matter of Principle, Cambridge Mass., Harvard University Press, 1985, p. 210 sq.
9 Cf. R. Dworkin, Wat is Equality ? Part 3 : The Place of Liberty, in Iowa Law Review, 1987, pp. 27-28 pour les citations qui suivent.
10 R. Dworkin, What is Equality ? Part 2 : Equality of Ressources, in Philosophy and Publics Affairs, vol. 10, no 4, automne 1981, p. 311.
11 S.C. Brubaker, Taking Dworkin Seriously, in The Review of Politics, 47 (1985), 45-65, montre de manière convaincante que certaines des positions de Dworkin contredisent sa théorie de l’existence d’une « réponse juste » dans les cas difficiles.
12 Cf. A. Gutman, Liberal Equality, Cambridge, Cambrigde University Press, 1980, pp. 163-165 ; J.-Ch. Merle, Gleichheit als Motiv ?, in Deutsche Zeitschrift für Philosophie, no 42/4, 1994, pp. 724-729.
13 R. Dworkin, Prendre les droits au sérieux, op. cit., p. 2128.
14 R. Dworkin, Why Bakke Has No Case, in New York Times Review of Books, 24, no 18 (10.11.1977), p. 13. N.B. : je n’entends pas discuter ici de la question controversée de l’action affirmative, mais seulement établir que Dworkin considère le mérite comme un critère qui autorise des distinctions dans l’attribution des positions dans la société. Je laisse de côté la question de savoir si Dworkin a raison dans l’exemple que j’évoque.
15 R. Dworkin, Freiheit, Gleichheit und Gemeinschaft, art., cit., p. 85.
16 Cf. Ph. Van Parus, Real Freedom for All. What (If Anything) Can Justify Capitalism ?, Oxford, 1995.
17 Cf. K. Polanyi, La grande transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps, trad. C. Malamoud, Paris, Gallimard, 1983, pp. 113-124. Ma critique ne concerne pas les systèmes d’assurance volontaire, qu’ils soient à but commercial ou non lucratifs et mutualistes, ni les œuvres sociales des syndicats, par exemple. A ce propos, cf. B. Barry, Democracy, Power and Justice. Essays in Political Theory, Oxford, Clarendon Press, 1989, p. 536.
18 R. Dworkin, The foundations of liberal equality, art. cit., pp. 104-105 ; cf. aussi W. Kersting, Recht, Gerechtigkeit und demokratische Tugend. Abhandlungen zur praktischen Philosophie der Gegenwart, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1997, pp. 213-242.
19 R. Dworkin, What is equality ? Part II : Equiality of resources, art. cit., p. 309.
20 Ibidem, p. 304 ; voir aussi p. 306.
21 Ibidem, pp. 286-287.
22 Ibidem, p. 285.
23 Cf. J.-Ch. Merle, Justice et Progrès. Contribution à une Doctrine du Droit Economique et Social, Paris, Presses Universitaires de France, 1997, partie II, chapitre II ; J.-Ch. Merle, Fichte’s economie model and theory of property, in G. Zöller (ed.), Cambridge Companion to Fichte, Cambridge, 1998 (à paraître).
24 Cf. M. Sandel, Liberalism And The Limits of Justice, Cambirdge, 1982, p. 135, reproduit in M. Cohen (édit.), Ronald Dworkin and Contemporary Jurisprudence, Totowa N.J., Rowman & Littlefield, 1983, p. 227.
Auteur
Université de Tübingen/Georgetown University
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