Levinas, le multiculturalisme et nous
p. 47-59
Texte intégral
1Le multiculturalisme n’est pas un phénomène récent. Dès l’apparition d’un autre monde, d’une autre culture dans laquelle les évidences du nous culturel auquel je participe se trouvent comme mises hors circuit, on a connu ce problème d’une scission du monde entre le monde comme tel et mon monde qui n’est qu’un monde parmi d’autres, et on a dû y trouver une solution. Et il y en avait plusieurs. Ou bien on a essayé de nier cette scission en réservant la signification monde seulement pour son monde propre, ou bien on l’a saluée comme ce qui nous permet de comprendre que la vraie humanité est à chercher par-delà tout particularisme. Vieilles solutions qui, pour être insatisfaisantes, sont pourtant encore parmi nous. Ne nous y attardons pas. Notons ici seulement que ce n’est donc pas de ce côté qu’il faudrait chercher pour comprendre ce qu’il peut y avoir de nouveau dans ce multiculturalisme qui retient tellement notre attention. Mais si le problème que nous pose le multiculturalisme n’est pas nouveau et si, dans un certain sens, les solutions que nous avons trouvées ne varient pas de celles que l’on a toujours données, en revanche, notre fascination pour ce phénomène du multiculturel ne date pas d’avant-hier. Ce n’est qu’aujourd’hui, par exemple, que le mot même commence à prendre le relais de cet autre mot-clé qui nous a tant fascinés pendant des années : ce n’est en effet plus du postmodernisme dont on attend la solution à toutes nos énigmes, c’est du multiculturel. Cette fascination a de quoi surprendre. Pour la comprendre, il faudrait s’efforcer de ne pas s’y laisser prendre. Par exemple en refusant d’y voir le nom d’un problème pour lequel il nous faut trouver une solution au plus vite. Il faudrait en effet se demander d’abord ce qu’il y a dans ce multiculturalisme pour pouvoir non seulement nous fasciner, mais aussi pour nous laisser croire que cette fascination qui est la nôtre est seulement l’index de l’urgence d’un problème ne nous concernant que dans la mesure où il concerne les autres. D’où cette tendance à traiter le multiculturel comme ce qui met en jeu en premier lieu l’existence — éthique ou politique — d’autrui et ce qui, seulement par ce biais, nous implique dans une intrigue nous interpellant uniquement dans cette dimension de notre existence que nous nous complaisons à appeler notre responsabilité, éthique ou politique. Ce serait donc la souffrance d’autrui qui nous rendrait responsables et cette responsabilité même ne nous affecterait que pour autant qu’elle demande des sacrifices qui ne peuvent nous laisser indifférents, mais qui, tout compte fait, ne nous touchent pas au cœur. Comme s’il n’y avait pas cette fascination, comme si finalement nous n’y étions pour rien, comme si notre existence même ne se trouvait impliquée dans le multiculturel que par les fils d’une intersubjectivité qui trament la chaîne d’une subjectivité déjà là et qui en sort indemne. Insistons un instant sur ce qu’il y a de séduisant dans cette logique du « comme si ». Car c’est bien d’elle que semblent partir les approches éthiques et politiques du multiculturel.
2Il faudrait donc trouver un moyen de montrer — et c’est l’essentiel de l’approche politique — à ce sujet citoyen que ceux ou celles auxquel(le)s jusqu’à présent il a refusé les droits de citoyenneté sont des sujets comme lui et qui, bien loin de constituer une menace, demandent seulement des mesures qui leur permettraient de mieux s’intégrer. Comme il faut le convaincre que, même si parmi ces mesures il y en a qui nécessitent des droits spéciaux qui tiennent compte du fait que ces concitoyens actuels ou potentiels ne sont pas de la même provenance culturelle que lui, ces droits encore n’ont rien de spécial, mais ne font que confirmer les prémisses essentielles dont part tout droit dans un État libéral comme le sien. En effet, comme le montre un jeune philosophe canadien, Will Kymlicka, dans plusieurs ouvrages récents1, un libéralisme bien compris qui ne néglige pas de faire l’herméneutique de ses propres institutions, devrait soutenir de tout son poids les mesures nécessaires pour rendre pratiquable ce qu’il appelle un « multicutlural citizenship ». Car c’est erreur de ne voir, comme on le fait souvent, dans le libéralisme qu’un atomisme présocial qui ignorerait la complexité des liens entre l’individu et la société (MCC 73). Il y aurait, au contraire, à la base de tout un courant du libéralisme (car il y en a plusieurs) une sorte d’ontologie morale qui justement met en relief l’inextricable texture qui passe entre l’individu et sa société. Bien loin d’être atome sans contexte, l’individu serait essentiellement attaché à un contexte qui lui permettrait de faire des choix qui ne sont pas vides de sens. Car, pour choisir, il faut des alternatives valables et il faut donc être au courant des alternatives et être capable de les « lire » et de les interpréter, afin de comprendre leur sens. Mais tout cela présuppose évidemment qu’on a accès aux « narratives culturels » (SNC 34) qui, comme le dit Dworkin, non seulement nous offrent des options mais aussi « les lunettes à travers lesquelles nous pouvons identifier des expériences comme valant la peine (valuable) » (cité SNC 34). L’idéal moral d’une autonomie individuelle se pervertirait en culte du choix pour le choix (LCC 48) si les individus étaient privés d’accès à ce que Kymlicka appelle une « culture sociale » (societal culture) qui leur offre un vocabulaire partagé, des traditions et des conventions supportant toute une série de pratiques et des institutions sociales. S’il faut donner tout son support à l’existence ou à la survivance d’une telle « culture sociale », ce n’est pas au nom de quelque valeur intrinsèque de ces « lunettes », mais bien parce que sans elles l’autonomie de l’individu serait aveugle (cf. LCC 165). Cette autonomie est donc d’une fragilité extrême, car elle ne peut s’exercer que dans des conditions de visibilité qu’elle ne peut se donner elle-même. L’ontologie morale, que le libéralisme de Kymlicka veut défendre, a donc comme idéal principal de permettre à tout individu de voir par lui-même : tout un chacun a droit à sa propre « vision » de la bonne vie, comme il a d’ailleurs le droit de changer de vision. Mais ce sont les conditions de visibilité qui nous importent ici. Car il se trouve que ces conditions ne sont pas les mêmes pour tous. Le multiculturalisme est précisément cette condition où il n’y a pas une seule culture sociale, ou un seul vocabulaire partagé, mais plusieurs. Et voilà le point où cette hétéronomie, qu’on aurait pu considérer jusqu’ici comme innocente car œuvrant à l’autonomie, commence à brouiller les choses. Etrange ontologie morale que celle qui veut nous parler des attachements qui semblent se soustraire à la raison et dont on ne peut donner logon. En effet, on ne peut que constater, non pas comprendre, que cet attachement de principe n’est pas le même pour tous et qu’il ne suffit pas d’offrir aux individus une « culture sociale » quelconque pour les faire sortir de leur aveuglement. Ce qu’il leur faut, ce ne sont pas des lunettes tout court, mais des lunettes adaptées à leurs yeux. Mais on n’est pas au cabinet d’un optométriste — voilà le malentendu possible — il n’y a pas moyen de mesurer objectivement le strabisme en question. Ceux qui nous demandent des droits minoritaires, par exemple en ce qui concerne leur langue, ne peuvent nous expliquer pourquoi cette langue-là leur importe au plus haut point. Il faut leur faire foi et respecter leur indigence.
3Je n’entrerai pas ici dans tous les détails de l’argumentation admirablement complexe et souvent ingénieuse que Kymlicka développe à partir de ces intuitions2 qui, comme il l’admet d’ailleurs en toute sincérité, semblent toutes tourner autour de ce factum constaté, mais non expliqué, qu’il y a un « attachement profond » (SNC 40) à leur propre culture chez les membres des minorités nationales. Ce qui importe pour Kymlicka, c’est de pouvoir montrer qu’il n’y a là aucune menace pour un libéralisme conscient de ses principes. Au lieu de chercher des explications pour ces attachements inexplicables, une philosophie politique peut se contenter de constater que, de toute évidence, les minorités tiennent à leur identité nationale ou culturelle « pour la même raison » (SNC 41) que ceux qui appartiennent à la culture majoritaire. Car il n’y a rien qui nous permette de penser que ces derniers attachent moins d’importance à leur liberté de vivre et de travailler dans leur propre culture sociale. La seule différence étant qu’ils ne sont même pas conscients de profiter d’un régime de visibilité entièrement taillé sur eux. Comme cela ne leur coûte aucun effort, ils considèrent comme allant de soi le fait qu’ils peuvent voir et décider pour eux-mêmes. C’est qu’ils peuvent profiter des circonstances favorables dont d’autres non seulement ne profitent pas, mais dont ils souffrent du seul fait, par exemple, que leur langue ne se trouve pas être la langue majoritaire et officielle du pays. Comme je l’ai déjà indiqué, cet exemple peut être pris sensu lato, car le langage ici n’est pas seulement « médium transparent de communication », il porte en lui toute une histoire, des conventions et des traditions qu’il faut pouvoir vivre de l’intérieur sous peine de se trouver exclu de cette connaissance tacite (M. Polanyi) par laquelle une langue « rend vif » (SNC 34) le point des activités et des pratiques sociales entre lesquelles nous choisissons continuellement pour mener une vie qui nous semble bonne et digne. Etre exclu de ces narratives culturels qui sont la précondition de tout jugement intelligent concernant une telle vie, du seul fait que le hasard a voulu qu’on ne soit pas né dans la culture majoritaire, c’est donc se trouver comme handicapé. Handicap de la raison qui ne parvient pas à s’exercer faute de ce respect de soi-même et de cette confiance en soi qui, d’une manière ou d’une autre, semblent dépendre d’un élément hors contrôle de l’individu et qui réside justement dans cette « culture sociale » dont nous avons parlé (LCC 175 ss.). Elément dans le sens présocratique donc et qui n’est absent d’aucun Etat national. Mais privilège injuste qui permet aux uns de respirer tout en forçant les autres de mourir d’asphyxie. Injustice intolérable pour un libéralisme qui a toujours voulu distinguer entre ce qui précède le choix individuel et ce qui en résulte. Rawls lui-même serait donc obligé de promouvoir les cultures sociales au statut des « primary goods » (LCC 166-7) et, s’il ne l’a pas fait, la faute n’est pas à chercher dans son parti pris libéral, mais résulte seulement de son point de départ monoculturel, — prémisse tacite mais intenable qu’il partage d’ailleurs avec d’autres coryphées liberaux, tel que Dworkin. Et à Kymlicka de conclure que les droits minoritaires, d’ailleurs souvent déjà existants, bien loin d’être en contradiction avec les intuitions fondamentales du libéralisme politique, en fait, les confirment.
4Mais ne confirment-ils pas plus que cela ? Il est frappant que dans tout ce raisonnement Kymlicka aspire à montrer le mal-fondé de toutes ces angoisses que nous semblent inspirer les autres cultures. Il y réussit tellement qu’on ne peut que s’étonner qu’après ce vol de Minerve où la théorie rattrape son retard sur la réalité, il vient encore une aurore où la réalité doit rattraper à son tour le retard sur ce que la théorie a déjà reconnu en elle comme raisonnable. Comme si ces angoisses dont il nous parle se dissipaient dès qu’on réalise qu’autrui est un être infirme comme moi, et que cette infirmité comme la mienne n’est que la servante de la raison qu’il partage avec moi. Car finalement cet autre est un être autonome et raisonnable et s’il se trouve malgré lui porteur du miroir de cette infirmité qui est la mienne, s’il me rappelle cet aveuglement au cœur même de ma raison qui, elle non plus, n’est pas sans attaches, ce n’est pas pour saper mes forces, mais pour me rendre conscient de ce qu’il y a en moi de meilleur et ainsi pour les renforcer. L’infirmité, comme l’union, fait la force. Aussi, est-ce elle qui nous unit.
5Il y a dans tout cela, me semble-t-il, comme un optimisme métaphysique que je ne critiquerai pas comme tel mais dont je me demande d’où il vient.
6Force est de constater que Kymlicka n’en parle guère, sinon jamais. Mais comment en parler si on veut en même temps s’inscrire sans réserves dans une tradition, après tout récente, qui traite la philosophie politique comme si elle était domaine séparé ? N’est-ce pas se sevrer par avance de toute une conceptualité classique qui pourrait aider à comprendre ce que, humblement, les dernières lignes de ce grand livre, Multicultural Citizenship, indique comme le punctum caecum de toute cette tradition libérale qu’il a voulu renouveler : des citoyens libéraux se trouvent porteurs de ou plutôt portés par « un très singulier sentiment » qui consiste à « désirer l’union », sans « désirer l’unité ». Ce qu’il nous faut, c’est donc un affect qui « unifie » sans verser dans la « fusion » (MCC 192). N’est-ce pas ce sentiment que Levinas a voulu retrouver dans la honte ?
7Je vous propose donc de rebrousser chemin, non pas pour faire la découverte d’une solution toute faite — car il n’y en a pas chez Levinas — mais pour, si j’ose dire, vous mettre dans le même embarras où nous a laissés Kymlicka. C’est qu’il ne suffit peut-être pas pour sortir de cet embarras de simplement changer de parcours, en partant cette fois-ci, comme le fait Levinas, de l’éthique pour arriver au politique. Mais nous comprendrons peut-être mieux cette proposition insolite dont il est temps que je vous fasse confidence, car c’est vers elle que j’essaierai de vous guider : le multiculturalisme n’est pas seulement phénomène éthique ou politique, il est ou devrait être reconnu dans sa dimension métaphysique. Il n’y a là aucune contradiction avec ce que je viens de suggérer quant à Levinas. En effet, quoiqu’il soit vrai que la philosophie de Levinas consiste justement dans un effort pour démêler celte intrigue classique entre ce qui ressort de l’éthique, de la politique et de la métaphysique, comme pour la tisser de nouveau, elle ne me semble pas à même de nous faire comprendre ce qui en est du multiculturalisme. Bien au contraire, comme j’essaierai de le montrer, il ne semble y avoir, et cela pour des raisons structurelles, aucune place en elle pour le genre de phénomène qui nous intéresse. C’est que non seulement elle semble être construite pour se méfier de ce genre d’attachements profonds qu’on vient de rencontrer chez Kymlicka, mais on verra que, finalement et par-delà toute opposition superficielle, cette méfiance elle-même provient d’un même refus de reconnaître ce qui, dans toute cette altérité problématique d’autrui, pointe vers une tout autre mise en question de notre subjectivité que celle qu’elle thématise sous le nom de responsabilité. Mais afin de pouvoir au moins indiquer les enjeux de cette métaphysique de la non-réponse qui me semble constituer comme la vérité réprimée de cette fascination par trop symptomatique pour le multiculturel qui est la nôtre, il m’a semblé utile, pour ne pas dire inévitable, de faire un bref détour par la philosophie de Levinas qui est souvent, et à juste titre, présentée comme la critique la plus radicale des points de départ du libéralisme. Entendons-nous donc d’abord sur le prix qu’on devrait payer pour pouvoir partager cette critique.
8On connaît l’audace, d’ailleurs souvent passée sous silence par ses commentateurs, avec laquelle Levinas a voulu sauvegarder, dans un climat franchement anti-, ou au moins post-métaphysique, ce vieux mot de métaphysique. Il suffit en effet d’ouvrir ce fulgurant Essai sur l’extériorité — sous-titre de Totalité et Infini — pour être frappé par des mots comme « Dieu », « Bien », « infini », « création »... que tout un mouvement de destruction ou de déconstruction de la métaphysique a voulu raturer. La condition éthique elle-même n’est-elle pas appelée, et cela dès le début de l’ouvrage, notre condition religieuse ? Mais Levinas n’est pas simple restaurateur et il n’y a rien de réactionnaire dans son insistance sur ces mots que nous avions crus désuets. Il ne les traite pas comme s’ils allaient de soi. S’ils sont tellement présents dans son discours, c’est qu’il croit que leur usage, passé un certain point, nous devient inévitable. Car Levinas est avant tout phénoménologue et il veut éviter à tout prix de faire de la théologie. Bien loin de prendre son point de départ dans des mots comme « Dieu » ou « créaturialité », il veut les faire entendre comme pour la première fois à la fin de tout un parcours philosophique. Or, ce n’est qu’en réfléchissant sur ce qui nous est donné — ou plutôt non donné — dans la situation éthique qu’on y trouve comme un nouvel accès. Car, en fait, qu’est-ce qui se passe entre moi et autrui ? Inexplicablement, nous dit Levinas, le visage d’autrui nous appelle et cet appel nous regarde. Ce qui ne veut pas dire qu’il nous intéresse. C’est contre tout notre intérêt que nous nous tournons vers autrui. D’où lui vient celte étrange capacité de pouvoir interrompre notre vie à nous, dont l’existence normale consiste à poursuivre sa propre course ? S’il n’y a aucune qualité dans cet Autre qui puisse nous intéresser, alors pourquoi et comment se fait-il qu’indéniablement nous éprouvons en nous-mêmes ce sentiment étrange de ne pas pouvoir ignorer sans faute son appel à l’aide ? D’où nous vient cette honte devant Autrui, même avant que nous nous soyons décidés à lui tourner le dos ? Car il y a cette honte, Levinas insiste, et sa simple absence empirique dans tel homme ou telle femme que nous disons être « sans honte », bien loin de la contester, l’affirme encore. Le dévergondage des éhontés la présuppose déjà, il l’a déjà reconnue et ne fait que fuir devant elle3.. Fuite sans issue car ce qu’elle veut éviter, elle l’emporte avec elle : c’est qu’elle vient de se voir elle-même dans ce miroir qu’autrui, de par sa simple présence, lui a tendu. Pour la première fois dans ces yeux autres, cet être mien tout occupé à être son être, a vu ou a su ou a éprouvé qu’il était effectivement en train d’être son être. Et depuis ce moment-là, cette course qui, bien sûr, peut encore être poursuivie semble avoir fatalement perdu son innocence. La poursuivre et décider d’ignorer ce que ces yeux-là nous ont montré, c’est prendre une décision et donc déjà se situer dans un horizon qui échappe, en la qualifiant, à cette liberté d’initiative. Car c’est cela l’intersubjectivité : horizon non neutre où le sujet soudainement est mis devant le choix ou bien de déclarer avec retard cette guerre qu’il ignorait avoir toujours été, mais qui s’avère être maintenant comme la vérité de cette existence qui ne fait que poursuivre sa course en traitant tout être en fonction de son propre être ; ou bien de se désister de son être et de reconnaître dans cet être d’un autrui qui ne porte aucun intérêt, ni aucune menace pour lui, un être auquel il ne peut sans injustice préférer le sien.
9Il importe de bien comprendre ce que Levinas veut nous signaler ici. Il ne se contente pas de pointer, de par cette approche phénoménologique de la rencontre intersubjective, vers un être d’autrui qui vaudrait autant que le mien. Si tel était le cas, je n’éprouverais pas dans cette rencontre avec autrui ce sentiment de honte avec laquelle, selon Levinas, je fais la découverte d’avoir jusqu’ici mené une vie qui ne tenait compte que d’elle-même et qui était — qui ne pouvait être — qu’involontairement égocentrique. Et si l’être d’Autrui ne valait pas plus que le mien, si entre nous il n’y avait pas cette irréversible asymétrie dont nous parle Levinas quand il dit qu’Autrui a un « irrécusable droit sur moi »4, je pourrais continuer ma course sans éprouver ou avoir à refouler la mauvaise conscience d’avoir préféré mon intérêt à celui d’autrui. Tout au plus aurais-je, comme on dit, des sentiments mixtes d’avoir dû trancher sans justification ultime celle situation indécidable, de stricte équivalence entre son existence et la mienne. Mais, quoiqu’un Derrida semble parfois l’oublier5, pour Levinas au moins l’injustifié ou l’injustifiable n’est pas encore l’injuste. Pour qu’il y ait injustice, il faut que ce qui est encore mixte dans ce sentiment-là se laisse séparer et puis déterminer. Mélange qui, pour Levinas, comme d’ailleurs pour Kant dont il est très proche ici, se décomposera toujours en ce qui ressort du pur et ce qui appartient au pathologique. Pureté du Bien qui risque toujours d’être contaminée par les forces du Mal qui, comme le serpent du Paradis, essayent de nous détourner de celte orientation première que nous rencontrons dans le Visage d’autrui. Choisir pour sa propre existence, la mettre au-dessus de celle d’Autrui, c’est toujours contaminer le Bien par le Mal, même si l’on cherche à se tirer de la situation en la traitant comme indécidable. Prétendre qu’Autrui et moi nous nous trouvons à la même hauteur, c’est déjà rendre témoignage de ce pacte avec le Mal qui nous a rendu incapables de saisir la différence entre ce qui n’est qu’ivresse et illusion — fausse détente de l’irresponsabilité (AE 110) — et cet état d’extrême sobriété dans lequel nous a mis 1’appel à notre responsabilité, à en croire Levinas.
10Mais comment le sait-il ? Pourquoi le croire ? Et si ce qui est traité ici comme mélange s’avérait être une solution originelle ? Est-il tellement évident que la séparation entre le pur et le pathologique, si séparation il y a, recouvre celle qui existe entre le Bien et le Mal, entre le sacrifice du pour autrui et la préférence vile en faveur du pour-soi ? Il me semble que c’est bien ici que le poids de ces mots, dont je vous parlais tout à l’heure, sur le discours de Levinas devient indéniable. Comme Derrida l’a remarqué très tôt6, sans le mot « Dieu » — et j’ajouterai : sans tous ces mots qui sont impliqués dans ce « premier mot » (tels que « trace » et « créaturialité » par exemple) — Levinas ne s’en sortirait pas. Mais ce n’est pas le moment de reprendre ici avec vous ce que j’ai plus d’une fois essayé de montrer ailleurs7. Contentons-nous de remarquer que sans ces mots-là Levinas ne pourrait jamais soutenir ce que je considère être sa proposition de base, c’est-à-dire que « le violent ne sort pas de soi »8. Ce qui serait indéniablement vrai si l’homme avant d’être noué à soi, ne se trouvait être noué — mais dans un sens non neutre, dans le sens de « voué » (AE 134) — à l’autre. Or, une telle « pré-originelle fraternité » ne se laisse penser que dans le cadre d’une métaphysique où des mots comme « Dieu » et « création ex nihilo » apparaissent comme clef de voûte d’un bâtiment qui, sans eux, resterait à la merci des éléments. Comme le pense d’ailleurs Levinas pour qui la crise et les malheurs d’une Europe post-coloniale et en proie à toutes sortes de relativismes, de particularismes et de culturalismes ne proviennent que du fait que cette Europe n’a pas osé se déraciner radicalement. Fille d’Athènes et d’une Grèce qui était sacrée et païenne avant d’être raisonnable, l’Europe n’a pas eu ce courage extraordinaire qui est celui du judaïsme qui a, comme le dit Levinas dans un texte sur Heidegger, Gagarine et nous9 avec lequel mon titre résonne, « exigé (la) destruction » des « idoles » au lieu de les avoir « sublimées » comme l’aurait fait un christianisme trop porté à vouloir « conquérir l’humanité » en « intégrant » « les petits et touchants dieux familiers dans les cultes des saints, dans les cultes locaux » et ainsi « maintenant » « la piété enracinée, se nourrissant des paysages et des souvenirs familiaux, tribaux, nationaux ». Il n’y a pas de doute que, pour Levinas, la situation multiculturelle qui rend confuse l’Europe actuelle trouverait là son ascendance généalogique. Les flammes qui brûlent de nouveau l’Europe d’aujourd’hui comme celles qui la brûlèrent — et pas seulement elle, mais un peuple entier ! — dans un passé trop récent, sont les mêmes qui, dans des temps mythiques déjà, ont échauffé ces dieux de bois qu’on a invoqués pour faire la guerre à ses frères. Ainsi, elle ne se douterait pas que ce sont les lueurs de ces feux-là qui se cachent derrière le multiculturel et lui rendent son attrait.
11Voilà où nous en sommes, selon Levinas. S’il y a un problème multiculturel, s’il nous faut des solutions ingénieuses telles que celles que nous offre le libéralisme de Kymlicka pour résoudre ce problème, c’est que nous refusons toujours d’entendre la voix de cette « difficile liberté » qui nous rappelle simplement que nos seuls attachements sont ceux envers autrui. Mais alors il faut accepter autrui sans condition aucune — comme il faut être prêt à couper ces liens opaques injustifiables, et comme on l’a vu, injustes avec lesquels nous nous trouvons liés à notre « culture sociale ». Car c’est la violence elle-même qui a forgé ces liens qui nous font croire que nous ne pouvons pas sortir de nous-mêmes. Quelle que soit l’origine de cette croyance, elle devient idolâtrie voulue dès que le visage d’un autre homme, nu et déraciné, nous offre la chance de la reconnaître comme telle. Car un homme vraiment humain n’est pas un arbre10. L’enracinement n’est qu’une possession. Mais comme toute possession, elle aussi peut être rompue si l’on trouve les mots exacts et si on a la force de les proférer. C’est le cas d’Autrui : dans son visage, nous dit Levinas, « j’entends la parole de Dieu »11. Parole qui par la simple formule « aide-moi », prononcée par l’autre, nous dépossède de toute possession et nous élève à la hauteur d’une humanité qui est au-delà de toute nature, et sans autres attachements que ceux qui lient les hommes entre eux. Il semble donc que, pour Levinas, même un libéralisme sophistiqué comme celui de Kymlicka n’est pas assez sévère. Il se laisse encore trop influencer par cette illusion apaisante que savent donner les « bosquets sacrés » aux promeneurs naïfs qui ignorent ou préfèrent ne pas savoir ce qui se passe dans les coins sombres de nos forêts où les animaux s’entredévorent sous des arbres qui se disputent la lumière du soleil. C’est en effet chérir une fausse paix que de vouloir établir une situation où les attachements profonds d’autrui pourraient cœxister avec les nôtres. C’est se confier naïvement aux forces d’une sympathie douteuse qui, dès que la situation deviendra difficile, tournera aisément en instinct de guerre — comme vient de nous le rappeler la triste actualité de ce pays qui vient de nouveau de faire preuve du fait que le sort des droits des immigrés dépend de l’humeur et de la bonne volonté des autochtones. L’optimisme métaphysique de ce libéralisme n’est que le masque d’un réalisme physique qui n’oublie jamais ses propres intérêts. C’est ce qui se passe, nous dira Levinas, quand on se confie à la raison politique et que l’on omet de lui trouver un point de gravitation autre et au nom duquel on pourrait la contester. Il ne faut pas partir de la raison politique en espérant que l’éthique par après lui bâtira ses fondements, il faut faire le chemin inverse.
12Ce chemin est trop long et sinueux pour le parcourir ici. Mais avant de s’y engager, il vaut la peine de se demander où nous mènera cette critique tellement exigeante du libéralisme et si nous pouvons vraiment y souscrire.
13Comme nous venons de le voir, Levinas part de cet étrange affect qu’est la honte que nous éprouvons face à autrui et qui, selon lui, atteste une asymétrie originale entre autrui et moi. Autrui a plus de droits que moi ; en fait, s’il n’y avait que lui et moi, je n’en aurais aucun. Me reconnaître des droits sur ce plan-ci serait nécessairement laisser ma liberté précéder ma responsabilité qui donc ne m’obligerait que pour autant que je lui donne mon accord. Etrange obligation que celle dont la force dépendrait de ma bonne volonté de ne pas vouloir invoquer ces droits, dont avec quelque inventivité je tirerais toutes les excuses nécessaires pour la refuser. Ce qui ne veut pas dire que je sois condamné à vivre sans aucun droit. Car il y a toujours plus qu’un autre et plus qu’un appel12. Il faut donc pouvoir les comparer, les peser quant à leur urgence, et pour cela il me faut du temps. Au moins le temps pour tourner la tête, en les regardant pour taxer leurs besoins, l’un après l’autre. Pendant ce temps-là, je suis seul, menant une vie à moi où je dois entre autres manger et dormir pour ne pas perdre mes forces. Mais cette vie-là que nous vivons tous et qui demande une énorme organisation et finalement un Etat — car il nous faut des règles faute de ne pouvoir être omniprésents —, cette vie n’est qu’une détente. Elle ne trouve pas son poids en elle-même. Elle ne résulte que de cette interruption nécessaire de l’éthique — nécessaire précisément parce que tous les autres ont des droits également absolus sur moi. Autant dire que si la vie dans l’Etat, avec ses règles de justice, me donne certains droits, ces droits-là ne pourront jamais prévaloir sur ceux d’autrui. Les droits dont je dispose et dont l’Etat m’investit ne sont là que pour me permettre de mieux servir autrui. Aussi le cri d’un autre concret l’emportera toujours sur toutes les règles d’une justice qui ne peut me servir d’excuse.
14Mais alors Levinas prêche-t-il un anarchisme éthique ? Devrais-je aider l’assassin à se soustraire à la justice si, par hasard, il m’appelle à l’aider ? Non pas. Car l’aider à s’échapper serait négliger mes obligations envers d’autres Autres. On voit combien la situation devient difficile et on ne s’étonnera plus peut-être que Levinas, confronté à la situation concrète en Israël par exemple — situation multiculturelle, si il y en eut jamais une —, ait toujours protesté contre un sionisme qui, comme le dit Finkielkraut, « sacrifie l’apatridie constitutive de l’homme sur l’autel de la patrie retrouvée »13, mais jamais contre l’Etat d’Israël comme tel, car comme Levinas le dit « ma famille et mon peuple sont, malgré ses pronoms possessifs, mes ‘autres’ comme les étrangers, et ils exigent justice et protection » (cité ID. 567). Mais alors, une fois arrivé à ce niveau ultra-concret, qui n’est peut-être pas le seul qui compte mais qui sûrement devrait compter aussi, qu’est-ce qu’on a gagné ? Ce que vient de nous dire Levinas sur sa famille et son peuple, est-il tellement différent de ce que présuppose un théoréticien libéral comme Kymlicka quand il essaie d’expliquer à ses compatriotes que leurs droits à eux ne souffriront pas de concéder certains droits spéciaux à des minorités ethniques ou nationales ? Certes, Levinas arrivera à ces propos par une tout autre voie et c’est déjà beaucoup que de vouloir affirmer la vision d’une paix autre que celle qui se contente d’avoir pu contenir la guerre. Mais cette paix-là est-elle de cette terre ? Est-elle faite pour des êtres finis comme vous et moi qui, si on peut croire Kymlicka, tiennent à leur « culture sociale » et qui, sans elle, se voient aussi handicapés que ces autres multiculturels dont nous parlent Kymlicka et (peut-être) Levinas ? De ces attachements-là, on n’a pas entendu beaucoup parler. En fait, on en entend très peu parler de nos jours — c’est manifestement trop dangereux, aucun de nous n’aimerait se voir associé à l’extrême droite qui, elle, ne s’arrête pas d’en parler car elle est sûre d’avoir percé leur secret. Et pourtant, comme le remarque finement Kymlicka, ce sont ces attachements-là qui expliquent que nos Etats survivent — et comment ! — dans une situation où l’on aurait attendu de les voir disparaître rapidement. Car en fait nous vivons une situation où il y a une progressive diminution des différences entre les Etals libéraux et une plus grande diversité au sein de chaque pays (SNC 35-6). Abolir les frontières entre ces Etats serait, dans ces circonstances-là, un moyen sûr d’agrandir notre égalité et notre liberté. Mais alors, qu’est-ce qui nous retient ? Et à ceux qui, en m’entendant parler de Kymlicka et de Levinas, ont pensé qu’on ne devrait que combiner l’éthique de l’un avec la politique de l’autre, d’expliquer pourquoi non pas « il faut l’Etat » comme le dit souvent Levinas, mais pourquoi il faut des Etats. L’existence des frontières n’est-elle qu’exclusion — triste témoignage d’une réalité pas encore à la hauteur de ce qui, en elle, est meilleur qu’elle-même ?
15Je ne crois pas qu’il y ait de bonne réponse à ces questions. Elles marquent les limites de ce qui nous est pensable sur ce sol où nous nous mouvons. Rappeler le mot heideggérien selon lequel, pour les Grecs, le peras n’était pas frontière dans le sens d’exclusion, mais « ce-à-partir-de-quoi » il peut y avoir apparaître et phénomène, c’est risquer de se voir associé au Nietzsche du « Second Intempestif » et par là à toute la Gegenaufklarung et même pire. Faut-il alors se contenter d’appeler avec Derrida les cosmopolites de tous les pays à faire encore un effort14 ? Ne faudrait-il pas aussi et peut-être d’abord refuser ces alternatives et commencer à voir dans le multiculturalisme ce qui met en question le sol même sur lequel nous nous mouvons ? Ce sol-là — soit-il compris comme éthique ou politique — ne semble plus nous permettre de parler de nous-mêmes. Tout au plus nous laisse-t-il parler de notre responsabilité. Et ainsi, implicitement, il nous totalise en ne nous permettant de nous comprendre que comme êtres éthiques ou politiques. Comme si dans la vie de l’homme — comme si dans son destin —, il n’y avait que ce qui le lie aux autres. On sait que ce n’est pas ainsi qu’on a toujours essayé de parler de la vie humaine. Et si les angoisses qui persistent malgré tous les efforts pour leur expliquer pourquoi elles sont non fondées, et si notre fascination elle-même pour le multiculturel, n’étaient que des signes que nous avons reconnus dans cet autre dont on nous parle tellement, « la figure dans laquelle notre question retourne à nous-mêmes » ? Je viens de vous citer le poète allemand Theodor Daubler dont on connaît l’importance dans l’œuvre de Carl Schmitt15. Comme on le sait, Schmitt en concluait qu’un tel autre est notre ennemi, en tant qu’il porte en lui « la négation de notre propre mode d’existence »16. Ce qui pour Schmitt est non seulement une définition politique mais une définition du politique lui-même. Ce n’est pas au moment de conclure mon propos que je vais ouvrir un échange avec Schmitt. Je ne l’ai cité que parce qu’il me semble qu’entre ce vers de Daubler et l’interprétation qu’en donne Schmitt, il se passe un court-circuit qui n’a pas fini de nous paralyser. En effet, pourquoi et dans quel sens « la négation de notre propre mode d’existence » suivrait-elle une confrontation avec « unsre eigne Frage als Gestalt » ? N’est-ce pas parce qu’il nous manque le domaine où pourrait être nommé ce qui en nous ne répond pas à cette question ?
16Certes, en démasquant derrière ce silence au cœur du sujet la violence d’un égoïsme qui refuse d’accepter que la dernière essence de son pour-soi est bel et bien un pour-autrui, la philosophie de Levinas se présente comme un dernier effort héroïque pour colmater cette fente d’une subjectivité qui semble être sans réponse à cette question qui est pourtant la sienne : qu’est-ce que ces attachements qui la singularisent tellement que sans eux elle risque de perdre celte autonomie dont Kymlicka nous dit qu’elle en tire toute sa dignité ? Mais comment ne pas se demander si la métaphysique vers laquelle nous pointe Levinas, ne se voit pas forcée de doubler l’apatridie constitutive de l’homme d’une immanence totale ? Désormais, tout ce qui se tait en l’homme, ne sera qu’un refus de parler : c’est-à-dire de Répondre, et ici même17. Mais peut-on sans violence n’entendre, dans le refus de ce refus dont semble témoigner notre fascination pour le multiculturel, que le balbutiement où se cherche un Dire axé entièrement sur autrui ? Si les mots nous manquent pour laisser parler cette fascination, n’est-ce pas plutôt parce qu’en regardant l’autre nous commençons à comprendre que, dans plus d’un sens, cet autre ne nous regarde pas ? Ce qui, sur ce sol qui est le nôtre — et voilà tout le problème, car sur ce sol même le silence devient éloquent — ne peut être entendu que comme le manifeste de l’irresponsabilité même. Ne nous étonnons donc pas si, dans ces circonstances, ce que Schmitt appelle « notre question » n’a pu trouver d’autre moyen pour ne pas se laisser noyer dans cette nuit d’une irresponsabilité éthico-politique, que de retourner, comme il le dit si bien, en tant que « figure ». C’est-à-dire (et c’est moi qui le dis) au prix d’une régression vers ce que Lacan appellerait l’imaginaire. Ce qui explique peut-être quelques-unes des difficultés de nos démocraties contemporaines. Autant dire que ce qui leur faut pour s’en sortir, c’est une mise en culture qui ne forcera pas à faire parler ce silence qui nous guette, mais ne le condamnera pas non plus au nom d’une éloquence éthico-politique au silence de l’imaginaire. Il nous faut donc un nouveau langage pour nous faire comprendre ce que nous savons déjà : que, dans la vie humaine où dans un sens on n’est jamais seul, retentit un silence où ne pas être seul ne veut pas dire être avec ou pour les autres. Il y a du métaphysique dans l’homme, non pas parce que l’homme n’est pas, mais s’est18, mais parce qu’être veut dire pour lui être ses attachements qui le laissent sans réponse et auxquelles pourtant il se sent attaché. Ce nouveau langage sera donc métaphysique et il définira celui que nous continuons d’appeler « l’homme », par ce qui en lui est non pas transascendant mais transdescendant : l’homme est un être qui doit tenir compte de quelque chose qui ne tient pas compte de lui.
Notes de bas de page
1 LCC : Liberalism, Community and Culture, Oxford, Clarendon Press, 1989 ; MCC : Multicullural Citizenship. A Liberal Theory of Minority Rights, Oxford, Clarendon Press, 1995 ; SNC : States, Nations and Cultures, Assen (The Netherlands), Van Gorcum, 1997.
2 Cf. l’excellente présentation par D. Chaerle et A. Van de Petite, Liberalisme en cultuur. Will Kymlicka over multicultureel burgerschap, in Tijdschrift voor Filosofie, 1997 (59 :2), pp. 215-252 et le Symposium on Multicultural Citizenship by Will Kymlicka, in Constellations. An international Journal of Critical and Dmocratic Theory, 1997 (4 :1), pp. 35-87 avec plusieurs articles critiques, et une réponse importante de Kymlicka intitulée « Do We Need a Liberal Theory of Minority Rights ? » (loc. cit., pp. 72-87).
3 Ainsi Levinas, après nous avoir parlé, dans Autrement qu’être ou au-delà de l’essence (Dordrecht, Kluwer, 1988), d’une « fraternité irrésiliable », ajoute cette note remarquable : « C’est peut-être par rapport à cette irrémissibilité que se comprend la place insolite de l’illusion, de l’ivresse, des paradis artificiels. La détente de l’ivresse, c’est le semblant de l’éloignement et de l’irresponsabilité ; suppression de la fraternité ou meurtre du frère », (p. 110, n. 21, je souligne). Suppression impossible, car « la proximité est une impossibilité de s’éloigner sans la torsion du complexe - sans “aliénation” ou sans faute (...) ».
4 En découvrant l’existence avec Husserl et Heidegger, Paris, Vrin, 1988, p. 236.
5 P.ex. J. Derrida, Donner la mort, in J.-M. Rabaté, M. Wetzel (SOUS la direction de), L’éthique du don. Jacques Derrida et la pensée du don, Paris, Métailié Transition, 1992, p. 70 : « Ce qui me lie à des singularités, à tel ou à telle plutôt qu’à telle ou tel, cela reste finalement injustifiable (c’est le sacrifice hyper-éthique d’Abraham), pas plus que n’est justifiable le sacrifice infini que je fais ainsi à chaque instant. Ces singularités sont des autres, une tout autre forme d’altérité : une ou des autres personnes, mais aussi bien des lieux, des animaux, des langues. Comment justifierez-vous jamais le sacrifice de tous les chats du monde au chat que vous nourrissez chez vous tous les jours pendant des années, alors que d’autres chats meurent de faim à chaque instant ? Et d’autres hommes ? ». Comme j’ai essayé de le montrer dans un texte à paraître (Anti-Racism’s first word. How not to inherit Derrida s legacy from Levinas), cette dramatisation de l’injustifiable non distingué de l’injuste va ensuite transformer la discussion entre Derrida et Levinas en un dialogue de sourds.
6 Violence et Métaphysique, in J. Derrida, L’écriture et la différence, Paris, 1979.
7 J’ai essayé de faire le point de mes écrits sur Levinas in The Core of my Opposition to Levinas, in Ethical Perspectives, 1997, 4(3), pp. 159-174.
8 E. Levinas, Difficile Liberté. Essais sur le judaïsme, Paris, Albin Michel (Biblio-essais), 19763, p. 22.
9 Texte de 1961 repris dans la première édition de Difficile Liberté (Paris, Albin Michel, 1963, pp. 255-259), mais omis dans les éditions ultérieures. Citation : p. 259.
10 Difficile Liberté, op. cit., 19763, p 41
11 Altérité et transcendance, si., Fata Morgana, 1995, p. 114.
12 Ce fameux problème du « tiers » est au centre du5e chapitre d’AE que j’ai analysé en détail dans le texte que je cite à la note 5. Cf. aussi R. Bernasconi, Wer ist der Dritte ? Ueberkreuzung von Ethik und Politik bei Levinas, in B. Waldenfels, I. Därmann (SOUS la direction de), Der Anspruch des Anderen. Perspektiven phänomenologischer Ethik, München, Wilhelm Fink Verlag, 1998, pp. 87-110.
13 A. Finkielkraut, Le risque du politique, in C. Chalier et M. Abensour (sous la direction de). Cahiers de l’Herne : Emmanuel Levinas, s.L, L’Heme (biblio essais), s.d., p. 566.
14 J. Derrida, Cosmopolites de tous les pays, encore un effort !, Paris, Galilée, 1997.
15 Pour une excellente discussion sur le rôle de ce vers de Daubler dans l’œuvre de C. Schmitt : Th.W.A. De Wit, De onontkoombaarheid van de politiek. De sœvereine vijand in de politieke ftlosofie van Carl Schmitt, Ubbergen, Pompers, 1992, pp. 415-424, 450-452, 468-479.
16 C. Schmitt, Der Begriff des Politischen. (Text vor 1932 mit einem Vorwort und drei Corollarien), Berlin, Duncker & Humblot, 1996, p. 27. Pour éviter tout malentendu, le lecteur n’oubliera pas que je viens de mettre en italiques « un tel autre », c’est-à-dire pas n’importe quel autre, mais l’autre dont nous parle Daubler quand il dit que « Der Feind ist unsre eigne Frage als Gestalt ». Pour cette notion de l’ennemi (publique) dans Schmitt, voir aussi le commentaire détaillé de H. Meier, Carl Schmitt, Leo Strauss und ‘Der Begriff des Politischen’. Zu einem Dialog unter Abwesenden, Stuttgart, J.B. Metzler, 1988, spéc. pp. 84-92.
17 Sur ce point, je me permets de renvoyer le lecteur à l’argument que j’ai développé dans Dis-possessed. How to remain silent after Levinas, Man and World, 1996, 29, pp. 119-146.
18 E. Levinas, De l’existence à l’existant, Paris, Vrin, 1990, p. 38.
Auteur
Chercheur qualifié au F.W.O.
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