Nature de l'homme, nature du droit
Les fondements des Droits de l'homme dans le De iure naturae et gentium (1672) de Samuel Pufendorf.
p. 53-77
Texte intégral
Introduction
SUJET ET OBJECTIF
1Notre contribution au colloque portant sur l'humanité consiste à éclairer la conception de l'humanité telle qu'elle se cache dans la notion des “droits de l'homme”. Par le terme d'”humanité” nous n'entendons pas une notion quantitative, à savoir l'ensemble des hommes, ni qualitative, à savoir la faculté de l'homme d'éprouver pour son égal de la compassion (donc l'humanité dans le sens romain de humanitas ou dans le sens augustinien du sensus humanus1) — mais une notion essentielle visant le propre de l'homme, c. à d. la distinction spécifique qui caractérise l'homme parmi les êtres de cette planète, distinction que la pensée métaphysique traditionnelle a appelée ou bien son "essence", ou bien “ce qui fait qu'un être est ce qu'il est” : το ο εστιν2.
2Par là nous défendons la thèse suivante : la notion des “droits de l'homme” est une notion issue de la métaphysique occidentale. Ayant été récupérée au dix-huitième siècle par la pensée politique libérale, elle cache son passé, et ceci d'autant plus que ce passé n'a pas encore été soumis à un examen approfondi sur le plan philosophique. Pourtant un tel examen s'avère nécessaire dans la situation actuelle laquelle se distingue par l'absence d'une fondation philosophique de ces droits en dépit du fait que ces derniers constituent l'élément-clé de notre réalité étatique et juridique.
3En effet, l'absence d'une telle fondation a été déplorée par Otfried Höffe dans un article de 19923. Quel pourrait être son caractère ? Elle devrait, comme l'a souligné le philosophe allemand, développer une nouvelle anthropologie philosophique ayant pour but d'établir le fait anthropologique universel permettant de penser l'homme comme celui qui, de par sa nature, possède des droits. Et O. Höffe a lui-même proposé plusieurs essais pour une telle anthropologie4. Pourtant, avant de proposer une nouvelle réflexion, il me semble judicieux de rappeler les “anthropologies” que la tradition philosophique avait déjà mises au monde pour que nous nous rendions compte des implications systématiques de la notion des droits de l'homme. Or, un parcours à travers l'anthropologie philosophique qui a été à l'origine des droits de l'homme, devrait, comme je tenterai de le montrer, nous rendre attentifs sinon sceptiques, face à une pensée qui pose que les droits de l'homme peuvent en fait être pensés à partir d'un fait anthropologique seul et qu'il n'est pas nécessaire d'approfondir ce fait par une ontologie aboutissant à la question du sens de l'être.
4Mon parcours historique a donc un but systématique, à savoir l'éclairage des présupposés à la fois anthropologiques et métaphysiques qui sous-tendent la notion des droits de l'homme et en particulier du droit qui est celui à la vie intégrale. Pour atteindre ce but, je chercherai à décrypter la signification de la notion des droits de l'homme au moment même où ils ont été pensés et défendus pour la première fois d'une manière rigoureuse et philosophique. Ce pas a été fait dans l'ouvrage du jurisconsulte saxon Samuel Pufendorf, paru en 1672 et portant le titre De iure naturae et gentium5. Pour notre propos l'œuvre de Pufendorf est d'un intérêt particulier. Non seulement Pufendorf a cherché à penser les droits de l'homme avec toutes ses implications ; mais encore, parmi ces implications, les présupposés anthropologiques sont au premier rang ; car il faut, comme il le dit expressément, penser les droits de l'homme à partir de l'humanité de l'homme (De iure naturae et gentium I, 1 §7 [cité dorénavant IuNG). Enfin, la réflexion de Pufendorf a servi de tremplin à des penseurs postérieurs tels que Locke ou Kant pour penser l'homme et le droit ou bien l'homme et ses droits ; de ce fait, elle a préparé l'acceptation des droits de l'homme par les milieux libéraux politiques. Voilà pour ce qui est de son importance6.
5Toutefois, cette œuvre n'est pas d'un accès facile pour le lecteur contemporain, et ce parce qu'elle clôt le débat millénaire mené par les philosophes sur l'humanité de l'homme et sur la nature du droit7. De ce fait, tout le passé philosophique des notions de “nature de l'homme” et de “droit” est présent chez Pufendorf ; de plus, Pufendorf, avant d'être un philosophe du droit, est un homme de droit, un jurisconsulte, qui ne cherche pas à rattacher à la nature humaine n'importe quel revendication, mais un véritable droit, à savoir une revendication, donc un droit auquel correspond un devoir. Par ce biais, Pufendorf réconcilie dans sa pensée trois traditions différentes dont il faut connaître l'enjeu pour bien apprécier la synthèse qu'il en fait.
6Nous ne souscrivons donc pas au fameux mot de Leibniz d'après lequel Pufendorf serait un homme "à peine jurisconsulte et point un philosophe” (vir parum jurisconsultus et minime philosophus)8 ; au contraire, une analyse approfondie montrera que ce qui est aux yeux de Leibniz une absence de rigueur se révèle être une tentative de saisir par une réflexion poussée cet être complexe qu'est l'homme.
PROCÉDÉ
7Pour exposer cette théorie complexe, nous sommes partis du fait que Pufendorf se trouve à un tournant du chemin que la pensée sur l'homme et le droit avait emprunté dès l'antiquité : en fait, la pensée de Pufendorf, contemporaine de celle de Leibniz, est toujours ancrée dans la métaphysique classique. Or, cette dernière sera démolie par l'empirisme de Hume et ensuite par le criticisme de Kant. Après Kant, on a récusé d'emblée l'ancienne métaphysique sans examiner les expériences et les connaissances qui la sous-tendent. Il faut donc insister sur l'intelligence du discours de la pensée traditionnelle qui passe, depuis Kant, pour être obsolète.
8Pour ce faire, nous allons reconstruire, dans un premier temps, le débat sur la nature de l'homme et du droit, débat qui, depuis l'antiquité païenne, avait sollicité les grands penseurs païens et chrétiens. Ce débat s'articule en trois mouvements : la pensée classique d'Hésiode à Aristote, puis la pensée hellénistique et sa réfutation par St. Augustin, enfin la pensée jusnaturaliste moderne de Grotius et de Hobbes qui renoue avec la pensée hellénistique tout en refusant l'intervention chrétienne articulée à l'époque par la scolastique espagnole (Suarez). Ma première partie comprendra donc trois sous-parties : la théorie classique, la théorie hellénistique et son rejet par Augustin, sa reprise à l'époque de Pufendorf. En analysant chacune de ces théories, nous allons montrer l'interférence existant entre les notions de “nature de l'homme” et de “nature du droit”. Nous établirons ainsi la toile de fond sur laquelle nous inscrirons l'innovation apportée à la pensée jusnaturaliste par Pufendorf. L'analyse de sa pensée formera donc la deuxième partie-partie centrale - de notre exposé. Nous y présenterons la notion de l'humanité de l'homme à partir de laquelle le jurisconsulte savant a pensé le droit naturel et ensuite les droits de l'homme.
9Dans la conclusion nous expliciterons l'ontologie de Pufendorf qui sous-tend ses notions juridiques et anthropologiques. Elle s'articule sur la théorie créationniste chrétienne. Certes, cette théorie peut être mise entre parenthèses, mais la quête du sens qui en est le moteur, ne le peut pas. Aussi soulignerons-nous l'aporie de notre ère postmétaphysique et en tirerons une conclusion qui sera d'ordre pragmatique.
I. Nature du droit, nature de l'homme avant Pufendorf
1.1. Nature de l'homme, nature du droit dans la pensée classique
10La réflexion philosophique européenne, dès son début, a cherché à saisir ce qui est le propre de l'homme. Curieusement, elle a, aussi dès son début, constaté que ce propre de l'homme ne peut être saisi que si l'homme est pris en considération comme être social. En effet, l'homme n'est pas défini par les penseurs classiques comme un être isolé, distingué des bêtes par son intelligence, il est saisi comme un être qui vit avec l'autre et son humanité s'affirme par la manière dont il se comporte.
11En témoigne Hésiode qui, au VIIe s., dans un essai d'anthropologie mythique, découvre que le propre de l'homme consiste dans un “νομοσ” : un mode de vie particulier (Hésiode, Théogonie, vv. 274-285)9. L'homme, à la différence de la bête, règle ses conflits non pas par la suppression de son adversaire, mais par la sentence de l'arbitre. Ce mode de vie est imposé à l'homme par le dieu Zeus. Le propre de l'homme est par là de vivre avec une norme lui imposant de rechercher des solutions paisibles et d'éviter la guerre. Comme Hésiode le dit dans son "mythe de races”, l'homme est l'être entre le dieu et la bête, et il s'avère être un homme divin si, par le respect de la sentence du juge, il s'accorde sur une solution paisible des conflits. La nature de droit consiste à éviter la violence : l'homme est défini par le fait de posséder ce droit, donc d'être cet animal qui peut éviter la violence et à qui cette possibilité est imposée sous la forme d'un ordre divin.
12La pensée philosophique de l'ère classique (Ve et IVe s.) a travaillé cet héritage dans deux directions : elle a tenté soit de donner un fondement à la vision d'Hésiode soit de la contester. La contestation qui est rattachée au nom d'Antiphon (Ve s.) prête une nouvelle interprétation au droit (Antiphon, fr. 44)10. Le droit n'est pas la solution équitable de l'arbitre donnant satisfaction aux deux partis pour éviter la violence, il s'identifie à la loi, décrétée par l'assemblée de la cité, loi qui s'impose à l'individu comme une restriction de sa liberté naturelle. La nature de l'homme cherche le bien-être somatique et le plaisir psychique, elle fuit les douleurs et les chagrins. La loi commune, par contre, limite cette recherche ; elle est, de ce fait, opposée à la nature humaine qui est expansive et n'accepte pas les restrictions. L'homme suivra toujours sa nature car elle s'impose à lui comme une règle inévitable, comme une nécessité physique.
13Evidemment, entre Hésiode et Antiphon, la cité grecque avec sa législation écrite a fait son apparition (Lycurgue, Solon) : le collectif impose ses ordres au citoyen particulier qui réagit par une contestation. Il fallait donc repenser le rapport du particulier avec le collectif et se demander s'ils sont de fait irréconciliables comme le prétend la théorie d'Antiphon.
14Ici intervient la pensée platonicienne (IVe s.) : elle porte au concept ce que l'on peut appeler le premier conflit des interprétations, celui, concernant la nature de l'homme et celle du droit11. De prime abord, Platon donne à ce conflit une nouvelle articulation (cf. Platon, Rép. II, 358-368) en posant la question suivante : est-ce que le bien de l'homme, à savoir sa nature parfaite et accomplie, consiste en la quête permanente d'un bien-être psychosomatique, et ce même aux dépens d'autrui, ce qui fait de lui un être “injuste” et un violateur des lois de la cité ? ou bien cette nature (φυσισ) a-t-elle, de par sa raison, la faculté de se contrôler, de restreindre ses désirs à une mesure naturelle et de trouver son bien en tant que nature mesurée et équilibrée, à savoir en tant que nature juste qui, de par son ordre intérieur, agit selon la loi commune ?
15Cette formulation même témoigne de l'élément nouveau que le penseur athénien introduit dans le débat et qui sera décisif jusqu'à Pufendorf : la nature de l'homme n'est pas simplement l'homme dans sa facticité, à savoir dans le fait d'être un animal se trouvant à la recherche du bien-être, la nature de l'homme ne se montre que lorsque l'homme atteint sa perfection, son αρετη, son état le meilleur. L'homme est perfectible et c'est seulement si cette perfectibilité atteint sa fin que l'on peut connaître ce qu'est la nature de l'homme. Face à cette perfectibilité, le droit apparaît sous deux aspects : d'une part, il structure la société qui, en protégeant l'individu, lui permet de se parfaire, de développer son intelligence. D'autre part, cette même intelligence saisira l'intelligible, elle y trouvera l'idée du juste ou du droit comme ordre parfait. L'homme parfait imitera cet ordre en ordonnant son âme. Mais conscient que la cité, organisée par le principe d'ordre qui est le droit, lui a ouvert le chemin de sa propre perfection, l'homme parfait, appelé le philosophe-roi, cherchera à servir de gardien des lois de la cité qui l'avait éduqué.
16Dans cette fameuse théorie de Platon, non seulement la nature de l'homme, mais aussi la nature du droit ont changé de caractère. La nature de l'homme est son état parfait, elle se montre dans l'homme qui suit sa raison ; par ce biais, l'homme parfait s'avère totalement ordonné ou juste. De ce fait, le propre de l'homme est sa justice (et non pas son intelligence). Le droit comme principe de cet ordre est donc un facteur de libération : il libère la raison de l'impact des désirs et émotions irrationnels et lui permet de se déployer sans entraves. A la différence d'Antiphon, Platon souligne que la nature de l'homme et la nature du droit sont totalement compatibles : le droit de la cité, se confondant avec son ordre, est la condition nécessaire pour que l'homme imparfait devienne parfait et, en tant qu'homme parfait, il confirme l'ordre de la cité par ses actions en veillant sur l'ordre en lui-même et au sein de la cité. Cet ordre n'est ni restrictif ni répressif, il est au contraire la condition nécessaire pour que chaque élément de l'âme d'une part et chaque citoyen d'autre part puissent faire ce qui leur est propre (το εαυτον πραττειν), puisse se réaliser pleinement.
17Le droit apparaît donc comme un a priori nécessaire si l'homme veut être un véritable “homme”, à savoir s'il veut réaliser son humanité, sa propre nature. L'idéalité de cette nature est soulignée par Platon à l'aide d'une formulation paradoxale : “semblable à l'homme tout en étant semblable à Dieu” (-ανδρεικελου-θεοεικελον, Rép. VI, 501 b5-7).
18Quelques mots seulement sur Aristote, puisque le Stagirite ne fait que modifier le statut du droit et de l'homme sans changer le contenu : en fait, pour lui comme pour Platon, la nature de l'homme est sa nature achevée, déployant toutes les facultés propres à l'homme et exécutant le propre travail de l'homme, un travail de l'intelligence théorique ou pratique (Aristote, Eth. à Nicom. I, 6, 1098 a7-a15). Le droit, ordre de la cité qui permet à la cité de se maintenir en tant que communauté des égaux, permet au particulier d'atteindre l'état proprement humain de l'homme, son αρετη. Ayant atteint cet état, l'homme confirme le droit de la cité, car en exerçant sa perfection, il veillera de par sa justice à ce que son prochain soit son égal, ayant droit partout à une part égale (E. à N., V, 9, 1133 b29-l 134 al3).
19La philosophie classique pose donc la compatibilité totale de la nature humaine et de la nature du droit : le droit est la condition nécessaire pour que puisse se former une communauté humaine dans laquelle chacun peut faire ce qui lui revient et accepter que l'autre fasse le “sien”, à savoir ce qui lui est propre (c'est le principe du suum cuique). On peut dire que le droit règle la réciprocité des égaux qui, en tant qu'êtres raisonnables, agissent d'une manière autonome, suivant la loi comme loi intérieure. La loi extérieure étatique est par contre répressive à tout moment, comme le souligne le vieux Platon, lorsque la nature humaine reste sous le régime de ses appétits irrationnels et n'accueille pas la voix de raison, raison qui est l'essence même de cette loi (Platon, Lois, IV, 714 al-2).
1.2. Nature de l'homme et du droit dans la pensée hellénistique et chrétienne
20A l'ère hellénistique (du IVe au Ier s. av. J.-C.), la problématique du droit prend une autre direction : la cité n'est plus le cadre naturel et immédiat où le particulier peut se former. C'est la pensée philosophique elle-même qui, avec la coopération des changement politiques, à savoir la fin de l'autonomie de la cité classique, a œuvré à extraire l'homme du contexte de l'Etat-cité et à lui faire chercher son bonheur comme élément du cosmos physique. La question du droit et de la nature humaine se pose maintenant différemment : l'éthique hellénistique pose la question du bien de l'homme non pas comme celle de sa perfection, mais comme celle de son bonheur.
21Dans le sillage de cette question, la philosophie hellénistique a défini le bonheur non pas comme un état de perfection et de plénitude, mais négativement comme un état de non-trouble intérieur, que ce soit le trouble causé par l'angoisse et l'ignorance (Epicure), par les passions (les Stoïciens) ou par la recherche vaine du savoir (les sceptiques)12. La question du droit, à savoir, la question du rapport juste au prochain, acquiert une nouvelle fonction.
22L'homme, qui n'est plus considéré d'emblée comme membre de la cité et par là comme être social, doit se rendre compte du rôle que jouent l'autre et la communauté dans l'acquisition du propre bonheur. On isole donc d'emblée l'homme pour ensuite rechercher ses liens avec la société. Ce pas fut crucial puisqu'il a créé la pensée jusnaturaliste antique et moderne dont la caractéristique consiste dans ce même pas, à savoir penser d'emblée la nature de l'homme à partir d'un homme détaché de ses liens sociaux et chercher ensuite à retrouver ces liens13. Par là, le jusnaturalisme s'est rendu coupable d'un paralogisme, à savoir de vouloir déduire d'un fait anthropologique une norme, celle de la justice ou du droit. Dans le sillage de ce procédé, les deux écoles dogmatiques que sont le Jardin et le Portique ont développé chacune une théorie du droit. Cette théorie faisait partie de l'enseignement philosophique sans pourtant en être le centre, puisque l'éthique hellénistique est dirigée vers le bonheur individuel.
23Mais la question du lien entre la “nature du droit" et la “nature de l'homme” redevient fondamentale au moment où, au milieu du Ier siècle avant J.-C., à la fin de l'ère hellénistique, la République romaine commence à agoniser. A ce moment, Cicéron, un homme politique et philosophe, recourt à la philosophie grecque pour apporter un remède à sa ville natale. A cette fin, il résume encore une fois tout le débat ayant eu lieu dans les écoles hellénistiques sur la nature de l'homme et la nature du droit. Je me réfère à la présentation de la philosophie hellénistique que Cicéron fait dans le De re publica, puisque le débat tel que Cicéron l'expose anticipe les arguments des jusnaturalistes du XVIIe s. qui le connaissaient grâce aux témoignages de Lactance et d'Augustin. Cela me permettra de renvoyer à Cicéron au moment où notre reconstruction mettra en lumière leur argumentation.
24Cicéron met en scène deux positions opposées, qui font écho du premier débat entre Platon et Antiphon14. D'une part, redessinant la position d'Epicure, il définit la nature de l'homme comme une nature non distinguée de tout animal : elle cherche surtout à se conserver et atteindre le plaisir. La raison lui sert d'instrument pour calculer les moyens menant à cette fin. Dans ce calcul, l'homme cherche à neutraliser le danger que peuvent constituer les autres hommes : il se met d'accord avec eux sous la forme d'un contrat imposant de ne pas se nuire réciproquement et de circonscrire les droits et devoirs de chacun dans l'objectif d'une paix permettant de poursuivre au mieux les propres fins égoïstes. Le droit est donc une norme seulement répressive dont la source est un contrat. Le droit est du côté du nécessaire et de l'inévitable, il est rattaché et corrélatif à une nature de l'homme qui, étant expansive, risque à tout moment d'entrer en conflit avec le prochain. De ce fait, le droit est préventif : il écartera les conflits et dommages. Il n'est nullement l'expression d'une nature sociable de l'homme, mais plutôt le correctif de sa nature insociable et source de conflits.
25L'avis opposé recourt à la théorie stoïcienne : Cicéron s'en sert pour récuser la théorie épicurienne en argumentant qu'un tel contrat conclu malgré les contractants n'a pas de chance de persister ; que la nature insociable justement défend même de conclure un contrat et que la source du contrat doit être cherchée ailleurs. Le contrat doit être basé sur un véritable consensus, une concordia, où les volontés des citoyens convergent vers les mêmes fins : le droit serait donc l'expression d'une tendance innée dans l'homme à chercher l'autre et à attribuer à l'autre ses droits et devoirs pour le bien de l'autre même. La nature du droit serait donc de garantir à l'autre son existence et son bonheur par la répartition équitable des droits et de devoirs.
26Sur quel argument une telle théorie pourrait-elle s'appuyer ? Dans les deux modèles, le terme de “nature” n'est plus le même que dans la théorie classique : la notion ne contient pas d'élément de perfection ou d'idéalisation, ni n'embrasse la raison comme faisant partie de cette nature. Ceci correspond à l'empirisme et au sensualisme des penseurs hellénistiques, cherchant leurs arguments à partir de l'observation immédiate. Dans le débat relaté par Cicéron, le terme d'autoconservation était la clé de voûte dans l'argumentation de chaque partie : pour les Epicuriens, le moi (αντο-), c'est l'homme en tant qu'être désireux et égoïste ; pour les Stoïciens, le moi (αντο-), c'est l'homme en tant qu'être cherchant instinctivement l'autre. Pour les stoïciens, ce n'est qu'à une étape postérieure, lorsque l'homme a pleinement acquis les notions universelles de sa raison, qu'il reconnaît consciemment dans les autres ses égaux, les mêmes êtres raisonnables auxquels il accordera, de par sa justice, le droit à une existence pleinement réussie. Car, en fait, comme l'être raisonnable, l'homme a la possibilité de la connaissance. Cette connaissance porte sur l'univers et ses lois et fait découvrir qu'il est régi par un être divin qui impose par sa loi, une loi naturelle, à l'homme de se comporter en tant qu'être raisonnable et, de ce fait, sociable15.
27Selon cette théorie stoïcienne, le droit est d'origine naturelle par deux biais : il est ancré dans la nature humaine sociable, cherchant l'autre par un désir irréfléchi ; il est ancré dans une loi divine, appelée loi naturelle qui, en tant que raison de l'homme, impose à l'homme de considérer l'autre comme son égal. Le faisant il s'avère être juste tout en attribuant à chacun ce que lui est propre (le sinon cuique). Par là, la nature du droit et de la justice sont du côté de la raison, sont issus de la loi qui n'est autre chose que la raison. De ce fait, la nature du droit et la nature de l'homme se recouvrent de nouveau : l'homme, ayant achevé sa nature raisonnable, trouve en elle la loi naturelle qui lui indique de “rendre à chacun ce qui lui revient selon sa valeur”. Il fera donc de son propre gré et d'une manière autonome ce que le droit étatique lui demanderait16.
28En clair, le raisonnement des philosophes hellénistiques a anticipé la pensée jusnaturaliste moderne. Pour trouver la nature pure de l'homme, on a inventé l'état de nature consistant dans l'état immédiat après la naissance (le Cradle argument)17. A ce moment, l'homme n'est pas encore influencé par sa raison ni par les raisons de la société. La nature devient ici la nature prérationnelle, première18.
29Dans ce genre de réflexion et à la différence de la théorie classique, le droit n'est plus déjà toujours à l'œuvre si l'on pense la nature de l'homme. En effet, on a d'emblée éliminé le besoin de l'homme d'une société organisée par le droit qui seule lui permettrait de devenir un homme adulte et parfait. Par là, on divise la nature de l'homme, son humanité, en deux natures, sa nature première et sa nature adventice.
30L'intervention de la position chrétienne dans ce même débat renforce la tendance à diviser l'humanité de l'homme en deux natures : cette évolution se trahit dans la dichotomie tranchante qu'Augustin établit entre la Cité de Dieu et la Cité terrestre : les deux cités ne regroupent pas seulement deux types d'hommes, mais également deux éléments profondément contradictoires dans l'homme, à savoir la chair et l'esprit.
31La révolu (ion qu'a apportée la pensée augustinienne comprend trois thèses19 :
321. La recherche du bonheur et de la vertu y conduisant n'est pas à la portée humaine, elle demande la grâce de Dieu ; l'homme et sa raison naturelle ne sont pas autonomes, mais dépendants de Dieu.2. La nature de l'homme ne se détermine pas par son rapport à l'autre, mais par son rapport à Dieu.
333. L'humanité de l'homme, sa nature, n'est pas un concept statique, éternel, il varie selon l'histoire des rapports entre Dieu et l'homme.
34Augustin introduit par là deux idées fondamentales de la pensée chrétienne : à savoir l'hétéronomie absolue de l’homme et son évolution.
35C'est à l'intérieur de cette évolution que s'expliquent la nature de l'homme et celle du droit. Quelle est-elle alors ?
36Elle commence par la création de la nature de l'homme : nature créée par Dieu, elle a été bonne, à savoir une et ordonnée. L'homme vivait sans loi, suivant sa nature seule. Mais l'homme, dans le péché originel, s'est montré corruptible. Depuis lors, la nature de l'homme est corrompue (natura corrupta), soumise à l'appel de la chair qui sépare l'homme de Dieu et l'incite à s'aimer soi-même au lieu d'aimer Dieu. Dieu a révélé le péché de par la loi qui est donc nécessaire pour dénoncer et réprimer la nature corrompue. Mais personne n'agira totalement selon la loi et même l'exemple du Christ montrant l'amour de Dieu pour l'homme à la place du châtiment ne saura délivrer l'homme de sa nature corrompue. De par cette nature, l'homme n'est pas capable d'être juste sur cette terre et dans cette vie, il le sera seulement par la grâce de Dieu lors du jugement dernier où Dieu, par un choix insaisissable pour l'homme, fera le tri entre les condamnés et les élus. Alors, l'homme sera libéré de sa nature corrompue, de sa chair et de ses appels, pour recevoir un corps spirituel qui vit en accord avec son esprit20.
37Dans ce récit d'Augustin, le terme de nature humaine terrestre ne comprend ni sa perfectibilité ni son état initial de naissance, il n'est ni un terme prescriptif ni descriptif. Il dénonce le côté pécheur de l'homme, côté appelé aussi la cité terrestre. Cette cité terrestre nécessite la loi comme répression et châtiment exercés par Dieu même, mais aussi par l'autorité mondaine. L'Etat humain, par là, cherche à créer un état de paix relative et donne lieu à une justice relative. Par contre, la justice absolue de l'homme exige que ce dernier se soumette totalement à la loi divine qui lui est présente par la loi naturelle, sa raison, mais surtout par l'amour de Dieu qui remplace l'obéissance à la loi en tant que loi nouvelle, comme le dit St. Paul dans la Lettre aux Romains.
38Or, la théorie d'Augustin de l'humanité de l'homme s'articule en des termes semblables à ceux de la pensée païenne : l'humain de l'homme est saisi par le rapport de l'homme à autrui, c'est-à-dire par sa justice et son rapport à la loi. Toutefois. Augustin dépasse tout l'horizon antique en l'ouvrant vers Dieu et la vie éternelle. Par ce biais, l'autre chez Augustin est en premier lieu Dieu et en second lieu seulement autrui, l'autre homme aimé parce que Dieu impose cet amour. Le rapport de réciprocité humaine est remplacé par un rapport triangulaire, instauré par le souci de l'individu concernant son salut et sa propre paix éternelle21. Quelle est la signification de cette innovation ?
39Ses conséquences se démarquent clairement dans la théorie du droit qu'Augustin lui-même et les penseurs chrétiens développeront. Son articulation la plus conséquente se trouve dans l'œuvre de Suarez De legibus ac Deo legislatore de 161222.
40Dieu, seule source de la création, est aussi la seule source du droit. Relevons à cet égard que le droit romain avait reconnu comme source du droit la loi humaine, la coutume et la nature ; le droit même, dans le droit pénal, est un droit répressif ou bien, dans le droit privé et politique, un droit garantissant les libertés et dessinant les obligations réciproques rattachées à une liberté réclamée. En bref, le droit antique peut être considéré comme la formalisation et la réglementation de la réciprocité interne à la communauté humaine, dite communauté politique : ainsi Cicéron établit le consensus iuris, sous-tendu par la justice des citoyens, comme critère de l'existence d'un Etat, ce qui signifie que le droit provient de l'accord et de l'autodétermination des hommes.
41En revanche, tout en remplaçant les hommes par Dieu comme seule source du droit, la pensée chrétienne efface l'idée selon laquelle le droit, méritant ce nom, peut relever d'un accord parmi les hommes ; elle pose que le droit relève de la seule autorité et souveraineté d'un Etre supérieur à l'homme. La loi de Dieu provient de sa volonté insaisissable pour l'homme, elle se montre comme commandement et ordre, suivi d'une sanction. Son caractère primaire est le caractère ordonnant et répressif, correspondant à la nature corrompue de l’homme ayant besoin de la répression et du châtiment. Depuis Augustin jusqu’à Suarez, la loi divine, commandement suprême, prime la loi naturelle, la conscience de l’homme du bien et du mal ; elle prime aussi la loi humaine qui, d’après S. Thomas, doit venir au secours des lois naturelle et divine dans les situations concrètes de la vie terrestre. Pour la chrétienté, il est impossible de concevoir un droit ayant l'autorité d'une véritable obligation (praeceptum), sans penser Dieu comme source suprême de tout droit. A cette conception correspond l'hétéronomie de l'homme, une humanité de l'homme ayant besoin de la loi divine, quelle que soit son expression, les dix commandements par exemple ou la grâce et l'amour que St. Paul avait appelé “la loi nouvelle”
1.3. Le débat sur la nature du droit de Grotius à Pufendorf
42L'évolution de la pensée du droit que je viens d'exposer a été le lieu où se sont déployés successivement tous les éléments qui entreront enjeu pour formuler les droits de l'homme. En effet, l'augustinisme, d'une part, a poussé les penseurs chrétiens jusqu'aux néoscolastiques espagnols à penser le droit uniquement à partir du Dieu législateur et à concevoir la loi comme commandement (praeceptum), ce qui pose l'homme comme un être hétéronome ; la pensée antique, d'autre part, insistant sur l'autonomie de l'homme fut redécouverte par les humanistes de la Renaissance. Reliant les deux optiques entre elles, Marsile Ficin, philosophe défendant un platonisme à la fois humaniste et chrétien, appellera l'homme le "Dieu sur terre" et cherchera à lui donner une place le rendant digne de cette appellation23.
43Mais la cause humaniste était à défendre contre la théologie dont l'omnipuissance se trahissait dans les guerres de religion où se confrontaient les princes d'Europe en faveur de l'une où l'autre articulation de la foi chrétienne. Vu sur cet arrière-plan on peut évaluer le courage sous-tendant l'entreprise de l'humaniste hollandais Hugo Grotius (1583-1645) qui, dans son ouvrage De Iure Pacis et belli24, proposait de mettre Dieu comme source du droit entre parenthèses et à repenser, à la suite de Cicéron en particulier, le droit à partir de la nature de l'homme seule25. Cette fameuse mise entre parenthèses de Dieu rapproche Grotius de son cadet de quelques années Thomas Hobbes (1588-1679), lequel s'attelle à une entreprise similaire établissant comme Grotius l'autonomie de l'homme à l'égard de la création du droit.
44Quant à ces deux penseurs, mon rappel du débat des écoles hellénistiques me permet d'être brève : en effet, leur discours - et celui de Grotius le veut expressément - fait revivre le débat ancien., En effet, Grotius soutient la position stoïcienne inférant le droit humain de la nature sociable de l'homme et Hobbes la position épicurienne rattachant le droit à égoïsme naturel humain. Pourtant, en dépit de leur opposition réciproque les deux penseurs ont en commun de s'articuler contre un même ennemi, le théologien et sa théorie du droit comme ordre (praeceptum) divin seul.
45Pour se démarquer de cette théorie refusant d'emblée l'homme comme créateur de son propre monde, les deux penseurs recourent à l'observation et à la construction rationnelle de cette dernière.26
46Grotius, de par l'observation du comportement des enfants, est conduit à souligner la nature fondamentalement sociable ; quant à l'homme adulte et raisonnable il lui attribue la recherche d'une vie ordonnée par des règles27 (Ainsi le droit, réétabli en tant qu'ordre de la communauté la reliant par des droits et des obligations, découle chez Grotius d'une double source comme c'était le cas chez les stoïciens : la nature prérationnelle et la nature rationnel de l'homme. Comme dans le modèle antique, une corrélation est établie entre la notion de droit comme condition de la communauté des hommes d'une part et la nature sociable des hommes d'autre part.
47Hobbes, par contre, isole l'élément contraire, l'égoïsme de l'homme qui cherche à se conserver, et l'utilise pour construire un état préétatique, appelé état de nature ou condition originelle, créant par là la fiction que la nature égoïste seule de l'homme peut se déployer sans restriction28 (La réduction artificielle de la nature humaine à son seul égoïsme permet de montrer que l'état de nature est insupportable pour l'homme qui vit alors dans une peur permanente. Cette dernière fait finalement intervenir la raison, appelée "loi naturelle”. Celle-ci, par un calcul des avantages et des désavantages, se rend compte qu'une restriction, par le droit répressif, de la liberté totale, trait propre de la condition originelle, rendra la vie plus souhaitable. De ce fait, l'homme sedessaisit de cette liberté initiale et crée, par un contrat de soumission, l'Etat, dont la fonction consiste à faire valoir les lois répressives garantissant la sécurité et la paix des citoyens29. La théorie de Hobbes, vue sur fond d'augustinisme, ressemble dans un premier temps à un augustinisme laïcisé, puisque la nature de l'homme est profondément tournée vers le propre intérêt. Aussi faut-il un Dieu qui, par son intervention autoritaire, mette fin à un être qui œuvre à la destruction de son prochain par le simple désir de se conserver dans les circonstances les meilleures. Le Dieu, s'assujettissant totalement l'homme, rappelle le Dieu législateur biblique. Pourtant, et là commence l'originalité de Hobbes, à ce Dieu fait défaut son corrélat biblique, l’homme pécheur. L’homme égoïste n'est pas l'homme corrompu d'Augustin. La morale ne commence qu'avec la création du Dieu-Etat qui détermine ce qui est bon et mauvais, est péché ou justice. De plus, l'élan humaniste de Hobbes se manifeste dans le fait que c'est l'homme qui crée ce Dieu, lequel est, de ce fait, un Dieu mortel.
48Ce que Hobbes ajoute au débat, c'est son rationalisme “géométrique”30 permettant la construction rigoureuse de la condition originelle. Arrivés à Pufendorf, penseur protestant, humaniste et jurisconsulte, nous allons voir que c'est là que les droits de l'homme prennent leur origine, pourtant dans un sens anti-hobbesien.
II. Pufendorf : le droit chrétien et les droits et devoirs de l'homme31
II.0. Le contexte historique
49En ce qui concerne les théories de Hobbes et de Grotius, nous les avons isolées de leur contexte historique. Pourtant, une compréhension plus adéquate exige de les inscrire dans leur temps ; c'est ainsi seulement que leur enjeu ressortira plus clairement. J'aimerais donc rappeler brièvement quelques éléments éclairant le contexte des œuvres que nous venons de présenter.
50Grotius a composé son ouvrage De Jure pacis et belli en 1625, en pleine guerres de religion. Son intention a été de créer un droit entre les Etats à l'image de ce qui existait déjà au sein des Etats particuliers. Pour ce faire, il lui importait de rappeler la sociabilité de l'homme afin de l'étendre aux rapports interétatiques et d'arguer en faveur d'un véritable "lus gentium” (le droit international). Son ouvrage a, en fait, humanisé les guerres et contribué à créer le droit international, puisqu'il soulignait la réciprocité entre les Etats et ses conséquences juridiques, bien que les Etats ne soient pas soumis à une force souveraine apte à réprimer la violation du droit par des sanctions.
51Hobbes est né en 1588, durant la guerre entre l'Espagne et l'Angleterre, et sa vie fut tributaire des bouleversements issus des guerres civiles. Il fut même obligé de passer une grande partie de sa vie en dehors de son pays natal. Sa conception d'un “état de nature” ou d'une "condition originelle” est nourrie des expériences de terreur propres à la guerre civile. La nature violente de l'homme était pour lui un fait anthropologique prouvé par sa propre expérience.
52Lorsque Samuel Pufendorf (1632-1694) composa son œuvre magistrale en 1672, la paix avait été rétablie, les princes avaient développé un modèle d'Etat autoritaire en prenant les leçons d'Hobbes et de Bodin sur la souveraineté de l'Etat à la lettre. L'Etat absolu était à son apogée, la souveraineté princière était, certes, restreinte par des limites de droit, pourtant la répartition factuelle des pouvoirs favorisait l'abus du droit. C'est pourquoi les théoriciens de la souveraineté avaient, dès le début de cette théorie chez Bodin, soumis le prince souverain à la loi naturelle et divine lui imposant le respect de ces lois et l'établissement d'un ordre juste dans l'Etat. Par là, ils espéraient lui rappeler qu'il n'était qu'un homme soumis à l'ordre de la création et à l'autorité divine. C'est cette nouvelle situation qui permet de comprendre l'extension de l'œuvre de Pufendorf qui s'ouvre par une ontologie du droit inscrivant ce dernier dans le plan de la création divine.
53Notre exposé analysera successivement la notion de la nature humaine, la loi naturelle, charnière entre la loi divine et la loi humaine, et son rapport à la nature humaine, ainsi que les droits et devoirs qui, d'après Pufendorf, sont inhérents à la nature humaine.
II.1. La nature humaine et son rapport à la loi
54Notre récit nous a permis de déployer l'éventail des notions de nature et de droit que la pensée occidentale a conçues au cours de son évolution. Récapitulons-les et inscrivons dans ce tableau la nouvelle interprétation que Pufendorf a proposée.
55La notion de nature comprenait :
- la nature achevée et parfaite de l'homme mûr. Il s'agit d'une notion essentialiste relevant du primat de la “forme”, de l'“ειδοσ”, sur la matière et posant la réalité réelle de la forme ou de l'idée. Cette notion est propre à l'idéalisme antique.
- la nature empirique se manifestant d'une part dans un “état de nature” où l'homme n'est pas encore influencé par la société (le cradle argument), ou bien dans un état de maturité où l'homme est visé comme être raisonnable. Il s'agit d'une notion basée sur l'empirisme, qui fut propre à la théorie hellénistique, et qui a son écho chez Grotius.
- La nature de l'homme après le péché originel, issue d'une histoire se passant entre Dieu et l'homme ; c'est la notion créationniste introduite par Augustin et élaborée à sa suite.
- la nature préétatique de l'homme, sa nature dans la condition originelle ; c'est une notion constructiviste, relevant du nominalisme hobbesien et de son rationalisme “géométrique” procédant par la résolution et la composition, et présupposant une nature mécanique et matérialiste.
56En même temps, les différentes notions ne reflètent pas seulement un cadre philosophique plus vaste, elles reflètent à pied égal une expérience propre :
- la découverte de l'homme philosophe et intellectuel par Platon et son établissement dans la communauté politique au IVe s. ;
- la découverte de l'homme comme partie d'un univers soit composé d'atomes soit dirigé par une providence au IVe-IIe s. av. J.-C. ;
- la découverte de l'homme comme créature de Dieu chez Augustin au IVe et Ve s. A.D. ;
- la découverte de l'homme comme bête féroce dans les situations de guerre au XVIIe s.A.D.
57Dans ces notions se sont accumulées une foule d'expériences et de conceptualisations difficilement négligeables pour un penseur revendiquant une place dans l'érudition du XVIIe s. Cette dernière cherchait à étayer ses constructions rationnelles en rappelant continûment les autorités à son appui. En effet, l'étude de la notion de nature de l'homme chez Pufendorf témoigne du souci que le jurisconsulte saxon avait de respecter la tradition et d'intégrer ses prédécesseurs dans sa propre argumentation.
58Selon Pufendorf32, l'homme est caractérisé non pas par un seul, mais par quatre traits : il est à la fois un être excellent revêtu par Dieu d'une dignité particulière relevant de son âme immortelle et de la lumière de son entendement ; il est aussi un être méchant auquel les instincts manquent pour réfréner son action destructrice ; il est encore un individu tout particulier, enclin à développer sa particularité en s'écartant de son prochain ; il est enfin faible et dépendant du secours de son prochain.
59Examinons d'abord la dette de ce catalogue à la tradition.
60Reliant la dignité de l'homme à sa méchanceté, Pufendorf, avec toute évidence, se réfère à la doctrine chrétienne, aux deux natures de l'homme, sa nature charnelle origine du péché, appelée dans la doctrine protestante la natura corrupta, et sa nature spirituelle faisant de lui l'image de Dieu. Du niveau de la révélation, Pufendorf passe à un niveau empirique : la tendance à s'individualiser prend en considération l'aspect traditionnel du caractère asocial de l'homme, par contre, la faiblesse de l'homme rappelle sa sociabilité nécessaire.
61Toutefois, la reprise des éléments traditionnels ne conduit pas à un pur éclectisme. La tradition est refondue dans une théorie originale et cohérente ; en effet, Pufendorf organise les éléments traditionnels de sorte à former deux couples de contradiction : l'homme est à la fois méchant et bon, à savoir digne, il est à la fois asocial et sociable. L'homme apparaît donc comme un être profondément contradictoire, ce qui pourrait être encore le reflet d'une théorie antique, puisque déjà Cicéron avait soutenu une telle thèse33.
62Toutefois et à la différence de toute tradition, les traits contradictoires dans l'homme ne manquent pas d'un dénominateur commun, à savoir la liberté. L'homme est, à la différence des êtres physiques ou des autres animaux, foncièrement libre, et ce sous un aspect moral, dans son choix du bon et du mauvais, ainsi que sous un aspect sociologique, dans son choix de chercher ou de repousser l'autre. On constate donc que les anciennes notions de nature servent à Pufendorf de matière pour construire une nouvelle anthropologie philosophique mettant au centre de sa réflexion la liberté humaine. Ce pas est décisif. Dans l'œuvre de Pufendorf et par son influence les théories de l'homme et de son rapport avec le droit se construisent comme théories de la liberté humaine. Telles elles se manifesteront chez Kant et encore chez Hegel.
63Or, d'après le penseur saxon, cette liberté n'est pas, comme dans le libéralisme politique, un terme univoque et positif. Selon Pufendorf et l'expérience de l'humanité qu'il prend au sérieux, la liberté est ambiguë ; elle est à la fois l'origine de ce que l'homme peut faire pour contribuer positivement à la création divine et de ce qu'il peut faire pour la contrarier. Etant donnée cette ambiguïté, la question du rapport qui régit cet être libre et le droit, est posée par Pufendorf de la manière suivante : “Est-ce qu'un tel être libre a besoin de la loi ?” Autrement dit : “Est-ce qu'une liberté sans restriction est souhaitable pour l'homme même ?”34 La réponse est complexe ; en effet, la liberté de l'homme doit être ou bien limitée ou bien établie et soulignée. Concernant la dignité de l'homme, la loi lui permet, de par son caractère de règle ordonnante, de contribuer à l'ordre de la création, la loi est l'appui par lequel l'homme peut se faire digne de la création. Concernant la méchanceté de l'homme, la loi doit la réprimer ; mais quant à la tendance au particularisme et à la diversification, la loi donne la règle et l'unité, elle est à la fois constructive et restrictive. Enfin, eue égard la faiblesse humaine, la loi est la condition nécessaire pour établir et maintenir la société dont l'homme dépend pour sa survie et la poursuite de sa perfection. Par le biais donc de penser la nature libre de l’homme comme une nature complexe, Pufendorf réussit à respecter les différentes fonctions du droit et à les rattacher toutes à la nature humaine.
II.2. La loi naturelle et les droits et devoirs de l'homme
64Ayant relié la nature de l'homme et la loi, Pufendorf se voit confronter à la thèse de Hobbes selon laquelle dans la condition originelle il n'y avait aucune loi, mais seulement une liberté sans restriction35. En effet, au moment où la loi naturelle, la raison, entre sur la scène construite par Hobbes, la condition naturelle est dépassée. Mais lorsque, d'après Pufendorf, la nature même inclut la loi naturelle, il ne peut y avoir une condition originelle telle que celle décrite par Hobbes. Une telle condition est issue de la nature humaine que Hobbes avait réduite, sans raison valable, à un seul trait de l'homme, sa méchanceté. 11 avait oublié que cet être ne vient pas au monde tout fait pour exercer sa méchanceté, mais est d'abord un enfant et dépend des soins de ses proches, ce qui pose la sociabilité originelle de l'homme, donc la loi naturelle. Donc Pufendorf reproche à Hobbes d'avoir fait une mauvaise construction. Pour éviter cette faute, il faudrait prendre l'homme dans la plénitude de sa nature libre, incluant sa raison et sa sociabilité, pour reconnaître que, déjà dans la condition originelle, une loi naturelle existe établissant non pas un état de guerre, mais un état de paix.
65Quel est, en effet, le message de cette loi naturelle ? Pour trouver son contenu, Pufendorf refuse d'emblée la voie théologique36. La loi naturelle ne peut se trouver qu'à partir de l'humanité de l'homme : en dehors de toute interprétation chrétienne, cette nature humaine est tout d'abord une nature déficiente cherchant à se conserver. Mais elle est aussi et toujours une nature rationnelle. La raison, s'identifiant à la loi naturelle, dicte à l'homme la première et seule maxime : “Sois sociable”. Dès que l'homme existe, il existe comme un être libre et raisonnable. De ce fait, avant et après la fondation de la puissance étatique réprimant la méchanceté de l'homme, celui-ci a cherché à suivre cette loi. Pourtant, dans la condition originelle, l'obéissance à cette loi n'était pas garantie de par la méchanceté de l'homme et l'absence d'une force étatique. C'est pourquoi l'état de nature bien qu'étant un état de paix n'a pu être qu'un état fragile, ce qui poussa l'homme à créer les Etats et leur droit positif, suivi d'une sanction.
66Ayant reconstruit la vision de l'homme et de la loi du jurisconsulte saxon nous sommes maintenant à même de venir au terme de notre parcours et de tenir notre promesse consistant à montrer l'origine de la théorie des droits de l'homme dans l'œuvre de Pufendorf.
67La voici ! La nature de l'homme est une nature libre et contradictoire : mais elle a été créée telle qu'elle par le Dieu souverain. Pufendorf reproche à Hobbes d'avoir négligé le fait de la création. En effet, ce fait seul permet de construire un autre genre de “condition naturelle ou originelle”, une condition qui précède même celle de Hobbes. Car la condition hobbesienne est, certes, celle avant la fondation des Etats, des sociétés politiques, mais elle place néanmoins l'homme déjà et toujours dans la société pré-politiques des hommes. Pourtant avant d'y entrer, l'homme est d'abord un être créé, sa création coïncide avec sa naissance. La condition véritablement originelle est la condition de l'homme à sa naissance (le cradle argument)37. C'est elle qui fonde ['“humanité de l'homme” (humanitas)38. Avant d'entrer en rapport avec les autres, l'homme est en rapport avec Dieu qui, pour le protéger comme sa créature revêtue d'une dignité particulière, le revêt au même moment de droits et d'obligations, en premier lieu du droit à la vie intégrale que le prochain lui doit comme une obligation.
68Dans ces droits et obligations constituant l'homme en tant que personne morale, il y a déjà la loi à l'œuvre. Selon la théorie chrétienne que Pufendorf cherche à réconcilier avec les théories de Grotius et Hobbes, c'est la loi comme commandement du souverain qui crée tout droit en tant qu'obligation. De ce fait, derrière les droits et obligations originels de l'homme, il faut penser l'autorité divine leur attribuant le caractère obligatoire, il faut aussi penser la loi naturelle, la raison humaine reconnaissant par sa lumière que Dieu est le créateur et a voulu que l'homme existe sur terre39. Par là, Pufendorf échappe au paralogisme jusnaturaliste puisqu’il soutient que le droit de l'homme est déjà et toujours issu d'une volonté qui met une norme. La norme du droit à la vie est déduite d'une autre norme, celle qui dit que l'homme doit exister sur terre. Ce raisonnement fournit la prémisse fondamentale de la théorie des droits de l'homme.
69D'où viennent donc les droits et quelle est leur nature ? Ils viennent du fait que Dieu a créé l'homme comme être digne, donc perfectible selon une dignité particulière ; du fait même de sa naissance, chaque homme peut revendiquer le droit à la vie pour atteindre cette dignité. Mais l'homme ne peut vivre, de par sa faiblesse, qu'en société. Son prochain lui doit donc son droit à la vie sous forme d'obligation. Cette obligation juridique relève du fait que l'homme, aussi libre quant à la méchanceté, peut se soustraire aux obligations qui lui reviennent, puisqu'il avait déjà profité de son droit à la vie garanti par les autres. De ce fait, le nouveau-né est à la fois revêtu de droits et d'obligations, étant entendu qu'il ne peut les remplir et s'en décharger qu'à l'âge mur.
70En bref, si l'homme doit exister sur cette terre, il doit vivre en société et la société doit limiter et définir les droits et les obligations qui, d'une part, répriment la méchanceté de l'homme, d'autre part œuvrent pour qu'il puisse devenir cet être digne que Dieu a voulu créer à son image. De ce fait, les droits de l'homme sont une implication de l'humanité de l'homme en tant qu'être digne et libre à la fois. En tant qu'être digne ou perfectible, il doit exister ; en tant qu'être libre doté d'une liberté ambivalente, il doit définir son existence dans ses rapports à autrui par des droits et obligations où prime le droit à la vie intégrale.
71Tel est le lieu de naissance des droits de l'homme à la fin du XVIIe siècle dans l'ouvrage de Pufendorf. Il ne s'agit pas d'une théorie libérale, mais d'une théorie essentialiste. Cette théorie est essentialiste car son point de départ est la perfectibilité de l'homme dans sa dignité. C'est dans sa nature parfaite que l'homme se distingue des autres créatures, est ce qu'il est : το ο εστιν. En vue de l'existence de cette essence. Dieu l'a revêtu d'une protection consistant dans les droits et les devoirs. Par ce biais, au droit à la vie de l'un correspond l'obligation des autres de protéger cette vie. Les droits de l'homme sont donc des droits réciproques portant sur le plan juridique ce qui est une implication existentielle de l'homme en tant que créature de Dieu.
III. Conclusion
72Pour compléter notre tableau en vue d'une conclusion ajoutons quelques remarques qui éclaireront les deux notions-clés dans l'œuvre de Pufendorf, à savoir la dignité et la liberté.
73L'œuvre de Pufendorf s'ouvre sur une thèse ontologique générale40. Les créatures divines se divisent en deux genres d'êtres, c.à d. les êtres physiques, issus directement de la création de Dieu, et les êtres moraux. A la différence des premiers, ces derniers - comprenant les personnes morales, les états moraux et le droit - ont une double origine : leur origine première est Dieu, la seconde l'homme ; car Dieu a créé l'homme de sorte qu'il puisse compléter la création. Le monde physique créé par Dieu est en fait totalement réglé et parfait — par cette idée Pufendorf intègre dans son œuvre la nouvelle science de la nature de Galilée qui a montré le mécanisme parfait de l'univers ; le monde humain, par contre, est à la disposition humaine. Face à son propre monde, l'homme est censé de le rendre aussi parfait que le monde physique. Cette activité se trahit par la création des êtres moraux qui revêtent les êtres physiques d'une deuxième nature. Par exemple : un homme, être physique, constitue à la fois plusieurs êtres moraux, doués de droits et d'obligations ; il peut être à la fois père de famille, juge et citoyen. Ces états moraux lui fournissent une deuxième nature qui a pour fonction d'unifier et de régulariser le monde humain selon le modèle divin du monde physique. Les droits de l'homme en font partie intégrante, soumettant l'existence humaine à des règles unifiantes. Par là, l'homme en tant que créateur des règles dans le monde humain s'avère être digne du rôle imposé par Dieu, à savoir être le collaborateur de Dieu en vue de la perfection de l'univers41.
*
74La théorie créationniste et son interprétation humaniste — l'homme comme le créateur et collaborateur de Dieu sur terre — sont donc les parrains de la théorie des droits de l'homme. Qu'est-ce que ces droits deviennent en dehors de ce contexte
75On a évoqué un fait anthropologique apriorique et universel comme principe de hase. Mais un tel fait, même en tant qu'apriorique, par exemple l'imbecillitas, la faiblesse de l'homme chez Pufendorf, confirmée par la biologie moderne parlant de l'homme comme être totalement déficient, ne peut jamais créer une norme. Les droits de l'homme posent que l'homme doit exister sur terre ; ce faisant, ils présupposent un cadre métaphysique, comprenant une ontologie et une théologie, qui répondent à la question fondamentale de savoir pourquoi l'homme doit-il exister ou ne pas exister sur terre ? Toute théorie du droit protégeant l'homme pose la valeur de l'existence de l'homme sur cette planète. Pourtant, sans la théorie créationniste, sur quoi cette position peut-elle encore s’appuyer aujourd'hui ? Est-ce que la philosophie contemporaine peut - elle encore fournir une réponse ? En effet, cette question implique la question fondamentale de la métaphysique cherchant à savoir pourquoi y a-t-il quelque chose et non pas rien ? A cette question - qui ne cessera jamais à être posée par l'ens métaphysicum qui est l'homme-, la raison humaine, d'après Kant, ne peut apporter une réponse.
76Prenons donc la limite de la connaissance humaine comme une hypothèse de travail. Nous ne savons pas pourquoi nous devrions être sur terre, mais tout homme sait qu'il veut y être. Ainsi pouvons-nous prendre l'argument des anciens comme point de départ. Nous trouvons tous en nous le désir de vivre, le désir d'autoconservation. C'est alors à la raison pratique, à la "φρονηεισ" aristotélicienne, de rechercher les voies permettant d'assouvir ce désir. C'est à la raison pratique, puisque les voies divergent selon la situation concrète de l'homme et de l'humanité. Par exemple, dans la situation actuelle caractérisée par l'explosion démographique, nous pouvons profiter de l'expérience et de la réflexion des penseurs du passé. Elles nous permettent de dire que le commerce avec l'autre, qui nous est imposé par notre déficience, se complique par la densité de l'espèce humaine sur cette planète. Mais si ce commerce est imposé et devient de plus en plus dense, l'expérience millénaire montre — et les penseurs l'ont souligné — qu'il s'établit et se gère mieux avec le droit que sans droit puisque le droit permet d'une part de canaliser ce commerce, d'autre part de le protéger, tout en protégeant par les droits de l'homme son sujet et acteur, l'homme singulier.
77Or, à l'homme singulier, le droit lui permet de vivre mieux en faveur de l'autoconservation et de la recherche d'une vie réussie. En effet, de par sa nature propre, le droit permet, en tant que droit subjectif, à chacun de se réaliser, et, en tant que droit objectif, il limite ce qui est permis dans la mesure où l'expansion de l'un, sa liberté, entrave celle de l'autre. Nous revenons évidemment à la théorie kantienne du droit, issue de la raison pratique, et laissons en suspens les implications métaphysiques qui doivent nécessairement encadrer une anthropologie digne de ce nom, à savoir une qui saurait déterminer le rôle de l'homme dans ce monde. Ce monde et ce rôle, nous ne les connaissons toujours pas !
Notes de bas de page
1 AUGUSTIN, De Civ. Dei, XIX, ch.7
2 Cette expression est l'origine de la notion de l'essence, cf. PLATON, Rép. V, 479 b8-10 ; PLOTIN, Enn. VI, 9, 1
3 “Ein transzendentaler Tausch : Zur Anthropologie der Menschenrechte”. Philosophisches Jahrbuch, 99, 1992, p. 1-28
4 "Grundzüge einer Rechtsanthropologie". In : Naturreeht, Menschenrechte und politische Gerechtigkeit. (W.GOLDSCHMIDT, L. ZECHLIN, éds), 1994, pp. 19-30
5 Cette œuvre a été oubliée jusqu'aux années 1960, années où les travaux de DENZER et KRIEGER, le colloque sur Pufendorf et la réimpression de ses œuvres à Caen en 1989 ont vu le jour. Voir dessous la note 32 (bibliographique) sur Pufendorf.
6 Sur le rayonnement des théories de Pufendorf voir les contributions au Colloque de Lund de 1986 (cf.note 32).
7 Cf. Voir le résumé fait par PUFENDORF lui-même dans IuNG, pp. 169-192 (réimpr. Caen 1989).
8 "Monita quaedam ad Pudendorfii principia”. Opera Omnia, DUTENS, éd., Genève 1789. IV, §3, p. 281.
9 Pour une interprétation plus détaillée voir A. NESCHKE, Dike. La philosophie poétique du droit dans le mythe des races d'Hésiode”, in : Le métier du mythe. Lectures d'Hésiode. (F.Blaise et al. éds), Lille, 1996, pp. 465-478.
10 H.DIELS-W.KRANZ, Die Fragmente der Vorsokratiker, vol. 2, N° 87, Berlin 1964, pp. 346-351.
11 Sur Platon, penseur du droit, voir A. NESCHKE, Platonisme politique et théorie du droit naturel Contributions à une archéologie de la culture politique européenne. vol. 1 : Le platonisme politique dans l’antiquité. Louvain-Paris 1995 (en particulier les chap.4 et 5).
12 Sur la question du bonheur dans la pensée classique et hellénistique, voir A. NESCHKE, "Gelungenes Leben. Die Glücksproblematik bei Aristoteles und der Einspruch des Pyrrhon", Studia philosophica 56, 1997, pp. 95-120.
13 On remarquera la différence entre ce procédé et celui de la pensée classique ; cette dernière a refusé de penser l'homme comme être isolé. Par là, le droit s'avère un élément implicite ou apriorique de la nature de l'homme. O. Höffe veut un même statut du droit sans pourtant accepter la nature comme nature perfectible. Alors il risque de vouloir déduire d'un fait une norme, la norme des droits de l'homme.
14 Pour une reconstruction de De re publica, voir A. NESCHKE, "Etat et justice chez Platon et Cicéron”, in : Atti del colloquio "Utopie antiche” (M.Vegetti, éd.), Pavia, en préparation.
15 Le texte mutilé de Cicéron permet cette reconstruction à partir du discours de Philus, cf. NESCHKE, art. cité dans la note 14.
16 Telle est l'idée-clé de la Politeia de Zénon, fondateur du Portique ; voir M. SCHOFIELD. The Stoic Idea of the City, Cambridge 1991, pp.57-92 La conclusion de Cicéron même est d'ordre épistémologique : la théorie stoïcienne relève tout entière de la thèse selon laquelle l'homme, de par sa participation au logos universel, atteint une connaissance inébranlable du monde et de soi. Cicéron par contre partage le scepticisme académique qui ne concède que la probabilité à la connaissance humaine. Pour lui, les deux thèses opposées concernant l'homme et le droit ont une même probabilité : l'homme, de ce fait, est probablement à la fois sociable et asocial, il est de nature mixte, et de ce fait, le droit est d'une part la norme restreignant ses appétits égoïstes étant complémentaire à la nature humaine expansive, et d'autre part, la règle impérative qui structure l'altruisme spontané et réfléchi du particulier dans le cadre de la communauté des hommes.
17 Sur le “Cradle Argument” J. BRUNSCHWIG, "The Cradle Argument in Epicureanisme and Stoicism”, in : The Norms of Nature, (M. SCHOFIELD, G. STRIKER, éds.), Cambridge 1986, pp. 113-144
18 EPICURE, Lettre à Ménécée, §§ 128-129
19 Sur Augustin voir l'étude fondamentale de K. FLASCH, Augustin. Einführung in sein Denken. Stuttgart 1994, en particulier pp. 229 ss. Sur la pensée politique et de droit d'Augustin cf.M REVELLI, Cicerone, San Agostino, San Tommaso. I classici della politica. Torino 1989, pp. 77-139
20 Le livre XIX de la Civitas Dei fournit un résumé succinct de ces thèses de St.Augustin.
21 Cf. Civ. Dei XIX, ch. 13.1
22 Sur F.Suarez voir M.BASTIT, La naissance de la loi moderne. De S. Thomas à Suarez. Paris, 1990, pp.307-395.
23 Un proche de Ficin (1433-1499) qui est G.Pico della Mirandola (1463-1494), exprimait la nouvelle pensée humaniste dans son traite De hominis dignitate. Sur Ficin même voir P.KRISTELLER, Die Philosophie de Marsilio Ficino, Frankfurt 1972, pp. 187 ss.
24 Paru en 1625 à Paris cet ouvrage a vu de multiples réimpressions et traductions. La traduction française a été établie par J. BABEYRAC en 1724, publiée à Amsterdam et rééditée en 1984 à Caen : H.GROTIUS, Le droit de la guerre et de la paix. 2 vol. trad. par Jean BABEYRAC, Amsterdam 1724, réimpr. Caen 1984
25 Cf. les §§ 1-11 de la Préface générale (p. 10 Bab.).
26 Le Léviathan de 1651 fournit la formulation la plus mûre de la pensée politique de Hobbes. Sur l'évolution de cette dernière et son contexte vivant voir F. TRICAUD, "Thomas HOBBES”. In : Ueberweg, Grundriss der Geschichte de Philosophie. Die Philosophie des 17. Jahrhunderts, VI.3.1 (éd. J.P.SCHOBINGER), Bâle 1988, pp. 145-160 (avec riche bibliographie).
27 Cf. loc. cit.
28 Cf. Thomas HOBBES, Léviathan. Introduction, traduction et notes par François TRICAUD. Paris 1983, pp. 121 ss.
29 Op. cit. pp. 128-206.
30 A ce sujet voir l'œuvre fondamental de W.RÖD, Geometrischer Geist und Naturrecht. Methodengeschichtliche Untersuchung zur Slaatsphilosophie des 17. Jahrhunderts. München 1970.
31 Notre étude sur Pufendorf s'appuie sur les ouvrages suivants :
1. Textes :
PUFENDORF S., Le droit de la nature et des gens, traduit par J. Barbeyrac, 2 tonies (Bâle 1732), réimpr. Caen : Centre de philosophie politique et juridique - Université de Caen 1987 <De iure naturae et gentium, Lund 1672, Frankfurt 2. éd. 1684>.
PUFENDORF S., Les devoirs de l'homme et du citoyen tels qu'ils sont prescrit par la loi naturelle, traduit du latin du Baron de Pufendorf par J. Barbeyrac, 2 tomes (Londres 1741), réimpr. Caen : Centre de philosophie politique et juridique - Université de Caen 1989 <De officio hominis et civis, Lund 1673>.
PUFENDORF S., <Eris scandica qua adversos libros de iure naturae et gentium obiecta diluuntur>, Frankfurt 1686.
2. Colloque :
MODÉER K.A. (ed.), Samuel von Pufendorf, 1632-1982 : ett rattshistoriskt symposium i Lund 15-16 januari 1982 (Skrifter utgivna av Institutet för rättshistorisk Forskning. Serien 2, Rättshistoriska studier 12), Stockholm 1986.
Ce recueil comprend notamment les études suivantes :
THIEME H., « Pufendorf und unsere Zeit », 1-16.
DENZER H., « Samuel Pufendorfs Naturrecht im Wissenschaftssystem seiner Zeit », 17-30.
HAMMERSTEIN N., « Zum Fortwirken von Pufendorfs Naturrechts-Lehre an den Universitäten des Hlg. Röm. Reiches Deutsche Nationen wahrend des 18. Jahrhunderts », 31-51.
DUFOUR A., « Pufendorfs Ausstrahlung im franzôsischen und im anglo-amerikanischen Kulturraum », 96-119.
LACHERMAYER F., « Zum aktuellen Stellenwert der Lehre von den "entia moralia" », 142-148.
3. Etudes :
DENZER H., « Samuel Pufendorf », in : Klassiker des politischen Denkens, II, ed. H. Maier, München 1968, 27-52.
DENZER H„ Moralphilosophie und Naturrecht bei S. Pufendorf (Münchn. Stud. z. Politik 22), München 1972.
DUFOUR A., « Jusnaturalisme et conscience historique. La pensée politique de PufenPufendorf», Cahiers de philosophie politique et juridique 11 : Des théories du droit naturel (Caen 1987), 103-125.
DUFOUR A., « La souveraineté dans l'école allemande du droit naturel moderne », in : A. DE MURALT et al. Souveraineté et pouvoir (Cahiers de la Revue de théologie et de philosophie 2), Lausanne/Genève 1978, 85-111.
ILTING K.H., « Die Hobbes-Rezeption bei Pufendorf », in : Naturrecht und Sittlichkeit, Stuttgart 1983, 83-88.
KRIEGER L., The Politics of Discretion. Pufendorf and the Acceptance of Natural Laws, Chicago 1965.
LAURENT P., Pufendorf et la loi naturelle, Paris 1982.
ROD W., « E. Weigels Lehre von den entia moralia », Archiv fur Geschichte der Philosophie 51 (1969), 58-84.
ROD W., Geometrischer Geist und Naturrecht : methodengeschichtliche Untersuchungen zur Staatsphilosophie im 17. und 18. Jahrhundert. München 1970.
SPITZ J.F., « La théorie du double contrat chez Grotius et Pufendorf », Cahiers de philosophie politique et juridique 11 (1988), p. 77-99.
WELZEL H., Die Naturrechtslehre Samuel Pufendorfs, Bolen 1958.
32 IuNG I. II, chap. 1, §§ 1-8.
33 Voir mon travail sur Cicéron, cité note 14.
34 Op. cit. II, ch. 1, §1.
35 Op.cit. II, chap. 2.
36 Op.cit. II, chap. 3.
37 Cet argument a permis aux pères de la première déclaration des Droits de l'homme dans la Bill of Rights of Virginia de défendre les droits de l'homme comme droits naturels. Cf. A. NESCHKE, “Politischer Platonismus und die Theorie des Naturrechts. Essai zur Archaologie der Menschenrechte.” In : Polis und Kosmos. E.Rudolph éd., Darmstadt 1996, p. 55-73.
38 "Au premier égard, faute d'expression plus commode, nous l'appellerons “humanité” (humanitas) ; c'est à dire la condition où l'homme se trouve naturellement, en tant que le créateur l'a fait le plus excellent des tous les Animaux”. (Op. cit. I, ch. 1, §7.
39 Op.cit. II, chap. 3, §§19-20.
40 Op.cit. I, chap. 1, §§ 1ss.
41 Cette idée-cadre de toute la théorie de droit de Pufendorf trahit clairement son héritage platonicien transmis au penseurs modernes par Ficin. J'expliciterai cet héritage dans le deuxième volume de mon Platonisme politique et théorie du droit naturel. Contributions à une archéologie de ta culture politique européenne. Les temps modernes” (en préparation) où je traiterai de Pufendorf sous cet aspect.
Auteur
Philosophe (Université de Lausanne)
Professeur à l’Université de Lausanne
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