L'intuition éthique et le monde de la vie1
p. 165-175
Dédicace
A Hélène Ackermans,
pour son amitié discrète et sa fidélité à la mémoire de Monseigneur Henri Van Camp dont elle a prolongé l'œuvre et le souci de l'engagement philosophique.
Texte intégral
1La philosophie est appelée à jouer le rôle dont elle est investie depuis les origines, celui de rechercher la vérité et de faire « aimer » la Sagesse. Devant les ruptures qui traversent la cité aussi bien que la communauté interculturelle, il semble important aujourd'hui de reprendre le problème éthique et le message communicationnel dont la philosophie a la charge. L'analyse doit ressaisir le sol commun qui fonde la pertinence et la valeur de l'intuition éthique, le lieu de jaillissement du sens qu'elle fait vivre et qui est aussi la source de toute genèse de signification. Nous touchons par là, d'une part, au déploiement du champ de la rationalité et, d'autre part, à la question du langage dans sa structure intrinsèque. L'analyse phénoménologique de ces deux dimensions, raison éthique et langage rationnel, va dévoiler le sol affectif qui les sous-tend. Elle cherche à comprendre : 1°) le soubassement affectif de toute intuition éthique ; 2°) la structure originaire affective du sens en tout discours rationnel, quoi qu'il en soit de son degré d'abstraction.
2Les problèmes d'application éthique se multiplient aujourd'hui, tant au plan de la communication qu'au plan de l'interprétation concernant les valeurs. La philosophie se doit d'analyser de façon spécifique ces ruptures vécues qui surgissent actuellement à grande échelle, — même si elles ont toujours existé —, notamment provoquées par l’hiatus entre l'intuition éthique perçue dans la vie quotidienne et le formalisme juridique de la Cité de droit.
3Par ailleurs, on découvre aussi une distorsion dans l'interprétation des valeurs éthiques d'après les différentes sensibilités culturelles. Prenons l'exemple de la « Déclaration des Droits de l'homme ». A l’échelle universelle, celle-ci se heurte non seulement à une difficulté d'application, provoquée par la divergence des interprétations formelles, mais aussi à la mécompréhension de fait, lorsqu'elle rencontre des traditions culturelles qui, par exemple, n'entrent pas dans la perspective de l'individualité personnelle, étant dominées par la vie participative clanique ou familiale. Faut-il pour autant abandonner la modernité du discours rationnel, ou ne faut-il pas plutôt découvrir le lieu du sens où se constitue une rationalité vivante capable de rejoindre toute autre visée de sens, symbolique ou intuitive ?
4L’éthique est essentiellement l'expression d'une exigence visant l'action humaine « en tant qu'humaine » en vue de la réalisation du « Royaume des fins », elle doit pouvoir assurer la compréhension des valeurs de liberté et de solidarité humaine, quoi qu'il en soit de la pluralité de ses approches culturelles. Le philosophe, dit Husserl, n'est-il pas « le fonctionnaire de l'humanité » ? Certes, une philosophie de « l’agir communicationnel » tente d'instaurer la position réfléchie des libertés de chacun, mais le désir « sincère » de réaliser dans le consensus langagier la vérité du discours éthique ne peut empêcher l'apparition d'une certaine distorsion par rapport au réel, qui grève de l'intérieur tout système formaliste, même s'il tente par ailleurs de rejoindre, sur le plan de la subjectivité vécue, mais en la réifiant, la réalité du monde vécu. De la même manière, l'application formelle du code dans la vie de la Cité risque aussi de méconnaître la réalité concrète des individus dans leur approche plus englobante de l'éthique communautaire. Ne faut-il pas toujours affirmer que les lois éthiques sont d'abord faites pour les hommes et non les hommes pour la règle de Droit ? L'institution, qui a d'abord pour tâche de préserver la vie des citoyens, s'en écarte tant qu'elle impose magistralement la pureté formelle du principe, en y abandonnant la dimension vécue du sens, — fût-il celui du bon sens de l'intuition éthique.
5La Critique philosophique doit pouvoir mettre en pratique, par le « dit » du discours, le « sens » éthique de la communauté humaine, sa vocation à être, en évitant de s'enliser elle aussi dans le piège systémique des règles liées à la démarche discursive, au risque de restreindre la vie de vérité sous une structure langagière abstraite. La phénoménologie fait référence au prédonné qui fait éclater l'évidence abstraite et universalisable du concept. Plus fondamentalement, Husserl soumet la réduction transcendantale égologique à la relecture de l'expérience vécue, y saisissant le sol originaire, le « Monde de la Vie » (Lebenswelt). Ce fondement ontologique, en tant qu'horizon transcendantal de l'intersubjectivité, constitue l'ouverture de sens pour toute subjectivité. Dans Recherche phénoménologique pour la constitution déjà, Husserl analysait la constitution de la raison théorique comme position d'objectivité scientifique rationnelle, en faisant finalement appel à la raison pratique, en tant qu'elle s'y implique dans le désir de vérité et en justifie la visée. Dans cette même ligne, Merleau-Ponty induit le sens actif de la rencontre avec autrui à partir de la structure affective, constituée par la temporalisation subjective, cette « synthèse passive » en prise sur la vie originaire.
6L'analyse de ce sol originaire dans sa dimension pathique est importante dans notre contexte. Elle permet de détecter à la racine les divergences d'opinions qui empêchent le consensus éthique de se réaliser. Cette dimension affective du sens ne se réduit pas à l’expression d'un sentiment subjectif ou d'une émotivité relevant de la vie vécue, de caractère « irrationnel ». Il s'agit, au contraire, de mesurer l'impact d'une structure affective qui, en tant que « forme » affective originaire, a valeur universelle, même si elle s'incarne de façon singulière dans l'histoire vécue de chaque individu ou de chaque groupe. Or, cette structure ne se donne pas à voir immédiatement comme essence objective liée à la représentation judicative, n'étant pas comme telle thématisable, ni subsumable sous la raison pratique. Comment cerner ce « sens » originaire, logos pathique, inscrit implicitement dans l'intuition éthique ?
7L'autre question rejoint d'une certaine manière la précédente, elle engage la mise en perspective de la rationalité langagière comme telle. Elle s'inspire d'un état de fait, provoqué par l'interrelation culturelle, la difficulté à promouvoir un langage commun tant sur le plan éthique que socio-politique. Il y a plus d’une vision du monde, plus d'une approche de la réalité qui ne relève pas de la raison moderne ni de son engagement éthique, propre à la tradition occidentale. Il y a rupture d'unité au niveau de la compréhension même du « sens ». La position de vérité ne relève donc pas d'une seule épistèmè.
8Sans doute pour la philosophie, depuis la Grèce, le processus spéculatif de la theoria, plus tard investie d’une signification téléologique, avant d'être radicalisée à partir de l'autonomie du cogito-sujet, s'était exprimé sur le mode de la représentation, en prenant appui sur le concept d'évidence. Sans doute, la représentation a-t-elle permis la constitution de l'objectivité scientifique, technique et technologique, que le préjugé positiviste a élevé au statut d'unique savoir universel, — quoi qu'il en soit des autres manifestations de sens, comme l'art ou la religion. Or, le progrès de la science et des technologies, mais aussi le dépassement de la métaphysique avec le décentrement de la position du sujet transcendantal, l'éclatement du sens de l'histoire, l'emballement planétaire des forces socio-économiques, provoquent un revirement critique de la modernité, que la subjectivité se prenne dans l'expérience de la finitude, qu'elle s'efface au profit du déterminisme structural du langage, qu'elle s'abandonne au mythe de la scientificité ou, à l’inverse, qu'elle se renonce à elle-même en se fondant dans la révolte de l'an-archie.
9Face à toutes ces ruptures du « sens », la phénoménologie de Merleau-Ponty, en continuité avec la notion de Lebenswelt, propose une nouvelle ontologie, celle de la « chair du Monde ». On ne peut pas non plus en thématiser le concept. Il faut la saisir à même l'expérience vécue de la corporéité, la saisir existentiellement dans le rapport d'altérité ou d'entredeux qui constitue l'ouverture du sens en toute rencontre perceptive, et plus spécifiquement dans le « sentir ». Il faut en analyser la dimension signifiante à plusieurs niveaux de sens. Au niveau le plus originaire, le sens est l'éprouvé du sentir, qui donne sa qualité au sentir (au sens générique propre à tous les sensibles), dans l'écart constitutif du « sentir-ressentir ». C'est le champ affectif du sens pathique. Mais le sens se prend dans la poussée orientée du sentir, dans la dynamique du rapport de sens qui, continuellement, se surmonte dans l’ouverture au monde et aux autres pour s'articuler dans le jeu des expressions signifiantes : le langage se fait sens comme rapport relationnel, d'abord vécu en tant que tel comme geste, avant de s'objectiver en signifiants langagiers. Le langage discursif peut alors fonder l'objectivation du sens, la raison théorique est constituée.
10Mais quel en est le support ? L'ouverture suscitée par la rencontre provoque le mouvement auto-constituant permettant la subjectivation de chacun : cette ouverture effective ou rapport de sens engendre la corporéité, elle constitue l'articulation des pôles signifiants en leur devenir corporel identitaire, constitutivement réciproque. Et de la même manière, l'altérité originaire du sens, comme sol intersubjectif, comme « rapport différentiel », conditionne l'ancrage de chaque culture dans son champ affectif propre. La « chair du monde » est cette structure ontologique d'ouverture marquant l'hiatus du sens, le jeu relationnel qui fait le rapport dynamique du sens.
11Au plan anthropologique, le sens s'éprouve d'abord dans la corporéité vécue, comme « sens » affectif. C'est dire que le sentir comme première source de sens est d'abord l'éprouvé d'une tension qui s'incarne à la croisée de la spatialité et de la temporalité vécues. La corporéité manifeste l'être-au-monde, c'est-à-dire l'ouverture constitutive de tout « sentir » auprès des autres et des choses sur fond d'horizon mondain. C'est la dimension de spatialité. Or, l'éprouvé du « sentir », comme « sens » pathique qui réalise la vie originaire du corps propre, en conditionne aussi l'advenir comme subjectivité. Celle-ci se réalise en tant qu’acte se temporalisant en toute rencontre qui l'ouvre à la spatialité du monde. Car la temporalisation de l'éprouvé affectif qui est issu de la distension des pôles temporels ne peut se réfléchir comme pâtir qu'à partir de la rencontre, spatialisante, qui en présentifie l'événement. En se surmontant dans la temporalisation d'elle-même dans l'approche spatialisante du monde, comme être-au-monde, la corporéité vivante s'approprie son propre destin existentiel et même historial.
12L'expérience pathique de la corporéité se fait donc à la croisée de cette jonction de temporalité et de spatialité, provoquant originellement la structure affective d'angoisse et de désir d'être. Or, s'il y a une genèse affective, c'est toujours à partir du fait de la rencontre d'autrui, — rencontre à la fois sensée comme ouverture de la spatialité, et signifiante comme présentification d’une parole effective. La rencontre induit la corporéité d'une visée de sens affective qui enclenche l'ouverture d'une réversibilité signifiante et vivante. L'autre se prend dans l'éveil affectif du sujet en le faisant advenir dans le « sens » d'une subjectivité en propre. En vivant affectivement la parole de l'autre, l'infans découvre la structure instauratrice de réversibilité dans sa propre corporéité. Signifiant parental (maternel) et enfant se co-naissent dans l'ouverture signifiante qui les accordent au « sens » du Monde (Lebenswelt). C'est de ce tissu affectif que naissent, dès l'origine de l'existence, angoisse et désir d'être, tensions inversement proportionnelles qui se recoupent et qui font sens dans la trame historique de chacun. Elles assument existentiellement la trace signifiante de l'altérité primordiale en lui ouvrant le champ de la vie. Le « sentir » relationnel partagé initialement comme première approche intersubjective va s'articuler dans sa visée réversible, instaurant le sens identificatoire du sujet en l'amenant jusqu'à la reconnaissance réciproque. Le logos pathique constitue l'unité de cette percée de sens qui, en tant que désir d'être, annonce la dynamique existentielle intrinsèque à toute manifestation signifiante.
13Par le jeu de réversibilité toujours surmontée qui articule les unes aux autres les différentes visées de sens, issues de l'articulation croisée spatio-temporalisante de la genèse affective du sens, la corporéité va se prendre à tous les niveaux de sens, qu'ils soient d'ordre affectif-sensible, imaginaire ou symbolique, actif ou théorique. Mais tous ces niveaux s'appuient sur le « non-dit » sensé du ressentir affectif. Cette expérience antéprédicative ne nie pas pour autant l'ordre de la pensée théorique. Au contraire, mais chez Merleau-Ponty, à la différence de Husserl, elle s'incorpore à la manière du geste qui aide à articuler la signification opérante en vue de la communication.
14C'est ainsi que le sentir affectif induit également l'action éthique en lui faisant saisir l'intuition pure originaire, celle de l'intersubjectivité vivante, qui la guide. Comme si le logos pathique fécondait la qualité vécue de l'acte éthique, ajustant la raison pratique à l'harmonie transcendantale de l'interrelation originaire du « sens », qui est pour Husserl « Monde de la vie » et pour Merleau-Ponty l'ouverture incarnée spatio-temporelle du sentir, « chair du Monde ».
15On peut retrouver la même analyse du côté de l'interrelation culturelle. La différenciation des cultures émerge de la « profondeur » du monde constituée par leurs dimensions historiales et spatialisantes. Cette profondeur horizontale sur laquelle se prend chaque culture peut aussi l'ouvrir au connaître affectif interculturel.
16Comment, dès lors, rejoindre l'argumentation éthique ? On sait déjà que le discours de la modernité, en particulier dans l'agir communicationnel, tente d'en assurer l'objectivité à partir du consensus, lequel reflète le langage individué de chacun, à même son monde vécu. Le consensus ne manifeste que la positivité de l'objectivité langagière en radicalisant le discours dans son objectivité formelle. Ce discours positif ne peut par principe reconquérir le monde vécu (au sens de l'agir communicationnel).
17Tout autre est la compréhension phénoménologique du monde vécu, soumise à la réduction phénoménologique et médiatisée par la corporéité. Cette conception phénoménologique du vécu permet de comprendre l'affectation de l'existence jusqu'en ses propositions théoriques, dans la mesure même où elle élargit la portée de la raison. En remontant aux sources de sa genèse, en y redécouvrant l'originaire pathique, la pensée phénoménologique renoue avec une raison élargie qui transit aussi bien l'action que toute représentation.
18Il convient, dès lors, de prendre en compte la différenciation affective qui inaugure la montée du sens en toute existence comme en toute culture. Sans renoncer à l'épistèmè traditionnelle, la raison retrouve sa source de créativité signifiante, dans la manière même où elle accepte de se mettre en question en reprenant « vie » à partir de son soubassement intuitif, lié à l'affectivité originaire. Telle visée éthique rejoint d'autres possibilités d'ouverture signifiantes comme la pensée symbolique, ou l'intuition esthétique. Mettre au jour l'émergence plurielle du logos dans l'opérativité même de son expression, toujours relationnelle, différenciante et vivante, c'est ouvrir le sens se faisant, dans la reprise toujours surmontée qui appelle le sens du sens.
19Le sol (Lebenswelt) est le vécu originaire comme lieu transcendantal d'une dimension charnelle affective, liée aux puissances du désir et de la vie, bien avant d'être rapporté au sens de la communication relationnelle soumis au système réflexif de l’effectivité langagière. Quoi qu'il en soit de sa thématisation, il maintient sa présence implicite vécue jusqu'en ses représentations conceptuelles les plus formelles. L’ordre du langage, certes, est bien celui de l'organisation conceptuelle propositionnelle, mise en pratique en toute communication. Il ne peut par lui-même, malgré l'effort argumenté de ses procédures, s'autoriser à promouvoir l'évidence de son objectivité.
20L'incompréhension communicationnelle, en dépit des justifications éthiques les plus nuancées, tient au fait que la raison théorique dans son unilatéralité formelle tombe dans le cercle de son auto-constitution formelle, elle ne se reconnaît plus arrimée au non-dit antéprédicatif du prédonné qui pourtant lui donne sa sève prélevée sur le sentir originaire, affectif. Si la raison théorique reste souvent impuissante face à la volonté de chacun, bien davantage l'est-elle face aux couches non explicitées du vécu originaire, liées à l'histoire personnelle ou collective. Même non thématiquement récupérable, ce tissu non-dit reste prégnant de sens en toute expression effective comme « raison parlante » du comportement.
21L'anthropologie philosophique s’arrimant à une ontologie phénoménologique peut étudier le sens de l'affectivité comme apport à la fois essentiel et pratique pour la philosophie de l'action comme pour tout effort de consensus. Il ne s'agit nullement ici de psychologie, il s'agit d’une phénoménologie du « sens », prenant appui sur l'analyse du corps propre, dans sa connotation à la fois sensible, orientée et significative.
22En faisant l'analyse du « logos pathique », la phénoménologie apporte le secours précieux de sa méthode : partant de la perception comme manifestation première, elle permet de reconnaître comment la subjectivité s'approprie son propre advenir existentiel, non plus comme cogito pur, mais sur le mode d'être-au-monde dans l'interrelation primordiale. L’analyse de la corporéité ne repose pas sur la subjectivité comme positionnelle d'elle-même, mais comme progressive appropriation d'elle-même dans le devenir relationnel avec autrui, et comme relationnellement portée dans l'habitat du monde. La rencontre de l'autre manifeste la mouvance du désir ouvrant à l'appel du sens. L'appel du sentir se prend concrètement dès l’archè de l’existence, en sa modulation affective, soutenu par son telos, qui est sa vocation d'être dans la reconnaissance du don de l'être.
23Ici se précise aussi la compréhension englobante de l'action éthique. L'éthique ne peut être radicalement assumée qu'à la condition de reconnaître l'impact de la relationalité affective, non pas comme mode psychologique de la simple subjectivité privée, comme sentiment ou émotion affective, mais comme puissance structurante événementielle qui incarne le « sens » ontologique originaire. C’est tout entière que l'existence apprend à se connaître dans la rencontre, appelée à vivre le sens, dans l'expérience active d'une progressive assomption d'elle-même comme liberté, en relation réciproque avec les autres sujets. C'est en adhérant « rationnellement » à la qualité originaire du « sens » affectif dans l'intuition éthique que la philosophie peut aujourd'hui revivifier le sens de la Sagesse, qui n’est pas seulement un sens commun mais l'expression généreuse du don de l'être.
24La conviction éthique ne peut se prendre sur la réalité existentielle qu'en acceptant de reconnaître le travail d'un « sens » pathique implicite à tout jugement, aussi formel soit-il. Car la validité de l'intuition éthique reflète l'ordre transcendantal originaire, pathique, porté par l'interrelation subjective. L'éthique trouve son ancrage dans cette éducation conditionnante affective. Elle-même ne peut pas en perdre le tracé : en reproduisant le mouvement de vie qui l'inspire, elle intuitionne en toute rencontre l'élan de ce logos affectif. D'autre part, c'est ce logos qui montre à l'éthique l’indice téléologique de son unité, là où la gratuité de l'amour est l'au-delà de l'éthique.
25Après avoir montré que l'affectivité est à la source de l'inspiration éthique, et d'autre part, que l'affectivité sous-tend tout langage à tous les niveaux de sens, il reste à souligner que ces considérations sont pertinentes par rapport au débat public ou culturel. D'une part, le consensus communicationnel trouve sa condition de possibilité fondamentale dans l'intersubjectivité originaire, d'autre part, l’échange des arguments ne peut conduire à un résultat qu’à la condition qu'il y ait un minimum de recouvrement entre les motivations profondes des protagonistes, motivations qui appartiennent en leur racine à la dimension du sentir pathique. En saisissant la réversibilité du sens visant la communication et en montrant le rôle de l'affectivité, on reprend l'idée de Merleau-Ponty qui fait appel à la raison élargie.
Notes de fin
1 Ce texte a été développé plus largement dans Création et événement. Autour de Jean Ladrière, Louvain-la-Neuve, Ed. Institut supérieur de philosophie, Ed. Peeters, 1996, p. 109-221.
Auteur
Philosophe, Université catholique de Louvain
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