Du syndicat négocié à la négociation syndicale en entreprise
p. 677-693
Texte intégral
1Le droit du travail est droit négocié par excellence. Non seulement les conditions du travail y sont en partie régies par des conventions et des accords — et en ce cas le caractère « négocié » est une évidence1 —, mais également l'élaboration du droit du travail — même sous la forme législative — donne lieu à des affrontements entre goupes sociaux porteurs d'intérêts opposés.
2Si toute élaboration législative conduit à de telles oppositions2, dans le droit du travail est tout particulièrement inscrit ce que Weber a nommé une rationalité matérielle3, directement en prise sur le social.
3Nous voudrions réfléchir, dans le cadre des relations professionnelles, à ces deux processus (élaboration législative et accord négocié en entreprise lors d'une fin de conflit), que tout sépare en apparence : leur lieu d'élaboration, leur statut au regard du droit, leur mode de mise en oeuvre ; montrer que des mécanismes voisins y sont pourtant à l'oeuvre. Un objet prétexte servira de fil conducteur à la démarche : le syndicat professionnel français. Il s'agit d'une forme d'organisation aux potentialités négociatrices, incarnées au sein de la législation du travail contemporaine, qui trouve son origine dans une loi du 21 mars 18844, texte où s'amorce le passage de rapports purement individuels sur les lieux de travail entre ouvriers et patrons, à des relations collectives, aspect central dans la négociation en entreprise5. Dans les débats préparatoires à la loi de 1884, la forme du syndicat professionnel est esquissée, puis fixée pour un temps après des oppositions souvent violentes où s'expriment des intérêts divergents6. L'élaboration de la législation du travail en est à son commencement, et vue sous l'angle de la loi de 1884, constitue un enjeu considérable. Elle intervient à un moment où, après avoir été problématique et menaçante pour l'ordre social, la structuration des activités ouvrières a été progressivement admise à l'intérieur de la société civile, susceptible de relever d'une forme juridique permettant la cristallisation de ces activités7.
4Au terme des débats de 1884, le syndicat acquiert en effet le statut d'acteur dans le champ des relations professionnelles, un acteur que l'on retrouve cent ans plus tard constamment présent dans les conflits collectifs d'entreprise contemporains, protagoniste essentiel à l'intérieur d'un processus de négociation — recours à la justice.
Mise en contexte de la loi de 1884
5La négociation du droit syndical, dans les années 1880, entre parlementaires français n'est que la partie visible du long itinéraire souterrain emprunté par les formes organisationnelles professionnelles au XIXe siècle. La loi Le Chapelier interdit l'agrégation d'intérêts professionnels en 1791. A partir de là, les ouvriers multiplient les tentatives de créer des groupements, sinon occultes, du moins soumis à des autorisations : compagnonnages, sociétés de secours mutuels, sociétés de résistance, coopératives et chambres syndicales.
6Deux lois simultanément, sous le Second Empire, libéralisent le droit de se coaliser et tentent de faire des ouvriers des commerçants8. Avec la loi du 25 mai 1864, la simple cessation concertée du travail n'est plus sanctionnée désormais. Par exemple, une grève organisée sans violence, sans désordre, ne donnera plus lieu au prononcé d'une peine. La loi continue cependant à proscrire l'usage de violences, voies de fait, menaces ou manoeuvres frauduleuses pour provoquer un arrêt de travail destiné à obtenir une hausse ou une baisse de salaires ou à porter atteinte à la liberté du travail. Parallèlement, le titre III de la loi du 24 juillet 1867 consacré aux sociétés à capital variable est destiné à encourager le développement des coopératives, en particulier des coopératives ouvrières. On cherche à favoriser des regroupements ouvriers, mais pas de n'importe quelle façon, des regroupements intégrés au commerce et qui tournent le dos, par conséquent, à l'association soumise à autorisation et suspectée a priori d'être une société secrète.
7La loi de 1867 — et donc la société coopérative — aura peu d’adeptes parmi les ouvriers9. En revanche, on assistera après 1867 à un développement important d'associations ouvrières dénommées « chambres syndicales »10. Ces associations sont souvent tolérées par l’Administration11 qui y voit, avec le temps, un moyen de désamorcer les antagonismes entre patrons et ouvriers. Ainsi, le préfet du département du Nord écrit au Ministre de l’Agriculture, le 4 août 1881 : « lorsque ces institutions seront solidement établies (les chambres syndicales) nous ne verrons plus de ces grèves bruyantes comme celles qui ont éclaté récemment à Roubaix, Armentières et Reims »12.
8La création du syndicat professionnel est à replacer dans des débats plus larges qui ont lieu à la fin du XIXe siècle, sur l’association en général. La reconnaissance de l’association est alors impossible, essentiellement à cause de la suspicion dont font l’objet les congrégations religieuses parmi les républicains. Révélatrice à cet égard, la déclaration d’un député de l'Union Républicaine, Henri Buisson, lors des débats sur l’association : « Lorsque l'individu vient au monde, il a des droits naturels parmi lesquels figure le droit de propriété. Mais lorsqu'une association se forme, et surtout lorsque cette association a la pensée de se constituer en dehors de la famille, de se dérober à la fluctuation des héritages, et chose particulière à l’association religieuse, de n'avoir point de terme assigné dans ses statuts, en un mot d’être éternelle, je dis que vous ne pouvez pas renoncer à un des principes fondamentaux, préservateur de notre droit public, je dis que vous ne pouvez pas lui conférer, ipso facto, de piano, en bloc, à elle et à toutes les associations semblables par une disposition législative générale, la personnalité civile »13. Mais dans le même moment, si une loi sur l'association n'est pas votée, c’est également parce que la crainte est grande de la voir profiter aux ouvriers14.
Forme juridique et affrontements politiques
9La forme juridique adoptée par la loi de 1884 va cantonner les activités des groupements ouvriers dans le domaine exclusivement professionnel. Ce qui nous paraît aller de soi au XXe siècle ne l'était pas avant 1884. Car les groupements professionnels auraient pu se voir investis de la capacité de négocier des avantages politiques pour leurs adhérents, si on avait vu, par exemple, une chambre composée en majorité de membres du Parti Ouvrier Révolutionnaire. Ceci a déjà été montré par une lecture des débats du point de vue du sociologue du politique15, également à l’aide des outils de l’histoire sociale16. Pour notre part, nous voudrions observer les lignes de force qui entraînent des clivages entre les parlementaires lorsqu’est envisagée la forme juridique du groupement professionnel17. Une fois écartée l'appartenance des groupements professionnels à l’espace politique18, il reste bien des questions à régler pour fixer les contours juridiques du futur syndicat professionnel : sera-t-il une association spécialisée ou bien ouverte à tous les citoyens ? Sera-t-il susceptible de défendre des intérêts spécifiques en dehors d'un intérêt politique ? Sera-t-il détenteur de la personnalité civile ou simple juxtaposition de ses membres ? La forme juridique qui va naître traduit le compromis entre différentes positions discursives, renforcée par l'opposition de la Chambre et du Sénat qui devra se négocier pour que la loi soit votée.
10L'extrême-gauche se prononce pour une forme associative extensive. Ainsi, Cantagrel19 trouve arbitraire de n'accorder des avantages parmi les associations qu'aux seuls syndicats. Sa position de repli est un syndicat professionnel à deux vitesses : un premier, non assujetti à des formalités, n'aura pas la personnalité civile ; un second, soumis à ces formalités, sera considéré comme une personne morale20. Beauquier défend la même position que Cantagrel21. Il déclare que les ouvriers ne demandent pas une loi sur les associations syndicales, jugée trop restrictive par rapport à la situation de fait. Ils lui préfèrent la simple tolérance, en attendant une loi plus générale qui donne à tous la liberté d'association.
11Un monarchiste comme Albert de Mun22 est nostalgique des corporations de l'Ancien Régime. Les syndicats professionnels alimenteront, selon lui, la division des patrons et des ouvriers, ce qui est un grand mal. Le rapprochement des personnes, la conciliation des intérêts, l'apaisement ne peuvent, par conséquent, se rencontrer que dans la reconstitution de la famille professionnelle. Son modèle juridique est un syndicat professionnel mixte de patrons et d'ouvriers grâce auquel sera recousu le lien social mis à mal par la guerre qui s’est installée dans les relations du travail au XIXe siècle. L'organisation professionnelle mixte, préconisée par A. de Mun, aura la personnalité civile.
12L'enjeu des débats est aussi de savoir si le syndicat professionnel voté sera ou non une société de secours mutuels et les Républicains dissocient bien la forme juridique qu'ils entendent promouvoir de la société de secours mutuels. Ainsi, Allain-Targé déclare : « Si on disait purement et simplement que les chambres syndicales peuvent constituer des sociétés de secours mutuels sans autorisation et sans aucune espèce de condition que de revêtir la forme syndicale, on supprimerait à l'instant les chambres syndicales »23. Ce qui n'empêche pas les Républicains de promouvoir la création de caisses de secours mutuels et de retraite sous le contrôle des syndicats. Ils l’obtiendront, à condition de respecter la législation en vigueur sur cette institution, malgré l'opposition de la droite qui craint que les syndicats ne recueillent ainsi des fonds propres à alimenter les grèves24.
13La coopérative joue aussi un rôle parmi les formes juridiques susceptibles d'inspirer la création du syndicat25. Le sénateur Millaud, membre de l'extrême-gauche, le souligne : « Les délégués lyonnais ont été reçus avec la plus franche cordialité par MM. Barberet et Tourneur qui, en quelques phrases émues, ont traité de l'avenir des sociétés sous le gouvernement de la République, et retracé la situation actuelle des syndicats et la nécessité de les organiser fortement afin que, dans un avenir peu éloigné, ils pussent servir de base à des sociétés coopératives de production et de consommation ». Et le sénateur ajoute : « C'est pour de tels ouvriers que nous vous demandons une loi libérale, utile à tous les points de vue, qui s'inspire des nécessités politiques ou des besoins de l'industrie dans notre pays »26.
14Les termes « syndicat professionnel » recouvrent des potentialités différentes27 et les projets successifs discutés devant les deux Chambres et qui émanent du personnel républicain dessinent une forme juridique susceptible d'aménagement : d'abord, sont seuls visés les intérêts industriels (proposition Lockroy en 1876), les intérêts économiques, industriels et commerciaux (projet Cazot-Tirard en 1880). Le rapport Allain-Targé mentionne la défense des intérêts généraux des membres de la profession (1881), mais cette mention ne se retrouve pas dans le projet voté par le Sénat le 1er août 1882. Le projet adopté par le Sénat le 23 février 1884 ajoute la possibilité pour les syndicats de défendre des intérêts agricoles. De multiples modifications de cette sorte ressortent de l'ensemble des projets successifs mis bout à bout. Les passer en revue serait fastidieux. Soulignons cependant qu'en dehors de la prise en compte d'intérêts spécifiques, deux autres aspects sont primordiaux dans la création de la catégorie juridique nouvelle : le contenu de la personnalité civile accordée aux syndicats et les formalités de publicité auxquelles ils seront astreints. Les deux problèmes sont d'ailleurs liés puisqu'il est envisagé un temps la possibilité de créer des syndicats occultes dénués de personnalité civile et des syndicats se faisant connaître de l'Administration, susceptibles d'acquérir la qualité de personne morale. Le Sénat s'opposera à cette appréhension du syndicat et des tentatives de la droite et de l'extrême-gauche de revenir à cette forme à deux vitesses, en 1884, échoueront face aux arguments des opportunistes pressés d'aboutir au vote de la loi. De compromis en compromis, les Républicains dessinent une forme juridique apte à servir les interlocuteurs dans les négociations entre patrons et ouvriers : des syndicats opposés à des types d'organisations ouvrières antérieures telles que les sociétés de résistance et les compagnonnages, pré-modélisés par l'expérience des chambres syndicales fréquemment invoquées dans les débats. Le Ministre du Commerce, Tirard, déclare le 8 juillet 188228 : « Pendant les trois années où je me suis occupé de ces questions d'intérêt général, qui s'appellent le tarif des douanes, les traités de commerce, j'ai été très heureux de pouvoir m'appuyer fréquemment sur les délibérations de ces chambres syndicales ; soit qu'elles fussent réunies isolément, soit qu'elles le fussent en groupes, elles m'ont apporté leurs voeux et les desiderata de tous ceux qui ressortissaient à l'industrie qu'elles représentaient ». Car les Républicains usent beaucoup de la référence à la pratique pour obtenir l'adhésion à leur projet. Le coup d'envoi est donné par Lockroy en 1876, pour qui les chambres syndicales « sont des sociétés ouvertes, où l'on ne doit faire aux associés, soit pour l'exercice de leur profession, soit pour leur admission dans le syndicat, ni condition de fortune, de famille, d'âge maximum ou d'origine et où l’on ne doit pas plus imposer le système de travail que de durée ou de mode d'apprentissage »29. Les Républicains se veulent des hommes raisonnables à qui les faits donnent raison, à qui les faits fournissent un label de légitimité. Ils demandent aux parlementaires rangés sous d'autres étiquettes politiques d'entériner la politique de l'expérience. La voie est toute tracée par des organisations professionnelles déjà installées sur le territoire des relations professionnelles. Rien d'inquiétant dans leurs activités. Et la chambre syndicale va pouvoir être hissée sur les hauteurs de la prise de décision législative. Car on le sait désormais, il est possible, en partant des faits, d'envisager des collectivités sur les lieux de travail qui se cantonnent à l'espace professionnel, sans franchir le seuil de l'espace politique.
15Les affrontements entre la majorité républicaine et ses opposants se concrétisent dans les divergences exprimées au sein du Sénat et de la Chambre des Députés. Et le rapport du député Lagrange30 fait apparaître quatre points essentiels de désaccord : à propos du syndicat à deux vitesses qui ferait ou non l'objet d'une déclaration ; de la possibilité de créer des unions de syndicats ; de l'abrogation de l'article 416 du code pénal concernant l'atteinte au libre-exercice de l'industrie ou du travail ; de l’application aux syndicats des articles 23 et 24 de la loi sur la presse. Le compromis sera obtenu grâce à divers facteurs31 : avant tout, la modification de la composition de la Commission du Sénat. Contrôlée par l'Union Républicaine, elle est désormais plus à gauche que la Commission de 1882. Elle aura entendu l'Union des Chambres Syndicales Ouvrières de France32 et l'Union nationale patronale et publié leurs dépositions en annexe. Les deux organisations plaident pour cette politique de l'expérience à laquelle se réfèrent les Républicains dans le but de gagner leurs opposants à leurs convictions. Forces patronales et ouvrières modérées sont en effet prêtes à se glisser dans le moule législatif proposé par les Républicains.
16La règle juridique s'inscrit dans un cadre préformé de rapports de force politiques tributaires de l'activité sociale à laquelle ils n'échappent pas33. Certes, on ne peut assimiler totalement cohérence interne du texte de loi et lecture des rapports noués au sein de la sphère politique34, mais les « marchandages » relevés confirment que la création législative est l'aboutissement « d'actions d'ajustement, d'opposition, de contradictions entre des logiques multiples »35.
17Toutefois, certains des acteurs ouvriers ne sont pas représentés parmi les parlementaires. Les positions discursives ne sont donc pas suffisantes pour saisir la portée des enjeux. De ce point de vue, on se référera à Le Marec36 pour qui il convient, afin de comprendre les discours émis dans le champ du politique (pour nous, au cours de débats législatifs), de croiser histoire des idées politiques et position des acteurs dans le champ politique. L'observation de Le Marec est particulièrement à prendre en considération, à l'égard de protagonistes dont la seule visibilité dans les débats est celle « d'agis discursifs » : ils sont présents dans les discours des députés, mais pour y susciter l'effet inverse de celui auquel ils prétendent au travers de leurs propres positions discursives. Cette posture spécifique doit être mise en relation avec celle qu'ils adoptent dans le champ politico-social, celui-ci étant le lieu où se joue la définition de la forme du groupement qu'ils entendent voir triompher.
18Ainsi, les thèses du Parti Ouvrier Révolutionnaire, sans représentation dans les deux chambres, sont-elles introduites dans les débats parlementaires, en vue de leur disqualification37. Le Parti Ouvrier acquiert alors une position d'autant plus centrale qu'elle agit par voie de dramatisation38. Barthes évoque au Sénat, le 24 juin 1872, une catégorie interne à la classe ouvrière « composée de socialistes révolutionnaires, ne reconnaissant pas et ne voulant admettre d'autres procédés de réforme que la violence et la spoliation, et pour lesquels les syndicat professionnels sont seulement un moyen d’organiser une armée révolutionnaire à l’aide de laquelle ils puissent, au moment qui leur paraîtra opportun, donner un assaut suprême à notre société, qu’ils appellent la "société capitaliste" ». Le Parti Ouvrier Révolutionnaire sert à mettre en valeur le précédent des chambres syndicales drainées par l’UCSOF. Les discours républicains dosent savamment le recours à la menace révolutionnaire « dont il ne faut pas exagérer les périls, mais dont il serait toutefois imprudent de ne pas tenir compte »39 et l’invocation de la légitimité des « aspirations des ouvriers à se grouper et à se concerter pour la défense de leurs intérêts corporatifs »40. C’est pour mieux juguler le péril représenté par les révolutionnaires qu’il faut autoriser le développement des « bonnes » chambres syndicales, celles regroupées dans les rangs de l'UCSOF. On assiste à un double mouvement de disqualification-requalification, la disqualification permettant d’asseoir la requalification d’activités entachées de préjugés défavorables parmi les députés de droite. Le compromis politique dépend de l’addition de ces deux opérations où l’habileté est requise, car il faut trouver un juste dosage entre susciter la crainte et la dissiper aussitôt. Les interventions du Parti Ouvrier sont inquiétantes, mais susceptibles d’être neutralisées par l’activité des chambres syndicales qui se réclament de l’Union des Chambres Syndicales Ouvrières de France.
19Les débats noués autour du vote de la loi du 21 mars 1884 donnent matière à réfléchir à la rationalité du texte de loi en droit du travail, au partage qui s'opère entre rationalité matérielle et formelle41. Supiot42 rappelle que les concepts mis en oeuvre par les divers aspects de la rationalité formelle opèrent entre la réalité et le système juridique une médiation abstraite qui n'existe pas dans une rationalité de type matériel. Et cette absence de médiation abstraite est l'une des caractéristiques des affrontements entre parlementaires lors des débats antérieurs à la loi de 1884, constamment en prise sur les relations que l'on observe dans la sphère du travail.
20La réflexion sur la forme juridique du groupement est peu nourrie par des références à la théorie juridique. Ce sont les faits, plus précisément les activités des protagonistes sociaux et la nécessité de leurs ajustements réciproques, jointes aux exigences du maintien de l’ordre, qui quadrillent les débats. A l'articulation de l'observation des faits et de la forme juridique, un rôle non négligeable est joué par les statuts qu'ont adopté les chambres syndicales ouvrières et patronales43 dont s'inspire largement la rédaction des articles de la loi. Les statuts sont en effet fort bien connus de l'Administration, en particulier de la préfecture de police et du Ministère de l'Intérieur ; de même, les statuts des coopératives et des sociétés de secours mutuels, pour ceux des parlementaires qui entendent voir ces formes juridiques prises en compte et intégrées au texte en discussion.
21Les positions des parlementaires s'ordonnent donc en se référant à l'expérience produite par les protagonistes sociaux, à la forme prise par leurs activités44.
22Les débats précédant le vote de la loi de 1884 fournissent une photographie de l'histoire des relations du travail au XIXe siècle qui est comparable au bilan des rapports dans l'entreprise, établi par délégation patronale et syndicale lors d'une réunion en vue de la signature d'un accord de fin de conflit45. Nous rejoignons les observations de Lenoir46 pour qui il y a dans le champ juridique, formulation et systématisation, à l'aide de propositions générales, de principes qui sont déjà le plus souvent en pratique, neutralisation des revendications antagonistes par un travail de conciliation. Au terme des affrontements auxquels donne lieu l'élaboration de la loi, les pratiques que sont l'usage répété de statuts de chambres syndicales, notamment par les ouvriers que rassemble l'UCSOF, deviennent incontestables. Le travail de neutralisation provient tout autant de la mise en forme législative que des efforts de conciliation entre des fractions opposées au sein des deux chambres.
23Des affrontements parlementaires et de la mise en forme législative, la seconde seule est pleinement visible pour les assujetis à la loi, source de droits, mais aussi d'obligations telles que le dépôt de statuts.
24Tout ceci — et notamment l'importance de la rationalisation matérielle de la loi — ne signifie pas cependant que l'édification du droit du travail, en particulier du droit syndical, soit coupée de l'oeuvre de théorisation des juristes. Car la création du syndicat professionnel participe de l'élaboration d'un concept plus large, d’une catégorie juridique précise : la personne morale. Derrière les « activités juridiques » ponctuelles que nous avons isolées dans le temps, et qui sont matérialisées par des énoncés législatifs, se profile la construction plus systématique de la catégorie juridique « personne morale », à l'intérieur de laquelle se moulent des formes qui relèvent d'un tronc commun, telles l'association, la société civile, la société commerciale.
Négociation transactionnelle et « judiciarisation » d'un conflit collectif cent ans plus tard
25A un bout de la chaîne, le syndicat professionnel français, enjeu des affrontements entre parlementaires à la fin du XIXe siècle ; à l'autre bout, le même syndicat, démultiplié, protagoniste essentiel lors de la survenance de conflits collectifs dans des entreprises de l'industrie automobile française, entre 1980 et 1990. Ces conflits éclatent pour des raisons très diverses47. Et par exemple :
- faire respecter les droits des institutions représentatives du personnel ;
- s'opposer à l'insertion par une direction d'entreprise, de clauses de mutation dans des contrats liant promotion et obligation de se déplacer pour des salariés ;
- protester contre la mise à pied d'un salarié qui rejoint son poste avec quelques minutes de retard.
26Les conflits se termineront le plus souvent par un accord dont la nature juridique se rattache à la transaction48.
27Ces conflits collectifs manifestent les caractéristiques essentielles de toutes les interactions : échanges d'informations ou de messages entre les parties, influence de l'attitude et du comportement d'une des parties sur l'attitude et le comportement de l'autre, référence à un langage, une expérience, des normes, valeurs ou symboles qui sont plus ou moins intelligibles pour les deux parties, poursuite de l'interaction dans un cadre social qui déborde la relation entre les parties et dont les caractéristiques influent plus ou moins sur l'interaction elle-même49.
28Les affrontements entre protagonistes — principalement directions d'entreprise et syndicats — s'organisent fréquemment à l'intérieur d'un modèle où négociation et recours (ou menace de recours) au procès50 constituent un continuum.
29Nous reprenons à notre compte l'idée que, dans ce modèle, la négociation représente « l’ensemble des opérations menées directement par les partenaires ou médiatisées par un tiers, qui tendent à la conclusion d'un accord. Il y a négociation tant que les parties gardent un pouvoir de contrôle direct ou indirect sur la décision finale. En cela, la négociation s'oppose terme à terme au procès qui, lui, agit par rupture en imposant le règlement du litige par une décision extérieure aux parties, selon l'état du droit en vigueur »51.
30Si l'on approche le paradigme de la négociation52 au travers de trois éléments qui sont la définition sociale de la situation, les capacités de contrôle des acteurs, le mode de distribution du pouvoir, il est évident que le recours au juge équivaut à demander à une institution extérieure d'intervenir dans la définition sociale de la situation, en transférant entre les mains du juge une partie des capacités de contrôle des acteurs. La caractéristique de ce modèle binaire est donc la menace permanente de rupture de la part de l’un ou l'autre des protagonistes.
31Voici les variantes des relations entretenues par négociation et « judiciarisation », que nous avons repérées :
- le recours au procès est employé par l’un des protagonistes pour aboutir à la négociation ;
- la formulation de litiges est, au contraire, censée déplacer le conflit sur un autre plan et empêcher la négociation ;
- le succès dans la négociation entraîne le pourrissement d'une procédure engagée tout au début du conflit. La procédure est abandonnée.
32La formulation d'un litige peut donc être un moyen d'éviter la table de négociation, mais représente aussi un chemin de traverse débouchant sur des tractations entre les parties, lorsque la procédure est celle du référé ou celle ayant cours devant une juridiction pénale. Le contentieux pénal est en effet un contentieux de va-et-vient entre des documents ayant un contenu différent selon les périodes, ce qui crée une homologie avec la négociation. Le procès pénal, dans sa simple éventualité, est un élément constitutif du pouvoir de négocier. Ce n'est pas tant la sanction que la perspective du débat, devant le juge répressif, qui concourt à modeler la capacité d'action ou de résistance patronale53. Comme le fait observer Belley54, la régulation juridique n'opère pas uniquement de façon instrumentale par la mise en oeuvre effective de processus d'interventions et d'appareils plus ou moins formalisés. Elle oeuvre aussi dans l'univers symbolique par l’influence que les modèles mêmes de la régulation juridique exercent sur la signification donnée par les protagonistes à leur action, sur la représentation qu'ils se font de la collectivité et de son ordre.
33Par la négociation, les protagonistes tentent de proposer une solution acceptable pour chacun des participants, dans le cadre d'un rapport de force donné. En vertu de situations concrètes, ou plutôt au-delà de leur contenu, se construit progressivement la réalité de la situation, selon un certain type de formalisation. Grâce à elle, sont reliées, mises bout à bout, séquences de négociation transactionnelle et de recours à la justice, qui font de l’entreprise et du prétoire les lieux principaux de l'affrontement.
34Les protagonistes principaux du conflit, directions patronales et syndicats, vont également recourir à des agents extérieurs à l'entreprise, complexifiant le modèle « négociation/judiciarisation ». Ce sont avant tout :
35- l'inspecteur du travail dont l'intromission dans le conflit relève de postures différentes selon les situations. Il peut être sollicité par un syndicat pour enquêter à propos d'éventuelles infractions d'une direction, pour jouer le rôle d'intermédiaire entre syndicat et direction. Il aura aussi parfois pris l'initiative d'une action spécifique, par exemple en sollicitant les syndicats pour qu'ils se constituent partie civile dans un procès, en adressant une mise en demeure à l'employeur. L'inspecteur aura reçu, en certains cas, une mission de conciliation du Gouvernement ou une mission d'un juge.
36L'activité des relevés d'infractions par procès-verbaux conduit l'inspecteur du travail à être immergé dans deux contextes distincts : l'histoire des relations des protagonistes, mais aussi et par anticipation, le prétoire où l'inspecteur se devra de traduire en termes juridiques55 par des efforts souvent coûteux, les manquements de l'employeur, parfois à l’origine d'un conflit.
37- l'huissier est essentiellement introduit dans le conflit par une direction d'entreprise. Sa tâche principale est de dresser des constats sur l'occupation d'une usine, les entraves caractérisées à la liberté du travail, le rôle d'organisateurs des responsables syndicaux dans un conflit illicite. Le but de celui des protagonistes qui a recours à l'huissier est de se couler dans le moule du droit — très exactement de la procédure judiciaire — et de réunir une série de preuves avant de fomenter un litige.
38Les huissiers seront donc un élément capital de la mise en place d'un dispositif judiciaire potentiel, en particulier pénal, fondé sur des constats. Ainsi, pour ce qui concerne l'existence d'entraves à la liberté du travail, ils président à l’élaboration de l'objet juridique soumis au droit pénal et constituent une sorte de vivier où puise une direction déterminée à « judiciariser » un conflit.
39- Les médias sont également sollicités. Comme cela a été noté56, dans les conflits collectifs, le plus important n'est pas toujours l'arrêt de travail, mais les manifestations qui l'accompagnent, afin de créer dans le public une image valorisante, attractive, ou simplement indulgente d'un mouvement social. Le conflit n'est plus alors une affaire privée, mais un spectacle où le public est mis en situation de trancher une affaire. Le conflit en quelque sorte se « socialise »57, échappe au secret des bureaux et à la discrétion du prétoire. Il est publiquement repéré et socialement situé.
40Des personnalités extérieures et des experts jouent fréquemment un rôle dans le conflit. Ils peuvent signifier interpénétration de la sphère privée et de la sphère publique. En pareil cas, l'introduction de l'intérêt général58 dans la sphère privée ne légitime plus le juge éventuellement sollicité à trancher les litiges tels que les protagonistes les configurent. Le magistrat ne peut se contenter de saisir les conflits au travers des visions déformées par le prisme de subjectivités particulières, il doit apppréhender toutes les dimensions qui s'entrecroisent : intérêt général, intérêt privé et, éventuellement, intérêt collectif59.
41En résumé donc, la « judiciarisation » du conflit est souvent indissociable de l'activité d'agents extérieurs. L'affrontement principal est alors relayé par l'intromission d'agents que l'on peut dire secondaires (parce qu'intervenus dans un temps second si l'on décompose le conflit en plusieurs épisodes), mais susceptibles de jouer un rôle déterminant dans le dénouement des affrontements.
42La période qui va précéder la signature d'un accord va alors correspondre à l'éclatement du conflit en une mosaïque de sous-conflits dont la localisation se fera simultanément à l'intérieur et hors de l’entreprise (pages d’un quotidien, espace juridictionnel, bureau d'un médiateur, etc.). Cela rappelle l'éclatement d'une assemblée parlementaire en groupes et sous-groupes, alliances qui se nouent et se dénouent au gré de tractations, compositions et recompositions qui ne préjugent pas de l'accord final matérialisé par le vote d'un texte législatif.
De la loi négociée à l'accord transactionnel de fin de conflit
43Texte de loi voté et accord transactionnel de fin de conflit se différencient sur bien des points et pourtant leur matérialisation suppose l'émergence de processus comparables.
44Qui dit loi, qui dit accord d'entreprise signé à la suite d'un conflit, sous-entend des lieux d'élaboration différents, des statuts juridiques distincts, des champs d'application spécifiques, strictement réglementés au regard des sources du droit français.
45La loi est une règle générale, abstraite et permanente60. Elle est destinée à régir, non un cas particulier, mais une série de cas semblables qui se présenteront dans le temps. Elle est abstraite car sa généralité sous-entend une formulation fondée sur des situations typiques énoncées dans l'abstrait. Permanente, elle va s'appliquer à tous les cas qui se succèderont jusqu'à son abrogation. Elle a, en outre, un caractère contraignant et son non-respect est sanctionné par l'autorité publique61. Telles sont les caractéristiques sous lesquelles se donne à voir la loi promulguée. Les sociologues du droit ont depuis longtemps démonté les mécanismes qui permettent à la règle juridique de se doter de telles caractéristiques62, présentées comme des évidences.
46L'accord de fin de conflit relève de la négociation transactionnelle, distincte de la négociation normative63. Il y sera décidé de questions spécifiques à l'établissement où a lieu le conflit (qui n'ont donc rien de général et d'abstrait) ; ainsi, des retenues de salaires correspondant aux jours de grève, de la récupération de ceux-ci, de l'engagement à la reprise du travail64. La jurisprudence y voit une transaction au sens de l'article 2044 du code civil français, réglant les questions litigieuses et s'opposant à toute réclamation ultérieure65, c'est-à-dire un contrat par lequel les parties terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître et renoncent à une partie de leurs prétentions réciproques. Il s'agit d'une catégorie juridique qui fait partie intégrante de l'ordre du droit66.
47La distinction faite entre contenu d'un texte de loi et contenu d'un accord de fin de conflit au regard du droit est donc bien justifiée, car l'un et l'autre sont soumis à des régimes juridiques différents. Et pourtant, l'élaboration du « produit social » que représente chacun d'eux donne lieu à des affrontements, résulte de compromis comparables.
48Les débats législatifs antérieurs au vote de la loi de 1884 ont révélé une série d’affrontements dans les positions discursives, la loi est apparue comme le résultat d'alliances nouées en vue d'une position « raisonnable ». Les discussions parlementaires auraient pu tourner court, ne pas aboutir à un vote, comme ce fut le cas, à la même époque, pour la réglementation de l'association. On aurait pu parler d'échec dans les discussions comme on peut le faire à propos de négociations au cours d'un conflit ne débouchant pas sur un accord.
49On a vu, pour mener la comparaison à son terme, que la négociation au cours d'un conflit collectif correspond à un affrontement assorti d'un marchandage : la menace d'un recours à la justice sert de levier aux protagonistes. L'accord sera, là encore, signifiant d'un compromis. Le recours à la justice sans signature d'un accord relèvera, lui, de l'échec.
50Texte législatif voté et accord de fin de conflit peuvent être lus comme « provisoires », replacés dans un contexte où séquences de guerre et séquences de paix alternent tour à tour. Hagan67, à propos de travaux sur les processus d'incrimination, en particulier en matière de délinquance juvénile, souligne que le « traité de paix » juridique qui conclut temporairement l'affrontement entre groupes de pression est au moins aussi important que « la guerre » qui le précède. L'incrimination n'est qu'un résultat, qu'un choix provisoire entre des solutions et revendications diverses. Il en va de même des accords de fin de conflit qui ne préjugent pas du conflit à venir et des affrontements qui le jalonneront, entrecoupés de possibles séquences de « judiciarisation » et d'interventions d'agents extérieurs au conflit. Le « traité de paix juridique » que constitue la loi de 1884 va imposer comme communs, voire comme universels, des principes de regroupements qui sont aussi des catégories de représentation du monde social68. La loi va faire émerger une conception commune de l'organisation professionnelle qualifiée à regrouper des ouvriers et des patrons. Mais malgré tout, des clivages demeureront à l'intérieur des fractions se donnant vocation à structurer les revendications ouvrières, sources latentes de transformation d'une catégorie juridique, par définition provisoire. Là encore, on est proche du climat de l'entreprise où la signature d'un accord n'empêche pas la perception de conflits latents.
51Morel, qui a observé les réunions de négociation en entreprise, les estime soumises à des règles de fonctionnement proches des institutions propres aux assemblées politiques. Il souligne que « étant donné la forme des réunions, la négociation dans l'entreprise ne peut être qu'une manifestation, un débat d'assemblée, un combat verbal ». Il observe également que les usages réglant les interventions, accroissent les ressemblances, et notamment la lecture répétée de déclarations écrites par avance qui font penser aux discours parlementaires lus en séance69.
52Enfin, le même type de rationalité — évidemment matérielle70 — se retrouve à l'oeuvre dans un texte comme la loi fondant le syndicat professionnel et dans l'accord qui met un terme à un conflit collectif à l'intérieur de l'entreprise. La mise en forme juridique y aboutit à l'incorporation de l'expérience des protagonistes sociaux.
53Même si la rationalité juridique, en particulier matérielle, est une rationalité qui a sa propre autonomie, on se souviendra que le droit du travail emprunte largement aux rapports sociaux dans la construction de ses catégories. Les règles de droit y parlent de clivages, de compromis, de rapports de force, langage de la négociation par excellence. Et il n'est pas besoin de remonter très haut dans le processus de leur élaboration pour en retrouver la trace, au coeur des affrontements auxquels se livrent les protagonistes sociaux.
Notes de bas de page
1 Consulter M. DESPAX, Droit du travail, Paris, Dalloz, t. 7, 2e éd., 1989 ; A. BRUN et H. GALLAND, Droit du travail, Paris, L.G.D.J., t. 2, 2e éd., 1978.
2 Consulter A. KLETZLEN, Le code de la route pourquoi ? (une étude de sociologie législative), thèse pour le doctorat en droit, Université Paris-Sud, 1993 ; la série de contributions à l'ouvrage Acteur social et délinquance, (Liège, Bruxelles, Mardaga, 1990) où l'on trouvera des bibliographies fournies sur le sujet ; P. ROBERT (sous la direction de), La création de la loi et ses acteurs, Onati, Onati Proceedings, 1991 ; J. COMMAILLE, Science du droit et science du politique, in Droit et politique, CURAPP (éd), Paris, P.U.F., 1993, p. 276 et s.
3 M. WEBER, Sociologie du droit, Paris, P.U.F., 1986.
4 Duvergier, 1884, p. 174.
5 F. BABINET, Dit et non-dit du texte : rapports sociaux et portée juridique de la loi du 21 mars 1884, in Etudes offertes à Marcel David, Quimper, Calligrammes, 1991, p. 20.
6 Sachant que les intérêts ouvriers sont loin d'être représentés dans leur ensemble parmi les parlementaires (voir infra).
7 M. MOLITOR, Le jeu des acteurs et la production de la norme : le cas des relations collectives du travail en Belgique, in Acteur social et délinquance, op. cit., p. 215-223.
8 Loi sur la coalition du 27 mai 1864 (Duvergier, 1864, p. 162 et s.) ; loi sur les sociétés du 24 juillet 1867 (Duvergier, 1867, p. 305 et s.).
9 Consulter : Enquête de la Commission Extra-Parlementaire des Associations Ouvrières, Paris, 1883.
10 Même si d’autres types de regroupements subsistent, tels les compagnonnages, les associations coopératives, les sociétés de secours mutuels. Mais les secondes et les troisièmes sont de plus en plus souvent placées sous le contrôle des chambres syndicales ; les premiers ont beaucoup perdu de leur force.
11 Pour s’en convaincre, il suffit de se référer aux archives de la préfecture de police, en particulier aux séries Ba 145-166, Ba 1408 bis-1455.
12 A. N. F12 4660.
13 Débats à l’Assemblée Nationale du 15 mai 1872, Annales de l'Assemblée Nationale, 1872, t. XI, p. 382. La crainte des congrégations religieuses se retrouve dans la proposition Cantagrel sur l’association du 18 mars 1879 (donc sept ans plus tard) ; de même dans les débats autour du projet Dufaure en 1883, devant le Sénat.
14 En ce sens, G. WEILL (Histoire du mouvement social en France, Paris, Alcan, 1905, p. 167) qui rappelle les propos du député Aclocque en 1872 : « Le droit d'association que vous accordez à l’ouvrier serait une arme dangereuse entre ses mains qui ne sont pas faites ni préparées encore à son maniement » (Aclocque, député entre centre droit et centre gauche, se réclame de principes proches des Leplaysiens).
15 D. BARBET, Retour sur la loi de 1884, in Genèses, 3, mars 1991, p. 5-30.
16 M. KIEFFER, La légalisation des syndicats en France, thèse, Paris, Université de Paris-I, 1987.
17 Barbet et Kieffer ont des développements importants sur les partis politiques impliqués dans le vote de la loi. Nous renvoyons donc à leurs travaux sur ce point. Pour la compréhension de l'exposé, voici quelles sont les principales fractions concernées par les débats : à droite, les bonapartistes et les royalistes (légitimistes et orléanistes) ; à l'extrême gauche, les intransigeants ; à gauche, la gauche radicale et les radicaux ; au centre-gauche, les opportunistes (Union Républicaine de Gambetta et Gauche Républicaine de Ferry et Grévy). Ce sont les opportunistes qui emporteront le vote de la loi du 21 mars 1884.
18 D. BARBET, op. cit.
19 Voir débats du 16 mai 1881 à la Chambre des Députés, à la suite du rapport Allain-Targé (Annales de la Chambre des Députés et du Sénat, 1881, p. 35 et s.). Cantagrel, qui se voua à la propagation des idées de Fourier, était pour la liberté absolue de la presse, de réunion, d’association. Il avait déposé en 1877 et 1879 une proposition de loi visant à assurer l'exercice du droit d'association.
20 Un amendement proposé par Trarieux, Ribot et Goblet, le 21 mai 1881, toujours à la Chambre des Députés, va dans le même sens ; cet amendement sera redéposé par Goblet le 13 mars 1884 à la Chambre des Députés et rejeté, bien que soutenu par des fractions opposées de la chambre : il s'agit d'être efficace et d'aboutir au vote de la loi sans tarder.
21 Gauche radicale, débats à la Chambre du 17 mai 1881.
22 Débats devant la Chambre des Députés du 12 juin 1883, Annales de la Chambre des Députés et du Sénat, 1883, p. 689.
23 Chambre des Députés, Débats du 17 mai 1881, Annales de la Chambre des Députés et du Sénat, 1881, p. 337. Allain-Targé appartient à l'Union Républicaine.
24 Position du sénateur Batbie, Débats du 11 juillet 1882, Annales de la Chambre des Députés et du Sénat, 1882, p. 903.
25 Voir l'échange de propos entre Beauquier (gauche radicale) et Nadaud (extrême-gauche), le 9 juin 1881 à la Chambre des Députés (Annales de la Chambre des Députés et du Sénat, 1881, p. 331).
26 Débats au Sénat du 22 février 1884, Annales du Sénat, 22 février 1884, p. 521. Déjà en 1876, la proposition Lockroy, qui ouvre les débats autour du syndicat, prévoit la possibilité pour les syndicats professionnels de s’occuper de l’organisation des sociétés coopératives (Lockroy est membre de l'Union Républicaine).
27 Voir le rapport Allain-Targé présenté à la Chambre des Députés le 15 mars 1881, A. 3420.
28 Débats au Sénat du 8 juillet 1882, Annales de la Chambre des Députés et du Sénat, 1882, p. 875.
29 Lockroy oppose la chambre syndicale qui est l'organisation professionnelle-référence au compagnonnage engendré par la corporation de l'Ancien Régime.
30 Rapport Lagrange du 6 mars 1883 à la Chambre des Députés, Annales de la Chambre des Députés, Annexe 1760.
31 Les informations suivantes sont données par M. Kieffer, thèse préc., p. 146. Elle ajoute, parmi les facteurs ayant influé dans le sens de l'infléchissement de la position du Sénat, un discours de Waldeck-Rousseau au nom du Gouvernement.
32 La fondation de l'UCSOF date de 1880. Elle fustige l'investissement du politique effectué par certains éléments des forces ouvrières (voir Annales du Sénat, 1883, Annexe 452).
33 J. CHEVALLIER, in Droit et Politique, CURAPP (éd), Paris, PUF, 1993, p. 5.
34 Voir infra ce qui concerne l'analyse de la rationalité matérielle des lois régissant les relations du travail.
35 J. COMMAILLE, Science du droit et science du politique, in Droit et politique, op. cit., p. 277.
36 Y. LE MAREC, Relire Thompson, in Actes de la Recherche en Sciences Sociales, no 100, 1993, p. 73-79 (surtout p. 79).
37 Voir le rapport de Barthes au Sénat, du 24 juin 1882, Annales du Sénat, 1882, A. 295 ; le même au Sénat, le 17 janvier 1884, Annales du Sénat, 1884, p. 25 et s.
38 Comparer les discours cités avec le programme ouvrier de la Fédération du Parti des Travailleurs Socialistes de France, au congrès de Marseille en 1879 (A. N. F7 12488). Consulter aussi B.H. MOSS, Aux origines du mouvement ouvrier français, Paris, Les Belles Lettres, 1985.
39 BARTHES, rapport au Sénat du 24 juin 1882, op. cit.
40 Ibidem.
41 M. WEBER, Sociologie du droit, op. cit.
42 A. SUPIOT, Critique du droit du travail, Paris, P.U.F., 1994, p. 195.
43 Consulter le rapport Barthes du 24 juin 1882 devant le Sénat, op. cit., p. 157.
44 Voir la longue intervention d'Albert de Mun, op. cit., p. 688 et s.
45 C. MOREL, La grève froide, Paris, les éditions d'organisation, 1981, p. 60 et s.
46 R. LENOIR, Groupes de pression et groupes consensuels, in Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 1986, no 64, p. 30-39.
47 F. SOUBIRAN-PAILLET, Formalisation juridique et ressources des protagonistes dans un conflit du travail, Paris, CESDIP, 1988.
48 G. LYON-CAEN et J. PELISSIER, Droit du travail, Paris, Dalloz, 15e éd., 1990, p. 1091. Sur négociation et accords d'entreprise, Y. CHALARON, Négociations et accords collectifs d'entreprise, Paris, Litec, 1990 (à propos de la négociation informelle, des accords « atypiques », p. 131 et s.).
49 J. G. BELLEY, Conflit social et pluralisme juridique en sociologie du droit, Paris, thèse Paris-II, 1977, p. 153.
50 Consulter sur justice et règlement des conflits : J. GILLARDIN et P. VAN der VORST (éds), Les conflits collectifs en droit du travail, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 1989.
51 P. LASCOUMES, Des erreurs pas des fautes, Paris, CESDIP, 1986, p. 183.
52 O. KUTY, Le paradigme de négociation, in Revue de Sociologie du Travail, 1977, p. 167.
53 A. LYON-CAEN, Les fonctions du droit pénal dans les relations du travail, in Droit Social, 1984, 7-8, p. 438 et s.
54 J. G. BELLEY, Conflit social et pluralisme juridique en sociologie du droit, op. cit.
55 N. DODIER, Les actes de l'inspection du travail en matière de sécurité : la place du droit dans la justification des relevés d'infraction, in F. CHAZEL et J. COMMAILLE (éds), Normes juridiques et régulation sociale, Paris, L.G.D.J., 1991, p. 189-203, en particulier p. 195 et s.
56 G. ADAM, Les syndicats : un pouvoir excessif ?, in Droit Social, 1984, p. 2-4.
57 Y. TANGUY, Le règlement des conflits en matière d'urbanisme, Paris, L.G.D.J., 1979.
58 Lorsque, par exemple, un Ministre du Travail est sollicité et sommé de donner un avis (ainsi, à propos de licenciements économiques).
59 B. REMICHE, Le rôle de l'économie dans le mode juridictionnel de règlement des conflits, in Revue Interdisciplinaire d'Etudes Juridiques, 1985, no 15, p. 171-208.
60 G. MARTY et P. RAYNAUD, Droit civil, Paris, Sirey, t. 1, 2e éd., 1972, p. 145 ; J. GHESTIN et G. GOUBEAUX, Traité de droit civil, Paris, L.G.D.J., 3e éd, 1990, p. 191 et s.
61 P. VOIRIN, Droit civil, Paris, L.G.D.J., t. 1, 24e éd., 1993, p. 12 ; J. CARBONNIER, Droit civil, Introduction, Paris, P.U.F., 20e éd., 1991, p. 23 et s.
62 Consulter B. FRANÇOIS, Du juridictionnel au juridique, in Droit et politique, op. cit., p. 200.
63 Créatrice, par exemple, d'une convention collective. Sur la place du contractuel en droit du travail, voir A. LYON-CAEN et A. JEAMMAUD (éds), Droit du travail, démocratie et crise, Arles, Actes-Sud, 1986, p. 24 et s.
64 G. LYON-CAEN et J. PELISSIER, Droit du travail, op. cit., p. 1091 ; J.C. JAVILLIER, Droit du travail, Paris, L.G.D.J., 1981, p. 598 et s. ; FREYRIA, Les accords d'entreprise atypiques, in Droit Social, 1988, p. 49 ; J.P. CHAUCHARD, Les accords de fin de conflit, Paris, thèse Paris-I, 1983.
65 G. LYON-CAEN et J. PELISSIER, ibidem.
66 Même si certains en font un indicateur de non-droit, comme J. Carbonnier (Sociologie juridique, Paris, A. Colin, 1979, p. 119), cité par E. SERVERIN, P. LASCOUMES et T. LAMBERT, Transactions et pratiques transactionnelles, Paris, Economica, 1987, p. 1 et s.
67 Cité par P. LASCOUMES, R. ROTH et R. SANSONETTI, L'incrimination en matière économique, Genève, Université de Genève, 1989, p. 9.
68 Voir R. LENOIR, Groupes de pression et groupes consensuels, op. cit., p. 32-33.
69 C. MOREL, La grève froide, op. cit., p. 60 et s.
70 Rationalité s'entendant comme principe de cohérence et de compréhension d'un énoncé.
Auteur
Juriste et sociologue
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