Droit public, droit négocié et para-légalité
p. 457-489
Texte intégral
I. La place mineure du droit négocié dans le droit étatique public
1D'un point de vue socio-politique, la négociation apparaît comme un des nombreux procédés auxquels un pouvoir politique peut recourir pour réaliser ses objectifs. Dans cette perspective, elle prend place à côté de procédés plus unilatéraux comme le recours à la force, à l'acte d'autorité ou au conditionnement. Elle s'en distingue par son caractère conventionnel. On peut, en effet, définir la négociation comme une méthode de gestion de certains conflits visant à la conclusion d'un accord ou au moins à un accommodement. Elle suppose un conflit entre deux ou plusieurs acteurs appartenant à un même système social, au sujet d’une prédominance dans une répartition de valeurs et un rapport de forces. Dans la palette des moyens qu'elle peut mettre en oeuvre, on distingue les pressions, les manipulations, les argumentations et les échanges1.
2On ne saurait transposer cette définition socio-politique telle quelle dans le domaine du droit positif, mais on peut au moins en déduire qu'il ne saurait y avoir de droit juridiquement négocié que là où il y a place pour des accords, c'est-à-dire des contrats. A première vue, on devrait déjà en conclure que les fondements du droit public interne d'un Etat sont étrangers au phénomène du droit négocié. Les premières sources du droit public, à savoir la Constitution, les lois et les règlements, ne sont-elles pas des actes juridiques unilatéraux, aussi bien quant à leur formation que quant à leurs effets ?
3Comme on le sait, le propre d'un acte unilatéral, par opposition au contrat, est de créer des droits et des obligations, indépendamment du consentement de ses destinataires2. Ainsi, la Constitution est, en effet, un acte de décision unilatérale posé la nation souveraine. Celle-ci ne négocie pas avec des autorités qui lui seraient extérieures. Au contraire, en tant que détentrice du pouvoir constituant, elle crée les autorités qu'elle se donne à elle-même et leur impose le statut de pouvoirs constitués.
4La loi est aussi nécessairement un acte unilatéral. Comme l'écrit Michel Pâques, « il ne peut être question de contrat de l'Etat législateur car celui-ci (…) reçoit dans ses compétences celle de déterminer la consistance de l'engagement contractuel et plus généralement (…) de définir la notion d'obligation civile ». Il n'est donc « pas possible d'opposer un droit acquis au législateur puisqu'il en fixe l'étendue »3.
5Certes, l'Etat peut contracter et l'on ne saurait donc définir rigoureusement le droit public à partir du seul critère formel de l’acte unilatéral, pas plus qu'on ne saurait définir le droit privé à partir du seul critère du contrat4. Mais quand l'Etat contracte, c'est du pouvoir exécutif et des administrations de l'Etat qu'il s’agit. Ce n'est qu’à ce niveau-là qu'un choix pourra éventuellement être fait entre la voie unilatérale et celle du contrat. Etant donné le nombre considérable des lois qui attribuent aux autorités administratives des pouvoirs d'action unilatérale, il reste donc correct de dire que l'acte unilatéral est le procédé caractéristique de l'action en droit public, tandis que le contrat est le procédé type de l'action en droit privé5. En outre, le droit public est régi par le principe de légalité qui exige que chacun des actes unilatéraux en question se fonde positivement sur une disposition constitutionnelle ou légale, tandis que le droit privé est dominé par le principe de l'autonomie des parties contractantes qui veut que leurs conventions soient leurs lois, pour autant, il est vrai, que celles-ci soient elles-mêmes légalement formées6.
6En rappelant ce schéma très classique, on ne veut nullement sous-estimer l'ampleur des recours faits par les administrations au mode contractuel de gestion. Elles adoptent quotidiennement celui-ci, par exemple, pour disposer, dans certaines limites, de leurs biens, pour en acquérir, pour allouer des services et des fournitures, pour conclure des marchés, pour engager des collaborateurs occasionnels, ou encore pour concéder des services7. Tout cela est bien connu. On ne veut pas non plus sous-estimer l'importance nouvelle des techniques d'incitation et de concertation que le droit administratif connaît depuis quelques décennies déjà. Comme on le sait, ce n'est pas seulement dans les faits, mais aussi en droit, parmi les instruments proprement juridiques de l'intervention des pouvoirs publics dans la vie économique, sociale et culturelle, qu'il apparaît que « la décision administrative négociée tend de plus en plus à se substituer à la décision autoritaire »8. Nul n'ignore aujourd'hui l'exemple des contrats de programme en matière de politique des prix, ni celui des contrats de progrès, des contrats de promotion technologique et des contrats relatifs à la reconversion des entreprises conclus dans le cadre de la législation sur l'expansion économique9. Quant à l'intéressante technique du contrat de gestion instituée par la récente loi sur les entreprises publiques autonomes, elle a fait l'objet de plusieurs études auxquelles on se permet de renvoyer10.
7On veut seulement souligner que le mode contractuel de gestion ne se déploie ordinairement qu'en droit administratif11 et que le nouveau phénomène dit de la « contractualisation » du droit public n'apparaît de manière formelle dans le droit positif de l'Etat que de manière encore assez marginale. Les administrativistes ont observé, à cet égard, une dissociation fréquente entre la forme juridique et la réalité socio-administrative. Pour mesurer cet écart, on peut faire deux observations.
8Tout d'abord, il faut relever que plusieurs actes administratifs unilatéraux n'ont « une totale efficacité vis-à-vis d'un administré qu'en se perfectionnant de son assentiment »12, mais ils n’en restent pas moins des actes unilatéraux. Il en va ainsi, par exemple, quand une autorité publique nomme un fonctionnaire, quand elle octroie une subvention ou encore quand elle impose le paiement d'une redevance au bénéficiaire d'une prestation de service public non obligatoire. Dans tous ces cas, comme l'écrit encore Michel Pâques, « le consentement ne produit que l'existence du lien entre une personne et l'administration ». La relation n'est cependant « pas conçue à partir d'un strict schéma d'échange. Il n'y a pas de rapport synallagmatique ». Les droits et les obligations de l'administré et de l'administration ne naissent pas d'un quelconque contrat passé entre eux, mais bien d'un acte unilatéral posé par la seconde. « La relation est consensuelle mais non contractuelle », conclut le même auteur13. L'élaboration de ce type d'acte peut donner lieu à des concertations. Quand l'autorité dispose d'un pouvoir discrétionnaire, elle peut se voir priée par l'administré ou par des groupements ou encore par des organes consultatifs de l'exercer dans tel ou tel sens. La doctrine use parfois du terme de négociation pour viser ce dialogue. Mais elle ajoute alors aussitôt que « la négociation n'est pas un critère de distinction de l'acte unilatéral et du contrat »14. Pour rester cohérent avec la terminologie ici proposée, on préfère parler de « droit concerté » plutôt que de « droit négocié » dans cette hypothèse. En droit, il n’y a en tout cas pas lieu de parler d'un véritable phénomène de contractualisation, quelle que soit l'ampleur du pouvoir de fait exercé, le cas échéant, par les personnes privées associées à ces concertations.
9Une deuxième observation mérite d'être faite pour signaler que l'écart entre la forme juridique et la réalité socio-administrative peut parfois aller jusqu'à la conclusion de « contrats » illicites. Il arrive ainsi qu'en dehors de toute habilitation légale, l'exécutif passe des accords avec des groupements — le cas échéant, dépourvus de la personnalité juridique — aux termes desquels les seconds s'engagent à respecter un ensemble de normes convenues en échange de la double promesse du premier de s'abstenir de toute initiative législative et de faire échec à toute éventuelle initiative parlementaire. En droit, il est clair que ce contrat est nul, fût-ce pour la raison que le gouvernement n'a pas le pouvoir de s'engager à ne pas exercer ses attributions15.
II. La place majeure de la négociation dans la pratique politique des démocraties « consociatives » et « néo-corporatistes»
10Si l'on veut bien remonter à présent à l'étage supérieur du droit public, c'est-à-dire au droit constitutionnel, tout en gardant à l'esprit le phénomène de la dissociation entre la réalité juridique et la réalité politique sur lequel on vient d'insister, que constate-t-on ? Il apparaît que la tension entre ces deux réalités y est plus accusée encore qu'en droit administratif. En effet, alors que les sources supérieures du droit public, en Belgique comme ailleurs, sont toutes marquées, comme on l’a rappelé, du sceau de l'unilatéralité, la réalité socio-politique du système belge de la décision publique est caractérisée de manière massive par la logique de la négociation et du compromis.
11La Belgique partage cette caractéristique avec d'autres Etats, notamment les Pays-Bas (en tout cas entre 1918 et 1967), l’Autriche (depuis 1945 jusque 1966) et la Suisse. Aussi, un large courant de la sociologie politique s'accorde pour rendre compte des traits communs aux systèmes politiques de ces Etats par un concept particulier, celui de « démocratie consociative » (ou « consociationnelle »16 ou encore de « concordance »). Trois traits majeurs caractérisent un tel régime démocratique : une société marquée par une segmentation verticale en plusieurs communautés religieuses, idéologiques, linguistiques ou ethniques ; une cohésion interne au sein de chacune de celles-ci, grâce à l'autorité des élites sur leurs membres respectifs ; et — c’est l'essentiel pour notre propos — l'institutionnalisation de la négociation entre lesdites élites. Contrairement à la « démocratie compétitive » où les décisions peuvent être prises unilatéralement par la majorité sans grand danger pour la stabilité du système, parce que la culture politique y est assez homogène, la « démocratie consociative » adopte régulièrement le principe de proportionnalité. Pour conjurer la fragmentation de la culture politique, les minorités sont introduites dans le processus décisionnel lui-même, chaque camp étant représenté dans les institutions proportionnellement à sa force électorale. Les décisions sont alors le fruit de compromis patiemment négociés.
12Notons qu'aux Pays-Bas et en Belgique, le mot néerlandais verzuiling (issu de zuil qui signifie pilier) a aussi été adopté par la littérature scientifique pour désigner ce même mode de régulation des conflits. Il a été retenu pour mettre en avant le caractère cloisonné d'une société composée de communautés distinctes, mais capables de soutenir, à la manière des colonnes d'un temple grec, la voûte de l’Etat grâce aux compromis conclus entre leurs élites respectives. En Belgique francophone, verzuiling est souvent traduit par le néologisme « pilarisation »17.
13Toujours du point de vue de la sociologie politique, il convient de relever encore combien la logique de la négociation et du compromis occupe également une place centrale dans l'élaboration et la mise en oeuvre des politiques sociales et économiques des Etats adeptes du régime dit « social-démocrate »18 ou « néo-corporatiste »19. Ce sont la Suède, l’Autriche et l'Allemagne qui offrent cette fois les modèles de référence, mais à plusieurs égards, la Belgique s'y rattache aussi20.
14La définition du « néo-corporatisme sociétal »21 est l'objet de controverses. Cependant, un consensus de plus en plus large paraît autoriser l'usage de ce terme pour désigner un double phénomène relativement précis : d'une part, un système de représentation des intérêts socio-économiques et, d'autre part, un mode d'élaboration et d'application des politiques publiques. Selon la première dimension, il s'agit d'un système d'intermédiation des intérêts caractérisé par un nombre limité de groupements (syndicats, patronat) « obligatoires, hiérarchisés, à l'abri de la concurrence, reconnus et admis par l'Etat ». Ces groupements bénéficient auprès de celui-ci « d'un monopole de représentation, dans la mesure où, en échange, ils réussissent à garantir un relatif contrôle sur la sélection de leurs dirigeants, sur le type de revendications exprimées par la base et le soutien dont elles font l'objet »22. Selon la seconde dimension, qui complète la première, il s'agit d'« un modèle institutionnel de formation des politiques publiques, au sein duquel les grandes organisations d’intérêt collaborent entre elles et avec les autorités publiques, non seulement en ce qui concerne l'intermédiation des intérêts, mais également en ce qui concerne l'allocation autoritaire des ressources et la mise en oeuvre de ces politiques »23.
15Cette double définition conduit, bien sûr, à faire de la négociation et de la concertation les techniques privilégiées des Etats néo-corporatistes pour ce qui concerne l'élaboration et la mise en oeuvre de leur législation sociale, voire de leur législation économique. Ce que la « structuration des intérêts sociaux en macro-organisations centralisées et reconnues par l'Etat rend possible », c'est, en effet, précisément « la mise en place d'une négociation collective centralisée »24.
III. Entre la réalité juridique de la norme imposée et la réalité politique de la convention négociée : le droit négocié « para-légalement »
16La question qui va retenir l'attention dans la présente étude peut maintenant se faire très précise. On vient de montrer que la négociation n'occupe qu'une place mineure dans les composantes juridiques du système belge de la décision publique, mais qu'elle occupe simultanément une place majeure dans les composantes socio-politiques de ce système, dans la mesure où celles-ci s'inscrivent, pour une large part, dans le modèle des démocraties consociatives et, à certains égards aussi, dans celui des Etats néo-corporatistes. Jusqu'où peut aller une telle dissociation entre la forme juridique et la réalité politique ? Jusqu'où la première peut-elle rester imperméable à la seconde ?
17Dans une très bonne étude consacrée à « la contractualisation corporatiste de la formation et de la mise en oeuvre du droit », Charles-Albert Morand répond à cette question par deux observations. Tout d'abord, il confirme que « le phénomène juridique ne colle pas à la réalité socio-politique qui le sous-tend» parce que la concertation qui traverse de plus en plus souvent le processus de formation et de mise en oeuvre des règles « n'emprunte pas nécessairement le moule contractuel et peut parfaitement intervenir dans la confection d'actes unilatéraux »25. Même quand elle est négociée avec les groupes d'intérêt, une loi reste une loi : « la qualification de l’acte, la procédure d'adoption ne sont en rien affectées par le processus réel de formation du droit »26. Mais une seconde observation vient aussitôt tempérer la première, tant il est vrai que « la réalité socio-économique » ne peut tout de même « pas être complètement gommée par le droit ». C'est, écrit le même auteur, « à l'occasion de l'application et de l'interprétation de l’acte » que cette réalité « resurgit »27. Les organes d'application d’une loi négociée sont fondés, en effet, à remonter aux négociations initiales pour déceler, le cas échéant, « la volonté des contractants »28.
18Cette double réponse est correcte, mais elle doit être complétée. Dans un certain nombre de cas, le processus réel de formation du droit affecte, non pas il est vrai la qualification de l'acte, mais bien sa validité. Dans la mesure où la qualité essentielle d'une règle de droit consiste précisément dans sa validité, on mesure l'importance du propos. Si l'on ajoute la constatation que les cas en question ne sont pas marginaux, mais qu'ils coïncident, au contraire, avec les normes les plus lourdes de signification pour le système constitutionnel et politique, on admettra que la démonstration vaut la peine d'être entreprise. C'est ce que l'on se propose de faire dans les lignes qui suivent à l'aide de trois exemples sélectionnés à partir de la théorie des trois clivages fondamentaux sous-jacents au système de la décision politique belge.
19Avant de présenter ces clivages et les exemples qui les illustreront, il convient encore de s'expliquer sur l'outil méthodologique qui permettra d'en faire l'analyse juridique. Cet outil est tiré de la théorie de la para-légalité dont on a posé les premiers jalons dans une étude antérieure29. On peut se limiter ici aux précision suivantes. Le concept de para-légalité est le fruit d'un travail de réélaboration appliqué à celui d'« infra-droit » dû aux sociologues du droit Jean Carbonnier et André-Jean Arnaud. On s'est largement inspiré des réflexions du second, mais on a intégré son concept d’« infra-droit » dans une théorie générale du droit distincte, de sorte qu'il a paru indiqué de lui donner un autre nom. On s’est notamment soucié de respecter les leçons de la théorie du pluralisme juridique. Celle-ci insiste, à juste titre, sur la véritable juridicité30 — et non « l'infra-juridicité » — que peuvent posséder, dans certaines conditions, des normes émises par des pouvoirs non-étatiques.
20On a pu alors définir la « para-légalité » comme un ensemble de normes juridiques présentant les quatre caractéristiques suivantes : 1° il s'agit de normes considérées comme légitimes et effectivement pratiquées par un mouvement social ou par une élite ; 2° une partie d'entre elles n'est pas conforme à des exigences fondamentales de la légalité étatique ; 3° l’ensemble de ces normes constituent un système juridique à la fois parallèle et concurrentiel par rapport au système du droit étatique ; 4° dans certaines conditions, ce rapport de concurrence peut conduire les normes para-légales à faire irruption dans ce système étatique et à s'y imposer en tout ou en partie, de manière stable ou précaire.
21La thèse que l'on défend ici peut alors s'énoncer comme suit. Quand les élites de mouvements sociaux puissants conviennent, par des accords dûment négociés, de respecter certaines règles de conduite bien précises, elles manifestent leur appartenance à une « société » apte à produire un ordre juridique. Habilitées à parler au nom de leur mouvement, constitué lui-même d'un réseau d'institutions juridiquement organisées, elles disposent d'un critère de reconnaissance mutuelle et de certaines formes de sanction contre ceux qui transgresseraient les règles convenues. Certaines de ces règles peuvent être contraires à des dispositions essentielles de l'ordre juridique étatique, mais la pression qu'elles exercent sur celui-ci en raison de leur effectivité et de leur légitimité (au moins dans l'esprit de leurs auteurs) peut finir par triompher et conduire à leur reconnaissance officielle, malgré leur invalidité initiale. Ces règles para-légales tirent une part essentielle de leur force précisément de leur caractère négocié. C'est parce qu'elles bénéficient du consensus d'acteurs sociaux puissants qu'elles sont à même de vaincre les obstacles que leur opposent les règles unilatérales du droit étatique. Il en va particulièrement ainsi quand ces acteurs coïncident avec les dirigeants des familles politiques, ou ceux des partenaires sociaux, ou encore ceux des communautés culturelles, que les théories présentées ci-dessus de la démocratie consociative et du néo-corporatisme identifient comme les principaux agents des décisions politiques les plus importantes. Les trois exemples tirés du droit public belge que nous allons développer montreront que le droit négocié para-légalement par de tels acteurs est spécialement capable de forcer le droit étatique à accepter des règles foncièrement inconstitutionnelles. On ne saurait faire de telles observations sans réfléchir aux questions éthiques qu'elles suscitent. Aussi, c'est à une réflexion de cette nature que seront consacrées les conclusions.
22Les lois dites du pacte scolaire et du pacte culturel offriront le premier exemple de ce droit négocié para-légalement et transformé en droit étatique imposé. Ces deux lois illustrent de façon paradigmatique le mode de régulation privilégié de la première31 des tensions fondamentales qui caractérisent la démocratie consociative belge : la tension entre ce qu'on appelle « le monde catholique »32 et ce qu'on appelle de façon plus problématique le « monde de la laïcité »33 à propos de la place des courants de pensée et de croyance dans l’espace public d'une société pluraliste.
23La loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires formera le deuxième exemple. Elle met en place un vaste régime de droit négocié qui est bien connu, mais sur lequel il vaut la peine de revenir. Ce qu'il faudra souligner surtout, c'est qu'elle trouve elle-même sa source dans du droit négocié para-légalement. Tant le processus d'élaboration que le contenu de cette loi illustrent, de façon à nouveau paradigmatique, le mode de régulation privilégié, de type néo-corporatiste en l'occurrence, de la seconde des tensions fondamentales qui structurent la vie socio-politique belge : la tension entre les groupes porteurs des différents facteurs de la production à propos du « partage de la valeur ajoutée entre salaires et profits »34 ainsi que du contrôle du pouvoir économique.
24Enfin, la loi spéciale du 5 mai 1993 sur les relations internationales des Communautés et des Régions, plus particulièrement son article 3 relatif aux traités mixtes, constituera le troisième exemple de droit négocié para-légalement. Elle illustre très bien un nouveau mode de régulation de type consociatif qui s'applique, cette fois, à la troisième des tensions fondamentales de la société belge : la tension entre les Communautés flamande et francophone à propos de la forme d'organisation de l'Etat.
IV. Le droit négocié para-légalement et la régulation des tensions idéologiques et philosophiques. L'exemple des lois de pacification scolaire et culturelle
25Une démocratie consociative recourt fréquemment à une « politique de pacification » dont on connaît bien maintenant les caractéristiques dominantes. Ce mode de régulation consiste dans la conclusion de pactes politiques destinés à pacifier un conflit aigu opposant les « piliers » du système. Leur négociation obéit, en général, aux six règles du jeu suivantes35. Supposant ce qu'on doit appeler, de manière non polémique, une « particratie », elle met en présence les présidents des partis politiques de la majorité et, souvent aussi, ceux de l'opposition. Elle a lieu en petit comité, en dehors de l'enceinte parlementaire, dans la discrétion, sinon le secret. Elle cherche à « dédramatiser » et à « dépolitiser » le conflit en mettant l'accent sur ses composantes techniques. Elle repousse les discussions doctrinales et favorise les solutions pragmatiques. Fondée cependant sur un principe de tolérance, elle présuppose que chacun des partenaires a le droit d'exister et de disposer des instruments nécessaires pour se développer. Enfin, elle conduit souvent à un compromis fondé sur une répartition à la proportionnelle des moyens d'influence.
26Toutes ces caractéristiques se retrouvent dans la négociation du pacte scolaire du 20 novembre 195836 comme dans celle du pacte culturel du 24 février 197237. La démonstration en a été faite par des études auxquelles on se permet de renvoyer38. Ce qui doit retenir l'attention ici, c'est le rapport qui s'est noué entre ces pactes et la législation étatique. Le premier pacte est à la source de la loi du 29 mai 1959 modifiant certaines dispositions de la législation de l'enseignement39. Cette loi a fait office de norme fondamentale en matière d'enseignement jusqu'à la révision constitutionnelle de 1988 qui en a repris les principes essentiels. Le second pacte a trouvé sa traduction législative dans la loi du 16 juillet 1973 garantissant la protection des tendances idéologiques et philosophiques40. Cette loi pose encore toujours les principes généraux applicables à toutes les politiques culturelles publiques, quel que soit le pouvoir dont elles émanent.
a) L'article 15 du pacte scolaire
27L'article 15 du pacte scolaire prescrit qu'« en fait » — l'expression est déjà révélatrice — « les fonctions d'institutrice gardienne, d'instituteur primaire et de régent dans l'enseignement de l'Etat seront accordées par priorité aux porteurs d'un diplôme de l'enseignement non confessionnel. En ce qui concerne les licenciés, la priorité sera accordée aux porteurs d'un diplôme d'un établissement non confessionnel, sous cette réserve qu'il sera veillé à admettre un pourcentage de diplômés de l'enseignement confessionnel égal au pourcentage moyen des deux précédentes législatures ». Cette norme ne paraît pas conciliable avec la Constitution. Elle suppose que les diplômés de l'enseignement libre, constitué à plus de 90 % d'écoles catholiques, ne présentent pas l'aptitude requise de la part des maîtres de l'enseignement officiel à respecter le principe de neutralité qui régit celui-ci. Or, comme l'avait rappelé le constitutionnaliste Paul De Visscher trois ans avant la conclusion du pacte41, les règles constitutionnelles de l'égal accès aux emplois publics et de la liberté d'opinion interdisent des distinctions dans l'admission à ces emplois fondées sur le seul fait d'adhérer à une opinion déterminée. « L'accès aux emplois d’enseignement public réclame uniquement dans le chef des maîtres, une aptitude professionnelle. Cette aptitude est attestée par le diplôme et, dès l'instant où la loi (…) reconnaît l'équivalence entre les diplômes délivrés par l'enseignement officiel et par l'enseignement libre, tout Belge porteur du diplôme exigé par la loi est admissible aux emplois dans l'enseignement officiel, sans distinction d'origine, d'opinion ou de culte »42.
28Les négociateurs du pacte scolaire sont des personnalités responsables des trois partis nationaux, par delà le clivage majorité-opposition. Ils sont conscients de l'inconstitutionnalité de l'article 15. Mais ils finissent par tomber d'accord, après de longues discussions, pour considérer que celui-ci n’en est pas moins indispensable en tant que monnaie d'échange concourant à rendre acceptable aux yeux du « monde laïc », soutenu par les socialistes et les libéraux, le financement public des écoles libres, soutenues par les sociaux-chrétiens. Au cours des discussions, le président du Parti socialiste, Léo Collard, ajoute l'argument suivant : « quant aux nominations, nous n'intervenons pas dans l'enseignement libre, celui-ci n'a donc pas à nous envoyer des professeurs dans l'enseignement officiel. Ce serait une source de frictions fondamentales. C'est un droit de l'Etat d'accorder la priorité à ceux qui sortent de son enseignement »43. Les sociaux-chrétiens, en contact étroit avec le bureau central de l’enseignement catholique, tentent de s'opposer à cette revendication, mais de guerre lasse, ils finissent par admettre la formule de compromis fondée sur cette priorité — et non l'exclusion — des diplômés de l'enseignement non confessionnel et sur cette limite à ladite priorité exprimée en pourcentage. Ils doivent bien constater, en effet, que c'est une des conditions sine qua non du pacte dans son ensemble44.
29Les négociateurs croient cependant pouvoir échapper à tout reproche juridique en laissant la disposition en question en dehors de la traduction législative du pacte. Celui-ci, pensent-ils, n'est qu'un « accord de pur droit privé » que les partis politiques qui ne sont que des « associations de fait » ont le droit de conclure en dehors du Parlement45. Léo Collard avait exprimé la même idée au cours des négociations comme suit : « nous ne prétendons pas exiger une priorité légale mais une priorité de fait. Nous ne cherchons pas ici à établir un texte législatif mais à conclure un pacte »46.
30Faut-il le dire ? Cette argumentation n'est pas convaincante. Elle se heurte à deux objections. Tout d'abord, l'illicéité d'une convention privée ayant pour objet de répartir des emplois publics est patente. Certes, l'inconstitutionnalité de l'article 15 échappe à toute sanction, car précisément le pacte n'a même pas la valeur d'un contrat au sens de l'article 1134 du Code civil. Mais on ne s'en trouve pas moins devant ce que les civilistes appellent une fraude à la loi. Les partis croient pouvoir se soustraire au respect d'une règle constitutionnelle par l'utilisation intentionnelle d'un moyen efficace qui rend ce manquement inattaquable directement sur le terrain du droit positif étatique. Il faut souligner ensuite, c'est la deuxième objection, que ledit manquement est cependant attaquable indirectement, à travers son prolongement législatif. En effet, la loi du 29 mai 1959 n'a pas pu s'empêcher de faire écho à l'article 15 du pacte dans la définition qu'elle fournit du caractère neutre d'un établissement d'enseignement. Selon l'article 2, alinéa 4, a, « sont réputées neutres » les écoles « qui respectent toutes les conceptions philosophiques ou religieuses des parents qui confient leurs enfants et dont au moins deux tiers du personnel enseignant sont porteurs d'un diplôme de l’enseignement officiel et neutre ». Une loi du 11 juillet 197347 toujours en vigueur a remplacé cette clé des deux tiers par celle de trois quarts. Il est permis de juger cette norme inconstitutionnelle, dans la mesure où elle présuppose nécessairement l'application de l'article 15 du pacte lui-même.
31Pendant des années, la doctrine, sans doute soucieuse de contribuer à son tour à la pacification tant recherchée, est restée particulièrement discrète à cet égard. Aujourd'hui, le débat est à nouveau ouvert48, mais il n'y a pas lieu de le prolonger ici. Il suffit, pour notre propos, de conclure que l'article 15 du pacte scolaire est, en effet, un bon exemple de norme para-légale issue d'une négociation entre les élites des trois mondes sociologiques dominants et ayant réussi à s'imposer dans le droit positif étatique unilatéral malgré son inconstitutionnalité. Et il faut ajouter — même si l'on n'a pas le temps de le montrer plus amplement ici — que le pacte scolaire est aussi un exemple frappant de droit négocié para-légalement au stade de sa mise en oeuvre. On sait, en effet, que les négociateurs du pacte ont institué une « Commission permanente du pacte scolaire » destinée à examiner les principaux projets de loi et d'arrêtés déposés en vue de pourvoir à l'exécution du pacte. Cette commission n'a jamais été officialisée. Restée dans la para-légalité, elle n'en a pas moins maîtrisé très largement l'élaboration des nombreuses normes prises en application de la loi du 29 mai 1959, ainsi que les modifications qui lui ont été apportées. Enfin, last but not least, on doit savoir encore qu'il est arrivé au Conseil d'Etat de fonder certaines interprétations de ladite loi, non seulement sur le texte du pacte scolaire qui fait partie des travaux préparatoires, mais aussi sur certaines résolutions adoptées par la Commission du même nom49.
b) L'article 24 du pacte culturel
32Si l'on se tourne à présent vers le pacte culturel, on peut faire des observations analogues à propos de son article 24. Celui-ci énonce :
33« Pour ce qui concerne le statut des membres du personnel exerçant des fonctions culturelles :
34le recrutement, la désignation, la nomination et la promotion du personnel statutaire et du personnel recruté sous contrat dans tous les organismes publics de la politique culturelle se fera selon le principe de l'égalité des droits sans discrimination idéologique ou philosophique (…) et selon les règles de leur statut respectif, en tenant compte cependant de la nécessité :
- d’une répartition équilibrée des fonctions, attributions et affectations entre les différentes tendances représentatives,
- d'une présence minimale pour chacune des tendances,
- d'éviter tout monopole ou toute prédominance abusive de l'une de ces tendances ».
35Cette disposition consacre la volonté de tous les partis politiques de l'époque, ceux de la majorité comme ceux de l'opposition, de veiller à un équilibre « idéologique et philosophique » dans les nominations des membres du personnel des services publics culturels. La pratique des nominations influencées par les appartenances politiques des candidats et par un certain souci d’équilibre entre celles-ci est presqu'aussi ancienne dans la fonction publique belge que la fondation de l'Etat. C'est d’ailleurs une constante observable dans toutes les démocraties consociatives. Pourquoi les partis veulent-ils alors en faire une norme convenue de façon explicite, précisément en 1972 et dans le seul domaine des matières culturelles ? La création par le Constituant, en 1970, des deux Communautés culturelles flamande et francophone et l’octroi à celles-ci du pouvoir de faire la loi dans ces matières l'expliquent. Les partis devenus minoritaires à l'intérieur de ces nouvelles collectivités politiques redoutent de subir un flux de nominations exclusivement favorables aux partis majoritaires. Mais il se fait que les tendances majoritaires dans une Communauté correspondent aux tendances minoritaires dans l'autre et vice versa. On comprend aisément qu'il y avait là une occasion de négocier un accord de nature à pacifier les conflits idéologiques et philosophiques qui menaçaient de diviser les Communautés à peine nées. Cet accord est immédiatement trouvé dans le principe de proportionnalité. Les tendances minoritaires reçoivent ainsi une double assurance : celle, négative, de ne pas être exclues de la composition des services publics culturels et celle, positive, d'y participer dans une mesure plus ou moins proportionnelle à leur force numérique au sein de l'assemblée représentative de leur Communauté. Tel est le fondement politique de l’article 24 du pacte culturel.
36Celui-ci n'en pose pas moins un problème de constitutionnalité aigu. Au nom de l'égalité collective des tendances idéologiques et philosophiques représentatives, il viole les règles combinées de l'égalité individuelle d'accès aux emplois publics, du droit individuel au respect de la vie privée — qui comprend le droit au secret des appartenances politiques — et de la liberté d'opinion — qui comprend celle d'adhérer à une tendance non représentative. Les signataires du pacte savent que ces objections n'ont pas été jugées décisives par le Conseil d'Etat dans un arrêt surprenant rendu le 25 juillet 1968. Celui-ci avait, en effet, admis la validité d'une nomination dans le service public flamand de la radio-télévision (B.R.T.) faite en exécution d’un autre accord politique datant lui du 2 août 1960, et énonçant déjà le même principe de proportionnalité. Les négociateurs ont-ils connaissance d’un avis de la section de législation du Conseil d'Etat rendu dans l'intervalle, le 8 mai 1970, dans lequel il apparaît qu'une partie des membres du Conseil désavouent l’arrêt de 68 ? Nous n’en savons rien.
37Toujours est-il qu'au moment de la discussion parlementaire consacrée à l'élaboration de la loi destinée à transformer en règles de droit étatique les dispositions convenues dans le pacte, la décision est prise de ne pas consulter la section de législation du Conseil d'Etat. Les doutes exprimés par certains députés sur la constitutionnalité de l'article 20 qui transpose l'article 24 du pacte presque dans les mêmes termes sont alors dissipés, sans débat, par une référence acritique à l'arrêt de 1968.
38L'inconstitutionnalité de l'article 20 de la loi du 16 juillet 1973 n'apparaîtra au grand jour que bien plus tard, dans un arrêt rendu par la Cour d'arbitrage le 15 juillet 199350. Voilà donc un deuxième exemple particulièrement clair de règle de droit négociée para-légalement par les partis politiques gardiens des équilibres de la démocratie consociative belge, et greffée avec succès sur l’ordre juridique étatique pendant vingt ans malgré son inconstitutionnalité. Enfin, comme à propos du pacte scolaire, il faut ajouter que c'est aussi un exemple significatif de droit négocié au stade de la mise en oeuvre. En effet, les négociateurs du pacte culturel ont mis en place une Commission nationale permanente du pacte culturel composée de représentants de tous les groupes politiques des Conseils de Communauté. A la différence de la Commission permanente du pacte scolaire, celle-ci a été réinstituée par la loi. Elle a reçu pour mission de contrôler l’observance des dispositions légales en émettant des avis sur les plaintes qui peuvent être introduites par les victimes de la violation de ces dispositions. Dans la mesure où ces avis sont élaborés au terme d'une concertation associant tous les partis et où ils sont souvent respectés dans la pratique, on peut y voir une forme de contractualisation de la mise en oeuvre de la loi51.
V. Le droit négocié para-légalement et la régulation des tensions socio-économiques. L'exemple de la loi sur les conventions collectives de travail
39La loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires52 trouve sa source dans une série d'accords collectifs conclus par les organisations patronales et les syndicats en vue de régler les relations entre employeurs et travailleurs. En général, ces accords étaient effectivement respectés, alors qu'ils n'étaient pas encore reconnus par le droit étatique. Forte de cette pratique antérieure, la loi reçoit sa formulation après de « laborieuses tractations » que Lucien François résume comme suit. Elles se déroulèrent, « non pas parmi les organes du pouvoir législatif, mais entre certains d'entre eux et des puissances extérieures au Parlement : rien ne se fit sans l'accord des organisations traditionnellement liées au pouvoir politique, avec lesquelles on ne cessa pas de négocier pendant que délibérait la Commission du Sénat. Et cet accord, une fois obtenu, fut aussi suffisant qu'il avait été nécessaire : les Chambres votèrent le projet, ou plutôt entérinèrent la décision à l'unanimité, sans rien y changer, et sans véritable débat »53.
40On se trouvait pourtant, ici encore, face à un problème de constitutionnalité non négligeable. Il réside dans la nature juridique très particulière des conventions collectives de travail. Celles-ci se définissent, faut-il le rappeler ?, comme des accords conclus entre une ou plusieurs organisations de travailleurs et une ou plusieurs organisations d'employeurs ou un ou plusieurs employeurs en vue, d’une part, de déterminer les relations individuelles et collectives entre employeurs et travailleurs au sein d'entreprises ou de branches d'activités et, d'autre part, de régler les droits et obligations des parties contractantes54. Elles peuvent être conclues soit au sein, soit en dehors d'un organe paritaire.
41Les conventions conclues en dehors d'un organe paritaire ne s'imposent pas seulement aux organisations représentées et aux employeurs qui y adhèrent individuellement. Elles lient aussi les employeurs qui sont membres de ces organisations, ceux qui en deviennent membres ultérieurement et ceux qui sont membres d'une organisation qui y adhère. Elles lient encore, et surtout, tous les travailleurs que ces employeurs occupent, qu'ils soient syndiqués ou non55. Quant aux conventions conclues au sein d'un organe paritaire, leurs clauses relatives aux relations individuelles entre employeurs et travailleurs lient, de manière plus large encore, tous les employeurs et travailleurs qui relèvent de l'organe paritaire, à moins que le contrat de louage de travail individuel ne contienne une clause écrite contraire à la convention56.
42Comme l'écrit Michel Leroy, « l'effet "contractuel" de ces conventions dépasse donc, et de loin, les parties présentes ou représentées » lors de leur négociation et de leur signature. « Il s'étend à des personnes à l'égard de qui aucun mandat, effectif ou présumé, ne peut être invoqué »57. Autrement dit, les conventions collectives de travail ont, sur le plan de leurs effets, une nature réglementaire. Lucien François en conclut, à juste titre, qu'elles portent mal leur nom. Le terme de « règlement convenu » ou de « règlement négocié » eût été bien plus approprié58. Mais il aurait trahi ce que le législateur a manifestement voulu occulter, à savoir une ample délégation de pouvoir à des organes qui ne sont pas institués par la Constitution.
43Celle-ci n'a prévu nulle part l'attribution par le pouvoir législatif « à des ensembles d'associations librement créées par des particuliers » du pouvoir « de réglementer impérativement, même sans intervention royale, la vie professionnelle d'une importante partie de la population »59. Or, l'article 33, al. 2, de la Constitution exige que tous les pouvoirs soient « exercés de la manière établie par la Constitution ». La doctrine déduit depuis longtemps de ce principe fondamental que tous les pouvoirs publics sont d'attribution. Cela signifie qu'ils sont inaliénables et intransmissibles60 et que les délégations de pouvoir — appelées parfois « subdélégations » par référence à la délégation initiale réalisée par le pouvoir constituant au nom de la Nation — sont, en principe, illicites61. La notion de délégation suppose un droit, une compétence ou une fonction dont on est titulaire et dont on dispose de sa propre autorité, sans y être habilité. Un particulier dispose de ses droits subjectifs. Mais un pouvoir public institué par la Constitution pour exercer des compétences déterminées dans l'intérêt général n'a aucun droit subjectif sur l'exercice de celles-ci. Il est tenu par les règles constitutionnelles répartitrices des attributions et des compétences. Certes, la doctrine et la jurisprudence admettent, par réalisme, une interprétation souple de la règle de l'interdiction des subdélégations. Si celles-ci ne portent que sur des points de détail ou sur des mesures secondaires ou accessoires, on ne doit pas les juger illicites62. Mais force est de constater que l'on n'est pas ici dans cette hypothèse. On ne peut donc que conclure, avec Lucien François, à l'inconstitutionnalité de la loi du 5 décembre 1968 en ce qu'elle délègue « un pouvoir quasi législatif à des ensembles d'associations de particuliers sans même que l'intervention d'un des organes traditionnels de la puissance publique soit requise pour donner effet à leurs règlements »63.
44Une partie de la doctrine et la section de législation du Conseil d’Etat elle-même64 ont déployé de grands efforts pour éviter cette conclusion gênante, mais aujourd'hui elle n'est plus guère contestée65. Aussi, quelques auteurs ont, en désespoir de cause, mais de manière très révélatrice pour notre propos, suggéré de recourir à la notion (controversée) de coutume constitutionnelle pour tenter de valider la loi malgré tout. Leur argumentation étaye bien la thèse ici défendue de la para-légalité.
45Ainsi, Michel Leroy écrit : « Tous les éléments constitutifs de la coutume sont (…) réunis : c'est de manière répétée que le législateur a permis ou provoqué l’éclosion de corps réglementants qui échappent à l'emprise directe du gouvernement ; ceux-ci usent quotidiennement de leur pouvoir et le caractère obligatoire des règles qu'ils établissent est unanimement reconnu (…) »66. Dans la mesure où il s'agit, en l'occurrence, d'une coutume contra legem, on peut dire que tous les éléments constitutifs de la para-légalité sont réunis également : 1° la prétention des organisations patronales et syndicales représentatives à exercer « une fonction législative spéciale et subordonnée »67 en matière sociale, à travers la négociation et la conclusion de conventions collectives, est le fruit d'une longue pratique jugée légitime par le mouvement ouvrier, le patronat et le Parlement ; 2° cette prétention n'est pas conforme à des exigences fondamentales de la légalité étatique ; 3° cette contrariété n'a pas empêché les normes arrêtées dans ces conventions de constituer un ordre juridique — celui que forme le milieu professionnel — à la fois parallèle et concurrentiel par rapport au système de droit étatique ; 4° aussi, l'effectivité et la légitimité68 de cet ordre ont conduit le mode para-légal de production de normes qui le sous-tend à se faire admettre, moyennant des raisonnements boiteux, dans le système des sources officielles du droit étatique.
46On l'a souligné, la théorie de la para-légalité s'inscrit dans le droit fil de la théorie du pluralisme juridique. On ne sera donc pas étonné en observant que celle-ci avait déjà permis à Santi Romano de fournir l'analyse la plus correcte de la nature juridique des conventions collectives. En effet, à un moment où la loi italienne ne réservait pas encore à ces dernières de régime spécial, l'éminent théoricien pouvait écrire ceci : « il y a là (…) un phénomène juridique à double face qui ne peut s’expliquer entièrement qu'en admettant qu’il se développe par des manifestations simultanées mais différentes, voire opposées, dans chacune des sphères propres de deux ordres juridiques distincts. Le premier est celui de l'Etat, pour lequel la figure du contrat est, du moins en principe, la seule admise. Tout ce qui n'y peut tenir ne bénéficie pas de la protection de cet ordre et risque même que celui-ci le déclare illicite. Le second est cet ordre particulier que réalisent une ou plusieurs institutions constituées par des groupes d'entrepreneurs et d'ouvriers ; et ce qui est un contrat pour le droit étatique représente, dans l'autre ordre, un système en soi de droit objectif, plus ou moins autonome, qui règne au sein de l'organisation grâce aux moyens dont elles disposent. Moyens qui, aux yeux de l'Etat, peuvent bien être extra-ou antijuridiques cependant qu'au contraire, ils sont légitimes pour le régime spécial en question. Quand l'avis général constate que les lois étatiques sur une certaine matière sont inadéquates, cela signifie simplement qu’à côté de ces lois et parfois contre elles se sont peu à peu constitués des ordres et qu'ils demandent (…) à être reconnus légalement (…) »69.
47Avant de passer au troisième exemple et, par conséquent, au troisième grand clivage de la société belge, quelques mots encore à propos de la tension entre le droit négocié para-légalement et le droit étatique unilatéral. Il est intéressant, en effet, de relever que cette tension n'a pas disparu aujourd'hui dans le droit des relations collectives de travail.
48Plus de vingt ans après la promulgation de la loi, la section d'administration du Conseil d'Etat a eu le courage de renverser sa jurisprudence traditionnelle. Celle-ci était fidèle à la fiction contractuelle instituée par le législateur pour masquer l'inconstitutionnalité de son oeuvre. Elle jugeait donc que les conventions collectives n'étaient pas des règlements ni les commissions paritaires des autorités administratives. Dans un arrêt du 12 avril 1989, elle rompt avec cette fiction et requalifie ces actes négociés en actes unilatéraux par le considérant suivant : « la loi (…) définissant, en son article 5, la convention collective de travail la qualifie d"'accord" ; (…) elle détermine toutefois les effets des conventions collectives comme si elles étaient non pas des "conventions légalement formées" faisant la loi des parties au sens de l'article 1134 du Code civil, mais, même si leur force obligatoire n'est pas étendue par un arrêté royal, des règlements nécessairement issus d'une négociation, règlements formés par convention entre associations "représentatives" (…), ou entre employeurs et de telles associations ; (…) le nom de convention laissé à ces sources de normes tient à une tradition ainsi qu'aux conditions spécifiques de formation qui les caractérisent et ne signifie pas que leurs effets juridiques seraient analogues à ceux du contrat plutôt qu'à ceux des règlements, puisque la partie dite normative qui est la partie principale de la plupart des conventions collectives s'impose, en vertu notamment des articles 19, 20, 21, 22, 23, 26, 27 et 51 de la loi (…), à titre tantôt impératif, tantôt supplétif, et sans qu'un arrêté royal y soit nécessaire, à un ensemble de personnes qui n'ont pas nécessairement consenti ni même participé à l'élaboration de ces dispositions générales, lesquelles leur confèrent d'autorité des droits et des obligations (…) »70.
49Voilà enfin la nature réglementaire des conventions collectives reconnue sans détour. Mais le Conseil d'Etat n’a pas le temps de rouvrir les débats pour trancher la deuxième question que pose son éventuelle compétence au contentieux de l'annulation à l'égard de ces conventions — celle de savoir si l'on peut considérer l'ensemble de ceux qui ont le pouvoir de conclure pareil acte comme une autorité administrative — que le pouvoir législatif intervient71. C'est pour compléter l'article 26 de la loi par la disposition suivante : « Le Conseil d'Etat, section d'administration, ne peut prononcer l'annulation au sens de l'article 14, alinéa 1er, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, de la convention conclue dans un organe paritaire ». L'intention du législateur est manifestement d'empêcher le revirement de jurisprudence du Conseil d'Etat de produire ses effets. Retour à la fiction ? Non, car plus personne n'y croira, mais retour à un régime d’exception. Comme l'écrit Michel Leroy, « la convention collective est bien un règlement, mais un règlement dont le Conseil d'Etat ne peut prononcer l'annulation, par dérogation à la règle générale »72. Il est décidément difficile d'intégrer harmonieusement le droit négocié para-légalement dans le droit étatique.
50Mais l'affaire ne s'arrête pas là. Il était tentant d'interroger la Cour d’arbitrage sur la compatibilité avec le principe constitutionnel d’égalité d’une loi qui traite différemment, d’une part, les personnes qui, justifiant d’un intérêt à l’annulation de dispositions réglementaires, peuvent exercer un recours contre celles-ci devant le Conseil d’Etat et, d’autre part, les personnes qui, justifiant aussi d’un intérêt à l’annulation de dispositions règlementaires, se voient privées d’un tel recours pour le seul motif que celles-ci sont contenues dans une convention collective conclue au sein d’un organe paritaire. Un recours fondé notamment sur ce moyen est effectivement introduit73. Mais dans son arrêt du 19 mai 199374, la Cour d’arbitrage le rejette. C’est au terme d’un raisonnement très intéressant, en trois temps comme souvent dans le contentieux de l’égalité, que l’on peut résumer comme suit.
51Premier temps : le critère de distinction est objectif. Pour démontrer cette assertion, la Cour se prononce sur la nature juridique des conventions collectives. Elle confirme, en l’occurrence, la nouvelle analyse du Conseil d’Etat : pareilles conventions contiennent bien des dispositions réglementaires. Mais, précise-t-elle aussitôt, « contrairement aux règlements ordinaires, en principe unilatéraux quant à leur formation et pas seulement quant à leurs effets, une convention conclue dans un organe paritaire est le résultat de négociations entre une ou plusieurs organisations de travailleurs et une ou plusieurs organisations d’employeurs, lesquelles, de surcroît, poursuivent de manière légitime la satisfaction d’intérêts privés. Cette spécificité constitue, entre les conventions collectives de travail, d’une part, et les autres actes réglementaires, d’autre part, une différence objective ». C’est donc la particularité d’un droit imposé quant à ses effets, mais négocié quant à son élaboration, que la Cour souligne. Elle pourrait justifier un régime juridique distinct, pour autant que les autres conditions découlant des règles constitutionnelles de l’égalité et de la non-discrimination soient respectées.
52Le deuxième temps du raisonnement est consacré à l’examen de deux de ces conditions supplémentaires : le but poursuivi par le législateur doit être légitime et la mesure adoptée doit respecter un rapport raisonnable d’adéquation au regard de ce but. La Cour constate que la loi contestée s'inscrit dans une tendance déjà ancienne qui consiste à « réserver aux conflits de travail un traitement juridictionnel spécifique ». Elle pose alors une double appréciation : d’une part, cette tendance « n'est pas, en soi, illégitime » et, d'autre part, sa confirmation à propos du contrôle de légalité des conventions collectives à travers la mesure consistant à exclure la compétence du Conseil d'Etat « peut se justifier par un souci de cohérence ». Cette mesure est donc « fondée sur une différence objective susceptible de justifier un traitement différencié », pour autant qu'une dernière condition — le principe de proportionnalité — ne soit pas méconnue.
53C'est à l’examen du respect de ce principe que le troisième temps de l'analyse est consacré. La mesure litigieuse ne peut pas comporter une atteinte aux droits et libertés excessive eu égard à l'objectif poursuivi. La Cour dit d'emblée que si l'exclusion de la compétence du Conseil d'Etat avait pour effet de prémunir les conventions collectives de tout contrôle substantiel de légalité, elle serait disproportionnée : « une catégorie de personnes serait alors effectivement privée de la sorte d'une garantie juridictionnelle essentielle ». Mais la Cour montre que « tel n'est cependant pas le cas en l'espèce ». Et de rappeler qu'il appartient encore toujours aux juridictions du travail de constater, le cas échéant, la nullité d'une convention collective, par application de l'article 107 (devenu 159) de la Constitution, à l'occasion des litiges individuels relatifs à son application qui relèvent de leur compétence.
54Ce raisonnement est convaincant. Mais il ne saurait faire oublier que si le législateur a créé en 1946 le recours en annulation pour excès de pouvoir devant le Conseil d'Etat, c'est précisément parce qu'il a compris que les garanties juridictionnelles déjà existantes, notamment l’exception d'illégalité instituée par l'article 107 (devenu 159) de la Constitution, offrent aux administrés une protection insuffisante contre l'arbitraire administratif75. Seul le recours en annulation permet à tous les intéressés d'attaquer directement une convention collective illégale et d'en obtenir une annulation erga omnes. La Cour d'arbitrage le reconnaît du reste. Mais elle admet que cette garantie soit écartée dans la mesure où le législateur lui a conféré une valeur moindre que le monopole des juridictions du travail dans les matières sociales. On doit alors se rappeler ce qui fait la spécificité de ces juridictions. Cette spécificité, la Cour la souligne au passage, c’est « leur composition paritaire ». Il est permis de retrouver ici ce qui apparaît comme une des constantes du droit négocié. Quand la négociation régit la formation d'une norme, elle tend à se prolonger en quelque façon au stade de la mise en oeuvre et du contrôle de son application.
55Ce remarquable arrêt met-il fin à la tension que nous avons relevée entre le droit négocié para-légalement et le droit étatique ? Il faut répondre à cette question par la négative. Car avec lui, la thèse de la nature réglementaire des conventions, encore controversée naguère, a reçu un appui décisif. L'impertinente question de la constitutionnalité des dispositions de la loi du 5 décembre 1968 relatives à leurs effets n'en est que plus… pertinente. Mais quel est le juge belge qui aurait l'outrecuidance de l'adresser à la Cour d'arbitrage ? Plutôt que de mettre celle-ci devant un cas de conscience douloureux, ne serait-il pas temps de conduire le processus d'intégration du droit des conventions collectives dans le droit étatique jusqu’au bout, par une révision constitutionnelle en bonne et due forme ? La Constitution reconnaîtrait alors clairement la réalité du pouvoir juridique détenu, en toute légitimité démocratique, par les organisations patronales et syndicales. Pour celles-ci, il est permis de juger le temps de la para-légalité révolu. On ne voit plus aucune raison valable de tenir les piliers juridiques du néo-corporatisme en dehors de la règle suprême de l'Etat.
VI. Le droit négocié para-légalement et la régulation des tensions communautaires. L'exemple du droit des traités mixtes
56On sait que l'Etat belge tente de trouver, depuis 1970, un mode de régulation des tensions entre les Communautés flamande et francophone du pays dans les principes du fédéralisme. Dans une autre étude, nous nous sommes attaché à rappeler les grandes étapes de la genèse de ce fédéralisme depuis la fondation de l'Etat unitaire de 1830 jusqu'à la révision constitutionnelle de 1970. L'application du concept de para-légalité à cette histoire a permis de distinguer et d'articuler la part de l'analyse sociologique et celle de l'analyse juridique qu'elle justifie. Des temps forts ont été mis en exergue : notamment les années 1932-1938 et, bien sûr, la décennie 1960-1970. C’est particulièrement au cours de ces périodes que l'on voit le mouvement social flamand faire progresser son idée de droit fédérale, de nature para-légale, en arrachant du droit étatique officiellement encore unitaire des réalisations anticipées de celle-ci. Certes, la règle constitutionnelle reste intacte pendant ce temps. Mais nous avons montré qu'en-dessous d'elle, les couches législative, réglementaire, administrative et jurisprudentielle du droit étatique accueillent, grâce à la complicité plus ou moins délibérée des organes responsables, des réformes déjà décisives.
57On connaît les mots historiques prononcés par le Premier ministre Gaston Eyskens en 1970 : « l'Etat unitaire est dépassé par les faits ». Il faut corriger cette assertion. L'Etat unitaire était déjà dépassé à ce moment par le droit, et par le droit étatique lui-même. La greffe de l'idée para-légale de fédéralisme culturel sur ce droit était déjà entamée, et avec succès. Nous l'avons rappelé, en particulier, à propos de la loi du 2 août 1963 réglant l'emploi des langues en matière administrative, dont l'inconstitutionnalité est bien connue des publicistes. Nous l’avons montré aussi et surtout à propos de la loi organique des Instituts de la radiodiffusion-télévision belge du 18 mai 1960, telle qu'elle a été interprétée par la B.R.T. et — il faut le souligner — par le Conseil d'Etat lui-même dans son arrêt Moulin et De Coninck du 6 avril 196676.
58On voudrait ici prolonger cette analyse en suggérant que l'histoire est en train de se répéter aujourd'hui, à la seule différence que, cette fois, c'est une idée de droit confédérale qui se développe dans la para-légalité en parallèle et en concurrence avec l'idée de droit fédérale désormais reconnue par le droit étatique77. Précisons d'emblée que, par ce propos, l'on ne veut pas seulement répéter, à la suite de plusieurs observateurs, que la Belgique étant dominée par deux grandes Communautés, ses nombreuses institutions paritaires présentent fatalement, sur le plan politique, quelques ressemblances avec des institutions confédérales toujours menacées par le droit de veto d'une de leurs composantes. Cette observation a été faite depuis plusieurs années et il est inutile d'y revenir78. Ce que l'on voudrait souligner, c'est, plus profondément, la présence agissante dans les marges du droit étatique d'une idée de droit confédérale assumée volontairement par certains acteurs politiques. Pour ceux-ci, la logique fédérale n'est plus l'idéal régulateur qui doit animer le fonctionnement des institutions, qu’elles soient paritaires ou non.
59Que signifie cette logique fédérale et en quoi se distingue-t-elle de la logique confédérale ? Elle signifie que l'Etat fédéral respecte l'autonomie de ses composantes, mais pas au point de perdre son unicité. A la différence d'une confédération d'Etats, il reste capable de prendre des décisions au nom d'un intérêt général qui ne se réduit pas toujours et nécessairement à la seule expression des volontés concordantes de tous ses membres. Autrement dit, si toutes les décisions s'inscrivent dans le modèle d'un droit entièrement négocié qui donne à chaque partenaire un droit de veto, on est de toute évidence dans la logique confédérale. La différence entre le fédéralisme et le confédéralisme renvoie ainsi à la définition du concept même d'Etat, tant il est vrai que le confédéralisme associe des Etats souverains, tandis que le fédéralisme est un mode de structuration de collectivités politiques autonomes, mais non souveraines d’un Etat. Or, comme l'a rappelé récemment Olivier Beaud, il est impossible de définir l'Etat sans faire notamment référence à la souveraineté interne « qui se manifeste par des actes unilatéraux », lesquels « traduisent un rapport de subordination ente l'auteur et l'adressataire de la norme »79.
60L'exemple révélateur d'une percée de l'idée de droit para-légale d'inspiration confédérale dans le droit étatique belge, nous le trouvons dans la dernière réforme de 1993. La majeure partie de cette réforme a été préparée par un nouveau pacte politique — datant du 29 septembre 1992 et dénommé « accords de la Saint-Michel » — conclu par les partis de la majorité et trois partis de l'opposition. Sur le plan socio-politique, on est à nouveau ici devant un cas de droit négocié relevant du modèle consociatif et du processus décisionnel de pacification présentés ci-avant80.
61Dans le domaine du droit des relations extérieures de la Belgique qui va retenir l'attention ici, c'est avant les accords de la Saint-Michel que les partis réussissent à s'entendre. La négociation est menée dans le cadre de ce que le jargon politique a appelé « le Dialogue de Communauté à Communauté ». En réalité, elle ne met pas en présence les gouvernements de Communautés, mais bien les personnalités dirigeantes des sept mêmes partis politiques81. Elle conduit à un accord le 10 juillet 1992 qui est aussitôt transformé en proposition de loi spéciale le 16 juillet de la même année82. Cette proposition en présuppose une autre qui révise l'ancien article 68 de la Constitution83. Le texte révisé qui deviendra l'article 167 est promulgué le 5 mai 1993. La loi spéciale sur les relations internationales des Communautés et des Régions est promulguée le même jour84.
62Ce qui nous intéresse plus particulièrement, c'est le résultat de l'accord ainsi formalisé à propos de la question des traités mixtes. Ceux-ci se définissent comme des traités portant sur des matières ressortissant, dans l'ordre interne belge, à la fois à la compétence de l'Etat, des Communautés ou/et des Régions. On mesure l'importance du sujet quand on s'avise de ce que la plupart des traités qui seront conclus dans le cadre des Communautés européennes entreront dans cette catégorie. L'article 167, § 4, de la Constitution se contente de confier au législateur spécial le soin d'arrêter les modes de conclusion de ces traités. Cette méthode constitutionnelle classique ne se heurte à aucune objection. Il n'en va pas de même de la loi spéciale du 5 mai 199385. Au lieu de régler elle-même les modalités en question, comme il était de son devoir de le faire, elle se contente de confier à son tour cette mission à un accord de coopération à conclure par l'autorité fédérale, les Communautés et les Régions.
63Dans son avis sur la proposition qui est à l'origine de cette disposition, la section de législation du Conseil d'Etat émet les observations suivantes : « Conformément à l'article 92 bis, § 1er, alinéa 2, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, un tel accord n'a d'effet qu'après avoir été approuvé, selon le cas, par une loi (ordinaire) ou par un décret. Il s'ensuit qu'en renvoyant à un accord de coopération ayant l'objet susindiqué, la proposition de loi spéciale subdélègue au législateur ordinaire le pouvoir que la Constitution a confié au législateur spécial au lieu de régler directement la question »86. La doctrine a sobrement relayé cet avis en qualifiant le procédé de « critiquable » du point de vue constitutionnel87 ou regrettable88 ou encore inélégant89. Si l'on se souvient de ce que l'on a rappelé plus haut à propos des subdélégations de pouvoirs, il est permis de parler plus franchement d'un procédé inconstitutionnel.
64Cette subdélégation couplée avec une « procédure de contractualisation »90 révèle très clairement une percée de l'idée de droit confédérale. On en est d'autant plus convaincu lorsque l'on prend connaissance du contenu de l’accord de coopération signé le 8 mars 1994 en vertu de ladite subdélégation91. Comme on pouvait l’imaginer, les négociateurs n'ont pu s'entendre que sur une procédure prévoyant l'assentiment des traités mixtes par les assemblées législatives de toutes les collectivités concernées. Ceux de ces traités qui concernent les matières personnalisables devront aussi recevoir l'approbation de l'assemblée réunie de la Commission communautaire commune de Bruxelles. Si l'on tient compte encore des nouvelles compétences décrétales qui ont été transférées à l'assemblée de la Commission communautaire française, on en arrive à un nombre possible d'assentiments égal à neuf : par la Chambre, le Sénat, le Conseil flamand, le Conseil de la Communauté française, le Conseil de la Communauté germanophone, le Conseil régional wallon, le Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale, et les deux assemblées communautaires bruxelloises précitées92.
65Certes, les traités mixtes ne sont ratifiés que par le Roi selon l'article 12 de l'accord de coopération. Mais la même disposition confirme qu'il ne peut procéder à cette ratification que si les assemblées de toutes les autorités associées à la conclusion du traité ont marqué leur assentiment au sujet de celui-ci. Comme l'a relevé le Conseil d'Etat, il en résulte que « le refus d'assentiment manifesté par une assemblée législative rend impossible la ratification »93.
66Certes, tous les Etats fédéraux connaissent et favorisent même la pratique des accords de coopération. Mais quand on est incapable d'arrêter des principes directeurs dans les règles constitutionnelles et légales suprêmes de l'Etat, quand on ne s'entend que sur une obligation de négocier un accord de coopération, quand celui-ci ne réussit lui-même qu'à fonder d'autres obligations de négocier, quand on ne se prémunit en rien contre l'hypothèse d’un échec de ces négociations en chaîne — pourtant prévisible eu égard au droit de veto qu'elles confèrent à toutes les composantes de l'Etat —, et quand on institue cette caricature de droit négocié tous azimuts dans un domaine aussi fondamental que les relations extérieures, il est difficile de nier que le seuil de la logique confédérale est atteint. La doctrine n'a d'ailleurs pas manqué de le relever94. On est donc bien devant un troisième exemple significatif de droit négocié para-légalement et greffé sur l'ordre juridique étatique malgré son inconstitutionnalité.
VII. Conclusion
67Droit public, droit négocié et para-légalité. En guise de conclusion, reprenons un à un ces trois termes dont on vient de montrer les entrelacements.
681) La para-légalité tout d'abord. Ce concept permet de désigner une réalité juridique bien concrète, positive pour tout dire, que les juristes ont intérêt à intégrer dans leur champ d'analyse. Certes, il conduit à traverser les frontières du droit étatique. Mais la démonstration de l'utilité de ce voyage pour la compréhension du droit étatique lui-même a été réalisée. En effet, la théorie de la para-légalité met le juriste en mesure de saisir la portée effective que certaines normes dites politiques reçoivent dans le système juridique de l'Etat. Elle l'invite également à ne pas réduire certaines illégalités à des phénomènes accidentels, mais à y voir, au contraire, des phénomènes structurels, des signes révélateurs d'un éventuel processus de changement juridique. Elle l'autorise enfin à articuler, sans les confondre, les plans de l'analyse juridique et de l'analyse socio-politique. La para-légalité est un de ces concepts-passerelles indispensables au développement des études interdisciplinaires du droit.
692) Le droit négocié ensuite. A première vue, le droit public s'inscrit aux antipodes du droit négocié. En y regardant de plus près, nous avons cependant dû constater que celui-ci y est bien plus présent qu’il n'y paraît. Encore fallait-il s'entendre sur la portée du terme « négocié ». Il aurait été facile, par exemple, de montrer que, même derrière une norme aussi unilatérale que la Constitution, se cache nécessairement une forme quelconque de consensus sans laquelle elle n'a aucune chance de survivre. Tel n'a pas été notre propos. Nous avons admis d'emblée qu'il n'y a pas de droit négocié en dehors d'un accord exprimé formellement et produisant un effet contraignant d'une manière ou d'une autre.
70Même restreint ainsi, le terme s'est encore révélé très large. Sous son couvert, on a pu observer des cas de figure fort différents. On gagnerait à les identifier avec précision. Dans les limites du parcours effectué ici, on peut distinger au moins trois catégories de droit négocié.
71La première consiste dans les normes de droit étatique dont aussi bien l'élaboration que les effets s'inscrivent dans un schéma contractuel. Les contrats de l'administration et les accords de coopération entre les diverses composantes d'un Etat fédéral en sont une illustration. A ce niveau déjà, on constate que le droit négocié ne peut manquer de s'articuler avec du droit imposé. C'est, par exemple, dans les limites de celui-ci qu'il est permis de recourir à ces techniques contractuelles. C'est — deuxième exemple — en fonction du maintien ou non d'un pouvoir d'action unilatérale au profit de l'administration que l'on distingue les « contrats administratifs » et les « contrats de l’administration ». C'est encore — troisième exemple — moyennant un acte unilatéral, à savoir l'assentiment des assemblées représentatives des collectivités concernées, qu’un accord de coopération est apte à produire des effets dans l'ordre juridique de celles-ci95.
72Les règlements négociés forment une deuxième catégorie. Il s'agit de normes reconnues par le droit étatique, dont l'élaboration est conventionnelle, mais dont les effets s'inscrivent dans un schéma réglementaire. On songe, bien sûr, aux conventions collectives de travail, mais il importe de souligner que le droit positif recèle bien d'autres exemples, ce dont témoigne la jurisprudence du Conseil d'Etat96.
73A côté de ces deux catégories de droit négocié reconnues comme telles par le droit étatique, les normes para-légales issues d'accords négociés par les partis politiques et les partenaires sociaux en constituent une troisième. C'était l'objet principal de notre contribution d'en montrer l'importance. On a assez insisté sur les multiples liens qui unissent ces normes conventionnelles au droit imposé de l'Etat pour ne pas y revenir.
74Enfin, en dehors du droit négocié proprement dit, nous avons rappelé la figure, précieuse mais aujourd'hui banale, du « droit concerté ». Il s'agit de ces innombrables actes de droit public unilatéral préparés par des discussions préalables entre l'autorité compétente et le ou les citoyens concernés, ou au moins par des avis de ceux-ci97, mais qui ne recourent pas à la forme contractuelle, ni dans l'ordre du droit étatique ni dans celui de la para-légalité.
753) Le droit public enfin. On pourrait penser qu'il sort assez meurtri de l’aventure où nous nous sommes permis de le plonger. Comment apprécier cette série d'inconstitutionnalités que l'on a relevées dans nos trois exemples de normes négociées para-légalement et néanmoins greffées avec succès dans le droit public ? Au-delà du caractère toujours déplorable d'une inconstitutionnalité pour le juriste, on ne saurait se dispenser d'y réfléchir d'un point de vue éthique.
76Disons d'abord très clairement que notre propos, à travers ces exemples, n'était en aucune manière de faire, en creux, l'apologie du droit imposé. Aux excès d'un droit négocié oublieux des impératifs du droit imposé, il n'y a pas lieu de répondre par un retour aux excès d'un droit imposé négligeant dans sa superbe les vertus du droit négocié. C'est le théoricien de l'Etat Carré de Malberg lui-même, pourtant on ne peut plus sensible à l'unilatéralité du droit public, qui écrivait que la collaboration « forme désormais une condition absolue de la vie et de l'activité étatique »98. Plus fondamentalement, nous nous rallions à la belle étude de François Ost publiée dans le présent ouvrage quand il montre que l'accord et la règle ont vocation à se déterminer réciproquement.
77Telle est la leçon que l'on peut tirer de l'exemple du droit belge des traités mixtes. On est là devant un cas limite de droit intégralement négocié, excluant toute référence à des principes tiers. « Une société dont le droit serait uniquement négocié serait menacée de désintégration », écrit justement F. Ost. N'est-ce pas précisément le cas de l'Etat belge ?
78Du second exemple, le droit des conventions collectives de travail, il est permis de tirer une autre leçon. Entre la démocratie instituante et l'Etat de droit institué, il est normal et même sain qu'il y ait des tensions. Mais le juriste, soucieux par profession des exigences de l'Etat de droit, doit s'attacher à les résorber, non sans savoir que cette tâche est infinie. On a cru bon de plaider, dans cette perspective, pour une reconnaissance constitutionnelle de la délégation de pouvoir que suppose la force obligatoire des conventions collectives au-delà de leur effet contractuel.
79Enfin, les pactes scolaire et culturel qui formaient le premier exemple autorisent encore une dernière leçon. Leur inconstitutionnalité peut être analysée à la lumière de la difficile mission qui revient à l'Etat selon la philosophie politique d'Eric Weil99. Pour résumer celle-ci en quelques mots et en étant donc schématique, on peut dire que l'Etat doit chercher à concilier trois types de rationalité : la rationalité du calcul et de l'efficacité qui caractérise toutes les sociétés modernes, le raisonnable accumulé dans les moeurs, dans la morale vivante propre à la communauté historique dont l'Etat est l'organe de décision et l'idée moderne d'universalité qui comprend le principe d'égalité, ce troisième type de rationalité faisant office de médiation entre les deux autres. L'article 15 du pacte scolaire et l'article 24 du pacte culturel bénéficient, sans aucun doute, d'une certaine légitimité quand on les replace dans le contexte des « guerres scolaires » et des tensions idéologico-philosophiques qui ont animé l'histoire politique de la Belgique. Il serait fallacieux de n’y voir que le produit d'un marchandage cynique. Il s'agit de normes qui ont pu paraître raisonnables —justes et pacificatrices — dans les circonstances de la société politique belge de l'époque qui les a vues naître. Il n'en reste pas moins qu'elles sont inconciliables avec le principe d'égalité. N'y a-t-il pas, d'ailleurs, dans le droit négocié une propension malheureuse à méconnaître les droits de ceux qui ne participent pas à la négociation ? Il en va d'autant plus ainsi qu'il s'élabore toujours dans le secret.
80Face à une telle tension, le statu quo n'est pas permis. Aussi, l'intervention du tiers que constitue la juridiction constitutionnelle et son aptitude à censurer pareilles atteintes au principe de non-discrimination offrent une garantie précieuse. La déclaration d'invalidité de l'article 20 de la loi du pacte culturel par la Cour d’arbitrage en est une bonne illustration. Quant à la clé des trois quarts de la loi du pacte scolaire, les discussions dont elle fait aujourd'hui l'objet dans les deux Conseils de Communauté permettent d'espérer — ou en tout cas de formuler le voeu — qu'il ne faudra pas attendre une intervention du juge constitutionnel100 pour la supprimer et qu'elle sera bientôt remplacée par un nouveau compromis plus respectueux des principes en cause.
Notes de bas de page
1 Cette définition du concept de négociation est tirée de P.-H. CLAEYS, Négociation et échange politique, in P.-H. CLAEYS et A.-P. FROGNIER (sous la direction de), L'échange politique, Bruxelles, Editions de l'Université de Bruxelles, 1995, p. 105-110.
2 Cfr notamment M. PAQUES, De l'acte unilatéral au contrat dans l'action administrative, Bruxelles, Story-Scientia, 1991, no 16.
3 Ibidem, no 50.
4 Cfr notamment H. DUMONT, Des contrôles de constitutionnalité et de légalité en droit public aux contrôles du pouvoir en droit privé : pour une théorie critique des contrôles de la validité des actes unilatéraux émanant d'un pouvoir public ou privé, in F. RIGAUX et G. HAARSCHER (sous la direction de), Droit et pouvoir, t. I, La validité, Bruxelles, Story-Scientia, 1987, p. 193-250, et l'analyse donnée de la thèse de E. GAILLARD, Le pouvoir en droit privé, Paris, Economica, 1985.
5 Cfr M. PAQUES, op. cit., no 56 et 60.
6 Ibidem, no 57.
7 Cfr ainsi C. CAMBIER, Droit administratif, Bruxelles, Larcier, 1968, p. 265 et s.
8 Ph. QUERTAINMONT, Droit administratif de l'économie. L'interventionnisme économique public et les relations entre l'Etat et les entreprises, Diegem, Story-Scientia, 1996, 2ème éd., no 206.
9 Ibidem, no 217 et s.
10 Cfr les références citées dans ibidem, no 200 et s.
11 Les accords de coopération que l'on relève dans le droit constitutionnel des Etats fédéraux sont une exception sur laquelle on revient plus loin.
12 M. PAQUES, op. cit., no 62.
13 Ibidem, no 78.
14 Ibidem, no 81.
15 Ibidem, no 304.
16 Le terme a été forgé à partir des mots-clés consensus et association : l'Etat trouve son fondement dans le consensus permanent des associations constitutives du pays (cfr O. DUHAMEL, Les démocraties. Régimes, histoires, exigences, Paris, Seuil, 1993, p. 75).
17 Sur les notions de « démocratie consociative » et de verzuiling, on se permet de renvoyer aux références figurant dans H. DUMONT, Le pluralisme idéologique et l'autonomie culturelle en droit public belge, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, Bruylant, 1996, vol. 1, no 17-18, 303-326, 522-532 et vol. 2, no 584, 854-858, 976 et s.
18 Au sens donné à ce terme par A. BERGOUNIOUX et B. MANIN, Le régime social-démocrate, Paris, P.U.F., 1989.
19 Cfr les études fondatrices de P. SCHMITTER et G. LEHMBRUCH citées par ibidem, p. 41, note 24. Pour un aperçu synthétique, voy. B. JOBERT, Corporatisme, néo-corporatisme, in O. DUHAMEL et Y. MENY (sous la direction de), Dictionnaire constitutionnel, Paris, P.U.F., 1992, p. 236-239 ; P. MULLER et G. SAEZ, Néo-corporatisme et crise de la représentation, in F. d'ARCY (sous la direction de), La représentation, Paris, Economica, 1985, p. 121-140 et B. MARQUES-PEREIRA, « Corporatisme sociétal » et « corporatisme d'Etat » : deux modes d'échange politique ?, in L'échange politique, op. cit., p. 117-131.
20 Cfr notamment A. VANDERSTRAETEN, Neo-corporatisme en het Belgisch sociaal-economisch overlegsysteem, in Res publica, 1986, no 4, p. 671-688, E. ARCQ et B. MARQUES-PEREIRA, Néo-corporatisme et concertation sociale en Belgique, in Politiques et management public, 9, no 3, septembre 1991, p. 159-180 et W. DEWACHTER, Besluitvorming in politiek België, Leuven-Amersfoort, Acco, 1992, p. 127-162.
21 On parle de « néo-corporatisme sociétal » pour éviter la confusion avec le « néo-corporatisme d'Etat » des régimes populistes et nationalistes latino-américains.
22 Ph. SCHMITTER cité par B. MARQUES-PEREIRA, « Corporatisme sociétal » et « corporatisme d’Etat… », op. cit., p. 118.
23 G. LEHMBRUCH, cité par ibidem, p. 119.
24 B. JOBERT, op. cit., p. 238.
25 Ch.-A. MORAND, La contractualisation corporatiste de la formation et de la mise en oeuvre du droit, in Ch.-A. MORAND (sous la direction de), L'Etat propulsif, Paris, Publisud, 1991, p. 183.
26 Ibidem, p. 212-213.
27 Ibidem, p. 183-184.
28 Ibidem, p. 214.
29 Cfr dans H. DUMONT, Le pluralisme idéologique et l'autonomie culturelle en droit public belge, op. cit., vol. 2, les numéros cités sous la note 8 du no 977.
30 Non sans ignorer le caractère gradualiste de la question de la juridicité, on tiendra pour acquis qu'un système normatif commence à justifier la qualification d’« ordre juridique » ou de « droit positif » à partir du moment où il se constitue d’un ensemble de règles et d’institutions propres à un groupement « dont les membres disposent d'un critère de reconnaissance mutuelle », la transgression de ces règles ayant « des effets sur la vie interne du groupe » (F. RIGAUX, Le droit au singulier et au pluriel, in R.I.E.J., 1982, no 9, p. 49).
31 Dans la chronologie de l'histoire politique de la Belgique. Sur la théorie des trois tensions ou clivages fondamentaux utilisée ici, cfr notamment J. MEYNAUD, J. LADRIERE et F. PERIN (sous la direction de), La décision politique en Belgique, Paris, A. Colin, 1965, p. 23 et s., et les études publiées ultérieurement par le Centre de recherches et d’informations socio-politiques (CRISP).
32 Ce « monde » est composé d'un parti politique — aujourd'hui dédoublé en raison de la tension linguistique — et d'un réseau d'institutions à référence chrétienne. Cfr H. DUMONT, Le pluralisme idéologique et l'autonomie culturelle en droit public belge, op. cit., vol. 1, no 78 et s. ; 299 et s. ; et vol. 2, no 980 et s.
33 Ce « monde » est partagé entre la « famille libérale » et la « famille socialiste » : cfr ibidem, eod. loc.
34 A. BERGOUNIOUX et B. MANIN, op. cit., p. 185.
35 Cfr en ce sens notamment W. DEWACHTER, op. cit., p. 112-119.
36 Cfr texte notamment in J. DE GROOF, Le pacte scolaire : coordination et annotations, Bruxelles, Story-Scientia, Cepess, 1990.
37 Cfr texte notamment in XXX, Le pacte culturel, Cahiers-Cepess, 1971/4.
38 Pour le pacte scolaire, voy. le chapitre dû à G.H. DUMONT qui y est consacré dans La décision politique en Belgique, op. cit., p. 150-176 et le témoignage du même auteur dans De la paix scolaire à la tourmente congolaise 1958-1960. Mémoires, Bruxelles, Le Cri, 1995, p. 9-60. Pour le pacte culturel, voy. H. DUMONT, Le pluralisme idéologique et l'autonomie culturelle en droit public belge, op. cit., vol. 2, no 582 et s.
39 Mon. b., 19 juin 1959.
40 Mon. b., 16 octobre 1973.
41 In tempore suspecte, en pleine guerre scolaire, il est vrai.
42 P. DE VISSCHER, Les principes constitutionnels en matière d'enseignement, in La revue politique, 1955, p. 108-109.
43 L. COLLARD, cité par G.H. DUMONT, De la paix scolaire…. op. cit., p. 31.
44 Cfr R. HOUBEN et F. INGHAM, Le pacte scolaire et son application, Bruxelles, Cepess, 1962, 2ème éd., p. 101, 103, 107-108, 136-137, et G.H. DUMONT, De la paix scolaire…, op. cit., p. 31-33 et 43-47.
45 R. VAN ELSLANDE, intervention à la Chambre citée et analysée dans H. DUMONT, Le pluralisme idéologique…. op. cit., no 377 et s.
46 L. COLLARD cité par G.H. DUMONT, De la paix scolaire…, op. cit., p. 31-32.
47 Mon. b., 30 août 1973.
48 Cfr not. X. DELGRANGE, L'égalité dans l'enseignement à la lecture de la jurisprudence de la Cour d'arbitrage, in Quels droits dans l'enseignement ? Enseignants, parents, élèves, Brugge, La Charte, 1994, p. 90.
49 Voy. sur ces derniers points, H. DUMONT, Le pluralisme idéologique et l'autonomie culturelle…, op. cit., vol. 2, no 681.
50 Sur ce qui précède, on se permet de renvoyer, pour les références et une analyse plus approfondie, à notre ouvrage Le pluralisme idéologique et l'autonomie culturelle…, op. cit., vol. 1, no 358 et s. (à propos de l'accord politique du 2 août 1960), no 446 et s. (à propos de l'avis du Conseil d'Etat du 8 mai 1970 et de son arrêt du 25 juillet 1968) et vol. 2, no 606 et s. (à propos de l'élaboration de l'article 20 de la loi du pacte culturel), no 822 (à propos de l'application de cet article) et no 991 et s. (à propos de l'arrêt du 15 juillet 1993 de la Cour d'arbitrage).
51 Cfr ibidem, vol. 2, no 676 et s.
52 Mon. b., 15 janvier 1969 ; err. 4 mars 1969.
53 L. FRANÇOIS, Théorie des relations collectives du travail en droit belge, Bruxelles, Bruylant, 1980, p. 302.
54 Cfr art. 5 de la loi.
55 Cfr art. 19 de la loi.
56 Cfr art. 26 de la loi.
57 M. LEROY, Un revirement attendu : la nature des conventions collectives de travail, note sous C.E., no 32.348, 12 avril 1989, in R.C.J.B., 1991, p. 660.
58 L. FRANÇOIS, op. cit., p. 361.
59 Ibidem, p. 355. Rappelons qu’un arrêté royal peut étendre la force obligatoire d'une convention collective à tous les employeurs et travailleurs dont l'activité relève de la compétence de la commission paritaire qui l'a élaborée. Il en résulte seulement que pareille convention aura un effet obligatoire sur tous les contrats de travail conclus dans le secteur qui relève de l'organe paritaire (cfr art. 31 de la loi). On ne retrouve plus, dans ce cas, la distinction entre les effets impératifs et les effets supplétifs qui s'attachent à une convention non approuvée par arrêté royal.
60 Cfr notamment J. VELU, Ph. QUERTAINMONT et M. LEROY, Droit public, t. I, Le statut des gouvernants (I), Bruxelles, Bruylant, 1986, p. 82 ; et A. ALEN, Handboek van het Belgisch Staatsrecht, Deurne, Kluwer, 1995, no 21.
61 Cfr notamment J. VELU e. a., op. cit., eod. loc. ; A. ALEN, op. cit., no 123 ; A. MAST, A. ALEN et J. DUJARDIN, Précis de droit administratif belge, Bruxelles, Story-Scientia, 1989, no 20-21.
62 Pour une application récente de ces principes, voy. par ex. C.A., arrêt no 11/96 du 8 février 1996, Mon. b., 24 février 1996, considérant B.5.
63 L. FRANÇOIS, op. cit., p. 355.
64 Voy. Doc. parl., Sén., s.o. 1966-1967, no 148, p. 86-137, ou Pasin., 1968, p. 842 et s. Cet avis est un bel exemple de raisonnement juridique surdéterminé par un a priori favorable à la validité d'un projet pourtant particulièrement difficile à concilier avec la Constitution.
65 Cfr notamment outre L. FRANÇOIS, op. cit., p. 355-357 ; H. DUMONT, Des contrôles de constitutionnalité et de légalité en droit public aux contrôles du pouvoir en droit privé, op. cit., p. 244, note 201 ; M. LEROY, op. cit., p. 672-672-673 ; A. MAST, A. ALEN et J. DUJARDIN, Précis de droit administratif belge, Bruxelles, Story-Scientia, 1989, p. 33-34.
66 M. LEROY, op. cit., p. 673. Voy. aussi B. HAUBERT, La nature des conventions collectives et des commissions paritaires, in J.T.T., 1992, p. 90. Il est vrai que Mme Haubert tente auparavant de sauver la validité de la loi en défendant la thèse selon laquelle le Constituant « n’a pas expressément exclu (…) que le pouvoir législatif, exerçant son pouvoir de la manière établie par la Constitution, attribue librement à des organes qu'il a créés et contrôle la compétence de concevoir — selon des modalités inédites de négociation — des normes dans un domaine limité. Ce faisant, le législateur ne délègue pas le pouvoir réglementaire royal, contrairement à ce que semblent penser la plupart des analystes, il organise l'exercice de son propre pouvoir, via le mécanisme de la négociation par des organisations représentatives — qui en sont les véritables auteurs — de conventions collectives du travail. La résolution de l'antinomie entre la prohibition générale de l'exercice des pouvoirs selon des modalités différentes de celles prévues par la Constitution et la loi de 1968 réside, sans doute, dans la mesure — ici précisée par la loi — où ce système ne se trouve pas en franche contradiction avec les principes démocratiques ainsi mis en oeuvre ». Si l'on partage volontiers l'appréciation positive faite ainsi de la légitimité de la loi, on reste sceptique sur le plan de sa stricte constitutionnalité. En effet, on ne peut pas invoquer le principe de la plénitude de compétence du pouvoir législatif fédéral sans rappeler les limites qu'il reçoit en raison de la suprématie constitutionnelle. Or, la Constitution n'a pas prévu — Mme Haubert le reconnaît du reste — la faculté pour le pouvoir législatif d'exercer « son propre pouvoir, via le mécanisme de la négociation » de conventions collectives. Déduire de ce qu'elle ne l'a « pas expressément exclu » qu'elle l’autorise, c’est ouvrir la porte à un raisonnement que la doctrine et la jurisprudence ont précisément condamné à propos des lois de pouvoirs spéciaux. Cela reviendrait à admettre, sous couvert d'une « attribution de pouvoir », ce qui ne serait rien d'autre qu'une délégation du pouvoir de légiférer. L'auteur ne semble d'ailleurs pas totalement convaincue par son propre raisonnement puisqu'elle reconnaît in fine qu’il y a bien « antinomie entre la prohibition générale de l'exercice des pouvoirs selon des modalités différentes de celles prévues — c'est nous qui soulignons — par la Constitution et la loi de 1968 ». Aussi, elle évoque, à titre subsidiaire, l'argument tiré de la coutume constitutionnelle.
67 L. FRANCOIS, op. cit., p. 306. On sait que les conventions collectives doivent être conformes aux dispositions impératives des lois et arrêtés (cfr art. 9 de la loi). On n'est cependant pas pour autant devant un pouvoir réglementaire d'exécution de lois.
68 On se réfère ici à la théorie de la validité de F. OST, Essai de définition et de caractérisation de la validité juridique, in Droit et pouvoir, op. cit., p. 97-132.
69 S. ROMANO, L'ordre juridique, trad. fr., Paris, Dalloz, 1975, p. 94. Ce passage est également cité par L. FRANCOIS, op. cit., p. 358-359.
70 C.E., no 32.348, 12 avril 1989, R.C.J.B., 1991, p. 652-653. Voy. sur cet arrêt la note précitée de M. LEROY, p. 653-680.
71 Loi du 20 juillet 1991 portant des dispositions sociales et diverses, art. 107, Mon. b., 1er août 1991.
72 M. LEROY, op. cit., p. 679.
73 Voy. aussi la question préjudicielle posée par le C.E., no 38.334, 13 décembre 1991, J.T.T., 1991, p. 93, avec le remarquable rapport de Mme l'auditeur B. HAUBERT, p. 85-92. La Cour d'arbitrage y répond dans le même arrêt du 19 mai 1993 cité ci-dessous.
74 C.A., arrêt no 37/93 du 19 mai 1993, J.T.T., 1993, p. 430-432.
75 Cfr notamment J. SALMON, Le Conseil d'Etat, Bruxelles, Bruylant, 1994, 2ème éd., p. 210.
76 Cfr H. DUMONT, Le pluralisme idéologique et l'autonomie culturelle…, op. cit., vol. 1, no 52 et s., 69 et s., no 104 et s., no 280 et s.
77 Pour quelques balises sur cette voie, cfr ibidem, vol. 2, no 1030 et s.
78 Voy. les références dans ibidem, vol. 2, no 1034, note 180. Pour mémoire, citons notamment la composition paritaire du Conseil des ministres, la double majorité requise par les lois spéciales et le mécanisme de la sonnette d'alarme.
79 O. BEAUD, La notion d’Etat, in A.P.D., 1990, p. 131.
80 Voy. à cet égard la démonstration de W. DEWACHTER, « Démocratie » et « particratie » dans le processus décisionnel de la quatrième réforme de l'Etat. Quatre sortes de « systèmes parlementaires », in Adm. publ., 1994, t. 2-3, p. 89-93.
81 Ibidem, p. 91-92.
82 Cfr proposition de loi spéciale sur les relations internationales des Communautés et des Régions déposée par MM. Schiltz et consorts, Doc. parl., Sén„ s.e. 1991-1992, no 457/1.
83 Cfr proposition déposée par MM. Schiltz et consorts, Doc. parl., Sén., s.e. 1991-1992, no 100-16/1.
84 Sur cette chronologie, voy. M. MAHIEU, Fédéralisme et relations extérieures, in Adm. publ., 1994, t. 2-3, p. 223 et s.
85 Cfr l'article 3, § 1er, 2°, de cette loi qui a introduit un § 4 ter dans l'article 92 bis de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles.
86 Doc. parl., précité, no 457/2, p. 6.
87 R. ANDERSEN, Les compétences, in La Constitution fédérale du 5 mai 1993, Bruxelles, Bruylant, 1993, p. 142. On retrouve les mêmes termes sous les plumes conjuguées de J.-V. LOUIS et A. ALEN, La Constitution et la participation à la Communauté européenne, in R.B.D.I., 1994/1, p. 86, note 25. Cfr aussi A. ALEN, Handboek van het Belgisch Staatsrecht, op. cit., no 772.
88 Y. LEJEUNE, La conduite des relations internationales, in F. DELPÉRÉE (sous la direction de), La Belgique fédérale, Bruxelles, Bruylant, 1994, p. 348 et 354.
89 Ph. GAUTIER, La conclusion des traités, in R.B.D.I., 1994/1, p. 43.
90 Selon l’expression de F. DELPEREE, Intervention à la table ronde, in Les réformes institutionnelles de 1993. Vers un fédéralisme achevé ?, Bruxelles, Bruylant, 1994, p. 430.
91 Voy. le texte notamment dans le projet de décret portant assentiment de l'accord de coopération entre l'Etat fédéral, les Communautés et les Régions relatif aux modalités de conclusion des traités mixtes, Doc. Cons. Comm. fr., s.o. 1995-1996, no 64/1.
92 Cfr en ce sens A. ALEN, Handboek van het Belgisch Staatsrecht, op. cit., no 774, note 38.
93 Avis sur l'avant-projet de décret d'assentiment de l'accord de coopération entre l'Etat fédéral, les Communautés et les Régions relatif aux modalités de conclusion des traités mixtes, Doc. Cons. Comm. fr., précité, p. 15. On notera cependant que le Roi pourra ratifier un traité mixte sans l'assentiment de l'autorité qui, en vertu de l'article 2 de l'accord, n'entend pas être partie au traité. Il s'agit de l’hypothèse où la partie cocontractante de la Belgique accepte que celle-ci formule une réserve en vue de limiter les effets du traité à des parties déterminées de son territoire. Le Conseil d'Etat a cependant remarqué que la pratique internationale oppose une résistance croissante à ce type de clause en raison de son incompatibilité « avec les principes de la sécurité juridique et de la réciprocité des obligations résultant des traités ». Et d'ajouter qu'en ce qui concerne les traités de la Communauté européenne, « aucune réserve n'est autorisée » (ibidem, p. 14).
94 Voy. en ce sens K. RIMANQUE, Le confédéralisme, in La Constitution fédérale du 5 mai 1993, op. cit., p. 34-35 ; F. DELPEREE, Intervention à la table ronde, op. cit., p. 430-431 ; et A. ALEN, Handboek…, op. cit., no 793.
95 Cfr art. 92 bis, § 1er, de la loi spéciale. Voy. F. LEURQUIN-DE VISSCHER, Les règles de droit, in La Belgique fédérale, op. cit., no 251 et s. On sait que la Cour d’arbitrage est compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois et décrets d’assentiment. Cfr Ph. COENRAETS, Réflexions sur le contrôle de constitutionnalité des accords de coopération. Commentaire de l'arrêt no 17/94 rendu par la Cour d'arbitrage le 3 mars 1994, in Adm. publ., 1995, t. 3, p. 216-227.
96 Cfr B. HAUBERT, op. cit., p. 87.
97 En toute rigueur, il y a lieu de distinguer les consultations et les concertations, mais on s'en dispense ici puisque ni les premières ni les secondes ne relèvent du droit négocié tel que nous l’avons défini.
98 R. CARRE de MALBERG, Contribution à la théorie générale de l'Etat, Paris, Sirey, 1920, rééd. C.N.R.S., 1962, p. XIII.
99 E. WEIL, Philosophie politique, Paris, Vrin, 1971, 3ème éd., p. 179 et s.
100 A supposer que la Cour d'arbitrage soit un jour saisie de la question, il faut noter qu’il ne serait pas impossible non plus qu'elle la tranche en faveur de la constitutionnalité de la norme des trois quarts. En effet, les travaux préparatoires de la révision de l'article 17 — devenu 24 — de la Constitution décidée en 1988 permettent de plaider que le Constituant a implicitement reconnu depuis lors la licéité de la priorité accordée aux diplômés des réseaux officiels. Comme l'écrit Diane Déom, « une telle interprétation ne saurait cependant être admise qu'en créditant les travaux préparatoires d'un poids considérable » (D. DEOM, La neutralité de l'enseignement des Communautés et le choix entre le cours de religion et le cours de morale non confessionnelle, in Quels droits dans l'enseignement ?, op. cit., p. 118).
Auteur
Juriste, chargé de cours aux Facultés universitaires Saint-Louis
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Imaginaire et création historique
Philippe Caumières, Sophie Klimis et Laurent Van Eynde (dir.)
2006
Socialisme ou Barbarie aujourd’hui
Analyses et témoignages
Philippe Caumières, Sophie Klimis et Laurent Van Eynde (dir.)
2012
Le droit romain d’hier à aujourd’hui. Collationes et oblationes
Liber amicorum en l’honneur du professeur Gilbert Hanard
Annette Ruelle et Maxime Berlingin (dir.)
2009
Représenter à l’époque contemporaine
Pratiques littéraires, artistiques et philosophiques
Isabelle Ost, Pierre Piret et Laurent Van Eynde (dir.)
2010
Translatio in fabula
Enjeux d'une rencontre entre fictions et traductions
Sophie Klimis, Laurent Van Eynde et Isabelle Ost (dir.)
2010
Castoriadis et la question de la vérité
Philippe Caumières, Sophie Klimis et Laurent Van Eynde (dir.)
2010