1 La présente contribution est une version revue et largement augmentée de l’étude parue sous le titre « Coutumes constitutionnelles, conventions de la Constitution et paralégalité », in Liber amicorum Paul Martens. L’humanisme dans la résolution des conflits. Utopie ou réalité ?, Larcier, Bruxelles, 2007, p. 269-299.
2 Avec J. Poumarède (vo « Coutume », in Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, 2e éd., L.G.D.J., Paris, 1993, p. 119), on peut définir synthétiquement la coutume comme une « règle de droit, en générale non écrite, qui prête à une pratique constante et répétée un caractère juridique contraignant reconnu par les intéressés eux-mêmes ».
3 On ne saurait, par exemple, se contenter de citer des passages de la théorie pure comme celui-ci : « Des normes créées par la coutume sont normes juridiques lorsque la Constitution de la collectivité institue la coutume, et plus précisément une coutume présentant certains caractères déterminés, comme fait créateur de droit » (Kelsen (H.), Théorie pure du droit, trad. fr. de la 2e éd. par Ch. Eisenmann, Dalloz, Paris, 1962, p. 13). On passe alors sous silence la distinction décisive entre les notions de « Constitution positive » et de « Constitution au sens de la logique juridique » que Kelsen pose ailleurs (notamment p. 301). Nous allons y revenir.
4 Rappelons que l’article 33 de la Constitution se lit comme suit : « Tous les pouvoirs émanent de la Nation. Ils sont exercés de la manière établie par la Constitution ».
5 Voy. notamment Perrin (J.-Fr.), Pour une théorie de la connaissance juridique, Droz, Genève – Paris, 1979, p. 109 et s., et Assier-Andrieu (L.), vo « Coutume et usage », in Dictionnaire de la culture juridique, Alland (D.) et Rials (S.) dir., PUF, Paris, 2003, p. 317-326.
6 Ce terme d’« existence » doit être compris au sens juridique, et non dans un sens exclusivement factuel. On ne dira pas d’une coutume constitutionnelle qu’elle existe si elle est seulement appliquée en fait par certains organes de l’ordre juridique. Encore faut-il qu’elle soit valide en droit. Sur cette distinction, voy. Troper (M.), « Du fondement de la coutume à la coutume comme fondement », Droits, 1986/3, p. 13-14. Du même auteur, cf. également « Nécessité fait loi. Réflexions sur la coutume constitutionnelle », in Mélanges Robert-Édouard Charlier, Éd. de l’Université, Paris, 1981, p. 309 et s. À la différence de M. Troper, nous ne nous appuierons cependant pas sur la théorie « kelsénienne » de la validité, mais plutôt sur celle de Hart : cf. infra, notes 48 et 52.
7 Carré de Malberg (R.), Contribution à la théorie générale de l’État, t. II, Sirey, Paris, 1921, p. 571-572.
8 Pour un repérage et une analyse de ces auteurs, voy. Chevallier (J.), « La coutume et le droit constitutionnel français », Rev. dr. publ., 1970, p. 1384-1389.
9 Ibid., p. 1385.
10 Capitant (R.), « Le droit constitutionnel non écrit », in Recueil d’études en l’honneur de François Gény, t. III, Sirey, Paris, 1934, p. 2.
11 Capitant (R.), « La coutume constitutionnelle », Rev. dr. publ., 1929, p. 968.
12 Cf. Chevallier (J.), « La coutume et le droit constitutionnel français », op. cit., p. 1393-1397.
13 Favoreu (L.), Gaïa (P.), Ghevontian (R.), Mestre (J.-L.), Pfersmann (O.), Roux (A.) et Scofoni (G.), Droit constitutionnel, 2e éd., Dalloz, Paris, 1999, no 108.
14 Voy. notamment Avril (P.), Les conventions de la Constitution, PUF, Paris, 1997, p. 4 et s.
15 Cf. Favoreu (L.) et Maus (D.), « Éditorial », R.F.D.C., 1990, 1, p. 3 ; Favoreu (L.), « Droit de la Constitution et constitution du droit », R.F.D.C., 1990, 1, p. 72.
16 Favoreu (L.), Gaïa (P.), Ghevontian (R.), Mestre (J.-L.), Pfersmann (O.), Roux (A.) et Scofoni (G.), Droit constitutionnel, op. cit., no 115. Les mêmes auteurs ajoutent, dans une perspective nettement moins positiviste, que la nécessaire formalisation de la Constitution matérielle correspond par ailleurs à l’introduction du « libéralisme politique », c’est-à-dire de « l’idée qu’il faut protéger une sphère de liberté des individus et qu’en l’absence d’une participation directe à l’exercice du pouvoir, les citoyens doivent au moins être protégés de ses abus et qu’ils doivent avoir des moyens pour le contrôler ».
17 Notamment Esmein, Duguit, Hauriou, Carré de Malberg (du moins, pour ce qui concerne ce dernier, dont on connaît l’attachement au positivisme, en ce qu’il maintient, à la différence de la conception normative, le lien substantiel entre la Constitution et l’État) et Capitant. Du côté de la doctrine allemande, il faut certainement compter dans ce courant – référence problématique, faut-il le dire – Carl Schmitt.
18 Beaud (O.), vo « Constitution et droit constitutionnel », in Dictionnaire de la culture juridique, Alland (D.) et Rials (S.) dir., PUF, Paris, 2003, p. 261.
19 Ibid., p. 263.
20 Ibid., p. 264.
21 Voy., en ce sens notamment, les nombreux auteurs cités par Velaers (J.), « Op de grens van Grondwet en politiek », in Publiek recht, ruim bekeken. Opstellen aangeboden aan Prof. J. Gijssels, Maklu Uitgevers, p. 457-458. Les auteurs contemporains ont tendance à réserver une attention moindre à la question. Il faut remonter à Wigny (P.), Droit constitutionnel, t. I, Bruylant, Bruxelles, 1952, p. 168-178 et à Velu (J.), Droit public, t. Ier, Bruylant, Bruxelles, 1986, p. 149-160, pour disposer d’exposés développés sur ce thème.
22 Delpérée (Fr.), Le droit constitutionnel de la Belgique, Bruylant – L.G.D.J., Bruxelles – Paris, 2000, no 38.
23 C.E., 14 juillet 1975, A.S.B.L. Association du personnel wallon et francophone des services publics, no 17.131, R.J.D.A., 1975, p. 288-295, note Coolen (A.).
24 Contra : Chevallier (J.), « La coutume et le droit constitutionnel français », op. cit., p. 1387, note 34, et p. 1388, note 38.
25 Voy., aussi en ce sens, mais de manière peu justifiée, Alen (A.), Handboek van het Belgisch Staatsrecht, Kluwer, Deurne, 1995, no 83 : « en fait, la coutume n’appartient pas au droit constitutionnel (le law of the constitution), mais à la sphère politique : il y va de règles du jeu politique (les conventions of the constitution), sans lesquelles le mécanisme constitutionnel tournerait court, mais qu’aucune obligation juridique ne contraint à observer, même si leur méconnaissance peut donner lieu à des difficultés politiques » (notre traduction).
26 Ganshof van der Meersch (W.J.), Pouvoir de fait et règle de droit dans le fonctionnement des institutions politiques, Éd. de la librairie encyclopédique, Bruxelles, 1957, p. 22 et Idem, « Propos sur le texte de la loi et les principes généraux du droit », J.T., 1970, p. 561.
27 Uyttendaele (M.), « La coutume constitutionnelle dans le droit public belge contemporain », in Recueils de la société Jean Bodin pour l’histoire comparative des institutions, vol. LIV, La coutume, 4e partie, De Boeck Université, Bruxelles, 1989, p. 399. Il cite l’exemple de l’expédition des affaires courantes, ainsi que la règle qui veut que le Roi doive nommer un formateur avant de nommer un Premier ministre, alors que cette seconde règle est présentée comme un simple usage par des auteurs comme Fr. Delpérée ou J. Velaers. On remarquera, par ailleurs, que ces deux critères – qui rencontrent aussi l’adhésion de J. Vande Lanotte et G. Goedertier (Handboek Belgisch Publiekrecht, 6e éd., Die Keure, Brugge, 2010, no 262) – sont plus exigeants que ceux de W.J. Ganshof van der Meersch dans Pouvoir de fait et règle de droit dans le fonctionnement de nos institutions politiques (op. cit., p. 22), qui écrit qu’« une manière de procéder n’a et ne mérite le caractère de coutume que si, dans l’application de la règle de droit écrit, elle ne dégage du texte que les conséquences qu’il implique ou qu’il permet » (souligné par nous). Dans ses Trente leçons de droit constitutionnel (Bruylant, Bruxelles, 2011, p. 93), M. Uyttendaele ne retient plus qu’un seul critère : « à l’inverse de la simple pratique », la coutume doit être « nécessaire à la mise en œuvre du droit écrit, et partant en constitue[r] un complément sans lequel la règle écrite serait privée de son effet utile ». Nous ne voyons pas très bien alors ce qui distinguerait une coutume d’une interprétation téléologique de cette règle écrite. Nous exposons nos propres critères infra.
28 Dans des proportions variables, où la légalité est censée se tailler la part du lion.
29 Cf., entre autres, Ost (Fr.) et van de Kerchove (M.), De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit, Publications des F.U.S.L., Bruxelles, 2002, p. 307 et s.
30 Voy., en ce sens, Van Damme (M.), Overzicht van het Grondwettelijk Recht, Die Keure, Brugge, 2008, no 109 ; Vande Lanotte (J.) et Goedertier (G.), Handboek Belgisch Publiekrecht, op. cit., nos 261-264 ; Lejeune (Y.), Droit constitutionnel belge. Fondements et institutions, Larcier, Bruxelles, 2010, no 101.
31 Alen (A.) et Muylle (K.), Compendium van het Belgisch Staatsrecht, deel I, syllabusuitgave, Kluwer, Mechelen, 2005, no 207-208.
32 Nous allons pour notre part le rejeter (cf. infra).
33 Cf. Vande Lanotte (J.) et Goedertier (G.), Handboek Belgisch Publiekrecht, op. cit., no 1049.
34 La qualification coutumière, que retiennent également Fr. Perin (« Y a-t-il trois pouvoirs constituants ? », Ann. Dr. Lg., 1987/1, p. 7) et M. Uyttendaele (Trente leçons de droit constitutionnel, op. cit., p. 380), nous semble, pour notre part, difficilement conciliable avec le texte constitutionnel, qui, dans son article 96, al. 1er, réserve au Roi seul le pouvoir de nommer les ministres. Il y va donc plutôt d’une convention de la Constitution. Cf. infra sur cette notion.
35 Van Damme (M.), Overzicht van het Grondwettelijk Recht, op. cit., no 110 ; Vande Lanotte (J.) et Goedertier (G.), Handboek Belgisch Publiekrecht, op. cit., nos 263-264. L’expédition des affaires courantes et la règle du secret dans les relations entre le Roi et ses ministres illustrent, à leurs yeux, la notion de coutume constitutionnelle, tandis que la nomination par le Roi d’un informateur avant celle d’un formateur illustre celle d’usage constitutionnel. Quant à la règle privant le Roi du pouvoir discrétionnaire de refuser la sanction des lois adoptées par les Chambres, que J. Velaers range parmi les conventions de la Constitution, ils hésitent à la ranger dans l’une ou l’autre catégorie.
36 Velaers (J.), « Op de grens van Grondwet en politiek », op. cit.
37 Ibid., no 103. Nous analysons plus loin ce raisonnement, que nous qualifions, à la suggestion de notre collègue Philippe Gérard, de stratégie discursive.
38 Pour sa part, P. Wigny (Droit constitutionnel, op. cit., eod. loc.) atténuait la dichotomie en distinguant le droit constitutionnel formel et le droit constitutionnel matériel. Pour une application de cette façon de raisonner, voy. infra, dans la troisième partie de la présente contribution, l’analyse qu’il proposait du possible veto royal à la sanction des lois.
39 Cf. Dumon (Fr.), « La mission attribuée à la Cour de cassation par l’article 95 de la Constitution. La notion de « loi » dont la violation donne ouverture à un pourvoi devant la Cour », in Présence du droit public et des droits de l’homme. Mélanges offerts à Jacques Velu, Bruylant, Bruxelles, 1992, p. 888-893.
40 Voy. Godfroid (M.), « L’étendue du contrôle exercé par la Cour de cassation sur les coutumes et usages en droit privé », R.G.D.C./T.B.B.R., 1990, p. 19-32.
41 Ganshof van der Meersch (W.J.), « Propos sur le texte de la loi et les principes généraux du droit », J.T., 1970, p. 560-561.
42 Cass., 10 avril 1987, A.P., 1987, t. 4, p. 289, concl. Av. gén. Velu.
43 En ce qui concerne les usages en droit administratif, le Conseil d’État n’est pas non plus disposé à les élever comme tels en règles de droit. Voy. Mast (A.), Alen (A.) et Dujardin (J.), Précis de droit administratif belge, Story-Scientia, Bruxelles, 1989, no 44 ; Salmon (J.), Conseil d’État, Bruylant, Bruxelles, 1987, p. 193 ; De Visscher (P.), note d’observation sous C.E., 20 octobre 1950, Dethise, no 540, R.J.D.A., 1951, p. 55 ; Putzeys (J.), note d’observation sous C.E., 20 mai 1954, Creteur, no 3.403, R.J.D.A., 1954, p. 223. Curieusement, le Procureur général Ganshof van der Meersch invoque pourtant ce dernier arrêt dans le sens contraire, dans sa mercuriale précitée (« Propos sur le texte de la loi et les principes généraux du droit », op. cit., p. 561, note 95).
44 On en fera la démonstration infra.
45 Favoreu (L.), Gaïa (P.), Ghevontian (R.), Mestre (J.-L.), Pfersmann (O.), Roux (A.) et Scofoni (G.), Droit constitutionnel, op. cit., no 107.
46 Sur cette transposition du théorème de Gödel au système juridique, voy. Ost (Fr.) et van de Kerchove (M.), De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit, op. cit., p. 307 et s.
47 Sur cette distinction entre sources du droit « originaires » et « dérivées », voy. Virally (M.), La pensée juridique, L.G.D.J., Paris, 1960, p. 148-170 ; Ost (Fr.) et van de Kerchove (M.), De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit, op. cit., p. 358-359.
48 Voy., en ce sens, Hart (H.L.A.), Le concept de droit, 2e éd., trad. par M. van de Kerchove, Publications des F.U.S.L., Bruxelles, 2005, p. 110 et s. ; Bobbio (N.), « Nouvelles réflexions sur les normes primaires et secondaires », in La règle de droit, études publiées par Ch. Perelman, Bruylant, Bruxelles, 1965, p. 114-122 ; Hayek (Fr.), Droit, législation et liberté, vol. 1, Règles et ordre, PUF, Paris, 1973, p. 41 et s. ; et les théoriciens du droit cités par Ost (Fr.) et van de Kerchove (M.), Le système juridique entre ordre et désordre, PUF, Paris, 1988, p. 207-218 : étudiant la transition du monde « préjuridique » vers le monde juridique, tous ces auteurs ont bien montré la place (chrono) logiquement première occupée par les coutumes et la jurisprudence, avant l’apparition des règles de changement au sens de Hart que l’on trouve typiquement dans les constitutions écrites. Sur la jurisprudence, voy. la contribution au présent ouvrage (volume 2) de M. van de Kerchove. Quant aux principes généraux du droit admis aujourd’hui comme inhérents à tout système juridique qui se veut respectueux des idéaux de la démocratie et de l’État de droit, voy. la contribution, dans ce volume, dédiée aux principes généraux du droit à valeur constitutionnelle de J. Velaers. Comp. Delpérée (Fr.), Le droit constitutionnel de la Belgique, op. cit., no 5 : « au commencement du droit est la Constitution ». Sur la question du fondement juridique des constitutions, voy. notre contribution sur la notion de Constitution dans le quatrième volume du présent ouvrage.
49 Kelsen (H.), Théorie pure du droit, op. cit., p. 301. Voy. aussi p. 305.
50 Ibid., p. 296.
51 Ibid., p. 306. Kelsen ajoute : « il est purement et simplement impossible qu’une Constitution exclue que les normes juridiques coutumières aient tel ou tel contenu, puisque la Constitution elle-même – même une Constitution écrite – peut être modifiée par des règles juridiques issues de la coutume ». (p. 312). Voy. aussi, dans son même opus, p. 288, sur le thème de l’abrogation par désuétude comme « coutume négative » qu’aucune « règle statuée » ne pourrait empêcher. Nous aborderons cette question différemment dans la troisième partie, en mobilisant la théorie de la paralégalité.
52 Hart (H.L.A.), Le concept de droit, op. cit., p. 129 (souligné par nous). Voy., sur la notion, les commentaires éclairants de Gérard (Ph.), « L’idée de règle de reconnaissance : valeur, limites et incertitudes », R.I.E.J., 2010, vol. 65, p. 65-83.
53 En effet, comme l’a fait remarquer Ph. Gérard (« L’idée de règle de reconnaissance : valeur, limites et incertitudes », op. cit., p. 68), dans la postface de la deuxième édition du Concept de droit, Hart a malheureusement réduit le cercle des agents dont la pratique permet de constituer la règle de reconnaissance aux seules juridictions. Il écrit que la règle de reconnaissance représente « une forme de coutume judiciaire qui n’existe que si elle est acceptée et mise en pratique par les juridictions dans leurs activités d’identification et d’application du droit » (Hart (H.L.A.), Le concept de droit, op. cit., p. 274).
54 Cf. Ost (Fr.) et van de Kerchove (M.), De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit, op. cit., p. 303-305.
55 Mais cet idéal n’est pas toujours respecté, comme on le verra plus loin.
56 Hachez (I.), « Balises conceptuelles autour des notions de “source du droit”, “force normative” et “soft law” », R.I.E.J., 2010, vol. 65, p. 6, no 4.
57 L’insertion des coutumes constitutionnelles dans une troisième catégorie, dénommée « sources informelles » ou « sources non formelles » du droit, où l’on trouverait aussi la doctrine et les usages (cf. la terminologie de P. Deumier et C. Thibierge présentée dans Hachez (I.), « Balises conceptuelles autour des notions de “source du droit”, “force normative” et “soft law” », op. cit., notes 22 et 23) ne nous semble pas recommandable, car ces deux dernières sources ne sont pas, par elles-mêmes, à l’origine de normes juridiquement obligatoires, à la différence des coutumes constitutionnelles. Si l’on veut s’en tenir à l’opposition binaire « sources formelles » – « sources matérielles », il faut ranger les coutumes constitutionnelles parmi les sources formelles, de même, à notre avis, que les principes généraux du droit à valeur constitutionnelle. Voy. cependant, en sens contraire, la contribution au présent ouvrage de J. Velaers.
58 Cette formulation confirme le propos de J.-M. Finnis, rapporté par Ph. Gérard (« L’idée de règle de reconnaissance : valeur, limites et incertitudes », op. cit., p. 68, note 10), selon lequel la règle de reconnaissance « inclut en réalité une diversité de règles dont certaines confèrent des pouvoirs à leurs destinataires, tandis que d’autres établissent des critères d’identification ».
59 H. Kelsen (Théorie pure du droit, op. cit., p. 307) fait bien cette distinction quand il écrit : « La question de savoir si le fait d’une coutume créatrice de droit est donné dans des cas concrets ne peut être décidée que par les organes d’application du droit. On a parfois conclu de là qu’une règle qui exprime la conduite coutumière des hommes ne devient norme juridique que si et par le fait qu’elle est reconnue par le tribunal qui applique cette règle, et que par conséquent les normes du droit coutumier ne seraient créées que par les tribunaux. Ces vues ne sont pas acceptables : en vérité, la relation entre organes d’application du droit […] et normes de droit coutumier n’est pas différente de la relation entre ces mêmes organes et les normes de droit législatif. […] Dans les deux cas, il existe une norme juridique générale créée déjà avant l’acte d’application du droit ». Sur les doutes et les controverses qui peuvent naître au sujet de l’application de certains critères établis par une règle de reconnaissance, cf. Gérard (Ph.), « L’idée de règle de reconnaissance : valeur, limites et incertitudes », op. cit., p. 79-82.
60 Le rôle de la doctrine dans la formulation de certaines règles de reconnaissance est relevé par Gérard (Ph.), « L’idée de règle de reconnaissance : valeur, limites et incertitudes », op. cit., p. 69.
61 Nous nous inspirons ici du concept initialement proposé par C. Thibierge (« Conclusion. Le concept de “force normative” », in Thibierge (C.) et al., La force normative. Naissance d’un concept, L.G.D.J. – Bruylant, Paris – Bruxelles, 2009, p. 818), tel qu’I. Hachez (« Balises conceptuelles autour des notions de “source du droit”, “force normative” et “soft law” », op. cit., p. 17-38) suggère de le reconstruire.
62 Par cette notion, nous visons, avec C. Thibierge (« Conclusion. Le concept de “force normative” », op. cit., p. 841) et I. Hachez (« Balises conceptuelles autour des notions de “source du droit”, “force normative” et “soft law” », op. cit., p. 26 et 29), l’ensemble des garanties offertes par le système juridique propres à assurer un respect effectif de la norme en cause par ses différents destinataires, que ce soit à travers son « invocabilité » en justice pour faire échec à une demande ou pour contrôler la légalité d’une autre règle, ou grâce à son application directe par le juge ou un autre organe indépendant, ou encore via une gamme plus ou moins étendue de sanctions non juridictionnelles. Un déficit de garantie normative dû à une absence de sanctions juridictionnelles peut donc être compensé, au moins en partie, par d’autres garanties, même si celles-ci sont, en théorie, moins efficaces.
63 Voy. infra sur cette notion.
64 Hachez (I.), « Balises conceptuelles autour des notions de “source du droit”, “force normative” et “ soft law” », op. cit., p. 35.
65 Comme les termes mêmes de son article 33 le révèlent, la Constitution se préoccupe plus de conférer des pouvoirs à certaines autorités que d’énoncer tous les critères d’identification des normes appartenant au système juridique de l’État. Bien sûr, ces pouvoirs comprennent celui de créer des normes juridiques dans le respect de certaines conditions de fond et de procédure. On a alors affaire à des règles de reconnaissance qui sont aussi « des règles de changement » au sens où Hart les définit, c’est-à-dire des normes conférant à certaines autorités le pouvoir de modifier, compléter ou abroger les règles existantes et d’en créer de nouvelles. Mais, comme le relève justement Ph. Gérard (« L’idée de règle de reconnaissance : valeur, limites et incertitudes », op. cit., p. 68-70), les règles constitutionnelles écrites sont généralement muettes sur d’autres critères particuliers d’identification pourtant incontournables, que l’on ne trouve alors que dans les pratiques jurisprudentielles, coutumières et doctrinales. C’est tout l’intérêt de la notion – plurielle, on le voit – de règle de reconnaissance d’en rendre compte expressément, même si elle laisse ouverte la question délicate des relations qui se nouent entre les diverses règles particulières dont elle se compose.
66 Voy., dans un sens analogue, Vanwelkenhuyzen (A.), « De quelques lacunes du droit constitutionnel belge », in Le problème des lacunes en droit, études publiées par Ch. Perelman, Bruylant, Bruxelles, 1968, p. 340, note 2 : « une grande partie des controverses relatives au caractère complet ou non du droit et à l’existence de lacunes paraît provenir de la confusion entre les lacunes de la loi écrite et les lacunes du droit considéré comme l’ordonnancement juridique tout entier, quelles que soient ses sources ».
67 Nous ne récusons le positivisme que dans l’approche des problèmes qui seront abordés dans la troisième partie de la présente contribution.
68 L’article 96 n’oblige le gouvernement à démissionner qu’à la suite d’une motion de méfiance constructive ou du rejet constructif d’une motion de confiance. L’article 46 établit les cas dans lesquels le Roi peut dissoudre les Chambres.
69 Voy. notamment, en ce sens, Wigny (P.), Droit constitutionnel, op. cit., p. 178 ; Velu (J.), Droit public, op. cit., p. 158 ; Uyttendaele (M.), « La coutume constitutionnelle dans le droit public belge contemporain », op. cit., p. 388-390. Adde : Molitor (A.), La fonction royale en Belgique, CRISP, Bruxelles, 1979, p. 27 : « un vote négatif des Chambres à l’égard du gouvernement ne doit pas entraîner automatiquement l’acceptation de la démission ni même d’ailleurs, la présentation de cette démission au Roi. Si la question de confiance a été posée, on peut admettre que la démission s’indique. Si ce n’est pas le cas, il faut apprécier la gravité du vote qui a entraîné l’offre de démission ».
70 Les cas dans lesquels un ministre considéré individuellement doit démissionner sont aussi sujets à des évolutions coutumières, même si l’on pourra toujours y voir une interprétation de la règle écrite de la responsabilité.
71 A. Molitor (La fonction royale en Belgique, op. cit., p. 27) signale que « cette tradition a été suivie en tout cas depuis 1944 ». Elle l’a été même quand le gouvernement sortant avait conservé sa majorité après les élections. Curieusement, J. Vande Lanotte et G. Goedertier (Handboek Belgisch Publiekrecht, op. cit., no 1275) n’y voient qu’un usage. À juste titre, M. Uyttendaele (Trente leçons de droit constitutionnel, op. cit., p. 409) relève, à l’appui de la qualification de règle coutumière, que cette démission s’impose au nom du « respect de l’expression du suffrage universel ». Selon la tradition, le gouvernement présente aussi sa démission après la prestation de serment d’un nouveau Roi. Quand le régime parlementaire était encore dualiste, on pouvait y voir une coutume constitutionnelle enracinée dans le texte de l’article 65, devenu 96, al. 1er, de la Constitution, qui veut que le Roi « nomme ses ministres ». Ici, ce n’est pas la règle de la responsabilité devant le Parlement qui est en cause, mais bien la relation de confiance entre le Roi et ses ministres. Depuis le règne du Roi Baudouin Ier, cette règle s’est réduite à un usage de pure courtoisie. Voy. Uyttendaele (M.) et Maron (E.), « Interrègne, avènement et prestation de serment d’Albert II », J.T., 1993, p. 818-819.
72 Voy. toutefois, dans le cadre juridique distinct des articles 70 à 73 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, qui régit les exécutifs communautaires et régionaux, les arrêts Ligue des droits de l’homme et Coordination nationale de l’action pour la paix et la démocratie du Conseil d’État (C.E., 29 octobre 2009, no 197.522 (en suspension) et C.E., 7 avril 2011, no 212.559 (au fond)). En vertu de l’article 73, al. 2, de ladite loi spéciale, « tant qu’il n’a pas été remplacé, le gouvernement démissionnaire expédie les affaires courantes ». Dans l’affaire en cause, le gouvernement wallon n’avait présenté sa démission que 16 jours après les élections régionales, soit le jour de la première réunion du Parlement nouvellement élu. Or la décision attaquée avait été prise au cours de cette période intermédiaire, précisément le lendemain des élections. Le Conseil d’État n’a évidemment pas pu contraindre rétroactivement le gouvernement à démissionner à ce moment, mais il aboutit au même résultat en considérant que « le gouvernement ne dispose plus de la plénitude de ses pouvoirs pendant la période au cours de laquelle il est privé de sa base parlementaire et échappe au contrôle de l’assemblée élue ». La haute juridiction administrative en conclut que « ce gouvernement, à l’instar d’un gouvernement démissionnaire, peut uniquement expédier les affaires courantes » (souligné par nous).
73 Tout au plus, le Conseil d’État, section du contentieux administratif, pourra annuler les actes signés par ce ministre en raison de son incompétence.
74 Si nécessaire, il appartiendra au Roi de le révoquer en vertu de l’article 96, al. 1, de la Constitution.
75 Comme l’écrit Jaumotte (J.), « Les principes généraux du droit administratif à travers la jurisprudence administrative », in Le Conseil d’État de Belgique cinquante ans après sa création (1946-1996), Bruylant, Bruxelles, 1999, p. 601. Voy., pour le surplus, la contribution déjà citée de J. Velaers.
76 Cf. note 23.
77 Voy., avec les références jurisprudentielles, la synthèse la plus récente et la plus approfondie de Velaers (J.) et Peeters (Y.), « De « lopende zaken » en de ontslagnemende regering », Tijdschrift voor Bestuurswetenschappen en Publiekrecht, 2008/1, p. 3-19.
78 Cf. en ce sens, mais sans la démonstration qui va suivre, Vande Lanotte (J.) et Goedertier (G.), Handboek Belgisch Publiekrecht, op. cit., no 262 et 1277 ; Alen (A.) et Muylle (K.), Compendium van het Belgisch Staatsrecht, op. cit., no 141 ; Velaers (J.) et Peeters (Y.), « De “lopende zaken” en de ontslagnemende regering », op. cit., p. 4-5.
79 Après quelques hésitations jurisprudentielles et doctrinales, le Conseil d’État a assimilé cette seconde hypothèse à la première. Voy., à ce sujet, les références jurisprudentielles dans Velaers (J.) et Peeters (Y.), « De “lopende zaken” en de ontslagnemende regering », op. cit., p. 4, note 10. Il est intéressant d’observer qu’en 1977, un collège de juristes réputés (MM. J. De Meyer, W.J. Ganshof van der Meersch, W. Lambrechts, M. Somerhausen, A. Vanwelkenhuyzen et P. Wigny) a contribué à ces hésitations, en défendant la thèse que ce gouvernement non démissionnaire conserverait la plénitude de ses attributions pendant la période de dissolution, mais serait prié de ne les exercer « qu’avec la réserve que lui impose l’absence momentanée du contrôle parlementaire » (avis remis le 11 mars 1977 et publié dans Administration publique, 1976-1977, M.8, p. 132). Cette théorie des « affaires prudentes » n’a pas résisté aux critiques doctrinales qui ont bien montré que les périodes de la démission et de la dissolution appellent exactement le même régime, celui des affaires courantes, puisqu’elles ont en commun d’engendrer la même paralysie du contrôle parlementaire de l’activité gouvernementale. Voy. notamment Delpérée (Fr.), « Au fil de la crise (3 mars – 3 juin 1977) », J.T., 1977, p. 601 et Salmon (J.), « À propos des affaires courantes : état de la question », J.T., 1978, p. 663. Cet avis du 11 mars 1977 confirme, si c’était nécessaire, le caractère relatif de l’autorité qu’il convient de reconnaître aux commissions de sages, aussi éminents soient-ils, et qu’il faut se garder d’y voir une source formelle autonome du droit.
80 Voy. C.E., 15 mars 1963, Ligny, no 9932, R.A.C.E., 1963, p. 238-239 : à propos d’une nomination par un ministre membre d’un gouvernement dont la démission avait été, conformément aux usages, acceptée verbalement par le Roi, la haute juridiction considère qu’« aucune disposition constitutionnelle ne restreint les pouvoirs des ministres au cours de la période qui précède l’acceptation de leur démission ». Le Conseil d’État ne prend donc en considération que l’acceptation officielle par l’arrêté royal contresigné pris le jour où le Roi nomme un nouveau gouvernement.
81 Sur cette pratique, voy. Molitor (A.), La fonction royale en Belgique, op. cit., p. 29 et 78-81.
82 Maroy (P.), obs. sous C.E., 10 mai 1968, Jassogne, no 12.951, R.J.D.A., 1969, p. 90.
83 Salmon (J.), « À propos des affaires courantes : état de la question », op. cit., p. 662.
84 Maroy (P.), obs. sous C.E., 10 mai 1968, Jassogne, no 12.951, R.J.D.A., 1969, p. 90.
85 Cf. Molitor (A.), La fonction royale en Belgique, op. cit., p. 79-80 : « le Roi peut, en s’abstenant de signer un arrêté, jouer dans ces circonstances particulières le rôle de gardien des institutions qui lui est généralement dévolu. […] Jusqu’il y a peu le contrôle royal était pendant cette période le seul frein à des abus possibles ».
86 Maroy (P.), obs. sous C.E., 10 mai 1968, Jassogne, no 12.951, R.J.D.A., 1969, p. 89.
87 Arrêt cité sous la note 82.
88 C.E., 22 octobre 1974, Vergucht, no 16.682, R.A.C.E., 1974, p. 1017-1021. Pour d’autres arrêts qui se refusent encore à poser clairement le principe de la compétence limitée du ministre démissionnaire, voy. Coolen (A.), note sous C.E., 14 juillet 1975, A.S.B.L. Association du personnel wallon et francophone des services publics, no 17.131, R.J.D.A., 1975, p. 294 et Salmon (J.), « À propos des affaires courantes : état de la question », op. cit., p. 662.
89 Voy. supra, note 23.
90 C.E., 15 mars 1978, N. C.M.V., no 18.848, R.A.C.E., 1978, p. 334-340. À juste titre, J. Salmon critique l’emploi du terme « usage » : « le mot “coutume” aurait été préférable : la coutume est une norme juridique, ce qui n’est généralement pas le cas de l’usage » (Salmon (J.), « À propos des affaires courantes : état de la question », op. cit., p. 662, note 13).
91 Voy. les arrêts cités dans Jaumotte (J.), « Les principes généraux du droit administratif à travers la jurisprudence administrative », op. cit., p. 634, note 232.
92 Selon, par exemple, C.E., 31 août 2011, Pirard, no 214.910, § 17.
93 Sur ces crises, voy. Dumont (H.), « La crise de l’État belge : un défi pour la raison publique », in Raison publique, 2008/8, p. 71-93 et Idem, « Le fédéralisme multinational belge se prête-t-il à une mutation confédérale ? », in Le fédéralisme multinational. Un modèle viable ?, Seymour (M.) et Laforest (G.) dir., P.I.E. Peter Lang, Bruxelles, 2011, p. 177-210.
94 Voy. le projet de loi contenant le budget des Voies et Moyens de l’année budgétaire 2011, déposé par le gouvernement en affaires courantes le 18 avril 2011 (Doc. parl., Chambre, sess. ord. 2010-2011, no 53-1347/001) et adopté en séance plénière le 19 mai 2011 (Doc. parl., Chambre, sess. ord. 2010-2011, no 53-1347/010). La veille, le co-rapporteur Guy Coëme n’avait pas caché que « jamais encore, il n’[était] arrivé qu’un budget soit discuté en l’absence d’un gouvernement de plein exercice. Il s’agissait donc », avait-il précisé, « d’une tâche difficile car le gouvernement devait, d’une part, rester dans les limites imposées par les affaires courantes et, d’autre part, le budget devait présenter » non seulement « les principales lignes de force pour 2011 », mais aussi fournir les bases du « budget pluriannuel imposé par l’Union européenne ». De manière on ne peut plus significative, il a parlé, au nom de son groupe politique, d’« un acte « responsable », surtout vis-à-vis de l’Union européenne ». Face à l’exigence imposée par celle-ci d’« un programme de stabilité 2011-2014 », qui allait donc bien au-delà d’un budget annuel, M. Coëme a déclaré que « l’état d’affaires courantes ne pouvait nous mettre en porte-à-faux par rapport à l’Union européenne » (C.R.I., Chambre, sess. ord. 2010-2011, no 033, séance du 18 mai 2011, p. 8 et 11). Il faut ajouter que l’urgence provenait aussi de la nécessité de protéger le pays contre d’éventuelles spéculations… La légitimité de la pression européenne a, en tout cas, été très largement reconnue. Elle suscite pourtant bien des questions. Voy., sur ce thème, Delpérée (Fr.), « Les cordons de la bourse », La Revue générale, février 2012, p. 5-8.
95 D’autres motifs tiennent à l’évolution qu’ont connue les pouvoirs du Parlement en période d’affaires courantes. Voy. infra à ce sujet.
96 Uyttendaele (M.), « La coutume constitutionnelle dans le droit public belge contemporain », op. cit., p. 399 et Vande Lanotte (J.) et Goedertier (G.), Handboek Belgisch Publiekrecht, op. cit., no 262.
97 Souligné par nous.
98 Ganshof van der Meersch (W.J.), Pouvoir de fait et règle de droit dans le fonctionnement des institutions politiques, op. cit., p. 22 et Idem, « Propos sur le texte de la loi et les principes généraux du droit », op. cit., p. 561 (souligné par nous).
99 Souligné par nous.
100 « La personne du Roi est inviolable ; ses ministres sont responsables ».
101 « Aucun acte du Roi ne peut avoir d’effet, s’il n’est contresigné par un ministre, qui, par cela seul, s’en rend responsable ».
102 Delpérée (Fr.) et Dupret (B.), « Nul ne peut découvrir la couronne », Les Cahiers constitutionnels, Centre d’études constitutionnelles et administratives, 1989, p. 53.
103 Ibid., p. 17 et s.
104 Les juges font, en effet, application de la règle en en tirant l’obligation d’écarter des débats les pièces et documents qui montreraient le contenu de la volonté exprimée par le Roi. Cf. ibid., p. 45-46 et Vande Lanotte (J.) et Goedertier (G.), Handboek Belgisch Publiekrecht, op. cit., no 262, note 267.
105 Delpérée (Fr.) et Dupret (B.), « Nul ne peut découvrir la couronne », op. cit., p. 16. Les auteurs cités structurent en réalité tout leur ouvrage autour de cette analyse en termes de coutume constitutionnelle, mais, cédant à la stratégie discursive déjà observée ci-avant, ils y renoncent in extremis en écrivant dans les deux dernières pages de leur travail qu’il vaut finalement mieux présenter la règle comme se déduisant d’une lecture au second degré du texte constitutionnel. En faveur de la qualification de coutume constitutionnelle, voy. aussi Vande Lanotte (J.) et Goedertier (G.), Handboek Belgisch Publiekrecht, op. cit., no 262 ; Alen (A.) et Muylle (K.), Compendium van het Belgisch Staatsrecht, op. cit., no 124.
106 Martens (W.), Mémoires pour mon pays, adaptation française par G. Daloze, Racine, Bruxelles, 2006, p. 382.
107 Uyttendaele (M.), « La coutume constitutionnelle dans le droit public belge contemporain », op. cit., p. 387-388.
108 Contra : Uyttendaele (M.), Trente leçons de droit constitutionnel, op. cit., p. 396 : « le principe du vote ne devrait pas être interdit ». On ne comprend plus alors comment l’auteur concilie ce propos avec le caractère obligatoire de la procédure du consensus.
109 Cf., par exemple, Uyttendaele (M.), Précis de droit constitutionnel belge, 3e éd., Bruylant, Bruxelles, 2005, no 86 et Idem, Trente leçons de droit constitutionnel, op. cit., p. 383.
110 Cf., par exemple, Delpérée (Fr.), Le droit constitutionnel de la Belgique, op. cit., no 447 ; comp. Velaers (J.), « Op de grens van Grondwet en politiek », op. cit., p. 457.
111 Stengers (J.), L’action du Roi en Belgique depuis 1831. Pouvoir et influence, Duculot, Paris – Louvain-la-Neuve, 1992, p. 40-41. On ne connaît qu’un seul contre-exemple, mais il n’est qu’apparent. La nomination du premier gouvernement dirigé par Yves Leterme entre le 20 mars 2008 et le 19 décembre de la même année n’a pas été précédée par la désignation d’un formateur, mais en réalité, c’est Guy Verhofstadt qui a assumé ce rôle le 10 décembre 2007 quand il a formé le gouvernement dit intérimaire qu’il a dirigé du 21 décembre 2007 au 20 mars 2008 en convenant dès le départ qu’il s’effacerait rapidement au profit de M. Leterme, compte tenu du succès électoral remporté le 10 juin 2007 par ce dernier. Sur le contexte de cet épisode, voy. Mabille (X.), Nouvelle histoire politique de la Belgique, CRISP, Bruxelles, 2011, p. 411-413.
112 Uyttendaele (M.), « La coutume constitutionnelle dans le droit public belge contemporain », op. cit., p. 384.
113 Article 99, al. 2, de la Constitution.
114 Voy. Delpérée (Fr.), Le droit constitutionnel de la Belgique, op. cit., nos 443-444.
115 Prescrite par les articles 96 et 101 de la Constitution.
116 Sans préjudice de l’article 42 de la Constitution.
117 Depuis la rupture du cartel que formaient deux partis flamands, le CD&V et la N-VA, le 21 septembre 2008, le gouvernement dirigé par Yves Leterme jusqu’à sa démission, le 19 décembre de la même année, n’a plus disposé de la majorité dans le groupe linguistique néerlandais de la Chambre des représentants. Le Premier ministre Herman Van Rompuy, qui hérite de la même coalition entre le 30 décembre 2008 et le 25 novembre 2009, souffrira du même handicap, ainsi que M. Leterme, qui le remplacera jusqu’à sa démission le 26 avril 2010. On pouvait croire qu’il ne s’agissait là que d’un accident dû à l’éclatement circonstanciel du cartel en question. Mais on a observé la même absence de soutien majoritaire par le groupe linguistique néerlandais de la Chambre lors de la formation de la nouvelle coalition gouvernementale dirigée par Elio Di Rupo depuis le 5 décembre 2011.
118 Voy. Cerexhe (G.), « La compétence des Chambres nouvellement élues entre leur installation et la formation du gouvernement », Administration publique, 1994, vol. 1, p. 15-23 ; Delpérée (Fr.) et Uyttendaele (M.), « Les pouvoirs du Parlement en période de crise », J.T., 1992, p. 665 et s.
119 Cf. notamment les auditions de M. Uyttendaele et P. Van Orshoven sur l’activité du Parlement en période d’affaires courantes in Rapport fait au nom de la Commission de révision de la Constitution, des réformes institutionnelles et du règlement des conflits par M. Landuyt, Doc. parl., Chambre, sess. ord. 1992-1993, no 996/1, p. 19-20, 30-31, pour le premier, et p. 5-6, pour le second ; Velaers (J.) et Peeters (Y.), « De « lopende zaken » en de ontslagnemende regering », op. cit., p. 13-19 ; Uyttendaele (M.), Trente leçons de droit constitutionnel, op. cit., p. 436-438 ; Van der Hulst (M.), Le Parlement fédéral. Organisation et fonctionnement, U.G.A., Kortrijk – Heule, 2011, p. 537 : pour ces auteurs, l’usage en question ne reposait sur aucun argument juridique, mais seulement sur un motif politique, à savoir la crainte de compromettre par des divisions politiques ingérables la formation d’une nouvelle équipe gouvernementale.
120 Outre M. Uyttendaele et P. Van Orshoven, Fr. Delpérée et H. Van Impe (cf. le rapport cité ci-dessus dans la note 119).
121 Quoique les débats sur la suite des réformes institutionnelles pouvaient, dès 1991, donner à penser que la formation des prochains gouvernements deviendrait de plus en plus laborieuse…
122 Cf. Rapport fait au nom de la Commission de révision de la Constitution, des réformes institutionnelles et du règlement des conflits par M. Landuyt, Doc. parl., Chambre, sess. ord. 1992-1993, no 996/1, p. 37-38.
123 C’est, à notre avis, négliger le principe de collégialité, qui préside à l’exercice de la fonction législative en vertu de l’article 36 de la Constitution, dès lors qu’une des trois branches du pouvoir qui en est investi a perdu, du fait de la démission du gouvernement, la cohésion qui garantit le respect des règles de consensus, de parité linguistique et de solidarité ministérielle qui régissent son fonctionnement. La doctrine majoritaire et le précédent du 29 avril 2010 rejoignent paradoxalement ce point de vue quand la procédure de la sonnette d’alarme (article 54 de la Constitution) est activée. Dans ce cas, l’on reconnaît qu’un gouvernement démissionnaire n’a précisément pas la cohésion requise pour assumer sa fonction.
124 Sur la distinction entre la doctrine et la science du droit, voy. Ost (Fr.) et van de Kerchove (M.), De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit, op. cit., p. 449 et s. ; Dumont (H.) et Bailleux (A.), « Esquisse d’une théorie des ouvertures interdisciplinaires accessibles aux juristes », Droit et Société, no 75/2010, p. 275-293.
125 Contra : la doctrine de H. Kelsen évoquée au point I, B, et dans la note 51.
126 Ergec (R.), Introduction au droit public, t. I, Le système institutionnel, 2e éd., Story-Scientia, Diegem, 1994, no 84.
127 Voy. par exemple, dans le même sens, Perin (Fr.), « Y a-t-il trois pouvoirs constituants ? », op. cit., p. 6 ; Vande Lanotte (J.) et Goedertier (G.), Handboek Belgisch Publiekrecht, op. cit., no 264 ; Lejeune (Y.), Droit constitutionnel belge. Fondements et institutions, op. cit., no 102.
128 de Villiers (M.), Dictionnaire de droit constitutionnel, Armand Colin, Paris, 1998, p. 62.
129 Cf. article 96, al. 2, de la Constitution.
130 Dinh (N.Q.), Daillier (P.) et Pellet (P.), Droit international public, 5e éd., L.G.D.J., Paris, 1994, no 224.
131 Article 6, § 2, 3°.
132 On peut songer, mais ceci est à nouveau très théorique, à la révocation du bavard par le Roi moyennant le contreseing du Premier ministre et, en pratique, l’accord de tous ses collègues, qui accepteraient de se désolidariser du contrevenant.
133 Pour un autre cas possible, voy. supra, sous la note 71.
134 Champeil-Desplats (V.) et Troper (M.), « Propositions pour une théorie des contraintes juridiques », in Théorie des contraintes juridiques, Troper (M.), Champeil-Desplats (V.) et Grzegorczyk (Ch.) dir., L.G.D.J. – Bruylant, Paris – Bruxelles, 2005. Ces auteurs définissent leur concept de contrainte juridique comme suit : « la contrainte juridique est une situation de fait dans laquelle un acteur du droit est conduit à adopter telle solution ou tel comportement plutôt qu’une ou un autre, en raison de la configuration du système juridique qu’il met en place ou dans lequel il opère. En d’autres termes, la contrainte juridique est celle qui est produite par le droit et qui, contrairement à la conception traditionnelle, doit être perçue comme une contrainte de fait » (p. 12), parce que « la solution retenue par l’acteur n’est pas déterminée par une norme qui le lierait : il se trouve dans une situation de pouvoir discrétionnaire. Néanmoins, il est conduit à adopter telle solution ou tel comportement plutôt qu’une ou un autre » s’il se comporte en homo juridicus rationnel (p. 13). Voy. aussi p. 2-3 du même ouvrage pour l’éclairante métaphore tirée du jeu d’échecs.
135 Hamon (F.), Troper (M.) et Burdeau (G.), Droit constitutionnel, 27e éd., L.G.D.J., Paris, 2001, p. 54.
136 Proulx (D.), « La sécession du Québec : principes et modes d’emploi selon la Cour suprême du Canada », R.B.D.C., 1998/4, p. 377 et 371, note 25.
137 La distinction pratiquée par P. Wigny et déjà évoquée entre l’approche formelle et l’approche matérielle de la Constitution avait aussi cet avantage.
138 On observera d’ailleurs que les juristes anglais sont divisés sur la juridicité des conventions de la Constitution. Voy. les références dans Velaers (J.), « Op de grens van Grondwet en politiek », op. cit., p. 461, note 72. Quant aux constitutionnalistes continentaux les plus attachés à la pureté juridique de leur objet, ils ne parviennent jamais à demeurer cohérents avec eux-mêmes, puisqu’ils finissent tous par présenter ces règles dans leur manuel, alors qu’ils devraient logiquement les laisser aux bons soins de leurs collègues politologues.
139 Meny (Y.), vo « Convention constitutionnelle », in Dictionnaire constitutionnel, Duhamel (O.) et Meny (Y.) dir., PUF, Paris, 1992, p. 232-233.
140 Cf. Avril (P.), Les conventions de la Constitution, op. cit.
141 Beaud (O.), vo « Constitution et droit constitutionnel », op. cit., p. 264.
142 Sur cette théorie, voy. Dumont (H.), Le pluralisme idéologique et l’autonomie culturelle en droit public belge, vol. 1, Publications des F.U.S.L. – Bruylant, Bruxelles, 1996, p. 37-51 ; Idem, « Droit public, droit négocié et paralégalité », in Droit négocié, droit imposé ?, Gérard (Ph.), Ost (Fr.) et van de Kerchove (M.) dir., Publications des F.U.S.L., Bruxelles, 1996, p. 457-489 ; Paye (O.), « Regards sociologiques critiques sur l’approche interdisciplinaire du droit », Droit et Société, 2000, no 44/45, p. 261-272 ; Martens (P.), Théories du droit et pensée juridique contemporaine, Larcier, Bruxelles, 2003, p. 244.
143 Voy. infra l’exemple de l’obligation paralégale pour le Roi de s’incliner en cas de désaccord persistant avec ses ministres, celui de la collégialité, qui préside « paralégalement » au fonctionnement du Conseil des ministres, et celui des restrictions paralégales qui affectent l’exercice du droit de veto royal.
144 Voy. infra l’exemple de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail.
145 Voy. infra l’exemple des lois de pouvoirs spéciaux.
146 Par l’expression de « parlementarisme dualiste », rappelons que l’on vise un régime parlementaire dominé par deux forces politiques distinctes, le Roi et le Parlement, les ministres, nommés par le premier et responsables devant le second, occupant l’interface. Ce régime devient « moniste » avec l’effacement des prérogatives royales et la montée en puissance des partis politiques. Il n’y a plus alors qu’une seule force politique dominante, qui transcende la distinction entre les pouvoirs législatif et exécutif : cette force unique est incarnée par le parti ou la coalition de partis qui dispose de la majorité des sièges au Parlement et qui occupe simultanément tous les postes ministériels.
147 Article 88.
148 Article 106.
149 Cf. de Lichtervelde (L.), « Coutumes de la monarchie constitutionnelle », Bulletin de la Classe des lettres et des sciences morales et politiques, 5e série, t. XXXIV, 1948, p. 156 : « Quand le Roi a des objections à une mesure qui lui est soumise, la coutume offre l’exemple de plusieurs méthodes pour régler le différend ».
150 Cité par Molitor (A.), La fonction royale en Belgique, op. cit., p. 17.
151 On a souvent prétendu que cette lecture du texte constitutionnel qui consistait à extraire du champ d’application de la règle du contreseing l’article 68, al. 1er (« Le Roi commande les forces de terre et de mer […] »), devenu 167, § 1, al. 2 (« Le Roi commande les forces armées […] »), était de nature coutumière et avait l’appui de la quasi-unanimité des constitutionnalistes du XIXe siècle et du début du XXe siècle : voy., à ce sujet, Stengers (J.), L’action du Roi en Belgique depuis 1831. Pouvoir et influence, op. cit., p. 92-95. À vrai dire, ce n’est pas tout à fait exact. Voy. les pratiques variables d’un cas à l’autre et le dissensus aussi bien au sein de la doctrine que parmi les acteurs politiques de l’époque dans Ganshof van der Meersch (W.J.), « Le commandement de l’armée et la responsabilité ministérielle en droit constitutionnel belge », Revue de l’Université de Bruxelles, fasc. 3, mars-juin 1949, p. 256-321 et dans le précieux ouvrage, plus récent, de Velaers (J.), Albert I Koning in tijden van oorlog en crisis 1909-1934, Lannoo, Tielt, 2009, p. 152-167, 194-198, 204-211, 223-225 et 344-361. Le Chef du cabinet et Ministre de la Guerre Charles de Broqueville avait tenté de rompre avec cette interprétation soi-disant coutumière, notamment dans une missive adressée au Roi Albert Ier le 26 avril 1918 : « Il m’apparaît comme manifeste que le Constituant a voulu que, dans tous ses actes, le Roi soit couvert par la responsabilité ministérielle. […] Laisser le Roi isolé devant la responsabilité des opérations militaires » lui paraît « en opposition avec tout l’esprit qui inspire la Constitution » (texte cité par Stengers (J.), L’action du Roi en Belgique depuis 1831. Pouvoir et influence, op. cit., p. 96). En réalité, de Broqueville veut surtout protéger l’inviolabilité constitutionnelle du Roi. Mais celui-ci n’a pas accepté cette bonne leçon de droit constitutionnel. Il est resté inflexible, du moins sur le plan théorique, en ce qui concerne les actes relevant du commandement de l’armée. Après avoir rappelé la formule constitutionnelle de son serment de garantir l’intégrité du territoire, il n’a pas cherché le raffinement dans l’argumentation juridique : « Qu’il soit civil ou militaire, le ministre de la Guerre ne peut me couvrir dans le domaine des opérations actives, attendu qu’il n’y intervient pas. […] Léopold Ier a lui-même commandé en chef à Louvain. Il est donc inutile de remuer les textes et de solliciter leur esprit comme il est oiseux de s’adresser à des juristes pour définir les principes du commandement militaire : mon grand-père, d’accord avec les auteurs mêmes de notre charte fondamentale, a fixé, pour l’avenir, la portée exacte de l’article 64 » (texte cité par Velaers (J.), Albert I Koning in tijden van oorlog en crisis 1909-1934, op. cit., p. 354-355). Sur les tensions entre Albert Ier et de Broqueville, mais aussi leurs formules pratiques de nature transactionnelle, voy. note 154. Adde : Stengers (J.), L’action du Roi en Belgique depuis 1831. Pouvoir et influence, op. cit., p. 92-95 ; et surtout, les analyses approfondies de Haag (H.), Le comte Charles de Broqueville, Ministre d’État, et les luttes pour le pouvoir (1910-1940), t. II, Collège Érasme – Nauwelaerts, Louvain-la-Neuve – Bruxelles, 1990, p. 650-665 et 848-867, et Velaers (J.), Albert I Koning in tijden van oorlog en crisis 1909-1934, p. 344-361.
152 Sur l’évolution des pratiques de Léopold Ier à Léopold III en matière d’action diplomatique, voy. Stengers (J.), L’action du Roi en Belgique depuis 1831. Pouvoir et influence, op. cit., p. 247-271. Dans la « grande politique » de Léopold Ier, les ministres n’avaient « aucune part » (p. 252). En revanche, en ce qui concerne « la conduite de la politique spécifiquement belge, consacrée à la sécurité et aux intérêts du pays », le pouvoir des ministres a été grandissant après les quinze premières années du règne. Sous Léopold II et Albert Ier, le couple classique Roi – ministre se met en place, mais avec de notables exceptions, qui voient le Roi tantôt imposer ses vues, tantôt mener des actions purement personnelles. Quant à Léopold III, il a parfois renoué « avec la tradition de Léopold Ier »… (p. 261).
153 Cf. notamment Delpérée (Fr.), Le droit constitutionnel de la Belgique, op. cit., no 501 : « en cas de divergence, il n’y a pas absence de décision. L’un est appelé à l’emporter sur l’autre. Dans la mesure où la responsabilité – entendue en termes juridiques – des actes du pouvoir exécutif fédéral repose sur les seules épaules des ministres, leur volonté est vouée à prévaloir ». M. Uyttendaele (Trente leçons de droit constitutionnel, op. cit., p. 410-411) énonce la même règle, en occultant aussi sa contrariété avec l’article 106 de la Constitution.
154 Voy. la très intéressante comparaison entre les pratiques d’Albert Ier et celles de Léopold III à propos du commandement de l’armée, faite par Haag (H.), Le comte Charles de Broqueville, Ministre d’État, et les luttes pour le pouvoir (1910-1940), op. cit., p. 863-867. Les deux rois se fondent sur la même interprétation du texte constitutionnel – l’exercice du commandement de l’armée leur revient –, mais ils ne l’appliquent pas de la même manière. Malgré leur désaccord sur les principes, de facto, le Roi Albert Ier et de Broqueville mettaient chacun de l’eau dans leur vin. Quand ils n’étaient pas d’accord sur les décisions à prendre, ils finissaient tout de même par trouver des solutions « grâce à un effort mutuel de compréhension et d’imagination » (p. 865). En revanche, en mai 1940, Léopold III s’est effectivement refusé à « toute coopération avec le gouvernement concernant les opérations militaires » (p. 866).
155 Dès les travaux du Congrès national, ce point est clair pour certains. Ainsi, J. Lebeau s’exprime comme suit le 20 novembre 1830 : « la royauté […] n’est pas, à proprement parler, un pouvoir. Comment dire qu’il y ait pouvoir, lorsque toute faculté d’agir est interdite sans l’assentiment d’autrui ? Telle est la position de la couronne, assujettie qu’elle est par le contreseing à la volonté du conseil » (Huyttens (E.), Discussions du Congrès national, 1830-1831, t. Ier, A. Wahlen et Cie, Bruxelles, 1844, p. 208).
156 Voy., à ce propos, Stengers (J.), L’action du Roi en Belgique depuis 1831. Pouvoir et influence, op. cit., p. 43, 86 et 93.
157 À la date du 6 août 1949.
158 Avis de la Commission chargée d’émettre un avis motivé sur l’application des principes constitutionnels relatifs à l’exercice des prérogatives du Roi, M.B., 6 août 1949, p. 7591 (souligné par nous). Pour ce qui concerne le commandement des forces armées, voy. p. 7595-7598.
159 Ibid., p. 7592.
160 En se revendiquant des propos de J. Lebeau cités ci-dessus.
161 Wigny (P.), Droit constitutionnel, t. II, Bruylant, Bruxelles, 1952, p. 579-580.
162 Étant entendu qu’un nouveau gouvernement devra tenir compte, lui aussi, d’une volonté inchangée des Chambres (ibid., p. 574).
163 À la différence des règles applicables aux gouvernements communautaires et régionaux, qui sont formellement tenus par le principe de collégialité (article 69 de la loi spéciale du 8 août 1980), au niveau fédéral, le contreseing d’un seul ministre suffit, en vertu de l’article 106 de la Constitution.
164 Molitor (A.), « Le ministre et le pouvoir », Administration publique, 1982, vol. 4, p. 214.
165 Ganshof van der Meersch (W.J.), « Le Conseil des ministres au sein du pouvoir exécutif en droit constitutionnel belge », in Rapports belges au XIe congrès de l’Académie internationale de droit comparé, vol. II, Bruylant, Bruxelles, 1985, p. 117-175.
166 Velu (J.), concl. sous Cass. (ch. réunies), 10 avril 1987, A.P., 1987, t. 4, p. 297-298.
167 Cass. (ch. réunies), 10 avril 1987, A.P., 1987, t. 4, p. 289. Cet arrêt est critiqué par Uyttendaele (M.), Précis de droit constitutionnel belge, op. cit., no 86.
168 Voy. Canneel (A.), « Le Premier ministre, ses cabinets et ses services administratifs », Les Cahiers constitutionnels, Centre d’études constitutionnelles et administratives, 1987, nos 3-4, p. 43 et s., et p. 59 et s.
169 Sur les précédents, qui datent, pour l’essentiel, du XIXe siècle, voy. Velu (J.), Droit public, op. cit., p. 699 et s.
170 Wigny (P.), Droit constitutionnel, op. cit., p. 177-178.
171 Cf. notamment Delpérée (Fr.), « Le Roi sanctionne les lois », J.T., 1991, p. 593-597 ; Ergec (R.), Introduction au droit public, t. I, Le système institutionnel, op. cit., no 416.
172 Voy., dans le même sens, mais sans employer le concept de paralégalité, Velaers (J.), « Op de grens van Grondwet en politiek », op. cit., p. 459-463.
173 Cf. Cass., 3 mai 1974, J.T., 1974, p. 564, concl. Ganshof van der Meersch (W.J.).
174 Parce qu’elle échoue dans sa tentative d’offrir un encadrement normatif un tant soit peu complet à une pratique très éloignée du texte de l’article 105, quoi qu’en dise la doctrine la plus conciliante.
175 Voy. la démonstration de cette thèse dans Dumont (H.), « Des contrôles de constitutionnalité et de légalité en droit public aux contrôles du pouvoir en droit privé : pour une théorie critique des contrôles de la validité des actes unilatéraux émanant d’un pouvoir public ou privé », in Droit et pouvoir, t. I, La validité, Rigaux (Fr.) et Haarscher (G.) dir., études publiées par P. Vassart, Centre interuniversitaire de philosophie du droit, Story-Scientia, Bruxelles, 1987, p. 226-230.
176 Voy. la démonstration de cette thèse dans Dumont (H.), « Droit public, droit négocié et paralégalité », in Droit négocié, droit imposé ?, Publications des F.U.S.L., Bruxelles, 1996, p. 473-481.
177 Voy. la doctrine recensée par Bombois (Th.), Joassart (P.) et Piret (F.), « Constitution et conventions collectives », in En hommage à Francis Delpérée. Itinéraires d’un constitutionnaliste, Bruylant – L.G.D.J., Bruxelles – Paris, 2007, p. 159-174. Dans leur plaidoyer en faveur de la thèse de la constitutionnalisation, ces auteurs oublient l’objection tirée de ce que l’article 23 de la Constitution ne pouvait, en principe, pas réviser implicitement les dispositions constitutionnelles qui réservent le pouvoir réglementaire au Roi. Mais il faut reconnaître que l’interdiction des révisions implicites est très souvent violée depuis longtemps…
178 Voy. notamment Dumont (H.), « La Constitution et le contrôle parlementaire des délégations aux autorités administratives. Pour un renouveau du régime parlementaire belge à l’heure de la gouvernance », in De Grondwet verleden, heden en toekomst – La Constitution : hier, aujourd’hui et demain, Sénat de Belgique, Cahier no 2, Bruylant, Bruxelles, 2006, p. 59-70 et De Roy (D.), « Le pouvoir réglementaire des autorités administratives indépendantes en droit belge », in Rapports belges au Congrès de l’Académie internationale de droit comparé à Utrecht, Bruylant, Bruxelles, 2006, p. 711-747.
179 Carreau (D.) et Marrella (F.), Droit international, 11e éd., Pedone, Paris, 2012, p. 304.
180 Ibid., p. 303.
181 Dupuy (P.-M.), Droit international public, 8e éd., Dalloz, Paris, 2006, no 321.
182 De manière directe – c’est le cas de l’obligation pour un gouvernement démissionnaire d’expédier les affaires courantes – ou indirecte – il en va ainsi de l’obligation gouvernementale de démissionner au lendemain des élections et de l’interdiction de découvrir la couronne.
183 Pensons à l’obligation pour le Roi de solliciter le concours d’un formateur pour être en mesure de constituer un gouvernement ou à celle de faire couvrir par le contreseing des actes non écrits susceptibles d’avoir une portée politique.
184 Sur la jurisprudence comme source du droit, voy. la contribution au présent ouvrage (volume 2) de M. van de Kerchove.
185 Pour un exemple simple, voy. l’article 18 de la Constitution : « La mort civile est abolie ; elle ne peut être rétablie ».
186 Par exemple, l’interdiction de constituer un gouvernement fédéral a priori inapte à bénéficier de l’appui d’une majorité dans chaque groupe linguistique avant les contre-exemples de 2008 et 2011 ou l’interdiction pour les Chambres d’adopter en séance plénière une proposition de loi en période d’affaires courantes avant le revirement de 2007.
187 Le taux de juridicité de la règle est proche de zéro, mais elle demeure invocable sur la scène politique au titre d’un argument qui n’est pas exclusivement politique, comme on a pu le constater dans les exemples de la note précédente.
188 Par exemple, l’obligation pour le gouvernement démissionnaire d’expédier les affaires courantes et l’interdiction de dévoiler la Couronne.
189 Par exemple, l’obligation, depuis 1949, pour le Roi de faire couvrir par le contreseing tous ses actes non écrits mais susceptibles d’avoir une portée politique.
190 Par exemple, l’obligation pour le Roi de solliciter le concours d’un formateur pour être en mesure de constituer un gouvernement.
191 Par exemple, la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail.
192 Par exemple, les lois de pouvoirs spéciaux jugées conformes à l’article 105 de la Constitution par la jurisprudence et la doctrine dominante depuis 1974, malgré le caractère inapproprié de cette disposition.
193 Par exemple, l’obligation, depuis 1949, pour le Roi de s’incliner en cas de désaccord persistant avec ses ministres, malgré le texte de l’article 106 de la Constitution.