Recherche sociologique, éthique et politique
p. 659-691
Texte intégral
1Au fur et à mesure que croit sa puissance, la science est plus radicalement confrontée à la question éthique fondamentale de la nature et de la limite du pouvoir que l’homme peut exercer sur ses semblables. Si, jusqu’ici, la question a moins préoccupé les sciences sociales, c’est parce leur capacité de maîtrise du réel n’a pas atteint celle des sciences « dures ». C’est encore, pour les disciplines critiques comme la sociologie, parce qu’elles sont précisément critiques, c’est-à-dire plus préoccupées de désubstantialiser les pouvoirs de toutes espèces, y compris le leur, que de se constituer elles-mêmes en autres pouvoirs. Cependant, avec les progrès de la quantification, avec les anticipations qu’elles permettent, avec le crédit qu’on leur concède pour orienter et légitimer des décisions cruciales, avec leur empreinte dans l’élaboration de nouvelles « vérités », les sciences sociales sont de moins en moins extérieures à l’exercice du pouvoir. A l’heure où règnent la raison scientifique et la légitimité rationnelle, les sciences « molles » elles-mêmes prennent du poids.
2Mais ce nouveau pouvoir gêne d’abord les chercheurs en sciences sociales eux-mêmes et, en particulier, les sociologues. Beaucoup d’entre eux, en quête de ressources et d’une utilité sociale effectuent des recherches instrumentales (connaître l’état d’esprit d’un électorat, régler des tensions et des conflits dans une organisation, déterminer la population susceptible de s’installer dans un quartier rénové, contribuer au succès de projets pilotes censés donner corps au programme d’un ministre, trouver des moyens pour canaliser les ardeurs des hooligans...). Mais ils ne souhaitent pas pour autant renoncer à leur fonction critique. C’est pourquoi les mêmes chercheurs peuvent grossir les rangs des auteurs de publications et de communications scientifiques sur des questions métasociologiques (épistémologie, éthique et sociologie de la sociologie) qui prolifèrent aujourd’hui comme autant de contre-feux à une puissance à la fois attrayante et inquiétante. Il ne faudrait pas cependant que l’essentiel du travail sociologique se partage entre deux pôles : d’un côté des études quantitatives ou qualitatives à visée instrumentale ou utilitaire en regard d’objectifs posés en amont par le commanditaire ; de l’autre des essais critiques dont une des fonctions serait de saper la légitimité des premières.
3Les choses sont heureusement moins simples. La plus grande partie des travaux sociologiques universitaires sont d’un « troisième type ». Mis à part les cas particuliers comme les recherches doctorales, les projets de recherche s’inscrivent le plus souvent dans un jeu où un chercheur ou un centre de recherche et un commanditaire doivent composer. D’un côté, il y a toujours une proposition ou une offre d’un centre de recherche qui répond à un appel d’offres ou à une demande d’une instance quelconque (programme européen, national, régional ou communautaire, cabinet ministériel, fondation...) ou qui prend l’initiative de proposer un projet de recherche avec l’espoir que des modalités de financement pourront être trouvées. D’un autre côté, la marge de manœuvre des centres de recherche n’est pas mince. Elle dépend notamment du cadre même de la convention (les demandes ministérielles et les programmes nationaux ne présentent pas les mêmes contraintes et possibilités), de la notoriété du centre de recherche et de la volonté des chercheurs d’exploiter cette marge de manœuvre. Dans quasi tous les cas, ils peuvent faire des offres, doivent traduire en objectifs scientifiques des demandes sociales, ont la maîtrise du dispositif méthodologique et, dans une large mesure, de la diffusion des résultats.
4Reste que, dans tous les cas de figure, la pratique confronte constamment les chercheurs à des questions extrêmement concrètes et simples dans leur formulation : Faut-il répondre à cette demande de recherche dont les résultats sont curieusement attendus juste avant les élections ? Certaines recherches ne conduisent-elles pas à renforcer des dispositifs de contrôle social ? Aurait-il été possible d’éviter que les résultats de certains travaux soient présentés par la presse de manière sommaire et avec sensationnalisme ? Doit-on fuir les médias ou chercher à y parler autrement ? A quoi a servi, en fin de compte, cette recherche à laquelle tant de temps et d’énergie ont été consacrés ? Quelle part faut-il faire, dans chaque recherche, au souci de mieux connaître l’objet et à celui de faire progresser la discipline ? Dit autrement : travaille-t-on pour la société ou pour la sociologie ?...
5Ce cadre concret, qui définit un espace de contraintes et de possibilités, sera le décor de la réflexion proposée ici. Elle se présentera comme la quête d’une articulation plus pensée entre la recherche sociologique d’une part et l’éthique et le politique d’autre part. La démarche consistera à explorer successivement quelques-unes des dimensions clés du problème, dans l’objectif de dégager des pistes pour une telle articulation et d’en mettre au jour certains des enjeux les plus cruciaux. Sous cette forme, il s’agit pour nous d’un exercice inaccoutumé, réalisé à la faveur du colloque dont cet ouvrage reprend et développe le contenu. La réflexion adopte le point de vue d’un praticien de la recherche sociologique spécialisé dans les méthodes d’analyse en groupe et d’intervention (cf. infra) mais « généraliste » du point de vue de la théorie sociologique et des champs d’analyse. Pour ce qui concerne la structure de la réflexion, on passera progressivement des dimensions et des questions les plus générales, au sens où elles concernent l’ensemble des chercheurs, à celles qui relèvent davantage d’options théoriques et méthodologiques spécifiques. Dans cette optique, on terminera par quelques réflexions relatives à certains méthodes d’intervention et de recherche-action.1
La grande tradition de la recherche sociologique
6Dans la tradition sociologique, le type de production le plus caractéristique et le plus marquant est celui de la grande recherche « empirique » (au sens où elle a un objet « concret » et implique un travail sur des données2et « critique » (au sens où elle a un objet « construit » contre les évidences admises). A titre d’exemples, on peut citer : Le suicide de Durkheim, L'éthique protestante et l’esprit du capitalisme de Weber, The Polish Peasant in Europe and America de Thomas et Znaniecki, Asiles de Goffman, Outsiders de Becker, L’élite au pouvoir de Mills, ou, plus récemment, The Making of the Working Class de Thompson, Political Man de Lipset, Le phénomène bureaucratique de Crozier, La distinction de Bourdieu etc. C’est à partir d’elles que les cadres de pensée, les ressources conceptuelles et les outils méthodologiques de la discipline ont été élaborés et ont pu prendre sens. C’est essentiellement à partir d’elles, en définitive, que la sociologie s’est construite et s’est fait reconnaître.
7Quoique conscient du caractère « intuitif » des propos, nous aurions tendance à dire d’emblée et de manière volontairement carrée que, dans de telles recherches, une bonne partie de la question de l’articulation entre la connaissance sociologique d’une part et l’éthique et le politique d’autre part se résout d’elle-même et n’a guère besoin d’être explicitée. Les « bonnes » recherches, marquées par un questionnement inédit du social, une conceptualisation précise et inventive, la rigueur méthodologique, le recul réflexif, le souci de pertinence pratique et, moins rarement qu’on ne le pense parfois, la clarté de l’exposé3, parlent d’elles-mêmes. Elles permettent de définir les enjeux normatifs d’un problème. Elles peuvent éveiller à une conscience et à une responsabilité éthiques et politiques. Elles marquent durablement leur temps, et sans violence car elles ne peuvent influencer leurs destinataires qu’à travers leur activité critique. Bref, on pourrait apporter déjà un premier élément de conclusion par la directive qui semble s’imposer au regard d’un simple coup d’œil sur l’histoire de la discipline : contentons-nous, si l’on peut dire, de produire des recherches qui présentent de telles qualités, et le reste viendra, pour une large part, en surcroît.
8Ces travaux n’obéissent pas à un modèle épistémologique et méthodologique unique. Ils en conjuguent plusieurs dans des proportions variées : les approches « scientistique », « historique » et « dialectique » si l’on se réfère à la typologie de Habermas ; les approches « émancipatrice-systémique » (e.g. la tradition marxiste et l’Ecole de Frankfort), « émancipatrice-historique » (e.g. Thompson), « interprétative-systémique » (e.g. la tradition parsonnienne) et « interprétative-historique » (e.g. la tradition weberienne) si on se réfère à la typologie de Orum4. Appeler de ses vœux de telles recherches, c’est cependant rappeler que l’essence du travail sociologique est la production d’une connaissance concrète du social, soit ce dont nous manquons sans doute le plus cruellement aujourd’hui dans notre pays (avec de bonnes synthèses comme on le verra plus loin) dans une série de domaines cruciaux comme le fonctionnement concret du système politique et de l’exercice du pouvoir, les rapports entre l’économique et les autres sphères de la vie collective, le lien social, les effets des politiques publiques, les processus spatiaux, la mondialisation du social ou le rôle des médias dans la recomposition de l’espace public. La Belgique apparaît comme un pays qui ne cherche pas vraiment à se connaître. La responsabilité éthique et politique du chercheur nous semble consister d’abord à mener des recherches là où notre société s’ignore elle-même, de manière à contribuer à une action aussi lucide que possible et discutée de manière conflictuelle.
9En conservant ces recherches exemplaires en point de mire, et en tirant sur le fil que constitue cette entrée, on poussera la réflexion, en progressant donc du plus au moins universalisable, en quelque sorte.
Un « fond commun » éthique de la science ?
10En amont de leurs différences et de leurs choix propres, ces recherches partagent et illustrent une espèce de fond commun de finalités, de valeurs morales et de normes que le travail scientifique est censé présupposer : l’adogmatisme, le désintéressement, la quête de la plus grande « vérité » ou « intelligibilité » possible, l’autonomie à l’égard des pouvoirs externes, la pertinence en regard d’enjeux de société, l’« objectivité », le respect d’une « discipline » (validité externe et interne, cohérence et rigueur, souci d’accumulation), le contrôle empirique des théories, le postulat d’universalité rationnelle selon lequel il doit être possible de se comprendre entre cultures différentes à partir du langage commun de la raison...5, à quoi on peut ajouter, au fur et à mesure que la discipline se constitue, la discussion sans contrainte entre pairs à l’intérieur d’une communauté scientifique.
11La science n’est donc pas seulement un mode de connaissance mais, en raison des fins qu’elle poursuit, des valeurs qu’elle postule et des normes auxquelles elle obéit, une éthique de la connaissance à travers laquelle se constitue sa spécificité. Même si la science ne peut prétendre (comme elle a pourtant tendance à la faire) au monopole de la connaissance légitime, c’est seulement parce qu’elle peut se prévaloir de fonctionner selon de tels principes qu’elle est tellement efficace. Fondés sur des critères comme la mise à l’épreuve empirique des théories ou l’intersubjectivité à visée universelle, ses enseignements acquièrent une crédibilité à laquelle aucun autre mode de connaissance ne peut prétendre. Les chercheurs ont notamment le pouvoir considérable de dire collectivement (c’est-à-dire après débat dans la communauté scientifique) et avec beaucoup de poids ce qui est scientifiquement pertinent et ce qui ne l’est pas. Ainsi, par exemple, les chercheurs en sciences sociales disent-ils collectivement que les théories racistes ne sont pas pertinentes pour expliquer les comportements, ou qu’il est pertinent d’étudier l’enseignement notamment comme un système de reproduction et de légitimation des inégalités sociales.
12Cette dimension collective de la science est ici essentielle. Une recherche, considérée en elle-même, peut être menée avec une grande rigueur scientifique tout en étant moralement discutable voire condamnable, en raison des finalités qu’elle poursuit ou des méthodes qu’elle utilise par exemple. Elle peut aussi rester lettre morte, sans impact social et politique. C’est la mise en contraste critique des différents travaux qui crée une dimension nouvelle et essentielle dont ressortent non plus des contenus sériés mais bien comparés, articulés et débattus, et, au bout du compte pour les sciences sociales, des discussions portant sur des enjeux de société à caractère normatif : quelles fonctions donner à l’école et quels doivent être ses liens avec l’entreprise ? comment reconstruire du lien social quand le travail se raréfie ? quelles pourraient être les fondements de la citoyenneté dans nos sociétés pluralistes ?... Ce sont moins alors les résultats tels quels des différents travaux qui sont dotés d’une potentialité normative et politique mais bien l’ensemble composé des contenus de recherche et d’une dynamique argumentaire et qui constitue un espace plus ou moins public de discussion sur les représentations du monde, de la société et de l’être humain. De là découle, à nos yeux, l’intérêt et l’importance de synthèses qui balisent et structurent un espace de débats sur des problèmes clés en montrant où se situent les points de discussion et leurs enjeux. Dire collectivement ce qui est scientifiquement pertinent ne peut dès lors revenir à proclamer des vérités convenues car les résultats de ce processus restent toujours essentiellement problèmatiques (comme d’ailleurs le débat sur les théories racistes ou sur les fonctions de l’école). Imposés par une nomenklatura de savants autoritaires et officiels, ils perdent forcément leur validité.
13Même si elles devraient y être plus courantes, les situations où un individu a raison contre la communauté des chercheurs ne sont pas propres aux systèmes totalitaires. Mais il faut choisir : s’exclure de la communauté scientifique pour de bonnes ou de mauvaises raisons (encore que parfois, on puisse en être exclu sous la contrainte), et avoir peut-être raison tout seul mais peu de poids, ou accepter les règles de la communauté scientifique et avoir peut-être moins vite raison et certainement pas tout seul mais, au bout du compte, sans doute plus de poids. Il va de soi cependant que les contraintes et la conscience imposent de faire un choix différent selon le régime et les conditions concrètes auxquels on a affaire.
14Si l’on veut que le travail scientifique ait un poids acceptable pour un chercheur habité de préoccupations éthiques, il ne s’agit donc pas de contempler les œuvres de la communauté scientifique mais bien de la dynamiser sans relâche. Ces valeurs qui fondent le travail scientifique ne peuvent être établies scientifiquement ; elles sont le résultat conventionnel et raisonné d’une construction collective séculaire mais inachevée et problématique. Elles ne vont donc pas de soi et peuvent être perverties. La nature même du travail scientifique est l’objet d’une constante discussion entre chercheurs où des arguments de caractères scientifiques et extra-scientifiques entrent en lice. S’il existe un fond éthique commun et peu discuté de principes généraux, diverses manières de les mettre en œuvre coexistent et se concurrencent en vue d’incarner la science la plus légitime. On connaît ces débats épistémologiques entre disciplines, entre paradigmes transdisciplinaires et entre courants à l’intérieur d’une même discipline. Plus encore, les contraintes économiques, institutionnelles et politiques auxquelles les chercheurs sont confrontés, comme leurs aspirations et leurs stratégies propres peuvent être à l’origine d’un écart plus ou moins important entre les valeurs déclarées et la réalité du travail de recherche. Ainsi, par exemple, la privatisation d’une partie croissante de la recherche, surtout en sciences appliquées mais aussi en sciences sociales, va-t-elle à l’encontre de la publication et de la discussion des résultats.
15Si donc l’activité scientifique implique de facto le respect de certains principes éthiques, la définition même et le respect de ces principes constituent eux-mêmes des enjeux de plus en plus cruciaux aujourd’hui. Par ailleurs, il est clair que le fait que l’activité scientifique repose sur un fond de valeurs et de normes partagées n’implique pas que ses produits soient d’office moralement acceptables. Tel n’est évidemment pas notre propos. Il est d’attirer l’attention sur ces enjeux, compte tenu du potentiel d’influence de l’activité scientifique. Si l’influence de la science est considérable, alors il est essentiel de s’interroger davantage sur les finalités et les méthodes de cette influence. C’est dire que les scientifiques qui souhaitent avoir un impact réel réelle sur le social en raison de leurs convictions morales devraient sans doute œuvrer d’abord à l’intérieur même de leur champ scientifique disciplinaire. Pour des chercheurs convaincus des valeurs démocratiques et des droits de l’homme par exemple (qui, en sciences sociales tout au moins, constituent sans doute la majorité), une manière d’être « socialement et politiquement efficace » est de contribuer à reconduire et développer en toute occasion les principes mêmes du travail scientifique qui peuvent y contribuer, comme la discussion entre pairs, la valorisation de la pertinence pratique et la diffusion publique des résultats.
16S’il est clair que la science n’apporte pas de réponses, en elle-même, aux questions de la responsabilité éthique et politique du chercheur et de ses implications concrètes, on pense cependant que les potentialités qu’elle recèlent ne sont pas suffisamment explorées et mises à profit. Parfois même, elles demandent tout simplement à être sauvegardées ou restaurées. On suggère donc de ne pas trop vite aller voir ailleurs et d’exploiter au contraire cette potentialité en infléchissant au maximum les pratiques scientifiques dans le sens de certaines valeurs éthiques qui sont virtuellement en elles. Si l’on accentue sans doute ici un peu le trait (au risque d’être taxé de scientisme larvé), c’est pour s’opposer à une certaine résignation actuelle de chercheurs qui entretiennent des états d’âme sur leur inefficacité politique (« ne devrait-on pas s’engager en politique ?... ») mais ne voient pas le pouvoir qui est à portée de leur main. A partir de là, les scientifiques devraient pouvoir mieux négocier une position propre et nécessaire dans l’espace social et politique, sur base d’un respect mutuel à l’égard de ceux qui en incarnent d’autres composantes. On reviendra plus loin, dans un autre cadre, sur ces questions.
Un « fond commun » éthique de la sociologie ?
17Comment aller plus avant puisque, même si ce n’est déjà pas rien, s’en tenir à une éthique de base et générale du travail scientifique ne peut suffire ? Une deuxième étape de notre réflexion porte sur la question de savoir si la sociologie ne présuppose pas, par sa nature même, une posture éthique et un rapport au politique qui lui seraient propres et s’imposeraient à l’ensemble de ses praticiens. Le danger est ici de faire valoir comme principes généraux des options partagées par une partie seulement de la communauté sociologique. L’exercice vaut toutefois d’être tenté au nom de l’histoire propre de la discipline, de ses traditions et de ce qu’on se hasardera à appeler son projet clairement manifesté par la grande majorité des publications scientifiques et des discours des sociologues de tous pays sur leur propre discipline.
18La sociologie est fondée sur, au minimum, un présupposé éthique : une société a intérêt à se connaître. Dans un contexte historique où les anciens modes de production, de cohésion, de domination et d’organisation sociales s’effondrent au profit de nouveaux dont on ne peut pas encore dire le destin, cet effort de la société pour se connaître est, pour les fondateurs de la sociologie, tout le contraire d’un luxe. Sachant ce que les sociétés modernes ne veulent plus pour elles-mêmes, il est d’une absolue nécessité de savoir quel autre mode de vie collective est souhaitable, probable ou tout simplement possible, a fortiori quand prévaut le sentiment que l’avenir pourrait être indéfiniment indéterminé et instable.
19En cela, la sociologie constitue une forme historiquement située (dans le contexte de la chute de l’ancien régime, de la révolution industrielle et de l’essor de l’esprit scientifique) et spécifique d’un projet plus vaste : celui, consubstantiel à la condition humaine, de vouloir se comprendre. On pourrait sans doute dire que le sens de cet effort de l’humanité pour se comprendre est que sans cet effort l’humanité n’aurait pas de sens.
20Mais cet effort de connaissance scientifique du social se heurte au fait que le propre des sociétés humaines est précisément de construire d’elles-mêmes des images d’autant plus tenaces qu’elles sont extrêmement fonctionnelles : justifier une décision ou un compromis, légitimer voire sacraliser une domination, assurer la cohésion d’un groupe, contenir des adversaires, vaincre des concurrents, se rassurer face à une menace, argumenter une revendication ou, plus largement, affecter de sens l’expérience individuelle et collective.
21Dans la tradition marxiste, le principal obstacle à une connaissance scientifique du social réside dans la prégnance de l’idéologie dominante dont résulterait l’aliénation du peuple exploité. Dans la tradition durkheimienne, c’est le sens commun et les prénotions qu’il faut combattre, les représentations des individus ne constituant que des obstacles à la connaissance objective des « faits sociaux ». Dans les deux cas, la sociologie ne peut que se heurter à des représentations du social qui ont de bonnes raisons de se défendre bec et ongles. Elle est alors une « sociologie du soupçon ». Dans la tradition de la sociologie compréhensive au contraire, le point de vue de l’acteur n’est pas seulement un incontournable objet de connaissance car ses actions ne sont compréhensibles qu’en regard du sens dont il les affecte, elles constituent une forme de connaissance dont la fragile subjectivité ne peut être opposée trop sommairement à la solide objectivité des représentations savantes.
22Il n’empêche. Dans tous les cas, la sociologie exige un dépassement des représentations admises du social, vise à mettre au jour ce qui n’est pas perçu (comme les fonctions latentes chez Merton), fait émerger les logiques des actions collectives et individuelles que leurs auteurs aiment à expliquer autrement ou à refouler. Berger y voit franchement le charme même de la sociologie : « La plupart du temps, le sociologue aborde des secteurs de l’expérience qui lui sont parfaitement familiers ainsi qu’à la plupart de ses compatriotes et contemporains. Il étudie des groupes, des institutions et des activités dont les journaux parlent tous les jours. Mais ses investigations comportent un autre type de passion de la découverte. Ce n’est pas l’émoi de la découverte d’une réalité totalement inconnue, mais celui de voir une réalité familière changer de signification à nos yeux. La séduction de la sociologie lui vient de ce qu’elle nous fait voir sous un autre jour le monde de la vie quotidienne dans lequel nous vivons tous ».6
23Mais on sait que ce séduisant programme est semé d’embûches puisque la nature même de la connaissance sociologique offense directement les représentations admises de la société et de ses institutions, et peut constituer pour elles un véritable péril. Weber attribue clairement et fermement au sociologue la tâche de « désubstantialiser » les entités collectives hypostasiées (soit les « situations » sociales et les institutions au sens le plus large du terme, à commencer par l’État) et de les réduire à ce qu’elles sont avant tout : des cours d’action prévisibles qui n’existent que parce qu’elles sont reconduites par les comportements des acteurs sociaux et affectées par là d’une probabilité plus ou moins élevée, ou encore ce que nous appellerions des schémas d’interaction légitimés. Au contraire de Durkheim, pour Weber les institutions n’ont qu’une apparence d’objectivité car « tout se passe comme si (...) certains rapports, par leur régularité statistique, se comportaient comme des choses »7. La légitimité légale-rationnelle de Weber est un rapport entre dominants et dominés fondé sur des croyances qui, reconduit dans une multitude de conduites sociales (de fonctionnaires, d’usagers...) met en œuvre une domination effective dont les grandes institutions bureaucratiques modernes constituent les hypostases. Le capitalisme a pour substance réelle l’ensemble des conduites sociales des capitalistes et n’existe que parce que des millions d’individus reconduisent quotidiennement des conduites de type capitaliste.
24Le génie sociologique de Marx est d’avoir compris avant les autres toutes les conséquences scientifiques et pratiques de cette véritable révolution copernicienne consistant à concevoir le social comme un système de rapports sociaux (essentiellement, à ses yeux, d’exploitation) et d’actions sociales signifiantes (car orientées par des idéologies) et de le mettre au jour comme tel au cœur des situations et des institutions les plus admises et les plus respectées. Elle conduit en effet à tout reconsidérer sous un angle neuf qui dévoile la nature interactive (c’est-à-dire précisément sociale) de ce qui existe et, par là, d’extraordinaires potentialités d’action et de changement. La richesse des riches ne procède ni d’une loi naturelle, ni d’une tradition sacrée, ni d’un mérite exceptionnel, ni de la valeur en soi de l’argent, ni d’actes notariés ; elle procède du fait que, pour des raisons liées à l’exploitation et à la soumission, à la contrainte et à l’aliénation, aux convictions et à l’intérêt, à la nécessité et à la peur...,1e respect de leur richesse est reconduit jour après jour par les uns et les autres (par les calculs des puissants, le labeur des travailleurs, les achats des ménagères, la vigilance de la justice, les sermons des curés, les papiers des journalistes économiques...). La richesse des riches (comme la pauvreté des pauvres) n’est donc pas une situation, un fait ou une réalité en soi ; elle est un rapport social et son résultat précaire car les actions qui le constituent sont toujours susceptibles de cesser au profit d’autres actions.
25Dans pratiquement tous les manuels de sociologie, Durkheim et Weber semblent nés pour être opposés. Si leurs œuvres n’avaient pas des points communs plus essentiels que leurs différences, une nouvelle discipline ne se serait pas développée autour de leurs deux noms indissociablement liés. Et s’il ne partageaient pas la reconnaissance d’un enjeu et d’un projet, il n’y aurait pas de quoi les opposer. L’un et l’autre se donnent pour tâche de mettre le social au jour là où l’on prétend voir autre chose : des entités collectives substantifiées pour Weber, du choix rationnel (la division du travail), de la singularité (l’individualisme) ou de la psychologie individuelle et de l’hérédité (le suicide) pour Durkheim. Weber aussi « explique le social par le social » car les actions qui constituent pour lui le social sont précisément sociales, c’est-à-dire effectuées par des acteurs en fonction d’autres acteurs. Cohésion sociale, solidarité, différentiation, densité sociale, milieu... chez l’un, action sociale, domination... chez l’autre, partagent le commun dénominateur d’un niveau de réalité qui procède de la coexistence et de la co-activité des êtres humains dont les processus clés ne peuvent être dévoilés que par la déconstruction critique de l’apparente objectivité qui les recouvre. Certes, Durkheim prétend « étudier les faits sociaux comme des choses » tandis que Weber entend les déréifier. Mais il n’est pas certain qu’il s’agisse bien des mêmes « choses » ; le précepte de Durkheim n’étant pas une proposition théorique, mais bien, à ses yeux d’artisan et de militant d’une sociologie scientifique, une « règle de la méthode sociologique ».
26On ne peut nier qu’au-delà de ces préoccupations générales, leurs points de vue sur la nature du social et sur la place qu’y occupent ou non l’acteur et le sujet divergent profondément avec des implications éthiques et politiques importantes. Le point de vue de la déconstruction critique et de la mise au jour de la nature sociale de l’institué n’est toutefois pas un point de vue théorique parmi d’autres. Il se situe en amont et est constitutif de la sociologie elle-même. En dépit de leurs divergences, la plupart des grands courants théoriques et des grands sociologues de ce siècle ont suivi les fondateurs dans la voie qu’ils avaient tracée. C’est à partir d’elle que la sociologie moderne s’est construite et a su trouver le plus clairement sa spécificité et son intérêt. Voir la société et ses institutions comme du « social » revient à dire que les potentialités de changement sont infiniment plus profondes et plus étendues qu’on ne l’imagine puisqu’elles ne s’imposent plus de l’extérieur, en fonction de « garants métasociaux » comme dirait Touraine.
27C’est en quoi la sociologie possède, par sa nature même, un potentiel d’émancipation et d’action. Aucune institution ne va plus de soi. La religion remplirait diverses fonctions sociales qui n’ont pas forcément grand-chose à voir avec Dieu (Durkheim, Parsons). Loin d’atténuer les inégalités sociales, l’école les reproduirait tout en les légitimant (Bourdieu). L’amour est tout sauf aveugle (Berger). L’institution psychiatrique ne servirait pas à soigner les fous puisqu’elle en produit plus qu’elle n’en guérit (Goffman). Etre individualiste est d’une grande banalité (Durkheim). L’ascétisme aristocratique des professeurs est moins le signe d’une élévation de pensée qu’une manière de faire de nécessité vertu (Bourdieu). La déviance contribuerait autant à la cohésion sociale qu’elle ne la met en péril (Cohen). Les soldats américains de race noire seraient plus ambitieux que leurs homologues blancs (Lazersfeld). La science serait fondamentalement un système de croyances (Polanyi). Et enfin, devrait-on conclure, ceux qui perçoivent la sociologie comme menaçante n’auraient pas tout à fait tort.
28L’analyse sociologique implique en effet une exigence de lucidité radicale sur l’expérience de la vie en société. En déconstruisant systématiquement les explications qui évacuent le social et en leur substituant, au cœur même de ses principes explicatifs, l’expérience sociale sous ses diverses formes, elle place frontalement les acteurs face à leurs responsabilités. Elle les appelle soit au dépassement des situations étudiées, soit à leur acceptation en connaissance de cause. En dévoilant les déterminations dont l’acteur social est l’objet, les théories considérées comme déterministes elles-mêmes invitent moins à la résignation qu’à l’action transformatrice dont elles constituent une première étape centrée sur la lucidité. Par exemple, les mesures contre l’inégalité scolaire doivent beaucoup aux théories de la reproduction sociale (Boudon et Bourdieu). Quant aux théories de l’action et des rapports sociaux, elles montrent combien et comment le sort des sociétés et des groupes humains dépend de l’activité des acteurs sociaux et des relations qu’ils instaurent entre eux.
29On n’entre pas en sociologie comme on entre en biologie ni même en histoire ou en psychologie. On ne rencontre que rarement des sociologues attirés seulement par la curiosité intellectuelle, l’activité scientifique en tant que telle ou, encore moins, les perspectives professionnelles. Sans doute les profils changent-ils au fil des générations et de leurs sensibilités, et s’il y a moins de militants purs et durs ou de « missionnaires » aujourd’hui, on retrouve, parmi les jeunes sociologues, une proportion anormale (au sens statistique du terme) d’anciens étudiants « engagés » et réticents à choisir un métier selon des critères de prestige ou de rentabilité. Une sociologie des sociologues démontrerait concrètement ce qu’en définitive on développe ici : pour une grande partie des sociologues (sans doute la majorité), faire de la sociologie est, en soi, un choix éthique et politique, et cette activité est, en elle-même, transformatrice du social. C’est pour cela, précisément, qu’elle suscite tant de résistance et se heurte à tant d’obstacles qui sont eux-mêmes sociaux plus que théoriques.
30Dans nos sociétés modernes, la science elle-même constitue le discours par excellence au nom duquel les décisions sont prises et les dominations légitimées, de sorte que la sociologie comme discipline scientifique est appelée à analyser critiquement le type d’activité humaine de laquelle elle prétend relever. Les sociologues balayant aussi sous leur propre porte, il existe d’ailleurs une sociologie de la sociologie.
31De ce caractère agressant de la sociologie résulte ce retournement du soupçon contre la discipline elle-même. Loin d’être scientifique, elle ne serait elle-même que ce qu’elle prétend dénoncer : une idéologie qui emprunte les atours de la science et n’a réussi à s’imposer dans les universités qu’à la faveur d’une dérive gauchisante des sociétés occidentales. Ou, pire encore, il s’agirait de la réduire, non sans condescendance, à une composante des dispositifs de gestion des « problèmes sociaux » comme la pauvreté, le décrochage scolaire ou la délinquance juvénile. Sociologie et travail social sont ainsi confondus au détriment de l’analyse et de la pensée critiques.
32On ne s’attardera pas sur la question de fond. Comme l’explique Giddens8. « La sociologie est une discipline scientifique dans le sens où elle engage des méthodes de recherche systématiques, l’analyse de données et une évaluation des théories à la lumière des faits (evidence) et d’arguments logiques ». Ajoutons que ce travail est exercé, contrôlé et discuté par une communauté scientifique composée de plusieurs dizaines de milliers de sociologues professionnels (près de quinze mille rien qu’aux États-Unis) regroupés dans quelques milliers de centres de recherches ou de départements universitaires. Pour Bourdieu notamment, le problème est moins de savoir si la sociologie est scientifique ou non que de savoir pour quelles raisons on s’obstine à mettre sa scientificité en question et non celle d’autres disciplines comme l’ethnologie, l’histoire ou l’archéologie. Poser cette question, c’est déjà y répondre. Le plus piquant est sans doute que les plus déterminés à mettre en doute la scientificité de la sociologie sont généralement les plus prompts à s’adonner à la sociologie sauvage. Refusant a priori de considérer les enseignements des recherches sur diverses questions, ils décrètent, à partir de leurs propres expérience et critères, que tous les politiciens sont corrompus, que « le niveau baisse », que la réussite scolaire et professionnelle est essentiellement affaire de mérites ou que la télévision abrutit les téléspectateurs.
33Cette posture critique et conflictuelle de la sociologie ne peut être identifiée à une option démocratique ni, qui plus est, à une position idéologique de gauche. On sait combien des auteurs importants de la sociologie comme le structuro-fonctionnaliste Parsons ou les théoriciens de l’élite comme Michels, Mosca et Pareto ont été taxés de conformisme, voire de droitisme. Dans leur ensemble, les fondateurs étaient sans doute moins marqués par les valeurs de la démocratie que par les inquiétudes liées à la décomposition de l’ordre traditionnel. Aucun sociologue n’ignore d’ailleurs les âpres débats de caractère idéologico-scientifique entre courants opposés au sein de la discipline. Contrairement à ce que l’on fait parfois croire, les images généreuses mais simplistes de la société qui ont fait flores dans le passé ont souvent été combattues par les sociologues chez qui prévaut aujourd’hui l’image et le modèle normatif d’une « société ouverte »9. Certes, l’avènement de la sociologie est indissociable de celui de la démocratie, et de la reconnaissance de l’égale humanité des humains. Mais elle l’est aussi de la quête par les sociétés modernes de nouveaux modes de cohésion, d’exercice du pouvoir et de gestion légitimables sans lesquels une contestation n’a guère d’objet. On en serait plutôt à l’ère des espérances déçues et des ambitions limitées : il ne s’agit plus de sauver le monde ou d’imaginer un paradis terrestre mais seulement de contribuer à ce que sa propre époque soit aussi lucide et juste que possible compte tenu de ses possibilités.
34La tendance historique de la sociologie est donc d’être critique et, de s’opposer aux idées reçues. Mais les orientations concrètes de cet effort de compréhension de la société ne peuvent donc être posées a priori et en toute généralité. On ne choisit pas ses thèmes de recherches de la même manière selon qu’on se trouve dans une société développée ou « en voie de développement » (énorme euphémisme pour l’Afrique notamment). Aujourd’hui par exemple, les sociologues d’Europe de l’Est sont plus enclins que les nôtres à contribuer à l’essor économique et social de leur pays et à éclairer les décideurs économiques et politiques. L’autonomie et la liberté du monde universitaire dépendent au premier chef du contexte politique. Le paradoxe est que la sociologie peut être d’autant plus critique que la société est démocratique. En revanche, elle est tantôt interdite, tantôt réduite à de la (mauvaise) statistique sociale ou à un discours idéologique dans les pays totalitaires, de sorte qu’échappent en grande partie à l’analyse sociologique les sociétés qui en auraient le plus besoin. D’où l’importance de multiplier les analyses transnationales qui exploitent les extériorités réciproques.
35Dans cette visée d’autoconnaissance critique et émancipatrice des sociétés humaines, le projet sociologique demande, aux yeux de la grande majorité des sociologues, à bénéficier à l’ensemble des composantes de la société. Il n’est pas question de réserver le savoir sociologique à une communauté de savants, même si celle-ci est indispensable comme fer de lance de cet effort et pour le constituer en science – Durkheim notamment insiste lourdement sur ce point. Il ne s’agit pas simplement de faire de la bonne vulgarisation comme les biologistes peuvent en faire. Parallèlement aux modes habituels de communication scientifique au sens strict, il s’agit d’engager franchement et constamment l’échange avec la société entière à la faveur d’ouvrages, d’articles, de conférences, de participation à des débats ou à des journées de travail... destinées à un large public. Une bonne partie de la production sociologique vise d’ailleurs à la fois la communauté savante et le grand public. La galère de Dubet, La Misère du monde de Bourdieu ou même le manuel Sociology de Giddens (tiré à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires) sont de bons exemples récents de ce phénomène. C’est pourquoi, plus que tout autre scientifique, le sociologue devrait se sentir obligé à la plus grande clarté possible, compte tenu du cadre concret et des destinataires (collègues, « public concerné »...) de ses communications. On la lui réclame d’ailleurs parfois d’autant plus qu’on admet l’hermétisme du langage de la plupart des autres disciplines.
36Cette exigence de clarté complique la vie des sociologues car elle rend leurs textes davantage vulnérables, soit parce que ce qui est clair peut paraître simpliste ou évident, soit parce que seul ce qui est compris peut être aisément critiqué. Elle constitue cependant le signe même d’une option éthique et d’un rapport au politique qui ne se retrouvent pas, ou moins, dans les autres disciplines. Pour des raisons majeures liées à la fonction sociale même de la sociologie, il est assez largement admis que le sociologue a le devoir de produire une connaissance non seulement critique mais aussi critiquable, dans le sens où il doit être possible d’en saisir les fondements et les enseignements sans être pour autant un spécialiste pointu du sujet traité. Beaucoup de sociologues y restent réticents sous prétexte qu’aucune discipline ne peut se passer d’un langage propre et que les différents textes n’ont pas le même statut. Cela n’est évidemment pas contestable. Mais un certain hermétisme relève parfois de la crainte d’assumer une inévitable et nécessaire vulnérabilité.
37Le travail sociologique de connaissance scientifique de la société demande donc à être pensé non en lui-même mais en fonction de sa place possible dans un système social, politique et culturel donné. Ce projet de connaissance pose de nombreux problèmes en raison de la tension déjà évoquée entre une nécessaire capacité de la société de se diriger et de se gérer d’une part et d’une tout aussi nécessaire capacité de la société de mettre critiquement au jour les logiques de cette direction et de cette gestion. N’y a-t-il pas des moments où le conseil au prince devrait être privilégié ? Toute vérité est-elle bonne à dire ? Et n’y a-t-il pas à choisir le moment et la manière de la dire ? L’exercice du métier de sociologue est forcément infléchi par l’idée qu’il se fait de sa responsabilité, compte tenu des conditions de l’époque et du système de rapports sociaux dont il constitue une composante. Aujourd’hui, quand nos sociétés semblent désorientées, certains des plus éminents sociologues s’attribuent comme tâche première de leur fournir une nouvelle image mobilisatrice d’elles-mêmes.
Sociologie militante ou/et autonomie du champ scientifique ?
38Jusqu’ici, on a vu que l’inscription du travail sociologique à l’intérieur même de l’activité scientifique implique déjà le respect d’un ensemble de finalités, de valeurs et de normes. On a vu aussi combien la tradition propre de la sociologie et son rôle dans la société induisent des inclinaisons éthiques et politiques spécifiques. Mais ces fonds éthiques communs de la science d’une part et de la sociologie d’autre part restent problématiques dans leur définition même comme dans leurs implications. Ils sont loin d’apporter à eux seuls des solutions aux questions éthiques et politiques que leur propre travail pose aux sociologues. C’est pourquoi des réponses concrètes différentes coexistent.
39Certains prônent franchement une sociologie engagée ou militante. Des choix politiques et éthiques sont alors explicitement posés en amont des recherches. On pense immédiatement ici à la définition marxiste du rôle de l’intellectuel : étudier et dénoncer l’exploitation pour développer la conscience de classe des travailleurs en vue, sinon de renverser un système injuste, au moins d’en atténuer les injustices. Dans cette visée, le travail de recherche (celui du sociologue comme d’ailleurs celui de l’économiste ou de l’historien marxiste) conserve ses prétentions à la scientificité. En particulier, les méthodes de recherche conventionnelles (comme l’analyse secondaire, l’enquête par questionnaire suivie d’une analyse des données ou l’entretien semi-directif suivi d’une analyse de contenu) pourront être mises en œuvre avec la plus grande rigueur. Le rapport aux ressources conceptuelles de la théorie marxiste pourra être critique de sorte qu’il sera systématiquement évalué et affiné au fil du temps. Ainsi les travaux devenus classiques d’auteurs comme Wright Mills en sociologie politique ou de Manuel Castells en sociologie urbaine constituent des exemples d’analyses de grande valeur effectuées dans une perspective de sociologie marxiste.
40La posture des sociologues qui exercent leurs talents dans ce qu’on qualifie d’ingénierie sociale est sans doute plus légitimée socialement puisqu’elle est « utile » (à qui ? à quoi ? c’est une autre affaire) mais elle n’est pas moins engagée puisqu’elle accepte a priori les finalités et les objectifs fixés par les décideurs. Par ailleurs, elle correspond moins bien à la tradition de la sociologie qui est d’être critique. En ce qu’elles s’inscrivent dans le cadre de finalités et d’objectifs définis en amont, ces manières de faire de la sociologie sont l’une et l’autre normatives. C’est d’ailleurs le lot de plusieurs disciplines, dans leur ensemble, dont la scientificité n’est jamais mise en doute pour autant. La science économique est fondamentalement normative en ce sens qu’elle cherche à savoir ce que les choix des agents économiques devraient être compte tenu des probabilités et de la valeur accordée aux résultats attendus. La différence est qu’ici, c’est l’ensemble d’une discipline qui se présente comme telle avec l’avantage d’une plus grande capacité d’accumulation puisque la question des finalités est en partie réglée en amont. Un raisonnement analogue peut être tenu pour la médecine et, d’une manière générale, pour toutes les sciences « appliquées ». Une telle option est non seulement légitime mais elle est garante d’une pertinence pratique des recherches. Les risques résident dans le fait qu’ayant, d’une certaine manière et jusqu’à un certain point, résolu d’office la question de savoir à quoi l’on sert, on s’interroge moins sur les finalités de son travail.
41Une autre hypothèse introduite plus haut demande à être reprise ici. Elle consiste à rechercher la source d’une efficacité politique dans une certaine conception éthique de l’autonomie même du champ scientifique et de sa responsabilité. Il s’agirait d’accepter d’exercer pleinement, sans complexe mais non sans scrupules, le pouvoir que donne la science et qui résulte notamment de ses modes d’élaboration des connaissances, de ses résultats et du crédit dont bénéficie encore largement le monde scientifique et universitaire. Une éthique de la responsabilité suppose le souhait de peser sur le réel et la disposition à rendre compte de ses actes. Pour les universitaires et les chercheurs, l’appartenance au monde scientifique et universitaire et l’activité qu’on y poursuit constituent sans doute, en elles-mêmes, la plus importante ressource pour peser sur le réel d’une manière d’autant plus marquante qu’elle est spécifique. Autrement dit, il s’agirait de constituer davantage le monde scientifique et ses diverses composantes comme pouvoir ou contre-pouvoir de nature différente en regard d’autres pouvoirs à l’égard desquels il convient de se situer, voire de se confronter avec un a priori de respect mutuel et dans un jeu de « coopération conflictuelle ». Slama10 a brillamment souligné les dangers, pour la démocratie comme pour la capacité de la société de faire face à ses défis, de la « confusion des ordres » et de l’assujettissement des uns à l’égard des autres. L’efficacité politique des chercheurs passe par l’autonomie, c’est-à-dire par la capacité, pour le champ scientifique, de définir lui-même ses finalités et ses normes, par sa capacité de s’imposer comme composante avec laquelle il faut compter, et d’inscrire son activité dans le cadre d’une responsabilité propre à l’égard de la société.
42La crédibilité du monde scientifique et son poids politique sont proportionnels à cette autonomie. Celle-ci n’est pas qu’une condition formelle ; elle engage déjà les prémices d’un programme sur la nature substantielle de ce poids. Si la finalité du travail scientifique est de rechercher et de dire le vrai et si sa mission spécifique est de se consacrer entièrement à cette tâche dans le respect de règles propres qui ne sont pas celles d’autres modes d’accès au vrai, le renforcement de cette autonomie devrait avoir pour premier effet de conforter et de développer cette capacité et cette responsabilité éthique des scientifiques de dire collectivement ce qui est scientifiquement pertinent. A partir de là, l’activité scientifique peut véritablement remplir une autre de ses fonctions éthiques et politiques essentielles : mettre au jour et définir les enjeux normatifs et politiques des phénomènes ou des problèmes analysés. Ainsi par exemple, les enjeux écologiques ne peuvent-ils être définis que si les sciences naturelles bénéficient d’une autonomie suffisante à l’égard des puissances économiques (entreprises et consommateurs) qui auraient intérêt à les occulter.
43On reviendra sur les conditions de cette autonomie qui sont en grande partie politiques. Cependant, si l’autonomie du champ scientifique en constitue une condition nécessaire, elle n’apporte pas non plus, en elle-même, de réponse suffisante à la question de la responsabilité éthique et politique du chercheur. Celui-ci est obligé d’engager plus loin sa réflexion, au cœur même de son activité de recherche, dans le vif de laquelle il faut bien finir par entrer.
Le critère de pertinence pratique
44Les scientifiques croient de moins en moins en l’absolue positivité du progrès scientifique d’où découlerait leur irresponsabilité morale et politique contrastant avec la responsabilité des utilisateurs et des politiques11. Si le scientifique ne maîtrise qu’exceptionnellement et presque toujours dans une faible mesure l’exploitation qui sera éventuellement faite des résultats de ses travaux (encore qu’il puisse y avoir de notables exceptions), il est le principal responsable de leur production, soit des questions qu’il se pose ou des problématiques qu’il définit, de ses orientations théoriques et des dispositifs méthodologiques qu’il choisit de mettre en œuvre. L’injonction éthique doit être portée au cœur même de la démarche.12
45Comme on l’a vu, mis à part quelques cas particuliers comme les recherches doctorales, tout travail de recherche sociologique nécessite une convention ou un contrat avec une ou plusieurs instances qui fournissent les ressources externes aux universités elles-mêmes (F.N.R.S., direction générale attachée à la Commission de l’U.E., cabinet ministériel...), de sorte qu’un centre de recherche a toujours à composer avec des attentes ou des contraintes externes. Cette « transaction » n’est pas étrangère au travail de recherche proprement dit ; s’y décident déjà certaines orientations déterminantes du travail comme ses objectifs principaux, les méthodes utilisées (dont il faut prévoir le coût), son ampleur et les modes de communication des résultats. La marge de manœuvre des chercheurs peut être très variable, mais elle n’est jamais ni nulle ni absolue. Même dans les cas où il s’agit d’accepter ou non une demande à caractère instrumental, le chercheur conserve une emprise décisive sur la manière de mener son travail et doit pouvoir négocier les modalités de publication et d’exploitation des résultats. Des règles et une jurisprudence existent à ce sujet.
46Le critère de « pertinence pratique » est de plus en plus perçu comme crucial aujourd’hui en raison des problèmes et des indéterminations auxquels la société se sent confrontée. Plus que jamais, il s’agit de choisir et de conduire ses recherches en fonction d’enjeux pratiques jugés importants (même s’ils sont indirects) et de telle sorte qu’elles contribuent à des décisions et à des actions aussi lucides que possible. A raison, les « exercices de style » sont de moins en moins tolérés. La pertinence pratique nous semble se distinguer de l’utilité ou de l’instrumentalité en ce qu’elle n’exclut pas la question des finalités et des objectifs du champ de ses réflexions et analyses.
47Cependant, la pertinence pratique est moins liée à l’objet d’étude en soi qu’à la manière de l’aborder ou de le construire comme objet d’analyse. Par l’intelligence avec laquelle elles sont menées, des recherches portant sur des questions apparemment anodines peuvent apporter un éclairage précieux sur les logiques sociales. Les études de Goffman sur les institutions totales et sur les rites d’interaction sont à cet égard extrêmement convaincantes. A contrario, il ne manque pas de recherches portant sur des problèmes sociaux parmi les plus graves et qui ne sont guère pertinentes sur le plan des perspectives pratiques. La raison principale est qu’elles acceptent précisément comme allant de soi cette définition socialement admise et tenue pour légitime des problèmes mais qui n’en fait pas moins elle-même partie13. Ainsi, dans une visée de pertinence pratique, la construction de l’objet sociologique passe, comme on l’a vu, par la déconstruction de l’objet tel qu’il se présente dans son évidence première. Par exemple, la nature de diverses formes relativement nouvelles de travail social peut être vue comme le révélateur et l’opérationalisation d’une transformation des modes de gestion du social et de ses liens avec l’économique dans lesquels les travailleurs sociaux sont pris malgré eux. Les réactions face au risque du sida dans la vie sexuelle, largement abordées au départ comme la capacité des individus à adopter des comportements rationnels, peuvent être lues à partir des cultures de la sexualité et du risque qui prévalent dans les réseaux sociaux et où cherchent à s’imposer de nouveaux modes de régulation collective, etc.14 Ainsi, la possibilité d’inscrire son travail dans une visée politique et éthique est-elle davantage affaire d’« intelligence sociologique » et de capacité de la faire valoir aux yeux du commanditaire que de bons sentiments.
Options théoriques et options éthiques
48A un autre niveau du travail sociologique, orientations théoriques et choix éthiques ne sont pas indépendants. D’un côté, le chercheur doit rechercher la théorie la plus éclairante, indépendamment d’options éthiques. D’un autre côté, le débat théorique, même poussé très loin, a ses limites et il n’est pas rare qu’on ait à choisir entre deux ou plusieurs approches théoriques qui « se valent », soit entre lesquelles aucun argument scientifique ne permet de trancher, en fonction de critères qui ne peuvent plus alors être qu’extra-théoriques. L’un de ces critères peut être, très pragmatiquement, l’étendue des compétences du chercheur et le temps dont il dispose pour les approfondir à l’occasion de chaque nouvelle recherche. L’importance et la diversité du corpus théorique sont telles qu’aucun chercheur n’est capable de mettre les diverses théories en œuvre avec la même justesse, la même rigueur et la même efficacité, de sorte qu’il peut juger préférable d’utiliser fructueusement une approche théorique bien connue que d’errer dans une approche, a priori plus adéquate, mais insuffisamment maîtrisée. La plupart des chercheurs ont d’ailleurs fait ce choix de se spécialiser dans une approche précise liée à un objet bien délimité, s’assurant ainsi une image de spécialiste et une importante production à la faveur d’un calcul coûts (intellectuels)/bénéfices (symboliques et scientifiques) avantageux. Qui plus est, le champ d’application des théories est souvent limité à certains ordres d’objets (par exemple la déviance ou les organisations) de sorte qu’il est difficile d’évaluer comparativement les approches théoriques lorsqu’on a affaire à des objets de recherche auxquels on ne peut faire clairement correspondre des cadres théoriques précis. Il en résulte d’ailleurs, chez certains chercheurs, un relativisme théorique selon lequel les différentes théories se valent bien et constituent, tels des outils d’analyse rangés dans la trousse d’un artisan, un ensemble de ressources non hiérarchisées parce que spécialisées. L’éclectisme bien conçu implique cependant le débat théorique contradictoire puisqu’il s’agit de ne retenir de chacune que ce qui mérite d’être retenu, compte tenu de ses avantages et inconvénients comparés et donc, le cas échéant, de la rejeter entièrement.
49En amont même de tout débat proprement épistémologique et théorique, certains auteurs comme Gosselin prônent franchement de construire les dispositifs de recherche sociologique autour de postulats éthiques qui impliquent des orientations épistémologiques, théoriques et méthodologiques précises.15 Comme l’indique clairement Gosselin, les choix éthiques sont singuliers et si le sociologue peut chercher à les faire valoir dans la communauté scientifique, ce ne peut être qu’à la faveur d’une discussion proprement éthique, et non au nom de la science.
50Il reste que sa position pose quelques problèmes sur lesquels on ne peut trancher ici nettement. D’une part, on observe une propension à faire valoir, au nom d’options éthiques, des orientations théoriques qui ont actuellement le vent en poupe dans une grande partie de la communauté sociologique internationale (en l’occurrence la sociologie compréhensive et interactionniste dans la tradition weberienne). L’heure est plutôt à l’individu sujet du social contre l’individu objet du social, à l’acteur16 contre le système, à Weber contre Durkheim. Mais la plupart de ceux qui défendent ces orientations l’argumentent uniquement à partir de considérations théoriques et scientifiques qui semblent leur suffire. Gosselin explicite des options éthiques adéquates à l’égard de ces points de vue théoriques mais ces options ne sont pas absolument nécessaires pour les faire valoir. Elles peuvent renforcer la motivation du chercheur et lui permettre de se dire qu’en plus d’être théoriquement fondée, sa manière de travailler est défendable sur le plan éthique, mais il serait sans doute dommage, pour ces orientations théoriques elles-mêmes, d’en arriver à les faire valoir, d’abord et surtout, par des considérations éthiques, transgressant par là une règle du travail scientifique qui consiste à rechercher la plus grande vérité ou intelligibilité possible, et donc à opter pour un cadre théorique, non parce qu’il correspond à certaines options éthiques, mais tout simplement parce qu’il est le meilleur au regard d’objectifs de connaissance.
51Le problème posé ici est de savoir s’il est possible de concilier préoccupations éthiques et pertinence théorique sans mettre cette dernière en péril. Gosselin, comme Habermas, le pense. Mais la manière dont le premier l’envisage expose au risque de rejeter a priori d’autres approches qui présentent pourtant d’indéniables intérêts scientifiques. Ainsi ne faudrait-il pas qu’un certain romantisme du sujet social conduise à sous-estimer les effets de système et leur influence considérable et, le plus souvent, latente, sur les sujets mêmes qui le reconduisent par leurs interactions. Le travail théorique d’auteurs de renom, comme Giddens17, consiste précisément à construire des modèles théoriques qui articulent une approche par l’acteur et une approche par le système.
52De plus, on peut être en désaccord avec les présupposés d’un paradigme théorique tout en utilisant certaines de ses notions et de ses hypothèses à titre heuristique et méthodologique, ou en retenant quelques idées lumineuses d’études qui s’y réfèrent. Ainsi, peut-on parfaitement éclairer un phénomène en s’interrogeant sur ses fonctions latentes et utiliser à cette fin quelques-uns des concepts clés de Merton sans devoir, pour autant, adhérer à la vision fonctionnaliste de la société, fût-elle celle, revue et corrigée, par cet auteur. On peut également éclairer les changements institutionnels de la Belgique à partir de certains processus économiques sans pour autant les réduire, comme le feraient certains marxistes « vulgaires » dirait Engels, à de simples transpositions de ces processus économiques.18
53Confronté à la diversité des approches théoriques, Remy suggère de construire des « matrices à plusieurs entrées » mettant en regard différents modes d’explication du social (essentiellement les concepts clés, les questions de recherche et les hypothèses principales des cadres théoriques pertinents...). Ces matrices constitueraient des dispositifs heuristiques à partir desquels le chercheur peut construire son propre point de vue à la lumière des possibilités exposées et contrastées. Il ne s’agirait pas de chercher à articuler l’incompatible, vidant ainsi chaque approche de sa force d’élucidation ; il faut au contraire que la logique et les potentialités de chacune puissent être poussées jusqu’au bout. Loin de présupposer que toutes les approches se valent, un tel projet facilite au contraire la confrontation critique entre les approches puisqu’elles se voient clairement contrastées non plus in abstracto mais bien à la lumière de leur pertinence comparée pour rendre compte de phénomènes sociaux.
54Parce qu’elles mettent en lumière un ensemble de modes d’accès à la réalité sociale plus opérationnels, de telles matrices faciliteraient sans doute aussi la perception et la discussion sur les implications éthiques et politiques comparées des différentes approches. Elles permettraient aussi d’éviter de substantifier les théories elles-mêmes puisqu’elles s’y retrouvent en fait avec le statut de méthodologies, soit comme dispositifs d’élucidation du social. Loin de les rétrograder, ceci revient à en rappeler le statut exact. Cette approche de la théorie sociologique et de son opérationalisation est significative sur le plan éthique car elle interdit qu’une théorie soit jamais considérée, en elle-même, comme une vérité unique et, par là, susceptible de récupération par un pouvoir à tendance totalitaire. Elle est vue comme un ensemble articulé de ressources abstraites permettant l’accès à des vérités qui ne peuvent émerger que comme résultats de leur opérationalisation et donc d’une expérimentation, ce qui les constitue dans un registre différent. On pourrait parler d’un éclectisme critique et pratique qui se donne pour principale mission d’élaborer des méthodologies.
Implications éthiques des choix méthodologiques
55A priori, l’implication éthique des choix méthodologiques au sens strict est plus claire encore car ceux-ci engagent la recherche dans un travail concret avec des personnes (interviews...) ou avec certaines de leurs productions à travers lesquelles elles sont censées se révéler (textes, réponses à des enquêtes...). L’expérimentation au sens strict où sont analysées les réactions des individus à une situation artificiellement créée ne fait pas partie des dispositifs méthodologiques de la sociologie. Des expériences comme celle de Milgram (où les sujets sont amenés à punir les mauvaises réponses d’un tiers par ce qu’ils pensent être des décharges électriques d’intensité croissante) suscitent un certain malaise chez les sociologues. D’un côté, il faut reconnaître que leurs enseignements sont précieux mais, d’un autre côté, le fait de piéger le sujet dans une situation où son image se révèle médiocre et ses comportements condamnables (en l’occurrence se conduire en tortionnaire) va à l’encontre d’une certaine culture du travail sociologique. L’expérimentation sur des sujets abusés s’éloigne de la visée émancipatrice et critique de la sociologie qui porte notamment sur la science elle-même et sur ses utilisations. Par ailleurs, l’accent sur le social plus que sur l’individuel, tant comme principe d’explication que comme objet d’analyse, éloigne sans doute aussi le sociologue de l’expérimentation directe sur des individus.
56On pourrait objecter à ce point de vue sa relative hypocrisie. Dans la plupart des études sociologiques, on n’abuse pas moins, d’une certaine façon, les sujets puisque ceux qui répondent à une enquête ou à une interview quelque peu élaborée ont rarement une idée juste du traitement auquel leurs propos seront soumis et se voient présenter les objectifs de la recherche d’une manière très sommaire voire euphémisée. Le sociologue cherche souvent autre chose que ce que croit le répondant. L’analyse (de contenu ou des données) tente de mettre au jour des processus latents à l’insu du sujet qui s’attend généralement à ce que ses propos soient pris au premier degré. Qui plus est, pour que le répondant à une enquête collabore au mieux, il faut le convaincre de l’importance de la qualité et de l’authenticité de ses réponses, tout en sachant que l’essentiel n’est pas dans les réponses de chacun, prises individuellement, mais dans les relations qui pourront être observées entre une série de variables informées par ces réponses. Bref, dans les recherches les plus honnêtement menées (ne parlons même pas des autres), avec les méthodes conventionnelles, s’installe le plus souvent et pour le moins une espèce de malentendu entre le sujet qui apporte les informations et le chercheur qui les sollicite. Ce malentendu peut être d’autant plus problématique et nécessaire que la problématisation de la recherche est élaborée et le travail conduit avec rigueur. « Qui fait l’ange fait la bête » pourraient objecter aux sociologues les psychologues expérimentalistes.
57C’est une des raisons pour lesquelles un certain nombre de sociologues explorent des voies méthodologiques qui, tout à la fois, seraient adéquates en regard de leurs options théoriques et instaureraient un autre type de rapport entre l’enquêteur et l’enquêté, l’analyste et l’analysé, le sujet et l’objet de la recherche.
58Dans le cadre d’une sociologie compréhensive et interactionniste, Gosselin privilégie les « interviews actives » où se construit une compréhension mutuelle, au sens fort, entre le sociologue et ses interlocuteurs, c’est-à-dire une forme de débat susceptible de conduire le chercheur à de profondes remises en question de son enquête et de sa démarche même. Quand les données d’une telle « conversation publique » sont bien présentées, pense Gosselin, elles incitent à un débat plus large où peuvent s’impliquer en outre spécialistes et lecteurs et qui contribue à la formation d’une « opinion vraiment publique ». « Dire que la recherche doit être publique en ce sens, c’est en définitive expliciter, au niveau des techniques et des méthodes, le postulat épistémologique d’une sociologie interprétative pour laquelle toute action significative tient compte de celle d’autrui, dans un lebenswelt “pour nous tous” qui suppose le nécessaire passage éthique du privé au public, du “micro” au “macro” ». Ceci implique que les chercheurs renoncent à « capter les croyances et les pratiques comme des entomologistes », sans avoir d’abord mis sur la table leur point de vue et leurs questions, et à prendre « pour idéal une version scientifique de la “caméra cachée” ».19 Il s’agit, pour Gosselin, « de passer de “l’homme-objet” de l’expérience — le “sujet expérimenté” de C. Bernard — au “sujet expérimental” ».20
59Pour être réalisés correctement et dans la visée décrite ici, l’interview active ou l’entretien semi-directif exigent du chercheur un important bagage théorique et pratique car il s’agit de maîtriser tant les questions qui relèvent de l’objet de la recherche que les processus d’interaction qui se jouent dans l’entretien lui-même. Comme l’explique Morin21, il s’agit moins de poser de bonnes questions à la personne interviewée que de se poser de bonnes questions à soi-même, de sorte qu’elles émergent naturellement dans le cours de l’entretien conçu comme véritable interlocution. Il ne s’agit pas non plus de se tromper de registre : on reste bien dans celui de la recherche dont le chercheur prend l’initiative, assure la conduite méthodologique et où il assume la responsabilité des conclusions. S’il a à rendre compte des échanges qui ont constitué le cœur du travail et à rendre justice à la contribution de ses interlocuteurs, on n’est pas pour autant dans un processus de discussion démocratique entre personnes de qualités et de compétences identiques et dont il faudrait, en bout de course, rédiger un rapport engageant également les uns et les autres.
L’hypothèse de l’intervention sociologique et de la recherche-action
60Dans la perspective d’une sociologie de l’action où l’objet d’analyse central est constitué par les rapports sociaux entre acteurs engagés dans des actions sociales, les méthodes dites d’intervention sociologique éveillent un intérêt croissant auprès des chercheurs. Trois caractéristiques centrales les caractérisent : primo, un groupe d’« acteurs concernés » avec qui a lieu l’intervention joue un rôle actif dans l’analyse de ses propres actions et des rapports sociaux dans lesquels ses membres sont impliqués ; secundo, d’une manière ou d’une autre, des acteurs en positions différentes au regard des enjeux de leurs rapports sociaux sont mis en présence et leurs points de vue confrontés ; tertio, les chercheurs se trouvent eux-mêmes dans une forme de rapport social avec le groupe autour de l’enjeu constitué par l’interprétation du système d’action étudié.
61L’intervention sociologique conçue et pratiquée par Touraine pour l’étude des mouvements sociaux22 et mise en œuvre ensuite dans des perspectives quelque peu différentes par François Dubet notamment23, constitue le modèle le plus connu de ce type de méthode. Quelques groupes de personnes censées incarner le mouvement social virtuel sont constitués en vue de procéder à une sorte d’auto-analyse de leur action. A certaines étapes du travail, le groupe est mis en présence d’acteurs définis par lui comme antagonistes (des chefs d’entreprise pour les écologistes, des policiers pour les jeunes des banlieues populaires...) de manière à élucider le type de rapports qui se constitue. Après un certain temps, les chercheurs sont amenés à présenter leurs propres analyses au groupe qui peut y résister fortement. Les travaux des différents groupes sont également confrontés. C’est dans ce processus pluriel d’interaction (entre les membres de chaque groupe, entre les membres du groupe et les acteurs antagonistes, entre le groupe et les chercheurs et entre les groupes eux-mêmes) que les analyses finales des chercheurs et des participants s’élaborent d’une manière qui peut être conflictuelle.
62Au départ, cette méthode avait une visée politique affirmée dans la mesure où les analyses étaient censées révéler à eux-mêmes des mouvements sociaux potentiels et éclairer les conditions de leur essor. Au fil des recherches, ces prétentions se sont quelque peu réduites. Lorsqu’elle est maintenue, l’hypothèse de l’existence d’un mouvement social potentiel n’est plus qu’heuristique : on pense pouvoir mieux comprendre ce qui se joue dans la situation étudiée à partir de l’examen d’une proximité/distance à l’égard d’une situation théoriquement construite, celle du mouvement social considéré dans une acception proche du type-idéal de Weber. Dès lors, l’objectif de révéler le mouvement social à lui-même a cédé du terrain au profit d’une ambition plus modeste : aider les acteurs sociaux à comprendre le mieux possible les jeux sociaux dans lesquels ils sont engagés et, en particulier, à en saisir les enjeux, et leur permettre par là d’avoir une action aussi lucide que possible.
63En cela, on continue toutefois à affirmer fortement sa distance à l’égard d’une sociologie du conseil au prince ou de l’ingéniérie sociale. On accorde un statut fort à une certaine conception du conflit social, comme capacité réciproque que possèdent des acteurs inégaux de percevoir leurs divergences d’intérêt et de point de vue, de manifester des désaccords et d’exercer une emprise/contre-emprise sur les enjeux sociaux de leur coopération forcée ou volontaire. En l’absence de tels dialogues et interactions, c’est la violence, manifeste ou cachée, institutionnelle ou déviante, « qui tranche les nœuds gordiens ».24
64Ce sont fondamentalement des intentions comparables qui sont à l’origine de la méthode d’intervention que nous avons nous-même utilisée dans plusieurs recherches récentes25 et développée progressivement à partir d’une version originale proposée par Mercier26. Dans cette méthode, les analyses sont également menées par un ou plusieurs groupes de personnes directement concernées par le thème de la recherche : médecins, infirmières et responsables du nursing ; membres de la direction, professeurs et éducateurs en milieu scolaire... L’analyse part de récits d’expériences vécues par ces personnes et qui leur semblent significatives de la nature des problèmes auxquels elles sont confrontées. Parmi l’ensemble des récits proposés, quelques-uns, généralement assez contrastés, font l’objet d’une analyse approfondie selon un dispositif dirigé par les chercheurs. L’analyse procède d’une succession de tours de table, de mises en évidence des convergences et des divergences interprétatives, de tentatives d’identification des problématiques les plus cruciales, d’apports conceptuels et d’hypothèses interprétatives présentées par les chercheurs et discutées par le groupe. Ainsi, les analyses et les enseignements progressivement constitués sont le résultat d’une dynamique collective où les interprétations des uns et des autres ainsi que les réactions et questions des chercheurs se font écho et interagissent dans un processus d’enrichissement et de contrôle mutuel tel que chacun est amené à un recul réflexif à l’égard de ses propres pratiques et expériences. Un certain éclectisme théorique est de facto présent au cœur même de la démarche méthodologique, surtout si plusieurs chercheurs de formations différentes y prennent part. Les chercheurs sont garants de la rigueur méthodologique et du centrage du travail sur les objectifs de la recherche.
65Cette méthode s’inscrit dans une visée de recherche-action conçue comme une « production de connaissances liée à la modification d’une réalité sociale donnée avec la participation active des intéressés »27. En effet, les analyses portent sur des expériences concrètes d’acteurs engagés dans des actions sociales et sont menées à partir de leurs points de vue. Chaque analyse se termine en effet par la recherche de perspectives pratiques qui, lorsqu’elles sont mises en œuvre par des membres du groupe, peuvent faire l’objet d’analyses ultérieures dans un processus cumulatif.28
66Dans ce type de dispositif, le statut des participants diffère radicalement de celui des répondants à une enquête par questionnaire par exemple. La relation entre eux et les chercheurs est fondamentalement différente puisque les participants prennent directement part à la production des connaissances, exercent dans le cours même de la démarche un contrôle immédiat sur le travail et les conclusions des chercheurs (notamment à travers la discussion des rapports intermédiaires qui leur sont fournis au fur et à mesure) et articulent directement les analyses à une praxis sociale qui est de nature toute différente de l’expérimentation scientifique telle qu’elle est conventionnellement conçue. Pour autant, on ne fonctionne pas dans la naïve illusion d’une identité de statut entre participants et chercheurs. Ces derniers sont bien les entrepreneurs et les garants de la méthode qui comporte une séquence ordonnée d’étapes précises, ainsi que les responsables en dernière instance des analyses produites.
67Sans pouvoir être tenue pour une panacée puisque, comme toutes les autres, elle ne convient qu’à certaines catégories de projets de recherche, cette méthode s’est montrée performante tant sur le plan de la pratique que sur le plan scientifique. Sur le plan pratique, l’articulation étroite de la théorie et de la pratique confère aux enseignements de ces recherches-action un intérêt pour les catégories d’acteurs confrontés à des problèmes comparables à ceux rencontrés par le groupe restreint des participants29. Sur le plan scientifique, la méthode convient particulièrement bien pour saisir des processus d’interaction puisqu’elle les reconstitue en quelque sorte et dans une certaine mesure dans les analyses mêmes. Les enseignements de telles recherches trouvent d’ailleurs autant place que les autres dans les revues et les communications scientifiques. Certaines recherches comme celle présentée dans La galère de François Dubet sont largement considérées comme des œuvres marquantes dans leur domaine. C’est dire que les chercheurs qui élaborent ces méthodes et les mettent en œuvre sont au moins autant motivés par des préoccupations scientifiques de compréhension du social que par un souci politique ou éthique.
68Certains y ont d’ailleurs vu une tentative d’opérationaliser dans la recherche en sciences sociales le projet habermassien d’éthique de la communication. On n’a pas encore trouvé le temps d’approfondir cette question. Au premier abord, la proximité avec le projet d’Habermas est patent, en particulier le souci d’articulation de la théorie et de la praxis comme de la connaissance et de l’éthique, la prise en compte d’intérêts de connaissance émancipatoire, l’accent mis sur la recherche d’une plus grande vérité à partir d’une discussion sans contrainte, la promotion du « sujet expérimental » au statut de « sujet éthique » à qui est reconnue une capacité au consentement éclairé...30 Mais, à d’autres égards, des différences marquantes semblent exister. Ainsi, dans la méthode de recherche-action présentée ici, on ne recherche pas le consensus, sinon sur une formulation des convergences et des... divergences interprétatives, et on accorde un statut fort au conflit comme élément constitutif du social. Comme pour le projet habermassien, se rencontre la difficulté de faire entrer certaines catégories d’acteurs dans le processus communicationnel. Historiquement, la méthode s’inscrit clairement dans la cadre d’une sociologie de l’action sociale et des rapports sociaux, de sorte que la question du lien entre cette perspective théorique, méthodologique et pratique, et celle de l’agir communicationnel élaborée par Habermas demanderait à être davantage explorée.
Conclusion : des conditions pratiques
69On ne peut conclure une telle réflexion sans évoquer les conditions pratiques de mise en œuvre d’une sociologie répondant à des critères d’efficience politique et de justesse morale, et susceptible de se voir dotée d’un sens tel qu’on puisse en faire plus qu’une simple profession. Obtenir des bourses, des subventions ou des contrats de recherche permettant de mener à bien des travaux éclairants dans le respect des règles de l’activité scientifique, ne pas être obligé de travailler sur tout et finalement sur rien pour pouvoir faire vivre un centre de recherche, pouvoir diffuser efficacement les résultats de ses travaux tant dans la communauté scientifique que dans le public concerné, pouvoir mettre en lumière et discuter, dans un débat public, les enjeux normatifs révélés par ses recherches... exigent, de la part des scientifiques et universitaires, une capacité à penser leur place dans la société, à la faire valoir et à la gérer efficacement, enfin à s’imposer des règles internes de fonctionnement appropriées aux finalités qu’ils se donnent et à l’éthique qu’ils s’imposent.
70Ceci renvoie à quelques conditions essentielles aujourd’hui. La première consiste à renforcer conjointement l’autonomie et l’ouverture du champ scientifique. Loin de s’opposer, ces deux termes doivent aller de pair sans quoi l’autonomie devient fermeture et l’ouverture devient dépendance ou assujettissement. L’autonomie est mise en danger là où un véritable statut des chercheurs fait défaut, où une politique scientifique négociée avec les instances scientifiques et dotée de véritables moyens est absente, et où, en revanche, l’arbitraire et les affinités politiques servent de critères à l’attribution de moyens de recherche. Elle est renforcée chaque fois que les scientifiques parviennent à s’organiser pour négocier et imposer une politique de recherche et à faire valoir des critères objectifs (qui existent d’ailleurs) dans l’attribution des moyens.31 L’internationalisation du champ scientifique devrait être l’occasion de renforcer l’autonomie des champs scientifiques nationaux.
71Seule une autonomie suffisante permet une ouverture du monde scientifique aux autres champs de la société qui ne s’effectue pas sur le mode de l’assujettissement à des logiques externes, politiques ou économiques. L’autonomie permet de négocier avec des instances externes dans une relation de respect mutuel où chaque partie conserve la capacité de ne pas transiger avec ses exigences éthiques fondamentales. Elle permet d’articuler les ordres sans les confondre.
72Le regroupement des chercheurs en centres de recherche reconnus sur les plans international et national, inscrits dans des réseaux grâce auxquels se créent des complémentarités et des extériorités critiques réciproques, capables de diversifier leurs sources de financement, de stimuler un débat interne et externe permanent, et de faire valoir les thèmes de recherche et l’approche des problèmes les plus pertinents, est également décisif. Le syndrome du professeur Tournesol, savant génial, solitaire (avec, tout au plus, un « assistant » bien choisi, successeur et serviteur du « maître ») et « libre » (du moins a-t-il le luxe de pouvoir le croire puisqu’il est « nommé ») est encore vivace dans les sciences humaines. Sans doute beaucoup de ceux qui adhèrent à cette image sont-ils de bons formateurs et des savants respectables. Rares sont ceux, cependant, qui sont suffisamment forts intellectuellement et mentalement pour ne pas rester à la marge d’un monde qui pourrait bien changer sans eux. Dans une certaine mesure, ce syndrome ne consacre-t-il pas surtout l’irresponsabilité des clercs et leur impuissance à jouer leur rôle dans la société dont ils se protègent, par peur ou par facilité, au nom d’une indépendance et d’une dignité mal comprises ?
73Enfin, est-il possible de croire que les disciplines scientifiques puissent contribuer à des perspectives pratiques pertinentes en regard de la complexité des problèmes actuels sans une ouverture interdisciplinaire radicale ? La crainte d’y perdre chacune sa pureté et sa rigueur ne devrait pas justifier qu’on se dispense de l’effort même d’essayer. Mettre au point des cadres paradigmatiques et des méthodologies interdisciplinaires devrait constituer désormais un objectif prioritaire et urgent. Les méthodes d’analyse en groupe constituent à cet égard une piste prometteuse.
74Nos réflexions conduisent notamment à la conviction que, pour l’ensemble des disciplines scientifiques, la question d’une articulation entre le travail scientifique d’une part et l’éthique et le politique d’autre part ne peut être résolue seulement par le débat d’idées. Loin d’être simples et données d’emblée, les réponses aux questions que se posent les chercheurs de toutes disciplines ne peuvent se construire qu’à la faveur de dispositifs concrets, de méthodes d’organisation et d’animation du travail universitaire, de sorte que les chercheurs développent non seulement leur conscience et leur responsabilité éthiques et politiques mais aussi, plus prosaïquement, l’obligation, l’intérêt et le goût d’aborder frontalement ces questions. Au sens le plus fort du terme, c’est peut-être un certain style du travail scientifique qu’il faut tenter de promouvoir.
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Notes de bas de page
1 Merci à Jean-Pierre Delchambre qui a relu la première version de ce texte et m’a fait part d’une série de réactions critiques dont je n’ai pu hélas que partiellement tenir compte.
2 quantitatives ou qualitatives.
3 Il n’y a pas plus limpide, par exemple, que Outsiders de Becker.
4 ORUM A.M., « Political Sociology », in Smelser N.J. (ed), Handbook of Sociology, Newbury Park, London, New Dehli, Sage, 1988, pp. 393-423, p. 415.
5 GOSSELIN G., Une éthique des sciences sociales, Paris, L’Harmattan, 1992, p. 127, qui s’inspire de WEIL E., « La science et la civilisation moderne ou le sens de l’insensé », in Essais et conférences, t. I, Paris, Plon, 1970, pp. 268-296.
6 BERGER P., Comprendre la sociologie, son rôle dans la société moderne, Paris, Resma, 1973, p. 30.
7 WEBER M., Economie et société, § 3 et 4 du 1er chapitre, à partir de GOSSELIN, op. cit. p. 166.
8 GIDDENS A., Sociology, Cambridge, Polity Press, 1989, p. 22.
9 Pour reprendre l’expression de Karl Popper.
10 SLAMA A.-G., L’angélisme exterminateur. Essais sur l’ordre moral contemporain, Paris, Grasset, 1993.
11 GOSSELIN, op. cit., p. 12.
12 Ibidem.
13 Voir à ce sujet M. HUBERT, La production et la diffusion des problèmes sociaux dans l’espace public. Un point de vue constructiviste sur le sida, Université catholique de Louvain, Département de sociologie, Thèse de doctorat (ronéo), 1988.
14 Pour ne prendre que deux exemples relatifs à des recherches récentes ou en cours du Centre d’études sociologiques des Facultés universitaires Saint-Louis.
15 GOSSELIN, op. cit., p. 157 et suivantes.
16 Voir par exemple le titre-programme de TOURAINE, Le retour de l’acteur, Paris, Fayard, 1984.
17 GIDDENS A., La constitution de la société, Paris, P.U.F., 1987.
18 Voir MOLITOR M., « Réformes institutionnelles belges et logiques socio-économiques », in Molitor, Remy et Van Campenhoudt (dir.), Le mouvement et la forme. Essais sur le changement social en hommage à Maurice Chaumont, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 1989, p. 183-204.
19 GOSSELIN, op. cit., p. 139-140.
20 Ibidem, p. 27.
21 MORIN E., La rumeur d’Orléans, Paris, Seuil, 1969.
22 Cette méthode d’intervention est présentée dans TOURAINE A., La voix et le regard, Paris Seuil, 1978 et mise en œuvre dans plusieurs recherches dont les résultats ont été publiés, notamment : Lutte étudiante (1978), La prophétie antinucléaire (1980) et Le mouvement ouvrier (1984).
23 DUBET F., La galère, Paris, Fayard, 1987 ; et Les lycéens, Paris, Seuil, 1991.
24 GOSSELIN, op. cit., p. 26.
25 Voir notamment Animation en milieu populaire. Vers une approche pluridisciplinaire de la marginalité, J.-M. Annet et L. Van Campenhoudt (coord.), Bruxelles, Fédération des maisons de jeunes en milieu populaire, 1981 ; QUIVY R., RUQUOY D. et VAN CAMPENHOUDT L., Malaise à l’école. Les difficultés de l’action collective, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 1989 ; MARQUES BALSA C. et VAN CAMPENHOUDT L., La diversification du choix des études des filles dans l’enseignement secondaire professionnel et technique, Bruxelles, Cabinet du Secrétaire d’Etat à l’émancipation social M. Smet, Inbel, 1992 ; SCHAUT C. et VAN CAMPENHOUDT L., Le travail de rue : nature et enjeux, rapport pour le Fondation Roi Baudouin, Bruxelles, Centre d’études sociologiques des Facultés universitaires Saint-Louis, 1994 (publication en préparation par la Fondation Roi Baudouin).
26 MERCIER M., « Comprendre et expliquer des conduites de jeunes adolescents marginalisés, par l’interprétation d’observations au sein d’un groupe d’analyse », in Animation en milieu populaire ? Vers une approche pluridisciplinaire de la marginalité, op. cit., p. 48-52.
27 LEDOUX Y., « Théorie critique et recherche-action : l’héritage habermassien », Revue de l’Institut de sociologie, Université libre de Bruxelles, no 3, 1981.
28 Pour DE KETELE J.-M. et ROEGIERS X., « La recherche-action conduite par Quivy, Ruquoy et Van Campenhoudt et rapportée dans leur ouvrage Malaise à l’école illustre bien ces caractéristiques (de la recherche-action) et peut être citée en exemple pour les chercheurs amenés à conduire des recherches-action. » (Méthodologie du recueil d’informations, Bruxelles, De Bœck, 1993).
29 Ainsi par exemple, des maisons de jeunes en milieu populaire et de nombreuses écoles se sont-elles directement et durablement inspirées des enseignements de recherches-action présentés dans des ouvrages comme Animation en milieu populaire ou Malaise à l’école.
30 GOSSELIN, op. cit., p. 27.
31 Il faut saluer à cet égard le travail d’une revue comme Objectif recherche.
Auteur
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