La thérapie comportementale : du conditionnement à la gestion de soi
p. 601-619
Texte intégral
I. Naissance et essor des psychothérapies
1Le terme « psychothérapie » est apparu à la fin du 19e siècle. Une des premières utilisations se trouve dans le nom d’un Centre de traitement, Inrichting voor Psychotherapie, fondé en 1887 à Amsterdam par Albert van Renterghem et Frederik van Eeden. En France, le mot figure pour la première fois dans le titre d’un livre en 18911. Toutefois, l’utilisation de procédés psychiques pour traiter des maladies physiques et des troubles mentaux a un long passé. Les guérisseurs primitifs, les prêtres de l’Egypte ancienne et des temples d’Esculape ont déjà, par de tels moyens, induit des guérisons spectaculaires. Les pythagoriciens, les épicuriens et surtout les stoïciens ont développé des stratégies psychologiques qui permettent de dédramatiser les contretemps et de contrôler les émotions perturbantes2.
2Une des premières tentatives pour fonder « scientifiquement » des pratiques psychothérapeutiques est celle de Franz Mesmer. A partir de 1775, ce médecin allemand obtenait des guérisons de troubles physiques et mentaux grâce à des aimants et à une imitation de la bouteille de Leyde. Mesmer, qui se voulait homme de science et non exorciste ou guérisseur, a élaboré une théorie basée sur des analogies avec des phénomènes électriques découverts à son époque. Il concevait la maladie comme la conséquence d’une mauvaise répartition d’un fluide physique subtil, nommé « magnétisme animal ». La thérapie devait permettre de décharger ce fluide accumulé dans le corps du malade.
3La pratique du « magnétisme » a été à la base de l’usage médical de l’hypnotisme, qui sera en vogue dans la seconde moitié du 19e siècle. Mesmer a ainsi contribué de façon décisive au développement de la psychothérapie, alors même que sa conception des troubles physiques et mentaux relevait d’un modèle « biologique ». On peut comparer Mesmer à Christophe Colomb : « L’un et l’autre découvrirent un monde nouveau, l’un et l’autre restèrent dans l’erreur jusqu’à la fin de leur vie sur la nature exacte de leur découverte, l’un et l’autre moururent amèrement déçus »3.
4A partir du 19e siècle, le mode de pensée biologique et médical a commencé à faire merveille pour traiter des maladies somatiques. Il s’est avéré aussi pertinent dans le cas des troubles mentaux déterminés par des facteurs physiques. La démence syphilitique est le prototype des perturbations qui s’inscrivent dans ce cadre : les troubles psychiques se développent parallèlement aux troubles organiques ; la destruction de l’agent infectieux (le tréponème pâle) arrête l’évolution des uns comme des autres.
5Des facteurs organiques n’expliquent pas toutes les perturbations mentales. Par exemple des phobies et des obsessions peuvent apparaître chez des personnes en excellente santé physique. Dès lors des conceptions « psychologiques » ont paru légitimes et ont connu du succès, surtout depuis le 19e siècle. A titre d’exemple, on peut citer celle de Moritz Benedikt, un neurologue injustement oublié (dont Freud et Adler se sont inspirés). Dès 1864 Benedikt, alors chef du Service de neurologie à l’Hôpital général de Vienne, soutenait que l’hystérie ne provient pas, comme on le croyait à l’époque, d’un dysfonctionnement de l’utérus. Il estimait qu’elle résulte de « secrets pathogènes », le plus souvent d’ordre sexuel. Le traitement consistait à mettre au jour ce qu’il appelait une « seconde vie », grâce à l’hypnose ou, plus simplement, grâce à des questions et une écoute bienveillantes4.
6Des conceptions comme celles de Benedikt, qui affirment la primauté de causes psychiques, sont évidemment différentes du modèle « médical ». Elles présentent néanmoins une analogie essentielle avec lui : les troubles sont à chaque fois conçus comme des « symptômes » de dysfonctionnements internes, sous-jacents, cachés.
7Les conceptions psychologiques de ce type sont appelées « médico-psychologiques » (parce qu’elles sont calquées sur le modèle médical), « intrapsychiques » (parce qu’elles invoquent essentiellement des variables « internes ») ou « mentalistes » (parce qu’elles expliquent des comportements par des entités mentales inobservables). L’exemple le plus largement diffusé est la psychanalyse. Freud concevait l’appareil psychique à l’image d’une marmite — « einen Kessel »5 — et les conduites pathologiques comme l’« ex-pression » symbolique de forces refoulées. Il déclarait : « Il est nécessaire, pour qu’un symptôme se produise, que son sens soit inconscient. Le symptôme ne peut provenir de processus conscients. Par ailleurs, le symptôme disparaît dès que le processus inconscient est devenu conscient »6.
8La thérapie corrélative au modèle médico-psychologique se résume à exhumer des pulsions ou des significations dissimulées dans les « profondeurs » du psychisme. Freud comparait ce travail à celui du chirurgien qui extrait des tumeurs pathogènes7.
9Ce modèle a rendu des services. Il a attiré l’attention sur des facteurs psychologiques jusqu’alors méconnus et il a battu en brèche le moralisme culpabilisant8. Toutefois, l’utilisation de la méthode scientifique par des psychologues et des psychiatres a permis d’élaborer de nouveaux modèles des troubles psychiques et de leurs traitements, des modèles qui « collent » mieux aux faits observés et qui débouchent sur des stratégies plus efficaces.
II. L’apport de la méthode scientifique
10La méthode scientifique est une manière, parmi d’autres, d’explorer la réalité. Elle ne vise pas à établir la Vérité ou à justifier des valeurs ultimes. Elle sert seulement à produire des modèles qui permettent d’expliquer des phénomènes, de les prédire avec précision et éventuellement de les contrôler de façon efficiente. Elle se caractérise par l’observance de règles strictes, que des chercheurs ont mises en évidence au cours des siècles, après avoir constaté leur efficacité pour observer des phénomènes, élaborer des hypothèses, les tester et les évaluer.
11Ce qui spécifie le mieux cette démarche, c’est sans doute « l’épreuve des faits » que les véritables scientifiques font subir à des implications réfutables de leurs théories9. Cette mise à l’épreuve doit s’effectuer de manière rigoureuse, honnête et transparente. C’est grâce à l’acceptation du verdict d’observations systématiques que les scientifiques peuvent opérer un tri dans le fouilli des innombrables hypothèses. C’est grâce à l’abandon d’un grand nombre de croyances, dont certaines sont des plus attrayantes, qu’ils progressent vers des conceptions de mieux en mieux accordées à la réalité et, partant, de plus en plus efficaces. La croissance des connaissances scientifiques est analogue à l’évolution des espèces telle que Darwin l’a formulée. Il y a en effet, comme dit Popper, « critique consciente de conjectures proposées à titre d’essai et établissement conscient d’une pression sélective sur ces conjectures (en les critiquant) »10. Les théories « valides » sont les théories actuellement les mieux adaptées, en attendant que d’autres, plus performantes, viennent les remplacer.
12La science s’intéresse à tout — y compris à des questions « existentielles » —, mais elle ne peut dire tout sur tout. Aucun domaine ne peut lui être interdit, mais la rigueur même de sa démarche limite drastiquement la portée de ses résultats.
13L’utilisation de la méthode scientifique pour aborder des questions d’ordre psychologique est relativement récente. Les premières tentatives datent du début du 19e siècle. Elles portaient sur des erreurs et illusions de perception. On considère traditionnellement que Wilhelm Wundt est l’homme qui a établi l’autonomie de la psychologie scientifique par rapport à la philosophie et à la physiologie. En 1879 il a fondé à l’université de Leipzig le premier Institut de psychologie et le premier laboratoire de psychologie expérimentale. Ses recherches se caractérisaient par une définition stricte des conditions d’observation et un contrôle soigneux des résultats.
14Wundt estimait que l’expérimentation, en psychologie, ne peut porter que sur les « processus inférieurs » tels que la perception et l’attention. Il croyait que la meilleure façon d’aborder les « processus supérieurs » est d’étudier l’histoire des conduites chez différents peuples (entre 1900 et 1920, il publia dans cette optique une Völkerpsychologie en 10 volumes).
15L’Américain John Watson a effectué une rupture capitale avec les conceptions antérieures de la psychologie, y compris celle de Wundt. Il a affirmé que la méthode scientifique est la voie royale pour aborder tous les problèmes d’ordre psychologique. En 1913 il publia, dans la Psychological Review, la conférence Psychology as the behaviorist views it qu’il avait donnée à l’université Columbia. Ce texte deviendra le manifeste du behaviorisme, c’est-à-dire la psychologie définie comme science du comportement (behavior). (En 1908 le Français Henri Piéron avait déjà émis des idées similaires à celles de l’Américain, mais il ne réussit pas à provoquer l’enthousiasme que Watson suscita aux Etats-Unis, pays où, comme le dit Piéron, « le poids des traditions est moins lourd »).
16A l’époque de Watson, les philosophes et les psychologues expliquaient généralement les conduites par des entités « intérieures » inobservables (facultés de l’âme, traits de caractère, instincts, pulsions, besoins, tendances, complexes, Inconscient, etc.). Watson a considéré ces explications « mentalistes » comme des pseudo-explications, semblables à celle du médecin de Molière déclarant que l’opium fait dormir « quia est in eo Virtus dormitiva ». (Certes il est légitime et intéressant de dire que l’opium a la propriété de faire dormir ; l’erreur réside dans le quia, le parce que, l’attribution d’une valeur explicative à un énoncé descriptif).
17Voulant réagir vigoureusement à la psychologie « mentaliste », Watson s’est limité à l’étude du comportement observable, laissant entre parenthèses les phénomènes qui se produisent entre les stimuli environnementaux et les réactions visibles de l’individu. Sa formule de base est le schéma « S→R » : la psychologie doit chercher à prédire quelles sont les réactions à divers stimuli et, inversement, elle doit pouvoir préciser, à partir des réactions, quels sont les stimuli qui les ont déclenchées. Le promoteur du behaviorisme estimait la psychologie de son époque insuffisamment armée pour explorer, de façon scientifique, les variables « internes » situées dans ce qu’il appelait « la boîte noire ». Il a cependant reconnu l’importance de certaines de ces variables, en particulier les affects et le « langage subvocal » (covert speech).
18Les psychologues d’orientation scientifique ont tous adopté les critères majeurs de la scientificité pour mener leurs recherches, mais ils ne se sont pas accordés sur leur objet d’étude et sur les interprétations de leurs observations.
19Leurs divergences tiennent pour une part à la façon d’utiliser le concept de « comportement ». Certains l’emploient dans le sens étroit d’action manifeste, directement observable, qui se distingue des phénomènes psychiques « internes » (cognitions et affects). D’autres l’utilisent pour désigner toute forme d’activité, directement ou indirectement observable. Selon cette seconde définition, qui est celle que nous adoptons, le comportement est un phénomène de complexité variable, qui comporte trois aspects essentiels : des composantes cognitives (perceptions, souvenirs, réflexions, etc.), affectives (sensations de plaisir, de souffrance, d’indifférence) et motrices (actions, expressions corporelles).
20D’autre part, les psychologues d’orientation scientifique ont élaboré des théories qui diffèrent selon le poids accordé aux déterminants externes et internes des conduites. Les behavioristes radicaux reconnaissent l’importance de phénomènes « intérieurs » ou « privés », mais ils estiment que les comportements sont régis in fine par des stimuli externes11. Les cognitivistes estiment au contraire que l’objet essentiel de la psychologie est l’activité mentale et que l’explication ultime des conduites se trouve, non dans l’environnement, mais dans des opérations cognitives12. Enfin les néobehavioristes et les psychologues qui refusent de se rattacher à une « Ecole » veulent dépasser l’antinomie de l’environnementalisme et du mentalisme. Ils renvoient dos à dos les conceptions d’un homme vide, pur produit du milieu, et d’un homme insulaire, indépendant du contexte physique et social. Ils envisagent l’être humain comme un être complexe, qui ne se comprend bien qu’en termes de relations bidirectionnelles entre des facteurs personnels et des contingences environnementales. Pour eux, l’homme est étroitement dépendant de contrôles externes (physiques et sociaux) et de processus internes (cognitifs, physiologiques et affectifs), mais il est aussi capable d’analyser ces variables et de les modifier, et cela d’autant mieux qu’une science du comportement se développe13.
III. La psychothérapie par conditionnement
21Les premières formes de thérapie fondées explicitement sur la psychologie scientifique sont issues du behaviorisme radical. Elles ont été réalisées en 1924 à l’université Columbia par Mary Jones. Cette psychologue s’est basée sur des recherches de Watson montrant que certaines phobies peuvent résulter simplement d’expériences de peur et qu’elles n’impliquent pas une explication en termes de conflits intrapsychiques inconscients. Jones a testé plusieurs méthodes imaginées par Watson pour traiter des phobies chez des enfants14. Deux méthodes sont apparues particulièrement efficaces : le « déconditionnement » par habituation progressive et l’« imitation sociale ».
22A titre d’exemple, voyons comment Jones a traité la phobie des lapins chez un garçon de trois ans, appelé Peter15. Elle a commencé par installer l’enfant sur une chaise haute. Pendant que Peter recevait ses aliments préférés ou jouait agréablement, un lapin était amené dans une cage grillagée à l’autre bout de la pièce. Au début le garçon présentait des signes typiques de peur, mais il s’est habitué progressivement au stimulus anxiogène. Après quelques séances, la cage pouvait être rapprochée sans déclencher de vives réactions. Jones a utilisé conjointement le pouvoir thérapeutique de l’imitation : elle a invité trois garçons de l’âge de Peter, qui n’avaient pas peur des lapins, à venir jouer devant lui avec l’animal phobogène.
23Le degré de tolérance de Peter a augmenté selon une progression en dents de scie, lentement mais sûrement. Après une quarantaine de séances, la réaction de panique déclenchée à la vue d’un lapin a disparu au profit de conduites nouvelles, tout à fait positives. Finalement Peter a accepté l’animal dans son parc, il s’est mis à jouer avec lui et à le caresser affectueusement. Aucun « symptôme de substitution » n’est apparu dans les semaines qui ont suivi. Bien au contraire, Mary Jones a constaté un effet boule de neige positif (en termes techniques : une généralisation de l’extinction des réactions phobiques) : après que Peter eut appris à rester calme en présence d’un lapin (et même à lui manifester de l’affection), sa crainte des rats, des souris et des grenouilles disparut également, sans avoir nécessité un « training » spécifique.
24Ce traitement illustre les principes suivants. Des comportements jugés « pathologiques » peuvent être diminués ou éliminés selon des procédés analogues à ceux qui permettent d’apprendre ou de modifier des conduites dites « normales ». La théorie qui sert de cadre de référence est celle de l’apprentissage (dans le cas de Jones : le principe du conditionnement pavlovien). La méthode d’analyse et de traitement relèvent de la psychologie scientifique : le thérapeute observe et expérimente de façon méthodique ; son attention se centre sur des comportements observables et mesurables, plutôt que sur des entités mentales inférées ; il évalue objectivement les effets des procédures.
25En 1929 Kantorovich, un élève de Pavlov, a utilisé le principe du conditionnement pavlovien pour traiter l’alcoolisme. Le patient absorbait une substance qui, après quelques minutes, provoquait des nausées et des vomissements. Tout juste avant l’apparition des malaises, le patient était invité à songer à ses breuvages favoris, à les voir ou à les consommer. Cette association était répétée plusieurs fois (par exemple 6 séances quotidiennes d’une demi-heure, suivies de 6 séances d’entretien réparties à des intervalles de 4 à 12 semaines). Le but était de modifier la signification de l’alcool, de transformer un stimulus tentateur en stimulus aversif provoquant le dégoût et l’évitement.
26Cette méthode a été couramment utilisée entre 1930 et 1970. Son efficacité — toute relative — s’est avérée tributaire de multiples facteurs, en particulier la fréquence et l’intensité des séances de conditionnement, le degré d’implication du sujet (qui doit être bien convaincu de l’importance de changer et de la légitimité de la méthode), la résolution de difficultés psychosociales qui incitent à boire de l’alcool, le réaménagement de l’ensemble du mode de vie. Aujourd’hui ce traitement n’est plus guère utilisé par les psychothérapeutes d’orientation scientifique16.
27Le conditionnement aversif pose, de façon exemplaire, des questions éthiques sur l’application pratique de connaissances scientifiques, ainsi que sur l’image de l’homme qui se construit — généralement trop vite — à partir de ces connaissances. Il a d’ailleurs constitué un frein au développement de thérapies basées sur les résultats de la psychologie expérimentale. La version imaginée par Kubrick dans son film Orange mécanique (1972), pour inhiber des impulsions à la violence, a porté le débat dans les salons et dans le grand public.
28Au cours du temps, la science produit des connaissances dont une très large part se périment, mais dont d’autres se confirment de mieux en mieux en dépit des changements de « paradigmes ». Plus les connaissances scientifiques s’accumulent, plus le pouvoir de ceux qui en disposent augmente. Newton expliquait ses extraordinaires découvertes en disant qu’il était un nain juché sur les épaules de géants. Comme tout pouvoir, celui qu’apportent les sciences et les techniques qui en découlent pose le problème de son usage. L’électricité peut servir au chirurgien pour sauver une vie et au policier pour torturer un opposant politique ; une seringue peut servir à injecter l’antibiotique salvateur ou la drogue mortelle ; les connaissances en matière de conditionnement des conduites peuvent s’utiliser pour aider des toxicomanes à rompre leur assuétude ou pour inciter des gens à acheter de l’alcool et d’autres drogues... Les psychologues scientifiques ont déjà beaucoup réfléchi à ces problèmes17. Skinner, le plus grand nom du behaviorisme, n’a cessé de s’interroger sur la question du contrôle d’hommes par d’autres. Dans le cours de psychologie qu’il donnait à Harvard à la fin des années 40 et qu’il a publié sous le titre Science and human behavior (Macmillan, 1953), le premier chapitre s’intitule « The misuse of science » et le dernier « The problem of control ». Il écrivait dès la première page : « Il apparaît que le pouvoir de l’être humain s’est amplifié hors de toute proportion avec sa sagesse. L’homme n’a jamais eu autant la possibilité de construire un monde de santé, de bonheur, de productivité, et cependant la situation n’a peut-être jamais été aussi sombre ». Skinner mettait en garde, particulièrement, contre les abus de pouvoir chez les psychothérapeutes. Il soulignait qu’« au cours d’une psychothérapie, le thérapeute peut acquérir un degré de contrôle sur le patient bien supérieur à celui détenu par beaucoup d’agents de la religion ou du gouvernement »18.
29Il est évident que plus une discipline scientifique fournit des moyens d’action, plus ses praticiens doivent élaborer et respecter des règles déontologiques précises. Il importe en particulier de prendre des précautions pour que les personnes concernées puissent rester libre de se faire traiter ou non, et qu’elles puissent choisir en connaissance de cause entre plusieurs types de traitement19. Lorsqu’un individu ne dispose guère de cette liberté (parce qu’il est par exemple prisonnier, oligophrène ou atteint de démence), des comités d’experts doivent se montrer particulièrement vigilants pour faire respecter les droits de l’homme. Les codes et les bons sentiments ne suffisent pas pour assurer, à travers le temps, un contrôle suffisant sur les intérêts égocentriques de ceux qui détiennent le plus de pouvoir. Il importe d’organiser des mesures concrètes de contre-contrôle, notamment une large information, des possibilités de protestation, de recours et de dédommagement.
30Dans l’histoire de la psychothérapie d’orientation scientifique, les discours alarmistes ont rapidement surgi, prenant parfois l’allure de délires paranoïaques. Certains « penseurs » sont allés jusqu’à prédire l’avènement d’un nouveau genre de fascisme ou l’imposition du « meilleur des mondes » à l’humanité.
31Parmi les facteurs qui ont alimenté ces résistances et attaques, on peut noter la jalousie vis-à-vis de l’efficience des méthodes « comportementales » (les thérapeutes « non directifs » par exemple se proclament éminemment respectueux de l’autonomie de la personne, mais ils s’avèrent dramatique ment impuissants face aux appels d’individus piégés par de graves problèmes, tels que l’asservissement à l’alcool ou le développement de troubles obsessionnels-compulsifs).
32D’autre part, il faut ici souligner le poids des mots. Des expériences ont montré que des étudiants jugent les mêmes procédures psychothérapeutiques de façon moins favorable si elles leur sont présentées sous le nom « techniques de modification comportementale » que sous le label « méthodes d’éducation humaniste »20. Le terme « conditionnement », en particulier, induit facilement des méprises. Il a été utilisé par Pavlov pour désigner un type d’apprentissage par lequel un événement (par exemple un son) devient le signal de l’apparition probable d’un autre événement (par exemple la présence de nourriture). Il a ensuite désigné soit tout apprentissage dans lequel les contingences environnementales jouent un rôle déterminant, soit les conditions externes qui favorisent l’apparition d’un comportement, son maintien ou sa disparition. Utilisant cette dernière acception, on peut dire que nous sommes tous toujours « conditionnés », c’est-à-dire influencés — mais pas mécaniquement déterminés — par les contextes dans lesquels nous vivons et avons vécu. Dans le langage courant, le mot « conditionnement » suggère aisément l’automatisation des conduites, le contrôle répressif, le dressage ou la manipulation. Cette acception péjorative est volontiers reprise ou accentuée par les opposants au behaviorisme. Pour cette raison, bon nombre de psychologues limitent aujourd’hui l’usage de ce terme à l’apprentissage de type pavlovien.
IV. La thérapie comportementale
33En 1953 Skinner, Solomon et Lindsley (Université Harvard) ont proposé l’appellation « thérapie comportementale » pour désigner l’utilisation de données de la psychologie scientifique en vue de résoudre des problèmes psychologiques ou de modifier des conduites perturbées21. L’expression est apparue pour la première fois dans le titre d’un livre en 1960 : Behavior therapy and the neuroses de Hans Eysenck (Université de Londres). Cet ouvrage rassemblait 36 publications de psychothérapies menées dans le cadre de la psychologie scientifique22. Les problèmes traités étaient des phobies, des obsessions, des compulsions, des tics, le bégaiement, l’énurésie nocturne, l’aphonie et la surdité hystériques, etc. Les techniques apparaissaient d’emblée diversifiées. Certaines faisaient déjà usage de processus cognitifs (par exemple la visualisation mentale de situations stressantes) et de processus affectifs (par exemple l’apprentissage de méthodes spécifiques de relaxation en vue de mieux réguler l’activation émotionnelle). Six textes seulement traitaient du conditionnement aversif. En les présentant, Eysenck se montrait réservé. Il soulignait (p. 277) que cette technique peut facilement conduire à une aggravation de l’état du patient !
34Dans les années 60, le rythme des publications a augmenté de façon exponentielle, du moins dans les pays anglo-saxons (la majorité des « psys » des pays latins sont restés, jusqu’à présent, centrés sur le modèle freudien). En 1972, le nombre des publications recensées dans les Psychological Abstracts approchait les mille unités par an et dépassait ainsi le nombre de publications psychanalytiques23. L’approche comportementale a fini par constituer le principal paradigme psychothérapeutique dans la majorité des facultés de psychologie des pays anglo-saxons. Le nombre des praticiens est en augmentation constante. (Actuellement les thérapeutes comportementalistes reconnus par leur Association nationale sont environ 1800 aux Pays-Bas, 700 en France, 400 en Flandre, 100 en Wallonie).
35Les conceptualisations et surtout les techniques se sont considérablement diversifiées24. Le développement de la psychologie et de la thérapie « cognitives »25 a constitué un tournant décisif. Des procédures concrètes ont été développées en vue d’apprendre à modifier activement des comportements « cognitifs », tels que des autoverbalisations, des anticipations, des attributions de causalité, des inférences dysfonctionnelles, etc. (Certains psychologues utilisent l’expression « cognitivo-comportementale » pour souligner l’importance de la dimension cognitive mais, dans la mesure où le terme « comportement » est entendu au sens large, le qualificatif « cognitivo » est superflu).
36La thérapie (cognitivo)comportementale étant une forme de psychologie (scientifique) appliquée, elle évolue parallèlement aux progrès des recherches fondamentales de la psychologie. Réciproquement, elle contribue elle-même, par ses observations et ses questions, à susciter des recherches et de nouvelles théorisations. Cette diversité doit être encouragée car elle conditionne les progrès futurs.
37Les impératifs qui demeurent à travers les métamorphoses des théories et des pratiques tiennent en deux mots : scientificité et humanisme. Explicitons comment l’approche comportementale respecte l’exigence de scientificité et comment en découlent d’autres traits qui la caractérisent parmi les nombreuses formes de psychothérapie.
38Le praticien est évidemment confronté à une réalité très complexe. Il ne peut travailler à l’instar du chercheur qui examine des variables rigoureusement définies et contrôlées. Le praticien fait inévitablement des extrapolations et des interprétations qui laissent une assez large place à la subjectivité. Toutefois le comportementaliste peut s’appuyer sur un corpus d’expériences rigoureuses, un corpus qui évolue et qui devient de plus en plus solide à mesure que les années passent. D’autre part, au cours de ses interventions, le praticien adopte une attitude de chercheur scientifique. Il considère ses interprétations comme des hypothèses, plutôt que comme des vérités. Il propose d’effectuer des observations systématiques pour confirmer ou réfuter ses hypothèses. Il ne recourt pas à des explications ad hoc pour conserver indéfiniment la doctrine d’un Père fondateur. Il change d’hypothèses quand les faits viennent les contredire. Enfin, le comportementaliste vérifie méthodiquement les effets de ses interventions. Il se remet en question quand ces effets sont médiocres. Il cherche inlassablement à améliorer ses procédures. Les chercheurs qui ont examiné les résultats observables des différentes psychothérapies s’accordent à dire que les comportementalistes ont, de très loin, publié le plus de recherches sur les coûts et les bénéfices de leur démarche26.
39Science rime avec efficience. Les comportementalistes déclarent ouvertement qu’ils cherchent à élaborer des méthodes efficaces. L’efficience, que leur permet déjà l’état actuel de la discipline, les autorise à prendre au sérieux les demandes effectives du client, plutôt que d’élucubrer sur sa demande « inconsciente » et de l’entraîner dans des dépenses considérables. Certes, il y a des demandes d’aide mal formulées, irréalistes ou douteuses, mais le comportementaliste, en étroite collaboration avec le client, cherche à résoudre, si possible rapidement, des problèmes manifestes. Il explicite en toute clarté ses principes, ses objectifs, ses méthodes, ses contrats, ses résultats. Il n’a pas besoin d’un jargon ésotérique pour dissimuler l’impuissance à résoudre des problèmes concrets.
40L’explication des troubles psychiques, selon la psychologie scientifique, peut se résumer comme suit. Une partie des difficultés psychologiques provient d’anomalies génétiques ou de dysfonctionnements biologiques. C’est assurément le cas de certaines dépressions, de l’autisme et de la plupart des psychoses. D’autres troubles résultent de facteurs sociaux et psychologiques, plus précisément : des conditionnements passés (par exemple des normes familiales intégrées de façon rigide) ; des conditions de vie actuelles (par exemple une insuffisance de satisfactions affectives, de plaisirs sensoriels ou d’activités valorisantes) ; des modes de pensée dysfonctionnels (par exemple une tendance à anticiper toujours des catastrophes et à dramatiser les frustrations) ; une insuffisance des habiletés à résoudre certains problèmes existentiels, à réguler des impulsions et à affronter certaines situations stressantes ; un développement insuffisant d’habiletés sociales telles que la capacité d’écouter activement les autres et de comprendre leur point de vue, la capacité d’exprimer ses propres désirs et opinions, la capacité de négocier des solutions qui paraissent équitables pour soi et pour le ou les partenaires.
41Le principe essentiel du changement psychologique consiste à favoriser l’apprentissage de nouvelles façons de percevoir, d’interpréter, d’agir et de ressentir. La thérapie comportementale n’est pas une thérapie au sens médical du terme : elle ne cherche pas à « extraire » de l’Inconscient des espèces de tumeurs psychiques ; elle vise à favoriser des apprentissages qui permettent de se libérer d’automatismes « névrotiques », de mieux résoudre des problèmes, d’accomplir davantage d’activités gratifiantes, d’être plus heureux. Pour cette raison, bon nombre de praticiens évitent l’usage du mot « thérapie ». Ils préfèrent les expressions « modification du comportement » ou « gestion de soi ».
42Les opérations mises en œuvre sont généralement les suivantes.
- L’observation systématique, pendant un temps défini, de conduites problématiques et de leurs contingences (en particulier les situations « piégeantes »).
- L’analyse « fonctionnelle » de ces conduites, c’est-à-dire une analyse en fonction d’antécédents situationnels et d’anticipations de conséquences.
- La définition d’objectifs essentiels et d’objectifs comportementaux concrets.
- Des apprentissages méthodiques visant à modifer une ou plusieurs variables dont les comportements sont fonction. Ces variables sont : des conditions environnementales et des stimuli incitateurs ; des croyances et des processus cognitifs (la conception de ses propres possibilités et handicaps, des attributions causales, des jugements de valeur, des impératifs intériorisés, des absolutisations, etc.) ; des processus physiologiques (spécialement le rythme respiratoire, le tonus musculaire et l’effet de substances stimulantes telles que le café) ; des modes d’action et d’interaction ; des conséquences de conduites à court, à moyen et à long terme.
- L’expérimentation de nouvelles conduites dans la vie quotidienne.
- L’évaluation de ces conduites en fonction d’échelles graduées, plutôt que selon des dichotomies du genre bien-mal, réussi-raté.
- Le « transfert » des nouvelles compétences dans diverses situations et l’agencement de « renforcements » en vue de maintenir les acquis à travers le temps.
43Il n’y a guère d’antinomie entre l’adoption d’une telle démarche — structurée, « scientifique », pragmatique — et, d’autre part, le respect de la personne, l’écoute des particularités individuelles et le support affectif. Les comportementalistes pensent qu’en psychothérapie, comme en médecine, l’écoute et le témoignage de sympathie sont essentiels, mais ne suffisent pas à résoudre des problèmes graves et compliqués. Quand c’est le cas, il importe de « programmer » des apprentissages méthodiques de nouveaux comportements.
44Les résultats dépendent, comme dans tout processus d’apprentissage, de divers paramètres, notamment : l’état de la personne au départ, l’importance qu’elle attache au changement, les efforts qu’elle met en œuvre, la disponibilité de procédures concrètes permettant des changements effectifs, le degré de satisfaction éprouvé suite aux changements réalisés, les renforcements octroyés par l’entourage. Soulignons le facteur « disponibilité de procédures concrètes » par un exemple : des enquêtes ont montré qu’il ne suffit pas d’exposer les ravages du tabac et les avantages d’un changement d’habitudes pour libérer les fumeurs de leur dépendance ; un changement effectif et durable dépend étroitement de la disposition de stratégies efficaces27.
V. L’autocontrôle
45Les comportementalistes ont commencé par traiter, de façon directive, des problèmes de conduite clairement circonscrits. Au cours des années 60, ils ont progressivement changé d’objectif : au lieu de présenter à leurs clients des solutions toutes faites pour des problèmes actuels, ils leur ont enseigné des stratégies utilisables, de façon autonome, dans une large diversité de situations. Ils ont placé le thème de l’autocontrôle au centre de leurs préoccupations28.
46En 1970 paraît Learning foundations of behavior therapy, de Kanfer (Université de Cincinnati) et Phillips (Université du Massachusetts). Ce traité, qui sera pendant près de dix ans l’ouvrage de référence de beaucoup de behavioristes, comprend un chapitre de 50 pages intitulé Self-regulation and its clinical application. Les auteurs y expliquent que l’objectif essentiel de tout psychothérapeute devrait être d’aider le client à développer des habiletés lui permettant de mieux assumer la responsabilité de la régulation de son propre environnement et de ses actions29. Deux ans plus tard, David Watson et Roland Tharp (Université de Hawaï) publient un livre à la fois rigoureux et pratique : Self-directed behavior30. L’année suivante Marvin Goldfried (Université de New York à Stony Brook) et Michael Merbaum (Université Adelphi) publient Behavior change through self-control. Ils y expliquent en première page que le but ultime de la thérapie comportementale est de pourvoir le client de ressources qui permettent d’affronter par soi-même les problèmes existentiels31. Ensuite le rythme des publications s’accélère.
47Trois facteurs ont incité les comportementalistes à s’orienter dans ce sens : l’évolution des théories psychologiques, le souci d’efficacité et la réflexion éthique.
481. Avant même le développement du courant cognitiviste, les behavioristes se sont de plus en plus intéressés aux « conduites privées ». Déjà Skinner, dans Science and Human behavior (1953), a accordé beaucoup d’importance à ces comportements. Un chapitre entier était consacré au « self-control ». (A ma connaissance, il s’agit du premier texte de psychologie scientifique portant sur l’analyse de l’autocontrôle et les moyens de l’améliorer). Skinner y affirmait : « Dans une large mesure l’individu apparaît comme l’artisan de sa propre destinée. Il est souvent capable d’agir sur les variables qui l’affectent »32. Le courant cognitiviste accentuera l’idée que le sujet humain est capable de s’organiser et de changer par lui-même, du moins s’il dispose des informations adéquates33.
492. Le souci d’efficacité des thérapeutes leur a fait préférer des procédures d’autocontrôle aux formes directives de « conditionnement ». En effet, des recherches fondamentales et des observations cliniques ont bien montré les deux processus suivants : la réussite de changements de conduite dépend étroitement du degré d’implication personnelle ; ces changements se maintiennent mieux à travers le temps si la personne les attribue au développement de ses propres capacités, plutôt qu’à la pression de facteurs externes ou à l’effet de médicaments34.
503. La réflexion des comportementalistes sur l’éthique de leurs interventions les a conduit à l’idée que la psychologie scientifique doit avant tout se mettre au service des hommes, qu’elle doit offrir à chacun des moyens d’augmenter le pouvoir sur lui-même et sur les conditionnements qu’il subit. En 1969, George Miller, dans son discours de président de l’Association américaine de Psychologie, proclamait que la principale responsabilité sociale des psychologues consiste à apprendre aux citoyens comment s’aider eux-même. Il écrivait : « Dans la grande majorité des cas, les gens devront devenir leur propre psychologue et réaliser eux-mêmes les applications des principes que nous mettons en évidence (...) Notre responsabilité est moins de jouer le rôle d’experts et d’appliquer la psychologie nous-mêmes que de l’offrir (‘to give it away’) aux personnes qui en ont réellement besoin — c’est-à-dire tout le monde »35.
VI. La gestion de soi
51Dans les années 1970, le terme self-management a de plus en plus remplacé celui de self-control. On peut le définir comme la régulation de ses propres comportements et de facteurs dont ils dépendent, en vue d’objectifs personnels. Ce terme apparaît pour la première fois dans l’index des Psychological Abstracts en 1972. Skinner l’utilise couramment dès 1974. Une de ses dernières conférences à l’Association américaine de Psychologie a pour titre Intellectual self-management in old age36. Bjork a intitulé le dernier chapitre de sa biographie de Skinner : « Master of self-management »37.
52Le concept de « gestion de soi » présente plusieurs avantages par rapport à celui d’autocontrôle.
- Dans le langage ordinaire, le mot « contrôle » évoque facilement des formes de contrôle répressif. Le terme « gestion » désigne généralement un ensemble d’activités réfléchies et efficaces, en vue d’objectifs choisis en connaissance de cause, compte tenu des réalités. Les connotations que suggère le terme de « gestion » sont le réalisme, l’interactivité, la souplesse, l’orientation vers le futur, l’efficience.
- Le terme « autocontrôle » induit, plus facilement que celui d’« autogestion », des pseudo-explications mentalistes. Certaines personnes déclarent par exemple qu’elles se droguent « parce qu’elles n’ont pas d’autocontrôle » ; elles justifient leur conduite par l’absence ou l’insuffisance de cette entité interne. Il est sans doute plus judicieux de dire qu’elles se droguent parce qu’elles « gèrent » mal leur existence, parce qu’elles exploitent trop peu les possibilités d’action sur leurs propres conduites et sur les déterminants de celles-ci.
- Le terme « autocontrôle » induit facilement une dichotomisation : on pense qu’on a ou qu’on n’a pas le contrôle de soi. La notion d’« autogestion » suggère des différences de degrés, variant selon les divers secteurs de l’existence.
- La notion d’« autogestion » est facilement conciliable avec celle d’apprentissage. Si l’on ne voit pas bien comment développer l’autocontrôlé (ou la volonté), on comprend vite qu’on peut apprendre à mieux gérer diverses variables dont dépendent nos comportements.
- L’expression « autocontrôle » fait songer principalement à la régulation ou à la suppression d’impulsions dangereuses, tandis que celle d’autogestion désigne non seulement le pouvoir de se contrôler, mais également celui de développer des activités épanouissantes. Or cette dimension de l’existence est capitale : l’insuffisance de plaisir et de bonheur dans la vie quotidienne mène au développement de troubles névrotiques, d’états dépressifs ou de dangereuses dépendances (à l’alcool ou aux anxiolytiques par exemple).
53Dans la perspective comportementale, il n’y a guère de différence entre les procédures de psychothérapie et de gestion de soi. Le but ultime de la thérapie comportementale n’est pas de transformer l’identité des personnes, mais simplement d’aider celles qui le souhaitent à mieux atteindre des objectifs personnels et à améliorer leurs rapports avec autrui38.
54Depuis une trentaine d’années, la science du comportement a permis de débusquer, beaucoup mieux que par le passé, les multiples déterminants des conduites. L’image de l’homme qui en résulte n’est plus celle d’un pauvre être, mécaniquement déterminé par son milieu ou par des pulsions qui jaillissent de l’inconscient. C’est celle d’un sujet actif, en interaction constante avec le monde et autrui, capable d’apprendre à réguler, en fonction d’objectifs choisis de façon réfléchie, une part essentielle de ses pensées, de ses sentiments, de ses actions. La possibilité de cet apprentissage spécifie, de façon éminente, l’humanité. Une des plus hautes missions de la psychologie scientifique d’aujourd’hui est de développer et de mettre à la portée de tous des stratégies concrètes pour rendre plus efficace ce type d’apprentissage.
Notes de bas de page
1 H. BERNHEIM, Hypnotisme, suggestion, psychothérapie, Paris, Doin, 1891.
2 Cf. H. ELLENBERGER, The discovery of the unconscious, N.Y., Basic Books, 1970, 932 p. Trad. : A la découverte de l’inconscient. Histoire de la psychiatrie dynamique, Paris, Masson, 1974, 780 p.
3 Ibid., trad., p. 50.
4 Cf. H. ELLENBERGER, Moritz Benedikt, in Les mouvements de libération mythiques et autres essais sur l’histoire de la psychiatrie, Montréal, Ed. Quinze, 1978, p. 131-52.
5 S. FREUD, Gesammelte Werke. Chronologisch geordnet, XVII vol. (1892/1939), Frankfurt am Main, S. Fischer, 1941/1968, vol. XV, p. 80.
6 Ibid., vol. XI, p. 289.
7 Ibid., vol. VIII, p. 380.
8 J. VAN RILLAER, Grandeur et misère de la psychanalyse, Paris, Raison Présente, 1985, 76, p. 99-113.
9 Cf. par exemple K. POPPER, Conjectures and Refutations : The growth of scientific knowledge, London, Routledge, Revised 3rd ed., 1969, 431 p. ; Trad. : Conjectures et réfutations, Paris, Payot, 1985, 610 p.
10 K. POPPER, Unended Quest, The library of living philosophers, 1974. Trad. : La question inachevée, Paris, Calmann-Lévy, 1981, p. 243.
11 SKINNER écrit par exemple : « Ce n’est pas tant la complexité du comportement humain qui fait problème que la pratique traditionnelle de chercher des explications à l’intérieur de la personne qui se comporte. On dit que les actions des gens sont déterminées par leurs sentiments, états d’esprit, intentions, buts et plans ; qu’ils agissent parce qu’ils veulent agir ; que leurs rôles dans la société sont le reflet de leur moi intérieur ou de leur personnalité. Une science du comportement doit chercher ailleurs. Elle se tourne vers l’environnement—l’environnement, qui a produit l’équipement génétique des espèces via la sélection naturelle, et qui, maintenant, façonne et maintient le répertoire de l’individu grâce à un autre processus de sélection appelé conditionnement opérant. Si nous analysons ces deux rôles de l’environnement, nous pouvons commencer à comprendre le comportement et nous pouvons le modifier en changeant l’environnement », Reflections on Behaviorism and Society, Prentice-Hall, 1978, p. 85.
12 Cf. par exemple B. BAARS, The cognitive revolution in psychology, N.Y., Guilford, 1986, 443 p.
13 Cf. par exemple A. BANDURA, Social foundations of thought and action. Prentice-Hall, 1986, 617 p. ; J. VAN RILLAER, La gestion de soi, Liège, Mardaga, 1992, 368 p.
14 M. C. JONES, The eliminaion of children’s fears, Journal of Experimental Psychology, 1924, 7, p. 383-90. Trad. in H. Eysenck (Ed.), Conditionnement et névroses, Paris, Gauthier-Villars, 1962, p. 39-47.
15 M. C. JONES, A laboratory study of fear : The case of Peter, Pedagogical Seminary, 1924, 31, p. 398-415. Trad. in H. Eysenck (Ed.), Conditionnement et névroses, Paris, Gauthier-Villars, 1962, p. 48-56.
16 Cf. par exemple I. PELC & J. ANTOINE, Analyse et thérapeutique comportementales de l’alcoolisme, in O. FONTAINE et al. (éds), Cliniques de thérapie comportementale, Liège, Mardaga, 1984, p. 313-27. ; G. A. MARLATT & J. GORDON (Eds), Relapse prevention : Maintenance strategies in the treatment of addictive behaviors, N.Y., Guilford, 558 p.
17 Cf. par exemple P. LONDON, Behavior Control, Harper & Row, 1969, 241 p. ; N. KITTRIE, The right to be different. Deviance and enforced therapy, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1971. ; X. SERON, J.-L. LAMBERT & M. VANDER LINDEN, La modification du comportement. Théorie. Pratique. Ethique, Liège, Mardaga, 1977, 377 p. ; O. FONTAINE, Introduction aux thérapies comportementales, Liège, Mardaga, 1978, 300 p.
18 P. 383. Des psychanalystes ont également réfléchi au pouvoir exercé par l’analyste sur l’analysant. Par exemple J.B. PONTALIS déclare : « La fonction de puissance, et même d’omnipotence, est plus avivée en analyse que nulle part ailleurs » (Entretien avec R. Jaccard, Le Monde, 4-11-1977) ; André GREEN (ancien directeur de l’Institut de Psychanalyse de Paris) constate : « La psychanalyse est une situation de pouvoir qui entraîne l’abus du pouvoir, il faut le dire. C’est de la dynamite. Dès que le transfert surgit, se pose pour le psychanalyste la question éthique, le choix fondamental : ou je conserve un recul et j’analyse le transfert sans marcher dans le jeu de l’analysant ou j’entre dans le jeu, car ce serait dommage de ne pas exploiter le transfert à des fins personnelles. L’occasion d’asservir et de se faire servir est trop belle ! » (« Le père omnipotent », Propos recueillis par C. Clément, Paris, Magazine littéraire, no 315, nov. 1993, p. 20).
19 En pratique, le choix du type de psychothérapie est fort limité. Les thérapeutes sont en général mal informés des orientations qui diffèrent de la leur et ils cherchent bien souvent à protéger leur business. Il existe très peu de publications non partisanes sur la valeur comparée des formes de psychothérapie. A ma connaissance, le meilleur ouvrage en français est celui de W. HUBER, Les psychothérapies. Quelle thérapie pour quel patient ?, Paris, Nathan, 1993, 254 p.
20 A. WOOLFOLK, R. WOOLFOLK & G. T. WILSON, A rose by any other name : Labeling bias and attitude toward behavior modification, Journal of Consulting and Clinical Psychology, 1977, 45, p. 184-191.
21 B. SKINNER, H. SOLOMON & O. LINDSLEY, Studies in Behavior therapy, Metropolitan State Hospital ; Waltham, Massachussets, Status Report I, 1953.
22 H. EYSENCK (Ed.), Behaviour Therapy and tbe Neuroses, London, Pergamon, 1960, 467 p. (Trad. de la version abrégée : Conditionnement et Névroses, Paris, Gauthier-Villars, 1962, 414 p.).
23 P. HOON & O. LINDSLEY, A comparison of behavior and traditional therapy publication activity, American Psychologist, 1974, 29, p. 694-97.
24 En 1985, A. BELLACK & M. HERSEN (Dictionary of behavior therapy techniques, N.Y., Pergamon) distinguaient déjà 160 techniques « behaviorales ».
25 Les deux principaux pionniers de la « thérapie cognitive » sont Albert ELLIS (cf. Reason and emotion in psychotherapy, N.Y., Stuart, 1962, 442 p.) et Aaron BECK (cf. Cognitive therapy and the emotional disorders, N.Y., International University Press, 1976, 356 p.). Le lecteur intéressé peut lire en français I. BLACKBURN & J. COTTRAUX, Thérapie cognitive de la dépression, Paris, Masson, 202 p. ; J. COTTRAUX, Les thérapies cognitives, Paris, Retz, 1992 ; C. MIRABEL-SARRON & B. RIVIERE, Précis de thérapie cognitive, Paris, Dunod, 1993, 168 p.
26 Cf. W. HUBER, L’homme psychopathologique et la psychologie clinique, Paris, P.U.F., 1993, p. 266.
27 H. LEVENTHAL, The integration of emotion and cognition, in M. CLARK & S. FISKE (Eds), Affect and cognition, Erlbaum, 1982, p. 121-56.
28 Cf. par exemple I. GOLDIAMOND, Self-control procedures in personal behavior problems, Psychological Reports, 1965, 17, p. 851-868. ; J. GREENSPOON & A. BROWNSTEIN, Psychotherapy from the stand-point of a behaviorist, The Psychological Record, 1967, 17, p. 401-417.
29 F. KANFER & J. PHILLIPS, Learning Foundations of Behavior Therapy, N.Y., Wiley, 1970, p. 407.
30 D. L. WATSON & R. THARP, Self-directed behavior (Self-modification for personal adjustment), Brooks-Cole Publishing, 1972, 2d ed. 1977, 238 p.
31 M. GOLDFRIED & M. MERBAUM (Eds), Behavior change through self-control, N. Y., Holt, 1973, 438 p.
32 New York, Macmillan, 1953, p. 228.
33 Cf. par exemple l’ouvrage de Michael MAHONEY (Université de l’Etat de Pennsylvanie) et Carl THORESEN (Université Stanford), Self-control : Power to the Person, Monterey, Brooks-Cole, 1974, 368 p.
34 Cf. par exemple G. DAVISON & S. VALINS, Maintenance of self-attributed and drug-attributed behavior change, Journal of Personality and Social Psychology, 1969, 11, p. 116-29 ; A. BANDURA, Self-efficacy : Toward an unifying theory of behavior change, Psychological Review, 1977, 84, p. 191-215.
35 G. MILLER, Psychology as a means of protecting human welfare, American Psychologist, 1969, 24, p. 1071.
36 American Psychologist, 1983, 38, p. 239-41. En collaboration avec Margaret VAUGHAN, SKINNER en a développé le thème dans le livre Enjoy old age, N. Y., Norton, 1983. (Trad. : Bonjour sagesse, Paris, Laffont, 1986, 189 p.).
37 D. BJORK, B.F. Skinner : A life, New-York, Basic Books, 1993, 298 p.
38 La place manque ici pour exposer en détail les diverses stratégies utilisables. Je renvoie le lecteur intéressé à mon ouvrage La gestion de soi, Liège, Mardaga, 1992, 368 p., ainsi qu’à P. KAROLY & F. KANFER (Eds), Self-Management and Behavior Change. From Theory to Practice, N.Y., Pergamon, 1982, 636 p., ou encore à T. BRIGHAM, Self-management for adolescents, N.Y., Guilford, 1989, 161 p.
Auteur
Professeur à l'Université catholique de Louvain et aux Facultés universitaires Saint-Louis, Les métamorphoses de la thérapie comportementale.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Imaginaire et création historique
Philippe Caumières, Sophie Klimis et Laurent Van Eynde (dir.)
2006
Socialisme ou Barbarie aujourd’hui
Analyses et témoignages
Philippe Caumières, Sophie Klimis et Laurent Van Eynde (dir.)
2012
Le droit romain d’hier à aujourd’hui. Collationes et oblationes
Liber amicorum en l’honneur du professeur Gilbert Hanard
Annette Ruelle et Maxime Berlingin (dir.)
2009
Représenter à l’époque contemporaine
Pratiques littéraires, artistiques et philosophiques
Isabelle Ost, Pierre Piret et Laurent Van Eynde (dir.)
2010
Translatio in fabula
Enjeux d'une rencontre entre fictions et traductions
Sophie Klimis, Laurent Van Eynde et Isabelle Ost (dir.)
2010
Castoriadis et la question de la vérité
Philippe Caumières, Sophie Klimis et Laurent Van Eynde (dir.)
2010