De l’iségorie à l’isopraxie
p. 125-146
Texte intégral
1. Le fil d’une réflexion
1A l’occasion du Colloque organisé par les Facultés Universitaires Saint-Louis en hommage de Jacques Dabin, il m’avait été demandé de commenter les conférences de Robert Brisart, Henri Declève et Guillaume de Stexhe. En dépit du caractère à première vue éloigné entre ces trois interventions, j’ai tenté, à travers les questions que je me suis permis d’adresser à chacun des intervenants, de dégager une certaine thématique, que je souhaite prolonger ici vers une réflexion plus personnelle concernant le sens de l’éthique dans le monde contemporain.
2L’usage que je me permets de faire du terme « éthique » est proche de celui des philosophes anciens, en particulier d’Aristote, qui rattachait l’action, non pas à des principes ultimes, comme le fait notamment Kant, mais à l’agent même de l’action et au bien qui lui est propre en tant qu’être humain (et non plus seulement, comme chez Aristote, en tant que citoyen), donc à une disposition ou qualité acquise (ethos) conforme à une finalité, et impliquant l’adaptation de toute action à un contexte déterminé par la mise en jeu des moyens les plus adéquats pour l’accomplir. Cette fin est au demeurant constitutive de la finalité de l’homme, c’est-à-dire du bonheur, en tant que celui-ci serait recherché naturellement par tout être humain raisonnable et responsable. Cependant, cela ne signifie pas, comme on le pense le plus souvent, que le bonheur soit une affaire individuelle, manifestant l’autosuffisance du sujet humain, ni que l’éthique ainsi comprise s’accomplit en dehors de toute normativité. Comme le dit déjà Aristote, « nous qualifions d’autosuffisant, non pas ce qui suffit à un seul homme vivant une vie solitaire, mais aussi à ses parents, ses enfants, sa femme et en général à ses amis et ses concitoyens, puisque l’homme est par nature un être politique » (Eth. Nic., I, 7, 1097b8-11). Or, du fait qu’il y a communauté, il y a aussi nécessité de normes et de pratiques de la justice, d’une justice non seulement légale, que l’on peut exprimer par le concept d’isonomie, mais également éthique et politique qui tient compte des seuils en dessous desquels une société démocratique n’est pas digne de son nom1. C’est cette présence irréductible d’une justice d’ordre éthique que j’appelle isopraxie. C’est pourquoi, ce qui prime dans l’« éthique », c’est bien l’action selon ses modes multiples où règne l’isopraxie comme condition de réalisation du bonheur (eudaimonia). Celui-ci est davantage qu’un fait de vivre ; il est, selon l’expression des Grecs, un bien-vivre (eu zein) et un bien-agir (eu prattein), bref une eupraxie.
3Une telle adaptation grâce à laquelle se réaliserait l’agent lui-même et, avec lui, ceux qui sont en rapport avec lui, ne met pas en œuvre une situation de nature relativiste, subjective ou sociologique, comme le soutiennent certains penseurs allemands, comme G. Bien et, dans une moindre mesure, R. Bubner, qualifiés par Habermas de néo-aristotéliciens, mais suppose bien des règles, voire des normes fondées sur une pratique flexible de la raison (logos). Elle s’oppose aussi, d’autre part, à la position défendue par certains adeptes anglo-saxons de l’aristotélisme qui, souscrivant à une rationalité étroite et univoque, soumettent la légalité de l’action aux données socioculturelles. Cependant ces règles de l’action, en soi universalisables, ne sont pas des principes ultimes, comme le sont, par exemple, les impératifs kantiens ou d’autres principes de cette sorte qui tracent l’horizon rationnel d’une légalité ultime ; elles cherchent, pour sauvegarder la dignité humaine, à intégrer dans l’action une obligation normative et, en même temps, à réguler la contingence. En d’autres termes, elles sont des règles constitutives de l’action même, tout en se réfèrant à une obligation normative présupposée. Bref, sans échapper à la « moralité » abstraite, de telles règles bénéficient néanmoins d’un rapport direct avec une réalité concrète. Il ne faut pas oublier que même s’il est vrai que l’on peut accepter, sans réticence, les maximes et les principes ultimes de l’action, et même réussir à établir un consensus général sur certains d’entre eux2, la véritable difficulté dans l’ordre de l’action réside dans une effectivité qui doit affronter la complexité d’une réalité dominée par la contingence.
4C’est, on le sait, Aristote, le premier, qui proposa une règle de ce type, comme celle de la médiété entre deux positions extrêmes, le manque et l’excès, grâce à laquelle il définit la notion même de vertu. Il comprend cette règle comme une position unique et universelle, comme centre d’une multiplicité de possibles par manque ou par excès. Bien plus, l’univocité de la médiété, par laquelle se manifeste l’essence de la vertu, s’associe en même temps à la perfection comme constitutive d’une extrémité et d’un sommet, d’un lieu limite de l’effectivité (Eth. Nic., II, 6, 1107a6-8). C’est là un point qui a été sous-estimé par Habermas, dans ses critiques de l’aristotélisme, confondant un peu rapidement les aristotéliciens modernes et Aristote, ce dernier n’ayant jamais refusé la recherche d’une normativité3. Mais d’autres règles, aussi rationnelles, sont également applicables, par exemple, comme celle que retient Chaïm Perelman, lorsqu’il soutient que « les êtres d’une même catégorie essentielle doivent être traités de la même façon ». Perelman montre toutefois que face à la complexité de la réalité, cette règle entraîne des antinomies, dans la mesure où des valeurs différentes peuvent se présenter en même temps, comme c’est le cas, par exemple, de la valeur travail et salaire identique relativement à la valeur besoin en fonction du nombre de personnes à charge ou encore par rapport à l’incapacité de travail, etc.)4. Il en va de même des différentes règles de justice défendues par Rawls dont la première présentation affirme que, d’une part, « chaque personne doit avoir un droit égal au système le plus étendu de libertés de base pour tous qui soit compatible avec le même système pour les autres » et, d’autres part, que « les inégalités sociales et économiques doivent être organisées de façon à ce que, à la fois, (a) l’on puisse raisonnablement s’attendre à ce qu’elles soient à l’avantage de chacun et (b) qu’elles soient attachées à des positions et à des fonctions ouvertes à tous »5. Bien que de telles règles puissent se référer à des maximes ultimes, tels les impératifs catégoriques de Kant qui universalisent les principes de l’action, elles sont néanmoins plus proches de la multiplicité propre à l’action et à la réalité quotidienne de l’homme. Comme principes universalisables intermédiaires entre des maximes universelles et la contingence des actions, elles tracent un champ de la rationalité qui assure à l’éthique les exigences de la normativité. L’idée aristotélicienne de médiété, telle qu’elle est associée à la phronèsis, est un bon exemple de ce type d’universalité susceptible de particularisation par l’action en fonction d’une qualité positive et acquise de l’agent selon un contexte déterminé. C’est dire que s’il est clair que, dans l’ordre de la dignité humaine, il est rationnellement requis d’agir comme si la maxime d’une action devait être érigée par la volonté de l’agent en loi universelle de la nature, il est néanmoins aussi clair que cette condition principielle et régulatrice de l’action n’aide pas l’agent à affronter le monde complexe et variable. Elle ne peut être qu’une référence régulatrice et préalable, et nullement quelque prémisse à partir de laquelle pourrait être déduite la conduite concrète dans un contexte déterminé. Si l’agent ne consent pas à appliquer d’autres principes régulateurs maîtrisant plus directement la contingence, il risque, face à la contrainte de la réalité quotidienne et à la complexité de la société, de paraître se référer à des fictions ou à des concepts abstraits, objets d’un discours métaphysique sans portée réelle pour l’action quotidienne de l’homme.
5Pour marquer la différence entre ces deux types d’exigence, je crois utile de maintenir, dans l’ordre méthodologique, la différence entre « éthique » et « morale », ce dernier terme renvoyant, dans mon esprit, aux exigences ultimes de l’action6. Habermas le fait habilement, en sauvegardant également, à côté d’un universel pour ainsi dire abstrait, un universel pragmatique qui implique, par exemple, que « chacun de nous doit pouvoir se mettre à la place de tous ceux qui seraient concernés par la mise en œuvre d’une action problématique ou par l’entrée en vigueur d’une norme litigieuse »7. Ou encore, comme il le dit auparavant d’une façon principielle : il est plus sensé « de distinguer rigoureusement entre moralité et vie éthique, et de juger de la rationalité d’une forme de vie d’après la constitution d’intellections morales orientées par des principes, et qui favorise leur traduction dans la praxis »8.
6En limitant le terme de morale aux principes ultimes, — et ceci à la suite de la tradition kantienne9 —, il me semble possible d’instituer un lieu propre de d’éthique, un lieu qui tienne compte davantage d’une légitimité dans l’ordre de la contingence et de la vulnérabilité de l’agent de l’action. Le concept d’éthique, tel que je le conçois, c’est-à-dire comme opposé à l’empirisme, au psychologisme et à l’historicisme, doit nous permettre de dégager des règles pour la réalisation des actions, dans un contexte déterminé, qui soient compatibles avec certains principes moraux en nombre limité. La différence entre éthique et morale apparaît ainsi essentielle pour un propos qui souhaite s’écarter de la question concernant une discussion uniquement sur l’origine, les limites et les principes ultimes, voire même sur les présuppositions argumentatives. Appartenant le plus souvent davantage à la réflexion métaphysique, ce genre de questions doit en effet, pour se légitimer, s’enraciner dans la complexité de la réalité contingente et discerner ce qui y est vraiment praticable. Face à la difficulté d’établir une normativité pertinente des choses « praticables », alors même que le propre de l’action est d’être en effectivité permanente dans l’existence humaine, il est requis de mettre en œuvre un mode de convenance rationnelle et digne de l’homme, une normativité qui soit la plus proche de lui. Aussi légitime donc que soit la question de l’origine et des principes ultimes pour une analyse philosophique de l’action, l’effectivité de l’action requiert, avant tout, une normativité moins abstraite qui convienne plus immédiatement à la maîtrise de la complexité du réel. C’est à partir de cet écart que je situe le sens des questions que j’ai posées aux trois conférenciers que j’ai eu le plaisir de commenter. Et c’est en fonction de cet écart que j’esquisserai les traits de ce qui devrait constituer une éthique telle que je l’ai formulée ci-dessus. Pour ce faire, je circonscrirai deux cas concrets, parmi d’autres possibles, qui pourraient faire voir comment des règles propres à l’éthique sont susceptibles de réguler ce qui est praticable. Ces deux cas me semblent d’autant plus importants qu’ils concernent deux principes, à mes yeux, préalables à la pratique démocratique : l’égalité dans l’ordre de la parole et l’égalité dans l’ordre de l’action.
2. Constitution originaire et émergence du ton
7Sans reproduire les données exactes du débat qui suivit les conférences de Henri Declève, de Guillaume de Stexhe et de Robert Brisart, je crois utile d’en rappeler les prémisses, telles du moins que je me suis permis de les esquisser.
81. — À Robert Brisart qui consacre la plus grande partie de son exposé à éclairer, d’abord, la phénoménologie husserlienne dans le sillage de l’éthique fichtéenne, puis l’éthique à partir d’un article peu connu de Husserl, paru, en 1924, dans la revue japonaise Kaizo, j’ai demandé en quoi une éthique qui porte son attention sur les dimensions limites de l’origine et du monde (un ordre éthique du monde qui serait l’unique valeur et finalité du monde) n’accorde pas trop à une approche théorétique du monde, perdant de vue l’essentiel, à savoir la vie active dans un monde commun où dominent des puissances technoéconomiques et où se déploient de multiples conditions particulières de l’action10. L’article du Kaizo renforce cet embarras, dans la mesure où il y est question de la constitution, plus précisément, de l’examen du comment les formes de vie déterminées selon les modes axiologiques différents sont fondées par une exigence a priori avec laquelle pourrait se préciser la constitution originaire du phénomène éthique. D’où l’idée qu’« une charge éthique serait elle aussi constitutive de l’expérience », ce qui pourrait être établi par une réduction phénoménologique qui, mettant en suspens toutes les valeurs morales et les préjugés, situe un irréductible dans l’unique phénomène d’une autoévaluation, c’est-à-dire de la capacité essentielle à l’homme de porter un jugement sur sa propre existence et de pouvoir ainsi évaluer les moyens et les fins de son action, condition des jugements de valeur qui déterminent des choix et des formes de vie différents11. Comme le souligne Robert Brisart lui-même, « dans cette optique, ce ne sont plus les différentes formes de vie qui importent à l’analyse phénoménologique, mais bien davantage le fait transcendantal que la vie humaine ne puisse être sans s’attribuer en général de la valeur et que donc procurer une forme à sa vie s’impose comme une exigence absolue »12.
9En fait, l’approche husserlienne anticipe à sa façon les analyses philosophiques actuelles de l’homme (qu’il s’agisse des analyses de Levinas, d’Habermas, de Rawls et d’autres encore13), qui cherchent à situer à l’origine ou au fondement même du sujet humain une primauté de la dimension éthique, et dont l’origine spéculative se trouve probablement dans la mise en question kantienne d’une métaphysique comme science théorétique au profit d’une récupération de la métaphysique par le biais de l’action. A mes yeux, même si on arrivait à prouver l’inverse, à savoir que dans l’ordre des fondements l’éthique suppose une activité non-éthique (comme cela me semble avoir été le cas déjà chez Aristote14, et qui constitue le point de vue défendu, comme nous le verrons, par Guillaume de Stexhe), l’éthique, telle que je l’ai définie ci-dessus, ne perd en rien sa valeur propre, ni sa nécessaire et incontournable présence dans la vie humaine. De sorte que les problèmes de la vie active et des actions particulières doivent constituer un lieu privilégié de réflexion pour l’éthique, voire même un passage obligé pour penser les principes. Car, quelles que soient les principes de l’action et l’idée qu’on se fait de la constitution originaire de l’activité humaine, c’est la réalité contingente dans sa complexité qui est seule à pouvoir éprouver la valeur de ces références ultimes, c’est-à-dire à pouvoir montrer en quoi il y a ou non conformité possible entre les règles effectives et les principes.
102. — Cette observation me permet de faire la transition avec l’étude de Henri Declève qui se tient, pour ainsi dire, à l’autre extrême, c’est-à-dire dans l’ordre des actions concrètes et la vie quotidienne15, en montrant à travers Spinoza, Kant, Fichte et Derrida, ainsi qu’à travers des références à la musique, l’importance du ton dans l’articulation du langage éthique. Le ton philosophique peut transgresser l’enchaînement syllogistique d’exposition, au profit des variations qui en montrent les profils phénoménaux. Cela n’empêche pas Declève lui-même, au lieu de poursuivre dans le champ très vaste de l’action qu’il trace, de s’accrocher à la question des limites. En partant en effet de l’analyse de Derrida qui lie la question du ton à celle d’un bien, c’est-à-dire à ce qui dans l’homme peut intégrer la plus haute finitude, à savoir la mort, il fait voir, grâce à l’idée derridéenne d’« une vibration différentielle pure sans soutien, insoutenable » qui suppose comme première vibration du ton le sujet, la personne, le sexe, le désir ou quelque chose de cette sorte, un jeu différentiel de variation d’une Stimmung et d’une Verstimmung. Or, l’exposé de Declève, comme nous le verrons dans la suite, me semble ouvrir à un horizon plus étendu et plus riche qu’il semble l’indiquer. Il soulève, d’abord, la question du statut d’un tel discours, et notamment de ses rapports avec la rhétorique. Bien plus, il renvoie, à travers cette problématique, aux rapports entre éthique et rhétorique, voire entre éthique et langage qui se trouvaient, chez philosophes grecs, au centre de leurs réflexions philosophiques de la société. Par là nous revenons une fois de plus à la question de la vie active et aux actions particulières, enrichie cette fois-ci par une dimension nouvelle, celle de la manière dont cette vie et ces actions peuvent contribuer à l’action démocratique.
113. —Cette question de l’action démocratique est davantage abordée par le troisième exposé, celui de Guillaume de Stexhe, qui couvre un champ fort vaste de l’action, articulé autour de trois dimensions constitutives de l’expérience humaine dans l’ordre éthique, considérées ici comme des « existentiaux » : l’habitat, la crise et la cité. « L’appartenance, dit de Stexhe, à un monde signifiant — c’est l’idée d’habitat ; l’exposition à une responsabilité de soi qui fait de propre et essentiellement problématique — c’est l’idée de crise ; l’institution des formes l’existence une destinée collectives de partage de ce monde et de cette responsabilité — c’est l’idée de cité »16. Le caractère à première vue concret des concepts utilisés ne doit pas oblitérer le fait que dans cette étude, aussi, ce sont surtout les conditions originaires et fondatrices de l’action qui sont mises en valeur, même si c’est pour dégager un constitutif de l’expérience agissante préalable à ce qui peut être appréhendé comme « éthiquement signifiant au sens plein du terme ». C’est lorsque ce qui s’affirme comme condition transcendantale et donc nécessaire apparaît comme condition de possibilités positives ou bonnes qu’une dimension éthique interviendrait. À telle enseigne que, s’inspirant de la pensée ancienne, l’auteur rappelle que cette qualité le langage antique l’aurait appelé « vertu », c’est-à-dire excellence ou accomplissement, et que le langage contemporain le nommerait « valeur »17. Il est peut-être utile d’observer ici, pour la clarté de mon exposé dans la suite, que ce glissement entre le non-éthique vers l’éthique serait aux yeux d’un philosophe ancien un peu rapide, dans la mesure où même une activité non-éthique peut manifester une qualité positive ou bonne dans l’ordre de la finalité : par exemple, si mes yeux voient bien plutôt que mal, c’est qu’ils possèdent une vertu qui leur est propre, tout comme une maison qui accomplit bien sa finalité en tant qu’abri au lieu de laisser le vent ou la pluie pénétrer à l’intérieur. Tout en confirmant, comme le souhaite de Stexhe, que le lieu de l’éthique n’est pas nécessairement (ou en tout) originaire, ces exemples montrent néanmoins que l’ordre de la vie active et des activités et actions particulières est plus complexe qu’il n’apparaît à première vue. La recherche des fondements me semble certes essentielle au point de vue métaphysique, et, en l’occurrence, pareille perspective suppose comme principe (comme le soutiennent déjà Aristote et, plus tard, Bruno et d’autres) qu’être est meilleur que ne pas être. Néanmoins, cette recherche est moins centrale lorsqu’il s’agit d’envisager l’action dans sa réalité propre et multiple, là où elle côtoie la profusion des phénomènes naturels ou des produits de la technique, la profusion aussi des activités et des actions. C’est pourquoi la façon dont de Stexhe fait intervenir les éléments propres aux trois polarités en question, comme la « poésie » (liée à l’économie et la jouissance, l’utilité et la plaisir), la « dignité » pour la crise, la « justice » pour la cité, me semble réduire cette richesse, même si je reconnaîtrais volontiers qu’elle touche à des questions essentielles. Je pense que les problèmes essentiels du monde contemporain sont tributaires de puissances et de facteurs nouveaux, désormais pressants et incontournables, qui appartiennent principalement à l’ordre technique et économique, ordre qui nous cerne de toutes parts et qui se manifeste selon une profusion de phénomènes de moins en moins maîtrisables. Face à cette double puissance de la technique et de l’économie, une recherche, comme celle de de Stexhe, qui souhaite ébranler « la réduction de l’éthique à l’espace de la subjectivité abstraite et de la norme », ne saurait se limiter à la mise en valeur d’une dimension du sens qui est immanente à la fois à l’être-au-monde de la subjectivité et à ses gestes d’institution de ce monde en une cité18 ; elle doit surtout réfléchir le sens même d’une action, quelle qu’elle soit, à une époque déterminée comme la nôtre, où ces puissances, non seulement se manifestent comme réalité par ce qu’elles réalisent, mais dominent nos activités quotidiennes à tous les niveaux de notre existence et, en même temps, modifient sensiblement la nature qui nous entoure et notre propre « réalité » humaine. Comme je l’ai écrit ailleurs19, « ces questions révèlent d’emblée une antinomie radicale concernant le sens même de la pratique démocratique : comment est-il désormais possible de légitimer la responsabilité des citoyens, non seulement dans le choix de leurs représentants, mais plus radicalement dans leurs choix quotidiens et permanents, à l’intérieur d’un monde qui, tout en aspirant à plus de liberté et de justice, se laisse néanmoins dominer par des puissances (l’économie et la technique) qui le transcendent et qui sont plus concrètes encore que ne l’étaient dans le passé le pouvoir invisible de Dieu ou des dieux, des démons ou des anges et autres puissances infernales — lequel avait jadis asservi l’homme et servi à lui refuser la possibilité même d’une action démocratique au profit d’une hiérarchie institutionnelle axée sur une vie post-mortelle ? Autrement dit, comment la démocratie contemporaine peut déjouer de nouvelles formes de servitude, produites par de nouveaux pouvoirs agissant selon de nouvelles modalités invisibles, plus redoutables peut-être que celles du passé parce que plus tangibles et plus immédiates ? ». Pour répondre à cette question, j’avais indiqué qu’il est insuffisant désormais de recourir seulement aux principes fondamentaux de la démocratie introduits par les Grecs, comme l’isonomie et l’iségorie, que je considère pourtant comme ses conditions incontournables20, voire comme des facteurs essentiels pour maîtriser un certain nombres d’abus et des structures idéologiques anti-humaines ; il convient aussi de découvrir d’autres éléments régulateurs pour la démocratie qui soient capables de maîtriser ces puissances nouvelles, peu importantes dans le passé, du moins jusqu’à l’époque moderne.
12Sans revenir ici aux détails de ce travail antérieur, je rappelle simplement que ces nouveaux principes devraient tenir compte au moins des aspirations légitimes des citoyens, du principe d’équité et de l’autonomie du politique. D’une part, les aspirations des citoyens ne sont pas nécessairement en accord avec les exigences imposées par les conditions techniques et économiques de nos sociétés contemporaines qui cherchent surtout la rentabilité ; elles peuvent s’y opposer, et même souhaiter maîtriser ces puissances. D’autre part, le principe d’équité se tient au cœur des exigences pratiques d’une démocratie, car il suppose que les activités et les actions se réfèrent à un horizon ultime d’égalité qui cherche à maîtriser les inégalités produites par les puissances de la technique et de l’économie21. L’obstacle majeur à la promotion de l’équité réside dans la structure encore hiérarchique des sociétés contemporaines, qui persistent à hiérarchiser les comportements, en accordant une supériorité naturelle aux fonctions et aux savoirs. Tout se passe comme si le citoyen lui-même agissait de façon à accorder le pouvoir à celui qui possède la fonction : avoir un poste, quelle que soit la façon légitime ou illégitime dont celui-ci a été acquis, confère un réel pouvoir, avec toutes les conséquences que cela entraîne pour le statut même de la liberté et de l’équité démocratique22. Enfin, l’autonomie du politique, à condition qu’elle soit contôlable et contrôlée, constitue, peut-être, une solution pour rendre possible, en pratique, au moyen d’une tentative décisive de maîtriser les puissances techniques et économiques, la réalisation de l’équité et des aspirations humaines. Une mise en valeur du principe d’équité suppose que le pouvoir démocratique possède en plus des moyens économiques pour l’appliquer, la volonté politique et une efficacité authentique, ce qui n’est possible que s’il acquiert suffisamment d’autonomie. C’est le cadre général qui rend possible la réalisation du principe d’équité qui définit l’espace dans lequel se déploie l’isopraxie. Il n’empêche que face aux pouvoirs nouveaux qui définissent l’enjeu de la démocratie contemporaine la question de la normativité est elle-même modifiée, et requiert, pour être fondée, une appréhension plus exacte du rapport de l’homme au monde technico-physique tel qu’il s’est édifié à notre époque. D’où la nécessité, à mes yeux, de soumettre la question de l’obligation normative liée aux principes ultimes à la question d’une éthique adaptée à cette nouvelle forme de réalité. Pour faire voir le sens de pareille assertion, il convient d’abord de discerner le sens de la parole technocratique au moment où l’iségorie est acceptée comme une donnée de la démocratie même.
3. Intercompréhension et équité
13Il est incontestable que jamais dans le passé la défense de la liberté et la promotion de la démocratie n’a été aussi active qu’aujourd’hui. Depuis l’Antiquité grecque, où se sont manifestés les premiers balbutiements démocratiques, c’est la première fois que la démocratie n’est plus contestée en Europe et qu’elle devient un modèle politique pour les autres nations. Cette attitude nouvelle de l’homme, qui de plus en plus se comprend lui-même comme citoyen d’une Cité ou d’un État, met en jeu un comportement éthique nouveau, qu’il est encore difficile d’en cerner le sens véritable et d’en évaluer la portée. C’est dans le cadre de la naissance de cette nouvelle mentalité que la notion d’iségorie a pris tout son sens : c’est l’égalité de parole dans un contexte où règne l’isonomie qui permit la promotion de nouvelles valeurs en faveur de la dignité humaine. Pour mieux comprendre l’enjeu éthique de cette nouveauté, il n’est pas inutile de se souvenir ici ce qu’écrivait Pierre Clastres de la parole du chef dans le monde archaïque, en particulier chez les Indiens d’Amérique.
14En effet, dans les sociétés sans État, la parole n’était pas un droit du pouvoir mais plutôt un devoir du pouvoir. Sachant que la violence est l’essence du pouvoir, la société archaïque mettait à l’écart l’un de l’autre le pouvoir et l’institution, le commandement et le chef. C’est le champ de la parole qui traçait la ligne de partage, en contraignant le chef à se mouvoir uniquement sur le plan de la parole, c’est-à-dire dans l’extrême opposé de la violence ; il doit être le maître des mots, non pas cependant dans l’ordre d’une rhétorique qui, — comme l’ont montré les penseurs grecs à l’époque où naissent les institutions démocratiques —, n’est qu’une forme de pouvoir, celle qui cherche à imposer un pouvoir sur l’autre, mais dans l’ordre du politique. Comme le souligne Clastres, « le devoir de parole du chef, ce flux constant de parole vide qu’il doit à la tribu, c’est sa dette infinie, la garantie qui interdit à l’homme de parole de devenir homme de pouvoir »23. Sans analyser en cet endroit le statut de la parole dans la pensée archaïque grecque, il n’est pas sans intérêt de rappeler que chez Homère, c’est la parole du chef, mais en tant qu’elle reflète une décision du Conseil composé de différents chefs (boulè), qui circonscrit la parole prononcée devant l’agora, en laquelle se rassemblent les guerriers. C’est sans doute cette inégalité porteuse de germes d’une identification de la parole et du pouvoir que le principe d’iségorie est parvenu à mettre en question, en accordant à chacun, une fois considéré comme citoyen responsable (donc libre), non seulement le droit à la parole, mais aussi le devoir de faire usage de la parole. Comme dans le cas du chef dans la société archaïque, ici aussi, il s’agissait de mettre à l’écart l’un de l’autre le pouvoir et la parole. Mais en pratique, on le sait, cette différenciation a été aussitôt compromise par la promotion du pouvoir de la parole défendu aussi bien par les rhéteurs que par les sophistes.
15Or, on le sait aussi, la réaction socrato-platonicienne à cette confusion a permis d’écarter à nouveau l’un de l’autre la parole et le pouvoir. Toutefois, cette clarification s’est accomplie par une concession majeure : la parole doit être celle du savoir, et ce savoir doit constituer la condition même de l’action, le lieu où l’éthique peut se déployer. Bien plus, là où le savoir paraît jouer un rôle moins décisif, comme par exemple dans l’ordre de ce qui généralement est dit ou raconté, c’est la façon de dire ce qui doit être dit qui devient crucial, car cela concerne directement l’éducation même dans la cité. C’est pourquoi il n’est pas question, pour Platon, d’accepter, dans la cité-modèle, le poète qui se métamorphoserait et imiterait n’importe quoi, mais seulement celui qui imite le langage de l’honnête homme, et qui dit ce qu’il dit selon des modèles prescrits pour l’éducation des gardiens (Rép. 398ab), qui donne autant d’importance à la forme qu’au contenu, à la façon de dire ce qui est dit, à la voix qui énonce et qui s’impose sur l’autre. Cela signifie que l’autonomie de l’action passe, en l’occurrence, par la médiation de l’éducation fondée sur un type précis d’imitation, qui associe en lui un type particulier de récit, et qui se manifeste, pour reprendre ici l’expression de Declève, selon un ton particulier24. En d’autres termes, l’analyse de Declève trouve son origine, non pas à l’époque moderne, comme semblent l’indiquer ses références, mais bien dans l’Antiquité. Chez Platon déjà, c’est à propos de la « musique » au sens large du terme que cette question s’impose, bien que ce ne soit pas l’articulation propre à la musique qui est prise comme modèle de l’éthique. En revanche, il semble qu’il convienne d’aller plus loin dans le sens retenu par Declève et lier d’une façon plus décisive la manière de dire avec l’éthique, sans cependant succomber, comme cela s’est passé à la Renaissance, à une primauté de la rhétorique. L’analyse peut donc être prolongée et complétée par la question de la manière de dire, grâce à laquelle se laisse maîtriser une contingence immaîtrisable en elle-même. D’où la recherche, dans le cas du moins de Platon, d’un type de savoir qui puisse rendre plus crédible la parole.
16La parole technocratique aujourd’hui rentre sans doute dans le cadre historique du platonisme, ne serait-ce que parce qu’elle s’appuie sur le savoir. Mais en excluant délibérement l’éthique au profit d’une conjonction subtile entre savoir et pouvoir, sous prétexte que seul le savoir peut résoudre les problèmes de l’homme, cette parole est confrontée à des antinomies chaque fois qu’elle met en jeu les facteurs humains. Il est à peine utile d’insister sur le fait que la démocratie contemporaine, confrontée à la double puissance de la technique et de l’économie, risque fort bien, si elle ne prend pas au sérieux ces antinomies, de s’inscrire dans l’ordre du pouvoir technocratique et de confondre sa parole avec le pouvoir réel. C’est pourquoi il n’est pas exagéré de dire que la parole technocratique, en tant qu’elle est liée au savoir et en tant qu’elle est en même temps l’expression des puissances techniques et économiques qui nous transcendent, ne peut se libérer de ces puissances et donc aussi se séparer d’une volonté de puissance que si elle consent d’assumer son statut véritable de « conseil » dans l’ordre des délibérations démocratiques préalables à toute décision. Cela n’est possible que si on envisage la question de la techno-économie comme étant, en soi, une question non éthique, une question qui régit son domaine propre de délibération et de conseil, sans confusion avec une délibération d’ordre éthique se référant à une normativité d’ordre moral et cherchant à réaliser le bien commun. C’est, autrement dit, en se soumettant à un pouvoir politique autonome que la parole et l’action technocratiques peuvent s’accorder avec la pratique démocratique. En fin de compte, ce point de vue converge davantage avec le schéma de l’action proposé par Aristote qui sépare l’action éthique de la technè, accordant à cette dernière seulement le privilège du savoir technique proprement dit, et conférant au contraire à l’éthique seule le privilège de la normativité et du choix éthique.
17En effet, refusant l’identification de la vertu et du savoir (scientifique, technique et même d’une opinion vraie), Aristote conçoit la vertu éthique comme médiété et la soumet à l’action de la phronèsis (fondée sur la réalisation rationnelle de la médiété dans un contexte déterminé), par laquelle s’accomplit la « vérité » pratique25. Par là il garde la parole à l’écart du pouvoir, puisque toute décision suppose préalablement une délibération qui s’oppose d’emblée à toute opinion fixée d’avance. Autrement dit, considérant au livre III, 2 de l’Ethique à Nicomaque, que l’opinion implique un jugement et donc déjà une décision, la délibération doit se mouvoir en dehors de l’opinion arrêtée (1111b30-1112a5), elle doit, dira-ton aujourd’hui, agir dans un cadre où les opinions sont provisoirement mises entre parenthèses26. Cela explique pourquoi, même dans le cadre de la rhétorique, Aristote est fort sensible à la soumission de la rhétorique à l’éthique, sachant qu’une rhétorique autonome risquait de défendre l’immoralité. C’est pourquoi le plus remarquable dans sa position philosophique est cet sorte d’approfondissement qu’il accomplit de l’iségorie, en quelque sorte à l’encontre de la rhétorique, lorsqu’il rapproche le jugement de bon sens (gnômè) de l’homme équitable (epieikès).
18En effet, au livre VI, 11, de l’Ethique à Nicomaque, il définit comme suit la gnômè : « Ce qu’on appelle jugement de bon sens, qualité d’après laquelle nous disons des gens qu’ils ont un jugement compréhensif (suggnômè) ou qu’ils ont du jugement, est le discernement (krisis) correct de ce qui est équitable. Ce qui le montre, c’est le fait que nous considérons surtout l’homme équitable comme étant celui qui porte un jugement compréhensif (suggnômonikon), et que l’équitable consiste à avoir pour certaines choses un jugement compréhensif. Quant au jugement compréhensif, il consiste en un jugement de bon sens, capable de discerner correctement ce qui est équitable ; et juger correctement, c’est porter un jugement concernant le vrai » (1143a19-24).
19Le texte est étonnant. La difficulté de traduire les différents concepts requiert néanmoins de nous quelques éclaircissements. Suggnômè, que j’ai traduit par « jugement compréhensif », renvoie aussi à l’idée de « pardon ». C’est pourquoi le sens exact du terme, c’est être compréhensif à l’égard de ce que l’autre dit ou fait, c’est porter sur lui un jugement qui minimise la faute. C’est, autrement dit, consentir à aller au-delà de ce que l’iségorie formelle permet, à savoir l’égalité absolue de traitement. Car il y a des moments où cette égalité formelle, aussi légitime soit-elle dans l’ordre de la constitution originaire de la parole démocratique, peut devenir un obstacle, nous refermer sur notre opinion, sans concession possible, rendant impossible, non seulement une communication ou une délibération, mais aussi, paradoxalement, cela même que l’iségorie pose comme une nécessité : le même droit à la parole. Ce qu’Aristote cherche ici, c’est de rompre le cercle et de nous mettre face à la réalité quotidienne, dans ce lieu où la profusion des paroles multiplie les obstacles à la communication27. Il requiert de chacun de nous des jugements de bon sens, donc aussi une forme d’indulgence et de compréhension. Porter un jugement qui minimise la faute de l’autre, qui pardonne en quelque sorte la défaillance, c’est prendre en compte la vulnérabilité de l’autre et rendre aussitôt possible la communication. C’est aussi ouvrir à un monde commun où la qualité éthique devient un lieu de partage. À ce titre, l’iségorie stricte est seulement formelle et ne fait que légitimer la parole démocratique. Pour qu’elle soit fonctionnelle dans un monde commun où règne la différence, où l’individu requiert plus qu’une reconnaissance de son statut d’égal, c’est-à-dire une solidarité face à sa vulnérabilité, cette parole doit être redressée. Cela n’est possible que si le jugement est un jugement de bon sens, un jugement compréhensif qui revendique moins que ce qu’il a droit de dévoiler. C’est, nous le verrons, dans une structure analogue que se déploie la notion d’équité (epieikeia) qui est au centre du jugement compréhensif.
20Mais avant de venir à la notion d’équité, il convient d’insister sur cet élément de distorsion qui s’inscrit dans l’iségorie. Cette distorsion révèle que l’iségorie est, dans sa structure même, de l’ordre du formel. L’égalité constitue une norme irréductible sans laquelle la démocratie perd son essence même. Mais comme la vie démocratique met des hommes face à face et les soumet à la puissance d’une réalité contingente complexe, l’égalité de parole requiert aussitôt un redressement de toute défaillance, non pas nécessairement par le blâme ou le châtiment, mais par la compréhension. Sans un tel redressement, l’égalité risque paradoxalement d’alimenter l’incommunicabilité et les malentendus. Le jugement qui minimise la faute, qui évite d’amplifier ce qui est défaillant dans la parole de l’autre, est un jugement qui a la capacité de discerner en l’autre son humanité, voire sa vulnérabilité en tant qu’être humain. Un tel jugement qui rend possible la communication, est davantage de l’ordre du ton que de la forme proprement dit. Il montre que la forme elle-même, la manière de dire, met en jeu des règles où la dignité humaine redresse la froideur des droits, et fait voir qu’une justice formelle est insuffisante à régler la communication. Ainsi, l’éthique trouve bien un lieu de déploiement en-deçà des principes, un lieu où l’agent cherche à maîtriser les malentendus pour ouvrir à la parole communicationnelle.
21Le jugement compréhensif, indépendamment de ses différentes formes de manifestation selon le contexte, doit être compris comme un jugement universellement applicable, sans quoi une ouverture communicationnelle universelle semble d’entrée de jeu impossible.
22Mais cette situation de redressement d’une règle universelle pour l’adapter à la réalité atteste d’autres formes possibles. C’est le cas de la médiété elle-même qui peut, dans l’ordre de la forme même, ébranler l’univocité. S’il est vrai, par exemple, que l’amabilité est de règle dans les débats d’une assemblée, et qu’elle tient une position moyenne entre la flatterie (manque) et la colère (excès), il n’est pas moins vrai que si le débat conduit à des prises de positions injustes, l’amabilité risque de devenir une sorte de dissimulation ou un jeu rhétorique. Dans de telles situations, c’est bien une colère légitime, même si celle-ci peut être interprétée comme agressivité ou excès, qui exprime la médiété véritable, car elle redresse alors la situation par référence à ce qui est équitable. C’est dire que la question du ton dans l’éthique n’est pas négligeable, et c’est évident qu’une règle formelle comme celle de la médiété, une fois libérée de l’idée qu’elle devrait traduire une position mathématique et définitivement réglée, peut l’exprimer admirablement. L’universalité donc propre à l’éthique peut être une universalité pragmatique qui tient compte du réel dans sa complexité. C’est dans ce cadre des excès successifs que l’on peut décéler, toujours chez Aristote, une spécification des notions de bienveillance et d’amitié, voir la notion d’amour28. C’est pourquoi ce type d’éthique est différente d’une éthique de la discussion, comme tente de fonder Habermas, car elle ne cherche pas à établir les contenus d’une morale universelle, mais tente plutôt, par des redressements successifs qui assurent en quelque sorte la « vérité » même de l’action, d’accorder les normes propres à l’égalité avec la complexité de la réalité. On peut qualifier ce type de démarche d’éthique du redressement de la norme.
23C’est dire que l’éthique de la discussion est plus ambitieuse, puisqu’elle cherche « à acquérir les contenus d’une morale universelle à partir des présuppositions générales de l’argumentation », ce qui requiert « une forme de communication plus exigente, et dépassant les formes concrètes de la vie, une forme de communication dans laquelle les présuppositions de l’agir orienté vers l’intercompréhension sont généralisées, abstraites et décloisonnées, c’est-à-dire qu’elles sont étendues à une communauté de communication idéale comprenant tous les sujets capables de parler et d’agir »29. Cela ne m’empêche pas de citer ici un autre passage d’Habermas, qui se rapproche davantage du projet que j'esquisse ici : « parce que les morales sont taillées à la mesure de la vulnérabilité d’êtres vivants individués par socialisation, elles doivent toujours résoudre deux tâches en une seule : elles font valoir l’inviolabilité des individus en exigeant l’égal respect de la dignité de tout un chacun ; mais elle protègent dans la même mesure les rapports intersubjectifs de reconnaissance réciproque par lesquels les individus se maintiennent comme membres d’une communauté. A ces deux principes complémentaires correspondent les principes de justice et de solidarité. Alors que l’un postule l’égal respect et l’égalité des droits pour chaque individu, l’autre exige empathie et assistance pour le bien-être du prochain. La justice au sens moderne se rapporte à la liberté subjective d’individus insubstituables ; en revanche, la solidarité se rapporte au bien de consorts, reliés au sein d’un monde de la vie intersubjectivement partagé. Frankena30 parle du principle of justice, le principe de l’égalité de traitement, et du principle of benevolence qui nous ordonne de favoriser le bien commun, d’éviter de commettre des torts, et de faire le bien. Cependant, — observe Habermas —, l’éthique de la discussion explique pourquoi les deux principes se rapportent à une seule et même source de la morale — précisément à la vulnérabilité, nécessitant compensation, d’êtres vivants qui ne peuvent s’individuer que par la socialisation, de sorte que la morale ne peut pas protéger l’un sans l’autre : les droits de l’individu sans le bien de la communauté à laquelle il appartient »31.
24Traitement égal, égal respect et égalité des droits se rapprochent en fait de ce que j’ai rassemblé sous les termes d’isonomie, d’iségorie et d’isopraxie, ce dernier, nous le verrons, impliquant surtout l’action. Habermas résume cela dans le concept de « justice », ce qui, de mon point de vue, est trop réstrictif. En revanche, l’empathie et assistance pour le bien-être du prochain concernent davantage tout ce que je rapporte au « redressement » de la norme. Habermas parle de « solidarité », voire même de « compensation », comme d’autres parlent, à propos de la l’équité, de « correctif » de la loi32. Il me semble que le terme de « redressement » représente mieux la référence normative, alors que les concepts de « compensation » et, plus encore, celui de « correction », renvoient à une attitude purement pragmatique. Certes, le redressement de la norme met en jeu, grâce au principe de solidarité, une compensation. Mais je pense que la variété des problématiques auxquelles le concept de « redressement » ouvre montre qu’il implique plus ou autre chose qu’une compensation, et qu’il concerne essentiellement une profusion plus positive et plus féconde, profusion qu’elle régule relativement à la norme. C’est pourquoi j’achèverai mon exposé par une analyse de l’équité qui se tient à proximité de ce qui est recherché dans le concept de solidarité.
25L’origine de cette notion est, on le sait, d’ordre juridique, dans la mesure où, selon Aristote, une règle, en tant qu’universelle, ne couvre pas toujours adéquatement tous les cas particuliers. C’est au juge que revient le rôle de redresser cette règle en fonction d’un horizon d’égalité, pour lui assurer sa « vérité »33. L’équitable traduit ce redressement (epanorthôma) du juste légal ou formel (1137bl2-13). Bien qu’il soit lié au juste et qu’il appartienne au même genre que le juste, l’équitable est d’une certaine façon supérieur au juste. C’est pourquoi l’homme équitable est celui « qui peut choisir et à accomplir des actions équitables et ne s’en tient pas rigoureusement à ses droits dans le sens du pire, mais qui a tendance à prendre moins que son dû, bien qu’il ait la loi de son côté » (1137b35-l 138a2).
26Une fois encore le texte est étonnant et montre une sorte de transgression de la justice formelle. En minimisant ses exigences, en étant elattôtikos, bien qu’il ait tous les droits en vertu de la règle ou de la loi, l’homme équitable possède une disposition acquise (une hexis) qui permet d’ouvrir à la vie commune. Cela montre que l’isopraxie véritable n’implique pas une distribution formelle de l’action, une égalité stricte, mais met en jeu un redressement de cette égalité en fonction du bien de l’autre et du bien commun. La solidarité prime ainsi sur la justice, même si celle-ci en constitue la norme de référence. Ce lieu du sacrifice au profit du bien commun n’a de sens que parce que, chez Aristote, le bonheur individuel est tributaire du bonheur des autres, et nullement du fait que l’action est régie par quelque impératif catégorique. À ce titre, il situe pleinement l’action dans l’ordre éthique, sans référence à des maximes ultimes qui sont certes présupposées, mais dont il ne discerne pas la valeur véritable. Cette ouverture qui, tout en reconnaissant une priorité à la question de la justice dans l’ordre de la parole et de l’action, ne serait-ce parce qu’il s’agit, pour une démocratie, de promouvoir l’isonomie, l’iségorie et l’isopraxie, ne met pas moins l’éthique devant ses responsabilités véritables, en lui révélant que les aspirations humaines, même lorsqu’elles se réfèrent à la justice, visent, en fin de compte, à réaliser le bonheur.
27Or, précisément, ces aspirations qui rencontrent aujourd’hui encore de multiples obstacles à leur réalisation, et dont les plus importants sont dus aux puissances de la technique et de l’économie qui nous transcendent, nous obligent de reconnaître que la défense de la prééminence du juste, qu’il soit compris dans un sens déontologique, comme le fait Habermas, ou autrement, ne peut être qu’une condition de l’éthique, mais nullement son fond propre et encore moins sa finalité véritable. D’autant plus que la justice, comme l’a déjà montré Aristote, peut également concerner l’ethos, et donc l’éthique proprement dite, lorsqu’il est question, par exemple, de justice particulière, définie comme un juste milieu, une médiété entre un excès (prendre plus que sa part) ou un manque (éviter ses responsabilités)34. Soumettre dès lors la question du bonheur des hommes à la question de la justice dans le but de le réaliser, est certes une nécessité dans l’ordre de la réalisation, mais nullement dans l’ordre des valeurs, ne serait-ce que la réalisation de la justice requiert l’action même d’un agent35. D’où la difficulté d’un comportement éthique dans un monde dominé par l’économie et la technique.
28En effet, l’éthos humain s’est désormais tellement associé à l’hexis ou habitus technique que celui-ci devient de plus en plus une seconde nature de l’homme contemporain. La technique ne produit pas seulement des objets qui concernent nos besoins, mais constitue en elle-même une puissance qui manifeste d’autres aspects. Sans même nous référer à la complexité de la puissance invisible impliquée par la technique, ni à la complexité des enchaînements qui séparent l’extraction des matières premières jusqu’à leur commercialisation36, les produits techniques eux-mêmes sont le lieu d’une profusion quasi-infinie et variée d’activités. Parmi celles-ci, un grand nombre ouvre à l’imaginaire et à l’ordre mytho-poiétique ou, plus exactement, technico-poétique. De ce fait, le rapport de l’homme au monde techno-physique se modifie radicalement, complexifiant en même temps la question de l’éthique et de l’isopraxie (par laquelle la démocratie contemporaine marque sa différence par rapport à la démocratie antique), amplifiant la nécessité d’une pratique de l’équité. La tâche immense que doit supporter dorénavant l’homme contemporain se précise : à défaut (espérons-le provisoirement) de pouvoir réaliser les aspirations légitimes des hommes, elle doit porter son attention sur l’équité. Non seulement sur cette équité originelle, fondatrice d’une philosophie de l’action, comme le suppose Rawls, mais sur une équité comme « redressement » de la justice formelle et, plus généralement, des normes.
29En guise de conclusion de cette esquisse d’une éthique du redressement de la norme, je dirai que l’intérêt des notions aristotéliciennes du « jugement compréhensif » et d’« équité » tient dans le fait qu’elles révèlent qu’il est possible, voire nécessaire, d’accepter, dans l’ordre de l’éthique, les exigences des aspirations humaines et la multiplicité des actions des hommes en se référant à des règles et des normes qui ne se détachent pas de la réalité en tant qu’elles seraient des conditions originaires ou ultimes de l’action, mais s’y attache au contraire en les redressant en fonction d’un horizon de référence — comme c’est le cas de l’égalité — et de la complexité de la réalité. En ce sens, une recherche qui met provisoirement entre parenthèses la normativité ultime au profit d’une normativité redressée en fonction de la complexité de la réalité contingente, me semble pouvoir assurer à l’éthique des assises suffisantes pour évaluer les conditions éthiques de l’action face aux puissances de la technique et de l’économie. D’autant plus qu’une éthique de cette sorte peut contribuer à une clarification des principes moraux propres à l’époque de la technico-économie. Autrement dit, une éthique du redressement de la norme qui met en valeur l’espace intermédiaire entre normativité principielle et profusion n’est pas étrangère aux exigences du monde contemporain.
Notes de bas de page
1 Ces seuils sont, par exemple, la pauvreté, le chomage, le travail servile, etc. Voir à ce propos mon étude « La modernité face à la notion aristotélicienne d’équité », On Justice, éd. C. Voudouris, Athènes, 1989.
2 Encore que le débat actuel autour de la post-modernité révèle des difficultés d’un consensus même à ce niveau, puisque, pour J.-F. LYOTARD par exemple, même le caractère émancipateur de la démocratie aurait été réfuté par les événements de mai 68 et la rationalité du réel par Aushwitz (« Histoire universelle et différence culturelles », Critique, 456,1985, p. 563). Voir aussi E. DELRUELLE, Le consensus impossible. Le différend entre éthique et politique chez H. Arendt et J. Habermas, Ousia, Bruxelles, 1993. Il me semble que l’« éthique de la discussion » d’Habermas, à laquelle je ferai allusion dans la suite, cerne bien l’enjeu, puisque son rôle est de décider de ces principes à la suite d’une procédure argumentative. Comme l’indique Habermas, « quiconque entreprend sérieusement la tentative de participer à une argumentation s’engage implicitement dans des présuppositions pragmatiques universelles qui ont un contenu moral ; le principe moral se laisse déduire à partir du contenu de ces présuppositions d’argumentation, pour peu que l’on sache ce que cela veut dire de justifier une norme d’action » (Erläuterungen zur Diskursethik, Suhrkamp, 1991, tr. fr. par M. Hunyadi, Ed. du Cerf, 1992 sous le titre : De l’éthique de la discussion, p. 18)
3 Même si celle-ci n’est pas telle qu’elle se présente dans De l’éthique de la discussion que je viens de citer à la note précédente, où la référence kantienne est évidente.
4 Cf. Ch. PERELMAN, Justice et Raison, Bruxelles, 1963, p. 9-50. Voir à ce propos mon étude « La modernité face à la notion aristotélicienne d’équité », op. cit.
5 J. RAWLS, A Theory of Justice, Harvard Univ. Press, 1971, tr. fr. C. Audard, Ed. du Seuil, 1987, p. 91.
6 Je dis bien dans l’ordre méthodologique, car au point de vue de l’action proprement dite, ce que recouvrent chacune de ces « disciplines » se retrouve simultanément et indissociablement articulé.
7 J. HABERMAS, op. cit., p. 139-140.
8 ID. ibid., p. 42.
9 Au point de vue conceptuel, l’origine d’une distinction entre éthique et morale n’est pas moderne, mais se trouve déjà chez des philosophes anciens, comme Carnéade ou Cicéron. Voir à ce propos J. CROISSANT, Etudes de philosophie ancienne, Bruxelles, Ousia, 1984, p. 230-275 et 283-296, qui analyse un passage du De Finibus bonorum et malorum, II, 45-47, qui permet de situer la statut de la « moralité » :« par moralité (honestum), nous entendons une chose telle que, abstraction faite de toute considération d’utilité, indépendamment de toute récompense ou de profit, on puisse en droit dire qu’elle a un mérite propre ». Cette chose fait comprendre « le sentiment universel, ainsi que les intentions et la conduite des hommes les meilleurs, qui accomplissent un très grand nombre d’actes pour cette unique raison que cela convient, que cela est droit, que cela est moral (honestum), quoiqu’ils voient bien cependant qu’il n’y a aucun bénéfice à attendre ».
10 Voir la citation de Husserl, citée par R. BRISART, « La philosophie comme science et l’idéologie des valeurs », dans ce volume, p. 163-164.
11 ID. ibid., p. 164 ss.
12 Ibid., p. 165.
13 Pour l’importance de cette question, voir en particulier le remarquable travail de J. PAUMEN, Fortunes de la question de l’homme. Kant, Weber, Jaspers, Heidegger, Conrad, Giono, Ousia, Bruxelles, 1991.
14 Chez Aristote en effet, l’action fait partie de l’activité en général et non l’inverse, au point qu’on peut délibérer pour atteindre une fin indépendamment des conditions éthiques, comme le fait le pilote qui conduit son navire au port, le médecin lorsqu’il prescrit des médicaments ou le stratège qui veut défaire l’ennemi.
15 Il est d’ailleurs significatif que Henri Declève commence son exposé en se référent à deux émissions récentes de télévision qui l’ont incité « à parler ici d’un ton propre à l’éthique » (« D’un ton propre à l’éthique », dans le présent volume, p. 49).
16 « L’habitat, la crise, la cité : polarités de l’éthique », dans ce volume, p. 92.
17 ID. ibid., p. 92 et 94.
18 Ibid., p. 102.
19 « L’enjeu de la démocratie contemporaine », dans Mélanges offerts à Constantin Despotopoulos, Athènes, éd. Papazisis, 1991, p. 83-99 ; 88.
20 Voir aussi à ce propos mon étude « Le monde commun chez les philosophes grecs », dans Phénoménologie et Politique (Mélanges offerts à J. Taminiaux), Ousia, Bruxelles, 1989, pp. 159-207.
21 Je dis bien à un horizon ultime et non seulement originaire, comme le soutient Rawls, lorsqu’il met en jeu le voile d’ignorance. S’il est vrai en effet que la position originelle a l’avantage de garantir les présupposés universels de l’action ou, comme dirait Habermas à la suite de Rawls, « garantir par les seules présuppositions universelles de la communication la justesse (ou l’équité, la fairness) de tout accord normatif possible conclu dans ces conditions » (op. cit., p. 19), il n’est pas moins vrai que du point de vue éthique (et donc non plus moral), c’est comme référence d’une possible réalisation par l’action que l’équité a véritablement un sens. Voir à ce propos, mon étude « La modernité face à la notion aristotélicienne de l’équité », déjà citée.
22 Voir mon étude, « L’enjeu de la démocratie contemporaine », op. cit., p. 95-97.
23 P. CLASTRES, « Pouvoirs », dans Nouvelle revue de psychanalyse, Automne 1973, p. 84-85.
24 Voir à ce propos mon étude « Lexis et Diègèsis dans la République I-III », dans Stemmata (Mélanges de philologie, d’histoire et d’archéologie grecques offerts à Jules Labarbe), Suppl. à L’Antiquité Classique, 1987, p. 101-109. C’est dire que la question soulevée par Declève en partant de Kant est fort ancienne, et se situe au cœur de l’éthique platonicienne.
25 Notons ici que l’exigence « cognitiviste » que Habermas énumère parmi les exigences d’une morale (les autres étant la déontologie, l’universalisme et le formalisme), et qui considère que les questions pratiques sont susceptibles d’une vérité est au cœur de la pensée d’Aristote qui distingue bien entre vérité théorétique, vérité poiétique et vérité pratique.
26 Voir mon étude « Le monde commun chez les philosophes grecs », op. cit.
27 En réalité cette question est plus complexe que je ne l’indique ici, car elle suppose une problématique fort complexe, qui est celle des présupposés, des présuppositions, des sous-entendus, etc. qui s’élèvent souvent comme des obstacles à la communication. C’est dans ce sens que l’éthique de la discussion d’Habermas me semble pertinente.
28 Voir à ce propos mes études « La philia à l’origine d’une mise en question du bonheur aristotélicien comme seule fin ultime de l’Ethique », dans Annales de l’Institut de Philosophie de l’Université Libre de Bruxelles, 1970, p. 25-78 et « Le rôle du pathos dans l’amitié aristotélicienne », dans Diotima, 8, 1980, p. 175-182.
29 J. HABERMAS, op. cit., p. 22.
30 Habermas renvoie au travail de W. FRANKENA, Ethics, Englewood Cliffs, New Jersey, Prentice-Hall, 1963.
31 J. HABERMAS, op. cit., p. 20-21.
32 C’est le cas notamment de Perelman, que je me suis permis de critiquer, en montrant que chez Aristote, auquel il se réfère, il n’est nullement question de « correction » comme si la loi était boiteuse, mais bien de « redressement » (epanorthôma) (cf. mon étude « La modernité face à la notion aristotélicienne d’équité », op. cit.).
33 En plus de mon travail sur « Le modernité face à la notion aristotélicienne d’équité », déjà cité, voir mon étude, « La fondation aristotélicienne de la notion de justice », dans Mélanges offerts à Robert Legros, Ed. de l’Univ. de Bruxelles, 1985, p. 79-101.
34 Cf. à nouveau mon étude, « La fondation aristotélicienne de la notion de justice », op. cit.
35 Voir mon étude « L’enjeu de la démocratie contemporaine », op. cit., p. 88-89.
36 Cf. mon étude « Technè ancienne et technique moderne selon Heidegger », dans Revue de philosophie ancienne, IV (2), 1986, p. 253-297.
Auteur
Professeur à l’Université libre de Bruxelles, De l’iségorie à l’isofraxie.
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