Monde et conscience chez Fichte. Pour une lecture husserlienne
p. 232-257
Texte intégral
1De prime abord, l’organisation des synthèses transcendantales chez Fichte impressionne le lecteur de Husserl1. L’idéalisme fichtéen, en effet, a une nature particulière que R. Lauth est parvenu à bien mettre en évidence dans ses études comparatives avec Schelling2 et Hegel3 : l’idéalisme fichtéen est génétique. Il nous présente la constitution du rapport monde-conscience à partir d’une éidétique de la réflexivité comme phénomène originaire de l’être. Comme l’écrit P. Livet, « la réflexivité dépasse la conscience de soi, la subjectivité du Moi : c’est une structure plus générale, qui peut nous permettre de penser l’Absolu (...) »4. Fichte « conjoint le problème de la réflexivité de la conscience, et celui de la détermination et de la vérification du soi avec lui-même »5. Ce second problème est lié à une opération de récursivité qui intègre le renvoi à une « base prédonnée »6. Selon P. Livet, la découverte de Fichte est de penser la réflexivité selon le modèle de la récursivité, si bien que sa pensée se construit par « emboîtements successifs »7. D. Henrich a bien saisi cette originalité de l’idéalisme fichtéen, lorsqu’il écrit que, selon cette perspective, « Notre existence ne peut se fonder ni sur un élément irrationnel présent en nous, ni sur une réalité spirituelle située hors de nous. Notre propre substance, à savoir l’intuition si simple et si énigmatique à la fois du moi est elle-même ce qui nous fait dépendre d’une autre réalité, mais qui néanmoins nous permet de nous saisir nous-même »8. Les lectures de Fichte axées sur le thème de l’intersubjectivité9 tentent plutôt de fonder la réflexivité sur la récursivité et ferment ainsi le chemin à toute question sur l’absoluité de la conscience10. Or, chez Fichte, cette question est cruciale, car elle donne accès à l’origine et à l’unité du Moi comme manifestation d’une liberté absolue. C’est l’inscription intérieure dans une manifestation originaire qui fonde l’engagement pour une communauté de communication11. Une telle interprétation de Fichte ne peut se contenter de considérer le monde vécu comme l’horizon de l’intersubjectivité12. Elle doit s’interroger sur l’évidence absolue du monde pour la conscience et situer l’intersubjectivité eu égard à cette appartenance intérieure de toute liberté, d’autant plus que cette évidence ne peut constituer, comme l’a rappelé D. Henrich, un fond irrationnel ou une réalité spirituelle séparée de nous.
2Cette question du monde chez Fichte peut paraître inattendue quand on se souvient des critiques virulentes que Schelling a opposées à la Doctrine de la science13. Schelling a beaucoup contribué à la restriction de la philosophie fichtéenne à une pensée de la subjectivité14. Selon lui, la nature fichtéenne n’est que le reflet de la nécessité intérieure du Moi, l’image de son autoconditionnement15. Fichte s’est fermé à l’intuition romantique d’une nature productrice, parce que sa conception formelle de la raison le rendait étranger à tout principe réel de l’existence : seule une idéalité pouvait revendiquer le statut de principe. La nature chez Fichte reste rivée à l’idée de sa nécessité formelle pour la conscience, tandis que le réalisme appartient à l’action qui se déploie à partir de l’idée. Le réalisme ne peut donc être que représenté ou produit ; à aucun moment, il n’est lui-même créateur. C’est la conclusion du Système de l’Idéalisme transcendantal qui s’achève sur le réquisitoire d’une esthétique nouvelle du monde16, manifestée dans le génie poétique par exemple, contre l’idée d’une finalité formelle de la nature qui reconduit encore les présupposés subjectivistes de la théorie transcendantale17.
3Fichte, il est vrai, a certainement prêté flanc à ce genre de critique. Il est difficile de décrypter l’originalité de sa méthode à travers ses premiers écrits, tant le formalisme de la conscience de soi domine le problème plus général de la réflexivité. De plus, sa philosophie pratique centrée sur la question de l’autoréalisation de la liberté renforce l’impression de subjectivisme18. La philosophie du droit pourrait même être proposée comme paradigme de la première philosophie (jusqu’en 1799) avec son concept central d’autolimitation. A. Renaut a même risqué, pour caractériser cette pensée du droit en général, le terme d’« humanisme juridique »19.
Les Considérations de 1793
4Néanmoins, la question est loin d’être aussi tranchée20. Même les positions avancées dès les Considérations sur la Révolution française méritent réflexion. D’une part, le sujet a un rôle central et la nature lui semble totalement subordonnée, mais d’autre part, le critère juridique premier repose sur la manifestation empirique de la liberté et l’attitude première à adopter vis-à-vis de cette manifestation est d’abord la reconnaissance du fait naturel de l’espèce et, en elle, du corps comme l’espace naturel d’inscription de la liberté. Dans cette optique, le problème de Fichte est celui d’un droit lié à la vie : le « droit naturel » de la liberté à poursuivre sa fin comme existence, comme réalisation de son être et, donc, de la vie en elle21. Ce « droit naturel » comme droit de la vie est différent de l’hypothèse formelle d’un pacte social antérieur à l’État et basé sur une représentation fictionnelle de la nature.
5Pourtant, il suffirait de citer tel passage des Considérations pour ranimer tous les préjugés. Fichte écrit, en effet, à propos du droit de propriété et dans un contexte où il est question de la propriété d’esclaves :
« Nous sommes notre propriété, dis-je, et j’admets ainsi quelque chose de double en nous : un propriétaire et une propriété. Le moi pur qui est en nous, la raison est la maîtresse de notre sensibilité, de toutes nos facultés spirituelles et corporelles ; elle peut s’en servir comme de moyens pour toutes les fins qui lui plaisent. Autour de nous sont des choses qui ne sont pas leur propriété à elles-mêmes, car elles ne sont pas libres ; mais elles ne sont pas non plus originairement la nôtre, car elles n’appartiennent pas immédiatement à notre moi sensible. Nous avons le droit d’appliquer nos propres forces sensibles à toutes les fins qui nous plaisent et que la loi de la raison n’interdit pas. Or la loi de la raison ne nous défend pas d’employer, comme moyens pour nos fins, les choses qui ne s’appartiennent pas à elles-mêmes, et de les rendre propres à nous servir de moyens. Nous avons donc le droit d’appliquer nos forces à ces choses »22.
6Cette citation suggérera sans doute tous les clichés en vogue pour caractériser la raison instrumentale honorée par les modernes. Le corps n’est qu’un moyen soumis à la raison dont la domination (Herrschaft) s’étend, grâce à ce moyen, sur les choses sans détermination propre. Fichte reprend ainsi à son compte la séparation traditionnelle de l’éthique et de la physique, en affirmant, selon l’optique moderne, la suprématie du projet humain par rapport aux choses de la nature23. Dans cette philosophie de l’action, la question normative est réduite à la cohésion des décisions en vue du succès de l’entreprise. L’action rationnelle doit être efficace et cohérente : la finalité devient « la rationalisation des moyens et du choix des moyens »24
7Cependant, le texte de Fichte résiste à une telle interprétation. Son enjeu immédiat est une réfutation de la théorie classique de la propriété qui permet une discrimination entre êtres humains sur la seule base de l’avoir. Quand on comprend la portée de cette réfutation, on s’aperçoit non seulement de sa valeur anthropologique, mais aussi de ses conséquences pour le rapport aux choses qui, bien que sans liberté, n’en sont pas moins originairement indépendantes de toute utilisation. Enfin, l’utilité, elle-même, est soumise au critère de la raison, dont la finalité interne est d’ordre métaphysique, ce qui la distingue d’une procédure purement relativiste d’autolégitimation. Reprenons les trois points de cette argumentation.
8Fichte n’est pas un partisan de la théorie classique de la propriété25 : il s’oppose à une définition de l’être humain en termes d’avoir. La seule propriété de l’homme, ce sont ses actions26 et en son corps est le « fondement ultime de la détermination de celles-ci »27, si bien que, dans l’expérience sensible ou comme phénomène, « l’être libre est identique à son corps »28. Le droit à la propriété n’a de sens que comme droit à l’action libre, c’est-à-dire à la manifestation de l’être humain comme sphère concrète d’activité. Faire de l’homme, indissociablement, un propriétaire et une propriété, c’est, dans ce cas, refuser l’extériorité de la propriété à l’être humain. Le concept d’activité apporte une solution à ce refus : l’être humain est le phénomène d’une libre causalité dans l’expérience sensible, une sphère d’activité, une monade qui a besoin de l’attribution d’une « partie déterminée du monde sensible »29 pour développer « une action réciproque persistante »30 avec celui-ci. Le droit a pour tâche de formaliser les conditions d’interaction entre les multiples sphères d’activité, afin de maintenir et de garantir la possibilité d’une harmonie. Le droit fonde ainsi une communauté d’autolimitation réciproque. « La sphère des actions libres est partagée par un contrat de tous avec tous, et de ce partage naît une propriété »31. Les choses elles-mêmes n’ont de sens, pour le droit, qu’eu égard au développement de la libre activité et la propriété des choses est limitée à l’usage défini par le contrat, c’est-à-dire à l’atteinte d’une « fin déclarée et reconnue »32. On ne peut donc définir un droit en fonction de l’avoir, puisque le droit doit garantir la possibilité, pour chaque sphère d’activité, de se déployer et d’inscrire ainsi sa finalité relative dans l’existence. Le droit n’a pas pour point de départ l’avoir, mais le pouvoir réel des personnes, en tant que manifestation d’une volonté absolue33. Et son objectif est d’établir les conditions collectives de réalisation de ce pouvoir singulier dans son rapport aux choses.
9Fichte insiste tellement sur ce renversement de perspective par rapport à l’Ancien Régime qu’il affirme qu’aucune constitution juridique ne pourra se maintenir dans une situation d’injustice sociale34. Le droit ne peut naître que dans une situation de respect de tous, fondée sur le principe de l’intégrité physique35, l’habeas corpus. Seule une telle situation permet le développement de la libre relation de chacun avec les choses dont l’appropriation légitime dépend de la volonté originaire de se réaliser comme existence libre.
10Le rapport aux choses envisagé par Fichte n’est pas purement instrumental ou stratégique. Dans l’utilisation des choses, il est question d’une fin. Celle-ci ne doit pas être conçue restrictivement, comme si a priori on pouvait restreindre le champ d’activité des libertés36. Mais sa fonction est normative : la fin dernière de tout usage est de pouvoir vivre37 en harmonie avec « la liberté de tous les autres dans leurs sphères »38. On n’utilise justement les choses que si l’on suit cet appel de la vie en nous, c’est-à-dire si l’on agit suivant la loi que la nature a posée en nous, car c’est la nature qui a destiné les hommes à la liberté39 et pris des « dispositions sûres »40 pour que cette fin soit atteinte. La relation aux choses est ainsi conditionnée par la nature en nous (la raison) et par la nature hors de nous (la donation des choses elles-mêmes). Ainsi, « c’est dans le champ donné, et à condition que quelque chose soit donné, que la personne est libre de laisser cela comme il est, ou de le transformer et de le rendre tel qu’il doit être en vertu du concept de sa fin »41, « ... c’est uniquement à l’intérieur de la sphère de cet être-donné que la personne est libre »42. L’homme n’est donc pas propriétaire du monde et son appropriation, toujours partielle, des choses doit se justifier par sa propre appartenance à la vie, par la loi intérieure qui lui intime de toujours agir comme une fin en soi43.
11Cette thèse se vérifie d’ailleurs aussi au niveau de la philosophie du corps. Fichte ne cherche pas à affirmer la supériorité de l’entendement (Verstand) sur les sens (Sinne). C’est la priorité du vouloir-être originaire44 sur les forces (Kräfte) tant spirituelles que corporelles qu’il veut affirmer45. L’appel intérieur de la liberté à agir selon sa propre loi, c’est-à-dire à se réaliser comme liberté, est absolu, mais notre manière d’y répondre peut évoluer. La raison d’être de notre activité est donc sa norme dynamique et la « sensibilité » devient « tout ce qui est susceptible d’être formé, tout ce qui peut être exercé et fortifié »46. C’est pourquoi, dans ses Leçons sur la destination du savant, Fichte définit la culture comme l’« acquisition de cette habilité qui vise d’une part à extirper et supprimer nos propres inclinations fautives avant l’éveil de la raison et de la conscience de notre activité indépendante ; d’autre part à modifier les objets en dehors de nous et à les changer selon nos concepts »47. Le destin de l’être humain dépend de sa capacité de s’éduquer à inscrire les choses dans une finalité propre48 (Zweckbegriff). Il ne s’agit donc pas d’asservir le corps et les choses aux idéaux d’une raison totalitaire, mais d’apprendre à être libre dans l’existence, c’est-à-dire d’inscrire le développement personnel dans l’appel originaire de la vie en nous49, de manière à réaliser dans le monde la liberté transcendantale qui préside à notre destinée50.
12C’est en ce sens que Fichte rappelle que la fin de toute liberté transcendantale est la liberté cosmologique et que le moyen d’y parvenir est la liberté politique51. Si, donc, on devait parler de « moyen » au sens strict, ce serait au niveau de la création d’un ordre collectif rendant possible la réalisation conjuguée des libertés : l’État compatible avec la loi morale52. La question de l’utilité (Nützlichkeit) se situe au niveau de l’organisation concrète de l’ordre politique dont la légitimité morale est déjà acquise. S’il faut créer une classe de « hauts fonctionnaires » pour un meilleur fonctionnement de l’Etat, ce sera toujours en fonction de l’intérêt général pour une association de services mutuels dont le schème doit guider la « sagesse » (Klugheit) politique.
13La question de l’originaire est décisive dans la lecture que l’on peut proposer des textes du jeune Fichte. Le droit nous renvoie à la question du devoir, c’est-à-dire à ce commandement intérieur à toute conscience de se réaliser qu’en ne suivant sa propre loi53. Dans cette perspective, l’« état de nature », c’est la loi morale à l’état pur54, c’est-à-dire comme seule contrainte ou comme seule loi de l’être humain. Même sans garantie extérieure, l’être humain reste déterminé intérieurement par sa liberté transcendantale ou son vouloir-être-libre-originaire. Il est manifestation de cet Absolu dans l’expérience55.
Les recherches d’Iena sur l’éthique et le droit
14Fichte va d’ailleurs apporter des précisions, dans sa Rechtslehre, sur la question de cette « loi naturelle ». Il serait vain d’y chercher autre chose que la manifestation de la liberté originaire comme pouvoir concret d’autodétermination dans et par un corps56. On a pourtant tenté d’établir des droits originaires57, en imaginant les conditions fictives d’autoréalisation d’un individu abstrait de tout monde commun. Mais le droit ne peut porter que sur les activités concrètes menées à l’initiative d’une volonté et ceci en vue d’en assurer la possibilité en rapport à d’autres activités du même genre menées par des volontés différentes58. Le droit n’a donc pas de sens en dehors du champ donné à des sphères d’activité différentes59. Si le droit naturel fait référence à une vie humaine sans État, sans communauté de droit établie, et cherche à définir les exigences d’autoréalisation de la liberté individuelle, en posant des conditions indépendantes des relations empiriques entre individus, il ne s’agit alors que d’une éthique formulée sous le couvert du droit ! Fichte est très clair à ce sujet :
« C’est seulement par des actions, exprimant leur liberté, qui interviennent dans le monde sensible, que des êtres raisonnables entrent en relation réciproque : le concept du droit se rapporte donc uniquement à ce qui s’exprime dans le monde sensible ; ce qui n’a aucune causalité dans ce monde, mais demeure à l’intérieur de l’esprit, relève d’un autre tribunal, celui de la morale. Il est donc vain de parler d’un droit à la liberté de pensée, à la liberté de conscience, etc. Pour ces actions intérieures, il y a une faculté, et des devoirs qui les concernent, mais non point des droits »60.
15L’intérêt de cette distinction est de montrer l’autonomie du droit vis-à-vis de l’éthique61. Les lois positives des relations entre corps humains sont indépendantes des considérations morales sur l’autodétermination intérieure des sphères d’activité. Le droit naturel pourrait donc devenir un amalgame qui dessert tout autant la morale que le droit. L’illusion qui le fonde consiste à se représenter une nature imaginaire62, comme si l’expérience concrète rendait inconcevable l’articulation d’une nature originaire et d’un Moi empirique63. Pourtant, la nature même de l’action c’est bien la volonté de s’inscrire dans un monde comme liberté donnée à soi-même, c’est-à-dire comme figure d’une liberté absolue se manifestant dans le monde. Le monde n’est donc pas étranger à la nature de la liberté : il est l’image que veut se donner l’Absolu, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus originaire en l’être humain.
16La Sittenlehre reprend ce problème de la liberté en distinguant dans l’être humain une tendance naturelle et une tendance morale64. De nouveau, l’objectif de Fichte n’est pas d’expliquer la nécessaire subsomption de la tendance naturelle sous la tendance morale par une sorte d’autotranscendance de la liberté, grâce à sa détermination spirituelle. Fichte veut, au contraire, montrer que la tendance morale ne peut s’accomplir sans s’inscrire dans le champ ouvert par la tendance naturelle et que la tendance morale est non seulement conditionnée dans ses choix possibles par la tendance naturelle, mais aussi sans cesse remise en question dans sa cohérence même grâce à l’ouverture de nouvelles possibilités.
« La volonté est libre, au sens matériel du mot. Le moi, en tant qu’il veut, se donne à lui-même comme intelligence l’objet de son vouloir en choisissant dans la pluralité des possibles l’un d’entre eux et en élevant l’indétermination qu’intuitionne et conçoit l’intelligence au niveau d’une détermination pareillement pensée et conçue. Ceci n’est pas contredit par le fait que l’objet puisse être donné par la tendance naturelle. Il est donné par elle comme objet de l’aspiration, du désir, mais nullement de la volonté, de la résolution déterminée à le réaliser. A cet égard, la volonté se le donne absolument à elle-même »65.
« (...) ainsi, il est possible de rendre la liberté concevable, même à partir de la philosophie de la nature »66.
17C’est donc la tendance naturelle qui offre à la tendance morale la possibilité d’écrire une trajectoire originale. Le « champ du donné » (Umfang des Gegebenen)67 offre une « pluralité de possibles ». Le concept de fin de la tendance morale gagne sa substantialité sur la succession ininterrompue de la causalité naturelle qui presse la concrétisation de la liberté. Ainsi, « une série naturelle est continue, chacun de ses termes effectue tout ce dont il est capable. Une série de déterminations de la liberté consiste en sauts et avance, pour ainsi dire, par saccades »68.
18Il y a, chez Fichte, une sorte de « retour permanent » de la nature comme exigence de manifestation de la liberté absolue, retour qui apparaît aussi dans la Théorie du droit, chaque fois que les libertés, dominées et réprimées par un ordre injuste, reprennent leur droit et détruisent les appareils de pouvoir69. Face à la tendance naturelle, on pourrait même dire que les œuvres humaines ont plutôt contribué à défigurer la terre et à repousser la possibilité d’y inscrire un accord harmonieux des libertés70. La Rechtslehre est riche en études sur les dérives totalitaires dans l’histoire71 et les Considérations de 1793 avaient déjà des paroles sévères sur le despotisme monarchique des grands Etats européens72. Mais c’est la théorie économique de l’Etat commercial fermé qui est la plus radicale à cet égard. L’anarchie commerciale qui règne entre les États riches73 y est fustigée comme destruction de populations entières et comme véritable dévastation du monde. L’expansionnisme commercial entraîne un déséquilibre dans les rapports de l’homme avec la nature. La surabondance pour une minorité prive une majorité du nécessaire. Le principe du travail est pourtant différent de celui qui guide la guerre pour une domination totale. Le travail n’est pas domination de la terre, mais effort pour s’inscrire le mieux possible dans ses limites74. Une société basée sur ce principe chercherait seulement à vivre « aussi humainement, que la Nature le permet sur terre »75. Mais les sociétés guidées par le principe de domination détruisent cette possibilité d’une relation équilibrée entre les hommes et leur milieu naturel. Leur utilisation abusive de la nature crée la pénurie, qui n’est en rien un fait de nature !
« La paupérisation complète et son aspect manifeste sont masqués par une économie nationale de plus en plus mauvaise, où tout ce qui est possible est mis en vente, transformé en marchandise, et ainsi le capital, c’est-à-dire la nation elle-même, est consommé, après que les intérêts, c’est-à-dire le travail de la nation, se seront révélés insuffisants. Le résultat effectif d’une telle économie, c’est que les hommes entre lesquels est répartie la richesse nationale qui subsiste, bien que minime, deviennent de moins en moins nombreux, parce que le pays se dépeuple constamment ; mais après quoi il revient aux particuliers une part tout de même plus importante que dans le cas où ce dépeuplement n’aurait pas eu lieu - les hommes émigrent, et cherchent sous d’autres cieux un recours contre la pauvreté, à laquelle le sol de leur patrie ne leur permet pas d’échapper : ou encore, le gouvernement les transforme en marchandises, et encaisse de la monnaie grâce à eux à l’étranger. Après que les mains qui travaillent les produits bruts sont devenues moins nombreuses, il reste en dernier recours à vendre les hommes »76.
19Fichte anticipe sur un scénario aujourd’hui malheureusement trop connu. Mais son analyse des retombées néfastes de la guerre commerciale sur une majorité de pays pauvres veut surtout attirer notre attention sur une autre voie. Pour Fichte, aucune fatalité naturelle ne peut légitimer la dévastation de la terre, car la seule « réplique » de la nature à son exploitation outrancière par l’humain est son « rejet » de l’humain : la nature épuisée paraît désolée et inhospitalière, voire hostile. Mais c’est l’homme lui-même qui a dévasté son habitat et rompu le « contrat naturel » : le gouffre économique est sans fond ! Par contre, l’État authentiquement rationnel est celui qui parvient à s’inscrire le mieux possible dans son espace naturel77, celui qui, par l’alliance des dons de la nature et de l’ingéniosité de l’esprit, fait des limites de l’expérience la base d’un libre échange de culture entre les peuples78.
20La tendance à l’autonomie s’est donc souvent compromise en négligeant sa relation constitutive à la tendance naturelle. Le destin de l’espèce humaine est de produire librement son accord avec la raison en œuvre dans le monde79. La volonté tend, dans un premier temps, à produire cet accord formellement, pour soi seulement, comme si elle était finalement la raison même du Tout80. Sur ce point, Aufklarung et romantisme se rejoignent pour Fichte, car le principe formel de la conscience de soi qui régit la première se retrouve dans le second, comme une mystique de l’existence où l’extase de la conscience se donne pour communion au principe de la Vie. L’absence de contenu du solipsisme éclairé devient le contenu informel du rêve romantique81. Il manque à ces pensées de la liberté un véritable concept du monde comme raison d’être, une métaphysique capable de situer le destin de l’espèce dans un Weltplan, dans une « pensée du monde ».
21La Staatslehre reprend cette idée sur base des données de la Wissenschaftslehre d’après 180482 : la nature est image de la liberté absolue et cette image, la liberté la reçoit comme tâche pour elle-même dans l’acte même de sa représentation comme partie prenante d’un monde83. L’image de la nature devient pour la liberté percevante l’exigence de s’inscrire dans cette image, l’exigence de réaliser son appartenance à la vie comme liberté. Et, de nouveau, le monde saisi comme Ausgabe84 ne signifie pas l’appropriation arbitraire du monde pour des fins propres, mais le monde comme image ouverte, infinie, où la liberté est appelée à s’inscrire. Un texte-clé pour comprendre cette relation entre monde et conscience, chez Fichte, est l’Initiation à la vie bienheureuse, de 1805.
La métaphysique de l’Anweisung
22Bien que l’Anweisung appartienne aux ouvrages dits de philosophie populaire85, il a une densité spéculative exceptionnelle86. Son objectif, en effet, est ni plus ni moins de donner accès au véritable point de vue sur l’existence à des personnes désireuses de mener une vie aussi heureuse que lucide, c’est-à-dire où le bonheur dépend exclusivement d’un effort de vérité sur la vie87. Fichte ne prétend pas pour autant que la connaissance implique le bonheur, ni qu’elle le mérite au nom d’une loi supérieure. Il ne pense pas en terme de conséquence et ne vise pas un savoir cumulatif des choses. Il tente de reprendre à son compte une idée déjà ancienne de la philosophie, celle d’une coïncidence intérieure de la sagesse et du bonheur. La sagesse, en effet, est une intelligence concrète de l’existence, l’apprentissage de la vie, une éthique où l’homme ose s’interroger en priorité sur le fait de son existence, sur sa présence et donc immanquablement aussi sur le monde dont il n’est que l’hôte trop souvent inconscient. La sagesse s’interroge sur la vie comme donation absolue, sur cette source première de l’étonnement : « il y a ! », la vie comme don qui non seulement étonne, mais satisfait pleinement, car seule l’appréhension de son contraire suscite le malheur. La véritable question de la sagesse est donc de s’attacher à la vie comme béatitude et de s’opposer radicalement à toutes les éthiques qui assimilent la vie à son contraire, à la mort.
« Seule la mort est malheureuse. (...) S’il s’en faut de beaucoup cependant que ce qui semble vivant soit bienheureux, c’est qu’en fait et en vérité, ce qui est malheureux ne vit pas non plus, mais, dans la majeure partie de ses éléments, est plongé dans la mort et dans le néant. La vie elle-même est la béatitude (...). Il ne saurait en être autrement car la vie est amour, et toute forme et toute force de vie consiste en l’amour et provient de lui »88.
23La sagesse est d’emblée un changement de perspective sur l’existence et donc, pour l’esprit humain, un changement de perception. A l’esprit préoccupé de soi et, pour ainsi dire, astreint à sa mesure, Fichte propose une autre perception de la vie, une perception qui se libère de la multiplicité des choses considérées comme objets pour un sujet investigateur. Fichte ramène à l’Un, à la source même de toute existence, à la Vie qui transit le multiple, à l’acte originaire89. Cette opération inaugurale d’un nouveau penser est une réduction90 : Fichte réduit la perception à l’apparaître, à la source, à l’Un91 et met entre parenthèses le monde des apparences, le multiple, le dérivé. Cette réduction ne reconduit pas au sujet de la perception, à la source de toute synthèse aperceptive. Fichte met entre parenthèses le jeu d’un monde multiple et éclaté pour un sujet arpenteur. La réduction nous entraîne d’une perception à une autre, de la perception des objets à celle de la Vie originaire, de l’appréhension subjective d’un monde extérieur, étranger, à l’appréhension de soi et des choses comme figures d’un monde absolument intérieur à tout. On passe dès lors de la connaissance relative des apparences à la sagesse absolue de l’apparaître.
24S’agit-il dès lors d’une plongée dans des arrière-mondes métaphysiques qui refuserait toute valeur aux apparences ? Fichte ne propose pas de fuir le monde ; il prétend plutôt, par sa réduction, ramener à son évidence première,, à son essence — l’essence, précisément, non comme ce qui est caché et obscur, mais comme le primordial, l’élémentaire, le point de départ ou la source. En toute existence, il y a l’être ou la Vie ou, encore, selon Fichte, l’Amour92. Pour soi, l’existence forme le multiple des apparences, mais en soi, elle n’est rien, sinon l’apparaître. C’est la Vie qui s’exprime en elle93.
25La sagesse consiste à prendre la mesure de cette évidence première qu’est la Vie comme donation absolue en toute apparence. Méthodologiquement, elle se sépare de la réduction transcendantale de Kant à la synthèse aperceptive du phénomène, grâce aune réduction métaphysique où la pensée elle-même est appelée à se soumettre à une mesure qui la défait de son primat transcendantal sur le monde. C’est en concevant son rapport à l’Un comme source absolue, à la Vie originaire, que la pensée se trouve, pour la première fois, soumise à une mesure94 : celle de la vie donnée et reçue, avant d’être désirée ou voulue. Fichte invite à considérer cette unité première de la vie, l’Etre dans sa simplicité absolue, l’Éternel.
26Mais la perception nouvelle de l’évidence du Monde ne doit pas laisser ressurgir les anciens réflexes. L’Un ou l’Etre n’est pas l’objet absolu95, l’objet total que cherche la connaissance cumulative, la clé de mesure subjective du réel, une sorte de concept absolu où le savoir pourrait négativement s’autotranscender pour s’approprier l’« hypothèse nécessaire » à son intelligence des choses. L’Un ou l’Absolu n’est pas plus un principe rationnel qu’une force obscure connaissable seulement dans ses effets infinis.
27Pour considérer l’Un comme source de l’existence, il faut pénétrer son mouvement de donation et, pour ce faire, procéder à une nouvelle réduction, une « réduction phénoménologique », qui cherche à saisir l’apparaître même comme mouvement de la vie originaire, c’est-à-dire à percevoir jusqu’aux structures internes du don, comme autant de structures originaires et essentielles de l’existence, formant une véritable éidétique de la manifestation de l’Etre. Fichte propose d’« observer la transformation de l’Etre en soi, le seul possible et immuable, en un être différent, varié et changeant ; de manière à accéder au point où se fait cette transformation et à la voir s’opérer sous nos propres yeux »96. De cette manière, l’esprit s’allie entièrement au phénomène de la vie en soi et en toutes choses, il rejoint la possibilité même d’une ontologie fondamentale : l’Un de la « réduction métaphysique » est l’être de la conscience, c’est-à-dire le monde tel que le révèle la « réduction phénoménologique ».
« (...) la conscience, ou encore Nous-mêmes, - est l’existence divine elle-même, et ne fait qu’un avec elle. Elle se saisit dans cet être, et devient par là conscience ; et son propre Etre, ou encore le véritable Etre divin, devient pour elle le monde »97.
28Ainsi, « le monde est l’Etre de la conscience »98 au sens fort du terme, sa vie absolue. La première réduction peut nous montrer l’appartenance de la conscience à cette vie absolue ; mais il faut la seconde réduction pour saisir l’être-monde de cette vie absolue comme source des perceptions de la conscience. La première réduction porte sur l’apparaître d’un monde comme acte absolu, la seconde sur l’autoconscience possible de cet acte comme manifestation de soi99 : d’une part, le « monde surgi de la vie divine dans la conscience ‘se divisant’ en un monde variable à l’infini en ce qui concerne les formes qu’il prend, au moyen de la forme fondamentale de la réflexion »100 ; d’autre part le même monde se divisant « en une forme non pas infinie, mais quintuple sous laquelle il peut être considéré »101.
29Fichte reconnaît cinq moments structurants à l’autoconscience de l’Etre comme monde, cinq moments qui reprennent les structures aperceptives de la connaissance subjective en les rapportant, cette fois, à la réflexivité originaire de la vie, mesure de toute conscience aperceptive. Partant du monde comme infinité, la synthèse quintuple considère d’abord la pure diversité offerte à la conscience empirique, le multiple phénoménal qui retient tout autant l’esprit positif que le sensualiste. La synthèse passe ensuite à la conscience saisie par la possibilité d’un principe unificateur, d’une loi, transcendant l’expérience immédiate pour déterminer a priori l’expérience en général. C’est le sujet transcendantal, le Cogito de la philosophie critique. Mais par-delà ce formalisme de la loi, différentes formes de « consciences engagées », génies artistiques ou politiques, par exemple, vivent concrètement une unité supérieure de leur destin : ils se disent guidés par une « morale de conviction » qui produit en eux une conscience unifiée de l’existence comme fin. Mais ces acteurs sont souvent emportés par un enthousiasme cosmique qui ne parvient pas à s’assurer soi-même intérieurement de la justesse des actions. L’intériorité du destin n’apparaît que dans une quatrième forme de conscience du monde, la conscience religieuse. La religiosité consiste, selon Fichte, dans la reconnaissance intérieure de l’Absolu en toutes choses102. Lorsque cette reconnaissance s’allie103 à un savoir de l’unité de l’existence dans la Vie absolue, la conscience du monde devient une conscience philosophique ou « scientifique » de l’existence. Ce qui intéresse la « science absolue » c’est le comment du rapport reconnu par la religion, « à savoir que tout divers est radicalement fondé dans l’Un et doit y être ramené »104. Pour elle « devient génétique ce qui pour la religion n’était qu’un fait absolu »105.
30La synthèse quintuple peut être aussi reprise à partir de l’évidence première de la Vie absolue. Le premier moment est alors celui de l’Etre en son unité comme plénitude. Mais cette plénitude est vie, activité et la forme même de cette activité absolue est l’auto affection de soi ou l’être-en-soi. Un second moment apparaît dès lors qui exprime cette relation à soi-même dans la Vie absolue, la conscience absolue ou le Verbe éternel. Le troisième moment procède des deux premiers, c’est l’apparence issue de cet apparaître à soi-même qu’est la conscience de soi absolue, l’image de soi où s’exprime la vie originaire ou l’éternelle liberté, l’existence comme unité, le monde. Comme image de la vie originaire, le monde porte le reflet de la conscience de soi absolue, il est image se sachant dans son unité absolue et, donc, conscience relative d’une unité dynamique de l’existence. Le monde se divise ainsi en une infinité de perspectives pour la réflexion humaine par laquelle s’opère la diffraction de l’existence en de multiples choses. Au niveau de la conscience humaine, ces cinq moments se répètent : l’unité de la raison se sait en son concept grâce au jugement et l’unité du concept se sait dans le multiple de l’intuition grâce au schématisme de l’imagination. Mais cette structure de la connaissance n’est que le reflet de la réflexivité fondamentale et essentielle de l’existence, celle de l’être originaire comme amour de soi.
31Ainsi, la réduction phénoménologique ne supprime pas l’unité originaire, mais elle tente d’inscrire la conscience singulière dans le mouvement même de son absoluité. Elle met entre parenthèses la pure identité à soi de l’apparaître comme évidence absolue et rejette l’illusion que pourrait encore représenter une perception objectiviste de l’unité métaphysique du réel. Elle saisit l’Un pour ce qu’il est en l’apparence : une unité constituante qui rattache intérieurement à la vie. Ce rattachement intérieur n’est en rien solipsiste, notons-le, car il s’agirait alors de l’appropriation par la conscience de la vie qui sourd en elle. Or ce qui sourd en la conscience, c’est son appartenance à un monde qui l’enveloppe et la traverse, un monde qui la constitue comme unité apparente pour soi. Cette vie intérieure est donc, pour la conscience, la manifestation de son appartenance au monde, de son inscription dans une totalité apparaissante. L’intériorité n’est pas ici synonyme de repli ou de séparation, d’isolement : c’est au contraire le lieu de la plus totale « composition »106, la dimension de la participation à une vie dont l’accord absolu est la mesure de la singularité.
32Ce rapport intime à l’essence du tout, cette forme d’appartenance de la conscience n’exclut pas une apparente hétérogénéité du monde, voire l’idée d’une hostilité, patente dans la violence d’autrui en particulier107. Le monde peut apparaître comme un échec, voire un non-sens. Mais il n’est alors question que d’apparence. Les choses ne dépendent pas de mon rapport à elles, mais de la participation à la Vie qui les unit à toute existence et donc aussi à la mienne. Je ne peux décider du mouvement de manifestation dans lequel je m’inscris, mais j’en suis toujours déjà solidaire. Il faut chercher à s’y inscrire pour soi-même comme manifestation de la vie véritable, tâcher de coïncider avec cette volonté originaire de vie partagée, d’amour donné qui travaille comme leur évidence première toutes les existences. Seul cet effort nourri par un regard intérieur pourra contribuer à construire un monde à l’image de l’Etre absolu.
Finalité formelle et finalité immanente
33Les deux réductions de l’Anweisung mettent en évidence, chez Fichte, la finalité immanente de la conscience qui a retenu l’attention de Husserl dans ses leçons sur l’idéal d’humanité de Fichte dispensées en 1917108. Cette finalité est le fait originaire de la conscience en tant que son acte constitutif : c’est l’Absolu se manifestant en elle et la rendant possible comme conscience d’un monde. Non que le monde soit le résultat de la scission originaire de la conscience en pôle subjectif et en pôle objectif, selon les catégories générales d’une logique de la représentation comme essence de la pensée. C’est, au contraire, le monde qui est l’origine de la conscience en tant que donné originaire et c’est sa finalité immanente qui ouvre le champ de la conscience en poursuivant la réalisation de sa forme éthique. La conscience est ainsi ouverte intérieurement sur le monde en tant que son pouvoir-être éthique originaire, en tant que possibilité d’un ordre éthique du monde109. Dans ce pouvoir-être originaire, c’est l’Absolu du monde et de la conscience qui se manifeste comme l’unité ontologique de leur destin.
34Fichte dépasse de cette manière le dualisme kantien de la finalité formelle et de la finalité matérielle de la nature110 : d’une part, le point de vue de la cohérence interne de la représentation exigeant a priori la visée régulatrice d’une totalité absolument intelligible (objet total théorique) ; d’autre part, le point de vue empirique du développement naturel posant a posteriori la question de son rapport à l’existence humaine comme sommet de la vie naturelle et, donc, finalité matérielle de la nature, considérée par analogie avec un organisme. Ce second type de finalité lie la nature à un but final (Endzweck) extérieur à elle, sur le modèle non seulement de l’organisme vivant, mais aussi de la liberté en tant qu’elle vise l’instauration d’un règne des fins, d’une communauté d’esprits libres. De plus, parler d’un but final extérieur à la nature (à partir de l’analogie de l’être vivant) nous amène à envisager un but suprasensible, propre justement à la finalité morale. Mais cette finalité n’en reste pas moins formelle, de nouveau, car la nature envisagée comme totalité concrète n’aboutit qu’à un être dont la forme d’existence est précisément la finalité et dont l’exigence interne est de vivre seulement comme fin en soi. On peut donc parler d’un formalisme kantien de la finalité111 réduite à la catégorie subjective de réflexion, une finalité sans contenu déterminable (chose en soi), mais appréhendée seulement selon la forme de la détermination morale du sujet.
35Chez Kant, la poursuite d’une fin (Endzweck) ne concerne pas l’ordre de la représentation causale du monde. La perception est conçue selon la manifestation de l’unité synthétique a priori de la conscience occupée à ordonner la multiplicité des phénomènes. La conscience ne perçoit rien d’autre que ce qui est susceptible d’intéresser sa nature organisatrice : l’ordre ainsi construit correspond à l’effort d’orientation théorique de la conscience visant à une maîtrise des conditions générales de l’expérience.
36Dans cette optique, l’être humain n’est situé qu’en rapport à son pouvoir de maîtrise de ses conditions d’existence. Ce pouvoir théorique n’est lui-même porteur d’aucune finalité externe ; il n’est pas habilité à se prononcer sur le domaine pratique. L’orientation morale est une question d’ordre personnel que la maîtrise techno-scientifique doit seulement laisser entièrement déterminable par l’instance pratique de la raison. La raison théorique assure de la maîtrise des conditions empiriques de l’existence.
37De son côté, la raison pratique n’a pas à opérer sur les contenus empiriques de l’existence, mais sur ses formes. Sa tâche spécifique est de donner une forme éthique à l’existence, c’est-à-dire de l’ouvrir à une fin supérieure, transcendante, indépendante des conditions extérieures d’existence, mais réalisable seulement par une tension spirituelle infinie, libérée des conditions concrètes d’existence. Le seul critère extérieur de la maîtrise techno-scientifique est donc négatif : ne pas empêcher la poursuite d’une fin spirituelle. Dans cette optique, l’être humain n’est situé qu’en fonction de son pouvoir d’autonomie par rapport aux inclinations sensibles. La garantie de son existence morale est même de viser seulement la forme pure de l’autodétermination, c’est-à-dire de tendre à la perfection de la détermination pratique en cherchant exclusivement dans ses actes la pureté de l’intention.
38Ce formalisme de la finalité domine encore les premières esquisses de la Wissenschatslehre. Néanmoins, Fichte refuse de séparer, dès ses premiers écrits critiques, la finalité et la réalisation concrète du bonheur112. La forme morale de l’existence a donc pour lui d’emblée un contenu concret dont se défendait le formalisme kantien. Même le mouvement d’auto-position du Moi pur ou absolu, c’est-à-dire de la liberté transcendantale, appelle d’emblée chez Fichte son effectuation à travers l’ordre socio-politique en vue d’un accomplissement cosmologique113. Si la nature est alors laissée de côté, ce n’est pas parce qu’elle est étrangère à toute finalité, mais parce qu’elle semble au contraire toujours déjà acquise au mouvement transcendantal du Moi absolu et que le problème décisif de l’existence semble plutôt du côté de l’aliénation du Moi pratique, à travers ses entreprises de domination114. La maîtrise du monde sensible ne se poursuit pas dans une maîtrise éthique de soi où l’ensemble des facultés pourraient trouver leur équilibre grâce à l’ordre général du bien. Pour Fichte, l’ordre n’est pas séparable de la finalité. Le pouvoir-être de la raison en fonction d’un ordre du monde sensible est lié à son pouvoir-être en fonction d’un ordre des libertés, c’est-à-dire du monde spirituel. C’est un seul et même pouvoir-être qui se réalise à travers l’ordre théorique et l’ordre pratique du monde, le pouvoir-être de la liberté absolue. L’ordre du monde, naturel ou spirituel, n’est pas une production de la raison, théorique ou pratique : il s’agit seulement de la reconnaissance d’une existence entéléchique dont l’essence détermine la manifestation115. Dans la mesure où cette essence agit à l’intérieur même de la manifestation comme son principe d’effectuation, sa liberté originaire, son pouvoir-être absolu, il serait absurde de parler d’un déterminisme, comme s’il s’agissait d’une force extérieure de cœrcition obligeant à un mouvement, comme dans le cas de la pression exercée sur les engrenages d’une mécanique (ceux-ci ne réalisant pas d’eux-mêmes une finalité interne). On retrouve plutôt l’idée luthérienne d’une prédestination de la liberté116, qu’on pourrait interpréter comme suit à la lumière de Fichte : la liberté est ordonnée à son pouvoir-être originaire de réalisation en tant que manifestation de l’Absolu, tendance au libre accord de l’existence comme figure consciente de l’Éternel.
« Dit en langage fichtéen, écrit Husserl : Dieu est l’ordre éthique du monde, il ne peut y en avoir d’autre. D’un autre côté, ce Dieu est pourtant complètement immanent au moi absolu. Il n’est pas une substance extérieure, pas une réalité en dehors du moi qui agirait de l’extérieur sur le moi. Le moi est complètement autonome, il porte son Dieu en soi-même comme l’idée finale qui anime et conduit ses actions, comme le principe de sa propre raison autonome »117.
Éidétique et mesure du monde
39L’intérêt de cette réflexion fondamentale de Fichte est de nous mener jusqu’à la limite d’une éidétique de l’évidence absolue du monde comme unité originaire. Cette limite n’est autre que la participation concrète à l’effectuation de cette unité pour soi. Il est possible de concevoir une telle effectuation et même de la postuler eu égard au mouvement général de la Vie comme synthèse absolue. Cependant, comme il n’appartient à personne de forcer cette effectuation en dominant les apparences, il ne reste qu’à agir en vue d’elle, à se la donner comme une fin en luttant pour sa victoire dans les apparences. Mais il ne s’agit alors que de l’auto-inscription dans cette finalité de l’existence qui est la réalisation même de soi comme image de la Vie. On pourrait certes supposer encore un tel destin réalisé en autrui, par intropathie dirait Husserl118. Mais je ne peux provoquer son extériorisation, contrôler en quelque sorte la manifestation de la vie véritable119. Seule l’action peut apporter à cette limite de la conscience singulière une solution, en tant qu’attitude existentielle qui transforme la projection éidétique en horizon du destin collectif. Agir en fonction d’une vie absolue advenant entre les humains en ce monde, agir en fonction d’un horizon pour l’espèce, c’est s’arracher à toute appréhension subjective de la Vie absolue pour s’inscrire dans une perspective universelle, c’est chercher à donner passage à la vie en soi, tenter de persister en visant plus que ma conscience et son intérêt propre. L’éidétique débouche ainsi sur une morale créatrice dont l’enjeu, loin d’être l’indifférence au monde, est la manifestation d’une véritable liberté dans et par le monde, la manifestation de cette source intérieure à toute existence, « die innere geistige Entwicklung »120.
40Le retour au monde comme évidence absolue de la Vie ne s’achève que dans cette pensée de l’action où le sujet s’arrache à son vouloir-apparaître-pour-soi pour s’unir au vouloir-apparaître-en-soi qui le rattache au destin d’une espèce. C’est à ce moment que le sujet s’inscrit réellement dans le monde comme donation, parce qu’il découvre en lui, comme une tâche essentielle, la participation à cet apparaître qui le constitue, c’est-à-dire qui le confie à l’apparence comme multiplicité orientée, finalisée. Le sujet cherche alors à devenir créateur non pour soi ou pour l’apparence, mais pour que la Vie puisse se célébrer en lui, pour que l’intériorité du temps puisse se frayer un chemin et se manifester comme « liberté naturelle ». C’est dans la recherche de cette finalité en soi du monde comme apparaître, la manifestation de la liberté éternelle, que l’être humain peut trouver le sens d’une action persistante pour construire une société capable d’honorer le don de la Vie121. Comme image, l’existence du monde n’est pas seulement promesse, comme le pensait Schiller, elle est surtout victoire de la Vie en toute existence déjà unie à l’Absolu.
« Et c’est pourquoi heureux, celui qui a trouvé
Un Destin fait à sa mesure,
Où vient doucement bruire encore
Le souvenir de ses voyages et de ses peines
Sur ce rivage assuré,
D’où il puisse porter les yeux
Complaisamment partout, jusques à ces frontières
Que Dieu, par sa naissance
Lui avait assignées comme séjour.
Alors il s’adonne au repos, humble dans sa félicité,
Car tout ce qu’il avait tant voulu conquérir
Tout ce divin vient à présent, invaincu, l’entourer
De soi-même, et n’est plus que sourire
Pour cet audacieux qui a trouvé sa paix »122.
Notes de bas de page
1 Pourtant D. Julia rejette une telle comparaison, en estimant que le point de départ proposé par Husserl est inconciliable avec la philosophie de Fichte. Pour lui, l’évidence du monde posée dans une « préconscience » de l’existence est une forme de dogmatisme (cf. D. JULIA, La question de l’homme et le fondement de la philosophie, Paris, Aubier Montaigne, 1964, p. 199 à 201). D. Julia laisse ainsi de côté une piste féconde qu’explorera notamment K. Schuhmann (cf. K. SCHUHMANN, Die fundamentalbetrachtung der Phanomenologie, La Haye, Nijhoff, 1971). « Schuhmann formule cette question de la manière suivante : « l’incompréhensible n’est pas l’être du monde, mais l’action fondamentale du moi, la compréhension posant-un-monde de soi-même en tant qu’une partie de la nature » (op. cit., p. 122). Et la réponse qu’il donne est tout à fait conforme à l’esprit fichtéen « la conscience « a besoin » du monde en tant que résistance qui l’exhorte à la réflexion sur son essence propre » (ibid., p. 120). (R. Guilead, Le concept de monde selon Husserl, in Revue de Métaphysique et de Morale, 82 (1977), p. 345 à 364, p. 349). Quant à Hyppolite, il préfère s’en tenir à la simple possibilité d’une analogie de propos, voire d’esprit, entre Fichte et Husserl (cf. J. HYPPOLITE, L’idée fichtéenne de la Doctrine de la science et le projet husserlien, in Husserl et lapensée moderne, La Haye, 1959, p. 173 à 182). Mais même un simple repérage des thèmes concordant peut fournir les bases d’une interrogation plus fouillée sur les accords de méthode et de principe entre ces deux philosophies. Un tel travail a été entrepris récemment par M. RIOBO GONZALEZ, Phenomenological Convergences between Fichte and Husserl, in Husserl’s Legacy in Phenomenological Philosophies, A.T. Tymieniecka (ed.), Analecta Husserliana, XXXVI, Dordrecht/Boston/London, Kluwer, 1991, p. 269 à 281. De manière générale, voir H. TIETJEN, Fichte und Husserl, Frankfurt a. M., Klostermann, 1980.
2 Cf. R. LAUTH, Die Entstehung von Schellings Identitàtsphilosophie in der Auseinandersetzung mit Fichtes Wissenschaftslehre, Freiburg/München, Alber, 1975.
3 Cf. R. LAUTH, Hegel critique de la Doctrine de la science de Fichte, Paris, Vrin, 1987.
4 P. LIVET, Intersubjectivité, réflexivité et récursivité chez Fichte, in Archives de Philosophie, 50 (1987), p. 581 à 619, p. 587.
5 Ibid., p. 586.
6 Ibid.
7 Ibid.
8 D. HENRICH, La découverte de Fichte, in Revue de Métaphysique et de Morale, 72 (1967), p. 154 à 169, p. 168.
9 Cf. R. LAUTH, Le problème de l’interpersonnalité chez Fichte, in Archives de Philosophie, 25 (1962), p. 325 à 344 ; P.-Ph. DRUET, Fichte et l’intersubjectivité, Les thèses de Μ. A. Philonenko, in Revue Philosophique de Louvain, 71(1973),p.l34 à 143 ; K. HUNTER, Der Interpersonalitätsbeweis in Fichtes früher angewandter praktischer Philosophie, Meisenheim am Glan, 1973 ; A. SCHURR, Die Funktion des Zweckbegriffs in Fichtes Theorie des Interpersonalität, in Erneuerung der Transzendentalphilosophie, hrsg. von K. Hammacheru. A. Mues, Stuttgart, 1979, p. 359-372 ; V. HÖSLE, Die transzendentalpragmatik als Fichteanismus der Intersubjektivität, in Zeitschrift für philosophische Forschung, 40 (1986), p. 235 à 252 ; L. FERRY, Philosophie politique, t. 1, Paris, P.U.F., 1984, p. 147 à 180 ; A. RENAUT, Le système du droit, Paris, P.U.F., 1986 ; A. MASSULO, Fichte, L’intersoggetività e l’originario, Napoli, Guida Editori, 1986 ; I. RADRIZZANI, Vers la fondation de l’intersubjectivité chez Fichte. Des Principes à la Nova M ethodo, Paris, Vrin, 1993.
10 Cf. J.G. NAYLOR, La controverse de Fichte et de Hegelsurl’« indifférence », in Archives de Philosophie, 41 (1978), p. 49 à 67, p. 65 ; T.P. HOHLER, Intellectual Intuition and the Beginning of Fichte’s Philosophy : a New Interprétation, in Tijdschrift voor filosofie,37 (1975), p. 52 à 73 ;M. VETÖ, Les trois images de l’absolu, in Revue philosophique de la France et de l’Étranger, η. 1 (1992), p. 31 à 64.
11 Cf. F.W. VI315. Nous citons Fichtes Werke, Nachdruck, Berlin, de Gruyter, 1971. Fichte rappelle, en effet, que « les hommes ne sont unis et ne peuvent s’unir que par leur ultime destination » (F.W. VI 310 ; trad. Viellard-Baron, Vrin, 1969, p. 53). C’est « la loi de l’accord formel et total avec soi-même <qui> détermine aussi positivement la tendance à la socialité (...) » (ibid. ;trad.citée,p.52).VoirP. NAULIN, Philosophie et communication chez Fichte, in Revue internationale de Philosophie, 23 (1969), p. 410 à 441.
12 Cf. J. HABERMAS, Le discours philosophique de la modernité, trad. par Chr. Bouchindhomme et R. Rochlitz Paris, Gallimard, 1988, p. 353 et 354.
13 Cf. F.W.J. SCHELLING, Samtliche Werke (Augsburg/Stuttgart, Cotta, 1856-1861), I 399, VI129, VII13 et 14, VII 445, X 90 à 92, XIII 51 à 55. On dispose aujourd’hui en français de l’intéressante correspondance entre Fichte et Schelling, traduite par M. Bienenstock (Fichte/Schelling, Paris, P.U.F., 1991). Voir aussi I. GÖRLAND, Die Entwicklung der Frühphilosophie Schellings in der Auseinandersetzung mit Fichte, Frankfurt a. M., Klaustermann, 1973.
14 Cf. S.W. VII 351 et 352.
15 A ce propos, R. LAUTH, La différence entre la philosophie de la nature de la doctrine de la science et celle de Schelling expliquée à partir de deux points de vue caractéristiques de la seconde, in Archives de Philosophie, 51 (1988), pp. 413 à 429.
16 Cf. S.W. III 629.
17 Cf. S.W. III 606.
18 Voir, par exemple, F.W. VI 316 et 317.
19 Cf. A. RENAUT, De la philosophie comme philosophie du droit (Kant ou Fichte ?), in Bulletin de la société française de Philosophie, 80 (1986), en particulier p. 101 à 105. Voir aussi du même, Le droit sans la morale ?, in Archives de Philosophie, 55 (1992), p. 221 à 242, p. 234 et 235 : « le modèle élaboré en 1796 est une pure construction intellectuelle, destinée à montrer qu’il n’est point besoin de supposer la moralité des hommes pour concevoir une possible réalisation du droit dans le monde sensible (...) ».
20 Pour une vue d’ensemble sur la période allant de 1793 à 1799, Fr. NEUHOUSER, Fichte’s theory of subjectivity, Cambridge, Cambridge University Press, 1990, p. 32 à 65.
21 Cf. F.W. VI 140 et 141.
22 F.W. VI 117 et 118 ; trad. Barni (Payot, 1974), p. 138.
23 Cf. J. GREISCH, « Serviteurs et otages de la nature » ?, La nature comme objet de responsabilité, in Cahiers de l’Ecole des Sciences philosophiques et religieuses, 9 (1991), p. 43 à 79, p. 49.
24 J. FIABERMAS, Après Marx, trad. par J.-R. Ladmiral et M.B. de Launay, Paris, Fayard, 1985, p. 63.
25 Même si Fichte s’exprime encore en 1793 dans les termes du Droit romain (cf. A. PHILONENKO, Théorie et praxis dans la pensée morale et politique de Kant et de Fichte en 1793, Paris, Vrin, 1976, p. 180 à 182, ainsi que 185 et 186), la définition de la propriété par le travail introduit déjà l’idée monadologique de l’individu comme sphère d’activité autonome à préserver dans l’interaction sociale (F.W. VI 118). L’opposition avec la Rechtslehre est moins tranchée que ne le prétend Philonenko. L’objectif des Contributions, en effet, n’est pas de fonder le principe d’autolimitation de la communauté juridique, mais de lutter contre le penchant (Neigung) de l’État « qui le porte à s’attribuer tout le bien qui est dans la société, et à expliquer tout le mal qui s’y trouve par notre résistance à ses salutaires dispositions » (F.W. VI 145 ; trad. citée, p. 157). Et dire à cette époque que l’Etat historique n’est pas la source de la propriété ne constitue pas une contradiction avec l’affirmation, soutenue dans la Rechtslehre, que l’Etat de droit est seul habilité à justifier la propriété. Cf. A. PHILONENKO, Fichte, in Histoire de la philosophie, t. 2, La Pléiade, Paris, Gallimard, 1973, p. 921 ; voir aussi S. GOYARD-FABRE, L’interminable querelle du contrat social, Ottawa, Éd. de l’Université d’Ottawa, 1983, p. 247 à 250.
26 F.W. III 401, ainsi que 443 à 445 (L’État commercial fermé).
27 Cf. F.W. III 114 (la Recbtslehre, trad. Renaut, Paris, P.U.F., 1984, p. 129)
28 Ibid.
29 F.W. III 210 ; trad. citée, p. 221.
30 Ibid.
31 F.W. III 402 ; trad. Schulthess, Lausanne, L’Age d’Homme, 1980, p. 72.
32 F.W. III 211 ; trad. citée, p. 222.
33 Cf. F.W. III 119.
34 « (...) un pouvoir injuste est toujours faible, parce qu’il est inconséquent, et il a contre lui l’opinion générale, souvent même l’opinion de ceux dont il se sert comme instruments ; et il est donc d’autant plus faible et impuissant qu’il est plus injuste » (F.W. III 183 ; trad. citée, p. 196). Voir aussi F.W. VIII 434.
35 « (...) le droit à la persistance de la liberté absolue et à l’inviolabilité du corps (...) » (F.W. III 119 ; trad. citée, p. 134). Pour la comparaison avec Hobbes, voir W.H. SCHRADER, L’Etat et la société dans la « Grundlage des Naturrechts » de 1796 de J.G. Fichte, in Archives de Philosophie, 39 (1976), p. 21 à 34, p. 25 et 26.
36 Ibid.
37 Cf. F.W. III 212, ainsi que III 402.
38 F.W. III 210 ; trad. citée, p. 221.
39 Cf. F.W. III 211.
40 Ibid.
41 F.W. III 115 ; trad. citée, p. 130.
42 Ibid., Fichte parle de « das Gegebensein »
43 Cf. F.W. III 113.
44 Cf. F.W. III 119.
45 J.C. Goddard relit admirablement cette priorité de la volonté originaire comme le cœur de l’intuition intellectuelle constituant la liberté, l’arrachement au néant du Dieu créateur (cf. J.C. GODDARD, Le corps de l’homme, corps de Dieu, Incarnation et philosophie dans l’idéalisme allemand, in Le corps, Paris, Vrin, 1992, p. 164 à 187, p. 186).
46 Cf. F.W. VI 87. Voir B. GILSON, L’essor de la dialectique moderne et la philosophie du droit, Paris, Vrin, 1991, p. 152.
47 F.W. VI 298 ; trad. citée, p. 41.
48 Cf. ibid.
49 Cf. H. VERWEYEN, Recht und Sittlichkeit inJ.G. Fichtes Gesellschaftslehre, Freiburg/München, Karl Alber, 1975, p. 71.
50 Selon les Considérations, la direction de la volonté « dépend des causes physiques qui déterminent la mesure de notre pénétration. Je prends la résolution qui me paraît la plus utile et la plus avantageuse, et j’en ai parfaitement le droit, grâce à la permission de la loi morale. Ma volonté change nécessairement selon que mes lumières croissent ou décroissent. (...) Chacun a (...) le droit inaliénable de changer sa volonté suivant le degré de son perfectionnement, mais il n’a nullement celui de s’obliger à ne la changer jamais » (F.W. VI 160 ; trad. citée, p. 167).
51 Cf. F.W. VI 101, note a.
52 Cf. F.W. VI 62.
53 Cf. F.W. VI 84.
54 Cf. F.W. VI 82.
55 Cf. F.W. VI 59.
56 Cf. F.W. III 119.
57 Cf. F.W. III 111.
58 Cf. F.W. VIII 430.
59 Nous précisons ainsi l’argumentation de Fichte pour qu’on remarque aussi qu’il ne s’agit pas d’une reconnaissance de l’intersubjectivité constitutive de la conscience dans son rapport à soi-même. Il est possible d’envisager un individu isolé, non comme pur esprit, mais comme être sensible, corporel, appartenant à un monde, mais sans relation avec des semblables. C’est à partir de cette supposition que peut s’établir la genèse de la relation (cf. F.W. VI 295).
60 F.W. III 55 ; trad. citée, p. 70.
61 Cf. M. GUEROULT, La doctrine fichtéenne du droit, in Revue de Théologie et de Philosophie, 21 (1971), p. 209 à 220. On se souviendra également de la Nouvelle déduction du droit naturel de Schelling (1796), S.W. I 169 à 204, trad. par S. Bonnet et L. Ferry, in Cahiers de Philosophie politique, 1 (1983), p. 95 à 127.
62 Cf. F.W. III112. Voir M. GUEROULT, Nature humaine et état de nature chez Rousseau, Kant et Fichte, in Revue philosophique de la France et de l’Etranger, 131 (1941), p. 379 à 397.
63 C’est dans cette perspective que A. Renaut et L. Ferry insistent sur le dépassement de la troisième antinomie kantienne et de l’« antinomie » téléologique qu’implique la déduction de l’intersubjectivité (en tant que communauté de libre causalité réciproque) dans la Rechtslehre. Cf. A. Renaut, Le système du droit, op. cit., pp. 192 à 201 ; L. Ferry, Philosophie politique, t. 2, Paris, P.U.F., 1984, pp. 232 à 242.
64 Cf. F.W. IV 141 et 142.
65 F.W. IV 158 et 159 ; trad. P. Naulin, Paris, P.U.F., 1986, p. 152.
66 F.W. IV 135 ; trad. citée, p. 129.
67 F.W. III 115.
68 F.W. IV 134 ; trad. citée, p. 129.
69 Cf. F.W. III 182 à 184.
70 Cf. F.W. III 457 et 458 ; voir aussi F.W. V 537.
71 Cf. F.W. III 154, 158, 159, 160,168, 169, 177, 178 et 181.
72 Cf. F.W. VI 94 à 99. Sur la pauvreté et le scandale du luxe, voir aussi F.W. VI 183 à 186 (A. PHILONENKO, Théorie et praxis, op. cit., p. 186).
73 Cf. F.W. III 453 et 468.
74 Cf. F.W. III 423.
75 F.W. III 422.
76 F.W. III 463.
77 Cf. F.W. III 480.
78 Cf. F.W. III 513.
79 C’est le fameux Weltplan des Grundzüge (F.W. VII 6, 8 et 9).
80 C’est le principe de l’Aufklarung (F.W. VII 21 et 111).
81 Cf. F.W. VII 116 et 117.
82 Pour une caractérisation de la Wissenschaftslehre à partir de 1804, voir M. GUEROULT, Études sur Fichte, Paris, Aubier Montaigne, 1974, p. 138 et 139 ; ainsi que L’évolution de la structure de la Doctrine de la science, 2 tomes, Paris, Les Belles Lettres, 1930, t. 2, p. 189.
83 Cf. F.W. IV 382 à 386.
84 Cf. F.W. IV 389.
85 Cf. F.W. V 422 et 423.
86 Philonenko écrit même que « jamais Fichte n’a, comme Kant, réussi une « véritable vulgarisation », et que l’exposépopulaire bascule trop souvent du côté de la science » (A. PHILONENKO, Vie et spéculation dans l’« Anweisung zum seligen Leben », in Archives de Philosophie, 55 (1992), p. 243 à 261, p. 261).
87 Cf. F.W. V 414 et 415.
88 F.W.V401 et402 ; trad. de M. Rouché (Paris, Aubier Montaigne, 1944), p. 99.
89 Cf. F.W. V 403 et 404.
90 Dans les notes de sa traduction de la Wissenschaftslehre de 1804, D. Julia remarque que « La méthode que Husserl préconise pour la « réduction éidétique » nous rend plus familier le texte même de Fichte » (in La théorie de la science, Exposé de 1804, Paris, Aubier Montaigne, 1967, p. 101, note 27).
91 Cf. F.W. V 411 et 432.
92 Cf. F.W. V 402.
93 Cf. F.W. V 452.
94 Cf. F.W. V 453. Voir W. JANKE, Leben und Todin Fichtes « Lebenslehre », in Philosophisches Jahrbuch, 74 (1966/67), p. 78 à 97, p. 90.
95 Cf. F.W. V 440.
96 F.W. V 462.
97 F.W. V 457.
98 K. SCHUHMANN, Die Fundamentalbetrachtung der Phänomenologie, op. cit., p. 116.
99 Cf. F.W. V 462 et 463. Fichte parle de deux manières d’appréhender intérieurement le monde : celle qui aboutit à la position d’un objet infini et celle qui aboutit à la position d’une réflexion sur cet objet.
100 F.W. V 460.
101 Ibid.
102 Cf. F.W. VII 60 et 241.
103 Et non s’accomplit ou s’achève... Cf. F.W. VII230 à 236. La comparaison rapidement esquissée par Guéroult entre le point de vue de Hegel et celui de Fichte mériterait d’être repensée, car les propos fichtéens ouvrent sur une synergie de la religiosité et de la science dans la culture, synergie non conçue par Hegel. Cf. M. GUEROULT, L’évolution..., op. cit., p. 210 et 211, note 54.
104 F.W. V 472.
105 Ibid. Voir aussi F.W. XI 170 et 171.
106 Une « Église invisible », comme le suggère Fichte en F.W. V 536.
107 Cf. F.W. V 534.
108 Cf. E. HUSSERL, Fichtes Menschheitsideal, in Aufsätze und Vorträge (1911-1921), Husserliana, Bd. XXV, Dordrecht/Boston/Lancaster, Martinus Nijhoff, 1987, p. 267 à 293, sur l’Anweisung en particulier, p. 284 à 292.
109 Cf. E. HUSSERL, op. cit., p. 217.
110 Sur cette distinction, voir J. RIVELAYGUE, Leçons de métaphysique allemande, t. 2, Kant, Heidegger, Habermas, Paris, Grasset, 1992, p. 287 à 294.
111 Cf. E. HUSSERL, op. cit., p. 274 et 275.
112 Cf. H. VERWEYEN, op. cit., p. 68.
113 Cf. F.W. VI 101, note a.
114 Cf. F.W. VI 92 à 96.
115 Ce fait est laissé dans l’ombre par H. Tietjen (Fichte und Husserl, op. cit., p. 15, 205 à 209) qui critique, sur le mode heideggérien (p. 291) la conscience naïve d’un donné dans les philosophies transcendantales de Kant, de Fichte et de Husserl. Pourtant, le problème de la finalité permet précisément d’éclairer le dépassement du problème de la chose en soi tant chez Fichte que chez Husserl, grâce à une ontologie fondamentale des essences où se manifeste l’apriorité du monde pour et dans la conscience. Qu’il s’agisse de Fichte (p. 248-249) ou de Husserl (p. 230-231), Tietjen considère toujours l’idéal comme interne à la conscience (subjectif) et opposé à la transcendance absolue des objets d’expérience (p. 234), sans relier idées et essences et, dès lors, poser ouvertement la question du rapport entre monde et conscience.
116 Cf. J.C. GODDARD, Christianisme et philosophie dans la première philosophie de Fichte, in Archives de Philosophie, 55 (1992), p. 199 à 220, p. 215, note 77 : « Fichte est ici disciple de Luther : c’est l’Esprit qui constitue le fondement de toute volonté morale et non le libre arbitre ».
117 E. HUSSERL, op. cit., p. 277 et 278. Cité et traduit par J. BENOIST, Husserl : audelà de l’onto-théologie, in Les Etudes philosophiques, 1991, p. 433 à 458, p. 446.
118 Cf. E. HUSSERL, Ideen zu einer reinen Phànomenologie, Den Haag, Nijhoff, 1952, p. 167 à 169 ; trad. française (E. Escoubas, Paris, P.U.F., 1982), p. 235 à 238.
119 Cf. F.W. V 534.
120 F. W. V 527. Fichte parle du « monde nouveau qu’il s’agit de créer (erschaffen) au milieu du monde sensible par le moyen d’une moralité supérieure » (F.W. V 526 ; trad. citée, p. 240).
121 Cf. F.W. V 549. « A chaque instant, il sait avec précision que de toute éternité il saura ce qu’il veut et ce qu’il doit, que de toute éternité la source de l’amour divin qui a jailli pour lui ne tarira pas, mais le retiendra infailliblement et continuera éternellement à le guider » (trad. citée, p. 266).
122 F. HOLDERLIN, Le Rhin, trad. par A. Guerne, in Hymnes, Elégies et autres poèmes, Paris, Flammarion, 1983, p. 87.
Auteur
Facultés universitaires Saint-Louis/F.N.R.S.
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