Chapitre I. Le démoniaque et l’histoire
p. 13-29
Texte intégral
1Les réflexions qui suivent mériteraient plutôt de figurer sous le titre « les historiens et le démoniaque », n’était le risque d’encourir une accusation d’impérialisme pour la discipline historique. De fait, comme on va le voir, les historiens cèdent la place, pour l’extrême contemporain, aux ethnologues : il reste que l’observation des lectures opérées par les sciences humaines sur des phénomènes — figures du démoniaque plus que sur le démoniaque en soi — qui se manifestent entre le xve et le xxe siècle ressortit, tout compte fait, à l’histoire. On opposera donc nettement deux versants dans L'historiographie du démoniaque, à tout le moins celle qui est retenue ici, à l’exclusion des périodes plus hautes, Antiquité et Moyen-Age : la période dite moderne, tout spécialement celle qui s’étage entre la fin du xve et le milieu du xviie siècle, et qui constitue un âge d'or, à la fois pour les « diableries » et pour leur historiographie, et d’autre part la période dite contemporaine, où les dossiers, sans être négligeables, sont plus épars, et attendent encore une étude d’ensemble.
1. Le diable à l'époque moderne : glissements de l’anthropologie historique
2L’ampleur du matériau permet de distinguer le dossier historique proprement dit, qui sera rappelé à grands traits, du dossier historiographique, où deux auteurs seront isolés pour mieux mesurer l’évolution du regard scientifique.
Rappel historique
3La période considérée (fin xve-milieu du xviie siècle), laquelle englobe à la fois la Renaissance et l’âge baroque, marque incontestablement, bien plus que le Moyen-Age auquel on penserait spontanément, l’apogée, dans la culture européenne, des « diableries », sous deux formes distinctes, la sorcellerie et la possession.
4La période n’est pas tant marquée par la sorcellerie laquelle semble de toute époque — que par sa répression impitoyable, la chasse aux sorcières, le féminin se justifiant par le fait que 80 % des suppliciés sont des femmes. Procès et bûchers accumulés ont pu faire penser à une véritable « solution finale » (Cohn : 1982), dont le paroxysme se situe entre 1560 et 1630. Une nette diminution intervient après 1660, sauf en Pologne, où 46 % des exécutions ont lieu entre 1700 et 1750. Le phénomène est universel, du moins dans la sphère de culture européenne, et existe aussi dans le nouveau monde. Si les sorcières de Salem, dans le Massachusetts, ont acquis une célébrité littéraire, il n’en va pas différemment au Canada (Seguin : 1971). Certaines zones sont cependant plus touchées que d’autres : l’Allemagne, la Suisse, les Pays-Bas espagnols, la France (mais pas la France de l’ouest), l’Ecosse. En revanche, l’Italie et l’Espagne sont relativement épargnées, en dépit de la puissance locale de l’Inquisition, de même que, dans la sphère protestante, l’Angleterre. Les études prouvent que le phénomène est essentiellement rural, et affecte les catégories populaires : il semble étroitement lié à la culture villageoise et aux tensions intra-communautaires, ce qui est particulièrement avéré en Flandre (Muchembled : 1979 et 1987).
5Il en va différemment pour les phénomènes de possession, connus pour un certain nombre d’épisodes retentissants en France : affaire Gaufridy à Aix-en-Provence (1609-161 1), possédées de Louviers (1642-1647), d’Auxonne (1658-1663). Le tout est dominé par les possessions de Loudun (1632-1640), promues à la notoriété par une abondante littérature, et même le cinéma. Les dates traduisent un léger décalage chronologique par rapport à la chasse aux sorcières rurales. Mais le décalage morphologique et sociologique est plus important. Il s’agit en effet de phénomènes urbains, mettant en scène des milieux sociaux élevés et cultivés (curés, religieuses, etc.), ce qui va de pair avec une évidente individualisation. Enfin le lien paraît étroit avec un autre phénomène, celui du mysticisme. La géographie de la possession est largement calquée sur celle de la grande dévotion : l’affaire de Loudun est marquée par le passage du P. Surin, et le triomphe mystique final de la Mère Jeanne des Anges (de Certeau : 1970).
6Qu’il s’agisse de sorcellerie ou de possession, le paradoxe de la période réside dans le fait qu’on est loin des « dark ages » et de l’époque « gothique », puisque cette jonction du Moyen-Age et des Temps Modernes est aussi le théâtre d'un incontestable essor de la rationalité. Le Discours de la Méthode de Descartes n’est-il pas publié en 1637 ? C’est sans doute ce paradoxe qui explique l’abondance, depuis le xixe siècle, du dossier historiographique sur le démoniaque aux Temps Modernes, où l’on peut déceler des lignées d’interprétation et établir des généalogies interprétatives.
Le dossier historiographique
7C’est ainsi que La Sorcière (Michelet : 1862) a procuré une lecture peu ou prou « féministe » de la sorcellerie, réaction à la situation infériorisée et aliénée des femmes dans la société ancienne, dont les traces se retrouvent chez Robert Mandrou, le premier grand historien de l’« École des Annales » à avoir repris le dossier (Mandrou : 1968 et 1979). Dans un tout autre ordre d’idées, Margaret Murray, dans un ouvrage de 1921 (Murray : 1921) et surtout dans un article de l’Encyclopoedia Britannica reproduit jusqu’à une époque récente, a développé la thèse, issue de l’anthropologie frazerienne, de la survivances de cultes préchrétiens de fécondité. L’italien Carlo Ginzburg en est aujourd’hui le continuateur talentueux, mais un peu isolé (Ginzburg : 1966). Enfin Keith Thomas a insisté sur le rôle des facteurs essentiellement sociaux et intra-villageois (Thomas : 1971), suivi en cela par Robert Muchembled (Muchembled : 1979, 1987). Cependant tous ces auteurs s’intéressent aux sorciers plus qu’au diable lui-même, en tant qu’objet historique. Ceci commande donc de s’intéresser de plus près à deux auteurs qui, à partir des mêmes dossiers que ceux évoqués ci-dessus, ont centré davantage leur propos sur le diable lui-même.
8Joseph Turmel (1859-1943) et Jean Delumeau (né en 1923), historiens rennais tous deux au demeurant, sont totalement différents, tant dans leurs convictions que dans leur méthode1. Jean Delumeau, dans tous ses ouvrages, revendique une acceptation globale de la tradition chrétienne, mais dépoussiérée par la lecture historique : « je crois que nous avons raison de qualifier certains actes de “diaboliques”. Leur malignité paraît dépasser les possibilités d’un individu en particulier, de sorte que nous nous posons la question : s’agit-il d’actes purement “humains” ? Aussi voudrais-je, plus qu’on ne le fait d’ordinaire à notre époque, insister. Bible en main, sur l’existence et la puissance de Satan, l’Ennemi, l’Esprit du mal » (Delumeau : 1985, 76). Ce qui n’exclut nullement la nécessité, pour les Églises chrétiennes, de réviser le discours traditionnel sur l’Enfer, « Auschwitz éternel « (Delumeau : 1985, 81). Le professeur au Collège de France adopte en cela une attitude « moderniste », au sens propre du terme.
9Il se distingue par là radicalement de Joseph Turmel, catalogué souvent à tort dans la nébuleuse moderniste du début du siècle. Ce personnage est tout à fait atypique : prêtre ayant brutalement perdu la foi, il est resté nominalement clerc, devenu, sous des pseudonymes divers, missionnaire de la Libre Pensée, voué à la destruction méthodique des dogmes2 dont le caractère historique serait en lui-même la négation (Turmel : 1931-1936). Il appartient en fait à la branche radicale, à l’extrême-gauche du modernisme. Il n’est pas sans intérêt de comparer sa lecture des phénomènes diaboliques (Turmel : 1931) avec celle de Jean Delumeau analysant le spectre des peurs d’autrefois (Delumeau : 1978). Pour Turmel en effet, Satan est une simple métaphore servant à résoudre l’énigme du mal et de la souffrance, voués tous deux à disparaître au xxe siècle, devant le développement de l’esprit de solidarité et surtout devant la science. On se trouve là devant une idéologie très « Troisième République ».
10Ceci ressort nettement de la comparaison méthodologique, qu’il s’agisse de l’écriture historique ou des référents épistémologiques hors du champ historique. J. Turmel, en bon positiviste, fait de l’histoire pour démêler le vrai et le faux : accumuler les contradictions dans le discours sur le Diable permet de démontrer l’inanité des dogmes. Il relève ainsi que le thème de l’orgueil de Satan est très différent, avant et après Suarez. De même sur son activité malfaisante, dès avant la chute originelle : elle était considérée comme inexistante avant Origène, mais ce dernier a introduit l’idée que les anges avaient péché avant l’existence du monde. D’autres variations sont relevées sur la nature des démons : êtres corporels jusqu’au xiie siècle, purs esprits ensuite. L’Histoire du diable est un tribunal, et le lecteur un juré : « Fidèle au rôle de rapporteur, l’auteur se contentera de citer les textes, et laissera à chacun le soin de les entendre » (Turmel : 1931, 10). Des textes qui ne sont jamais remis en perspective dans leur contexte, lequel lui non plus ne semble pas exister pour Turmel ; comme si les théologiens étaient de « purs esprits » eux aussi. Au contraire J. Delumeau entend édifier une histoire des mentalités, et non de la théologie comme son prédécesseur. Loin de rechercher les contradictions, il recherche la cohérence dans les discours, aussi étonnants paraissent-ils à l’homme du xxe siècle. La clé en est extra-rationnelle, dans cette atmosphère obsidionale, nourrie pêle-mêle par les calamités épidémiques, le péril turc, la déchirure de la Réforme, qui marquent la fin du Moyen-Age et le début des Temps Modernes3.
11Les références scientifiques, hors de l’histoire proprement dite, sont étonnamment contrastées chez nos auteurs. Turmel ne jure que par les sciences de la Nature, en leur état du début du xxe siècle, très marqué par l’évolutionnisme de Darwin et surtout de Spencer. De là son insistance, jusqu’à l’obsession, sur le développement, la variation, la métamorphose, à quoi rien n’échappe dans l’Univers : « Le diable n’a pas échappé à la grande loi de l’évolution », et il n’est donc pas le même au iie siècle, au ive, au xie, au xiiie etc. J. Delumeau se tourne en revanche vers les sciences humaines, en leur état de la fin du siècle, alors que Turmel semble ignorer totalement Durkheim, Weber, etc., pourtant ses contemporains. Le spécialiste de la peur subit l’influence de l’ethnographie, mais aussi de la sociologie, de la psychologie (Thomas Sasz en particulier).
12On ne s’étonnera pas que le résultat soit deux lectures opposées du phénomène diabolique, à partir pourtant de prémisses très voisines. L’un comme l’autre en effet soulignent la survivance, sous le vernis chrétien, de l’ancien animisme polythéiste dans la culture populaire. J. Turmel distingue nettement les démons, au pluriel, du Satan individualisé, issu selon lui de l’ancienne métaphysique dualiste : « Quant aux démons, dont les origines se confondent avec celles des bons anges, ils dérivent de l’époque où les hommes, semblables en cela aux sauvages et aux enfants d’aujourd’hui, attachaient la vie à tous les objets extérieurs. Ils sont des survivances de l’animisme primitif. » (Turmel : 1931, 133). On pense bien sûr au monde, encore « enchanté », au sens weberien du terme. De la même façon J. Delumeau, discutant les thèses de Michelet, Mandrou, K. Thomas, J. Caro-Baroja (1972), C. Ginzburg, aboutit à la notion de syncrétisme pré-tridentin.
13Mais audelà, nos deux auteurs utilisent de façon parfaitement symétrique la dialectique du savant et du populaire dans le champ religieux. Le premier soutient la thèse de l’imposition du Diable aux intellectuels, le second celle de l’imposition du Diable par les intellectuels. Dans toute son œuvre en effet, Turmel oppose l’obscurantisme populaire (le peuple étant composé selon lui par les laïcs, le bas-clergé, les moines) et la rationalité des théologiens. Le conflit entre les deux est multiséculaire, et tourne toujours, malheureusement, à l’avantage de la conscience populaire. Les exemples en sont très nombreux. Ainsi à propos de l’aporie que constitue la souffrance des âmes (purs esprits) en enfer, du fait de la chaleur, phénomène matériel. Pour Saint Thomas, rejoint sur ce point par J. Delumeau, l’enfer est la peine d’enfermement, de privation de Dieu. Mais Turmel relève que « la théorie de saint Thomas, adoptée par tous les grands scolastiques, se heurtait à la croyance populaire. Elle s’y est brisée. Presque tous les théologiens enseignèrent, depuis le xvie siècle, que le feu de l’enfer n’est pas n’est pas seulement pour les démons et pour les âmes des damnés avant la résurrection un lieu de détention, mais qu’il est aussi un lieu de douleur physique (...) La dictature de saint Thomas ne doit pas faire illusion, elle s’arrête devant la foi des fidèles » (Turmel : 1931, 99). Il en va tout pareillement à propos de la capacité supposée des sorciers à produire des tempêtes. Cette croyance populaire et antique aux maléfices, interdite au Haut Moyen-Age, figure pourtant dans le Maliens Maleficiarum du Dominicain allemand Sprenger, vademecum de l’inquisiteur, publié en 1486. Le progrès du diable, c’est la défaite de l'intelligence, et la capitulation des théologiens est un double attentat. Un attentat contre la justice, puisque le brûlement des hérétiques et/ou des sorciers est d’abord une pratique populaire, sans statut juridique avant le xiie siècle : « au xiie siècle, un pape se rencontra qui consacra et inscrivit dans le droit canon la coutume issue des passions populaires » (Tunnel : 1931, 254). L’attentat contre la logique est peut-être pire aux yeux de Tunnel. Ainsi en va-t-il du problème de la tentation : si la nature humaine est pécheresse d’elle-même, quel besoin est-il du diable4 ?
14J. Delumeau, se plaçant dans la perspective plus ou moins populiste, dominante chez les historiens actuels, spécialement ceux des mentalités, défend un point de vue totalement inverse, celui d’une contamination des classes populaires par la théologie savante, au prix d’une sorte de descente par capillarité. Il existe en réalité deux types de diables et de démoniaque. Le diable populaire n’est pas affecté d’un nom biblique, mais d’un patronyme local (Robin, Grappin, Pieranet, etc.). Il n’est pas noir, mais souvent vert, bleu ou jaune. Comme le prouvent de nombreuses légendes, il peut être amadoué et bienfaisant. Le P. Le Nobletz, dans ses missions en Basse-Bretagne au xviie siècle, relève avec stupéfaction que les populations font des offrandes au diable, inventeur du blé noir. Le diable savant est celui des théologiens, des juristes, des écrivains, des souverains. Ce personnage terrifiant et hideux, qui fait partie du complexe obsidional et de l’inculcation terroriste de la foi, a été volontairement et sciemment imposé par les élites. Le moyen essentiel a été l’imprimerie, en la matière vecteur de l’obscurantisme5.
15Il va de soi que le même matériau historique, dans ces conditions, revêt une signification tout à fait opposée. C’est le cas pour le De praestigiis demonum (1569) de Jean Wier, connu pour avoir, en avance sur son temps, demandé l’indulgence pour les sorciers. Alors que Turmel fait un éloge grandiloquent du progressiste Wier (« son livre fait époque dans l’histoire de l’émancipation de l’esprit humain »), J. Delumeau le classe sans ambages dans la littérature démonologique, car Wier « croyait de toutes ses forces à la puissance de Lucifer et de ses agents ». Quant à son indulgence pour les sorcières, elle vient de ses préjugés de médecin du temps à l’endroit de la faiblesse des femmes, et de leur incapacité à résister à la séduction diabolique.
16De la même façon, la question cruciale de l’aveu de la sorcière face au juge — qui persuade l’autre, en dernière analyse ? — reçoit des réponses significatives. Turmel est manifestement l’héritier de Michelet lorsqu’il insiste sur la conviction indéracinable des accusées6. A l’inverse, J. Delumeau, auteur écrivant après les procès de Moscou et la réflexion sur les techniques de l’aveu (Delumeau : 1978, 381-382) montre que les questions contiennent en général les réponses et que l’inculpé, par un phénomène d’auto-persuasion, répond ce que souhaite l'interrogateur.
17A bien y regarder cependant, nos deux auteurs n’utilisent pas tout à fait le même corpus de matériaux, et la comparaison est révélatrice des différences d’époque, de formation, mais aussi de statut. Les lacunes observables s’inscrivent réciproquement en creux. J. Turmel ignore superbement et la littérature profane, et l'iconographie. Ce théologien ne connaît et n’estime que les théologiens7. D’où des centres d’intérêt sensiblement différents de ceux de l’auteur contemporain : le problème de la corporéité ou spiritualité du diable, qui occupe 18 pages chez Turmel, ne retient J. Delumeau que pour 6 lignes. A l’inverse, l’absence de toute perspective ethnologique ou sociologique conduit Turmel à ne concéder qu’une incidence marginale au problème de la femme8, comme créature liée au diable, alors qu’un long chapitre lui est consacré par l’auteur de La Peur en Occident. Ce dernier, comme désormais tous les historiens des mentalités9, recourt abondamment à l’art et à l’iconographie : « auparavant abstrait et théologique, voici Satan qui se concrétise et revêt sur les murs et les chapiteaux des églises toutes sortes de formes humaines et animales ». Turmel en revanche ne semble avoir jamais vu de tympans sculptés, de tableaux de Jérôme Bosch ou de bois gravés. Cette impasse complète sur la sémiologie et l’imaginaire diaboliques reflète, outre l’appartenance à la galaxie Gutenberg, l’indigence de culture esthétique du clergé de la fin du xixe siècle.
18Il est juste de reconnaître que de son côté, J. Delumeau semble n’accorder qu’une faible importance à la liturgie et au rituel, qui sont au contraire très présents chez le prêtre, le fût-il resté seulement nominalement, technicien en la matière : « sans liturgie, il peut y avoir une doctrine philosophique, il n’y a pas de religion ». Dans la conception turmélienne du conflit entre la théologie spontanée du peuple et celle, rationnelle, des savants, le lieu du compromis est précisément la liturgie, le rituel. L’Histoire du Diable fait une large part aux exorcismes et à leurs formulaires (bénédiction du sel et de l’eau, exorcismes du baptême, des démoniaques, etc.), et elle présente de façon détaillée le rituel romain, généralisé vers le milieu du xixe siècle en France (Gough : 1986). Or le rituel pèse considérablement sur les représentations du diable, comme on le voit à propos du problème théologique du « domicile » du diable. A la conception traditionnelle du domicile aérien ou terrestre de celui qui « rôde comme un lion rugissant » s’opposait la conception nouvelle de saint Thomas : les démons déjà en enfer pour tourmenter les damnés, contradictoire avec le rituel10. J. Delumeau a d’ailleurs depuis largement comblé ce relatif déficit en matière d’exploitation des rituels11.
19L’intérêt de ces deux lectures historiques inversées, apparemment sans lien au demeurant12, réside dans le fait que vis à vis du démoniaque, il semble s’être produit une sorte de renversement, de retournement, un peu comme l’Umstülpung opérée par Marx à l’endroit de Hegel.
2. Fragments d’un discours sur le diable à l’époque contemporaine
20Les xixe et xxe siècles, au moins dans la sphère européenne, n’offrent pas l’équivalent du dossier des « diableries » des xvie et xviie. Le diable semble être refoulé à la marge, bien que persiste à l’évidence une culture du démoniaque.
Au xixe siècle
21Il n’existe pas d’enquête historiographique systématique. De nombreuses pistes sont possibles, à commencer par l’étude des rituels de protection dans les paroisses rurales. Lors des apparitions mariales, les enquêtes canoniques cherchent à prouver, entre autres, le caractère non diabolique des phénomènes (Cristiani : 1959). Le clergé missionnaire rencontre Satan, sous des avatars variés, dans les contrées exotiques (Pirotte : 1973, 285-287). L’occultisme et le spiritisme connaissent la vogue que l’on sait (Ladous : 1989). On se limitera ici à deux épisodes, célèbres mais fort contrastés, par où s’est esquissée une « médiatisation » du démoniaque au siècle dernier : l’histoire du curé d’Ars et le canular de Léo Taxil.
22Le dossier de Jean-Marie Vianney, récemment enrichi à l’occasion du bicentenaire, a nourri deux traditions historiographiques différentes, à en juger par le statut réservé à la riche collection d’anecdotes relatives aux rapports du saint prêtre avec le démon. La première, de type « réaliste », insiste sur la matérialité des faits. L’abbé Renoud y consacre tout un chapitre et refuse de prendre « des précautions oratoires. Il suffit d’affirmer qu’il est stupide de raisonner contre des faits » (Renoud : 1909). Il en va de même pour la biographie écrite par Mgr Trochu, longtemps ouvrage de référence (Trochu : 1925, 281 - 303). Cette veine connaît aujourd'hui une double postérité. Celle du fondamentalisme néo-catholique dans un ouvrage composé par un séminariste « par un jeune, pour les jeunes », qui souligne la matérialité et l’influence du diable qui « nous matraque sans cesse par les plaies des sociétés de consommation » (Réville : 1986, 137). Celle de la biographie populaire chez un auteur connu par ailleurs pour ses romans policiers13. Une prière d’insérer de 27 lignes n’en consacre pas moins de 13 aux diableries, tandis que le style, très romanesque, développe à plaisir l’art de suggérer l’atmosphère, l’angoisse, le mystère, voire la pointe d’érotisme, traditionnellement inséparable du démoniaque14.
23Ces vues traditionnelles n’excluent pas l’apparition d’un corpus d’ouvrages de type savant. Tous s’appuient sur les publications d’archives (Nodet : 1958 ; Fourrey : 1964 et 1971), égrenées, ce n’est pas un hasard, autour de la période du Concile de Vatican IL La qualité d’évêque de Belley donne un certain poids au positivisme de Mgr Fourrey qui, évoquant des phénomènes hallucinatoires, se réfugie derrière les témoignages, en particulier celui du sceptique abbé Raymond, et conjugue beaucoup de verbes au conditionnel. Dès lors les ouvrages de vulgarisation « officielle » — au sens où ils sont dûs à des auteurs d’esprit ouvertement conciliaire — tendent tous à minimiser les « diableries », comme l’avait déjà fait, en son temps, Henri Ghéon15. L’un veut faire la part de la légende, des crises de conscience, du « système de défense » de J.-M. Vianney (Pézeril : 1959), un autre veut « ramener merveilles et diableries à leurs justes proportions », car les paroissiens, qui avaient plus peur que leur curé, en ont rajouté (Joulin : 1986), un troisième traite résolument par prétérition ce sur quoi « on a trop dit » (Dupleix : 1986).
24L’existence de ces deux corpus, sensiblement différents, invite à une relecture du dossier dans une perspective anthropologique, attentive aux phénomènes de culture16. Les dénominations opposent, dans la bouche du curé d’Ars et de son entourage, les occurrences rares et de type littéraire, « Satan », « diable » et les occurrences fréquentes : « démon », terme consacré dans la prédication, et « grappin », terme récurrent dans les entretiens familiers — le diable du village et au presbytère —, et qui relève du lexique populaire. Les modalités du démoniaque sont au nombre de trois. La tentation est celle de Monsieur Vianney lui-même, à différents moments, celle surtout des paroissiens, à travers les bals publics17, celle enfin des pénitents accourus de toutes parts. La possession se rencontre précisément parmi ces derniers, en des épisodes spectaculaires, qui mettent en relief les réticences du curé d'Ars, d’ordre juridique, renvoyant aux exorcismes de l’ordinaire diocésain18, et souhaitant avoir une relation seulement spirituelle avec les pénitents, en refusant ce qu’il appelle le « Carnaval ». Reste la « présence réelle », concrétisée par les très nombreux assauts du « grappin ». On observe le passage de la peur, avec les tours de garde initiaux des jeunes gens au presbytère, à l’accoutumance. Surtout, les assauts redoublés ont de plus en plus valeur de signe, et annoncent l’arrivée prochaine d’un grand pécheur, d’un « gros poisson ». Ils s’intègrent donc dans la sorte de « mission immobile » que s’est assignée le curé d’Ars, et contribuent ainsi à justifier le pèlerinage (Boutry : 1980).
25L’intelligibilité du démoniaque sépare nettement deux camps. Parmi les « pour », les gens qui participent de la culture rurale populaire, J.-M. Vianney tout le premier, et baignent dans un univers admettant comme allant de soi les interventions diaboliques, la possession, les exorcismes, etc. La spiritualité rigoriste du curé d’Ars, elle-même héritée de sa formation dans le milieu du clergé réfractaire lyonnais, fait le reste : hantise de la damnation personnelle, conscience de l’omniprésence du mal en nous et autour de nous, nécessité absolue de la mission. Ultérieurement, l’apologétique ultramontaine insiste sur les phénomènes surnaturels, qui ont valeur d’ordalie (Hunermann : 1959). Les « contre » se recrutent parmi la bourgeoisie rurale, celle-même qui porte les valeurs du Satan révolutionnaire, mais aussi parmi l’Aufklärung catholique, les confrères du curé d’Ars, à commencer par son propre vicaire, l’abbé Raymond, toujours prompt à rechercher des explications physio-psychologiques.
26Au total, on retrouve avec J.-M. Vianney la problématique classique des cultures, savante et populaire. Le phénomène nouveau est la polarisation sur un individu hors du commun, réunissant à la fois le statut de la victime des persécutions démoniaques et du détenteur de pouvoirs extraordinaires (prévision de l’avenir, etc.). Surtout, la vie de Monsieur Vianney réactualise avec éclat le thème du combat contre le démon, preuve essentielle de la sainteté.
27Le rapprochement avec l’affaire Léo Taxil, un demi-siècle plus tard, n'est pas sacrilège si l'’on considère que des traits culturels voisins s’y retrouvent. Bien connue aujourd’hui (Weber : 1964), la mystification commence avec la publication en 1893 du Diable au xixe siècle, par le docteur Bataille, « enquête scientifique ». L’ouvrage délivre en effet ce que nous appellerions aujourd’hui un scoop, les révélations d’une jeune américaine, Diana Vaughan, prêtresse d’une organisation maçonnique et luciférienne, le Palladium. L’enquête, menée à l'échelle mondiale (en Europe, en Inde, aux États-Unis, et tout particulièrement à Charleston) révèle l’action tentaculaire d’une internationale luciférienne. Les rites sataniques sont décrits de façon très précise, avec des illustrations très évocatrices, tandis qu’est révélée l’existence de crimes commis par la franc-maçonnerie : la mort de Léon XIII, de Thiers, etc. L’ouvrage évoque un Satan à la fois très traditionnel, héritier de l’iconographie de la fin du Moyen-Age, et un Satan plus moderne, de type faustien : beau jeune homme séducteur, voire agent secret, préparant la guerre bactériologique. L’enjeu est la domination du monde par les forces du bien, l’Église, ou par les forces du mal, associées dans la trilogie : Franc-Maçonnerie, Juifs, Lucifer.
28L’ouvrage du Docteur Bataille connaît un grand succès d’opinion, tout spécialement auprès de la Revue Catholique de Coutances, et de la Semaine Religieuse de Grenoble, bulletin diocésain de Mgr Fava, inspirateur par ailleurs de la revue La Franc-Maçonnerie démasquée. La Croix s’en fait également l’écho. En revanche Le Monde, La Vérité et l’Univers expriment une méfiance qui, selon Mgr Fava, accrédite le complot maçonnique lui-même. Parmi les crédules de marque, Thérèse de Lisieux. Sans doute sous l’influence de son oncle Guérin, qui lui transmet ce genre de littérature, Thérèse devient fascinée par Diana Vaughan, à qui elle écrit, envoie sa photo ; elle prie pour sa conversion. Tout ceci s’explique par la conscience très aiguë qu’a la Carmélite de la présence du diable dans le monde19. Elle écrit une pièce inspirée par les récits de Diana Vaughan, jouée par les novices en 1896 (Piat, 1964, 264). Or l’année suivante, Léo Taxil révèle que le Docteur Bataille, c’est lui. Journaliste et pamphlétaire connu pour son grossier anticléricalisme, il a feint une conversion au catholicisme le plus dévot en 1885. C’est lui qui a monté toute l’affaire, déchaînant à sa révélation un énorme éclat de rire et la consternation dans beaucoup de milieux catholiques.
29La farce doit être replacée dans son contexte. C’est d’abord celui du complexe obsidional catholique, qui réactualise sans cesse depuis la Révolution française et l’abbé Baruel le thème de l’assaut de Satan contre le catholicisme, en liaison avec la franc-maçonnerie. L’Encyclique Humanum Genus de 1884 en est l'illustration20. C’est ensuite l’irrationalisme culturel d’un xixe siècle qu’on ne saurait réduire aux valeurs, dominantes, du positivisme et du scientisme. Les illustrations littéraires en sont nombreuses, de Balzac à la littérature russe (Dostoïevski), pour arriver à un naturalisme satanique « fin de siècle » avec Huysmans et surtout Léon Bloy. Il faudrait connaître les lectures, ostensibles ou clandestines, du monde catholique de l’époque, pour comprendre l'incontestable récurrence du démoniaque au xixe siècle, par rapport au xviiie. La question de savoir s’il s’agit d’un simple mouvement de balancier est-elle éclairée par l’observation du siècle suivant, le nôtre ?
Au xxe siècle
30Il existe pour cette période, par rapport aux autres, un déficit en études scientifiques, comparé à la prolifération de la littérature ésotérique et illuministe. Les travaux disponibles montrent cependant une séparation entre ce qui avait été « soudé » aux xvie et xviie siècle, c’est-à-dire la croyance au diable, apparemment en diminution, et les pratiques de sorcellerie, toujours vivaces.
31La distanciation par rapport au démoniaque est vérifiable aussi bien dans la conscience collective que dans le discours du catholicisme savant. Deux grandes enquêtes historiques sur l'évolution des sensibilités convergent remarquablement. Les images de dévotion diffusées en Belgique font apparaître, à partir de 1925, un au-delà à la fois plus flou et plus rassurant, et un recul de la présence de Satan, au moins dans les images mortuaires (Pirotte : 1987). A Limerzel, en Bretagne morbihannaise, le basculement est spectaculaire depuis la dernière mention de l’enfer dans le Bulletin paroissial, en 1965 : « On a eu le crâne bourré de ça, l’enfer, le purgatoire, et tout ça. Maintenant, ils n’en parlent plus, il ne doit plus y en avoir (...) Allez donc savoir, on verra quand on y sera, ou on ne verra rien » (Lambert : 1985, 361).
32Les sondages, avec toutes les précautions que requiert évidemment l’interprétation, surtout sur ces questions où l'enquêté risque de répondre sur ce qu’il estime légitime de croire plus que sur sa conviction propre, témoignent de l’érosion. A propos de l’existence de l’enfer, les Français répondent en 1986 (sondage SOFRES Le Monde) :
Réponses | Ensemble | Pratiquants Réguliers |
Oui | 25 % | 53 % |
Non | 59 % | 32 % |
Sans réponses | 16 % | 15 % |
33Quant aux jeunes de 10-15 ans (sondage Bayard-Presse, 1990), ils répondent à la question : le diable existe ?
Oui | 18 % |
Non | 59 % |
Ne sait pas | 4 % |
34Il semble qu’il faille observer là la disparition d’un socle culturel, même s’il faut nuancer par les constats opérés, par exemple aux États-Unis21.
35Le faible renouvellement du discours tenu sur le diable dans le discours du catholicisme savant n’est pas sans suggérer un processus analogue. On a réédité tel quel, trente ans après, le volume collectif sur Satan publié en 1948 par les Études Carmélitaines. Ce volume est lui même très « situé » historiquement dans l’Europe de l’après-nazisme, et opère un double déplacement : psychologisation et historicisation (H.I. Marrou), métaphorisation du diable, qui passe au second plan derrière la question essentielle, celle du Mal. Quelques mois plus tard, la revue Communio publiait un numéro spécial, Satan, mystère d’iniquité, (1979) non sans parenté avec l’ouvrage précédent. Il existe davantage d’interrogations en revanche dans un ouvrage récent de Pascal Thomas (Thomas : 1989).
36Ceci n'exclut nullement une attitude inverse de non distanciation, dans une néo-ethnographie de la sorcellerie. La dernière décennie a été en effet le théâtre d’un phénomène intéressant dans le champ des sciences humaines, l’abolition consciente de la distance entre l’observateur et les observés, entre la culture savante et la culture populaire. Un véritable nouveau discours sur la sorcellerie a ainsi vu le jour.
37La tradition ethnographique, de Van Gennep (France) à E. de Martino (Italie) reposait en effet sur la grande distance culturelle, technique, etc. entre le savant, venu d’ailleurs, et les phénomènes observés dans des cultures rurales, archaïques, à faible degré de technicité. L’observation était extérieure, avec des médiations, telles, pour Van Gennep, celle des instituteurs, censés assurer l’interface entre les deux cultures. En parallèle se dessinait une médicalisation croissante des observations, à travers la configuration du délire de sorcellerie, relevant de la psychiatrie, et aboutissement logique de l’évolution repérée par R. Mandrou au xviie siècle (Mandrou : 1968). Outre que l’éthnopsychiatrie a amassé un important matériau sur la sorcellerie, elle a fini par influencer le clergé lui-même22.
38D’où le caractère radicalement différent, perçu comme provocateur, d’une ethnographie d’un nouveau genre (J. Favret-Saada, 1979 : 1981 ; D. Camus : 1988, 1991). Il s’agit en effet, sur le terrain, d’enquêtes-participation, aspect le plus controversé de la méthode, par l’entrée dans les réseaux et les circuits. J. Favret-Saada, orientaliste du CNRS, spécialiste de la violence dans les systèmes tribaux arabes, a choisi de s’installer dans le bocage de la Mayenne. Après six mois d’observation, elle « entre » dans le système en acceptant de voir dans une accumulation d’incidents (la maladie de son fils, des accidents de voiture à répétition) des signes d’envoûtement, et en cherchant le désenvoûtement. D. Camus, jeune ethnologue, travaille, lui, dans son pays d’origine en Haute-Bretagne, entre Rennes et Dinan. Connu, il passe directement au contact avec les désenvouteurs sans subir les avanies de J. Favret, exerçant sur ce milieu son métier d’anthropologue (repérage social précis, description minutieuse des gestes, entretiens plus ou moins directifs).
39Le résultat permet d’entrevoir la recomposition en cours dans le champ de la sorcellerie contemporaine, en un curieux mélange de tradition et de modernité. Le conservatoire archéologique se marque dans la liaison avec le malheur biologique (santé des humains, des animaux, problèmes sexuels), mais aussi dans l’importance des faits de langage et des effets d’annonce, qui révèlent la situation d’envoûtement. La conservation des panoplies (Grand et Petit Albert, poupées, philtres, etc.) donne une impression de déjà vu, y compris par rapport aux procès des xvie et xviie siècles. De même pour l’innéité du « don », qui ne se révèle que plus ou moins tard dans la vie.
40Mais l’innovation est tout aussi présente. Le système de relations sociales n’est plus le même. On a évoqué plus haut la grande époque de chasse à la sorcière du village, rejet hors de la communauté d’une sorte de bouc émissaire (Muchembled, 1979). Au xxe siècle en revanche l’espace géographique a été dilaté par les facilités de communication ; mieux, la distance est recherchée, à plus de 20 kilomètres au moins. Le caractère marchand des services est très accusé : les sorciers de D. Camus affectionnent les voitures luxueuses, et des sommes colossales sont parfois en jeu.
41Les sphères culturelles ont évolué. Le monde rural est désormais très fortement marqué par la rationalité technique : les machines agricoles complexes, les porcheries industrielles, la gestion comptable, etc. créent de nouvelles « cibles » pour les « sorts ». La frontière entre ville et campagne se relativise ; des citadins, y compris de rang social élevé, participent aux circuits, où interfère également le monde exotique de la sorcellerie africaine immigrée. Le trait le plus accusé est l’autonomisation des comportements religieux. La raréfaction et la déruralisation du clergé le place de plus en plus à l’extérieur de ce champ de forces, ce qui n’était pas le cas au xixe siècle. Des entreprises religieuses autonomes, de type sectaire, sont même possibles derrière tel ou tel mage rustique (Favret, 1979). Et la faible référence au diable traduit une phénomène de sécularisation de la sorcellerie, qui tend à fournir une preuve à l’hypothèse de J. Delumeau : il y aurait bien eu diabolisation forcée de la sorcellerie.
42L’histoire du diable, n’en déplaise à J. Turmel, reste encore largement à faire, tant il reste de trous, de discontinuités dans le discours historique, en particulier pour le xviiie siècle. Le problème étant de savoir si l’on fait l’histoire du diable, ou de ses métaphores, c’est-à-dire le démoniaque. Le phénomène semble à envisager à une double échelle. A la micro-échelle des relations interpersonnelles, le sorcier, avec ses invariants et ses évolutions. A la macro-échelle des fantasmes collectifs et des personnifications du mal global, permettant les renouvellements successifs de l’Antéchrist et des « forces du Mal » : le complexe obsidional des Temps Modernes, le complexe post-révolutionnaire au xixe siècle, et enfin les complexes du xxe siècle. Auschwitz et le Goulag ont amené l’enfer sur terre, en attendant le « grand Satan » des islamistes radicaux.
Bibliographie
Références bibliographiques
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Notes de bas de page
1 M. LAGREE, « Histoire religieuse et herméneutique. Notes sur un retournement », dans Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, t. 88, 1981, no 2, pp. 207-214.
2 Sur Turmel, cfr Kurt Peter GERTZ, Joseph Turmel. Ein theologiegeschichtlichen Beitrag zum Problem der Geschichtlichkeit der Dogmen, Berne-Francfort, K.P. Lang, 1975.
3 On sait que l’auteur s’est employé depuis à nuancer cette vision sombre (Delumeau, 1989).
4 « La doctrine augustinienne du péché originel tendait logiquement à supprimer comme inutile le rôle du Diable dans la tentation. Naturellement, on ne donna pas suite aux réclamations de la logique » (Turmel 1931, 145).
5 « Il n’est pas exagéré de dire que l'imprimerie a été une « machine diabolique », dans la mesure où elle a mieux fait connaître le visage et les dons incroyablement divers de l’Ennemi des hommes » (Delumeau : 1978, 239).
6 « A la dénégation des canonistes et des théologiens, les femmes qui assistaient aux assemblées nocturnes de sabbat opposaient leur expérience personnelle. Et les fidèles, témoins de la conviction absolue des sorcières, prenaient parti pour elles. Pendant que les théologiens disaient : “le sabbat des sorcières n’est qu’une invention diabolique”, le peuple répliquait : “le sabbat des sorcières est une réalité” ; il y avait conflit entre les théologiens et le peuple. Les conflits de ce genre, qui ne furent pas rares, se terminèrent ordinairement par la victoire du peuple. Ici, la bonne règle fut observée : le peuple refusa d'abandonner ses positions, et les théologiens capitulèrent (Turmel 1931, 190-191).
7 « C’est donc avant tout un chapitre d’histoire de la théologie que l’on écrit ici. » (Turmel 1931, 10).
8 Avant Origène, on estime que les mauvais anges ont été attirés sur terre par les femmes des hommes, qui ont donc été artisans de la chute originelle.
9 Voir par exemple Jérôme BASCHET, Les conceptions de l’Enfer en France au xive siècle : imaginaire et pouvoir, dans Annales, Economies, Sociétés, Civilisations, janvier-février 1985. Il montre la percée de Satan dans l’image. Satan est encore peu distinct au xixe et xe siècles, puis le champ démoniaque tend à se polariser entre ses différents acteurs. Au xiiie siècle apparaît la chute des Anges et les Jugement Dernier ; l’évolution s’achève au xve siècle, avec la représentation de la prééminence « royale » de Satan sur son trône.
10 « Disons maintenant que la croyance traditionnelle, expulsée de la théologie, trouva un refuge dans le peuple et dans la liturgie. Sans souci des docteurs et de leurs conceptions révolutionnaires, les fidèles continuèrent de croire que le diable rôde autour d’eux. Et l’Église, qui chassait le diable du corps des possédés, qui interdisait sous les peines les plus graves les pactes avec le Diable, ne changea rien à sa pratique. Avec leurs innovations, les théologiens n’aboutirent qu’à se mettre en état de révolte contre le rituel. » (Turmel 1931,83).
11 Il y consacre les chapitres 1 et 2 de son ouvrage sur le sentiment de sécurité (Delumeau, 1989), parlant d’un dossier « sous-exploité ».
12 Sous bénéfice d’inventaire, La Peur en Occident ne contient aucune référence à l’Histoire du Diable.
13 Maurice PERISSET, La vie extraordinaire du saint curé d’Ars, Paris, Garancière, 1986. M. Périsset est l’auteur de Péril en la demeure, Prix du Quai des Orfèvres en 1983. On relèvera l’effet de légitimation procuré par le sous-titre, Jean-Paul II à Dardilly, imprimé en aussi gros caractères que le titre.
14 L’auteur imagine ce dialogue entre le démon et Monsieur Vianney : « Dis-moi, oses-tu me dire que tu n’envies pas ces garçons qui vont serrer dans leurs bras des corps chauds et bien ronds, des peaux si douces qu’on dirait des pétales ou de la pêche ? dis-moi que tu n’envies pas ses lèvres brûlantes, qui vont se perdre sur d’autres lèvres brûlantes ? »
15 « Des bruits, des coups, ne sont jamais qu’un pis-aller pour un esprit », Le curé d’Ars, Coll. « Les bonnes lectures », Paris, 1929, chap. 6.
16 Les remarques qui suivent doivent beaucoup à un exposé, inédit, de Philippe Boutry, prononcé lors d’une rencontre du groupe d’histoire religieuse, dit de La Bussière (1986).
17 Yves LE GALLO a repris la forte expression de choréophobie pour qualifier le rigorisme à l’endroit des danses, trait classique du clergé à l’époque de la Restauration (Clergé, religion et société en Basse-Bretagne, Paris. 1991, p. 927).
18 On sait que Mgr de Bonald et J.M. Vianney se renvoient, littéralement, Antoine Gay, de Lyon, « le possédé qui glorifia l’immaculée » (Fourrey, 1971, 274-276).
19 « Je crois que le démon avait reçu un pouvoir extérieur sur moi, mais qu’il ne pouvait approcher de moi-même ni de mon esprit, si ce n’est pour inspirer des frayeurs très grandes de certaines choses, par exemple des remèdes très simples qu’on essayait de me faire accepter » (Mon autobiographie, fo 28 V). « Le démon est autour de moi, je ne le vois pas, mais je le sens... Il me tourmente, il me tient comme avec une main de fer pour empêcher le plus léger soulagement ; il augmente mes maux afin que je désespère. Et je ne puis pas prier ! Je peux seulement regarder la sainte Vierge et dire : “Jésus” » (L’Histoire d'une âme, p. 238).
20 Le programme de Léon XIII comporte, en son cœur, bien plus que la confrontation avec le monde moderne auquel on le ramène souvent, une perspective de lutte contre Satan non sans résonances apocalyptiques.
21 60 % de oui à la question sur l’existence du diable (cfr Essor de la violence satanique aux États-Unis, dans Le Monde diplomatique, janvier 1991).
22 L’exorciste du diocèse de Rennes affirme avoir pour politique de « casser » d’abord le lien avec le malheur, en montrant qu’il s’agit de hasards, et en empêchant de chercher la cause hors de soi, pour que le sujet puisse retrouver son autonomie, au sens fort du terme.
Auteur
Professeur d'histoire contemporaine à l'Université de Rennes II Haute-Bretagne.
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