Le sublime et le pervers : Janus bifrons
p. 565-590
Texte intégral
I
1« Une vague déferla, courut sur la grève humide et lécha les pieds de Robinson qui gisait face contre le sable ». « Enfin l’astre-dieu déploya tout entier sa couronne de cheveux rouges dans des explosions de cymbales et des stridences de trompettes. » Entre l’échouage et la transfiguration, la prostration et l’exaltation solaire, se déroule une des plus extraordinaires aventures de la chair et de l’esprit qu’un conteur — Michel Tournier — ait jamais inventée1.
2Inventer, c’est trouver, en venant à la rencontre de ce qu’on laisse être ; en l’occasion : un fait divers, un roman, un fantasme, un mythe. Robinson est tout cela et peut-être d’autres choses encore.
3Par un beau matin de 1703, un nommé Selcraig (Selkirk, dans la marine), brouillé avec le commandant de bord, préféra se faire débarquer sur une île déserte du Pacifique plutôt que de poursuivre le voyage en méchante compagnie. Il disposa de huit ans pour calmer sa colère, et quatre autres avant de retrouver son Ecosse natale. Bien que des cas d’isolement forcé ne fussent pas inconnus, celui-ci parut sans doute suffisamment éprouvant et insolite, pour susciter la verve romanesque de Daniel Defoe. Etrange coïncidence, Defoe publie son roman huit ans après le retour de Selcraig ! Comme remarque Tour nier dans Le vent Paraclet2, « Robinson a très vite cessé d’être un héros de roman pour devenir un personnage mythologique », c’est-à-dire non point un personnage éteint dans la brume des légendes, mais très exactement le contraire, une sorte d’imminence de notre être qui viendrait à prendre ce là. Il commence par un bout de solitude, qui s’étire dangereusement. Quand surgit Vendredi, le « sauvage » miraculé d’un rite d’anthropophagie, déjà Robinson est miné de l’intérieur, rongé comme l’Evasion (le bateau construit de ses mains) par les termites. Le vieil homme tombe en poussière. Naîtra-t-il un homme nouveau ? « Ce n’était pas le mariage de deux civilisations à un stade donné de leur évolution qui m’intéressait, mais la destruction de toute trace de civilisation chez un homme soumis à l’œuvre décapante d’une solitude inhumaine, la mise à nu des fondements de l’être et de la vie, puis sur cette table rase la création d’un monde nouveau sous forme d’essais, de coups de sonde, de découvertes, d’évidences et d’extases. Vendredi — encore plus vierge de civilisation que Robinson après sa cure de solitude — sert à la fois de guide et d’accoucheur à l’homme nouveau »3.
4Un mythe de naissance, donc. Ceci — Rank en est témoin4 — ne suffit pas à le rapprocher d’une psychanalyse. A certains égards même, il irait plutôt à l’en éloigner. « Rebirthing » sans doute, quoiqu’il en coûte à Robinson (et à Tournier, qui lui-même l’a porté quinze ans dans ses flancs) un peu plus qu’un triduum, quand le symbole s’en dégrade dans des vagissements de week-end. Pouvons-nous encore entendre les mythes ? Ou ne nous en reste-t-il que des simagrées ? Vendredi ou les limbes du Pacifique résonne profondément, inactuellement, dans l’âme de Robinson contemporain. C’est le pari que tient Tournier, et il le gagne.
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5Toute naissance est ambiguë. Renaître, davantage encore. L’auteur de Vendredi a perçu cette incertitude en déposant Robinson dans les limbes, entre ciel et enfer, sans trop qu’on sache quel salut l’en tirerait, s’il en est un. Ce n’est pas un purgatoire, est-ce un lieu de passage ? Une figure de l’éternité dans la durée ? Quelques théologiens y relèguent les enfants morts sans baptême. Innommables, en somme. Avortons symboliques, qui ne sont pas marqués du Nom-du-Père. Or la figure paternelle se diffracte dans le Robinson de Tournier, perceptible seulement par éclats (le capitaine Van Deyssel, le bouc, le soleil). Serait-ce cet émiettement identificatoire, à la limite de la méconnaissance, qui souderait d’autant plus violemment le sublime au pervers, comme une tête à deux faces5 ? L’hypo thèse, à nos yeux, mérite l’examen, d’autant qu’il ne manque pas d’exemples illustres pour l’étayer (Léonard de Vinci), ni d’encouragements théoriques à la soutenir.
II
6Au terme d’un développement sur la gnose, Rosolato conclut : « Le pervers se trouve donc en bonne place pour les renversements et les révolutions qui font progresser les choix culturels. Dans ce sillage, pourront s’éclairer les mécanismes de la sublimation »6. Hélas, un peu plus loin, l’auteur nous abandonne : « ... Le pervers, dit-il, rappelle la nécessité du changement de la réalité, et des lois, d’une manière directe et radicale, puisqu’il met en cause, préalablement, par son désaveu, leur fondement même, avec la différence des sexes, et le rapport du Père à la Loi ». L’art pourrait représenter cette démarche, sous certaines conditions : « Mais il faudrait encore, en esquissant une théorie de la sublimation, ce que nous ne tenterons certainement pas aujourd’hui, préciser comment la transgression de l’art prend la mesure d’une Mort avec non pas celle du Père Idéalisé mais du Père selon la Loi »7.
7Quels rapports entretiennent Père et Loi, et de quelle loi s’agit-il ? Rosolato, une des plumes analytiques des plus fines autant que des plus fermes dans son dessin freudien, précise en maints endroits son propos. « Cette Loi, d’avoir à affronter l’Œdipe et la castration, de la différence des sexes posée, et du désir qui perpétue cet écart du manque en l’homme et dont la limite extrême, l’extrême portée est celle de la mort, se formule dans celle de la parenté et de la prohibition de l’inceste »8. On voit assez bien la provenance de la thèse : les structures de la parenté selon Lévi-Strauss et le mythe freudien du meurtre du père primitif. La prohibition de l’inceste découle pour l’ethnologue de la loi d’échange exogamique. Celle-ci creuse la dette en même temps que la différence des générations, de père en fils (car ce sont les femmes qui font l’objet de l’échange). « Si le père a pris femme, c’est parce qu’un autre homme, frère ou père de la mère a accepté et conclu cet échange. La relation symbolique qui le fonde, c’est-à-dire pour Ego la relation entre son père et son grand-père maternel (ou un substitut) comprend deux générations au-dessus d’Ego : relations entre pères dont l’un, à ce moment, s’affirme dans une promesse de paternité. Mais cet échange implique une dette contractée par un père mort (l’ancêtre paternel qui peut n’avoir pas donné de femme en retour) et dont le règlement, exigé par les lignées en cause, se transmet avec les générations »9. Le Père Mort Symbolique, ainsi « conçu », est susceptible d’exhausser (Aufheben) dans une commémoration mythique un fantasme de meurtre, dont l’inexaucement nécessaire avive la virulence inconsciente. Ici Freud croise Lévi-Strauss, comme le psychanalyste le mythologue. Rien ne garantit qu’ils se soient compris. La prohibition de l’inceste est, aux yeux du psychanalyste, indésolidarisable de l’Œdipe. La raison en est simple et se trouve dans les premiers balbutiements de la théorie analytique : une défense suppose un désir. Il est vrai que depuis lors, quelques malins ont retourné le gant : le désir suppose la Loi. Pour les grammairiens de l’inconscient, l’un et l’autre se dit, l’un et l’autre se disent. Peut-être y a-t-il là matière à disserter, sur l’origine par exemple. Spéculation excitante pour l’anthropologue et instructive pour l’analyste, mais funeste à se tenir dans la circularité du fantasme, dont le forçage attesterait le saut de l’obsession à la perversion. Devant l’indécidabilité de l’origine, l’institution perverse pose la loi de son désir. « Aussi loin que ton être, s’étend ton sentiment illimité de toi-même (Selbstgefühl) ; aussi loin qu’il s’étend, tu es dieu ». Cet oracle de Feuerbach sonne étrangement comme le vœu d’une autoposition dans l’être, d’une causa sui. Qu’il faille pour cela faire place nette, c’est forcé. Mais ce n’est pas ainsi que Rosolato entend la Mort du Père. « Quand il est question du Père Mort selon la Loi, il ne faut pas entendre : “Le Père Mort comme l’exige la Loi”, ce qui ne ferait que répercuter les souhaits œdipiens, le légalisme obsessionnel, ou l’affrontement paranoïaque, mais plutôt que par une relation réversible, cette Loi de la Mort n’apparaisse pleinement que grâce à la mise en place du Père Mort, qu’elle puisse concerner tout sujet qui se révèle en puissance de paternité, et qu’en retour la Loi soit justement la prise de conscience de cela, que la Loi soit cette Mort du Père même »10. Anankè, dit-il encore, à la suite de Freud.
8Le Père, la Loi, l’Œdipe, voilà un lexique qui ne plaira pas à tous, encore moins à toutes. « De la femme, à partir d’un certain âge, la psychanalyse n’aura su que détourner son regard. A la femme, la psychanalyse n’aura jamais touché que pour la cadavériser »11. Ainsi commente S. Kofman la fin de la conférence de Freud sur La féminité. « Je ne puis, dit ce dernier, passer sous silence une impression toujours à nouveau ressentie au cours des analyses. Un homme âgé de trente ans environ est un être jeune, inachevé, susceptible d’évoluer encore. Nous pouvons espérer qu’il saura amplement se servir des possibilités de développement que lui offrira l’analyse. Une femme du même âge, par contre, nous effraie par ce que nous trouvons chez elle de fixe, d’immuable ; sa libido ayant adopté des positions définitives semble désormais incapable d’en changer »12. La différence de ton est frappante, axiologique et péremptoire d’un côté, clinique et hypothétique (une impression, semble) de l’autre. Certes, le discours freudien sur la femme n’est pas exempt de préjugés, mais il a toujours tenté, sans être aveugle au socio-politique, de se situer sur un plan descriptivo-structural et non esthético-moral. On embrouille tout, et certain(e)s à plaisir, en négligeant cette distinction.
9Allons plus loin. Les mœurs changent et c’est une banalité de dire que le vingtième siècle sera marqué par l’émancipation des femmes. Encore fallait-il que le permît l’évolution de la technologie et de la biochimie. Un droit ne se quémande pas, il se prend quand c’est possible, comme l’histoire l’a chaque fois montré. Les femmes s’emparent donc de pouvoirs autrefois pour elles inaccessibles. Il s’agit là d’une transformation en profondeur de la structure sociale, dont les conséquences sont imprévisibles. Les sociétés humaines les plus anciennes que l’on connaisse reposent sur le trépied de la paternité, l’impératif du mariage et la prohibition de l’inceste13. Nous vivons encore de cet héritage, conquête de nos ancêtres archanthropes. Il n’est pas sans intérêt de reconstruire conjecturalement l’émergence des premières manifestations hominiennes, en dépit de la marge d’erreur et du coefficient d’imagination nécessaires.
La paternité
10Certaines sociétés primatiques observées en éthologie montrent des hiérarchies assez strictes. Le plus souvent, un mâle adulte subordonne les jeunes mâles autant que les femelles. L’extrapolation donnerait à penser que ce n’est pas à l’impuissance biologique de la progéniture, en quête de protection, qu’il faudrait attribuer l’éveil de la paternité. Celle-ci représenterait plutôt la diffusion de l’autorité mâle dans le domaine jadis du ressort exclusif des femelles, a savoir la rétention des jeunes des deux sexes dans le groupe reproducteur. En grandissant, les mâles surnuméraires, force inutile et sexualité rivale, étaient bannis. En marge du groupe, ils vivaient par bande monosexuelles. Avec la cynégétisation, la progéniture mâle acquit une valence nouvelle, elle devint force de travail. Sa réannexion dut être à la racine des rites initiatiques. La paternité s’avère donc et ne peut être que symbolique, non pas le fait d’un individu mais d’un groupe social qui exerce à la fois sa domination de classe et de sexe.
L’impératif du mariage
11Il découle logiquement de la nécessité de multiplier la force de travail. Ce que cornait aux oreilles de M. Mead un Arapesh dont elle voulait sonder les désirs incestueux : « Quoi donc ! Tu voudrais épouser ta sœur ? Mais qu’es-ce qui te prend ? Tu ne veux pas avoir de beau-frère ? Tu ne comprend donc pas que si tu épouses la sœur d’un autre homme, et qu’un autre homme épouse ta sœur, tu auras au moins deux beaux-frères, et si tu épouses ta propre sœur, tu n’en auras pas du tout ? Et avec qui iras-tu chasser ? Avec qui feras-tu les plantations ? Qui auras-tu à visiter ? »14. C. Lévi-Strauss en conclut que les prohibitions de mariage sont secondes par rapport au prescrit de l’alliance. « Il n’y a rien dans la sœur, ni dans la mère, ni dans la fille, qui les disqualifie en tant que telles. L’inceste est socialement absurde avant d’être moralement coupable »15. Du même coup, faudrait-il ajouter, une prime est offerte aux unions hétérosexuelles, qui procurent aux mâles appendiculaires une promotion sociale, tandis que la position des femmes double une valeur reproductrice par une valeur d’échange. La généralisation et la réciprocité des échanges pourrait laisser croire que la circulation des femmes est, en fin de compte, une opération vide. Ce serait négliger la plus-value du lien social et de la pensée symbolique qui le tisse. Le mariage convertit donc les femmes en signes et en biens, en emblèmes de virilité.
La prohibition de l’inceste
12En s’appuyant sur l’hypothèse de la cynégétisation (le devenir chasseur), qu’il appréhende en termes de « chasse structurale »16, réduite progressivement aux éléments mâles du fait de la prématuration17 des nouveau-nés dont les soins retenaient les mères au campement, G. Mendel estime pouvoir résoudre une question à laquelle Lévi-Strauss n’a jamais répondu : pourquoi dans les systèmes de parenté sont-ce toujours les hommes qui se partagent les femmes, et jamais le contraire ? Gibier et femmes, pense-t-il, sont les deux objets les plus enviables : « une même fécondité donneuse de vie régit l’univers du gibier qui se renouvelle et renaît continuellement et l’univers des femmes qui assure la reproduction biologique du groupe ; enfin, il n’est pas jusqu’au thème du sang — sang versé de l’animal, sang mentruel de la femme — qui ne crée un lien aux traces profondes dans l’ensemble des mythes et traditions ». L’assimilation des femmes au gibier entraîne cependant un danger d’extrême aliénation pour les hommes. On peut supposer — ici j’interprète Mendel — que l’image du gibier a dû se cliver en objet de chasse en même temps que « lieu géométrique imaginaire de l’esprit de corps des chasseurs », comme l’image de la femme s’est parée de vertus magiques tout en s’excluant du champ social.
13Une autre question, aussi importante que celle de la domination sexuelle et qui lui est sans doute liée, est laissée pour compte par Lévi-Strauss : l’explication psychologique de la prohibition de l’inceste. Les travaux des Makarius peuvent ici nous aider18. Nous avons déjà laissé entrevoir les modifications que la chasse a dû introduire dans une structure sociale qui, en régime de cueillette, supportait des liens très lâches. Mais la chasse ne transforme pas seulement les rapports sociaux au sein d’un groupe, elle établit aussi des rapports de conflit ou d’alliance avec d’autres groupes. « Dans les conditions d’isolement, qui sont celles de la vie primitive, une telle conception d’interdépendance domine entièrement l’esprit des humains. Il a été souvent observé que le primitif ne connaît aucun état intermédiaire entre celui de membre de son propre groupe, avec lequel if s’identifie, et celui, au pôle opposé, d’étranger ; ce dernier constitue une négation de sa propre existence, et doit donc, soit être supprimé, soit être considéré dans les termes du premier »19. Les Makarius relèvent trois formes de fraternisation — pacte de sang, partage alimentaire, échange des femmes — qui s’enchevêtrent et se confondent symboliquement, bien que la troisième se soit révélée la plus apte à signifier la pacification, la collaboration et l’union. Pourquoi cette prévalence ? D’abord parce que l’union sexuelle laisse des marques indélébiles (dans le réel), au travers des significations imaginaires et symboliques. Deuxièmement, l’échange matrimonial tisse entre les groupes des liens non pas ponctuels mais qui comportent leur propre régénérescence puisqu’ils nouent tous les couples potentiels pour les générations à venir. Enfin, l’alliance par mariage permet de maintenir les différences dans l’identité, par des systèmes symboliques (de nomination surtout) quelquefois très complexes. Mais l’échange des femmes n’est : pas encore l’exogamie. Tant qu’il repose sur une trop stricte réciprocité, il reste menacé de confusionisme ou d’éclatement. Seule une négativité radicale, un renoncement qui n’attend que de l’avenir incertain et anonyme le contre-don, est susceptible de maintenir à la fois l’identité des groupes et leurs alliances. La transformation qualitative introduite par l’exogamie dans la société humaine (au point que pour Lévi-Strauss, c’est ce principe même qui définit et la culture et l’humain), dispense-t-elle de s’interroger sur l’impact subjectif et psychologique, et non seulement sur la fonction sociale, de l’exogamie ? D’où provient la compulsivité de la peur et de la fascination de l’inceste ? Freud, on le sait20, cherche la cause dans la permanence, sous formes de désirs, d’événements refoulés. Mais la pétition de principe semble inévitable. Car les événements préhistoriques présumés, s’ils ont eu lieu, ignoraient la loi qui leur succède. Quand et comment ont-ils perdu leur innocence ? Il faut renoncer, pense Lévi-Strauss, à vouloir rendre compte du début de la civilisation et se contenter d’éprouver la permanence des règles et des désirs. « Le désir de la mère ou de la sœur, le meurtre du père et le repentir des fils, ne correspondent, sans doute, à aucun fait, ou ensemble de faits occupant dans l’histoire une place donnée. Mais ils traduisent peut-être, sous une forme symbolique, un rêve à la fois durable et ancien. Et le prestige de ce rêve, son pouvoir de modeler, à leur insu, les pensées des hommes, proviennent précisément du fait que les actes qu’il évoque n’ont jamais été commis, parce que la culture s’y est, toujours et partout, opposée21. Les satisfactions symboliques dans lesquelles s’épanche, selon Freud, le regret de l’inceste, ne constituent donc pas la commémoration d’un événement. Elles sont autre chose, et plus que cela : l’expression permanente d’un désir de désordre, ou plutôt de contre-ordre. Les fêtes jouent la vie sociale à l’envers, non parce qu’elle a jadis été telle, mais parce qu’elle n’a jamais été, et ne pourra jamais être, autrement. Les caractères du passé n’ont de valeur explicative que dans la mesure où ils coïncident avec ceux de l’avenir et du présent »22.
14Ce qui nous gène dans cette façon de voir, c’est d’une part l’anhistoricité du désir, son hypostase, d’autre part le « silence » dont s’entoure l’interdit, alors que ses manifestations cliniques foisonnent de chicanes phobiques, d’obsessions, de rites magiques, bref, que les défenses prolifèrent en plongeant leurs racines dans un sol trouble. En d’autres termes, l’ignorance du pré-oedipien, en tout cas dans les Structures élémentaires de la parenté. C’est beaucoup moins vrai des Mythologiques.
15Une lettre de Freud a Marie Bonaparte (30 avril 1932)23 témoigne de sa perplexité : « Il est assez étrange — mais peut-être aisément compréhensible — que les interdictions les plus puissantes de l’humanité soient les plus difficiles à justifier. Ceci est dû au fait que les justifications sont préhistoriques et ont leurs racines dans le passé de l’homme. La situation pour l’inceste est exactement parallèle à celle du cannibalisme. Il y a naturellement de bonnes raisons pour que dans la vie moderne on ne tue pas un homme pour le dévorer, mais aucune raison, quelle qu’elle soit, pour ne pas manger de chair humaine au lieu de viande. Pourtant la plupart d’entre nous trouveraient cela tout à fait impossible. L’inceste n’est pas aussi éloigné et ne se produit en fait que trop souvent. Nous pouvons finalement nous rendre compte que s’il était pratiqué sur une large échelle, il serait socialement aussi nuisible aujourd’hui qu’il l’était dans le passé. C’est ce mal social qui constitue le moyen de ce qui, paré d’un tabou, est devenu une telle affaire ». Si la raison sociale venait à s’estomper, la règle demeurerait, maquillée en tabous. Peut-être, du reste, la raison sociale s’est-elle depuis toujours défilée (les ruses de la raison !). La raison de l’exogamie (et donc de la prohibition de l’inceste) n’est pas dans le tabou, et pourtant seul le tabou en soutient la règle. On pourrait dire qu’il est l’affect de cette représentation. Voilà l’énigme. Et là-dessus les sociologues, en tout cas les structuralistes, ne disent pas grand-chose.
16Une multitude de témoignages ethnographiques attestent pourtant le tabou du sang répandu par le chasseur (celui du gibier, le sien propre), la crainte des menstrues, etc., tout un réseau de précautions, rites magiques, qui « difflue » à partir du sang. Mais si la femme, prise dans ces fantasmes archaïques, est ressentie comme dangereuse, cela ne suffit pas à expliquer la peur de l’inceste. Il semble donc que le saignement des consanguines représente le danger suprême, si l’on accepte qu’un groupe soit comme un grand corps vivant, maintenu par une interdépendance organique (idée qui se retrouve jusque dans la théologie paulinienne de l’Eglise). « L’inceste représente bien pour les consanguins en particulier, pour les hommes et tout le groupe en général, un danger de contagion sanglante »24. Ainsi, les Makarius peuvent-ils conclure : « La peur de l’inceste, qui rend nécessaire l’union avec des femmes étrangères, est le travestissement subjectif de la nécessité de s’unir avec des groupes étrangers, nécessité qui s’est imposée avec l’avènement de la chasse »25. C’est le type même d’une « falsche Verknüpfung ».
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17La prohibition de l’inceste est donc travaillée, soutenue par des mécanismes psychiques archaïques. Mais il n’est pas sans intérêt de montrer que son maintien est aussi au service du pouvoir des hommes. Moscovici s’y essaie d’une manière convaincante en relisant la tragédie d’Antigone. L’ordre de la culture se révèle un ordre masculin, historiquement daté même s’il coïncide avec l’émergence de l’humanité. Je doute que nombre de féministes mesurent la portée radicale de leur contestation, au moment où un tel ordre se rompt. (L’enfant peut redevenir produit d’une mère fécondée anonymement ; les transformations économico-sociales réduisent plutôt les discriminations sexuelles ; l’institution matrimoniale régresse ; l’Etat s’empresse de jouer un rôle super-maternel, etc. Bref, les mœurs changent. Comme toujours, la législation se fait prier, mais elle finira par céder. En tout cas par biaiser. La libido féminine n’a peut-être plus la « fixité », l’« immuabilité », l’« incapacité à changer » d’autrefois, même si certaines femmes peuvent encore apparaître comme les vestales du « trône et de l’autel ».) « Le caractère de l’aversion inspirée par l’inceste ressort beaucoup plus clairement lorsqu’on rapproche la prohibition de toutes les conduites discriminatoires, des préjugés, des lois écrites ou non, tendant à préserver une distance sociale », dit Moscovici26. L’inceste « est l’arme que le sexe féminin, directement visé par la loi, peut brandir, le symbole de la capacité de ce sexe à bouleverser le monde arrangé par les hommes et pour eux, en bloquant le jeu des règles de parenté, en retenant les fils au lieu de les donner, en refusant d’être l’objet qui ouvre la voie à la réciprocité des hommes, le partenaire dupé d’une transaction inégale »27. Cette menace, ainsi proférée, est sans doute plus imaginaire que réelle — comment revenir à un état qui n’a jamais humainement existé ? —, mais l’efficacité symbolique d’une dislocation des rapports sociaux est certaine : l’enfant « petit compagnon » de la mère, la fraternité des hommes, la sororité des femmes. N’y aurait-il, d’un sexe à l’autre, rapport sexuel que par accident, malentendu, aveuglement, nécessité, peur, exploitation ? Le repli solipsiste en temps de crise toucherait-il d’abord l’économie libidinale des humains dans notre « civilisation occidentale avancée » (comme on dit d’un cadavre qu’il est en état de décomposition avancée) ? Chacun pour soi. Si l’on fait des enfants, c’est par illusion ou par vengeance d’être né. Les belles âmes camoufleraient leurs ressentiments dans l’eschatologie d’une Jérusalem céleste.
18Nous revoilà dans la peau de Robinson. Et c’est Antigone, la vierge volontaire, qui engendre cette an-archie. Tandis que la mère (Jocaste) refusait de donner son enfant, son contre-don, la sœur (Antigone) refuse de se séparer de son frère (en prétendant ensevelir le cadavre de Polynice, elle commet, en quelque sorte, un inceste symbolique). « Dans son sombre éclat, la tragédie concentre la famille, la cité autour d’un noyau agonistique dont les enfants sont l’enjeu, les groupes masculins et féminins les protagonistes, la prohibition de l’inceste le principe hiérarchique »28. En amont du drame, l’oracle déjà contestait la Loi. En aval, Antigone la défie. Le héros tragique est celui que brise la Loi.
19Mais quand la Loi s’effiloche ou s’évapore, quel genre de « héros » subsiste-t-il ? Quand le monde se vide d’Autrui, qui demeure et comment ? Ces questions tragiquement modernes font le mythe de Robinson.
III
20Je formule l’hypothèse que le mythe de Robinson est paradigmatique de notre modernité. Sans doute trouverait-on dans plusieurs mythes antiques (Œdipe, Prométhée, etc.) des récits d’abandons ou d’expositions, mais ils n’ont pas le même sens. Non seulement parce qu’un mythe est toujours déjà en dérive dans ses répétitions déplacées, mais encore parce que des ruptures sociologiques — portées par de nouvelles conditions matérielles d’existence — font surgir en quelque sorte des mutants mythologiques. L’individualité est un concept moderne, étroitement lié à l’essor de la société occidentale capitaliste. La privatisation des fêtes, des sentiments, la solitude des mourants, les revendications de liberté jusque dans leurs formes les plus absolues, attestent la mise en exergue de l’individu. La philosophie (Rousseau, Kierkegaard, Stirner, l’existentialisme...) accompagne le mouvement. Ajoutons que Robinson n’a pas d’équivalent féminin, pas même (comme Tarzan) de compagnie féminine. Il est le solitaire masculin.
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21Je m’attends ici à deux types d’objection. La première : vous enjambez superbement l’histoire depuis les origines supposées de l’humanité jusqu’au capitalisme moderne. A quoi l’on peut répondre qu’il ne s’agit pas d’être historien ni même préhistorien, mais plutôt de dessiner des lignes structurales, qui ont certes leur historicité, mais dont l’efficace — et c’est cela qui importe — se fait sentir aujourd’hui encore. Ces structures proto-historiques (paternité, règles de parenté et de mariage) peuvent être suffisamment dépouillées, indemnisées des particularisations historiques, pour qu’on en devine les ébauches dans l’observation éthologique des sociétés simiennes. Il ne faudrait pas croire que le langage vienne nécessairement bouleverser les préfigurations sociales des animaux supérieurs. Il les complexifie toujours, les nie souvent, les accentue parfois.
22La seconde objection serait la suivante. Robinson comme paradigme de l’individu, soit. Mais en quoi son aventure est-elle sublime et perverse, en quoi surtout l’individualisme, ou mieux : la solitude, pourrait-elle être ferment de sublimation et de perversité ? Nous ne répondrons pas à cette question dans toute son ampleur, non seulement parce que ce serait faire preuve d’une grande présomption, mais d’abord parce que le tremplin de notre interrogation est un roman bien précis, d’un auteur bien particulier : le Robinson de Tournier. Alors, qu’est-ce qui nous autorise à rapprocher et à opposer des hypothèses ethnologiques hasardeuses et une œuvre romanesque contemporaine ? Je dirai : leur commun enracinement mythique. Nous écrivons et parlons dans des mythes. On peut penser qu’un romancier est à la fois produit, témoin et prophète de son temps. Dans l’œuvre de Tournier, en particulier Vendredi, je lis la difficulté d’être homme (vir, et à travers la virilitas vient la question de l’humanitas, mais elles ne sont pas superposables ; si elles l’étaient, l’humanité comme concept politique et même ontologique serait une création virile — ce que certaines époques « humanistes » ont parfois plus qu’implicitement prétendu ; si par contre elles ne le sont pas, c’est la prétention universalisante du sujet transcendantal qui devrait peut-être entrer en révision).
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23Ce roman est un mythe de naissance et d’initiation. C’est aussi un mythe solaire.
24Le capitaine Van Deyssel tirait les cartes à Robinson, dans le ventre chaud de La Virginie bousculée par la houle — quel fantasme de scène originaire ! « C’est alors que le fanal, décrivant un brutal quart de cercle au bout de sa chaîne, alla s’écraser au plafond de la cabine, tandis que le capitaine plongeait tête la première pardessus la table. Dans l’obscurité pleine de craquements qui l’entourait, Robinson tâtonnait vers la poignée de la porte. Il ne trouva rien, et un courant d’air violent lui apprit qu’il n’y avait plus de porte et qu’il était déjà dans la coursive. (...) une muraille d’eau noire croulait sur le pont et le balayait de bout en bout, emportant tout avec elle, corps et biens » (p. 14). Poche des eaux crevée, éjecté dans un miasme de liquides et de solides, Robinson était né. Il lui restait à vivre... ou plutôt à survivre dans une nouvelle tempête, pulsionnelle, gonflée de toute une « civilité » introjectée.
25Le grand corps intact de Pile, dans la provocation de sa nudité offerte, excitait Robinson. Toute la première partie du roman peut ainsi se lire comme un affairement obsessionnel devant la montée du désir que l’absence d’Autrui (paternel) révèle, jusqu’à l’hallucination. Le Réel de l’île enveloppe le naufragé dans une proximité si étroite, sans recul, sans différence, sans négativité signifiée par autrui29, que cette terre impudique vient à s’exhiber, forçant le regard à succomber sous une évidence (phallique) plus puissante que la vue. Devant la menace d’absorption, dépersonnalisante, proche de la déstructuration psychotique, Robinson tente la parade projective. « Enfin, il lui parut tout à coup que Pile, ses rochers, ses forêts n’étaient que la paupière et le sourcil d’un œil immense, bleu et humide, scrutant les profondeurs du ciel. Cette dernière image l’obséda au point qu’il dut renoncer à son attente contemplative. Pour la première fois, la peur de perdre l’esprit l’avait effleuré de son aile. Elle ne devait plus le quitter » (p. 23)30.
26Robinson s’efforce de ne pas perdre l’humanité qui lui reste. Un combat s’est engagé en lui, non pas entre culture et nature (comme chez Defoe), mais plus profondément et plus subtilement entre le « civilisé » et le « sublime ». Jeté sur l’île comme un nourrisson, il excède pourtant : trop de langage, de vêtements, de souvenirs... trop d’être, simplement. Commence alors une kénose dans la trouble régression jusqu’aux racines du narcissisme, nécessité de dépouillement suprême, dangereuse descente aux enfers de son être, à la limite de sa dissolution. Cette conversion, il ne l’accomplira pas seul, mais initié par Vendredi, vrai vent Paraclet, céleste oiseau de passage.
27Tournier, analysant son roman avec quelques années de recul, remarque évidemment qu’il s’articule autour de l’apparition de Vendredi. Il ajoute à ces deux parties une troisième qui les précède, la souille, période de dépression profonde, tribut payé aux efforts sur-humains pour maintenir seul les traces de l’humanité. « Il mangeait, le nez au sol, des choses innommables. Il faisait sous lui et manquait rarement de se rouler dans la molle tiédeur de ses propres déjections (...) il perdait son corps et se délivrait de sa pesanteur dans l’enveloppement humide et chaud de la vase... » (p. 38). Toutefois cette tripartition ne doit pas être forcée, car la plupart des comportements de Robinson ne sont abandonnés que progressivement, certains bien après l’arrivée de Vendredi, même si leur sens vacille puis bascule avec ce météore. Vendredi « mime » d’ailleurs Robinson, épanche comme lui sa semence dans la combe, mais il le « précède » dans l’annonce et l’ouverture d’un monde autre, aérien. C’est pourquoi un épisode nous semble tout à fait décisif, qui retourne le roman : l’explosion de l’île, mise sens dessus dessous par l’imprudence de Vendredi qui, fumant en cachette la bouffarde de Van Deyssel et surpris par Robinson, avait jeté précipitamment la pipe au fond de la grotte où étaient stockés des barils de poudre sauvés du naufrage avec tout ce qui restait de la cargaison. L’île ancienne, séductrice et incestueuse, est alors balayée et la métamorphose solaire et éolienne peut vraiment commencer.
28A partir de cet instant, c’est aussi une autre sexualité qui s’épanouit, sèche au grand soleil, s’évapore, se sublime, pourrait-on dire, s’il ne fallait craindre, derrière l’expansion du désir, un gonflement du Moi, une hernie libidinale suscitant presque un délire de filiation. L’île détruite, il n’y a plus de femme, plus de fantasmes d’inceste (essentiellement maternel). La sexualité « cavernicole » de Robinson, qui s’était débattue pathétiquement avec les séductions de Pile-femme (mère, sœur, fille), est alors libérée de sa pesanteur géotropique. Aérienne, elle accomplit l’esquisse inachevée des amours florales « insectueuses ». Car la flore est fécondée et pourtant ne copule pas ! Mystère initiatique.
29L’autre île, d’abord ébauchée, entr’aperçue dans le suspens du temps (la clepsydre arrêtée), révèle son existence dans la saturation élémentale de son être. « On aurait dit que cessant soudain de s’incliner les unes vers les autres dans le sens de leur usage — et de leur usure — les choses étaient retombées chacune de son essence, épanouissaient tous leurs attributs, existaient pour elles-mêmes, naïvement, sans chercher d’autre justification que leur propre perfection » (p. 94). L’île primitive s’imposait dans la pulpe de ses chairs, la lourdeur de ses parfums ; Pile neuve est toute naïveté, existe sans insistance. Elle manifeste le fruit qu’elle n’a pas porté mais recueilli : Vendredi, « la vénusté de Vendredi (...) cette chair luisante et ferme, ces gestes de danse alentis par l’étreinte de Peau, cette grâce naturelle et gaie... » (p. 228), Vendredi qui s’avançait comme un « ostensoir de chair ».
30La voie hétérosexuelle apparaît dans ce roman comme une impasse, hérissée de tentations incestueuses devant lesquelles recule Robinson. « Au péril de mon âme, de ma vie et de l’intégrité de Speranza, j’ai exploré la voie de la terre maternelle. Plus tard peut-être, quand la sénilité aura stérilisé mon corps et desséché ma virilité, je redescendrai dans l’alvéole. Mais ce sera pour n’en plus remonter » (p. 114). Dans Les Météores, par ailleurs, la voie homosexuelle est clairement indiquée comme la meilleure possible. N’empêche que la virilité garde la nostalgie de son autre, et que l’homme rêve aussi d’être femme et mère, comme Tiffauges le héros phorique, porte-enfants, du Roi des Aulnes. Vendredi tente, pour sa part, de se tenir à la fois en-deçà et au-delà de l’inéluctable destin de la sexuation, de renouer avec le mythe adamique, androgyne dans la lecture qu’en donne Tournier (cfr « La famille Adam » dans Le coq de bruyère).
31L’originalité du rapport Robinson-Vendredi est explicitement revendiquée, même si sur un mode dénégatif : « je m’avise que pas une seule fois Vendredi n’a éveillé en moi une tentation sodomite (...) Vénus n’est pas sortie des eaux et n’a pas foulé mes rivages pour me séduire mais pour me tourner de force vers son père Ouranos » (p. 229). Changement d’élément. « Mes amours ouraniennes me gonflent au contraire d’une énergie vitale qui me donne des forces pour tout un jour et toute une nuit. S’il fallait nécessairement traduire en termes humains ce coït solaire, c’est sous les espèces féminines, et comme l’épouse du ciel qu’il conviendrait de me définir. Mais cet anthropomorphisme est un contresens. En vérité, au suprême degré où nous avons accédé, Vendredi et moi, la différence de sexe est dépassée, et Vendredi peut s’identifier à Vénus, tout de même qu’on peut dire en langage humain que je m’ouvre à la fécondation de l’Astre Majeur » (p. 230).
32On croirait entendre Schreber... mais ce n’est pas lui. Ce roman, si proche du conte, exalte le merveilleux, l’univers des miracles enfantins, au mépris de toutes les différences (réel/imaginaire, homme/femme, humain/animal etc.). La veine poétique rejoint les couches mythiques. « L’atmosphère irréelle, l’abolition de toutes choses familières autour de moi, tout ce dénuement donnent à mes idées une légèreté, une gratuité qu’elles rachètent par leur fugacité. Cette méditation ne sera qu’un souper de lune. Ave spiritu, les idées qui vont mourir te saluent ! » (p. 130). Sublime ou pervers ? La question a-t-elle encore un sens ? Il faudrait peut-être dire, en acceptant l’indécidable : sublime et pervers. Au-delà, en tout cas, de la médiocrité quotidienne.
33On est saisi de crainte devant un monde si beau et si fragile, un style d’une pureté si cristalline que tout commentaire ne peut qu’en rompre le charme. Malgré le sacrilège, demandons-nous d’où peut venir cet envoûtement. J’ai laissé entendre qu’il prendrait racine dans un ensemble de désaveux. L’épisode des mandragores, dans l’hésitation extrême qu’il manifeste, me semble à cet égard illustratif. Robinson, d’abord, cherche des signes justificateurs ou prémonitoires de ses actes plus qu’il n’y perçoit des symboles. Ainsi lit-il dans le Cantique des Cantiques : « Là je te donnerai mon amour, les mandragores feront sentir leur parfum ! », que bientôt apparaissent des changements de végétation dans la combe où il épanche sa semence sur le corps de Speranza (l’île). « L’étrangeté de ces plantes l’empêchait de les cueillir, de les disséquer, d’y goûter, comme il l’aurait fait en d’autres circonstances (...) la racine charnue et blanche, curieusement bifurquée, figurait indiscutablement le corps d’une petite fille » (p. 137). Interdit d’inceste sous la forme régressée d’un interdit d’anthropophagie, qui peut-être s’éclaire ici dans sa pureté de suprême fantasme : se manger soi-même, avaler sa propre semence. Le péril s’en signalerait dans l’horreur si l’humour du merveilleux ne dédramatisait le désir : « Sa barbe en poussant au cours de la nuit avait commencé à prendre racine dans la terre » (p. 138). Il vaudrait la peine d’interroger plus avant les rapports qu’entretient le fantastique, plus particulièrement peut-être l’écriture fantastique, avec les potentialités, voire la structure, perverses.
34Mais qu’est-ce qui nous autorise à épeler des composantes perverses dans ce roman ? J’inclinerais à les voir dans l’imitation de Vendredi par Robinson. Vendredi tisse avec l’île des liens élémentaires, élémentaux, s’adonne à des jeux secrets et énigmatiques, est de plain-pied avec la nature végétale et animale, sans abjection. Là où le pervers procède par décision et dérision, retraversant la Loi, Vendredi, l’enfant « pervers polymorphe », y va naturellement, en-deçà qu’il est de toutes les formations réactionnelles établies par le refoulement. « Vendredi était une nature dont découlaient des actes » (p. 188). Il devient l’initiateur de Robinson. « Des années durant, il (Robinson) avait été à la fois le maître et le père de Vendredi. En quelques jours il était devenu son frère — et il n’était pas sûr que ce fût son frère aîné » (p. 190).
35J’ai indiqué précédemment que l’explosion de la grotte, ventre de l’île, utérus-cloaque maternel violemment détruit, avait changé fondamentalement la nature de Speranza. Désormais elle n’est plus que support, superficie, chôra platonicienne, pour la manifestation des jeux éoliens de Vendredi et la gloire de l’Astre Majeur. L’Araucan taillait des flèches démesurément longues et largement empennées qu’il cherchait à faire voler le plus loin et le plus longtemps possible. Phallus éternellement érigé ? Toutefois un autre jeu prend une signification qui ne semble plus de défi mais de célébration. Avec la peau d’un grand bouc tué dans un affrontement ludique, Vendredi fabrique un cerf-volant et avec le massacre une harpe éolienne. L’animal mort devient un animal sacrifié. Couché sur le sable, Vendredi avait noué le cerf-volant à sa cheville gauche. Il se leva enfin et, les bras en croix (posture qu’on retrouve dans ce roman à tous les moments de métamorphoses), il mima en riant la danse d’Andoar (le bouc). « Il s’accroupissait en boule sur le sable, puis s’essorait, projetant vers le ciel sa jambe gauche, tournoyait, chancelait comme soudain privé de ressort, hésitait, s’élançait à nouveau, et la corde attachée à sa cheville était comme l’axe de cette chorégraphie aérienne, car Andoar, fidèle et lointain cavalier, répondait à chacun de ses mouvements par des hochements, des voltes et des piqués » (p. 205). Ce jeu n’a pas la même signification que les tirs à l’arc. Il ne s’agit pas d’un jet, dont l’impossible trajectoire, idéalement tendue, irait à l’infini. Dans un rythme à la fois élémental et psychique, une thématique basale maniaco-dépressive est ici reconnue, célébrée, symbolisée. Le cerf-volant sautille, fragile et gai, comme un objet transitionnel entre ciel et terre, vie et mort.
36Il est difficile d’apprécier la portée des métamorphoses dans lesquelles Vendredi introduit Robinson. L’étrange sacrifice d’Andoar31 scellerait plutôt une convivialité qu’une société à proprement parler (parce qu’il n’y a pas de femme, en dehors de l’île-mère elle-même évanescente ?). L’un et l’autre sont entraînés dans une héliophanie. « Le premier rayon qui a jailli s’est posé sur mes cheveux rouges, telle la main tutélaire et bénissante d’un père » (p. 216). Alors l’évidence s’impose. « Andoar, c’était moi ». Par un éclatement identificatoire, le vieux bouc humilié (« vieux mâle solitaire et têtu avec sa barbe de patriarche et ses toisons suant la lubricité ») est exalté dans la gloire éolienne et solaire. Transfiguration. Dans la seconde partie du roman, s’épanouissent de plus en plus des fantasmes de filiation grandiose, dont Vendredi apporte en quelque sorte le message chiffré. Or le noyau de ces fantasmes de parthénogénèse virile (absurdité biologique mais non mythologique) semble bien consister en désir de se concevoir soi-même, d’être son propre père. Certes un auto-engendrement symbolique est-il inhérent à l’assomption singulière de tout individu, à l’obtention de soi qui constitue un sujet, même barré. Mais elle s’opère ici dans l’oblitération de la différence des sexes et des générations. Le mythe de Léda, entrevu dans la gelée lunaire (« Dans l’œuf de Léda fécondé par le Cygne jupitérien, les Dioscures sont nés, gémeaux de la Cité solaire » (p. 231)), est peut-être à interpréter comme la manifestation d’une théorie sexuelle infantile réduite au degré presque zéro de la sexuation. « ... ils ne sont pas les chaînons d’une lignée qui rampe de génération en génération à travers les vicissitudes de l’histoire. Ce sont des Dioscures, êtres tombés du ciel comme des météores, issus d’une génération verticale, abrupte ; leur père le Soleil les bénit, et sa flamme les enveloppe et leur confère l’éternité » (p. 232). Mais ce ne sont qu’allégories. Le chiffre du sujet n’y est pas précodé. En d’autres termes, un mythe, ou un « mythe individuel de névrosé », peuvent toujours être rouverts, matrices symboliques porteuses de vie. Le poète qui les féconde « tâtonne à la recherche de lui-même dans une forêt d’allégories ».
***
37Le cygne embrassant Léda fut-il pour Léonard de Vinci symbole enclavé d’une scène primitive de fellation dont il aurait été témoin ? Cette hypothèse de Eissler32 est plausible. Cependant, l’important tient dans ce que Léonard a fait de cette scène : travaux d’anatomie, de mécanique, d’aéronautique, d’écriture, de dessin et de peinture. Quelques considérations s’imposent ici pour leur analogie avec la problématique de Robinson.
38Vinci fut un des premiers à pratiquer la dissection. Lui si précis par ailleurs, si critique, ne devait pourtant guère être familier de l’anatomie du pénis. L’esprit libre de l’expérimentateur impénitent continuait à souscrire à l’enseignement de Galien, selon lequel deux canaux traverseraient le pénis, l’un conducteur de l’esprit animal ou âme, l’autre de l’urine et du sperme. On peut douter qu’il ait jamais pratiqué une dissection de cet organe. Nous savons par ailleurs, grâce aux Carnets, que le phénomène de l’érection, son pourquoi, son maintien semblent être restés pour lui énigmatiques. Mais une énigme plus psychologique qu’anatomique. A l’époque, prévalait la théorie de l’érection pénienne par gonflement d’air. Les observations anatomiques de Léonard le convainquirent qu’il s’agissait d’un afflux de sang. Cependant, par un étrange clivage proche du déni (Verleugnung), la théorie pneumatique subsiste dans son esprit sous une forme déplacée. L’organe est perçu comme étranger à la volonté, même davantage, comme doué d’arbitraire et de caprice. Il faut ici citer un passage étonnant des Carnets, intitulé « Della verga » : « ... il semble que cette créature a souvent une vie et une intelligence séparées de l’homme et il paraîtrait que l’homme ait tort d’avoir honte de lui donner un nom ou de l’exhiber, cherchant d’autant plus à couvrir et à cacher ce qu’il devrait orner et exposer avec solennité comme un officiant »33. L’organe mâle gonfle et dégonfle capricieusement, monte et descend... comme au gré du vent. Ici viendraient s’accrocher tel un corail, sur un fragment de « souvenir d’enfance », les travaux aéronautiques de Léonard et ses fantasmes de vol, selon une efflorescence symbolique du genre : pénis indiscipliné (par des attouchements séducteurs et/ou auto-érotiques ?), phallus ailé, voler soi-même, s’exhiber, se vêtir d’atours somptueux... Toujours est-il que les recherches de Léonard sur le vol étaient très érotisées. Outre le modèle connu du milan, « si habile qu’il peut se maintenir en l’air même lorsqu’il y a de telles rafales et que le vent est si irrégulier qu’il empêche les autres oiseaux de voler »34, celui de la chauve-souris prévaut, animal qui passe pour lubrique, dort la tête en bas (image des organes génitaux mâles au repos, et symbole d’impuissance voire d’inversion), mais dont le vent prend dans les membranes quand elle vole, un vol secoué de saccades. Bref, le symbole est chargé : « Ton oiseau (la machine volante) ne doit pas avoir d’autre modèle que la chauvesouris »35. Il resterait à savoir si cette « masse » fantasmatique, dont on trouve maints échos dans Vendredi n’a pas à connaître de la structure de la sexualité masculine.
39Et pour Robinson, quel couple gémellaire habiterait l’œuf de Léda ? A première vue, Vendredi et lui. Forment-ils un couple fraternel ou faussement fraternel ? Derrière un rapport initiatique se cacherait une « mutuelle complaisance » de père à fils, où une certaine théologie a engagé ses mises ? Conformément à une théorie grecque qu’on trouve déjà chez Eschyle, qui subsiste au Moyen âge et même au-delà, la semence mâle contiendrait tout l’enfant. L’œuf maternel ne serait qu’enveloppe, réceptacle. La légende et l’iconographie de Léda suggèrent fortement, puisque les gémeaux (Castor et Pollux) sortent d’un œuf de cygne, que c’est la puissance travestie de Jupiter qui les suscite. L’élément femelle est tenu pour inessentiel dans le mythe comme dans Vendredi. Mais il faut interroger plus avant et se demander si la gémellité ne serait pas ici l’écran d’un simulacre de paternité (de paternité spirituelle ?), d’une égalité fictive où s’esquive la mort par le mépris du relais vital qui effectue la transmission des générations selon la chair.
IV
40La paternité, l’interdit de l’inceste, les prescriptions de mariage font lien social. On peut supposer qu’un type de société envahie par l’industrialisation et l’urbanisation, esseule les individus et disloque les rapports de sexe et de génération que soutenaient autrefois des modes de vie et de production essentiellement agraires (malgré les exceptions constituées par les seigneurs guerriers et les bourgeois commerçants).
41La guerre est-elle plus vive aujourd’hui entre les sexes ? Aucun des deux n’accepte plus de jouer le jeu selon les règles d’autrefois. Robinson nous a permis de deviner quelques traits de la sexualité masculine, d’autant mieux avérés que la Loi se veut ignorée, de la différence des sexes et des générations. Vient alors à se manifester la virilité comme performance phallique angoissée. « L’imaginaire masculin n’a-t-il pas pour fonction de déployer et de baliser un espace possible pour que l’éjaculation ne détruise pas le sujet ? », demande M. Montrelay36. L’espace est ici la surface corporelle de Speranza, où peut être tenue sous le regard la prouesse phallique. Un autre trait typique de l’impasse sur la femme se trouverait dans l’attachement homosexuel à une imago paternelle. L’aventure solaire de Robinson incline en ce sens37.
42Resterait à interroger le rapport dans le non-rapport. Antigone est-elle bien une figure de la femme contemporaine ? Le mythe, à première vue, laisserait croire qu’elle sauve et honore la famille contre la société. En fait, elle revendique contre tout le reste les liens du sang, méprisés par Créon. Elle se réclame des lois non-écrites, c’est à-dire des sentiments, certitudes des entrailles. Créon ne peut l’admettre : « Cette fille a déjà montré son insolence en passant outre à des lois établies ; et, le crime une fois commis, c’est une insolence nouvelle que de s’en vanter et de ricaner. Désormais, ce n’est plus moi, mais c’est elle qui est l’homme, si elle doit s’assurer impunément un tel triomphe. Eh bien ! non ! »38.
43Antigone refuse la Loi au nom des liens du sang. Robinson la pervertit en « sublimant » les liens du sang. Aurions-nous là deux attitudes extrêmes devant les blessures, quelquefois brutales, qu’inflige au désir la vie quand elle prend inscription sociale ?
***
44Quand enfin une goélette accostera sur l’île au bout de vingt-huit ans, Vendredi l’éolien, fasciné par la voilure, éros ailé, suivra son propre destin. Vent de passage. Mais le moussaillon échappé du Whitebird surprendra Robinson qui, convaincu d’être demeuré seul, s’apprêtait à rejoindre dans la mort l’impossible plénitude. « La mort en cette île dont plus personne ne violerait sans doute la solitude avant des décennies n’était-elle pas la seule forme d’éternité qui lui convenait désormais ? Mais il lui importait de déjouer la vigilance des charognards mystérieusement avertis et prêts à remplir leur office funèbre. Son squelette devrait blanchir sous les pierres de Speranza, comme un jeu de jonchets dont personne ne devrait pouvoir déranger l’édifice » (p. 251). Et il cherchait à rejoindre l’alvéole d’autrefois, quand il trébucha sur le moussaillon. « Viens avec moi », dit Robinson, renaissant à la vie. « Désormais, ajouta-t-il, tu t’appelleras Jeudi. C’est le jour de Jupiter, dieu du Ciel. C’est aussi le dimanche des enfants » (p. 254).
45Et erunt sicut angeli in coelo...
Notes de bas de page
1 Michel TOURNIER, Vendredi ou les limbes du Pacifique, Gallimard (Folio, 959), 1972.
2 Michel TOURNIER, Le vent Paraclet, Paris, Gallimard (Folio, 1138), 1977. Dans cette autobiographie intellectuelle, l’auteur livre quelques renseignements sur la genèse de ses œuvres. Curieusement — mais n’est-ce pas inéluctable ? — l’écrivain qui s’explique ouvre des pistes de lecture alors qu’il semble en oblitérer d’autres. Nul n’est maître de ce qui l’agit(e), moins que partout au plus vif de sa création. Malentendu de structure : il n’y a pas de rapport textuel...
3 Le vent Paraclet, p. 229.
4 On sait que O. Rank s’est efforcé de recentrer la cure psychanalytique autour du traumatisme de la naissance. Renonçant à interpréter de manière « anagogique » les fantasmes de seconde naissance (à la façon de Jung), il pense que ceux-ci sont la répétition psychique dans le transfert du processus psycho-physiologique de la naissance réelle. D’où la promotion d’une technique plus active de la cure, où il s’agit de confronter d’emblée l’analysant à l’angoisse de la séparation natale, prototype de toutes les angoisses ultérieures. Freud est resté quelque temps perplexe devant ces thèses, malgré les admonestations de K. Abraham, sûr d’y découvrir de funestes présages. On peut même dire, je crois, que c’est l’aspect technique, plus que l’ébranlement théorique, des vues rankiennes qui d’abord le retint. Le traumatisme de la naissance laissait en tout cas dans son sillage au moins deux problèmes : du statut de l’angoisse et des fantasmes de castration. Freud en a très lucidement perçu l’impact (cf. FREUD - ABRAHAM, Correspondance 1907-1926, Gallimard, 1969, p. 353). On se reportera aussi avec profit aux travaux de J. LAPLANCHE, L’angoisse (Problématiques I) et Castration. Symbolisations (Problématiques II), Paris, P. U. F., 1980. En deux mots : nous croyons lire chez cet auteur une conception de la pulsion comme excitation interne, afflux énergétique — ceci est strictement freudien —, mais aussi — ce qui est plus neuf — comme séduction intériorisée, qui suscite un gonflement pulsionnel produisant lui-même son signal d’angoisse. Celui-ci s’appréhenderait comme danger externe, principalement dans sa figuration phobique. Or si la castration est structurante, ce n’est pas en tant que menace redoutée mais comme symbolisation. Ce qui suppose qu’elle puisse être désirée, ainsi qu’un sacrifice. N’est-ce pas une part de la fonction des rites d’initiation, dangereusement absents de nos sociétés modernes, forcées de les réinventer sous des formes plus ou moins perverses ? Vendredi ou les limbes du Pacifique est de part en part un récit initiatique. La question de l’initiation traverse d’ailleurs toute l’œuvre de Tournier.
5 La maquette de couverture de l’édition Folio représente un tête biface, dont la section longitudinale découvre une goélette sur mer d’azur. Doublure qui pourtant n’est pas spéculaire : Vendredi et Robinson sont « soudés » et confondus par l’occiput. Le voilier sur les flots « appelle » son reflet : le cerf-volant dans les airs. Toute la structure du roman est duelle (Robinson et File, Robinson et Tenu, Robinson et Vendredi, Tenu et Vendredi, Ciel et Terre,...) sans qu’on la puisse dire spéculaire. Il y a des effets de miroir, mais comme reflétés dans l’étrange courbure d’un univers cherchant à se redresser. Cette torsion n’est pas sans évoquer l’affaissement du monde schrébérien, visualisé dans le schéma I de Lacan (Ecrits, 571). Cependant, à aucun moment Robinson n’offre le spectacle d’une psychose délirante. La remarque ne simplifie pas le problème d’une critériologie métapsychologique susceptible de discerner la structure perverse de la psychotique. Question qu’on ne saurait escamoter d’un concept (forclusion) dont à peu près tout reste à penser. Comment le désaveu (Verleugnung) pervers préserve-t-il de la psychose ? Peut-être au prix de la Spaltung : des identifications, du Moi-Sujet, de la réalité.
6 G. ROSOLATO, « Le fétichisme », dans Le désir et la perversion, Paris, Seuil, 1967, p. 33. Sur l’ensemble des travaux de Rosolato, voir J. MELON, « Présentation de Rosolato », dans Les feuillets psychiatriques de Liège, 13/3, 1980, pp. 294-318.
7 Idem, p. 38.
8 G. ROSOLATO, « Du Père » dans Essais sur le Symbolique, Gallimard, (Tel 37), 1969, p. 42.
9 Idem.
10 G. ROSOLATO, Essais sur le symbolique, p. 269.
11 Sarah KOFMAN, L’énigme de la femme. La femme dans les textes de Freud, Paris, Galilée, 1980, p. 269.
12 S. FREUD, Nette Folge der Vorlesungen zur Einführung in die Psychoanalyse, Gesammelte Werke, S. Fischer, XV, 144 ; « La Féminité » dans Nouvelles Conférences sur la psychanalyse, Paris, Gallimard (idées, 247), p. 177. Il n’est pas sans intérêt de noter que Freud produisit ce texte deux ans après la mort de sa mère.
13 Cf. S. MOSCOVICI, La Société contre nature, Paris, 10/18, no 678, p. 238 et passim.
14 Cité dans C. LEVI-STRAUSS, Les structures élémentaires de la parenté, Paris, Mouton, 1967, pp. 555-6.
15 Idem.
16 G. MENDEL, La chasse structurale. Une interprétation du devenir humain, Paris, Payot (PBP, 328), 1977, p. 290 et passim.
17 L’importance bio-anthropologique de la prématuration ne saurait être surestimée. Ni le fait qu’elle soit liée au redressement des premiers hominiens et aux modifications morphologiques qui s’ensuivent. L’intrication de facteurs écologiques (climatiques) et de mutations génétiques est, par contre, difficile à reconstituer.
18 R. et L. MAKARIUS, L’origine de l’exogamie et du totémisme, Paris, Gallimard (Bibl. des Idées), 1961.
19 R. et L. MAKARIUS, op. cit., pp. 38-39.
20 Cf. S. FREUD, Totem und Tabu, G. W. IX. Totem et Tabou, Paris. Payot (PBP, 77).
21 Raisonnement étrange. Rien n’a été commis mais un interdit qui porte sur « rien » fait rêver. Tout se passe comme si la loi effaçait l’événement qui ne peut subsister que comme trace.
22 Les structures élémentaires de la parenté, p. 563.
23 Citée dans E. JONES, La vie et l’œuvre de Sigmund Freud, Paris, P. U. F., 1969, T. 3, p. 511.
24 MAKARIUS, op. cit., p. 69. Les auteurs rapportent un témoignage de Lord Raglan selon lequel chez certains Kaffirs, quand la plaie d’un jeune circoncis ne voulait pas se cicatriser, on le soupçonnait de relations incestueuses.
25 Idem, p. 73.
26 La société contre nature, p. 337.
27 Idem, p. 341.
28 Idem, p. 349.
29 Ce que Deleuze appelle la marginalité, le possible introduits par la structure-Autrui-a priori. Cf. Michel Tournier et le monde sans autrui, postface à Vendredi...
30 La signification phallique (non-châtrée) de l’île ressort clairement, si on rapproche ce texte d’un passage extrait du Veut Paraclet (p. 20) : « Le prépuce est une paupière. Le gland du circoncis est semblable à un œil auquel on aurait arraché sa paupière. Le cristallin exposé à toutes les atteintes extérieures deviendrlit à la longue sec, épais, vitreux et perdrait sa pransparence. La vision de cet œil ne serait plus que globale, grossière, approximative ».
31 Un bouc d’une particulière puanteur. Le grand-père maternel de Tournier se prénommait Edouard et tenait une officine d’apothicaire, saturée d’odeurs. Le rôle de l’olfaction et des odeurs est une constante dans l’œuvre de Tournier.
32 K. EISSLER, Léonard de Vinci, Paris, P. U. F., 1980.
33 Cité dans EISSLER, p. 175.
34 Idem, p. 191.
35 Idem, p. 193.
36 M. MONTRELAY, « L’appareillage » dans Confrontation. La sexualité masculine. Cahiers 6, automne 1981, p. 38.
37 A comparer avec le culte d’Aton du pharaon Amenhotep IV, si admirablement analysé par K. ABRAHAM. Œuvres complètes I. Rêve et mythe. Paris, Payot, 1973.
38 SOPHOCLE, Tragédies. Gallimard (Folio 360), p. 109.
Auteur
Chargé de cours aux Facultés Notre-Dame de la Paix à Namur, Le sublime et le pervers : Janus bifrons.
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