Reflet dans un regard
Phénoménologie de l’affectivité chez Sartre
p. 101-125
Texte intégral
1« S’il est chose ou conscience pure, l’homme cesse d’être au monde ». Cette thèse phénoménologique évoquée par A. De Waelhens dans la préface de la deuxième édition de La Structure du comportement radicalise en la critiquant la métaphysique sartrienne de L’Être et le Néant. A la demande de M. Merleau-Ponty, il fallait justifier la portée d’une philosophie de la perception pour assurer le rôle de la corporéité comme modalité fondamentale de l’existant. Les descriptions phénoménologiques très fécondes de Sartre à propos du corps pour moi et du corps pour-autrui déniaient les fondements ontologiques qui les sous-tendaient. « Comment une conscience existante peut-elle être à la fois inhérence et projet » si l’on s’acharne à opposer l’En-soi et le Pour-soi dans la lignée d’un dualisme cartésien qu’aucune action créatrice ne peut totaliser sous peine de radicale contradiction ? « Le Pour-soi n’ayant pas d'être en lui-même ne peut exister que comme néantisation d’une facticité, cette dernière est précisément le corps propre ». Mais cette facticité est inséparable d’un projet qui définit ma situation, mon passé. La conscience se fait donc point de vue sur le monde dans la néantisation même du corps, le dépassé. Mais ce point de vue au sens strict est « pur regard », il ne participe pas à la « chair du monde dans l’appartenance perceptive ».
2A. De Waelhens souligne l’inutile effort de Sartre pour différencier la conscience de la connaissance. De fait, s’il n’y a pas remplissement comme le veut Husserl, mais information d’un vide — le Pour-Soi —, comme vide déterminé de ’ceci’ par rapport à d’autres ’ceci « il n’est d’autre connaissance qu’intuitive ». Pour Sartre, la conscience est devenue spectatrice pure, elle ne saurait se rapporter à l’En-soi de façon engagée, ambiguë : « sitôt qu’elle le connaît, elle le transperce ; sitôt qu’elle parle, tout est dit d’un coup ». Même si la ’vie’ de conscience est posée par Sartre et avec elle la réalité de l’ipséité, « celle-ci n’est pas assurée dans son principe ». Ainsi A. De Waelhens, critique, s’incline devant la richesse descriptive phénoménologique mais dénonce catégoriquement le dualisme rationaliste. Face à l’ontologie intellectualiste de Sartre, la réponse de Merleau-Ponty. Mais jusqu’à quel point ?
3Nous nous poserons la question : y a-t-il ou non harmonie entre la phénoménologie du corps chez Sartre et son ontologie ? Ne pouvons-nous infléchir le jugement subtil et sévère d’A. De Waelhens à l’égard d’une conscience en miroir, reflet-reflétant se récupérant sans cesse dans une circularité mortifère et désengagée ? L’inimitié avouée de De Waelhens pour une visée totalisatrice toujours avortée et toujours récupérée par le regard du tiers — Sartre lui-même —, ne trahit-elle pas cela même qu’elle reproche ? Le refus des idées n’a pas empêché l’attrait pour l’œuvre : Sartre a joué un rôle prépondérant dans les travaux d’A. De Waelhens. Citons par exemple l’obsession du témoin absolu, regard paranoïaque qui fige et transperce, déjà dénoncé dans son article L’homme, c’est une illusion d’optique, consacré à la pièce Le Diable et le Bon Dieu. Que dire de cet autre témoin absolu « immuable comme Dieu et d’une suite enragée » que dénonce l’œuvre sur Saint-Simon, où se projette par plus d’un côté la même finalité que celle de L’Idiot de la famille, la visée d’une vie en totalité ? Relire Flaubert, sa correspondance, sous le signe d’une « analyse existentielle », mais cette fois avec les lumières de la psychanalyse, était effectivement le dernier projet de A. De Waelhens : mettre au jour les structures psychologiques d’un homme « qui n’a accepté d’exister que par les mots... ». Explicitement négative, implicitement positive, l’œuvre de Sartre fut donc présente au philosophe des expériences naturelles, dont la pensée souveraine aimait « dire et poser la vérité ».
4Chacun sait aussi de quelle admiration A. De Waelhens adhérait aux études de M. Merleau-Ponty, à ses recherches sur la perception et sur le corps vécu. Existence et signification en témoigne, ainsi que La Philosophie et les expériences naturelles. Sans nul doute, c’est l’amitié qui guidait A. De Waelhens dans le débat opposant les deux grands philosophes français. N’allait-elle pas l’emporter dans ses choix sur ses accointances affectives spontanées ?
5Certes, l’activité philosophique d’A. De Waelhens s’attachait à une philosophie de l’ambiguïté, à l’expérience expressive du corps. Mais là encore, il avait une manière propre de révéler la perception mondaine, existentielle, presque charnelle dans sa plénitude, de saisir le vécu corporel dans sa liaison à autrui, manière qui prenait des distances vis-à-vis d’analyses plus formelles qui visaient les structures, celles du comportement. La prégnance du corps aux choses, aux autres, à l’histoire et aux mots eux-mêmes ne l’engageait pas de fait à rejoindre la membrure dimensionnelle de l’Être. Et bien qu’il en rejetât les soubassements dualistes, par tout un côté affectif de ses descriptions phénoménologiques A. De Waelhens semble se rapprocher davantage de « l’intuition » anthropologique sartrienne. Nous savons par ailleurs qu’il n’avait jamais admis la représentativité des derniers écrits de Merleau-Ponty rassemblés dans l’œuvre posthume Le Visible et l’Invisible, pages ouvertes à l’ontologie heideggerienne plus qu’à une métaphysique de l’existant. Sans doute garda-t-il toujours l’exigence d’un fondement ontologique à sa recherche, mais il ne « l’entre-voyait » pas dans la perspective philosophique du dernier Heidegger, celle qui signifie au contraire chez Merleau-Ponty la dimension du sens, Être vertical ou Être sauvage.
6Quoi qu'il en soit des influences réciproques des uns sur les autres, à l’heure où la parole s’est tue, à l’heure où l’existence renaît par-delà les écrits, s’accomplit aujourd’hui la présence de l’œuvre : elle totalise pour nous comme à rebours et sous un éclairage neuf des destins parallèles qui peut-être se répondent. Nous voudrions ici relever les intuitions implicites, le non-dit de l’espoir que l’ultime échange fait saillir1.
7Nous interrogeant à propos du problème de l’affectivité, nous commencerons par décrire la psychologie phénoménologique de Sartre : ce qui signifie pour lui l’évolution de la notion d’affect et de corporéité. Ses descriptions de l’émotion, de la douleur, du désir, de l’angoisse, de la honte, font pressentir une dimension charnelle d’un vécu originaire qui semble démentir les enracinements rationalistes et dualistes de son ontologie.
8Comparant ces descriptions à celles de Merleau-Ponty, nous découvrons tout au contraire chez celui-ci, dès ses premières œuvres, une problématique de la chair et de la réversibilité du corps au monde alors que, paradoxalement, il est rarement fait référence, sur le plan vécu, à une dimension désirante : la rencontre n’y est pas « affective ». Il s’agit plutôt d’une philosophie concrète des « correspondances » — mises plus tard en lumière dans Le visible et l’invisible —, de ce tissu ontologique originaire de l’échange, l’Être sauvage, que le langage remémore. Ainsi la dimension comportementale : s'il est fait allusion aux sources d’ouverture — amour ou haine2 — comme premiers arrimages de l’existant au monde, c’est pour y lire d’abord une configuration, le jeu d’équivalence où tous les sens s’entrecroisent. Il n’est pas question d’affectivité proprement dite : la sexualité fait partie intégrante de la compréhension dimensionnelle du corps, plutôt que de sa qualité émotionnelle ou désirante. C’est qu’autrui n’y prend pas le rôle actif, fût-il ’enfer’. Les relations intersubjectives participent à une même structure circulaire, elles ne relèvent pas comme chez Sartre de la passion ou de la responsabilité éthique.
9Mettant en perspective la problématique de l’affectivité qui transparaît à travers les anthropologies des trois philosophes, respectivement celle de la transcendance « en miroir », celle du corps vécu, et celle du désir, nous nous arrêtons particulièrement à la première qui sert de point de chute pour le débat critique des deux autres.
I. Les dimensions affectives
10Les premiers écrits phénoménologiques de Sartre font déjà apparaître les dimensions de ce « mode existentiel » de la réalité humaine. Lorsqu’il entreprend en 1934 la critique du champ transcendantal, La Transcendance de l’Ego, Sartre avait déjà en vue le traité sur la Psyché, dont une partie seulement sera publiée sous le titre Equisse d’une théorie des émotions, en 1939. Plus tard, en 1943, L’Être et le Néant constituera l’orchestration ontologique de ce qui était décrit phénoménologiquement dans les premiers essais où n’apparaissent pas encore les thèmes de néantisation et de corps psychique.
1. La Transcendance de l’Ego3
11Dès sa première œuvre, Sartre s’attaque au Cogito critique. Il pose la conscience intentionnelle d’objet dans l’unité synthétique de la circularité réflexive et, de ce fait, il rejette du champ transcendantal l’existence du Je, a priori de droit chez Kant, a priori « de fait » chez Husserl. Il faut au contraire affirmer le caractère impersonnel de la conscience irréfléchie. C’est un absolu dont tout l’être consiste à s’échapper dans la position de l’objet, « elle est purement conscience d’être conscience de cet objet » (T. E., p. 24). Autonome dans son surgissement, elle n’est pas à elle-même son objet. Elle a donc priorité ontologique sur la conscience réfléchie, laquelle était irréfléchie avant d’être objet d’une conscience réfléchissante. Celle-ci n’est d’ailleurs pas au même degré que la conscience réfléchie qu’elle pose. Il y a une conscience irréfléchie de réflexion qui pose la conscience réfléchie comme son objet, de sorte que « la conscience qui dit ’je pense’, n’est précisément pas celle qui pense, du moins ce n’est pas sa pensée qu’elle pense ».
12Or la conscience s’auto-constitue sans cesse dans le flux temporel par un jeu d’unités transversales qui sont les rétentions concrètes et réelles des consciences passées ; elle est totalité toujours réeffectuée dans ce mouvement de transcendance qui l’ouvre à l’objet. De sorte que la conscience irréfléchie n’est jamais donnée à elle-même. Toutefois le souvenir non réflexif des objets posés peut faire ressusciter latéralement la présence d’une conscience. C’est alors de façon non-thétique ; il n’y avait pas de Je dans la conscience originaire. « En fait, je suis plongé dans le monde des objets, ce sont eux qui constituent l’unité de mes consciences, qui se présentent avec des valeurs, des qualités attractives ou répulsives, mais moi j’ai disparu, je me suis anéanti. Il n’y a pas de place pour moi à ce niveau » (T. E., p. 32).
13Les affects apparaissent pour la première fois chez Sartre comme qualités déposées sur les objets appréhendés par la conscience irréfléchie. Ils se donnent à elle comme exigence du monde, « force » attractionnelle ou répulsive dans l’expérience vécue (Erlebnis). Prenons l’exemple du désir où une conscience irréfléchie saisit la qualité désirable de l’objet : « Tout se passe comme si nous vivions dans un monde où les objets, outre leurs qualités de chaleur, d’odeur, de forme, etc..., avaient celles de repoussant, d’attirant, de charmant... et comme si ces qualités étaient des forces qui exerçaient sur nous certaines actions » (T. E., p. 42). A ce niveau la conscience désirante irréfléchie est pure spontanéité. C’est la réflexion qui va empoisonner le désir. Je me vois désirant. En effet, une conscience réfléchissante s’est posée sur une conscience réfléchie : elle est positionnelle de soi en train d’agir.
14Sartre souligne cette objectivation, complice de la réflexion, à deux niveaux : celui des états affectifs et des qualités, et celui du Moi. Les états reflètent l’unité synthétique d’une série de consciences réfléchies affectivement qualifiées. Ainsi une haine se donne et permane à travers chaque mouvement de dégoût, de répulsion, de colère. Elle se constitue objectivement comme n’étant aucun d’eux puisqu’elle déborde infiniment l’instantanéité de la conscience actuelle. Synthèse passive pour la réflexion, l’état se présente pour tant comme la source de tous mes Erlebnisse. Intermédiaire entre mon corps et ma conscience, il agit sur eux, causalement du côté du corps (ma mimique), magiquement du côté de la conscience (ma colère n’émane-t-elle pas de ma haine ?).
15Toutefois mes états eux-mêmes sont portés par l’unité transcendante du Moi. N’est-il pas comme l’ombre toujours dépassée de tous mes Erlebnisse ? Sans doute est-il constitué à chaque instant par chacune de leurs temporalités : il est l’unité synthétique ’idéale’, horizon de tous les états, ainsi que des dispositions qualitatives et des actions, réfléchis par la conscience. Mais c’est une totalité concrète transcendante elle-même, qui vit sa temporalité propre, toujours réactualisée, fût-elle globalement toujours dépassée par la conscience actuelle. Ainsi apparaît-elle comme unité transcendante ayant son autonomie. N’est-elle pas source créatrice de mes états, de mes qualités, de mes actions ? En réalité, l’Ego n’a qu’une pseudo-spontanéité. Sa production est magique : il n’est qu’un foyer virtuel d’unités. « Ce qui est premier réellement, ce sont les consciences à travers lesquelles se constituent les états, puis à travers ceux-ci l’Ego. Mais comme l'ordre est renversé par une conscience qui s’emprisonne dans le monde pour se fuir, les consciences sont données comme émanant des états et les états comme produits par l’Ego » (T. E., p. 63).
16De sorte que la conscience a projeté sur le Moi son pouvoir créateur, mais « cette spontanéité représentée, hypostasiée dans un objet, devient une spontanéité bâtarde et dégradée qui conserve magiquement sa puissance créatrice tout en devenant passive » (T. E., p. 64). L’Ego est donc irrationnel. Il a une sorte de pouvoir d’action dans sa passivité objective : « Voilà pourquoi l’homme est toujours sorcier pour l’homme » et même pour lui-même (nous le verrons dans l’émotion). L’exemple de la mimique expressive livre l’Erlebnis devenu objet passif et pourtant produisant spontanément un sens. C’est, dit Sartre, le fonds de la sorcellerie, le sens profond de la participation originaire. Nous sommes ainsi entourés d’objets magiques (expressifs).
17Mais si l’Ego produit, en retour il est impressionné, affecté, par ce qu’il produit et « seulement par ce qu’il produit » (T. E., p. 65). Car il produit ses états, ses actions en les vivant d’une temporalité propre sans aucun lien avec le monde extérieur. Dès lors, la temporalité du moi est une synthèse, une intériorité concrète enroulée sur elle-même mais toujours transcendante aux états, encore qu’elle apparaisse plus intérieure que ceux-ci : « C’est très exactement l’intériorité de la conscience réfléchie contemplée par la conscience réflexive ».
18Par la réflexion, l’intériorité du Moi s’est ’alourdie’, elle est vue du dehors — objet transcendant —, bien qu’elle demeure une intimité fermée sur elle-même. Ainsi le Moi n’est pas connaissable pour la conscience, pas plus que le Moi d’autrui. Son indistinction est d’autant plus manifeste que toute observation précise fait reculer d’un cran cette totalité synthétique dans le passé. Proche de la conscience, l’Ego suit lui aussi l’effet de recul de la réflexion. Celle-ci se prend alors dans une introspection de « mauvaise foi » et ne récupère jamais ce « jeu » qui la sépare par essence de son contenu réflexif. Seule m’est donnée une intuition concrète du Moi « comme unité incorporée de mon présent ». En ce sens, l’Ego est unité noématique et non plus conscience (noétique).
19Ainsi l’Ego n’apparaît pas en dehors de l’acte réflexif. Par nature il est fuyant. Et s’il arrive que le langage parle du ’je’, ce ne peut être qu’un concept vide, Je universel d’une forme syntaxique que le corps illusoirement vient remplir.
20La lecture de La Transcendance de l’Ego pose les premières conditions de l’affectivité en tant que réfléchie.
Les qualités affectives — attraction, répulsion — sont prélevées sur l’objet.
Le Moi a sa temporalité propre : intériorité enroulée sur elle-même et pourtant transcendante. Elle représente le psychique, sorte d’intimité close dans l’extériorité du Monde.
Le Moi, par nature, est une synthèse irrationnelle de passivité et d’activité. En ce sens, il est milieu d’une multiplicité d’interpénétration. Et si le magique se définit par la liaison ’poétique’ de deux passivités dont l’une crée l’autre spontanément, le Moi est sorcier pour lui-même : il produit ses états et il se trouve envoûté par eux, affecté par le choc en retour de ce qu’il produit. Serait-ce que l’affectivité s’y présente comme mode de participation ou l’homme est toujours sorcier pour l’homme (T. E., p. 64) ? Sartre fait allusion à la mimique qui enveloppe un rapport de possession, puisque l’Erlebnis, devenu objet dégradé, garde tout son sens pour l’interlocuteur.
Le corps est « support illusoire » du Je syntaxique.
2. Une théorie de l’émotion : le rôle du corps
21L’Esquisse d’une théorie des émotions, devenue un texte classique4, garde tout son intérêt pour une étude sur l’affectivité.
22Sartre épouse le mouvement de la conscience irréfléchie qui se dirige émue vers le monde. Rejetant l’approche empiriste (W. James) ou introspective des faits inconscients (P. Janet) et refusant le droit aux théoriciens behavioristes et même gestaltistes de justifier, du dehors, non seulement la classification des faits ou le rôle mécanique des fonctions, mais encore la synthèse des ’formes’, Sartre fonde au contraire l’émotion sur la compréhension de l’être-au monde, qui peut seule nous faire saisir la signification symbolique du psychique5. On ne peut admettre, dit-il en 1939, la contradiction de la psychanalyse en tant qu’elle prescrit à la fois un lien causal et un lien de compréhension du phénomène. Refusant l’explication causaliste, Sartre rend compte de l’émotion comme d’une forme organisée de l’existence.
23Déjà Heidegger souligne dans L’Être et le Temps (§ 29) le caractère constituant de l’affectivité pour la réalité humaine « s’apparaissant dans la compréhension ». Husserl, de son côté, fait une description phénoménologique de l’émotion pour mettre au jour les structures essentielles de la conscience. A leur suite, Sartre suggère d’interroger l’émotion sur la réalité humaine et réciproquement. Ne représente-telle pas une structure essentielle, indispensable à la compréhension de l’affectivité comme « mode existentiel » de la réalité humaine (E. E., p. 11) ?
24Qu’est-ce que l’émotion ? Sartre s’en tient à une analyse descriptive des formes émotives pour en retrouver l’enracinement facticiel, le corps. En ce sens il n’a pas inauguré une anthropologie qui serait l’étude de la réalité humaine en son essence affective a priori. Son étude relève plutôt d’une psychologie phénoménologique régressive et non d’une phénoménologie pure.
25L’émotion est une conduite qui vise à transformer le monde par un effet de croyance. Quand les choses nous apparaissent trop difficiles et que notre monde hodologique qui lie synthétiquement la conscience aux qualités des objets est barré de toutes parts, que nous sommes obligés d’agir, alors nous changeons les qualités des choses comme si « les rapports des choses à leurs potentialités n’étaient plus réglés par des processus déterministes mais par la ’magie’ » (E. E., p. 33).
26Qu’en est-il en fait ? Face au danger ou à l’obstacle insurmontable, la conscience ne quitte pas le champ objectif du monde, elle n’use pas du détour de la réflexion, elle répond immédiatement en « jouant » un nouveau rapport au monde. Mais comme elle n’a pas le pouvoir de changer les perspectives réelles qu’elle perçoit sur le monde, elle va vivre sur le mode de la croyance : sa conduite ne sera pas effective. Sans doute est-il habituel pour la conscience irréfléchie de trouver de nouvelles solutions à ses problèmes, lesquels servent de motivation à de nouvelles conduites, mais ici les chemins sont barrés. Comme dans le rêve ou le sommeil, « c’est le corps qui dirigé par la conscience change ses rapports au monde pour que le monde change ses qualités » (E. E., p. 34). Ainsi, dans la fable, les raisins convoités et pour nous inaccessibles sont tout à coup jugés (goûtés) trop verts. L’émotion est une transposition de cette conduite (ici de mauvaise foi) devant l’urgence.
27Sartre va souligner le rôle fonctionnel du corps, « dirigé » par la conscience. C’est elle qui croit, c’est lui qui change son orientation en niant l’objet. Par exemple, devant l’imminence du danger, il joue une conduite d’évasion : c’est l’évanouissement. Ou il inverse la structure vectorielle de l’espace : c’est la fuite (’de l’autre côté’). Si les moyens manquent pour réaliser un projet, le corps manifeste son accablement en faisant en sorte que le monde n’exige plus rien : c’est la tristesse, tout est morne. A moins que, exagérant les difficultés dans l’abandon des responsabilités, la conscience n’use du corps : c’est la crise de larmes. D’autres exemples décrivent l’action magique de l’émotion. Dans la colère, nous agissons sur nous-mêmes en nous mettant en infériorité, de telle sorte que la tension des exigences est moindre et les solutions plus faciles. Enfin, la joie est, elle aussi, une conduite incantatoire symbolique puisqu’elle tend à totaliser anticipativement la possession certaine de l’objet désiré par la contraction du temps dans ’l’instant d’éternité’.
28Si la conscience joue une conduite, elle subit aussi en retour les phénomènes physiologiques qui, en un sens, font « le sérieux de l’émotion », son fonds de croyance. « Ils entrent avec la conduite dans une forme synthétique totale », bien qu’ils ne soient pas réductibles à son intention : on peut s’arrêter de fuir, non de trembler ! L’émotion apparaît donc « dans un corps bouleversé qui tient une certaine conduite. Celle-ci constitue la forme et la signification du bouleversement ; sans lui, elle serait pur schème affectif » (E. E., p. 41). Le corps est bien le médium de la conscience émue. Celle-ci se dégrade au niveau du bouleversement physique et par ce biais ’voit’ autrement les qualités du monde. Il s’agit donc d’irréaliser le monde en s’enfermant dans une conduite nouvelle du corps.
29Mais plus la conscience se prend à ce jeu corporel, plus elle renchérit sur sa croyance. Dans un monde devenu magique, les objets l’enferment sur un fond-horizon qui est autrement qualifié : le cruel, le morne, l’inquiétant. Ainsi l’émotion se transcende elle-même comme intuition de l’absolu.
30D’une autre façon, le magique peut directement surgir du monde lui-même sans que la conscience ne l’ait induit par le corps. Par exemple, un visage grimaçant derrière la vitre obscure se fige en signe maléfique. Synthèse irrationnelle de spontanéité et de passivité, le magique transit les relations interpsychiques et même les objets qui en dépendent. Le magique est dans le monde ce rapport immédiat qui noue entre notre corps et les corps une dimension de croyance active. C’est l’expression du visage de l’autre qui provoque l’horreur et me paralyse. C’est un signe, qui forme un tout synthétique avec le bouleversement de mon corps : « Nous vivons et subissons sa propre signification et c’est avec notre propre chair que nous la constituons ; mais en même temps, elle s’impose, elle nie la distance et entre en nous » (E. E., p. 47).
31Cette fois, le magique devient une structure essentielle, originelle du monde psychique, le lieu de la participation que les structures rationnelles vont essayer de refouler dans un réseau déterministe. Toutefois les catégories de louche, d’inquiétant, d’irritant, d’attristant, désignent une présence souterraine immédiatement vécue sur le fond d’une altération totale du monde. L’espace, le temps, les qualités sensibles répulsives ou attractives, perdent leur caractère de nécessité objective. Le monde d’ustensilité disparaît et l’action se joue à distance comme sans distance.
32En bref, l’étude de l’émotion a renforcé chez Sartre la première approche qu’il faisait de l’affectivité magique dans La Transcendance de l’Ego. L’homme est bien sorcier pour l’homme et pour lui-même.
33Nous en reconnaissons ici l’explication. A côté de la croyance d’une conscience irréfléchie, c’est au corps qu’appartient le rôle médiateur ; il fait la synthèse d’une activité et d’une passivité. Toute conduite est signifiante, elle intentionné ou elle subit la passivité ou l’activité de l’autre corps. Et c’est la jointure agissante entre deux passivités qui réalise le magique, en tant qu’il apporte une satisfaction symbolique6.
34Sartre doit donc recourir à la facticité corporelle pour comprendre l’essence de l’émotion. Elle est une conduite subie signifiante et irréalisante qui s’applique au corps, mais le corps est dirigé par la conscience. Ce dualisme fait déjà apparaître en filigrane le rapport ontologique du pour-soi à sa facticité, le dépassé. Pourtant n’est-ce pas ici la preuve que c’est toute la réalité humaine comme phénomène (ce qui se dénonce soi-même) que Sartre décrit dans l’émotion ? C’est tout l’homme qui est bouleversé et qui participe magiquement à la totalité présente du monde. Ne sommes-nous pas plus proches d’une philosophie du corps vécu ? Pour Merleau-Ponty, « le physiologique et le psychique, réintégrés a l’existence, ne se distinguent plus comme l’ordre de l’en-soi et l’ordre du pour-soi, puisqu’ils sont orientés vers un pôle intentionnel ou vers un monde ». « Je ne puis comprendre la fonction du corps vivant qu’en l’accomplissant moi-même et dans la mesure où je suis un corps qui se lève vers le monde »7. L’émotion est une conduite d’intégration, comme le réflexe. En l’homme seulement peut s’établir un circuit sensorimoteur qui, ayant affaire à des existences plus intégrées de notre être-au-monde global, se présente comme un courant relativement autonome.
3. L’angoisse ontologique
35La structure affective comme dimensionalité de l’être de la réalité humaine a été décrite par Sartre dans L’Etre et le Néant sous le signe de l’angoisse. Elle est la caractéristique même de la transcendance. L’homme est ontologiquement l’être par qui le néant vient au monde « en tant qu’il s’affecte lui-même de non-être » en faisant éclore le néant dans le monde, le ’il y a’ phénoménal prélevé sur l’En-soi (E. N., p. 60). La négation du monde est ainsi possibilité pour l’existant de se transcender en ne l’étant pas. Chez Heidegger, le sens de cette transcendance existe comme compréhension du Dasein, tandis que chez Sartre il s’agit de la conscience, et de plus « cet être en qui il est question de son être implique un être autre que lui » (E. N., p. 29). N’étant pas cause de soi, la conscience n’est rien, et rien ne sépare son présent de tout son passé, elle est liberté secrétant son propre néant. D’où le vertige angoissant de l’existence.
36L’angoisse est dans sa structure essentielle médiatrice de liberté, elle manifeste ce qui sépare l’homme de son essence, de ce moi avec son contenu a priori et historique, de ce qui ’est été’ (E. N., p. 72). Par-delà toute essence, la conscience est fondement sans fondement de sa possibilité comme de son rapport éthique originel aux valeurs. Or « rien ne peut m’assurer contre moi-même ; coupé du monde et de mon essence par ce néant que je suis, j’ai à réaliser le sens du monde et de mon essence, j’en décide seul, injustifiable et sans excuse » (E. N., p. 77).
37Ainsi l’angoisse est l’appréhension réflexive de la liberté par elle-même. Peut-être touchons-nous ici le point central de notre propos. L’angoisse comme souche de notre affectivité originaire serait-elle culpabilisante ? En effet, de quoi le pour-soi est-il angoissé sinon d’être néant, c’est-à-dire d’être un rien qui a à être ? N’est-ce pas qu’il voudrait être en-soi pour-soi ? Mais comment ce néant peut-il être affecté, sinon d’être, pour lui-même, pure intentionnalité sans objet, pure présence temporelle sans retombée sur le monde ? Dans sa réalité originelle, la conscience (de) conscience est pour Sartre angoisse d’exister sur le mode de n’être rien.
4. Mon corps pour autrui
38Une quatrième dimension de l’affectivité, décrite dans L’Être et le Néant, souligne la condition d’apparaître du corps mien : c’est la honte. Cette forme affective originaire de mon objectivation surgit sous le regard d’autrui. On rencontre autrui, on ne le constitue pas. Autrui est la condition de fait de mon apparaître sans que cet apparaître n’advienne pour moi. Pour le comprendre, rappelons-nous l’articulation du jeu de miroir des trois modes d’apparition du Pour-soi (E. N., p. 359).
39Sartre a décrit les trois scissiparités de la conscience. La première, nous l’avons découverte dans l’immanence de la conscience : elle est présence à soi dans son échappement vers le monde, elle est conscience (de) soi en étant positionnelle d’objet. La deuxième extase est liée à la réflexion qui vainement cherche à transcender la néantisation de cette conscience-au-monde. « Pour pouvoir saisir ma transcendance, il faudrait que je la transcende », ce qui est contradictoire, car cette transcendance je la suis, « la réflexion est le réfléchi ». « Toutefois la néantisation réflexive est plus poussée que celle du pur pour-soi comme simple conscience (de) soi ». En effet, la dualité reflété-reflétant de la conscience (de) soi était pure relation d’immanence, tandis que la dualité réflexive oppose l’objet (reflet-reflétant) réfléchi à une conscience (reflet-reflétant) réflexive. La division ici différencie la conscience selon deux niveaux d’exister, tout en gardant l’unité d’une transcendance : cette négation est interne.
40Dans la troisième extase, la négation est plus radicale. Il s’agit d’une scissiparité, en soi réflexive, mais où autrui entre dans la constitution du pour-soi. Ici « la négation se dédouble en deux négations internes et inverses, dont chacune est négation d’intériorité et qui pourtant sont séparées l’une de l’autre par un insaisissable néant d’extériorité » (E. N., p. 360). Ainsi, un être ’moi-autrui’ serait une totalité qui pousserait à l’extrême sa propre néantisation. Mais encore une fois, le jeu de miroir produit l’impossibilité d’une totalisation soumise aux perpétuels renvois. La troisième scissiparité est donc plus radicale puisqu’elle nous met en présence d’un donné de fait : la multiplicité des consciences. Ainsi une totalité comme ’vision synthétique’ serait ’l’Esprit absolu’ du regard. Mais elle n’est pas concevable, car chacune des consciences engagées en est précisément la négation. Il n’y a donc jamais de dehors, ou si l’on veut de synthèse réalisée, mais à chaque fois une totalité détotalisée.
41La description du corps pour autrui apporte un élément décisif à la compréhension de l’affectivité. Nous avions déjà compris, par l’analyse du Cogito et par celle des conduites, que l’Ego est un objet transcendant pour la conscience. Voici qu’apparaît un type d’Erlebnis nouveau qui va réaliser pour le pour-soi une relation intime sur le plan irréfléchi, dont je vis la présence sans la connaître. Autrui en est « l’indispensable médiateur ».
42La honte est l’affect qui me réalise comme corps-pour-autrui. C’est dire qu’autrui me saisit non comme pour-soi mais comme en-soi. Bien plus, je me découvre tel qu’il me voit : « il m’a constitué en un type d’être nouveau qui doit supporter des qualifications nouvelles » (E. N., p. 276). Cet être nouveau est mien et j’en suis responsable en tant que je dois porter un jugement sur moi-même comme sur un objet. J’ai donc une « nature » telle qu’autrui la constitue et à laquelle désormais je dois répondre. La honte est donc corrélative de cet idéal déchu inaccessible auquel de toute manière je ne pourrai m’identifier. Ma honte est donc interne.
43C’est qu’en même temps qu’autrui se manifeste à moi, « en personne » — à chaque instant, il me regarde —, il est ce « trou de vidange », dans mon univers brusquement désintégré (E. N., p. 313). Son regard est un renvoi à moi-même : je deviens vulnérable, j’ai un corps, je suis tel qu’il me voit. L’être vu par autrui est, dit Sartre, la vérité du ’voir’ d’autrui. Son regard est devenu l’intermédiaire de moi à moi-même. Et dès lors, ma conscience est ses actes, elle est devenue ma situation.
44L’Ego comme objet idéal s’est donné maintenant une présence objective pour autrui, mais par principe cette présence m’échappe. Je ne peux la posséder, bien que je la sois comme corps. Toutefois n’étant plus qu’un objet pour un autre regardant, comme si « je m’écoulais hors de moi vers autrui », je m’apparais derechef ’sujet'. Par la négation interne de ma conscience, j’échappe à cet objet qu’autrui constitue. Mais le jeu de miroir fait que l’autre est pour l’autre un soi-même refusé. Dans la honte, notre relation1 est signe d’affirmation et de séparation absolue. Nous devenons coresponsables de l’existence de l’autre en ne l’étant pas : autrui devient ce que je limite et réciproquement. La honte m’a donc rendu responsable face à autrui et ma limitation me fait pressentir, dans la culpabilité et l’angoisse, le caractère affectif de la rencontre, la manière d’éprouver mon être-pour autrui.
5. Le corps pour-soi
45Le problème de la liaison du corps à la conscience est miné par l’idée que le corps est chose vue du dehors. Si je vois mon œil dans le miroir, il est ma propriété, je ne peux le voir voyant. Il y a deux ordres de réalité à ne pas confondre : le corps au sens d’un objet vu du dehors, partes extra partes — je l’ai —, et le corps, point de vue par quoi les choses se découvrent pour moi — je le suis. Le corps objet en soi n’est jamais mien, il est ce que je connais ou découvre sur autrui et m’est renvoyé en miroir : il n’est alors qu’une propriété que j’ai ou que j’apprends par la science. Ainsi lorsque je vois ma main qui écrit, je la transcende vers ce qu’elle vise et je lui suis présent sans qu’elle soit moi ni que je sois elle. Sans doute puis-je la voir déposée sur la table, mais c’est la priver du sens qui me fait exister au monde, elle n’est plus qu’objet. Le corps d’autrui m’apparaît aussi dans l’extériorité et son action sur les choses suppose une propriété ’magique’ de l’espèce « action à distance » (E. N., p. 369).
46On ne peut donc confondre deux plans irréductibles l’un à l’autre : le corps pour-soi et le corps pour-autrui. « C’est tout entier que l’être pour-soi doit être corps et tout entier qu’il doit être conscience, il ne saurait être uni à un corps. Il n’y a rien derrière le corps... Le corps est tout entier psychique » (£. N., p. 368).
47Notre réalité humaine en son rapport premier pour nous est d’être-au-monde. Elle ne peut être ontologiquement deux tous fermés l’un à l’autre, en soi et pour-soi, corps machine et âme, dont l’union impossible ne peut rendre compte de phénomènes affectifs tels la douleur physique ou le plaisir.
48Le pour-soi est directement rapport au monde dans l’acte même où il se dépasse vers un ceci ou un cela, choses sensibles ou ustensiles. Comme le disait Merleau-Ponty, le pour-soi ’ nég-intuitionne ’ l’être. En se dépassant par la négation, le pour-soi découvre ses possibilités sur le monde. De toute façon, être pour la réalité humaine, c’est être là, et cette situation fait la facticité du pour-soi. Sartre se débat devant la nécessité de justifier une conscience engagée en ramenant les deux pôles à une totalité synthétique toujours surmontée. Il n’accepte pas, comme Merleau-Ponty, la réversibilité perceptive. C’est une totalité synthétique corps pour-soi ou corps pour-autrui.
49Cet être-là que nous sommes est traversé d’une contingence originelle qui est l’ensoi néantisé (E. N., p. 371), cette contingence que le pour-soi dépasse vers ses propres possibilités, dont il est totalement responsable et de manière injustifiable (£. N., p. 77). Ainsi le corps ne se distingue pas du pour-soi puisqu’« exister, c’est être situé ». D’un autre côté, le corps s’identifie au monde tout entier en tant que le monde est la situation totale, l’horizon de son existence. Ce corps pour-soi ne peut jamais être un donné de connaissance pour le pour-soi : il est là, partout, ce que je dépasse vers mes possibles. « Il est l’en-soi dépassé par le pour-soi néantisant et ressaisissant le pour-soi dans ce dépassement même (E. N., p. 372).
50Donc le corps est ce qui toujours ranime l’en-soi que je dépasse : il est le lieu individuel de mon engagement, le point de vue central de toutes mes perspectives. Le corps est le passé qui m’accompagne comme ce qui ’est été’ et que je transcende à chaque instant vers un nouveau possible qui, à son tour, sera nié. Le corps est centre d’où je vois le monde, ancrage nié dans la position même de la chose.
51D’autre part, le monde n’est pas une multiplicité de relations réciproques sans point de vue. La gauche, la droite, le haut, le bas supposent un espace orienté qui n’est pas l’espace abstrait de la science. Ainsi notre surgissement au monde est en même temps un engagement concret. « Surgir pour moi, c’est déplier mes distances aux choses et par là même faire qu’il y ait des choses » (E. N., p. 370). Le monde me renvoie donc cette relation univoque qui est mon être et par quoi je sais qu’il se révèle. Les choses perçues l’indiquent en creux comme point aveugle de leur orientation ou de leur organisation en chaînes d’ustensiles.
52Le corps est donc point d’ancrage du pour-soi comme lieu irréfléchi, support de tous les ’ceci’ et point focal de toutes mes actions sur un monde qui m’en renvoie l’image. Il est « point de vue sur lequel je ne peux prendre de points de vue ». Ici encore, Sartre recourt à la métaphore du miroir : je ne peux saisir le corps que dans le reflet du monde réfléchi qui m’engage hic et nunc sur le mode du ’est été’ et que déjà j’enjambe dans un nouvel échappement du présent vers l’avenir.
6. Douleur, mal et corps psychique
53Sartre reprend le schéma de La Transcendance de l’Ego. Nous percevons les qualités sur les choses. Elles nous affectent : c’est le cas par exemple de la douleur physique. Le choix des yeux d’ailleurs est significatif !
54Qu’est-ce que la douleur ? Mal aux yeux signifie que l’ensemble de mes rapports au monde constitue actuellement une relation à des objets difficiles, en l’occurence les lettres qui se lisent péniblement dans le texte. Elles sont prises dans le mouvement accéléré d'une temporalité présente, d’où le pour-soi s’échappe à double titre : comme négation de situation vers d’autres lettres, mon possible proche, et encore comme arrachement de cet en-soi dépassé que l’acte présent ne fait que renforcer.
55Mais la douleur qui est douleur des yeux se reconnaît telle sur fond de totalité corporelle. Sans doute la douleur pure, comme simple vécu, est indéfinissable, mais elle est cette présence singulière qui spécifie la conscience dans son acte même de néantisation. Voir, alors, est une structure de conscience sur fond de présence au monde. Je l’existe, cette douleur, sans pour autant connaître l’organe sensoriel vu par autrui : mes yeux.
56La douleur des yeux est précisément ma lecture. Si je veux la saisir, je dois poser sur cette conscience réfléchie une conscience réflexive, laquelle est toujours sans point de vue, mais tend à s’objectiver en un terme nouveau qui, traversant mes consciences, synthétise la totalité « douleur des yeux » comme transcendante. Cet objet, c’est le mal. Comme le Moi dans La Transcendance de l’Ego, cette réalité objective a son temps propre, le temps psychique. Sa permanence, pendant que la conscience-douleur évolue, lui donne ses caractères d’opacité, de passivité. Le mal toutefois est la transposition d’une conscience réfléchie dont il a perdu, comme le Moi, la spontanéité. C’est une intériorité dégradée et dès lors individualisée : le mal a sa durée propre, ses qualifications singulières, il est magique en tant que spontanéité passive (E. N., p. 401).
57Pour la conscience irréfléchie, la douleur était corps, mais pour la conscience réflexive le mal est distinct du corps. Il vient, il va sans que je le maîtrise. Seulement, par sa matière — et non par sa forme qui est transcendante —, le mal adhère au pour-soi : il est mien. « Il est la projection dans l’ensoi de la facticité contingente des douleurs ».
58Mais qu’en est-il du corps ? Au niveau irréfléchi, il n’est pas explicitement posé, puisque ma réflexion porte sur le mal. Mais celui-ci, thétiquement posé, est soutenu par un milieu passif « qui est l’exacte projection dans l’en-soi de la facticité contingente des consciences douloureuses ». C’est le corps sur un nouveau plan d’existence (E. N., p. 403). Ce corps corrélatif de ma conscience réflexive est ce que nous nommons le corps psychique.
59Comme le Moi, le mal est insaisissable dès que j’essaie de le connaître objectivement, puisque je le ’suis’ sur le mode irréfléchi d’une conscience douloureuse « qui est affectivité en son surgissement originel » (E. N., p. 403). Le mal n’est donc point connu, il est souffert. C’est lui qui dévoile le corps que souffre la conscience. En bref, le corps est l’infrastructure de la conscience sur le plan de l’en-soi : « il est la matière implicite de tous les phénomènes de la psyché ».
60Ces phénomènes eux-mêmes ’sont existés’ en tant qu’ils accompagnent la conscience ; ils ’sont soufferts’ en tant que projetés dans l’ensoi, par exemple sous forme de mal ou de haine. D’ailleurs, le corps psychique détermine un espace psychique, il est comme la substance de la psyché ; « non que la psyché soit unie à un corps, mais sous son organisation mélodique, le corps est sa substance et sa perpétuelle condition de possibilité » (E. N., p. 404).
61Ainsi le Moi s’est trouvé une substance, encore qu’elle soit toujours dépassée par le pour-soi. De toute manière, la conscience ne cesse d’avoir un corps et cette pure appréhension non-positionnelle du corps, c’est, dit Sartre, l’affectivité fondamentale coenesthésique : le goût fade de mon existence de fait. C’est sur ce fond originaire que se dévoilent tous les autres affects, la douleur ou l’agréable.
***
62Sartre utilise le terme de corps, point de vue sur lequel je ne peux prendre de point de vue, pour signifier la facticité de cette perpétuelle transcendance du pour-soi au monde des choses, des outils. Pas de conscience sans corps, pas de transcendance sans situation qui lui donne de se dépasser. Mais l’acrobatie du langage laisse subsister la dualité des ternies. Merleau-Ponty, de son côté, fixe dès l’origine la structure du corps vécu sans qu’il soit encore besoin de recourir au jeu dédoublé de la conscience et de l’empirie. Le corps vécu est pour lui ’différence’ ; c’est le rapport lui-même qui est en prise circulaire sur le monde, à la rencontre des emboîtements perspectivistes et des comportements.
63Le pour-soi n’est pas corps. N’est-ce pas toujours à travers une image visuelle que se dessine l’emblème de la transposition réflexive ? La conscience est bien le voir qui se voit. Le corps est corps vu pour un corps voyant, de même la conscience est regard vu pour un regard réfléchissant. Mais tandis que Sartre maintient l’opposition des reflets, Merleau-Ponty extrait de cette réversibilité toute la richesse du sens. Plutôt que de poser une figure sur un fond dans l’opposition nécessaire des termes, Merleau-Ponty ouvre la voie royale au ’sens’ qui filtre entre ces deux milieux. Il pose le ’jeu’ de la différence pour lui-même : le corps vécu en est l’exemple privilégié qui nous introduit à la totalité différenciée de l’Être sauvage.
64S’il est vrai que la philosophie de Sartre reste liée à une intuition de la conscience, encore tente-t-il d’en dépasser l’idéalisme par l’apport de la facticité et, plus tard, par l’analyse de la structure existentielle prise en totalité (cf. L’Idiot de la famille).
II. Reflet dans un regard —l’homme, l’écrivain
65Nous croyons voir une évolution à travers les descriptions qui structurent les dimensions de l’affectivité dans l’œuvre de Sartre.
Le moi irrécupérable dans la réflexion est toujours transcendant.
Le corps en son action dépassée est magique : c’est l’action à distance comme sans distance de deux passivités, dans l’émotion.
La honte m’affecte originairement d'un corps devenu mien sous le regard de l’autre : je suis présence mais seulement comme présence pour autrui.
La douleur physique, comme exemple de passivité affective, me révèle en situation face aux choses qualifiées, attractives ou répulsives, et dont la totalité-horizon, le monde, reflue sur un pôle point de vue, mon corps, qui s’incorpore objectivement le mal.
Finalement la dimension originelle de l’affectivité — comme nausée — est présente au pour-soi comme son ombre facticielle.
Ce malaise originel opposant le pour-soi à sa facticité par la double négation, de ne l’être pas et de la disqualifier, est le milieu même où l’angoisse apparaît avec le plus de prégnance.
66En effet, on peut relever à travers l’œuvre deux constantes, à partir desquelles nous croyons pouvoir rejoindre certaines perspectives de psychanalyse existentielle, que Sartre lui-même décrit dans le cas de Flaubert.
La structure ontologique de toute la philosophie sartrienne est supportée par le schème fondamental de la réflexivité, au sens concret du miroir reflet-reflétant, être-regard pour un autre regardant. Les éléments du jeu en miroir se relayent indéfiniment sans jamais se réconcilier en une synthèse objective : la vie du pour-soi est passion inutile ou totalité toujours en voie de détotalisation.
L’affectivité la plus originelle est liée à l’expérience de la nausée, le « de trop ». Le corps, de trop, est dégagé de toute subjectivité, à moins qu’il ne soit, au contraire, point de vue délié de toute extériorité : le pour-soi lié à une facticité.
67Faisant ici une incursion dans L’Idiot de la famille, nous rappelons les propos de Sartre lui-même, au sujet du petit Flaubert soumis au soins maternels, soins hygiéniques mais sans tendresse que « l’infans » doit subir.
68Cette « rareté des biens » à l’origine économique de la vie n’est-elle pas ce qui préfigure dans l’œuvre la rareté objective de la production du désir, tant au niveau individuel que sur le plan collectif de la dialectique des biens ? (cf. Critique de la raison-dialectique). Et n’est-ce pas aussi ce qui se profile à l’horizon d’un monde où le droit de vivre est nié pour l’adulte, l’écrivain, en l’occurence Flaubert, pour qui en tout cas « le pire est toujours le meilleur », sorte de loi catégoriquement objective ?
69Si le corps n’est que le corps manipulé, de trop pour une mère sans tendresse8, l’enfant n’aura d’autre recours dans l’existence, où lui est dénié le droit de vivre par une mère sur-protectrice, que de vivre son désir d’être sur le mode d'une conscience pure : le pour-soi n’est rien et ne peut être sans le corps qu’il dépasse perpétuellement vers ses possibles. On comprend mieux l’épuisante relance du narcissisme en miroir, celui d’un incessant regard face au ’corps-objet’ nié, refusé dans sa lourdeur charnelle par le pour-soi in-existant, ou plutôt se transcendant sur un mode dépassé qui à chaque fois renforce sa facticité9.
70N’est-ce pas dans ce miroir indéfiniment reflété et dépassé à l’intérieur d’une temporalité anonyme que s’éveille l’expérience vécue de l’angoisse en son origine ? Le pour-soi est doublement négation : négation d’être, mais aussi arrachement au ’sein’ du monde en soi, du corps (de trop). Jamais nous n’assistons chez Sartre à l’expérience vécue d’une totalité humaine dans l’engagement charnel au monde, comme nous la découvrons chez Merleau-Ponty.
71N’est-ce pas parallèlement ce qui sur le plan psychologique est dénoncé par le complexe du sevrage ? Mais ici le vide est irrémédiable, injustifiable pour l’enfant délaissé, et qui a pourtant à être. L’angoisse signe un présent qui se profile sur un horizon de passé, lequel lui renvoie la facticité du corps, et sur un horizon d’avenir dans l’ouverture d’une transcendance. C’est ainsi que l’angoisse médiatise la liberté ; elle m’y condamne en quelque sorte, puisque je ne suis jamais ’ceci’ ou ’cela’, mais me dépasse vers des possibles. Responsable de ce que je suis à être et ne pourrai jamais être, je vis dans l’angoisse de devoir être sans aucun droit de l’être.
72Sartre a repris à son compte le concept heideggerien d’angoisse ontologique. Nous croyons plutôt qu’il s’agit pour lui de ressaisir l’expérience vécue d’une culpabilité telle qu’elle se présente déjà chez Kierkegaard (E. N., p. 66) ; l’angoisse n’est donc pas ’vertige’ ou saut existentiel du ’joueur elle est intrinsèquement abîme devant l’impossible transgression de l'interdit — le droit d’exister. L’angoisse est l’expérience de culpabilité face au regard justicier, la mère Autre, toujours implicitement présente.
73Pourquoi Sartre a-t-il lui-même combattu toute sa vie pour les « droits de l’homme » comme revendication éminente et la plus immanente au désir humain, comme l’exigence d’un monde de personnes ? N’est-ce pas le signe qu’une finalité s’est toujours dessinée, à travers l’ambiguïté même de l’angoisse, et depuis le commencement, pour celui qui est à l’origine de l'œuvre sartrienne, peut-être même pour l’homme que l’image de Flaubert réfléchit ? Ambiguë, l’angoisse est médiatrice de liberté. Elle est à la fois en prise avec le ’de trop’ de la nausée facticielle — le corps besoin — et ouverte aux « possibles » de l’œuvre, comme à ’l ’Espoir’ d’une totalisation de soi toujours impossible.
74Pourtant cette passion inutile du reflet-reflétant vise la plénitude en soi des origines. N’est-elle pas toujours accompagnée par le regard témoin de l’Esprit, celui sans doute du philosophe qui pose la vérité, à moins qu’il ne soit lui-même médiateur du regard initial, celui de l’Autre, mère antérieure à tout discours ? Vraie pour l’individu, cette passion inutile du reflet-reflétant inépuisable s’explique par l’obligation d’être. Le mouvement même de la vie, pour l’enfant séparé de la mère, l’y entraîne. Et pourtant, ne garde-t-il pas l’obligation de ne pas être ? Le droit d’exister en dehors de l’objet-corps est interdit par la mère sur-protectrice. Mais si le pour-soi existe comme rien, il ne le peut qu’en dépassant effectivement l’être corporel qu’il « est été », corps de trop, dont il s’échappe par une néantisation renforcée. En effet, le reflet-reflétant du pour-soi se refuse à être corps en le dégradant qualitativement. Le corps est de trop, nauséeux, parce que je ne peux pas l’être non plus, n’ayant de toute façon pas droit à m’y complaire. Le négatif ontologique est récupéré par le négatif éthique tout-puissant du reflétant, pure superposition du regard maternel maintenu intrinsèquement chez l’enfant et l’adulte. Le pour-soi est à lui-même son propre juge et se voit en train d’être. D’où la disqualification du corps et du Moi sur les plans ontologique, psychologique et même éthique ou spirituel.
75Elle est vraie aussi, cette passion, pour la société tout entière où se jouent les conflits des groupes, face à face sur l’échiquier du monde, les uns reflétant le jeu des autres. Elle se vérifie enfin à travers l’œuvre qui se fait, dans l’action de l’écriture et des mots. Elle produit une quasi-réalité analogue à celle du Moi, promu cette fois au droit d’exister comme écrivain, et qui, à la fin d’une vie, comprend le sens d’une existence dépassée vers ses fins, d’où il projette sous un regard totalisateur une temporalité déléguée. Ce Moi s’est trouvé une consistance dans l’œuvre qui est en soi pour-soi et se présente à autrui et pour lui comme médiatrice d’une immortalité culturelle et, peut-être, d’une rencontre effective avec l’autre et les autres.
76Est-ce le moment final de L’Espoir, assumé par celui qui parle d’une œuvre consacrée et désormais ouverte à une humanité meilleure où la liberté est de droit ? Le droit de vivre ne s’est-il pas conquis comme signe de la responsabilité éthique réelle de l’homme pour l’autre ? Est-ce aussi le moment d’une éternité recouvrée pour le philosophe — à travers le miroir d’une vie d’écrivain, celle de Flaubert —, qui trace à jamais par l’immortalité des mots le testament profondément éthique où s’annoncent des valeurs nouvelles ?
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77Quelle est la vérité de l’homme, sa singularité concrète comme sa passion universelle ? Tel fut tout au cours de son œuvre le questionnement d’Alphonse De Waelhens. Laisser se manifester le ’phénomène’— ce qui se dénonce soi-même —, ce fut-là la démarche et la préoccupation d’un homme toujours respectueux de l’autre, attentif aux situations, aux amitiés, aux intrigues judiciaires, au jeu de l’intelligence et à celui des comportements quotidiens.
78Nous comprenons mieux aujourd’hui pourquoi cet ami si fidèle — et d’une suite enragée — délaisse l’œuvre posthume de Merleau-Ponty. N’est-ce pas que, détournée de la priorité du vécu corporel, celle-ci s’ordonnait à une dimensionalité ’cosmique’ ouverte à une ontologie de la Nature, aux formes multidimensionnelles d’une structure esthétique du monde, plutôt qu’à l’interrogation sur la « personne » et sur l’autre ?
79En revanche, Sartre a toujours poursuivi le projet d’une anthropologie, déjà dans l’Esquisse d’une théorie des émotions, puis dans L’Etre et le Néant, et enfin à travers l’analyse d’une destinée singulière dans L’Idiot de la famille. Saisir les structures concrètes de l’existant — à même sa déhiscence originaire — n’était-ce pas une manière de s’avancer à la rencontre de l’affectivité originelle ? Sartre y trouve une assise concrète pour édifier une philosophie de la facticité signifiante. Il faut d’abord établir l’ordre du vécu par rapport à la pensée objective, saisir ce rapport, fût-ce même dans son indépassable transcendance. Il ne s’agit donc pas chez Sartre d’une ontologie dualiste désengagée où un Pour-soi vide est irréductible au plein de l’En soi, mais bien d’un effort inlassable pour restituer à l’homme une expérience totale où la facticité — l’affectivité — est tout entière existée ’en personne’ par le Pour-soi, et ou cette même facticité corporelle est tout entière subie ’sous’ le Moi, comme objet présent pour autrui. Le clivage ne s’opère donc pas entre conscience et monde, mais entre vécu existant (irréfléchi) et objectivité (réfléchie).
80N’est-ce pas d’ailleurs très tôt dans l’œuvre que le côté magique (l’esprit dans les choses, disait Alain) du Moi intrigue le philosophe de la conscience ? Sa recherche ne nous invite-t-elle pas à penser que c’est bien la structure originaire de l’affectivité qui fonde la singularité de la personne ?
81Il fallait donc l’approcher par une parole vivante et critique à la fois : le reflet réfléchi de l’œuvre littéraire elle-même (celle de Flaubert). Miroir d’une expérience vécue, celle-ci nous montre comment un Destin s’est construit sur le ’sens’ initial affectif, qui est ’non-sens’ pour la réflexion rationnelle.
82Pour A. De Waelhens, c’était une confirmation de ses propres recherches. C’est le problème de l’affectivité qui l’a éloigné de la vision structurale perceptive pour le rapprocher de la prégnance vécue du « ressentir », honte ou fierté dans le regard de l’autre.
83Plus proche de Sartre cette fois, A. De Waelhens a choisi de nouvelles méthodes et donné la priorité à la psychanalyse. Aurait-il pressenti qu’un détour par l’expérience ’clinique’ était un plus sûr moyen de faire saillir le non-dit du texte ? La passion inutile de l’homme, à jamais répétitive, même pour l’entreprise du décryptage, n’est-elle pas toujours déjà ’prise’ dans cet espace affectif originel d’où sourd ce qui vient au sens ? Les mots, ces choses signifiantes et privées, ne reflètent-ils pas la vérité cachée soumise au regard de l’Autre qui préexiste à leur histoire ?
Notes de bas de page
1 Dans Le Nouvel Observateur, 10 mars 1980.
2 M. MERLEAU-PONTY, Le Visible et l’invisible, Paris, Gallimard, 1964, p. 29.
3 J. P. SARTRE, La Transcendance de l’Ego, esquisse d’une description phénoménologique, Paris, Vrin, 2e éd., 1972, (T. E.).
4 J. P. SARTRE, Esquisse d’une théorie des émotions, Paris, Hermann, 3e éd., 194S, (E. E.).
5 Voir la critique de M. MERLEAU-PONTY, Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, 1945, p. 94.
6 M. MERLEAU-PONTY, Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, 1945, p. 102.
7 Ibid., p. 90.
8 J. P. SARTRE, L’Idiot de la famille. Gustave Flaubert de 1821 à 1857, Paris, Gallimard, 1971, pp. 136143.
9 Ibidem, p. 149.
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Qu’est-ce que l’homme ?
Ce livre est cité par
- Breazu, Remus. (2022) Heidegger’s Phenomenological Concept of Violence. The Southern Journal of Philosophy, 60. DOI: 10.1111/sjp.12448
Qu’est-ce que l’homme ?
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