Les aspects juridiques de la justice sociale
p. 95-152
Texte intégral
I. INTRODUCTION
I.1. La justice sociale
11. Cherchant à préciser l’idée de justice sociale, c’est chez un moraliste que j’ai trouvé une première indication. Appelée parfois justice "générale" ou "légale", nous dit Häring1, cette vertu recouvre la justice "commutative", qui règle les rapports entre individus, la justice "distributive", qui règle les rapports réciproques des individus et des communautés, la justice "vindicative" enfin, qui règle la répression des délits. Sous ces divers aspects, il s’agit toujours d’un comportement strictement moral. Comme tel, il pourrait se rencontrer dans une société sans droit proprement dit ; comme tel également il serait déjà, dans cette société pré-politique, l’exigence de dépasser ce premier stade et de fonder une société de droit.
2Comprise de cette manière, la justice sociale n’est évidemment pas sans intérêt pour le juriste puisque, sans elle, toute législation positive serait privée de fondement éthique et ne rencontrerait aucun consensus durable. Ce n’est cependant pas ce comportement régulateur des relations sociales qui est l’objet de la réflexion du juriste.
3Dira-t-on que cet objet immédiat est bien défini si l’on entend par justice sociale l’ensemble des règles qui donnent un sens à la vie en commun dans un État ? Bien sûr, il s’agit alors de droit positif. Toutefois pareilles règles concernent aussi bien les activités économiques et culturelles que l’organisation des relations des citoyens entre eux. La législation sociale, au sens précis du terme, concerne les relations de travail et leur complément, la sécurité sociale. L’histoire montre que cette législation s’est structurée peu à peu au sein d’un droit visant un domaine d’activités plus large, dont elle s’est partiellement dégagée. Mais la spécialisation de son objet ne saurait faire perdre de vue que l’aspect social est essentiel à toute espèce de droit et de législation. Du reste, dans l’ensemble organique qu’est le droit, tout développement ou modification d’une seule partie concerne toutes les autres, même si les changements corrélatifs y seront explicités bien plus tard seulement.
4Il est donc impossible de distinguer adéquatement le social et l’économique. Si la législation sociale porte sur le droit au travail, elle est du même coup économique. Dira-t-on pour autant que le travail est par essence une réalité économique, dont le caractère social demeure secondaire ? Ce serait réduire l’économique au domaine de la production d’un bien par et pour l’individu. Y aurait-il un droit dans cette hypothèse ? Évidemment non. À moins donc d’entendre l’économie, selon le sens grec, comme la recherche des régulations permettant aux hommes d’habiter ensemble la terre, il vaut mieux, à propos de travail et de sécurité, parler de justice sociale. Ceci évitera de laisser régner l’illusion, que les droits sociaux relèveraient seulement d’une justice utopique, tandis que les réalités économiques seraient seule à fonder des relations de droit dans la société2.
5Ce contexte oblige le praticien qui s’interroge sur la législation sociale et son application actuelle à préciser quels caractères généraux il en retient. Ce faisant, il sera amené à expliciter aussi sa manière de comprendre certains fondements du droit.
6Je voudrais pour ma part retenir ici trois caractéristiques du droit social dont la pratique doit constamment tenir compte. En premier lieu, la législation sociale et son application sont, dans la société, un usage de la liberté, qui assure à chacun la possibilité effective d’acquérir une position conforme à ses mérites et à ses souhaits. Deuxièmement, elle veille, en conséquence, à promouvoir une égalité des chances, une répartition des ressources telle que soient raisonnablement possibles pour tous les développements des dons individuels et l’acquisition des instruments de progrès. Elle est, troisièmement, protection sociale : elle met en œuvre les mesures propres à éviter que le sort de chacun soit totalement compromis par des événements accidentels où il n’est pour rien.
7Cette conception de la justice sociale est profondément individualiste, en ce sens qu’elle laisse à chacun le soin d’éprouver ses mérites et souhaits. Mais cet individualisme entend être compris comme un élément de la structure juridique de la société. Par conséquent, si place est faite à la liberté individuelle, c’est parce qu’elle s’intègre à l’ordre de l’universalité, sans lequel il n’y a que des privilèges, non des lois ; la justice sociale renforce donc l’obligation fondamentale de considérer la liberté de chacun sans faire jamais acception de personne. De plus, l’association étant souvent la meilleure manière d’assurer les fins individuelles, la justice sociale doit permettre l’accession à l’ordre de la coopération. Et comme enfin l’usage de la liberté individuelle comporte une limite interne, à savoir la nécessité de viser et d’atteindre le résultat le meilleur pour l’ensemble, la justice sociale situera la liberté individuelle dans l’ordre de la responsabilité.
8Il y a lieu de se demander si la législation actuelle en matière sociales s’insère effectivement dans ces trois "ordres" ou si elle menace plutôt de s’y soustraire. Et la question est d’autant plus pertinente que le degré de réalisation de la justice sociale dépend toujours de la richesse et de l’organisation de la société à telle époque. On ne peut donc condamner une société passée en fonction de critères présents, comme tend à le faire une mentalité à la Marx. Que peut-on comprendre en effet du servage médiéval en le jugeant à partir de l’exigence actuelle de justice sociale ? Toutefois on ne saurait non plus comprendre le présent en fonction de critères passés, comme certains conservateurs y sont enclins. Le changement doit en fin de compte s’apprécier en lui-même plus que par comparaison avec le passé.
9Il y aura ainsi dans toute législation sociale et dans toute discussion à ce sujet deux points de vue complémentaires, jamais exclusifs l’un de l’autre. Le premier mesure ce qui est possible à un moment donné, et il peut par-là être amené, à la limite, à justifier l’ordre établi ; on peut l’appeler réaliste. Le second est prophétique : il anticipe toujours en quelque sorte l’égalité parfaite entre les hommes.
10La justice sociale s’interroge de cette double manière sur la part de ressources qui revient à chacun ; par le fait même, elle se situe au nœud de la répartition des droits entre les hommes. Se demandant en priorité quelle est la "position acceptable" de l’employé et du travailleur par rapport à celui qui prend le risque d’entreprendre, elle en vient aussi à poser la question de la situation respective de l’homme et de la femme3, et même du piéton et de l’automobiliste. Les réponses juridiques à ces questions participent toujours du réalisme et du prophétisme. Si bien qu’il s’agit toujours d’une répartition juste des biens et des droits dans la société ; mais sans que la tâche se limite à réaliser un objectif immédiat. Car la répartition doit envisager l’avenir ; le progrès fait partie intégrante de ce que veut atteindre la justice sociale dans le cadre du droit.
1.2. L’ordre juridique
11Ainsi défini l’exercice de la justice sociale oblige à se remémorer certains fondements de l’ordre juridique, car il peut sembler parfois les subvertir. Nous rappellerons donc brièvement les structures générales auxquelles la législation sociale se réfère de manière souvent implicite, auxquelles aussi il faut la comparer explicitement si l’on veut saisir son mouvement et sa portée.
12Comme les autres règles de comportement obligatoire qui s’appellent lois, règlements, directives et qui s’imposent tant à l’ensemble des membres de la société qu’à certaines catégories de personnes, comme d’autres conventions conclues entre particuliers et qui reçoivent sanction de la loi, les diverses normes contenues dans la législation sociale ont été édictées par des sociétés humaines parvenues à un certain degré de complexité et d’évolution. En tant qu’elles sont du droit, elles n’appartiennent pas simplement à la morale, elles ne sont pas non plus de simples habitudes sociales et elles n’expriment pas seulement la menace exercée par les détenteurs de la force ou par des groupes de pression. Sans entrer dans le détail des questions que se sont depuis longtemps posées les philosophes du droit sur ces trois dernières distinctions et sur la nature sociale du droit, nous nous contenterons, pour notre propos, de la définition courante : "le droit est l’ensemble des normes de comportement imposées à une communauté par l’autorité publique légitime et sanctionnées en cas de manquement". La législation sociale met certains éléments et certains corollaires de cette définition familière dans une lumière nouvelle.
1.2.a. Justice sociale et règles de reconnaissance
13Le droit social éclaire d’abord quelques traits de la notion de norme. On peut, avec Herbert Hart, distinguer les règles primaires du droit, qui édictent des comportements à suivre, et les règles secondaires, appelées "règles de reconnaissance"4. Il s’agit de pratiques effectives qui affirment et permettent de contrôler de l’intérieur d’un système la validité des règles primaires. En même temps ces pratiques peuvent être reconnues, par un jugement constatif porté de l’extérieur, pour des traits caractéristiques du système.
14Parmi ces sources du droit, qui existent comme règles antérieurement à leur promulgation et indépendamment de celle-ci5, Hart attire l’attention sur celles qui, dans le régime anglo-saxon, intègrent au droit les coutumes et précédents. Coutumes et précédents "doivent leur statut de règles de droit, aussi précaire qu’il soit, non pas à un exercice tacite du pouvoir législatif, mais à l’acceptation d’une règle de reconnaissance qui leur confère cette situation indépendante bien que subordonnée"6. L’intérêt de pareils processus régulateurs est qu’ils appartiennent au système sans devoir y être déjà exprimé en toutes lettres. Ils délimitent, pourrait-on dire, un espace juridique de recul par rapport aux textes.
15Ces règles de reconnaissance jouent un rôle fondamental dans les secteurs du droit qui doivent s’adapter et se transformer fréquemment, comme c’est le cas pour la législation sociale. Les agents qui participent aux négociations préparatoires et même les rédacteurs des textes ont-ils toujours une conscience suffisante de l’existence de ces normes secondaires ? On peut se le demander quand on constate, entre autres, comment les partenaires sociaux tendent à qualifier de précédents quantité d’éléments dont la signification juridique proprement dite apparaît ténue au regard de certains principe de validité ou de reconnaissance qu’énonce cependant le code civil. Ainsi, à force de n’en pas clarifier le statut juridique, certaines exigences de rétroactivité, justifiables peut-être d’un point de vue économique, tendent à devenir automatiques, émoussant par là le critère fondamental selon lequel la loi ne dispose que pour l’avenir.
16Si pareille méconnaissance se généralisait, elle compromettrait un autre caractère essentiel de la règle juridique, à savoir l’impossibilité de la considérer isolément. Il ne suffit même pas, on le sait, qu’elle forme avec d’autres un ensemble législatif quelconque. Les lois doivent être cohérentes entre elles et cohérentes avec les objectifs généraux poursuivis, de telle sorte qu’elles puissent être "restituées à un système juridique"7. Nous venons de dire comment les règles de reconnaissance sont liées au système. Mais il faut y insister. En effet, comme le souligne Hart, ces règles constituent, avec les règles primaires, "les conditions minimales nécessaires et suffisantes pour qu’existe un système8. Si les primaires doivent être généralement obéis, leur validité ne dépend pas toutefois de leur seule efficacité. Les simples citoyens doivent la relier plus ou moins explicitement à l’obligation générale de respecter la Constitution9. Quant aux autorités, elles doivent admettre effectivement "comme constituant des modèles publics et communs de la conduite qu’elles adoptent en cette qualité" tant les règles de reconnaissance, qui déterminent les critères de validité juridique du système, que ses règles de changement et de transformation10.
17Dans une démocratie qui va se complexifiant, il n’est pas simple, en droit social tout particulièrement, de désigner l’autorité effective et de dire, au-delà du pur formalisme, qui fait la loi. On parle parfois à ce propos de "dilution du pouvoir" ou de "délayage du droit". À tout le moins doit-on admettre que jusqu’ici l’État ne s’est guère montrer capable de réagir à la complexification de la société autrement que par un alourdissement de l’administratif et de la bureaucratie. En pareille situation cependant une théorie individualiste du droit n’est pas condamnée à ne proposer comme remède qu’une reconnaissance des effets miraculeux de l’initiative privée et qu’une réduction radicale de l’intervention des pouvoirs publics. En prônant l’État minimal, certains libéraux se rapprochent d’ailleurs étrangement des idées de Marx sur une société où classes et pouvoir seraient abolis. La conception individualiste du droit peut, pour sa part, interpréter la situation présente comme l’effet d’une mésintelligence endémique des principes de validité. Ceux-ci en effet sont-ils encore effectivement "des modèles publics et communs" de conduite pour tous ceux qui contribuent à l’élaboration des lois sociales et à leur transformation ? Il faut se le demander, parce que l’abaissement du sens des règles de la part de tous ceux qui participent à l’autorité est corrélatif de la disparition dans le public d’une conscience de la validité des lois.
18Dans ce contexte, il n’est pas inutile de peser quelles obligations incombent tant aux simples citoyens qu’aux autorités en vertu de quelques principes élémentaires de validité.
19Ainsi, l’adage "Nul n’est censé ignorer la loi". Il peut être entendu au sens d’un critère applicable pour tous les citoyens. Il se relie alors à l’obligation généralement reconnue de respecter la Constitution. Mais ce devoir de tous est corrélatif à une obligation d’information incombant à l’autorité. Or le développement de l’appareil juridique parallèle à la différenciation du tissu social a pour effet qu’en matière de sécurité et même de contrat de travail les intéressés ignorent trop souvent les droits et obligations qu’ils devraient exercer et assumer dans leur vie quotidienne et dont peut dépendre parfois leur subsistance. Heureusement une nouvelle intelligence du rôle de conseiller est en train de se développer parmi les juristes. D’eux dépend en effet pour une large part l’accès à la législation dont doit disposer le citoyen, quelle que soit sa naissance, son éducation ou ses talents.
20Grâce aux conseillers peuvent aussi devenir réellement pratiques deux critères de validité découlant de l’adage cité plus haut, à savoir que la loi doit être claire et qu’elle doit répondre à une nécessité11. L’urgence quotidienne des applications du droit social pourrait ainsi contribuer à un assainissement du langage juridique. L’idéal est que la clarté des énoncés manifeste la nécessité des normes. Et "idéal" ne signifie pas "utopique" ; le mot désigne plutôt la pérennité d’une obligation. Celle-ci de nouveau s’impose d’abord aux autorités, mais les simples citoyens n’en sont pas exempts. À tous les niveaux de la négociation du droit social, médiateurs, experts, conseillers des groupes ou des individus assurent précisément un relai qui permet au citoyen d’exercer la prérogative et de remplir le devoir de comprendre clairement la nécessité de la loi. Tous les citoyens en effet ont le droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à la formation des lois, dit la Déclaration des droit de 178912. Sans les "représentants", sans le relai dont nous parlions, l’adhésion donnée généralement, et selon une hiérarchie, à la Constitution, aux lois plus particulières et même aux usages d’une profession finirait par ne plus s’inscrire dans l’unité d’un système.
21Sans doute le mouvement du droit social rend-t-il manifeste qu’un système juridique ne saurait être rigide. Et l’on a pu écrire que, par le progrès de la sécurité sociale en particulier, s’était opérée dans nos sociétés, en un demi-siècle environ, "non pas une profonde réforme mais une véritable révolution silencieuse"13. Il est permis d’estimer que le silence et l’ordre relatifs dans lesquels s’opère ce bouleversement sont dûs, en partie au moins, à la qualité du système juridique, qui s’est montré capable de s’y adapter, et dont le cadre s’est avéré assez souple pour contenir les violences qui, sans lui, eussent été fatales. Le réalisme et le prophétisme de la justice et du droit social sont en effet des forces dont les directions opposées peuvent composer un équilibre. Et les règles de reconnaissances du système expriment les possibilités que le droit offre à la société de se transformer, et même d’opérer une révolution, sans se désagréger. Car c’est bien d’éparpillement et de dissolution que serait menacée une société dans laquelle le dynamisme même de l’idée de justice aboutirait à faire oublier ces règles du jeu juridique qui permettent progrès et transformation dans l’unité. Ainsi l’ignorance des lois par les citoyens engendre des abus de pouvoir de la part des autorités constituées ; mais elle fait surgir aussi de multiples pouvoirs de fait ; ceux, par exemple, qu’induit la complication du droit social dans les instances chargées de l’administrer et de l’appliquer ; ceux aussi que s’arrogent des groupes de pression ou d’intérêts, et qui rabaissent parfois les négociations, inhérentes à cette institution délicate qu’est la convention collective, au niveau d’une violence antérieure à toute norme. Bien sûr, la violence des revendications opposées, tout comme l’articulation de plus en plus complexe et lourde de la législation sociale, trouve une justification dans l’urgence de voir reconnus des droits fondamentaux, comme la propriété, et des besoins vitaux, comme ceux auxquels peut répondre le travail salarié. Encore faut-il que les nécessités vécues apprennent à percevoir - et les médiateurs, représentants et conseillers peuvent y éduquer - qu’elles détruiront leur enracinement social si elles refusent de s’exprimer clairement en prenant forme dans un énoncé de droit. Seule la nécessité propre à la loi peut faire naître un consensus rationnel et dynamique là où il n’y avait que pulsions entagonistes.
22L’examen du rôle que doivent jouer les règles de validité dans l’évolution de la législation sociale amène ainsi à reconnaître leurs relations avec certains droits "subjectifs” : ces règles, qu’elles soient implicites ou explicites, expriment les conditions sans lesquelles l’exercice des droits subjectifs demeure impossible ou inefficace. Il nous faut donc préciser maintenant le rôle de ces droits eux-mêmes dans l’élaboration du système des lois sociales.
1.2.b. Justice sociale et droits subjectifs
23L’ensemble des règles primaires et secondaires forment le droit "objectif". Il y est reconnu aux individus ces maîtrises et ces prérogatives auxquelles fait spontanément référence le langage courant dans des expressions comme "J’ai le droit de ···", "J’ai droit à...". On parle alors de droits "subjectifs". Ceux-ci supposent l’appartenance à une société déterminée et ils sont corrélatifs à des devoirs. Mais leur caractère propre est de mettre en évidence la capacité qu’à une personne d’agir juridiquement. Et c’est cette capacité que le développement de la justice sociale oblige sans cesse à mieux comprendre.
24C’est à la fin du 18ème siècle que s’impose de manière formelle la notion de droits subjectifs "fondamentaux", et elle reste une base de la législation dans les démocraties modernes. Est reconnu ainsi le droit à la vie, à la liberté, à la subsistance. En découlent des droits qui "permettent de nouer des rapports générateurs de droits"14 ; tel, le droit de propriété, tel aussi, mais explicité plus tardivement, le droit au travail.
25L’un et l’autre comportant des obligations corrélatives15, travail et propriété devraient en principe s’harmoniser ou se compléter mutuellement. En fait, les inégalités liées à la naissance et à la position sociale originelle16 restreignent l’exercice réel des droits fondamentaux. À plus forte raison quand il s’agit du travail, puisque ce droit est soumis à la réalité des lois du marché, dont la mentalité libérale tend à penser qu’elles sont soustraites au droit par leur nature même. Dans ce contexte, la propriété est facilement considérée comme une manifestation et un garant de l’ordre public. Au contraire l’exercice d’un droit au travail y est souvent perçu comme une revendication dérangeante dès lors qu’il prétend être davantage que l’expression d’un moyen reconnu aux moins nantis d’assurer leur subsistance en accomplissant des tâches définies par les entrepreneurs, c’est-à-dire par les propriétaires.
26Or, à s’en tenir à une philosophie individualiste du droit, propriété et travail sont d’abord des possibilités de nouer des relations par lesquelles le droit se constitue et se développe. La preuve en est que les contraintes imposée par le système à l’exercice des droits subjectifs doivent être justifiées. Sans cette garantie, qu’assurent précisément un certain nombre de principes de validité, la loi détruirait elle-même ses racines. À cet égard la mise en pratique de la séparation des pouvoirs dans le droit social est particulièrement éclairante. En effet, mis à part les conflits d’intérêts strictement économiques dont le règlement fait appel à la bonne volonté des parties, il existe aussi, dans la plupart des pays, des juridictions du travail, auxquelles est confié le contentieux proprement juridique portant sur l’application des lois existantes. On a facilité l’accès à ces tribunaux en simplifiant la procédure, en la rendant plus rapide et moins coûteuse. De plus, les juges qui y siègent ne sont généralement pas, pour une partie au moins, des professionnels de la magistrature. Enfin leur fonction est tout autant, sinon davantage, de conciliation que de jugement. De quoi il ressort que la législation sociale oblige à envisager le pouvoir judiciaire, et par conséquent le respect de la loi, dans une perspective plus large que celle du droit commun.
27Le but ultime du droit du travail est toujours de définir et de-défendre le statut du travailleur dans la société. Mais, sans perdre de vue l’idée de sanction en cas de manquement à ce statut, les tribunaux du travail visent surtout à rappeler aux parties en présence leur qualité d’agents juridiques, et cela, que le contentieux porte sur le droit étatique ou sur celui d’origine privée17. L’existence de juridictions du travail atteste ainsi que rendre la justice n’est pas seulement la fonction d’une autorité administrative, mais bien l’exercice d’un pouvoir véritable, indépendant du législatif comme de l’exécutif.
28On a pu démontrer par ailleurs que du principe de séparation des pouvoirs découlent les droits de la défense18. Encore une fois, les tribunaux du travail mettent ce lien en lumière. Les prérogatives reconnues au défendeur et à son représentant y font apparaître mieux qu’ailleurs en effet trois éléments fondamentaux : d’abord la primauté de l’individu comme agent libre du droit et participant à l’élaboration du système ; en second lieu, la nécessaire insertion de son action dans une société dont les contraintes impliquent une possibilité d’examen et d’interprétation ; enfin et surtout la nécessité d’écarter la violence, qui peut toujours renaître tant au nom de l’intérêt inaliénable de la personne qu’au nom d’un ordre public défini tantôt par les pouvoirs de la propriété, tantôt par les forces du travail.
29Les considérations qui précèdent demeurent, il est vrai très largement théorique. L’histoire des relations de travail et l’usage peu à peu universel d’un autre droit fondamental, celui d’association, ont plutôt contribué à rendre obscure, sinon douteuse, la signification d’une pareille interprétation. D’une part en effet les droits sociaux, conçus d’abord pour préserver l’ordre, se sont développés en une défense des travailleurs qu’asservissaient les méthodes d’exploitation d’une industrialisation quasi sauvage. D’autre part le droit d’association a permis de grouper les ouvriers en de puissants syndicats. Si bien qu’a pu se répandre, chez les propriétaires et les entrepreneurs, la crainte diffuse que les juridictions du travail soient d’abord destinées à les mettre eux-mêmes en accusation, et que les décisions de ces juges reflètent seulement la force d’un groupe de pression. L’autre partie au contraire a semblé souvent considérer qu’il s’agissait, en soumettant les contentieux à des tribunaux spécialisés, d’obtenir restitution de biens injustement détenus plus peut-être que reconnaissance du bon droit. Ces réalités de fait relèvent de la psychologie sociale, des luttes politiques, et des mouvements de l’économie. Mais ce sont elles qui ont fait naître le droit social et qui continuent de l’interroger. S’il doit se remémorer ses principes généraux, c’est que réside en eux et dans leur transformation réglée la possibilité de dépasser la lutte entre maîtres et esclaves, pour parvenir à un consensus par discussion raisonnée et à une association des libertés.
II. PERSPECTIVE HISTORIQUE
II.1. La Révolution française et le Code civil
30Annexé à la France après la bataille de Fleurus, le 1 août 1795, la Belgique fut soumise au Code civil dès sa première promulgation, le 10 mars 1804 ; une seconde publication en sera faite le 3 septembre 1807 sous le nom de Code Napoléon.
31On sait la réussite littéraire qu’est ce monument. Mais le chef d’œuvre ne surgissait pas du néant ; il marquait l’aboutissement d’un mouvement près de deux fois séculaire. Tandis que les rois avaient presque achevé l’unité territoriale de la France, la justice était demeurée dans l’ornière. Dès le dix-septième siècle pourtant de grand juristes avaient travaillé à une codification cohérente et simple de coutumes et de textes parfois contradictoires entre eux et souvent inadaptés à la réalité19. Les principes qui guident leur entreprise se retrouvent dans la théorie du droit de la nature et des gens, qu’a établie le hollandais Grotius, que développent les allemands Pufendorf et Wolff. Les idées des philosophes anglais, de Hobbes et de Locke en particulier inspirent également l’élaboration du droit à cette époque. Les mêmes courants se retrouvent du reste à l’origine du Code Frédéricien, rédigé en Prusse dès 1748, promulgué plus tard seulement, et que suivront la Bavière et l’Autriche20.
32La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, du 26 août 1789, exprime très clairement l’esprit du Code civil. Liberté et égalité en droit constituent à la fois ses valeurs fondamentales et ses principes rationnels (art. 1). L’universalité devient par là même le caractère premier des lois : elle est en effet comme la marque, dans les lois, de la souveraineté de la Nation (art. 3). Or la liberté et l’égalité, garanties par les droits de propriété, de sûreté et de résistance à l’oppression (art. 2), constituent la capacité d’être un citoyen, un membre de la Nation. L’individu capable de reconnaître l’universalité de la loi participe donc de la souveraineté du pouvoir. Et cette souveraineté de la nation et du citoyen constitue le fondement de la vie sociale. La responsabilité découle, du reste, de cette conception de la liberté : la seule borne que celle-ci connaisse sera précisément d’assurer à autrui la jouissance, selon la loi, des droits naturels de chacun (art. 4 et 5).
33Dans cette perspective, l’association est reconnue pour autant qu’elle permet de conserver les droits imprescriptibles (art. 2). Ainsi le citoyen responsable peut, dans les formes de la loi, conclure avec les autres citoyens, ses égaux, des conventions qui, "tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites" et "doivent être exécutées de bonne foi" (art. 1134). Mais parmi les droits imprescriptibles, place très large est faite à celui de propriété, à savoir celui "de jouir et de disposer des choses de la façon la plus absolue", dans le cadre de la loi (art. 544). En limitant de la sorte le droit d’association par l’absolu de la propriété, le code entend prémunir la société contre la renaissance d’un pouvoir de fait, comme celui qu’avaient exercé les corporations. Par ailleurs l’absolu de la propriété n’a rien de sacral21. La voie est ainsi ouverte à l’initiative de l’entrepreneur utilisant à ses fins l’instrument du contrat.
34Mais le système permet-il à tout individu d’affronter les problèmes d’une société où le processus d’industrialisation donne très tôt des signes d’emballement ? Permet-il en particulier de faire droit, selon les principes de liberté et d’égalité, à ceux que le machinisme transforme rapidement en prolétaires, et qui ne peuvent plus guère subsister qu’en passant avec d’autres citoyens plus fortunés des conventions de "louage" portant sur leur travail ? A de semblables questions, il paraîtra longtemps que le code civil est capable, sans révision profonde, de fournir des réponses satisfaisantes, tant sont proches de la perfection sa clarté et sa simplicité déductive, ainsi que l’élégance et la netteté de sa langue. Il est significatif toutefois que, pendant le XIXe siècle, les compléments les plus importants apportés à ses deux mille articles concernent les activités économiques et commerciales plus que la vie sociale de l’individu.
II.2. Évolution de la législation sociale en Belgique au dix-neuvième siècle
35Dans notre pays, durant les années 1850 à 1886, diverses mesures de politique intérieure et extérieure favorisent l’activité commerciale et financière, en même temps qu’elles marquent, de façon fort modeste encore, l’intervention de l’État dans la vie économique : rachat des chemins de fer par l’État à partir de 1851 ; en 1860, création du Crédit communal et suppression des octrois ; abaissement des droit de douane entre la Belgique et la France en 1861 ; création de la Caisse d’épargne en 1865 ; liberté des bourses et du courtage en 1867 ; en 1875, loi permettant de créer des sociétés anonymes et, en 1885, loi créant la Société des chemins de fer vicinaux.
36Quant aux premières mesures proprement sociales, elles sont prises dans le but de maintenir le bon ordre plutôt qu’en vertu des principes d’égalité. On le comprend aisément : sous notre régime parlementaire, qui, durant soixante-dix ans, sera considéré comme le modèle du genre par les juristes du monde entier, la qualité d’électeur pour l’année 1847 est reconnue à quarante-sept mille hommes, sur une population d’environ quatre millions cinq cent mille habitants22. Et en 1893 encore, c’est sous la forme d’un vote plural favorisant le père de famille, le propriétaire et le diplômé que sera institué le suffrage universel, pour tous les hommes de vingt-cinq ans. Dès 1894, ce système envoie vingt socialistes à la Chambre ; mais ce n’en sont pas moins les intérêts des notables qui sont censés représenter les intérêts de tous23.
37Cette mentalité se traduit par une inattention relative du droit à la misère des ouvriers. Rappelons simplement qu’ils travaillaient, hommes, femmes et enfants, jusqu’à plus de douze heures par jour, qu’ils devaient obligatoirement être porteurs de leur livret d’embauche, sous peine de vagabondage. Dès 1843, une commission parlementaire dénonce la situation. En 1850, Dupectiaux publie son mémoire sur le paupérisme en Flandre24. Mais c’est en 1851 seulement que la loi autorise la création de caisses de secours mutuels interdites jusqu’alors. Le droit de coalition n’est accordé aux ouvriers, avec certaines limites, qu’en 1866. Il faudra la formation du Parti Ouvrier Belge en 1885 et la grève sanglante de 1886 pour que soit créée au parlement la commission du travail. Elle est à l’origine d’une loi du 16 août 1887 sur le paiement des salaires mettant fin au "trucksystem", procédé qui permettait de contraindre les ouvriers à s’approvisionner dans des magasins dont le patron était propriétaire. Le travail des femmes et des enfants est enfin réglementé en décembre 1889. Citons encore, en 1896, la loi sur le règlement d’atelier, l’institution, en 1898, des Unions professionnelles, mesure restée sans grand effet, puis, la même année, l’institution de l’Inspection du travail. Le contrat de travail fait l’objet de la loi du 10 mars 1900 ; elle sera complétée par celle du 14 janvier 1903 sur les accidents de travail.25.
38Lorsqu’éclate la première guerre mondiale, la Belgique s’est ainsi dotée d’une législation sur le travail dont l’importance était unanimement reconnue à l’époque26. Ce dispositif pouvait être considéré comme un développement conséquent des principes fondamentaux du code civil. "Social” dans ce contexte signifie "conforme aux exigences d’égalité et d’universalité". Le type de pareilles mesures est celle qui rend l’enseignement obligatoire. Il est remarquable du reste qu’en ce domaine le but poursuivi ait été obtenu pour une large part grâce aux possibilités offertes par la loi belge sur les Associations sans but lucratif. Le principe de coopération à trouver là une application, en facilitant à chacun l’intervention dans la société au nom de ce qu’il regarde comme une juste fin.
39Faut-il rappeler quel usage firent de cette législation les missions catholiques pour établir au Congo belge un réseau d’enseignement ? Ce dernier fait met bien en lumière en quel sens peuvent être dits "sociaux" les droits fondamentaux reconnus par le Code civil. La colonisation rend évident que les prérogatives imprescriptibles sont d’abord celles des citoyens capables d’affronter les risques d’une entreprise de nature économique. L’égalité et la liberté des peuples colonisés demeurent pour longtemps un idéal lointain. L’enseignement peut bien les en rapprocher. Mais au Congo l’État belge n’en prendra que tardivement la responsabilité directe.
II.3. L’entre-deux-guerres
40En 1919, les élections se font en Belgique au suffrage universel masculin à vingt et un ans. Ce mode de scrutin est ratifié par la Constituante qui en est issue27. L’idée d’universalité selon le code civil se réalise ainsi davantage. De même qu’elle trouve une expression importante, la même année, dans la fondation du Bureau International du Travail. Devenant membre de cet organisme par la ratification du traité de Versailles, l’État belge ouvre dès lors son droit à de nouvelles sources, à savoir : les recommandations et conventions signées par les représentants de plus de trente états auprès du B.I.T. Il faut noter encore que ces délégations de quatre membres chacune comprennent, par pays, deux représentants du gouvernement, un autre des travailleurs, un autre enfin des patrons. Ceci implique que, sur le plan international, l’État ne se présente plus comme une unité tout d’un bloc ; il reconnaît qu’il doit laisser parler les intérêts qui s’opposent en son sein. L’entrée de la Russie soviétique à la S.D.N. et au B.I.T. en 1934 inaugure une réflexion sur le travail menée en commun par des régimes qu’opposent radicalement leurs conceptions du droit de propriété : il n’y a pas de représentant du patronat soviétique au B.I.T. !
41Dans ce nouveau climat social, la législation belge sur le travail avait accompli quelque progrès marquants dès avant la crise de 1929. Mises sur pied en 1919, des commissions paritaires réunissaient patrons et ouvriers pour s’accorder sur le règlement par secteur des questions relatives principalement aux salaires et au temps de travail. La société nationale de crédit à l’industrie voyait le jour la même année. L’année suivante était mis en place un processus d’aides au Fonds de chômage créé par les syndicats. En 1921, la loi prévoyait la journée de huit heures et la semaine de quarante-huit. L’assurance obligatoire pour les pensions de vieillesse était instaurée en 1924.
42L’ensemble de ces mesures concerne encore principalement, semble-t-il, la protection des citoyens moins avantagés ; elles visent d’abord à établir une certaine égalité des chances. On ne peut oublier cependant que pour la première fois en 1919 avait été introduit, minime au départ, l’impôt sur le revenu. Cette règle fiscale est sans doute commandée, elle aussi, par la justice distributive. Mais elle se justifie, de plus, par l’intervention croissante de l’état dans le domaine économique. La crise de 29 fera ressortir davantage encore les liens inextricables de ces deux aspects des initiatives des gouvernements. Le bouleversement des économies occidentales, en détruisant la confiance dans les mécanismes régulateurs du marché, accrédite en effet l’idée que l’état seul est capable de régulariser les fluctuations du système. Cette tâche nouvelle, qui se concrétise entre autres dans la lutte contre le chômage et la règlementation des prix, devient l’élément décisif de l’action politique. L’état se présente dès ce moment comme le garant d’un maintien sinon d’une élévation du niveau de vie pour le plus grand nombre.28.
43Ainsi, dans le secteur social, la Belgique met en place des Allocations familiales en 1930. L’Office national de placement et de chômage est créé en 1935 ; en juillet 1936 sont introduites les vacances payées et la loi permet de ramener la semaine de travail à quarante heures29.
44Dans le même temps, les gouvernements Van Zeeland renouvellent profondément l’organisation de l’économie et en particulier le système du crédit. Une loi du 9 juillet 1935 réforme l’activité des banques : elles seront assujetties désormais à une réglementation très précise et au contrôle d’une Commission bancaire. Des nouveaux organismes de crédit voient le jour : l’Institut de réescompte et de garantie, l’Office central du crédit hypothécaire, l’Institut national du crédit agricole.
45En assumant ces tâches, l’État a dores et déjà commencé à se soumettre aux règles du jeu économique. En 1937 se créait le Secrétariat permanent pour le recrutement des agents de l’État, organisme rendu nécessaire par l’accroissement du personnel administratif de tout rang. Le gouvernement devenait en fait un des plus importants patrons de Belgique. Comme tel il allait se voir exposé, de la part des individus et des groupements syndicaux, à toutes les revendications que comporte l’exercice des droits fondamentaux et sociaux.
46La situation des agents de l’État implique en effet une ambiguïté. Pour leur employeur, leur multiplication constitue d’abord une amélioration des services et, en ce sens, une mesure sociale facilitant à tous les citoyens l’exercice de leurs droits. Dans le concret cependant, il s’agit d’un éparpillement du pouvoir, et cela pour deux raisons. Premièrement, la notion de "service public” étant un idéal, elle a d’autant moins d’influence réelle que va croissant le nombre de ceux qu’elle devrait guider. En second lieu, détenir une part du pouvoir, si petite soit-elle, tout en demeurant l’employé de ce même pouvoir et toujours prêt, par conséquent, à lui opposer des revendications sociale, c’est avoir les meilleures chances de reconstituer à son profit personnel, sous le couvert de la légalité, une situation pré-juridique où le bon vouloir du plus fort est seule règle. Ajoutons qu’en même temps la tentation de clientélisme grandit, tant pour les partis au pouvoir que pour les syndicats et leurs alliés politiques. Telle était déjà la situation quelques années avant 1940.
II.4. L’après-guerre
47Durant la seconde guerre mondiale, vont s’élaborer et commencer de se mettre en place les dispositifs de droit non-étatique qui prolongeaient l’œuvre des instances internationales déjà existantes ; ils allaient influencer, sinon déterminer, l’évolution de la législation dans le monde, en Belgique comme ailleurs. Dès le mois d’août 1941, F.D. Roosevelt et W. Churchill signaient la Charte de l’Atlantique. Ce document liait la sécurité du monde après la défaite allemande à la volonté "que se réalise, dans le domaine économique, la plus entière collaboration entre les nations afin d’assurer à tous les meilleures conditions de travail, le progrès de leur économie et la sécurité sociale". L’intention d’universalité s’unit, dans ce texte, à une discrète profession de foi en la valeur d’une théorie économique, celle de J.M. Keynes. Cette confiance trouvait un appui dans les résultats de la politique du "New Deal" menée par Roosevelt depuis 1933. En Grande-Bretagne, un disciple de Keynes, que W. Churchill soutenait de longue date, W.H. Beveridge, soumet aux parlementaires, dès 1942, le plan d’"Assurance sociale et services conjoints", qui influencera désormais dans le monde entier la manière de concevoir l’organisation par l’État d’une sécurité de chacun reposant sur la solidarité de tous30.
48Beveridge comme Keynes veut que la libération du besoin incite l’individu à dépasser, par son initiative, la survie minimale qu’assureront les pouvoirs publics. L’État ne saurait en effet assurer un revenu stable qu’à titre d’encouragement nécessaire ; nullement comme substitut d’une activité autonome. Mais le plan envisageait par ailleurs la suppression de la misère comme une première étape : les soins de santé, l’accès à l’instruction et à la culture, la sécurité de la vie familiale, du logement, de l’emploi et des loisirs s’inscrivaient nécessairement dans le système des "assurances sociales" que doit procurer à ses membres une démocratie moderne à l’âge de la science. Ce que furent, pour les auteurs de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en 1789, les idées des philosophes anglais et des Encyclopédistes, la théorie de Keynes le fut à son tour pour ceux qui rédigèrent la Déclaration universelle des droits de l’homme proclamée par les Nations Unies le 18 décembre 1948. On y retrouvait, dans le détail des articles 22 à 27 en particulier, l’énoncé, en termes de droits subjectifs et fondamentaux, des buts que le plan Beveridge assignait à la politique des gouvernements et à l’initiative des citoyens. Aucun des aspects du développement normal de la vie individuelle dans une démocratie moderne n’est oublié dans ce que la société garantit juridiquement à toutes personnes qui en est membre. Celle-ci "est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité, grâce à l’effort national et à la coopération internationale, compte tenu de l’organisation et des ressources de chaque pays" (art. 22).
49En 1949, la Déclaration universelle était inscrite en tête du titre II de la Constitution, intitulé "Des Belges et de leurs droits”. Trois conventions internationales ultérieures, sur la sauvegarde des droits de l’homme (Rome 1950), sur les droits politiques de la femme (New York 1953), sur l’élimination des discriminations raciales (New York 1966) seront intégrées à notre législation avec des retards parfois considérables, en 1955, en 1964 et en 1975 respectivement.
50C’est dans ce contexte général qu’un arrêté-loi du 28 décembre 1944 adoptait la Sécurité sociale des travailleurs. En 1964 le champ de ces dispositions allait être étendu aux travailleurs indépendants, puis, en 1965, à la fonction publique, au personnel de l’enseignement libre etc. Cette extension met en lumière la nature ambigüe des droits sociaux. D’une part en effet ils sont exercés par l’État au profit des membres désavantagés de la société ; mais d’autre part et simultanément ils sont exercés ou peuvent l’être par n’importe quel citoyen exigeant le respect de ces prérogatives de la part de tout autre sujet de droit, l’État y compris.
51Que pareille ambigüité pourtant ne soit pas impossible à surmonter, on peut en trouver l’augure dans une autre disposition de notre législation sociale. L’arrêté-loi du 9 juin 1945 prévoyait que, sur demande d’une commission paritaire ou d’une organisation professionnelle représentative, un arrêté royal pouvait donner force obligatoire aux décisions prises par les parties ou les groupes. L’État reconnaissait ainsi l’existence d’un pouvoir législatif ou réglementaire qui, dans les secteurs concernés, était constitué par des représentants choisis, non plus dans les partis et pour des motifs politiques, mais bien dans la profession et pour des raisons de compétence et de sagesse. Dans le cas de la commission paritaire en particulier, cette attitude de l’État impliquait logiquement que dans les conflits de droits sociaux le rôle des pouvoirs publics est d’assurer le respect par chaque partie du point de vue adverse et non pas d’imposer une solution politique au différend.
52La composition de la Commission bancaire peut être évoquée ici. Ses membres ne sauraient représenter les intérêts des banques, puisqu’ils doivent assurer auprès de celles-ci une mission de contrôle. Cependant quatre d’entre eux sur sept sont nommés par les ministres compétents sur présentation de listes dressées par des instances représentatives des institutions concernées. Il apparaît ainsi que des organismes destinés à protéger les droits sociaux et économiques du citoyen remplissent d’autant mieux leur office qu’ils demeurent proches du milieu où doivent s’exercer ces droits. Est-il nécessaire pour autant que la dite Commission, tout comme l’Institut des réviseurs d’entreprises, en viennent de plus en plus à promulguer des normes au lieu d’avis et de directives ? On peut se le demander. Mais la structure de la Commission lui a permis d’apporter une contribution non négligeable à la transformation du droit des sociétés et à l’établissement d’un climat de fiabilité dans les relations des citoyens avec les banques et les sociétés d’épargne publique.
53Par contre dans les instances où s’élabore, se discute ou se contrôle l’application de mesures économiques commandées par des objectifs relevant de la justice sociale, la présence de représentants des groupes professionnels ou des intérêts privés n’a pas été une garantie que l’établissement des voies durables vers le progrès était toujours préféré au succès immédiat du gouvernement en place. Aussi la Belgique a-t-elle vu se multiplier rapidement les modes d’intervention des pouvoirs publics dans l’économie, sans autre résultat souvent que de rendre omniprésent l’État plutôt que le droit. Ont été souvent gommées les différences entre la politique, l’économie et la promotion sociale, au risque d’en rendre l’articulation et le jeu impossible. De manière générale, on peut dire qu’en ces matières la loi est trop souvent apparue comme le résultat d’un marché et pas assez comme une possibilité d’action commune reconnue par des sujets dont les droits peuvent être en conflit.
54Dans le foisonnement de la législation intéressant à quelque titre la justice sociale, nous retiendrons encore les plus typiques. Il existe en Belgique un Bureau du plan, qui émet des directives et des conseils de portée générale. Mais en plus de réglementer les prix dans les secteurs les plus divers selon les besoins du marché et les buts fixés, l’État est intervenu directement en bien des domaines particuliers. Il a ainsi limité la concurrence entre petits détaillants et magasins à grandes surfaces ; il a institué un contrôle des investissements dans l’industrie de l’électricité ; il a subsidié les charbonnages, le textile, la sidérurgie ; il est devenu le principal actionnaire de certaines sociétés plus ou moins importantes, entrant ainsi dans le jeu de la nationalisation. Médecine, urbanisme, transport, sans oublier l’enseignement de tous niveaux ont également fait l’objet de législations et surtout de réglementations complexes et, dans bien des cas, plutôt changeantes que réellement adaptées.
III. APPRÉCIATION DE LA JUSTICE SOCIALE
III.1. Deux difficultés
55L’évolution que nous venons de décrire s’est opérée selon trois phases. D’abord ont été introduites timidement et assez tard dans le dix-neuvième siècle des lois de protection sociale ; cette protection s’est étendue à partir de 1919 et elle continue depuis de le faire. Ensuite, à partir des années trente, l’État prend des responsabilités, non seulement comme protecteur des faibles, mais comme leader principal des décisions économiques et sociales. Après la guerre de trente-neuf à quarante-cinq enfin, l’extension de la sécurité sociale et la création d’autres systèmes de redistribution des revenus dans un but de réduction des inégalités, ont rendu plus large encore l’emprise de l’État. Toutefois, si l’on se place à un point de vue strictement juridique, peut-on dire que le rôle ainsi assumé par les pouvoirs publics a permis de mettre en place une législation qui apporte un début de solution au problème de la justice sociale ?
56Pour répondre à cette question, il convient d’abord de reconnaître à quel point l’existence d’une législation sociale a contribué à améliorer le niveau de vie, dans la plupart des pays industrialisés au moins. Déjà la simple conscience que chaque citoyen a pu acquérir de ses droits sociaux, économiques, et culturels constitue un élément majeur de cette amélioration. Celle-ci ne s’est pas opérée non plus sans mettre en meilleure lumière quelques principes et quelques processus fondamentaux de la vie du droit. Souvent en effet ils ont inspiré les politiques. Parfois aussi ils ont été ignorés ou mal interprétés. Dans ces derniers cas, c’est a contario que s’est manifestée leur importance.
57Dans cette perspective, deux difficultés nées du progrès social lui-même, permettent d’apprécier à quel point le droit y a trouvé pour sa part une promotion ou une défaite.
58La première est celle du prix de revient, pour la société, de la gestion par l’état des institutions nécessaires à la mise en pratique des droits sociaux et économiques. En effet l’état n’a pas seulement à répartir entre les citoyens des biens, dans la production et la consommation desquels il n’interviendrait pas. Devenu beaucoup plus que par le passé, propriétaire et entrepreneur, il ne s’est pas fait au même degré son propre bailleur de fonds, ni son propre contribuable. Les prélèvements fiscaux et les charges indispensables au financement des interventions dans le domaine social produisent un sentiment diffus d’insatisfaction31. Le citoyen actif en vient à se demander si la dépendance complète à l’égard des pouvoirs publics n’est pas devenue le seul mode de vie où il ne se verra pas frustré des possibilités de développement auxquelles son travail et son mérite lui donnent droit en vertu même des principes fondamentaux qui guident la politique de l’État selon la constitution32.
59À cette première difficulté, on pourrait répondre : une valeur n’a pas de prix ! La justice sociale est une obligation éthique ; par conséquent son coût ne saurait en déterminer la limite. Mais cette réponse ne clôt pas le débat. Il est immoral en effet d’utiliser un bien, quel qu’il soit, simplement pour le perdre. Si la dépense produit un résultat tout opposé à l’attente, la valeur que visait l’intention ne saurait justifier l’erreur initiale d’appréciation des moyens. Ce n’est donc pas au nom de la morale que le législateur pourrait se désintéresser de ce que coûte la mise en œuvre des principes fondamentaux. Pour qu’il pût le faire au nom du droit lui-même, il faudrait supposer un droit subjectif inné que le droit objectif n’aurait qu’à entériner33. Mais au nom de quel droit subjectif l’État serait-il dispensé de l’obligation de bonne gestion ?
60On peut remarquer d’ailleurs que le rapport coût/bénéfice est pris en considération quand il s’agit d’établir des priorités entre les différents programmes de travaux publics que l’État doit mettre en œuvre. Bien sûr, le prix de revient d’avantages sociaux d’un tout autre type ne saurait se calculer selon un modèle identique. Ainsi le facteur "temps" tient-il dans ces derniers budgets un rôle entièrement nouveau, comme il est patent dans le cas des pensions. Peut-être les méthodes d’analyse et de calcul qui permettraient de traiter adéquatement ce genre de problèmes ne sont-elles pas encore maîtrisées. Il n’en demeure pas moins qu’une législation sociale dépourvue d’une estimation de son coût, pour une durée raisonnable selon ses différents objectifs, détruirait d’avance les engagements qu’elle prend en promouvant des droits fondamentaux. Le citoyen en viendrait facilement, dans ces conditions, à se considérer comme le créancier d’un banquier malhonnête : ayant le privilège d’exiger des versements et des dépôts, celui-ci se dispenserait de payer des intérêts et d’offrir des services en contrepartie. Proche serait alors la tentation de récupérer ailleurs la créance qu’il faudrait abandonner. Proche aussi la justification de la fraude fiscale34.
61La seconde difficulté liée au progrès social en tant qu’il est l’œuvre de l’État a déjà retenu notre attention à plusieurs reprises. Reprenons-là ici sous un angle différent.35.
62En vertu de la structure essentielle de la personne, chacune de ses activités implique une relation à la communauté. Comme le droit devient de plus en plus social, il est appelé à s’intéresser, au moins implicitement, à toutes les activités de la personne. La loi tend ainsi à devenir omniprésente. Étant par nature un énoncé abstrait, elle ne peut rencontrer les situations concrètes qu’en prenant la forme de règlements de plus en plus détaillés36. On le sait : ceux-ci perdent en universalité véritablement juridique ce qu’ils sont censés gagner en adéquation au concret. Alors que la législation vise à élargir le champ des droits, elle finit au contraire par rendre passifs les agents qui devraient les exercer. Les exemples de cette déviation ne manquent pas. Les institutions diverses de la sécurité sociale au sens large se limitent souvent à distribuer des aides37. La complexité des réglementations fiscales aboutit à transformer le citoyen en auxiliaire non rétribué des administrations publiques ou à multiplier les recours passifs, mais parfois très coûteux, à des conseillers, à des fiduciaires, à des sociétés d’audit et de comptabilité. Trop de mesures, prises sous l’empire de la nécessité immédiate, sont devenues incompréhensibles, sauf pour de plus en plus rares initiés : ainsi les systèmes variés de prépensions, de mise au travail temporaire, de stage, ainsi encore, pour certaines activités déterminées, les systèmes de subsides et d’avantages fiscaux. À tel point que certains n’hésitent pas à parler d’un déclin de l’État de droit38.
63Ces deux difficultés contraignent à reprendre certains éléments de la problématique qu’analysait déjà notre introduction. Notre critique tentera de discerner quels aspects fondamentaux du droit ont été bien mis en œuvre, voire révélés, par la législation sociale, lesquels aussi ont été ou risquent d’être ignorés sinon méprisés.
III.2. La légitimité en question
64Le déficit endémique des finances publiques tout comme la règlementation pléthorique ne peut que diminuer la confiance normale en la légitimité des lois. L’action de l’État se déclare régie par des principes, et elle s’avère n’être qu’une suite de réponses quasi réflexes à des exigences momentanées qui voilent la perspective du bien commun. De plus, sous prétexte d’attention aux cas singuliers, l’éparpillement des règles peut réintroduire certaines formes, réelles ou simplement vécues comme telles, de privilège et d’arbitraire. Enfin certaines restrictions, des renoncements, et des sacrifices ne devraient plus être imposées sans consultation préalable des intéressés et sans négociation raisonnable. Autrement leur légitimité ne sera plus perçue. Les citoyens auront au contraire le sentiment que par opportunisme on n’hésite pas à prendre des mesures à caractère rétroactif. Les modifications brusques du régime de l’éméritat et de la pension pour la magistrature fournissent ici l’exemple typique. Il en va de même, à l’inverse, pour certains avantages dont ne pourront bénéficier que des groupes plus favorisés. Les lois Coreman et Declerck, par exemple, trouvent-elles vraiment leur justification dans le bien de tous ?
65Toutefois ce sera ici fausser le problème que de ne pas prendre en considération ses composantes supranationales. L’économie mondiale et même l’appartenance à des organismes internationaux peuvent modifier rapidement les perspectives à court et à moyen terme qui avaient commandé l’établissement du budget. Les mouvements de l’économie étant la plupart du temps, même en période de paix, dûs à des stratégies de guerre, il faut très souvent, pour y faire face rapidement, pratiquer la politique du moindre mal. Le reconnaître n’empêche assurément pas de se demander si les effets de choc ne pourraient pas être atténués. Une législation sociale est-elle vouée par nature à trahir ses promesses, ou du moins à n’indiquer jamais que des horizons d’avance perdus ? Doit-elle fatalement éveiller, tantôt pour un groupe, tantôt pour l’autre, un sentiment de frustration et d’arbitraire ? Le coût de la justice sociale et l’extension envahissante de son ressort contraignent-ils à mettre en doute son efficacité ?
III.3. Conditions d’efficacité
66Dans aucun autre domaine juridique peut-être n’apparaît aussi nettement la nécessité d’une constante adaptation des lois, sous peine de les voir très tôt sans effet. Il est significatif à cet égard que, dès, l’institution de la sécurité sociale en 1944, on ait parlé de sa réforme. Mais comment devrait fonctionner le système de régulation capable d’adapter, en un temps raisonnable et utile, les dispositifs de la loi aux situations nouvelles que créent, par exemple, les modifications de la condition de la femme, l’entrée massive du personnel féminin sur le marché du travail, l’évolution complexe de la démographie, l’embauche de travailleurs étrangers, leur immigration plus ou moins définitive et leur éventuelle intégration à la population nationale ? On peut se demander de même comment devraient être structurées les diverses institutions dont relève l’enseignement dans son ensemble, pour que soit efficacement adapté aux conditions nouvelles engendrées par le progrès des sciences le déploiement d’un réseau de services auquel le citoyen recourt aujourd’hui depuis le jardin d’enfants jusqu’aux recyclages multiples s’adressant même aux pensionnés. Pour l’université et l’enseignement supérieur en particulier, les intentions de la loi semblent énoncées d’une manière tellement vague qu’elles demeurent sans lien avec une application. "Il paraît souhaitable, nous dit-on, de faire accéder le plus possible de jeunes gens et de jeunes filles à l’enseignement supérieur"39. Est-ce ce critère assez grossièrement quantitatif qui impose de calculer l’allocation annuelle des établissements concernés sur la base du nombre d’inscriptions et selon les exigences moyennes d’équipement ? Ce mode de financement réduit les institutions au rôle de gestionnaires d’allocations fournies exclusivement par l’État. La personnalité juridique des associations responsables d’enseigner n’exigerait-elle pas, sous peine d’inefficacité, une plus grande autonomie à tous les niveaux de leur organisation, y compris les programmes et la préparation ou la réorientation des candidats ?
67De ces deux exemples se dégage une première condition d’efficacité : le respect des temporalités propres du droit et de l’économie.
68La loi est d’autant plus exposée à être sans effet qu’elle se fera plus étroitement dépendante d’objectifs économiques à court terme. La sécurité sociale et l’enseignement ne sont assurément pas sans relation avec le rendement de l’économie nationale. Mais, en tant qu’ils sont des droits, leur portée dépasse le temps habituellement pris en compte par le calcul économique pour les cycles courts. Les gouvernements ne peuvent sans doute pas déterminer leurs politiques économiques en se fondant sur ce que l’on sait actuellement des cycles longs. Mais la durée que visent les énoncés du droit, surtout les énoncés de principes et de prérogative fondamentales, n’est évidemment pas celle du marché ou des budgets ordinaires. La législation en matière sociale et culturelle ne saurait donc être efficace si elle est subordonnée entièrement à une perspective économique proprement dite, à court ou à moyen terme.
69Le problème est d’articuler deux systèmes de dispositions. Le premier concerne une durée longue ; le progrès vers les objectifs qu’il vise est incessant et tend en quelque sorte vers l’infini. Le second se propose des objectifs dont la réalisation est prévisible à plus ou moins courte portée, et dont le maximum n’est ordinairement pas l’optimum.
70On doit donc souhaiter, pour le social et le culturel, que la législation n’induise pas chez les citoyens de fausses perspectives. Ce qui serait le cas, si la garantie des droits fondamentaux pouvait être, en vertu des textes légaux, identifiée à la croissance continue d’une pension ou d’un subside. Ainsi une sécurité sociale dont l’application se fonde sur l’idée de plein emploi quasi constant est, du seul point de vue théorique, une contradiction : pour une société donnée, le maximum de l’emploi possible ne correspond pas nécessairement à une situation optimale, puisqu’il se trouve atteint, par exemple, en temps de guerre. Pour qu’une législation sociale soit efficace, il faudrait donc que ses objectifs soient articulés à l’économie sans lui être totalement subordonnés. Le droit a pour tâche en effet de définir de mieux en mieux le champ où les principes fondamentaux peuvent être mis en œuvre par les agents juridiques. Mais en tant que les principes sont des possibilités d’agir inhérentes à l’essence de la personne, ils appartiennent à l’ordre des fins et à leur durée particulière, non à l’ordre et à la durée des moyens. En les énonçant, le droit ne pose pas seulement des exigences de bien-être matériel. Ce dernier, qui peut se mesurer par le revenu national, peut être exposé à des risques et à des fluctuations plus ou moins imprévisibles. Mais il serait désastreux que les droits fondamentaux, une fois reconnus, soient soumis à des flux et reflux.
71Suffit-il d’affirmer que c’est précisément le rôle des réglementations d’adapter aux fluctuations à court terme de l’économie les principes sociaux ? On peut l’admettre ; à condition toutefois que la réglementation n’implique pas tacitement une idée d’efficacité qui contredit les droits et libertés qu’elle est censée appliquer. Ce qui est fréquemment le cas. Ainsi l’État semble-t-il incapable de confier à des groupes de citoyens compétents de légiférer dans les domaines de la durée courte ; mais il prétend les faire participer à sa propre action, alors que la durée de celle-ci n’est pas de leur ressort.
72On peut poser en principe que le droit est d’autant plus efficace dans le présent qu’il s’adresse plus directement à la responsabilité des agents intéressés, c’est-à-dire à leur autonomie et à leur respect d’autrui. L’histoire de la législation sociale a montré que cette condition d’un meilleur exercice du droit est rencontrée chaque fois, que des instances largement représentatives des citoyens concernés prennent une part active à la préparation des lois. Pareils groupes et commissions sont chargés parfois aussi d’un rôle de vigilance une fois à la loi promulguée. Rarement sinon jamais une fonction législatrice ne leur est échue. Ne conviendrait-il pas d’inverser les fonctions qu’y remplissent respectivement les représentants de l’État et ceux des citoyens ? En bien des domaines, comme dans l’enseignement à tous les niveaux, et même dans certains secteurs au moins de la sécurité sociale, les pouvoirs publics n’auraient-ils pas à se mettre au service des parties finalement responsables, pour les guider, pour veiller au respect de la constitution et des principes ? À vouloir légiférer uniquement lui-même sur le détail de ces matières, il éloignera la pratique quotidienne du droit de sa source principale, les sujets eux-mêmes. Est-il impensable que l’État définisse les cadres obligatoires de l’action, fixe les objectifs et veille pour le reste à ce que les intéressés remplissent, au moyen d’instruments adéquats qu’il aurait précisés, les tâches législatrices exigées par le développement de leurs fonctions dans la société ? Le droit international privé et la "lex mercatoria" fournissent des exemples de systèmes analogues. Et ceux-ci sont bien équilibrés, parce que la vie quotidienne du droit y est assurée par les agents eux-mêmes, selon la nature de leurs professions et de leurs relations.
73La distinction d’une durée propre aux fins, donc aux énoncés des droits fondamentaux, et du temps moyens, où se meut l’application journalière des principes, peut aider à comprendre une autre cause d’inefficacité des lois, qu’a rendue sensible le développement de la justice sociale : la confusion, au moins dans l’esprit du public, de l’élément correctif avec la simple répression.
74En matière sociale, culturelle et même économique, l’intervention de l’État est devenue trop souvent celle d’une force extérieure aux sujets de droit et aux libertés. Le premier objectif était de protéger les plus faibles, de défendre leur égalité face aux puissants et aux nantis. Sous le couvert de cet excellent motif, s’est développé un comportement des pouvoirs publics propre à entretenir une très ancienne équivoque, celle qui identifie "faire justice" et "punir une infraction". Ainsi par exemple, dans la vie de tous les jours, le surcroît de besogne imposé à tant de citoyens par le fonctionnement de la TVA et la complexité mouvante de la fiscalité, le ton encore trop souvent comminatoire de l’administration à l’égard du contribuable, font percevoir comme une peine, ce qui est l’accomplissement d’un devoir justifié, corrélatif du reste à l’exercice des droits et libertés. Sans doute serait-il malsain que les taxes suscitent l’enthousiasme au même titre que des emprunts ! Mais un gouvernement démocratique doit veiller à ce que leur signification positive demeure suffisamment manifeste. Rien ne rendrait la loi inefficace comme une atmosphère de soupçon généralisé et d’hostilité sourde. L’émulation féconde s’accommode mal d’une mentalité où chacun considère son propre droit comme une possibilité de récupérer ce que l’autre cherche par principe à ne pas lui accorder. La répression devient alors, non l’auxiliaire du droit, mais son aspect essentiel dans la pratique.
75Or la sanction inhérente à la loi, ce qui en garantit le caractère intangible, ne trouve dans les peines proprement dites que son expression la moins fine, celle qui s’adresse, dans la plupart des cas, à des sujets passifs du droit, à des personnalités peu intégrées. Par elle-même en effet la peine n’assure nullement le retour à la pratique de la loi, ni de la part du condamné, ni de la part de l’éventuel plaignant. Punir ne corrige pas ; la punition fournit rarement l’information, encore moins l’éducation qui permettrait au coupable et à la partie adverse de renouer des relations de droit, de diriger à nouveau ensemble leur action selon la loi40.
76En matières sociales, la confusion conduit à considérer la loi comme une revendication toujours insuffisante pour les uns, a priori excessive pour les autres. La justice sociale envenime alors les conflits au lieu de les régler.
77Dans les relations internationales, on voit se propager actuellement l’idée d’un droit des peuples défavorisés à revendiquer, comme peuples, de la part des plus riches, non une collaboration, mais une sorte de restitution pour le retard que la prospérité des seconds, acquise censément grâce au système colonialiste, a provoqué et provoque encore dans le développement des premiers. Les fondements de pareille revendication manquent de clarté ; ils risquent de se confondre avec des raisons de politique intérieure41. Mais ni le ressentiment des pauvres, ni la mauvaise conscience des riches ne garantissent que s’instaurent relation de droit. Celle-ci repose sur la libération toujours progressive de la liberté. Dans ce processus, la restitution répressive relève du présent le plus court, qu’elle comprend comme un résultat physique de l’action de forces dans le passé. Alors que le droit au développement, même pour les peuples, ouvre aux hommes un avenir tel que ni leurs erreurs, ni leurs souffrances passées ne sauraient les empêcher d’être égaux, c’est-à-dire d’avoir à entreprendre ensemble la tâche d’améliorer la qualité de la vie dans le monde. Dans le présent, cette égalité que fonde l’avenir ne fait qu’obliger à prendre des dispositions à court terme, pour une action dont les objectifs sont immédiatement calculables. Même si leur urgence impose certaines contraintes, ces mesures seront acceptées à condition de ne point prendre l’allure arbitraire et abstraite des à-coups d’une révolution ou d’un pouvoir tyrannique.
78Nos questions concernant la légitimité et l’efficacité de la législation sociale nous ont amenés à nous remémorer quel rapport particulier la loi soutient avec la peine et la sanction. Chemin faisant nous avons reconnu l’importance que revêt pour un exercice actif des droits et libertés, la plus grande proximité possible des agents à tous les moments du processus juridique. Ainsi nous avaient paru pouvoir s’articuler le temps des principes et le temps de leur progrès dans le quotidien, l’aspect prophétique de la justice sociale et son nécessaire réalisme. Nous voudrions montrer maintenant que l’ensemble de ces conditions met en lumière nouvelle la fonction judiciaire.
III.4. Signification de la fonction judiciaire
79La démonstration qui va suivre n’est pas une pure déduction. Elle s’appuie sur des pratiques déjà en vigueur dans des litiges où sont en cause des droits économiques et sociaux ou des libertés.
80Ainsi c’est d’abord à l’usage de la seule institution financière concernée que la Commission bancaire émet un avis sur les divers rapports et comptes dont elle a à connaître. Si elle a jugé le comportement ou la situation décrite défavorable aux actionnaires ou aux épargnants et qu’il n’ait pas été tenu compte de son avis, elle peut le rendre public. La plupart des problèmes trouvent de la sorte une solution concertée. Bien sûr les banquiers tirent souvent argument du fait pour déclarer la Commission inutile, puisque, disent-ils, la solution se serait imposée de toute manière pour des raisons de bon sens ou d’opportunité. Dans les conflits du travail également le rôle du juge est plus proche de la conciliation et de l’arbitrage que de l’établissement d’une culpabilité et de la détermination d’une peine. Cependant la décision d’un pareil tribunal n’est-elle pas réduite à néant lorsqu’elle n’est pas appliquée ? Or il est bien des cas où un licenciement, par exemple, est jugé illégal, sans que l’intéressé soit assuré pour autant de son réengagement. Pourquoi alors, disent certains patrons extrémistes, ne pas supprimer des juridictions coûteuses et inutiles ? Leur question prouve bien qu’est au moins redoutée la publicité donnée au litige. Et cela suffit à établir la nécessité d’institutions de ce type. Elles rappellent que la relation aux autres est, selon son extériorité même, constitutive de l’individu en tant qu’il est sujet de droit.
81Au plan international il apparaît plus clairement encore que la seule publicité donnée par une instance judiciaire â un litige ou à certains comportements contraires au droit est effectivement une sanction découlant de la loi, c’est-à-dire une manière de maintenir intangible cette nécessité exigée pour une action commune de libertés qui reconnaissent l’opposition de leurs intérêts. Le prestige que garde une Cour comme celle de la Haye, ou que s’acquiert celle de Strasbourg en est un indice très clair même si l’exécution des sentences rendues par ces tribunaux n’est rien moins qu’assurée. Mais l’activité de type judiciaire exercée par des associations privées comme les Ligues des droits de l’homme et le Tribunal Russell dénote plus nettement encore l’importance essentielle d’une dénonciation publique de l’atteinte au droit. Les Ligues exercent des fonctions judiciaires dans la mesure où elles instruisent et accusent. Le Tribunal prononce également des sentences. Mais le second comme les premières rendent manifeste que le jugement selon la loi ne trouve pas sa source principale dans l’autorité du droit promulgué par l’État.
82Il faut interpréter dans le même sens des actions de masse qui se déroulent en dehors des tribunaux mais qui se présentent-elles-mêmes comme des accusations ou des revendications auxquelles tout tribunal ferait droit si la cause lui était soumise. Il s’agit des "manifestations" : elles veulent rendre publics et ainsi sanctionner des abus commis par des gouvernements étrangers, par le pouvoir national, ou par des groupes de citoyens. On peut comprendre de la même façon qu’ait été reconnu le droit de grève, alors que le fait lui-même a d’abord été vécu comme une convulsion sociale ou une épreuve de force.
83Ces divers phénomènes font apparaître que l’appel à un jugement et le jugement lui-même ne se recommandent pas d’abord de textes promulgués par l’autorité légitimement et légalement constituée, à quelque niveau qu’elle se situe. Le texte dénote l’exercice de leurs prérogatives par les sujets de droit et il est rendu nécessaire par la nature conflictuelle de cet exercice. S’il juit d’une autorité, il la puise dans son rapport aux agents juridiques, et ainsi à l’État et aux instances supranationales ou non-étatiques. La loi et son texte ne sont pas renforcés mais affaiblis lorsque leur source se situe dans un pouvoir complètement étranger aux citoyens comme l’est une dictature, comme le serait aussi un État vraiment providence.
84Le droit objectif n’a de signification qu’à titre de protection nécessaire des droits subjectifs et comme instance critique, à laquelle les sujets de droit peuvent ou doivent, selon les cas, mesurer leurs efforts en vue de faire progresser la pratique des droits.
85Dans cette perspective le juge est bien le témoin de la loi : il atteste qu’une opposition entre des libertés, qui est devenue litigieuse et que l’on lui soumet, s’inscrit encore dans les limites du droit et peut y être apaisée. Mais la source de son pouvoir de décision n’est pas à chercher d’abord dans ce que promulgue le législateur, ni dans la légitime contrainte que doit pouvoir exercer l’exécutif. En tant qu’il est distinct des deux autres, le pouvoir judiciaire émane de la nécessaire liaison de l’obligation et du droit, qui est constitutive des prérogatives fondamentales dont l’exercice doit être possible pour chaque agent juridique. C’est ce que marque, semble-t-il, l’espèce d’exemption dont jouit sur le territoire national l’espace réservé aux tribunaux. Le judiciaire en effet n’a pas au territoire national le même rapport que l’exécutif ou que le législatif. L’existence des cours de justice définit une sorte d’asile, où tout sujet de droit et quiconque lui est opposé se retrouvent à égalité de chance. Le droit codifié n’est pas en ce lieu la règle, qu’il suffirait d’appliquer parce qu’elle est énoncée par l’État souverain. Devant le tribunal en effet tout droit d’une personne physique ou morale, même s’il s’agit de l’État, est mis en devoir de s’établir, c’est-à-dire de rendre manifeste qu’il s’exerce comme capacité d’un agent conscient des exigences de la vie dans une communauté de droit. Il est donc exact d’affirmer que le juge dit le droit et ne fait pas qu’interpréter des textes.
86Cette conception fondamentale n’est pas nécessairement mieux représentée par le système judiciaire en vigueur dans les pays anglo-saxons. Les États-Unis connaissent dans ce domaine, à côté de performances remarquables, comme dans l’affaire du Watergate, d’incontestables excès. Mais le principe seul importe. Et la liberté est mieux assurée lorsque l’importance du pouvoir judiciaire en fait un garant toujours proche de l’exercice des droits subjectifs, et non le prestigieux oracle d’une justice transcendante. Peut-être est-ce lorsqu’il est sacralement à distance, et non lorsqu’il offre un sûr asile, que le juge est le plus en danger de devenir un justicier. Si en matières sociales il apparaissait davantage encore comme le témoin qualifié de la compétence des agents juridiques et de leur volonté de droit, l’exercice des principes et libertés se distinguerait plus adéquatement de l’application d’un barème de taxes.
87Un retour à une conception plus dynamique de la fonction judiciaire semble du reste exigé par deux autres caractères fondamentaux du droit, que le développement de la justice sociale rend davantage opératoires et dont il enrichit sans cesse le sens : l’universalité de la loi d’une part, la liberté d’association de l’autre.
III.5. L’universalité de la loi
88Dans l’esprit du Code civil, la loi doit être promulguée par l’État pour protéger tout citoyen contre l’arbitraire et le privilège. Reconnaissant les libertés fondamentales, le code conçoit aussi qu’être citoyen c’est participer à l’élaboration des lois et d’un droit toujours perfectible ; l’État entendait se faire également le garant de cette prérogative de l’individu. Ces deux traits définissaient suffisamment, semblait-il, l’universalité de la loi.
89Cette perspective d’ensemble est-elle abolie par l’avènement des droits économiques et sociaux, ainsi que par les hésitations corrélatives qui se sont fait jour concernant le droit par excellence, celui de propriété ? Les progrès de la législation sociale dans le monde depuis 1942 démontrent assurément qu’un État ne peut plus se proclamer seul garant des droits pour tous ses citoyens. La vie humaine est parvenue à un rythme d’échanges vraiment planétaire. Un droit qui prétendrait la définir à partir des conditions d’existence acceptables seulement pour une société et un territoire déterminés serait contradictoire en lui-même, puisqu’il nierait l’échange, qui constitue la vie. Il faut donc affirmer que la nature sociétaire d’un droit national l’oblige à reconnaître la validité pour son propre territoire de sources juridiques ne provenant pas de l’État lui-même et relevant principalement du droit international public et privé. Toutefois pareilles normes émanent, elles aussi, d’autorité situées dans le temps et l’espace. Lorsque les représentants légitimes d’États de droit signent, en 1948, la Déclaration universelle des droits de l’homme, ou la Convention européenne concernant ces mêmes droits en 1950, ils n’entendent pas proclamer que ces normes proviennent d’une autorité supraspatiale et supratemporelle, qui serait l’Humanité ou la Société. La révolution française a déclenché une tendance à hypostasier la Nation. Il serait dangereux de parler aujourd’hui comme si l’Humanité pouvait être garante ou agent créateur d’un quelconque droit. Ce serait favoriser le mythe totalitaire d’un État mondial, qui signifierait à coup sûr la mort du droit. Au mieux ce serait engendrer une confusion du droit et d’une éthique très imprécise.
90L’universalité de la loi s’avère ainsi être de nature conflictuelle ou, si l’on veut, dialectique. La norme est le résultat de tensions, qu’il ne s’agit pas de supprimer, mais dont il faut faire les principes possibles d’une action commune dans la liberté. À cet égard, certaines dispositions de la Convention européenne de 1950 fournissent des indications décisives. L’‘ensemble du document, et l’article premier tout d’abord, supposent l’existence des États souverains, munis de leurs pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires, s’engageant les uns envers les autres en tant que personnes morales. L’article 5 reconaît à tout sujet individuel le droit de se réclamer devant la justice de son pays des normes de la légalité internationale, celles-ci venant renforcer, à un titre supérieur, la loi nationale. L’article 25 autorise de plus l’individu à entreprendre une action auprès de la Commission européenne des droits de l’homme, pour dénoncer la violation par un des États contractants de l’un de ces droits. Larticle 48 enfin prévoit que la Commission, et, dans trois cas, les Etts contractants peuvent agir devant la Cour européenne, dépositaire du pouvoir juridictionnel42. Le système juridique tient ainsi son unité, non pas d’une règle abstraitement universelle, à laquelle on se référerait comme naguère encore au mètre-étalon du Pavillon de Sèvres pour les mesures de longueur, mais d’un ensemble de médiations qui assurent aux personnes libres la possibilité de s’expliquer et de convenir que leurs actes respectifs, sans être des modèles absolus, sont acceptables ou peuvent se corriger pour le devenir dans une perspective commune de liberté. Les États et la Commission forment ces médiations principales. Leurs souverainetés respectives demeurent en tension entre elles comme à l’égard des personnes individuelles ou morales qui leur sont subordonnées. Mais c’est ainsi que ces instances souveraines assurent l’articulation des oppositions raisonnables entre les manières multiples de réaliser ce qui est humain en l’homme.
91Que la personne physique ne puisse s’adresser directement à la Cour, n’est pas seulement une précaution prise pour éviter l’encombrement de la juridiction suprême. La précaution se fonde sur la nature du droit, qui implique la possibilité d’un recours. Recourir suppose que l’on s’explique, dans une entente telle que les droits de l’individu doivent être compris et défendus par d’autres. Et ceci, non pas en vertu de l’identité distributive des prérogatives de tous et de chacun, mais parce que les différences seraient réduites à des faits physiques, à des heurts de forces contraires, si elles ne reconnaissaient pas dans la cause d’autrui l’ouverture d’une communauté humaine.
92L’universalité dialectique de la règle de droit amène ainsi à situer la souveraineté de l’État dans sa fonction médiatrice, autant, sinon plutôt, que dans son pouvoir de légiférer et obliger. C’est dire que le droit est la fin première de l’État. Il faut le rappeler à une époque où la tentation est grande de considérer que son rôle fondamental est celui de régulateur des mécanismes économiques. L’expérience de notre temps indique justement que cette régulation devient inefficace quand elle transforme celui qui devrait l’exercer par l’action du droit en concurrent ou en organisateur du marché. C’est au plan juridique et comme instance médiatrice que doit agir l’État pour protéger les citoyens contre les déviations de l’économie. Autrement comment pourra-t-il jamais défendre l’individu contre les exigences tyranniques de ces grandes compagnies supranationales de production et de distribution, que les développements de la science et de la technique ont cependant rendues indispensables ? À moins d’instaurer, avec les inconvénients que l’on sait, un régime communiste, un État, surtout s’il s’agit d’un petit pays, n’a aucun moyen sérieux de se mesurer sur leur propre terrain avec les géants de l’économie et de la finance ; du reste, n’en est-il pas toujours, directement ou indirectement, le débiteur peu solvable ? Par contre, en tant qu’instance médiatrice de l’universalité du droit, l’État tient un rôle irremplaçable. Il est seul d’abord à pouvoir reconnaître la valeur des usages et conventions en vigueur dans ce milieu professionnel particulier ; il est seul ensuite à pouvoir instaurer de manière vraiment juridictionnelle une explication entre ce droit non étatique, le sien propre et d’autres sources internationales encore ; il est seul enfin à pouvoir tenir, à l’égard des Cours internationales compétentes, un rôle analogue à celui de la Commission européenne par rapport à la Cour des droits de l’homme43.
93La réflexion sur le droit social nous a conduits par de multiples voies à reconnaître l’ouverture du droit étatique à des sources supranationales. La notion de droit subjectif et celle d’universalité de la loi se sont trouvées par-là mises en relation plus étroite. La place de l’État s’est également précisée dans le contexte juridique international. Il faut encore, pour terminer, reprendre sous un nouvel aspect un problème que nous avons déjà rencontré44, celui d’un droit non étatique, mais intérieur cette fois. Les impasses dans lesquelles la législation sociale a parfois enfermé l’État ne seraient-elles pas dégagées si la capacité juridique d’agents formés par association de droits était plus nettement reconnue selon sa nature propre ? Nous allons tenter de faire voir ce que pourrait entraîner cette reconnaissance.
III.6. Association, travail, propriété, entreprise
94Un examen détaillé des Constitutions de la France de 1789 à 1954 montrerait que les liens entre le droit d’association, le droit au travail et le droit de propriété constituent pour le législateur un problème complexe. Contentons-nous ici d’en exposer schématiquement les données.
95L’association politique est définie, en 1789, par son but : la conservation des droits et libertés. Proclamant ensuite la liberté de religion et d’opinion, la Déclaration suppose par là-même que l’association en général est un droit ; dans la mesure où il est indispensable de s’associer pour pratiquer un culte ou faire connaître une opinion.
96La Constitution montagnarde de l’An I proclame le droit au travail et à la sécurité. Elle fait place à la propriété et à l’initiative économique. Le droit de s’assembler paisiblement est reconnu ; mais le texte demeure vague, sinon silencieux, concernant l’association.
97Il faut attendre les travaux préparatoires et les débats de l’Assemblée de 1848 pour voir pris en considération les quatre termes de notre problème. L’article 13 de la nouvelle Constitution constitue un véritable programme de sécurité sociale. Il énonce par exemple que "la société favorise et encourage... l’égalité des rapports entre le patron et l’ouvrier,... les associations volontaires... ".
98Depuis 1852 jusqu’au projet de Constitution du maréchal Pétain, il n’est plus fait mention des droits sociaux. L’article 8 de ce nouveau document propose "de rendre employeurs et salariés solidaires de leur entreprise", mais dans la perspective d’un corporatisme d’État. Comme par le passé, la propriété, acquise par le travail et l’épargne familiale, est un droit inviolable, "justifié par la fonction sociale qu’elle confère à son détenteur" (art. 4).
99Après la seconde guerre mondiale, la distinction entre droits civils et droits économiques sociaux et culturels s’introduit assez clairement tant dans les textes constitutionnels que dans les déclarations et conventions internationales. De la liberté d’association, droit civil, est cependant rapproché la plupart du temps un droit socio-économique, celui de fonder des syndicats et de s’y affilier. Le travail est défini comme un droit, parfois aussi comme un devoir ; il est rangé tantôt dans les droits de l’homme, tantôt dans les droits économiques et sociaux. Quant à la propriété, la Déclaration universelle de 1948 énonce que toute personne, aussi bien seule qu’en collectivité, y a droit et que nul ne peut être privé arbitrairement de la sienne (art. 17).
100Dans son Préambule, la Constitution de la Ve République, après avoir repris la Déclaration des droits de 1789, proclame des "principes politiques, économiques et sociaux particulièrement utiles à notre temps” ; entre autres "que chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi" et encore "que tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises". Mais ces dernières, comme tout autre bien, doivent devenir propriété de la collectivité, si leur exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public ou d’un monopole de fait.
101Depuis 1789 le législateur semble donc saisir qu’un lien existe entre le droit de s’associer et la pratique des autres droits45. Il semble aussi avoir perçu dans ce lien un problème qu’il n’est pas parvenu à résoudre. Tentons au moins de saisir les éléments de cette aporie et d’en dégager quelques conclusions pour ce qui regarde l’entreprise.
102On peut concevoir l’association comme une faculté dont est investi l’individu ou l’agent juridique, et qu’il peut légitimement exercer ou ne pas exercer, selon son gré. Ainsi est-il libre, dit-on, de devenir ou non membre d’un syndicat ou d’un club sportif, d’une coopérative ou d’une ASBL. Il peut aussi entrer dans ce type particulier d’association qu’est la "société"46.
103Ces exemples ne sont clairs qu’en apparence. Ils supposent en effet un lien nécessaire entre l’idée d’association et celle de contrat ou de quasi-contrat.
104Or il existe un type d’association pré-contractuelle mais déjà volontaire. Le contrat qui la prendrait pour objet ne pourrait qu’en expliciter les structures existantes. Cette explicitation ne requiert pas du reste qu’intervienne un acte proprement contractuel. Ainsi la Constitution d’un État n’est appelée contrat que par métaphore. Mais elle explicite peu à peu, en apprenant à la connaître par l’expérience, la structure préexistante de l’association qui la fonde, celle de la Nation et même de l’État.
105On peut appeler institutionnelle une association qui fonde une réalité sociale, et par conséquent déjà volontaire, telle que ses structures sont antérieures à la décision de ceux qui la forment. Et lorsqu’est reconnue la liberté d’association ; c’est de cette seconde association qu’il s’agit. La preuve en est que les textes énonçant les droits de l’homme rapprochent de la liberté d’association les libertés de culte, d’opinion, d’expression. On peut ajouter que l’association est supposée également pour qu’aient un sens le droit au mariage et la liberté d’enseignement. En effet, avant tout contrat, le mariage, l’expression des opinions, l’enseignement, la religion sont des réalités dont la nature implique la réunion d’au moins deux personnes en vue d’un but commun.
106Mais il y a plus. On peut concevoir, ou du moins imaginer, qu’un individu pris abstraitement pourrait faire usage ou non, selon son gré, de ces libertés que lui reconnaît la loi. Il serait absurde, par contre, de prétendre que l’État est capable d’exister si personne ne se marie, n’émet d’opinion ni n’enseigne. Autant déclarer dans une Constitution que l’État ne respectera par la vie des citoyens, parce qu’il en est indépendant ! Le droit d’association est du même ordre que le droit au respect de la vie : l’un et l’autre sont des conditions indispensables a priori à l’exercice de toute autre capacité juridique.
107Faisons un pas de plus. En tant qu’ils sont des institutions, le mariage et l’enseignement impliquent l’association non seulement de fonctions complémentaires, mais de droits différents. Contester, par exemple, que les droits de l’étudiants ne sont pas les mêmes que ceux du professeur, c’est rendre impossible et la liberté d’enseigner, et l’exercice du droit à l’instruction. Le caractère proprement juridique d’une institution est donc d’être une association, non de fonctions, ni de services, ni de force complémentaires, mais bien de droits subjectifs différents47.
108Selon les schèmes mentaux des auteurs du code civil, le droit de propriété semble échapper, il est vrai, à la condition générale d’exercice d’un droit, qu’est l’association. Cependant, pour les mêmes esprits, la transmission de la propriété par succession suppose bien une structure associative de type institutionnel, à savoir la famille. On peut se demander de plus si, dans les mêmes textes, la propriété n’est pas toujours comprise en rapport avec la possibilité de mener une vie privée, c’est-à-dire, pour la plupart des citoyens, une vie de famille ou, du moins, de relations sociales. Le caractère "inviolable" de la propriété relèverait alors en réalité de son lien avec un droit tout différent, le droit au domicile. Personne ne niera que ce dernier est indispensable à une vie de famille sinon aux relations sociales.
109À considérer la propriété du seul point de vue des droits civils, on ne saurait donc, sans exagération manifeste, y voir la garantie suprême des libertés individuelles. On peut en effet exercer tous les autres droits fondamentaux sans être propriétaire d’autres biens que ceux qui suffisent à rendre un domicile habitable et que ceux qui résultent du travail personnel. Par contre, on ne saurait exercer aucun de ces droits sans supposer une association de type institutionnel.
110Qu’en est-il maintenant de la propriété considérée du point de vue économique ? Les relations de droit qu’elle crée dans ce domaine sont-elles uniquement de type contractuel ? Nullement. Il faut en effet considérer la nature du bien possédé et le but que poursuit ainsi son propriétaire. Sans doute pourra-t-il s’avérer d’abord que les biens en cause - capital, immeubles, matériel etc. - imposent, pour en exercer la propriété, une association de type contractuel spécialement adaptée, la société48. Mais l’analyse du bien et du but poursuivi rendra manifeste aussi que l’initiative économique, dont la propriété est une condition, exige une autre association, indispensable celle-là et de type institutionnel, celle de deux droits fondamentaux différents, la propriété et le travail, en vue d’un objectif commun.
111L’institution que nous venons de définir, c’est l’entreprise49. La propriété n’y a pas de sens si elle n’est pas associée au travail antérieurement à tout contrat. Le propriétaire qui ne l’accepterait pas n’entreprendrait jamais rien du tout ; son bien, dépourvu de toute signification économique, ne ferait plus partie de l’entreprise.
112Bien sûr le travailleur n’est pas rendu co-propriétaire par le fait que l’association est d’abord institutionnelle. Mais en tant qu’il exerce son droit au travail, il est une condition indispensable de l’exercice du droit de propriété dans le domaine économique, l’exercice de la faculté d’entreprendre. Les droits subjectifs étant toujours corrélatifs à des devoirs, les contrats par lesquels l’entreprise exprimera et explicitera ses structures devront donc spécifier les obligations autant que les droits des partenaires, non seulement les uns à l’égard des autres, mais aussi des uns et des autres à l’égard des biens possédés et du but commun50.
113La difficulté propre à ce genre d’opération est qu’il s’agit de définir un partage d’activités productrices, c’est-à-dire de risques. Il faudrait par conséquent que soient reconnus à l’entreprise tous les moyens nécessaires à la négociation continue du partage des risques par les partenaires eux-mêmes. Et si des négociations sectorielles s’imposent, il faut qu’elles soient menées par les entreprises comme telles, non par des groupes d’intérêts qui opposent, comme des forces et non plus comme des droits, la propriété et le travail.
114Il convient, en d’autres termes, de reconnaître à l’association institutionnelle qu’est l’entreprise l’analogue de ce qu’est la souveraineté pour l’institution qu’est l’État, c’est-à-dire la possibilité de dire le droit en son domaine. Seule sans doute l’étude détaillée du champ ainsi ouvert au droit non étatique permettrait de définir raisonnablement la part d’intervention nécessaire de l’État pour assurer la sécurité sociale et la régulation de l’économie en évitant d se faire providence.
115On aurait quelque chance ainsi de voir disparaître l’espèce de concurrence qui s’est introduite dans ce qu’il faut bien appeler le marché du social. La propriété étant actuellement à l’emploi, les organisations et institutions les plus diverses se livrent bataille pour canaliser les décisions et les subsides de l’État51. Nous avons souligné déjà les risques graves que des mesures ponctuelles de ce genre, dont les coûts sont mal justifiés, font courir au sens de la justice et à l’efficacité de la loi. Le temps est venu de reconnaître qu’il y a moyen de régler les relations entre agents juridiques autrement que par l’intervention du Parlement et du Conseil des ministres52. L’instruction, l’information, la compétence des cadres, des employés, des ouvriers les rendent capables de participer, par leurs délégués, à l’analyse des situations, à apprécier les coûts réels et les avantages comparatifs de diverses décisions concernant le temps de travail, la répartition des tâches, les variations du taux de salaires, les changements d’activité et les recyclages éventuellement nécessaires en fonction de l’activité du marché. L’intervention de l’État alourdit la négociation et réduit à un commun dénominateur des situations où les intéressés n’auraient besoin le cas échéant que de son contrôle. Les conventions par entreprise, par secteurs d’industrie ou d’activité économique indiquent déjà la direction dans laquelle la législation devrait évoluer. Le pouvoir judiciaire a, quant à lui, fait la preuve, dans les juridictions du travail en particulier, de l’efficacité et de la souplesse de ses interventions quand le différend l’exige. Nulle réglementation ne pourra jamais se montrer aussi adaptée au concret.
116Qu’une nouvelle manière d’envisager les relations de droit dans l’entreprise s’impose progressivement, les modifications de l’attitude des travailleurs à l’égard des syndicats le prouvent. Il faut souhaiter que s’accroisse aussi le nombre des patrons qui sachent reconnaître dans le droit au travail le garant d’une saine autonomie de l’entreprise et non le ferment d’une constante lutte des classes.
Conclusions
117Traitant de la justice sociale du point de vue du droit, nous avons été amenés à mieux comprendre la nature des droits subjectifs. La signification de la liberté d’association nous a obligés aussi à élargir la conception individualiste du droit. L’histoire de la législation sociale a montré en effet qu’un droit où les rapports entre individus sont ramenés à la seule dimension contractuelle fait d’avance place à l’extension de l’autorité étatique dans tous les champs de l’activité humaine. Si le développement de l’économie exige sans cesse une rénovation du droit, celle-ci, pour être réelle, suppose de la part des juristes une volonté de préférer aux législations et surtout aux réglementations l’éducation des agents juridiques à l’exercice toujours conflictuel de leurs droits. L’esprit de négociation pourrait alors rendre au politique proprement dit sa priorité sur l’économique et la justice sociale serait alors source d’une vie plutôt que souci de "retraite" et d’assurance contre les risques de l’action53.
Notes de bas de page
1 B. HÄRING, La loi du Christ, Paris, Desclée De Brouwer, 1960, Tome I, p. 300.
2 Pour saisir la signification de la priorité d’un terme sur l’autre, on pourra comparer l’usage de "civil", "politique", "économique", "social", "culturel” dans le Préambule de la Constitution française du 27 octobre 1946 et dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, in Droits de l’homme, recueil d’instruments internationaux, New York, Nations Unies, p. 3 (Préambule) et p. 4 (art. 2).
3 Cf A. HANNEQUART et X. GREFFE, Analyse économique des interventions sociales, Paris, Economica, 1965.
4 H.L.A. HART, The Concept of Law, Oxford, 1961 ; trad. fr. par M. van de KERCHOVE, avec la collaboration de J. van Drooghenbroeck et de R. Célis, Le concept de droit, Bruxelles, Publications des FUSL, 1976, p. 127.
5 Cf. op. cit., p. 140.
6 Op.cit., p. 128.
7 F. RIGAUX, Introduction à la science du droit, Bruxelles, Vie ouvrière, 1974, p. 15.
8 H.L.A. HART, op.cit., p. 145.
9 Ainsi, selon l’art. 25 de la Constitution belge, la loi doit-elle être l’expression de la volonté générale, ou à défaut, d’une volonté de la majorité. - Cf aussi H.L.A. HART, op. cit., p. 146.
10 H.L.A. HART, op. cit., p. 145.
11 Cf. P. GERARD, Droit, égalité et idéologie, Bruxelles, Publications des FUSL, 1981, p. 334.
12 Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, art. 6.
13 J.P. DUMONT, Sécurité sociale, in Encyclopaedia Universalis, Paris, 185, vol. 16, p. 631.
14 F. RIGAUX, op. cit., p. 20.
15 Cf. Ibid.
16 Cf. op. cit, p. 21 et aussi, plus largement, ch. 65, 66, 67 et 71.
17 Cf. X. BLANC-JOUVAN, Le droit du travail, in Encyolopaedia Universalis, Paris, 1985, vol. 18, pp. 230-231.
18 P. GERARD, op. cit., p. 334.
19 Cf. A.J. ARNAUD, Les origines doctrinales du code civil français, Paris, Pichon et Durand-Auziers, 1969, p. 7-8. - Sur les auteurs en question, les Lamoignon, Bouhier, Montesquieu, Daguesseau, Pothier, cfr. op. cit., p. 247 (bibliographie) et P. GOUBERT et ROCHE, Les français et l’ancien régime, Paris, A. Collin, 1984, t. 1, p. 271.
20 Cf. Ph. GERARD, op. cit., p. 375.
21 Ainsi pour Robespierre la propriété est "Le droit pour chacun des individus de jouir et de disposer de la portion de biens qui lui est garantie par la loi et non pas par un droit sacré”, cf. ARNAUD, op. cit., p. 193.
22 Cf. B.S. SCHLEPNER, Cent ans d’histoire sociale en Belgique, Bruxelles, U.L.B. (Institut de Sociologie Solvay), 1958, p. 15 ss.
23 Cf. G.H. DUMONT, Histoire de la Belgique, Paris, Hachette, 1977, p. 435.
24 Cf. B.S. SCHLEPNER, op. cit., p. 22 et 35.
25 Cf. op. cit., p. 208.
26 Cf. op. cit., p. 392.
27 Cf. G.H. DUMONT, op. cit., p. 459.
28 Cf. K. POLANYI, La grande transformation, Paris, Gallimard, (Bibliothèque des sciences humaines), 1984.
29 Cf. B.S. SCHLEPNER, op. cit., p. 304, 312 ss.
30 Cf. La sécurité sociale, Genèse, mutation, réforme, Dossiers du CRISP, no 19, Bruxelles, janvier 1984, p. 5.
31 Cf. Études comparatives des charges fiscales et sociales sur les rémunérations de cadres et dirigeants en Europe et aux USA, préparées par A. ANDERSON et Cie, Bruxelles, Institut de l’Entreprise, novembre 1982 (complément en 1983).
32 Cf. A. LEYSEN, L’état-providence, le grand malade, Bruxelles, Institut de l’Entreprise, 1983.
33 Cf. F. RIGAUX, op. cit., p. 19.
34 La multiplication des impôts directs et indirects a pour conséquence d’étendre à toutes les classes de la population, sous des formes diverses, cette même attitude.
35 Ci-dessus, p. 53-57 (réglementation et connaissance de la loi), p. 69 (réglementation et service public), p. 72-73, (omniprésence de l’État, non du droit).
36 En 1938, les Codes belges édités par Bruylants comportaient 1983 pages de format in quarto. En 1985, chez le même éditeur, les Codes paraissent sur 3.544 pages de format in folio soit un volume de huit à dix fois plus fort que le premier.
37 Cf. Cl. CALVARUSO, La désinstitutionalisation, nouvel enjeu pour l’état-providence, in Pour une nouvelle politique sociale en Europe, Paris, Economica, 1985, pp. 69 ss., surtout p. 73 sur la réforme sanitaire en Italie.
38 Ph. QUERTAIMONT, Le déclin de l’état de droit, in Journal des Tribunaux, Bruxelles, no 5292, du 28.4.84.
39 Voir à ce sujet Bilan et avenir des politiques sociales, Bruxelles, Bureau du Plan, 1981 et Alain SIAENS, Le Prince et la Conjoncture, Namur, Duculot, (Perspectives), 1984.
40 Cf. F. RIGAUX, op. cit., les chapitres 37 à 39.
41 L’idée d’un droit des peuples, et non des personnes seulement au développement, est avancée pour contester la proposition de Claude Cheysson, qui lierait l’aide de la CEE envers les pays du tiers-monde au respect des droits de l’homme par les gouvernements concernés. Cf à ce sujet la communication fait à Louvain-la-Neuve, le 4 mai 1985, pour les membres du Groupe de Synthèse, par Michel VERWILGHEN, "Droit et développement".
42 Cf. sur le point F. RIGAUX, op. cit., chapitres 25 et surtout 26.
43 Les difficultés du rôle de l’État face aux multinationales sont bien illustrées par le procès qui opposa naguère la République arabe d’Égypte à la "Southern Pacific Properties", et qui s’est terminé en juillet 1985 par un arrêt de la C.C.I. : donnant raison à l’État égyptien. Cf. M. VERWILGHEN, Droit et développement, p. 1.
44 Ci-dessus, p. 84-85.
45 Cf. ci-dessus p. 62-63.
46 Cf. p. ex. A.M. KUMPS et R. WTTERWULGHE, Fondements structurels de l’entreprise. Une analyse èconomie/droit. Paris, Cujas, (Coll. Connaissances économiques), 1978, pp. 29-40.
47 Les syndicats associent leurs membres selon l’unique dimension du droit au travail, sans prendre en compte sa relation positive au capital. Il en va de même pour les conceptions qui voient dans le trust l’idéal de la concentration et l’outil premier de l’initiative économique.
48 Cf. A.M. KUMPS et R. WTTERWULGHE, op. cit., p. 27 à 69.
49 Op. cit., p. 40.
50 Sur les régimes de co-surveillance et de cogestion pratiqués respectivement en France et en Belgique, en Allemagne et aux Pays-Bas, cf. op. cit., p. 283-290. - Nous proposons davantage.
51 H.DELEECK, Dépenses sociales et efficacité des politiques sociales en Europe in Pour une nouvelle politique sociale en Europe, Paris, Economica, (T.E.P.S.A.), 1984, p. 43.
52 Voir à ce sujet L. COHEN-TANUGI, Le Droit sans l’État, Paris, P.U.F., (Recherches politiques), 1985.
53 L’auteur tient à remercier Henri Declève pour la part très amicale qu’il a prise dans la mise au point de ce texte.
Auteur
Docteur en Droit Licencié en Sciences Économiques Administrateur de Sociétés
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