Conclusions
p. 343-348
Texte intégral
1Il nous a semblé opportun, au terme de cet ouvrage, de reprendre succinctement l'énoncé des questions à partir desquelles l'ensemble de notre projet s'est articulé. Ce pourrait être également l'occasion de repérer dans les divers textes qui précèdent les éléments d'information ou les réflexions suceptibles de nous permettre de formuler des réponses à nos interrogations initiales.
Le dialogue entre juristes et psychiatres est-il possible ?
2Nous nous sommes tout d'abord interrogés sur les raisons du conflit latent et qui, parfois, se révèle de manière explicite entre les juristes et les psychiatres à l'occasion de leur intervention concurrente à l'égard de la folie.
3R. Franck1 a tenté d'en synthétiser les tenants et les aboutissants.
4A la lecture de sa contribution, nous pourrions très certainement retenir que, s'il existe des juristes et des psychiatres animés par une réelle volonté de dialgue en vue d'éviter le conflit, il n'en demeure pas moins qu'une telle intention n'est pas suffisante pour arriver au but recherché.
5L'origine du différend n'est donc pas à trouver dans d'éventuelles difficultés de relations entre des individus qui pratiquent le droit ou la psychiatrie mais principalement dans les éléments constitutifs de chacune de ces disciplines.
6En effet, selon R. Franck2, l'exposé de L. Cassiers aurait permis d'identifier dans le discours psychiatrique une contradiction principale : "on demande au psychiatre de tenir un double rôle : le rôle de thérapeute et le rôle de gardien de la sécurité du patient et d'autrui, de la non violence, de la paix familiale, de la tranquillité publique et la préservation des biens...".
7Quant au droit et plus particulièrement en ce qui concerne les normes juridiques relatives au régime des aliénés, R. Franck3 observe également, à partir de ce qu'en dit M. van de Kerchove, l'existence d'une contradiction fondamentale : "la condition de l'aliéné est approchée simultanément en termes de droits fondamentaux de la personne et de protection des libertés individuelles, d'une part, et en termes d'intérêts du malade et de protection de sa santé, d'autre part.
8Il s'ensuivrait donc des malentendus, des incompréhensions, voire parfois des incompatibilités radicales.
9Dans sa recherche d'une solution, R. Franck se demande si, en définitive, la meilleure méthode ne consisterait pas dans la recherche du "noyau dur" propre à chacune des deux disciplines. Ainsi, pour la psychiatrie, en vue de mieux redécouper la part spécifiquement médicale de celle-ci, ne pourrait-on pas préférer la démarche dite "organiciste" ? Cela reviendrait à demander au psychiatre de faire abstraction de la "symptomatologie sociale" ou "comportementale" des troubles dont il aurait à connaître. Mais en délimitant ainsi de manière tranchéee la démarche psychiatrique, n'est-ce point tout simplement la vider de sa substance ? La psychiatrie, au risque de devenir sans objet, peut-elle renoncer à toute vocation de gestion sociale ?
10Quant au droit, comment délimiter de manière précise ce qui lui appartiendrait en priorité de régler : la liberté individuelle, la santé du malade, l'ordre public, la protection des biens ?
11Dans ces conditions, le dialogue entre les juristes et les psychiatres risque peut-être de ne jamais pouvoir s'instaurer de manière définitive, compte tenu du fait que, pour ces deux disciplines, il demeure difficile, peut-être même impossible, d'assigner à chacune d'elle un champ d'intervention défini. Ainsi, leur dérive permanente les entraîne dans des conflits de compétence répétés dont l'importance et l'ampleur varieront selon les époques. Nous devons donc nous accommoder d'une telle situation et nous resterons peut-être condamnés à reprendre indéfiniment l'impossible dialogue entre juristes et psychiatres pourtant nécessaire et indispensable en vue d'assurer l'effectivité de leur pratique.
Quelle réforme pour le droit des malades et déficiens mentaux ?
12A la lecture des exposés juridiques, l'on reste frappé non seulement par les lacunes du droit mais aussi par son caractère désuet et disparate.
13Le texte de R. Meert démontre à suffisance que, dans une matière aussi importante que les relations des patients avec leurs soignants, le droit belge offre très peu de solutions.
14L'auteur a énoncé les différentes questions qui se posent en cette matière dans la pratique quotidienne et, afin de tenter d'y apporter une solution satisfaisante pour chacune des parties intéressées, il s'est vu contraint d'effectuer des recherches dans la doctrine française ou de se référer à la déontologie médicale.
15Peut-on admettre que ces règles déontologiques émanant d'un ordre professionnel et destinées avant tout à régir l'activité de ses membres puissent constituer la référence privilégiée et même parfois obligée dans la recherche des normes qui gouvernent les relations des patients avec leurs soignants ?
16Les contributions de G. Benoit et F. Poelman, relatives à la collocation largement évoquée et débattue tout au long de la journée d'étude et des recyclages, méritent de retenir notre attention. Ces deux juristes, magistrats de surcroît, nous ont rappelé leurs difficultés, voire leur impossibilité parfois, d'appliquer les textes légaux existants. Cette situation est particulièrement grave car elle a pour conséquence que l'on ne peut plus répondre de manière satisfaisante a des problèmes importants et pour lesquels, cependant, il faut trancher au risque de compromettre définitivement le sort du malade. A défaut de textes applicables, des pratiques diverses, spontanées et ponctuelles sont apparues. Les institutions psychiatriques, contraintes et forcées par l'urgence et les événements, ont adopté, au fil du temps, des règles implicites et variables d'un établissement a l'autre. Les juges de paix ont agi de même et G. Benoit a parlé à cet égard "d'imagination jurisprudentielle".
17G. Rommel, quant à lui, s'est attaché de manière systématique à traiter de la capacité juridique du malade, matière fondamentale pour notre propos. Au terme d'un examen minutieux et particulièrement fouillé, il en arrive également à constater des lacunes importantes dans la législation. La plus importante, selon lui, consiste dans le fait que la loi se limite à protéger les déments graves, interdisant ainsi toute action à l'égard d'un nombre important de malades atteints a divers degrés par la folie. Cette situation, elle aussi, conclut G. Rommel, a donné lieu à de nombreuses pratiques administratives.
18Chacun de ces auteurs souligne l'impérieuse nécessité qu'il y a de réformer en profondeur le droit existant. Certains, cependant, demeurent pessismistes quant à la possibilité pour le législateur de réaliser un tel travail et ils en arrivent à préconiser l'adoption de réformes limitées de tel ou tel texte existant et dont le changement immédiat s'imposerait.
19Doit-on se résigner à un tel constat et désespérer qu'un changement fondamental de la loi ne puisse plus se concevoir ? Si l'on considère les heurs et malheurs des projets de lois déposés au cours de ces dernières années, l'on pourrait, à juste titre, partager ce pessimisme.
20Au cours de l'année 1969, deux projets de loi ont été déposés dont l'un était "relatif à la protection de la personne des malades mentaux"4 et l'autre "relatif à la protection des biens des personnes totalement ou partiellement incapables d'en assurer la gestion en raison de leur état physique ou mental"5.
21Ces projets, bien qu'ils aient donné lieu à de nombreuses critiques, controverses et rencontres diverses entre leurs partisans et détracteurs paraissent, pour l'instant, abandonnés. Un travail important avait cependant été accompli et il serait navrant et désespérant qu'en définitive, ils ne puissent permettre la réalisation d'une réforme unanimement souhaitée6.
22Cette paralysie du législateur n'est, selon nous, pas due uniquement à son indolence. Nous croyons que, lui aussi, éprouve des difficultés à se situer par rapport à la confrontation des juristes et des psychiatres et ne parvient pas à adopter une attitude définitive susceptible d'être traduite dans un texte légal.
Notes de bas de page
1 Cf. supra, La psychiatrie et le droit sont-ils conciliables ?, p. 61.
2 Ibidem, p. 64.
3 Ibidem, p. 65.
4 Doc. parl., Sénat, 1968-1969, no 253.
5 Doc. parl., Sénat, 1968-1969, no 297.
6 Cf. A. BERENBOOM et M. van de KERCHOVE, Le fou, son médecin et son juge. Examen du projet, de loi relatif à la protection de la personne des malades mentaux, in J.T., 1975, p. 725 et suiv. ; A. POSTELNICU, Le statut des incapables majeurs, in J.T., 1972, p. 617 et suiv. ; J. BAUDOUR, Le "malade mental" et ses droits, in Annales de droit, no 2-3, 1973, p. 219 et suiv. ; D. MASSART, Quelques réflexions sur trois projets de lois relatifs aux malades mentaux, in Hospitalia, 1969, no 3, p. 217 ; M. van de KERCHOVE, Le juge et le psychiatre. Evolution de leurs pouvoirs respectifs, in Fonction de juger et pouvoir judiciaire. Transformations et déplacements, sous la direction de Ph. GERARD, F. OST et M. van de KERCHOVE, Bruxelles, 1983, p. 311 et suiv.
Auteur
Assistant aux Facultés universitaires Saint-Louis. Avocat au Barreau de Bruxelles
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