Sujet du droit et subjectivité
p. 129-136
Texte intégral
1Tenter une réflexion sur l’articulation entre le domaine, déjà si délicat, de la législation relative aux mineurs d’âge et le traitement psychiatrique — sans d’ailleurs posséder toute la subtilité de la terminologie et des distinctions juridiques, me donne l’impression de m’avancer comme un éléphant dans un magasin de porcelaines. Et ce d’autant plus qu’en matière d’éthique toute orientation théorique, qui par définition se déplace dans l’universel, s’expose toujours sur le plan de l’application à l’objection d’un contre-exemple. Ce n’est pas une raison pour s’en tenir à ce constat et ne pas dégager une orientation de principe qui permette au moins de cerner les points où les divergences s’enracinent.
2Nous sommes ici dans un domaine crucial, celui de la santé, où les problèmes que le législateur ou le juge ont à résoudre ne concernent pas seulement le conflit entre les droits de deux personnes ou entre les droits de l’individu et ceux de la collectivité, mais aussi le conflit entre les droits de la même personne. Les récents débats éthiques posés par les possibilités ouvertes par la biotechnologie révèlent déjà cette conflictualité entre le droit à la santé, qui crée le devoir corrélatif de la restituer ou de l’assurer, et d’autres droits de la même personne que la réalisation du premier risque de mettre en danger.
3Toutes sortes de nouveaux droits prennent naissance dans l’opinion, à partir d’un droit à la santé généralisé — tels le droit à l’enfant, le droit à l’enfant parfait, le droit à la beauté etc. — qui ne sont en fait que l’effet rétroactif d’un idéal de maîtrise, habillé des couleurs du progrès de la science, et d’un devoir de soigner généralisé dont la mise en pratique risque de porter atteinte à des droits plus fondamentaux, ou met en tout cas en cause les définitions fondamentales mêmes du droit.
4Il faut bien se rendre à l’évidence. La législation ne rencontre pas de problèmes d’éthique, cruciaux et apparemment insolubles, lorsqu’il s’agit de fixer des limites à la volonté de nuire à autrui, mais lorsqu’il s’agit de fixer des limites au fait de vouloir le bien d’autrui. C’est là où la logique des droits et des devoirs qui valent pour tout le monde rencontre une exigence « thérapeutique » qui tend à créer un régime d’exception, tant pour les opérateurs ou les partisans de cette exigence que pour les supposés bénéficiaires, qu’une menace centrale risque de surgir pour la définition même de ce qui est à la base du droit, à savoir pour la définition du sujet. Car, poussée jusqu’au bout une telle exigence n’est pas loin de rejoindre — si elle n’est pas limitée — l’essence même de la tyrannie, si nous définissons la tyrannie non pas simplement comme le fait du pouvoir d’un seul, mais comme le fait d’un pouvoir qui se complète d’un savoir sur ce qu’est le bien des sujets. Le tyran n’est pas le monarque, mais, comme le disait déjà Kant, le monarque qui impose aussi son idée sur la manière dont ses sujets ont à être heureux.
5Cette conflictualité interne au droit devient particulièrement aiguë lorsque le champ de la santé, auquel tout sujet est supposé avoir droit, en vient à être étendu jusqu’au domaine de ce qu’on appelle improprement le « mental ». Et on l’appelle improprement « mental », car il ne concerne pas tant la dimension cognitive du sujet que sa capacité juridique même, soit son droit à la liberté, son droit à décider lui-même de son intérêt, comme à être responsable des actes qu’il pose pour le réaliser. Il me semble qu’une partie de cette conflictualité pourrait tomber si on essayait d’en situer l’origine dans le maintien de quelques évidences qui ont, au contraire, à être interrogées.
6Dans le domaine de la « santé mentale » (et donc du devoir supposé de l’assurer) l’origine de la difficulté réside précisément dans la notion même de maladie mentale. Elle comporte en effet, intrinsèquement, la virtualité d’un régime d’exception, la virtualité d’un régime de dérogation au droit commun, qui tout en mettant certaines personnes à l’abri de la loi risque du même coup de les mettre à l’écart de la protection de la loi. La notion ambiguë d’intérêt du patient risque ici de recouvrir la légitimation d’une zone du social qui échappe à la légalité de tout le monde, tant pour le patient que pour son supposé thérapeute. En effet, là où dans la médecine la maladie laisse tout à fait subsister le patient comme sujet du droit, capable donc de choix et de refus — et notamment susceptible de refuser des soins — dans le champ de la psychiatrie (conçue comme une branche de la médecine) l’organe qui est supposé être malade et qui engendre le devoir de le soigner est précisément cette capacité juridique même. Ainsi la déclaration d’Hawaii de l’Association psychiatrique mondiale—qui vise à affirmer la nécessité du respect de la volonté de l’individu dans l’application d’un quelconque traitement — contient elle-même la clause de sa suspension, au nom précisément de l’intérêt du patient.
7Elle stipule notamment que lorsqu’il s’avère que le patient est incapable d’exprimer sa volonté ou que du fait de la maladie psychiatrique il ne peut déterminer quel est son intérêt, un traitement peut lui être administré sans son consentement. Mais, au-delà même de la caution anticipativement formulée à toute intervention administrée contre la volonté de l’individu, n’est-ce pas la référence même à l’idée d’une « maladie » du sujet qui entraîne le risque de l’existence d’une zone thérapeutique dans le champ social au seuil de laquelle s’arrête le pouvoir de la loi ? La notion même de maladie psychiatrique comporte en effet l’infirmité ou l’invalidation de l’instance subjective : en le déchargeant de la responsabilité de ses actes une telle définition exclut en même temps le « malade » de la contractualité et de la légalité communes. Il n’y a pas loin, dès lors, de la protection du sujet contre les exigences de la loi, à son exclusion du droit d’exprimer sa volonté ou de faire valoir son intérêt lui-même. L’hypothèse d’une abolition ou d’une invalidation du sujet que suppose le projet thérapeutique de le restaurer ou de le faire émerger (car c’est le postulat même du projet thérapeutique psychiatrique que le malade mental ne soit plus sujet ou ne soit pas encore sujet) est donc grosse d’un double risque : d’abord, la suspension de la sphère des droits et des devoirs pour un individu équivaut à son exclusion du champ de la socialité commune ; ensuite, l’application d’un traitement contre la volonté du sujet — supposé être incapable de vouloir correctement — écrase la chance d’un changement possible de la cause de ses comportements fous ou nocifs, puisqu’elle en exclut la condition préalable, celle de sa libre décision. C’est pourquoi le débat autour des compétences respectives de l’instance juridique et de l’instance médicale risque de s’enliser dans la polémique s’il ne se déplace pas sur un plan plus radical où c’est la notion même de « maladie mentale » et les confusions qu’elle entraîne qui ont à être mises en cause.
8La notion d’une maladie qui invaliderait la capacité juridique d’un sujet, soit sa définition même, instaure en fait une double catégorie d’individus, dont la deuxième, celle des non libres et irresponsables, serait du même coup soustraite au champ des droits et des devoirs pour relever du champ médical, considéré comme alternatif au champ juridique ; on relèverait donc soit de la justice, soit de la santé. Cet a priori qui introduit l’enclave d’une instance au-dessus de la loi dans le champ même de la loi finit par pervertir la logique même du social tout en ne réalisant pas l’objectif de la modification du sujet qu’il suppose. La logique du thérapeutique — maintenue jusque dans la sphère de la subjectivité — vient contaminer le champ juridique en abolissant la dimension de la responsabilité, en même temps que la logique de la coercition et de la sanction qui ne peut porter que sur le comportement-vient contaminer le champ de la psychanalyse1, en y abolissant la dimension de la liberté. Le jugement et la sanction éventuelle sont remplacés par un diagnostic d’irresponsabilité (comme si une condamnation éventuelle allait faire du tort à la santé du sujet) et la libre modification de lui-même par le sujet est remplacée par la mesure coercitive qui le « condamne » à un traitement destiné à soigner sa liberté contre sa liberté. De la confusion de la folie avec l’invalidation du sujet, soit avec une « maladie » qui touche son statut juridique, naît alors l’hybride d’une justice-thérapie et d’une thérapie-contrainte. Au lieu de prononcer un jugement sur l’acte d’un sujet, le juge qui se soucie de sa santé et de son intérêt véritable enjoint de le soigner. Et du même coup la thérapie prend la signification de la contrainte et de la restriction de la liberté qui est propre à la peine et à la sanction. L’acte est vidé de sa dimension subjective puisque transformé en un signe de maladie (le sujet rejoignant dès lors la catégorie des « irresponsables ») et le processus de parole, l’entretien avec le « psy », est vidé de sa portée opératoire puisque engagé sous la contrainte — que parfois le psy lui-même ne manque pas d’utiliser. Il arrive en effet, comme on sait, que des thérapeutes menacent de dénoncer au juge le sujet coupable du viol d’un mineur, par exemple, s’il cesse de venir aux entretiens de famille. Le droit à la santé, comme le devoir de la soigner, étendus jusqu’au domaine de la subjectivité, à la sphère de la responsabilité et de la liberté, finissent ainsi par instaurer une sorte de loi au-dessus de la loi, qui est en fait abolition de la loi.
9Or, non seulement cette subordination de la loi à la santé pervertit tout le fonctionnement de la socialité, la loi cessant dès lors d’être une instance tierce pour se confondre avec un vouloir, fût-il bon (un peu comme si le fait de passer au feu rouge était ou n’était pas une infraction selon que l’agent de police juge cela utile ou dommageable pour le chauffeur), mais elle a aussi des conséquences négatives pour le sujet même qu’elle entend « protéger ». D’abord, en voulant éviter au sujet les dommages qu’engendrerait un jugement juridique sur ses actes, la volonté thérapeutique produit un dommage bien plus fondamental, celui de l’exclure précisément de la catégorie des sujets, capables donc de répondre de leurs actes, pour renfermer dans la condition civile de l’irresponsable soigné, alors qu’un emprisonnement — pour prendre le cas extrême — n’est nullement destitutif du sujet puisqu’au contraire il le tient pour responsable.
10Ensuite, en le dispensant de sa responsabilité comme de sa liberté, au nom d’une maladie qui affecterait sa capacité même de jouer le jeu social, elle l’empêche du même coup de prendre la mesure des conséquences de sa difficulté à jouer ce jeu, puisqu’elle l’extrait de la classe même des joueurs. Comment un sujet pourra-t-il réaliser la contradiction qui le divise, par exemple, entre sa volonté d’être parmi les autres, d’être aimé, d’être reconnu et le mépris où il tient leur opinion et leur liberté, et donc en souffrir, s’interroger, envisager de modifier cela, si les actes violents qu’il commet à l’occasion lui deviennent étrangers par le fait d’être désignés comme les effets d’un déficit de capacité subjective ?
11Malgré son caractère apparemment non thérapeutique, nous croyons que l’hypothèse qui consisterait à abandonner une fois pour toutes l’idée d’une catégorie de personnes dont la capacité juridique serait invalidée par une « maladie », permettrait non seulement de résoudre pas mal de conflits de compétences, mais surtout de poser les prémisses d’une pratique qui tout en sauvegardant l’appartenance du sujet à la socialité commune, garantirait en même temps les chances d’un processus de modification interne du sujet lui-même. Les incohérences et l’arbitraire des conclusions qui découlent de l’examen « scientifique » du degré de responsabilité d’un individu témoignent d’ailleurs suffisamment de l’impossibilité d’une telle procédure. Quelle attitude adoptera-t-on, par exemple, à l’égard d’individus jugés « irresponsables » qui devraient se rendre coupables de l’incendie de l’établissement dit de « défense sociale » où leur irresponsabilité est supposée être soignée ? Faudra-t-il les dispenser d’avoir à répondre de leur acte ou faudra-t-il les juger et les condamner ?2 Sur ce point le professeur A. De Waelhens, dans un article de 1973, avait déjà dit l’essentiel3.
12Ainsi, cette impossibilité, qui ne tient pas tellement à l’imperfection de nos instruments diagnostics qu’à une impossibilité structurelle, devient le point de départ d’une modification de l’a priori qui conditionne la subordination de la pratique juridique à l’instance thérapeutique ou sa perversion en justice qui soigne.
13Considérer qu’aucun sujet ne doive faire exception à la légalité commune n’implique pas d’ignorer l’existence de comportements délictueux et criminels « fous ». Cela implique seulement de considérer que pour être « fous » ils ne cessent pas pour autant d’être délictueux ou criminels. Cela implique donc de considérer que la folie n’est pas alternative à la responsabilité ou à la liberté, mais qu’elle en est une possibilité intrinsèque, sa limite interne. Ce n’est donc pas nier la dimension de la folie, mais la distinguer de l’idée d’une maladie qui invaliderait la dimension subjective et soustrairait du même coup certains sujets à l’inter-subjectivité commune.
14Le droit à la santé s’arrête au seuil de la responsabilité (aucune « maladie » ne peut venir abolir l’illégalité des actes illégaux) autant que le devoir de « thérapeutiser » s’arrête au seuil de la liberté (aucune « maladie » ne peut venir abolir le droit du sujet à imaginer sa jouissance comme il l’entend). Ces deux limites, qui sont à la fois limites pour le sujet et pour le thérapeute, dessinent en même temps les frontières et la garantie d’une zone centrale de la personne qui échappe au pouvoir de l’Autre : zone de ses fantasmes, de son désir, de sa manière de voir les choses, comme de sa responsabilité. Mais franchir une des deux limites c’est aussi en franchir l’autre : vouloir soigner la subjectivité, sans le sujet, ou malgré lui, c’est déjà le tenir pour irresponsable et, inversement, le tenir pour irresponsable c’est déjà cautionner à l’avance une thérapeutique de la subjectivité qui fait fi de sa liberté et bafoue son droit fondamental. Une chose est la dimension de l’acte, dont la magistrature a à juger la nature et le degré d’illégalité ; autre chose est la dimension de la subjectivité « privée » où rien ne justifie qu’on s’y substitue et qu’on veuille la modifier contre le sujet lui-même. Un juge peut ordonner une mesure restrictive de ma liberté, comme sanction d’un acte, mais non une modification de ma vie psychique, sous peine de dépasser ses prérogatives et poser les conditions d’une thérapeutique qui vire à la tyrannie. Car la véritable tyrannie n’est pas celle de l’ordre qui sanctionne des actes, mais celle de l’ordre qui sanctionne la pensée ou le désir.
15Le champ de la justice s’arrête au jugement sur l’acte et à la sanction éventuelle de son illégalité, mais il n’a pas à se soucier du « véritable intérêt » du sujet qui, lui, relève d’une autre sphère où ce qui est pertinent c’est le droit du sujet à penser et à désirer comme il l’entend, fût-ce en se trompant. C’est pourquoi tracer cette limite ne signifie pas tracer la frontière entre la justice et la médecine, mais tracer la frontière entre la justice et la médecine, d’une part, et la sphère de la subjectivité, d’autre part, où de la décision du sujet seulement peut venir l’intention de modifier la cause interne de ses démêlés avec « l’ordre public ». La justice peut faire appel à la médecine dans le cas de comportements « fous » non pour en soigner la cause, mais pour qu’elle redouble la mesure restrictive de la liberté, décidée par le juge, de mesures de contention du comportement qui la prolongent.
16C’est pourquoi aussi la notion d’internement thérapeutique, si elle ne revient pas simplement à désigner avec d’autres mots une peine d’emprisonnement, est une contradiction dans les termes. Ou bien il s’agit d’un internement, et alors il ne peut en aucun cas être thérapeutique, mais seulement être renforcé par des mesures médicales destinées à contenir le comportement ; ou bien il s’agit de thérapie, et alors elle ne peut en aucun cas être appliquée sous la contrainte.
17Aussi la perception de cette contradiction pourrait-elle peut-être éviter certaines confusions et inspirer une politique plus éclairée en matière de « placement » de mineurs. Car, lorsqu’il est ordonné à partir d’une motivation « thérapeutique » le « placement » d’un mineur est gros d’un double risque : d’une part, celui d’être trop facilement décidé ou même décidé d’une manière tout à fait paradoxale, lorsque c’est la victime d’un acte punissable par la loi commis par un adulte qui vient à faire l’objet d’une mesure de placement, alors que l’adulte n’est peut-être même pas poursuivi en correctionnelle ; et, d’autre part, celui d’annuler les chances mêmes du processus thérapeutique puisqu’il serait vécu comme une punition.
18Mieux vaut distinguer. Ou il s’agit d’une mesure restrictive de liberté, consécutive à la sanction d’un comportement, et alors elle doit être clairement signifiée au sujet. Ou il s’agit de « thérapie » au sens large ou étroit du terme, et alors le « placement », qui devient plutôt un déplacement de lieu, doit être librement accepté ou demandé par le mineur lui-même, en dehors de la justice, au sein d’un service social, par exemple. Beaucoup de situations difficiles pourraient se dénouer, pensait Françoise Dolto, si la possibilité de simplement vivre ailleurs, sans être pour cela contraint à se faire soigner, était plus largement offerte à l’adolescent.
19La crainte des effets nocifs de la sanction, s’agissant notamment d’actes commis par un mineur, pourrait nous amener a préférer qu’un sujet soit dispensé d’avoir à en répondre devant la loi, au profit d’une mesure thérapeutique ou pédagogique. Et il est vrai qu’énormément de choses restent à changer au niveau de la législation comme au niveau de la peine. Des nouvelles formes de « peine » sont cependant déjà expérimentées pour les mineurs, telle par exemple l’obligation de participer à des « travaux d’intérêt général ». L’arsenal juridique lui-même, d’ailleurs, comporte des multiples modalités d’atténuation ou de suspension de la peine. Mais la véritable question n’est pas là.
20La véritable question est de savoir si on maintient l’idée que la dimension de la loi a à être considérée comme n’étant pas pertinente pour certains sujets, au profit de la dimension thérapeutique, ou pas.
21Dans un cas, la crainte des effets nocifs de la sanction est seulement l’alibi d’une conception qui invalide la responsabilité et la liberté du sujet et justifie ainsi l’hybride d’un internement thérapeutique ou d’une thérapeutique imposée, qui dé-socialisent le sujet et suppriment la condition même d’un traitement psychothérapeutique efficace. La mesure dite de placement lorsqu’elle est décidée à partir d’une motivation thérapeutique résume en quelque sorte toute l’ambiguïté de cette conception. Dans l’autre cas, la position du juge qui ne se transforme pas en thérapeute ou qui ne laisse pas la place au thérapeute, garantit le maintien du sujet dans la socialité de tout le monde et permet, par ailleurs, en ne l’ordonnant pas, qu’un processus de modification subjective puisse avoir lieu, puisque librement engagé. Il peut même obtenir, de surcroît, des effets de stabilisation de la conduite beaucoup plus efficacement que s’il remplaçait la dimension de la responsabilité par la dimension de la maladie et par une mesure éventuelle de placement thérapeutique, comme l’a montré une étude menée sur la réponse judiciaire à la délinquance juvénile dans un département français. Le simple fait de comparaître devant le parquet pour y entendre un jugement sur son acte — ce qu’on appelle dans le jargon juridique une « admonestation officieuse » — a permis que sur 423 mineurs, coupables de délits portant en grande majorité sur les biens et pour lesquels le parquet avait choisi cette procédure, seuls 28 aient été repris postérieurement pour un nouvel acte de délinquance4.
22Ainsi, pour conclure, la position qui consiste à ne pas confondre la folie avec une maladie invalidant la capacité juridique garantit la distinction entre, d’une part, la dimension de la responsabilité relative aux actes et aux comportements - de laquelle aucun sujet n’a à être considéré dispensé même si la sanction devait se limiter à une peine symbolique, et dont le juge n’a pas à se décharger en faveur du « thérapeutique » ; et, d’autre part, la dimension de la subjectivité qui échappe, elle, à la contrainte et à l’ordonnance, sauf à réintroduire la « thérapie » dans l’arsenal des peines. A son tour cette distinction garantit à la fois le maintien du sujet dans la socialité de tout le monde et la possibilité au moins qu’une interrogation se fasse jour dans son esprit d’où seulement peut s’engager une intention de changement.
Notes de bas de page
1 En entendant ici par psychanalyse, en première approximation, un processus de parole librement engagé par le sujet qui décide de modifier lui-même la cause de ses comportements « fous ».
2 On sait que la situation s’est vérifiée récemment dans un établissement de défense sociale en Belgique. Les « irresponsables » auteurs de l’incendie ont été jugés coupables et condamnés (Le Soir du 29 juin 89).
3 Note sur le problème juridique de la responsabilité, in Annales de droit, tome XXX, pp. 2-3, 1973.
4 P. CHAILLAU, Le juge et l’enfant, Toulouse, Privat, 1987, p. 71.
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Le placement des mineurs en institution psychiatrique
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