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Enfermement des mineurs : les institutions

p. 85-90


Texte intégral

1. Services ouverts, services fermés

1La plupart des services hospitaliers psychiatriques, qu’ils soient « ouverts » ou « fermés », contrôlent les sorties des patients.

2Pour ce faire, la porte du service est fermée, et un patient ne sort que s’il a l’autorisation du médecin responsable.

3Ceci est habituel même dans beaucoup de services ouverts, où, vu l’état mental des patients, la psychiatrie estime ce contrôle nécessaire afin de tenter d’éviter certains passages à l’acte tels des fugues, des tentatives de suicide ou plus simplement des égarements liés à des états de confusion ou de désorientation.

4Par ailleurs, dans les services fermés, les patients ne sont pas nécessairement confinés à l’intérieur des murs et bénéficient, si le médecin estime que leur état le permet, de sorties ou de congés.

5Nous voyons ainsi que la pratique psychiatrique hospitalière actuelle n’est pas en accord avec la législation où, d’un point de vue juridique, le service ouvert devrait laisser toute liberté de mouvement au patient, sans contrainte.

6Qu’est-ce qui fait, dès lors, dans la pratique, la différence entre service ouvert et service fermé ?

7Dans le service ouvert, le patient donne son consentement à la prise en charge hospitalière et à son traitement, et accepte « le règlement » du service, y compris les contraintes, lié au contrôle et aux limitations éventuelles des sorties.

8Dans le service fermé, il y a une intervention autoritaire signalant l’obligation de se soumettre à un traitement. C’est plus cette obligation que l’enfermement, au sens de limiter la liberté de mouvement, qui est, actuellement, la caractéristique du service fermé.

2. Demande de consentement

9Le « sujet en droit » accepte ou refuse un contrat, une hospitalisation, un traitement.

10Le « sujet en psychiatrie » se trouve habituellement sur un gradient de demande et de résistance par rapport à un traitement, une hospitalisation.

11Qu’est-ce que cela signifie « un adolescent qui donne son consentement pour un placement » ?

12Voyons l’évolution chronologique d’une demande de placement :

  1. Coup de fil du « demandeur » à l’institution (le Juge, un PMS,...) ;
  2. Examen de cette demande par l’institution ;
  3. Evaluation de la situation du mineur, et de la demande de ce mineur, de sa famille ;
  4. Décision de placement ou non.

13Retenons que le mineur n’est que rarement le « demandeur » du placement. Ce sont des parents, des éducateurs, des Juges, des travailleurs psychosociaux qui font habituellement la demande.

14Pourtant, depuis des années, l’examen de la « demande du mineur » est pris en compte dans le processus d’évaluation d’une indication de placement et, bien souvent, l’institution attend son consentement. Il est bien entendu que ce consentement n’a pas de valeur juridique, puisqu’il s’agit d’un mineur, mais fait partie du processus thérapeutique.

15Quelle est la part de liberté et quelle est la part de contrainte dans ce consentement du mineur, ou encore quelle est la part de demande et quelle est la part de résistance pour un processus thérapeutique, pour un placement ? C’est ici surtout que la différence entre le point de vue juridique et psychiatrique est importante.

16Si le juriste travaille avec le oui ou le non, le psychiatre travaille avec le peut-être, avec le tantôt oui, tantôt non.

17Et dans ces conditions, on comprend que, les limites étant peu nettes, les abus peuvent être plus faciles.

18Pour les éviter, un travail préliminaire d’examen de la demande est donc important, et le refus, ou la trop grande résistance du mineur et/ou de sa famille doit être pris en compte.

19Que faire alors s’il y a refus d’une prise en charge résidentielle qui paraît indiquée, ou, plus précisément, pour notre propos, y a-t-il des indications pour l’enfermement de mineurs ?

3. Indications

3.1. Situation actuelle

20Actuellement, nous trouvons trois types de mineurs pour lesquels des mesures d’enfermement ont été prises.

21La première catégorie sont des mineurs qui sont considérés comme gravement délinquants, qui commettent à répétition des actes anti-sociaux importants (vols compromettant la sécurité physique des particuliers, agressions physiques, pyromanie...).

22La deuxième catégorie comprend les mineurs présentant des troubles psychopathologiques importants s’accompagnant d’instabilité telle qu’ils ne peuvent profiter d’aucun traitement ambulatoire ou en milieu résidentiel ouvert, et qui, en outre, présentent une « dangerosité » importante et prévisible pour eux-mêmes et/ou pour autrui. Mais contrairement au groupe précédent, c’est sans bonne évaluation de la réalité, ni souvent, de préméditation.

23La troisième catégorie comprend des mineurs contestataires, rebelles, dérangeants par leur anarchie, leur créativité, leur volonté de remettre tout et toujours en question.

24Cette « schématisation nosographique » est, en soi, bien sûr, réductrice, d’abord parce que l’adolescent passe en fait par « tous ces états », et qu’il existe des recouvrements de ces trois « catégories ».

25Et c’est justement l’existence de ces recouvrements et la difficulté, l’impossibilité même, de situer avec précision de quoi ressort chaque comportement qui permet d’expliquer, à notre sens, les confusions et les dérives qui sont faites dans l’évaluation d’une situation d’un mineur, et dans les propositions d’accompagnement qui sont faites à son sujet.

26En outre, une telle approche nosographique ne tient pas compte des facteurs environnementaux (familiaux, sociaux...) qui, eux aussi, jouent un rôle plus ou moins reconnu, dans l’appréciation d’une indication de placement en milieu fermé.

3.2. Notre analyse

27Si, comme nous le croyons, l’enfermement ne peut être un but en soi, car n’étant pas, en soi, thérapeutique, il peut être un moyen, parfois nécessaire, pour mettre en place la pratique structurante la moins mauvaise.

28a) L’enfermement paraît nécessaire pour certains jeunes de la « catégorie 2 », très instables et/ou réellement dangereux, et dont le maintien dans leur milieu n’apparaît plus possible.

29On voit à nouveau comment se mélangent des paramètres de personnalité, de comportement et d’environnement, et combien est difficile la tâche de ceux qui évaluent l’extension quantitative de ces qualifications : « très » instables, « réellement » dangereux.

30Cet enfermement ne peut se concevoir qu’en institution psychiatrique spécialisée pour leur âge, sous la responsabilité thérapeutique de médecins spécialistes de leur âge. Actuellement, ce sont des services « K », et certains services « A » (adultes aigus) qui les prennent en charge.

31Ces services permettent de garder le jeune un temps suffisamment long dans un même lieu, où il n’échappe pas à la matérialité des paramètres suivants :

  • vivre avec lui des relations humaines de grande qualité, ayant une dimension pédagogique cohérente ;
  • lui donner les soins que requiert son état ;
  • le surveiller, et tenter de le protéger de ses propres débordement
  • éventuellement protéger la société de ses débordements dangereux.

32Parallèlement à la thérapie, la pédagogie porterait, entre autres, sur la réduction des actes antisociaux éventuels.

33Il se peut que, sous l’emprise de sa « maladie », ce jeune commette des actes antisociaux dangereux (qui ont justifié son enfermement) ou non dangereux. Il doit être éduqué, dans la mesure du possible, à ne pas reproduire ces comportements antisociaux, de la nuisance desquels ils ne sont d’abord pas conscients. Nous pensons qu’il est de mauvaise politique de rester sans réaction sociale face aux transgressions de ceux qui sont étiquetés « malades mentaux ».

34b) Il est déjà plus problématique d’affirmer que l’enfermement peut parfois s’indiquer pour les vrais délinquants. Si on l’affirmait, il faudrait alors y procéder dans des centres fermés, spécialisés pour ce type de problèmes, à l’instar des prisons pour mineurs, qui existent dans certains pays. La responsabilité de leur accompagnement serait confiée à des éducateurs délégués, à cet effet, par des magistrats.

35Mais faut-il le faire ? La question est très controversée parmi les criminologues et donc, si on y recourrait, ce devrait être à titre expérimental, en se penchant soigneusement sur les résultats positifs et négatifs obtenus. Ce serait une sorte de pari social, observé de près, qui prétendrait aux effets suivants :

  • garder un jeune un temps suffisamment long dans un même lieu, où il n’échappe pas à la matérialité des paramètres suivants ;
  • vivre avec lui des relations humaines de grande qualité, ayant une dimension pédagogique cohérente ;
  • le surveiller directement et prévenir des récidives avec une efficacité plus grande que s’il est hors surveillance ;
  • protéger la société de ses transgressions... le temps de son enfermement au moins ;
  • imposer un moyen de payer sa dette matérielle au moins en partie ;
  • lui donner l’espace-temps de procéder à un dédommagement matériel, à une réparation morale ;
  • rester attentif au travail avec la famille et le milieu ;
  • prévoir une réinsertion.

36Mais cette « sanction négative », que constitue la privation de liberté, peut-elle avoir un effet dissuasif ? Rien n’est moins certain, au moins pour les personnalités délinquantes les plus avérées... Au contraire, la gloire qui est tirée du fait d’avoir été enfermé et la contagion des compétences antisociales des autres, constituent des effets pervers très préoccupants. Il faut donc chercher des mesures diversifiées qui ont valeur de sanction négative plus intégrables : pour une partie de cette population, il semble que les mesures réparatrices ambulatoires puissent avoir cet effet.

37On devine aussi que les effets positifs éventuels de l’enfermement n’ont de chance d’être supérieurs aux effets négatifs que si l’encadrement humain adulte est de très haute qualité professionnelle.

38c) Par contre, nous trouvons éthiquement inacceptable et fonctionnellement inefficace — si pas aggravant — d’enfermer les mineurs « bruyants rebelles », même « impossibles à vivre ».

39Ethiquement inacceptable ? Nous devons gérer patiemment les enfants que notre société a engendrés ! Nous pouvons, bien sûr, les contraindre à se séparer de leur famille si la vie y est devenue impossible. Un service d’aide à la jeunesse peut les inviter à fréquenter telle institution, soi-disant adaptée à leur personnalité, mais à nous de supporter leurs contestations, leurs errances, sans aller jusqu’à les priver de liberté. Tant pis si, durant longtemps, ils épuisent leurs accompagnants et passent d’une institution à l’autre.

40Ils nous aident à nous remettre en question et à inventer, avec eux, d’autres formes sociales de vie... Sans doute faut-il dans un premier temps, multiplier pour eux centres d’accueil, de crise, de court séjour et institutions tolérantes... tous ouverts.

41Fonctionnellement inefficace ? La mesure d’enfermement est ressentie par eux comme une escalade ultime provoquant des réactions de protestation encore un peu plus bruyantes qu’à l’accoutumée, ou, cassant la créativité de la personnalité, installe le doute intérieur, le sentiment de non-valeur, et des comportements d’échecs parfois très destructeurs.

4. Moyens

42Si l’enfermement nous paraît, dans quelques rares cas, nécessaire, on évitera d’y recourir de façon abusive si les autres ressources de l’aide à la jeunesse sont suffisamment développées, et plus particulièrement si :

431. On est attentif aux urgences, ou aux urgences apparentes, pour lesquelles il faut trouver dans des délais courts, un accueil momentané. On sait que la prison a servi de « lieu d’accueil d’urgence », vu le manque d’autres lieux adaptés.

442. Une tolérance vis-à-vis de la déviance. Non pas que nous serions partisans de plus de laisser aller pour des jeunes difficiles. Mais il est important, sous peine d’effets pervers, que les institutions qui acceptent les jeunes « caractériels », les acceptent avec leurs difficultés et travaillent ces difficultés. Trop souvent, certains jeunes sont renvoyés d’institutions pour ces mêmes difficultés qui les y avaient amenés : il est renvoyé parce qu’il vole, alors que c’était justement ce type de comportement qui avait provoqué le placement. Cette séquence est malheureusement fréquente, particulièrement pour des jeunes qui font des placements à répétition.

45Cette « tolérance » des institutions doit aller de pair avec une tolérance sociale pour ce type d’institution.

46Il serait également pervers de disqualifier certaines institutions résidentielles parce que leur population de jeunes est violente ou délinquante, alors que, simplement, elles assument leur travail plus loin que d’autres.

473. Corollairement à ce point deux, il est nécessaire de fournir aux institutions-ouvertes-également les moyens humains, techniques et financiers de travailler dans de bonnes conditions. Les récentes grèves d’éducateurs soulignent à suffisance le peu de reconnaissance sociale et salariale dans le domaine.

484. Pour l’évaluation de l’indication d’enfermement, nous insistons sur l’importance d’équipes pluridisciplinaires compétentes chargées d’effectuer des examens médico-psychosociaux.

49Le seul juge, le seul psychiatre, le seul conseiller à la jeunesse peut lui aussi être emporté par un désir de toute-puissance ou de vengeance...

505. Si l’évaluation est nécessaire, la réévaluation régulière nous paraît encore plus souvent oubliée. Actuellement, de nombreuses mesures sont prises sans délai dans le temps, ni de fin, ni de réexamen. Chaque décision devrait, à notre sens, être assortie d’un délai.

516. Le contrôle, déjà évoqué par l’évaluation pluridisciplinaire et la réévaluation régulière pourrait être affinée dans une procédure laissant plus de place à la « défense » du point de vue du mineur. L’avocat nous paraît le meilleur garant de ce rôle de porte-parole et d’information du mineur dans les procédures qui le concernent.

5. Conclusion

52Nous ne croyons donc pas que l’enfermement doit être une mesure d’exception, comme la mise à la disposition du gouvernement a pu l’être, car cela ferait croire qu’il faut tout faire pour l’éviter.

53Nous pensons que, dans de rares cas, et à l’intérieur d’un programme global d’accompagnement, donnant les moyens nécessaires au milieu ouvert, aux institutions résidentielles ouvertes, au travail de l’urgence, l’enfermement a des indications.

54En précisant mieux l’enfermement, à tous les niveaux où il intervient, et en définissant clairement les procédures, nous croyons que certains jeunes peuvent être mieux aidés, et des abus évités.

55Puisse le débat se poursuivre entre le point de vue juridique et le point de vue psychiatrique.

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