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Expertise ou examen médico-psychologique : aspects pratiques

p. 61-64


Texte intégral

Introduction

1Préalablement, il me paraît utile de préciser quelques notions :

  1. Dans ma pratique de pédopsychiatre la demande d’un examen médico-psychologique ou d’une expertise m’arrive principalement par le canal du tribunal de la jeunesse quand il s’agit d’envisager le placement ou l’enfermement d’un mineur. Dans ce contexte, mon travail n’est pas différent, qu’il s’agisse d’une expertise ou d’un examen médico-psychologique. La différence réside dans le libellé prévu par la loi et clôturant les expertises (je jure, etc.). Dans cet exposé, le terme expertise recouvrera donc ces deux notions avec les réserves faites ici.

  2. Nous le verrons dans les autres exposés1, les voies, tant juridiques qu’administratives, d’accès à un placement ou à un enfermement sont multiples, Ces deux concepts impliquent une limitation du mouvement de l’individu par un tiers juridique ou administratif. L’enfermement recouvre en plus la notion de mise en un lieu d’où il est impossible de sortir (limitation du mouvement dans l’espace). Ma pratique m’a plus souvent amenée à réaliser des expertises où un placement était envisagé par le magistrat. Une seule fois, il fut question d’enfermement via la collocation.

  3. La propriété de l’expertise est d’être à l’interface du monde juridique et du monde médico-psycho-social. Néanmoins, le vocabulaire des uns n’est pas nécessairement bien compris par les autres : prenons pour simple exemple le mot « chambre » en langage judiciaire ou courant !

L’expertise : ses paradoxes et ses énigmes

a. Le temps de la demande

2Au départ, la demande vient du magistrat qui envoie soit une ordonnance soit un jugement afin qu’un mineur soit « examiné » voire même « soigné » (dans certaines formes d’ordonnance).

3D’emblée, une double difficulté est présente. Tout d’abord, le champ de l’acte et de la personnalité du jeune risquent d’être confondus. L’objet de l’examen devenant alors le sujet lui-même et non plus la détermination « de ses intérêts et des moyens appropriés à son éducation et à son traitement ». Ensuite, l’expert est amené dans certaines ordonnances à donner non seulement un avis mais également à traiter un mineur. A ce moment, son rôle de thérapeute et celui d’expert se recouvrent avec toute l’antinomie que peuvent avoir ces deux termes.

4Ce n’est pas aujourd’hui que nous pourrons résoudre ces problèmes. D’autant plus que la position des experts est loin d’être uniforme vis-à-vis de ces questions.

5Pour ma part, je conçois l’expertise comme un processus dynamique qui fait intervenir des personnes avec des fonctions spécifiques dans le champ juridique, médical, psychologique et social. La capacité de chaque intervenant à maintenir sa position est la meilleure garantie de pouvoir réserver au mineur (et à sa famille) une place de sujet plutôt que d’objet d’examen, de soin ou de droit. En d’autres mots, il s’agit de travailler avec le jeune-ou l’enfant-et sa famille plutôt que pour ou contre lui.

6En résumé, si nous prenons la métaphore du théâtre, la pièce se jouerait en plusieurs actes qui se superposeraient. Chacun ayant ses propres questions et ses propres demandes :

  • Que demande le juge au psy-expert ?

  • Que demande le mineur à sa famille ?

  • Que demande le psy-expert au mineur et à sa famille ?

7et vice versa.

8A partir de ces différentes « scènes » se dessinent des lignes de forces qui donnent lieu à interprétation par les différents partenaires ayant leur grille de lecture propre. Il serait illusoire pour chacun d’eux de vouloir en maîtriser complètement la compréhension. Aussi compétents soient-ils, il est toujours une part-celle de l’inconscient-qui échappe et surprend celui qui croit tout comprendre. Il en est de même pour l’expertise. Personnellement, je ne pense pas que l’expertise — et pourtant elle est souvent utilisée comme telle — doive devenir une garantie de « toute compréhension » d’un événement et encore moins de la personnalité de quiconque. Sorte de « toute-puissance » conférée par une théorie toute scientifique serait celle-ci.

9Quel peut être alors l’intérêt d’une expertise ? Nous allons l’aborder maintenant.

b. Le temps de l’ouverture

10Au moment de recevoir un mineur et sa famille ou l’institution qui l’accueille, il m’apparait important de préciser les conditions dans lesquelles ils me rencontrent. Principalement, j’avertis les gens de la levée du secret professionnel et de l’obligation que j’ai de remettre un rapport écrit au tribunal.

11Pour moi, ce temps de l’expertise se rapproche le plus des entretiens thérapeutiques. C’est le moment où l’expert se donne le temps de donner place à une parole du mineur et de sa famille. Plutôt que d’élaborer un « savoir sur » eux, il me semble plus opérant d’entendre ce que le mineur dit de ce qui l’amène, de l’expertise, de telle ou telle décision du juge, de ce dont il souffre, des questions qui se posent à lui et des réponses qu’il a déjà élaborées, etc. De même avec leur famille et/ou les institutions qui sont concernées.

12Cette façon d’aborder l’examen médico-psychologique me permet de reconnaître une personne comme sujet de son destin et de maintenir une ouverture aux questions plus existentielles qui sont souvent occultées par l’explosion dramatique des symptômes qui occupent toute l’attention. Résoudre trop rapidement ces derniers revient souvent à mettre un emplâtre sur une jambe de bois qui tôt ou tard refera parler d’elle. Ce que dans notre « jargon psy », nous appelons la répétition. Somme toute, le symptôme ne serait que la partie apparente d’une scène qui se joue ailleurs. C’est pourquoi, dans certaines expertises, il est parfois plus utile de laisser au jeune, à sa famille et/ou à l’institution le temps d’élaborer des propositions plus proches de leur réalité et de leurs besoins que celles que je pourrais imposer.

13Rendre compte de ce travail est un volet important.

c. Au moment de conclure et de rédiger le rapport

14C’est le moment où l’expertise s’éloigne radicalement de l’entretien thérapeutique et où, comme expert, je me retrouve confrontée au paradoxe suivant :

  1. D’une part, je souhaite soutenir l’importance d’une ouverture aux questions fondamentales qui animent le mineur et ceux qui l’entourent. Bref, témoigner que, de son désir (de vivre, d’amour, de reconnaissance...), je ne sais rien et reconnaître l’importance de son mouvement de recherche.

  2. D’autre part, il y a, en fin d’expertise, la place de la prise de position dans la réalité. A savoir, par exemple — c’est notre propos d’aujourd’hui — s’il faut ou non proposer une mesure de placement en institution ouverte ou fermée.

15Certains proposent de clôturer l’expertise au niveau du point 1 et de rendre compte au tribunal, par le biais du rapport, des positions actuelles du mineur et de son entourage.

16Pour ma part, je termine souvent mes rapports par des propositions concrètes non point pour répondre aux questions à maintenir « en suspens » mais parce que je pense qu’il y a parfois lieu d’affirmer la nécessité d’un arrêt à la course folle de l’agir, du corps à corps fracassant et destructeur, du délire. Dans cette optique, il m’arrive de proposer le placement d’un mineur. Bien sûr, le placement n’est pas une fin en soi ; il s’inscrit dans un processus. Nous aurons au cours des autres exposés l’occasion de débattre cette question.

17Dans la mesure où le rapport contient des informations qui seront utilisées par le magistrat, il m’apparait fondamental de faire largement usage des possibilités de débats contradictoires qu’offre la loi et de donner aux avocats de réels moyens de les faire valoir. C’est pour moi la meilleure garantie contre le risque de décisions arbitraires, voire totalitaires.

Trois remarques pour terminer

  1. Quand une mesure de placement est envisagée, il me paraît important de bien analyser d’où vient la proposition et quels en sont les enjeux : arrêt d’une escalade destructrice d’un jeune, confort d’une famille qui ne supporte plus les débordements d’un de ses membres mais qui éprouve elle-même des difficultés à se remettre en question : le placement répondrait pour elle au double problème mais pourrait enfoncer le sujet qui se verrait placé, etc.). C’est pourquoi, l’utilisation des moyens de médiation possible est fondamentale. L’expertise peut être un de ces moyens pour autant qu’elle puisse être soumise au débat contradictoire soutenu par les avocats.

  2. Pour poursuivre ce travail, il m’est indispensable de garder confiance dans les ressources créatives des personnes rencontrées.

  3. Un travail valable passe par une formation permanente et une interrogation constante sur ce que déclenche en moi la rencontre avec un mineur et son entourage. Un expert a sa propre subjectivité qui interfère et guide bien des décisions. C’est pourquoi la remise en question de ses propres certitudes permet de maintenir une tension, source d’affinement du travail et de précision des limites et des attributions de la fonction d’expert.

Notes de bas de page

1 Cfr. notamment la contribution d’André Jadoul, infra.

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