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Une pratique en connaissance de cause(s) ?

p. 45-59


Texte intégral

1Suivant la conception du programme de ces journées, à l’intérieur du duo que je compose avec Michel van de Kerchove, la distribution des rôles voulait que mon propos adopte, sur la question en cause, le point de vue du patricien plutôt que du théoricien et la perspective des sciences humaines (du moins celles à radical « psy- ») plutôt que l’optique juridico-judiciaire. Cependant, pour être praticien on n’en est pas moins théoricien pour autant, mais peut-être autrement...

2Quel pourrait être l’apport spécifique, dans un débat comme celui qui nous rassemble, d’un psychologue clinicien pratiquant lui-même ces interventions qui entrent en jeu et s’entremettent dans les processus de décision du juge de la jeunesse, à charge pour ce psychologue de se faire aussi le porte-parole d’intervenants d’autres disciplines avec lesquelles il fait équipe pour réaliser de telles interventions ? Il me semble que les attentes quant à un tel apport peuvent être au moins de trois ordres.

31. Une première attente à l’égard d’une étude de la pratique viserait l’analyse de celle-ci dans sa différence, tout autant que dans son rapport dialectique, avec ce qui la lie dans des relations d’interdépendance réciproque. Ce qui nous intéresserait ici tout spécialement c’est, d’une part, les rapports à l’institution, d’autre part, les rapports aux modèles théoriques et méthodologiques de référence.

4Du côté des institutions, ce que l’on interrogerait, ce sont les liens que les pratiques entretiennent avec leurs conditions de possibilité, nécessaires mais non suffisantes. Quand on parle ici d’institutions, se trouvent visées à la fois la loi instituante (laquelle instaure les cadre et régime de fonctionnement légaux auxquels la pratique, dans la réalisation en laquelle elle consiste, a charge et devoir de se conformer) et par ailleurs les structures instituées en usage dans l’organisation sociale où divers organismes, établissements, centres ou services, d’appartenances organiques différentes, interviennent en réseau peut-être, mais en ordre plus ou moins organisé ou plus ou moins dispersé, D’une étude portant sur les pratiques dans leur lien à ce qui les institue, on pourra par exemple attendre des évaluations et des enseignements tirés de la réalité et d’une connaissance par l’expérience, bref des enseignements tirés de l’épreuve de réalité et susceptibles, peut-être, de fonder une réforme de l’institution, notamment pour rendre possibles des pratiques novatrices ou mieux adéquates aux réalités concernées.

5Mais on peut aussi analyser les pratiques en laissant aux spécialistes le soin de concevoir et d’instaurer le système institutionnel le mieux adapté au champ des pratiques concerné et aux orientations qu’on veut leur donner, tout en l’articulant à l’ensemble des institutions du pays. On se tournera alors plus volontiers vers une interrogation portant sur les modèles de référence qui président aux pratiques sur le terrain.

6De ce côté, celui des modèles théoriques et méthodologiques au principe des actions menées par les praticiens dans leur exercice professionnel, une question essentielle que l’on est conduit nécessairement à rencontrer est celle de deux ordres de différence (dont il s’agirait de rendre compte). Premièrement, d’une discipline scientifique à l’autre, mais également à l’intérieur d’une même discipline, les modèles en fonction desquels les intervenants conçoivent leur action et les modèles dont ces actions se veulent la mise en œuvre et la concrétisation peuvent varier considérablement et se modifier dans le temps. De l’un à l’autre se jouent des écarts, des divergences, des conflits de telle sorte que leur confrontation sur le terrain, au travers des prestations des acteurs qui s’en réclament, confère d’autant plus d’importance et d’acuité à la question de leur éventuelle compatibilité, complémentarité ou conciliabilité. Deuxièmement, si l’on tient compte de ce que la pratique a de plus spécifique (en tant que réalisation à l’épreuve du réel, susceptible de valider les modèles en cause) on pourra toujours se demander, face aux activités observables dans les faits, quelle est la part qui y revient aux modèles de référence (dont est poursuivie la mise en acte) et quelle est la part due au fait qu’une pratique s’exerce toujours en rapport avec ce qu’on pourrait appeler les exigences et les conditions du terrain d’activité, à savoir :

  1. une pratique s’exerce dans des situations singulières, celle de chacun des cas particuliers concernés, exercice au cas par cas même s’il s’agit d’appliquer une même stratégie générale ;
  2. elle s’exerce dans les conditions structurelles et conjoncturelles d’ordres divers qui débordent les raisons que l’on a, soi, d’y agir ;
  3. elle s’exerce sur des données multiples, changeantes et modifiables, dont on n’a jamais qu’une appréhension et qu’une maîtrise partielles.

7Aussi, que l’on veuille examiner les pratiques dans leur rapport à l’institutionnel ou dans les relations tant aux modèles de référence qu’avec les conditions situationnelles d’exercice, soit encore des deux côtés à la fois, de toute façon nous ne disposons ni des recherches ni des informations suffisantes permettant de correspondre, un tant soit peu, aux exigences d’une telle analyse pour l’ensemble de ce qui se pratique effectivement au nom de la protection de la jeunesse dans notre pays — pratiques dont on sait combien elles peuvent varier d’une juridiction à l’autre et selon les gens en place ainsi que le réseau régional d’intervenants.

82. Un deuxième type d’apport que l’on pourrait attendre du praticien serait un exposé-témoignage théorisant sa propre pratique, par exemple en présentant le modèle qu’il a été amené à élaborer pour se déterminer dans ses interventions et dont la mise en pratique engage une épreuve de validation. Cet exposé expliciterait également les raisons pour lesquelles il prend telle ou telle position tant dans ses colllaborations avec d’autres instances intervenantes sur le terrain que dans son ajustement aux conditions institutionnelles. Un tel modèle, pour personnel qu’il soit, est alors avancé, parmi d’autres possibles, dans ce qui le fonde et le justifie, pour être soumis à discussion et à examen critique. Il est analysable comme autant d’options prises en ce qui concerne toute une série de problématiques que l’on rencontre à vouloir exercer dans ce domaine de la protection de la jeunesse.

9Ceci m’amène alors à dégager une troisième voie, intermédiaire par rapport aux deux premières évoquées, dans laquelle j’inscrirai plus volontiers ma contribution à ces journées.

103. Ce troisième type d’apport partira de l’idée suivante : plutôt que de présenter, à titre de modèle, des manières de résoudre, selon une certaine conception théorique et méthodologique, un ensemble de questions auxquelles se confronte la pratique, ce que l’on pourrait prendre comme objet de réflexion c’est justement cette combinaison de problématiques à résoudre d’une façon ou d’une autre—on pourrait aussi bien parler d’une suite d’enjeux coordonnés, peut-être contradictoires mais sur lesquels il n’est pas possible qu’une intervention s’engage sans qu’elle corresponde à une prise de position à leur propos, même si cette option reste implicite, inaperçue de l’intervenant, même si elle s’accomplit à l’insu de Facteur d’une telle pratique.

11Emprunter cette voie me paraît rejoindre l’une des préoccupations des organisateurs de ces journées, préoccupation paraissant d’ailleurs concerner électivement les praticiens des disciplines à radical « psy- », à savoir la préoccupation de promouvoir certaines prises de conscience auxquelles les « psy » auraient la réputation d’être particulièrement réfractaires. Un objectif est donc de rendre les divers acteurs davantage conscients que, même s’ils n’interviennent, selon la distribution des rôles, que pour un acte limité, au moment d’une partie plus ou moins avancée et plus ou moins décisive dans le déroulement de la pièce qui se joue, il n’en reste pas moins vrai que cet acte participe à toute la dramatique des enjeux en cause. En conséquence, une telle fonction ne peut être tenue seulement en référence exclusive aux impératifs de modèles provenant de la discipline d’appartenance de l’acteur. Ainsi en va-t-il des interventions médico-psychologiques ou psychiatriques dans le processus aboutissant à quelque prise de décision que ce soit par le juge de la jeunesse.

12Le thème de cette demi-journée renvoie au fait que le législateur de 65 a voulu consacrer une nouvelle alliance entre les agents de la justice et les divers tenants de sciences humaines, parmi lesquels notamment les professionnels de l’éducation et de la santé mentale. Il fallait que s’instaurent des modalités de collaboration nouvelles. Il est tout à fait instructif de reprendre historiquement les courants de pensée qui ont poussé à une telle conjugaison entre justice et sciences humaines et qui ont fondé de grandes espérances sur le recours aux spécialistes de ces sciences. Maintenant que cette liaison s’apprête à fêter ses noces d’argent, il est beaucoup question de réviser les termes mêmes du contrat de mariage, mais il est nécessaire également de réfléchir au sujet de ce qui s’est engendré comme pratiques procédant de ces liens. Peu importe que ce mariage ait été de raison ou d’intérêt, certainement les motifs pour lesquels chacun des partenaires s’y est engagé lui étaient spécifiques, chacun ayant sa cause propre à y défendre en matière de protection des jeunes. Entre-temps les partenaires ont considérablement évolué. Pour m’en tenir au bord dont je suis, qu’il me suffise d’évoquer par exemple le développement des connaissances en criminologie ; l’organisation des services de santé mentale par l’arrêté royal du 20 mars 1975 consacrant notamment le modèle de la sectorisation ; la diversification des formules institutionnelles alternatives à l’hospitalisation psychiatrique ; les innovations dans la gamme des services prévus pour la protection de la jeunesse ; ce que l’on a appelé la crise de confiance dans l’intervention psychosociale, quelle qu’elle soit, autant que le scepticisme quant à l’efficacité clinique des sciences humaines ; la mise en cause de la démarche d’examen psychodiagnostique et de ses instruments ; la multiplication des modèles proposés sur le marché du traitement...

13La formulation du thème de cette demi-journée privilégie l’un des scénarios pour cette collaboration : la séquence où, dans l’entreprise d’une tâche qui revient au juge, en vue d’une décision qu’il lui appartient de prendre, ce juge fait intervenir un spécialiste. Mais le processus inverse existe et mérite tout autant d’être pris en considération : les agents de la protection sociale, mais aussi les responsables de la santé mentale, peuvent demander l’intervention du juge de la jeunesse à seule fin de poursuivre leurs objectifs propres1. Ainsi, autant il a été débattu de la question de savoir dans quelle mesure, sous quelle forme et à quelle condition la psychiatrie et la psychologie fonctionnaient comme auxiliaires de la justice, autant se trouve envisagé et largement controversé le recours au juge de la jeunesse pour les besoins de l’aide et du traitement, ainsi par exemple afin d’en appeler à son pouvoir de contrainte. Une telle question se trouve au centre des pratiques spécifiant les équipes psycho-médico-sociales spécialisées dans la maltraitance et les abus sexuels dont sont victimes des mineurs.

14Ajoutons ceci : nous situant en amont d’une décision qui consistera éventuellement à choisir le placement en institution psychiatrique, le fait qu’une telle option soit envisagée anticipativement, comme faisant partie de la gamme des solutions auxquelles on songe, n’induit pas pour autant des modes d’interventions spécifiques, fondamentalement différents d’autres appels au « psy ». Sauf lorsque c’est l’indication d’une éventuelle collocation qui est posée et qu’il s’agit d’examiner : en ce cas, la loi prévoit l’expertise psychiatrique classique.

15Avant d’en venir à quelques réflexions à propos du thème précis, je voudrais faire deux remarques préliminaires afin d’éviter un double piège auquel prête d’autant plus facilement la délimitation de la problématique abordée par ces journées que cela correspond à une pente susceptible d’affecter toute la protection de la jeunesse. Cette pente consiste à concevoir toute cette protection en fonction de la délinquance juvénile, en tant que celle-ci représenterait le danger majeur dont il s’agirait de préserver la destinée des mineurs concernés. Dès lors les modalités et les politiques d’intervention risquent de ne se concevoir qu’en raison de ce destin délinquant possible. Par ailleurs, des dispositions prévues explicitement à destination de fauteurs d’actes délinquants risquent aussi d’être utilisées à propos de tout autre jeune relevant de la même loi. Enfin, à tant se polariser sur l’âge de l’adolescence, on risque de perdre la mesure de la différence qui spécifie le monde de l’enfance et plus encore de la toute petite enfance. On risque aussi de perdre de vue que des mesures conçues pour l’adolescent ne sont pas transposables sans plus lorsque c’est à des enfants que l’on a affaire.

16Je voudrais alors développer mon propos en abordant deux questions :

  1. Ce que la nature et la fonction de l’intervention du « psy » doivent à la scène sur laquelle cette intervention est appelée à se produire. Et ici je reprendrai donc cette question des enjeux orientant le sens des interventions.
  2. Ce qui, d’un point de vue de « psy », me paraît légitimer la pratique de pareille intervention. Ce point pourrait se formuler en termes de cause à défendre : j’en évoquerai deux qui relèvent donc de la fonction à y remplir.

171. Une idée à laquelle je faisais allusion précédemment se doit d’être ici articulée plus avant : il ne me paraît pas possible qu’un praticien s’engage à travailler dans le champ de la protection de la jeunesse en prétendant s’en référer exclusivement à un modèle pur, repris tel quel, en puritain et en puriste, à sa seule discipline d’appartenance. En investissant le terrain de la pratique au nom de la protection de la jeunesse, le professionnel est invité, ou condamné, c’est selon, à composer, dans son action, entre plusieurs impératifs qui sont de provenances et d’ordres divers mais qui ne peuvent se réclamer purement et simplement des exigences purifiées, spécifiques à son modèle propre, reçu de sa seule discipline. La rigueur voulue consiste non pas dans une telle exclusivité mais dans le travail de composition requis.

18Dans ce champ, on le sait, chaque acteur fait l’objet de sollicitations et de demandes de la part autant de la population intéressée que de l’ensemble de la société et des autres intervenants. Aussi chaque acteur est-il appelé à y remplir des rôles et à y exercer des fonctions qui débordent largement celles qui sont prévues, préformées et préformalisées tant par le cadre légal institué que par les modèles transmis de par la formation suivie dans sa discipline d’appartenance.

19Ce cadre légal s’est voulu, on le sait, telle une autre forme de justice et de droit que ce qui existe à destination des adultes. Une différence, entre autres, est qu’elle est moins formaliste (d’aucuns diront « moins théâtralisée »). Sa dramatique est dès lors foncièrement autre. Comme l’écrit Colette Duflot-Favori :

20« À la différence de la justice pour adultes, beaucoup plus formaliste, celle des mineurs permet au juge beaucoup d’initiatives, l’obligeant à étudier chaque cas de façon précise. Les textes ne répondent que très partiellement à la multiplicité des problèmes posés par la réalité quotidienne : dans la justice pour enfants, le fait domine le droit »2.

21« Le juge des enfants se trouve donc au centre d’un système qui englobe tous les problèmes de droit posés par l’enfance et l’adolescence. Le cadre de son intervention est très vaste, et, à l’intérieur de celui-ci, la place est grande pour l’initiative et l’interprétation personnelle du magistrat »3.

22« (...) selon l’équipement spécifique d’une région, selon la nature du cas, selon, également, le jeu complexe des interrelations entre les services et les personnes, le juge pourra nouer des rapports de collaboration plus ou moins suivie ou étroite avec un type d’équipe plutôt qu’une autre »4. Et de telles collaborations peuvent être largement informelles.

23Si ce collaborateur du juge est encore appelé expert en sciences humaines, c’est par abus de langage du point de vue du vocabulaire juridique mais c’est en renouant avec son acception dans le langage courant. Le terme provient du latin « expertus » : qui est éprouvé, qui a fait l’essai, l’expérience et ses preuves. Le Robert définit l’expert comme celui qui a, par l’expérience et par la pratique, acquis une grande habilité (pas uniquement en expertises, espérons-le). C’est un praticien compétent, averti, connaisseur et savant dont il s’agit, non d’un homme de science au sens académique ou du chercheur même expérimentaliste. Moins encore que dans le cadre médico-légal pour adultes, ce n’est pas tellement à une prétendue caution scientifique qu’il est fait appel mais davantage à la compétence pragmatique dans l’invention ou la découverte de solutions pratiques ou dans le choix de mesures concrètes.

24Suivant la loi de 65, il faut donc que le juge fasse appel aux services de professionnels des sciences humaines et qu’une collaboration s’instaure entre eux. Mais selon quels modèles convient-il que cela se passe ? Quoi qu’il en soit des rapports complexes que cette loi entretient avec la tradition juridico-judiciaire dans laquelle elle s’inscrit (tout en voulant se démarquer d’un tel héritage, dans un souci d’instituer un droit spécifique et adéquat aux problèmes des mineurs) pour ce qui concerne cette collaboration, le prototype préexistant, reçu de la tradition, était celui de l’expertise psychiatrique. L’origine de celle-ci remonte au souci de faire la distinction entre la normalité et la pathologie ; en conséquence, de trier, dans le lot de ceux qui relèvent d’une intervention des instances judiciaires, ceux qui seraient à lui soutirer pour les soumettre ou les confier aux bons soins d’autres agences, en l’occurrence médicales. La mission de l’expert est alors de démêler, dans ce qui se produit, dans ce qu’il arrive à l’intéressé de commettre, la part éventuelle de processus pathologiques identifiables à des troubles mentaux tels que la psychiatrie les diagnostique. Depuis lors, cette problématique de départ a sensiblement évolué, notamment avec l’intervention de l’enquête sociale et celle de l’examen psychologique (en voie d’autonomisation par rapport à l’agence médicale), à travers aussi l’incessant débat quant au diagnostic du normal et du pathologique. Dans le cadre de la protection de la jeunesse, elle se retrouve en des termes assez proches là où il est explicitement question de collocation. Mais ce modèle a également inspiré, à travers non seulement sa transposition au domaine de la jeunesse mais aussi de sérieuses transformations de sa nature même, la mise en route de tout autres pratiques. Une innovation majeure est d’avoir inclu dans l’examen même la dimension thérapeutique — du moins peut-on interpréter ainsi les termes de l’ordonnance invitant le spécialiste à donner au mineur les soins que réclame son état. Par ailleurs, obliger à consulter fait partie également des mesures que le juge peut ordonner. Curieusement, la seule prise de décision pour laquelle il est fait obligation au juge de disposer d’un examen médico-psychologique récent (ainsi que d’une investiagtion sociale) est celle du dessaisissement, alors sur base du constat d’une absence de moyens encore adéquats.

25Le scénario paraît donc conçu comme s’il s’agissait, pour le juge ayant à prendre une décision, de prendre connaissance des avis de provenances diverses consignés dans des rapports élaborés par différents spécialistes qui ont procédé à l’examen des situations et des différents protagonistes concernés par ces situations. Le ou les spécialistes, en équipe ou non, auraient mission de proposer un rapport présentenciel destiné à informer celui qui a une décision à prendre ou un jugement à rendre (aussi bien en cas de danger qu’en matière de litiges civils concernant la famille). Ces informations auraient à porter sur des points comme par exemple :

  • la situation présente et l’histoire qui l’a engendrée telle, c’est-à-dire la situation à la fois personnelle, familiale et sociale des individus concernés, et cela d’un point de vue aussi bien médical que social et psychologique ;
  • les interventions qui ont déjà eu lieu, appréciées quant à leurs effets et quant aux réactions des intéressés ;
  • la gamme des mesures ou des solutions actuellement pertinentes, tout en indiquant celle que l’on estime la plus recommandable et pour quelles raisons.

26La logique de ce scénario voudrait qu’il appartienne alors au juge de prendre connaissance de ce rapport en raison de, et pour autant que sa décision doive correspondre à, certains rôles qui lui sont impartis à propos des intéressés. Cette logique voudrait aussi qu’il en prenne connaissance et en tienne compte à titre d’informations supplémentaires, sans doute nécessaires, censées l’éclairer dans la décision qu’il a à prendre pour arbitrer des conflits ou pour déterminer la mesure la plus pertinente dans la situation.

27Mais on peut douter de l’adéquation de pareil scénario compte tenu des diverses fonctions dévolues au juge de la jeunesse. Celles-ci l’amènent à tenir un rôle qui ne se réduit nullement à celui qui lui revient en audience destinée à prononcer un jugement. C’est en effet devenu un lieu commun de constater qu’avec la loi de 65 on assiste, pour le juge, à une sorte de mouvement d’expansion et de démultiplication des rôles allant bien au-delà de celui d’un preneur de décisions ponctuelles, et cela dans la ligne de cette analogie avec un substitut parental ayant à concevoir son action sur le modèle du bon père de famille. Ce qui conduit alors à formuler sa fonction en termes de prise en charge et de suivi à longue échéance, de guidance à l’égard du jeune, de référence constante pour ces protégés que l’on peut alors pleinement, et au sens le plus qualifié des termes, nommer et identifier comme les « enfants du juge ».

28Et sur ce point, il est tout à fait remarquable qu’une telle insistance sur des tâches imparties au juge mais qui ne peuvent se réduire ni à un découpage sur le patron du judiciaire ni à un modelage exclusif sur le modèle du juge-qui-rend-des-jugements, que cette insistance vienne justement de la part de praticiens qui se réclament de la perspective psycho-sociale et qui valorisent cette référence permanente au juge en tant que ce rapport doit avoir une portée structurante pour le destin du jeune. Permettez-moi de vous renvoyer, à ce sujet, aux propos tenus par Jean-Yves Hayez ici même lors des précédentes journées de formation de mars ’86. Ainsi déclarait-il, par exemple, que c’est pour le jeune, du point de vue de celui-ci et dans l’intérêt de son bien, qu’il faut que son juge soit :

29« considéré comme un personnage important, qui a de l’intérêt pour lui et des pouvoirs pour prévenir les égarements de sa vie ; dans cette perspective, il est important de compter avec lui, de citer régulièrement son nom, de faire référence à sa présence et à ce qu’il signifie à l’intérieur de la relation entre le jeune et les autres intervenants. Dans cette perspective aussi, il est utile de le tenir régulièrement informé des « petites » décisions concertées entre le jeune et les intervenants qui l’accompagnent dans sa vie quotidienne ; il est nécessaire de demander sa permission et de négocier avec lui les « grandes » décisions. Un certain flou entre petites et grandes décisions restera inévitable »5.

30Si ce mouvement d’expansion et de diversification des rôles du juge pour lesquels il n’existe point de modèles dans la tradition juridico-judiciaire est induit par la loi, par ailleurs un courant actuel tend à y renforcer la dimension proprement juridico-judiciaire, voire pénale.

31Sans doute est-ce là courir deux ou plusieurs lièvres à la fois. Mais on pourrait aussi se demander si la dualité d’objectifs n’est pas inhérente à toute démarche en ce champ.

32En effet, tant les études historiques portant sur la manière dont la loi s’est construite et fait l’objet, depuis, de propositions de réforme, que les analyses critiques des pratiques effectives, me paraissent démonstratives — c’est du moins l’un des enseignements significatifs que l’on peut en tirer — du fait suivant. Dans le domaine désigné comme celui de la protection de la jeunesse, tout choix de quelque politique générale que ce soit autant que toute détermination d’une pratique précise, par n’importe quel intervenant, consiste toujours à composer son jeu et à disposer ses cartes, ou ses atouts, en prenant position par rapport à une structure d’ensemble à plusieurs dimensions. Miser préférentiellement sur l’une de ces dimensions, voire lui accorder un statut dominant et déterminant, prétendre en exclure d’autres sont autant de façons de s’expliquer avec l’ensemble des enjeux et de lui donner une structuration particulière. Ce sont autant de façons de se positionner par rapport à la complexité des registres en cause, tout en leur donnant un contenu défini, parmi plusieurs possibles. Ces dimensions indissociables entretiennent entre elles des tensions conflictuelles ou dynamiques. C’est aussi l’inhérence à un tel système dialectique qui explique l’insuffisance d’une référence exclusive aux modèles de la seule discipline d’appartenance.

33Pour repérer schématiquement ces dimensions qui divisent intérieurement toute pratique, laquelle ne peut se construire qu’à la condition de composer avec toutes, en s’agençant de ses prises de position vis-à-vis de toutes, il me semble que l’on peut parler d’une diversité d’objectifs irréductiblement différents autant qu’interdépendants. On peut les discerner en les répartissant selon au moins deux axes de visées, chacun ayant sa logique propre : un axe que l’on repérera comme ayant pour finalité la répression et la sanction ou la justice et le droit, la sauvegarde ; un autre que l’on définira par des buts d’aide ou d’assistance et de traitement (qu’il soit préventif, éducatif, palliatif ou curatif, c’est-à-dire proprement thérapeutique). Ces objectifs ont partie liée de telle sorte que choisir de privilégier la poursuite de l’un n’en a pas moins des effets pour ce qui concerne les autres. En outre, ces axes distincts, mais corrélés, trouvent à se mettre en œuvre sur plusieurs scènes ou à différents niveaux de réalisation. On peut ici ressaisir trois plans : celui de l’institutionnel et de l’organisationnel ; celui du social et du collectif ; celui de l’individuel, c’est-à-dire tout autant l’intrapsychique que l’interpersonnel (les situations singulières des sujets concernés, intéressés dans leurs dimensions intra-individuelle ou interactionnelle). Dès lors chaque action menée est analysable à la fois dans chacun de ces registres, donc dans ce qui la caractérise des points de vue institutionnel, social et individuel. Mais, d’autre part, toute pratique se choisit, pour cible et champ de réalisation électif, l’un de ces niveaux ; elle n’en a pas moins aussi des conséquences et des implications ou impacts sur les autres plans.

34Si nous reprenons en considération l’intervention médico-psychologique en la passant au crible de ce schéma utilisé comme grille d’analyse, on estimera qu’elle est axée d’abord et avant tout sur des objectifs de traitement. On fera même des praticiens « psy » les représentants électifs de cette préoccupation. Leurs interventions n’en contribuent pas moins à la réalisation d’autres objectifs en jeu conjointement. Par ailleurs, le niveau d’action électivement concerné et tout désigné pour ce type d’intervention paraît bien celui des individus. Mais les limites de l’approche individualisante, dont l’examen médico-psychologique serait l’instrument majeur, surtout s’il ne porte que sur le mineur intéressé (ou désigné) sont volontiers dénoncées. Récemment, Fançoise Tulkens se faisait l’écho de telles critiques en ces termes :

35« une prévention centrée sur le sujet empêche de prendre en compte à la fois les problèmes liés au fonctionnement social lui-même et les situations d’interrelations des personnes »6.

36Le reproche est de privilégier indûment l’intervention sur le cas individuel, centrée sur la personnalité de chacun des intéressés ainsi que sur l’histoire passée de l’élaboration tant de cette personnalité que des liens entre protagonistes. Une telle centration est critiquée dans la mesure où elle est considérée comme s’accomplissant au détriment, d’une part, de la prise en considération des problèmes sociaux, d’autre part, de l’actualité des comportements et d’une intervention au présent qui devrait chercher à en prévenir la récidive en préparant l’avenir. Ce qui est ici critiquable est sans doute moins le fait même de prendre en compte la psychologie des intéressés ou d’intervenir sur ce plan, mais bien plutôt le fait de prétendre résoudre les problèmes en cause à ce niveau-là uniquement. Ou bien encore on incriminera la manière même de prendre en considération la psychologie des gens en cause, manière consistant à s’engager avec eux dans des entreprises thérapeutiques qui restent étrangères aux préoccupations des réalités sociales. Ainsi, de façon radicale, Walter Hollstein écrit-il : « l’élaboration de nouvelles théories et l’amélioration pratique des techniques d’intervention psychologique et pédagogique, non seulement empêchent de résoudre les problèmes sociaux primaires, mais contribuent involontairement à les camoufler, tout comme l’envahissement « orwellien » du contrôle social »7.

37Ceci ne me paraît vrai que dans la mesure où l’on prétend substituer un niveau d’intervention à tous les autres, par exemple réserver le monopole du traitement des problèmes en cause à une démarche individualisante ou plus encore de lui faire remplacer de nécessaires changements sociaux et des modifications institutionnelles. Ce qu’il y a lieu de pratiquer au niveau du cas individuel ne peut nullement remplacer les interventions qui s’indiquent aux autres niveaux : une pratique sur un plan ne peut servir d’alibi pour se dispenser d’intervenir aux autres plans, même si cette pratique ne va pas sans effets se portant également sur ces autres plans.

38A la faveur du développement de l’expérience pratique et de l’évolution des conceptions scientifiques, la nature du travail presté lors d’une intervention médico-psychologique est allée se transformant. Les modèles classiques d’intervention ont été soumis à révisions critiques et à réajustement sous l’impulsion justement de ces confrontations avec l’ensemble des dimensions du champ et à la mesure de ce que l’on pourrait appeler une meilleure prise de conscience de cette intrication de composantes, d’enjeux et de scènes pouvant connaître différentes formes et formules d’articulation entre eux. Cette révision s’est faite notamment dans le sens d’accorder davantage d’importance, d’une part, aux conditions qu’imposent les spécificités du terrain des pratiques et qui sont à respecter pour qu’une quelconque actualisation des modèles de référence soit réalisable, d’autre part, aux nécessaires concertations avec les représentants d’autres agences intervenantes. L’évolution actuelle dans la façon de reposer la question de l’intervention « psy » est saisissable à travers divers indices. Pour en évoquer certains sans véritablement les développer, je citerai premièrement ce qui a été décrit, par exemple, par Anne-Marie Favard8, comme un mouvement de recentration de l’intervention sur l’actualité des faits, sur les réactions, dans le jeu social, que les comportements entraînent, et sur le travail socio-éducatif au présent en vue de réengager différemment l’avenir. Un tel mouvement se propose en général comme allant en sens inverse d’un modèle d’action qui viserait à remonter aux origines de ce qui a conduit le sujet à de tels comportements et à travailler à une reprise historique de la constitution de la personnalité et des processus d’engendrement de son agir. Un autre mouvement, indicateur d’évolution, apparaît dans l’insistance sur la nécessité d’articuler clairement la situation d’intervention auprès des intéressés en termes à la fois de mandat et de contrat : c’est-à-dire, d’une part, la mission reçue d’une autorité tierce par rapport à la relation d’intervention ; mission à laquelle correspondent des responsabilités sociales ; d’autre part, la négociation préalable d’un contrat à passer entre praticien et intéressé quant aux modalités de l’intervention, y compris le compte rendu à en faire au juge.

39Une telle évolution pourrait s’analyser dans l’hypothèse d’une influence croissante du modèle systémique dans sa différence d’avec le modèle psychanalytique et de la confrontation entre les deux. Ce qui ne va pas sans corrélats au niveau de ce que Robert Castel9 appelle l’imaginaire professionnel de l’intervenant en tant qu’il préside à son choix de stratégies pratiques. Mais une telle question nous entraînerait au-delà des limites du sujet de mon exposé. Je le poursuivrai donc en abordant ce qui me semble légitimer l’intervention du psychologue comme spécialiste consulté par le juge de la jeunesse. Sur ce point, je retiendrai deux fonctions qu’il lui revient de remplir :

  1. promouvoir une perspective véritablement différentielle dans l’intervention et la prise en charge ;
  2. se faire le porte-parole pour ce qui cherche à se signifier dans le chef des intéressés.

40En un certain sens on pourra considérer que ce sont là deux aspects ou deux versants d’une même fonction.

412.1. J’ai déjà rappelé que l’introduction de l’examen psychiatrique, dans la procédure de la justice, s’était produite en lui donnant d’emblée pour mission de « faire la différence ». Même si ce qu’il s’agit de différencier varie considérablement au fil du temps, comme d’un contexte de recours à l’autre, l’impératif de différenciation n’en persiste pas moins à caractériser la fonction de l’entreprise. Cette exigence est d’autant plus impérieuse que déjà pour les seuls faits de délinquance avérée (donc sans encore prendre en compte les indices de déviance, de carence ou de danger potentiel) les phénomènes et les situations observables renvoient l’interprète en quête de leur sens à de multiples significations possibles quant aux destinées qui, là, sont en train de se jouer.

42L’expérience nous apprend que très souvent, dans une expertise, quelle qu’ait été l’importance des développements consacrés au diagnostic différentiel de la personnalité et de ses modes de relation, ainsi que des styles de fonctionnement de son ou de ses systèmes d’appartenance, ce qui est décisif au moment de proposer une mesure ou bien de préconiser tel type de solution, ce sont des considérations d’un autre ordre. Celles-ci tiennent souvent davantage, d’un côté, à des questions d’opportunité et de circonstances, par exemple des places disponibles, d’un autre côté, à des objectifs qui intéressent d’abord et avant tout la collectivité, par exemple le souci sécuritaire ou des préoccupations économiques.

43En conséquence, s’il revient à l’expertise de promouvoir une perspective différentielle, à savoir une perspective de différenciation des particularités individuelles et de diversification des modes d’intervention adéquate à ces spécificités, cette exigence porte non seulement sur le diagnostic différentiel et sur les indications différentielles quant aux stratégies d’action (donc la mesure précise à choisir et la nature du programme de traitement qu’il conviendrait de suivre) mais aussi sur une sorte de diagnostic équivalent du réseau des institutions ou services quant au contenu des modes d’intervention qu’ils offrent.

44Ce qui serait ainsi visé c’est, comme le dit Marc Leblanc (à propos du seul délinquant) :

45« une véritable articulation entre les objectifs sociaux, les mesures et programmes disponibles et les besoins et problèmes des jeunes délinquants. Nous possédons un modèle différentiel d’intervention et de prise en charge (...) ; avec un peu de patience nous pourrions dresser un inventaire très complet des mesures, programmes et approches disponibles. L’image que nous en retiendrions serait sûrement celle d’un enchevêtrement indescriptible.

46Ce qui frappe le plus en étudiant ce traitement différentiel que nous administrons à nos mineurs délinquants, c’est l’incapacité du réseau de prise en charge à se poser la question fondamentale suivante : qui profite ou peut profiter le plus de telle ou telle mesure ? (...) Cette question, chaque intervenant se la pose face à un individu en particulier mais notre réseau n’a pas de critères explicites qui lui permettent de faire une allocation rationnelle des jeunes délinquants vers chacune de ces mesures et programmes en assurant une adéquation maximale entre les besoins des jeunes délinquants et l’intervention proposée »10.

472.2. Mais cette exigence de différenciation revêt encore une autre signification qui me semble devoir être maintenue, quand bien même les opportunités l’emportent sur le diagnostic de personnalité dans la prise de décision. Et j’en viens ainsi à mon dernier point. Notons-le au passage, c’est ici que l’on touche à l’éventuel effet thérapeutique sur lequel l’expertise est susceptible de s’ouvrir pour l’intéressé, comme par surcroît. Puisque du fait de l’examen, une intervention a lieu, celle-ci peut apporter sa contribution à ce qu’une demande d’aide émerge, à ce qu’un changement de perspective se négocie ou à ce qu’une restructuration des modalités existentielles s’engage. C’est ici également qu’on a pu attribuer à l’expert une fonction de porte-parole du sujet, le donnant à entendre auprès de ceux qui ont à l’écouter. Dans la même logique, l’expertise peut se faire révélatrice, auprès des pouvoirs en place, des processus et fonctionnements sociaux pathogènes. Une telle fonction trouverait à rejoindre une optique de défense des droits de l’intéressé. Voici ce qu’écrivait un juge des enfants français, Alain Bruel, en s’inspirant de sa collaboration avec le pédo-psychiatre :

48« Dans le domaine du débat judiciaire, pour peu que l’on veuille bien reconnaître la pente naturelle qui pousse le juge à donner raison au premier venu, au plus proche, au plus quérulent, voire au plus virulent, l’état d’enfance et l’aliénation mentale apparaissent certes comme des handicaps à être libre mais aussi et surtout comme une éviction de l’accès au débat.

49Dès lors, il devient indispendable de leur redonner un droit à la parole, une possibilité d’expression non plus insolite, indéchiffrable mais socialement compréhensible : l’intervention du psychiatre devra être d’abord cette libération de la parole enchaînée. Certains pensent même qu’elle ne devrait être que cela : rendre compte de la parole de celui qui parle, témoigner et non interpréter, pour éviter le discours psychiatrique qui ne fait que justifier l’institution ; faire, en cette occasion importante, de l’enfant ou du fou un sujet de droit, et non l’objet d’un traitement »11.

50Le travail d’expertise ne peut s’accomplir sans un certain concernement en propre du sujet lui-même. Bien qu’il n’ait pas formulé la demande explicite de pareille intervention, il n’est pas sans attente ni sans interrogation personnelles quant à ce qui lui arrive et quant à ce qu’il pourrait advenir de lui. Bien sûr, l’expert n’est pas là dans un rôle de thérapeute. Mais comme le note très justement Colette Duflot-Favori, le clinicien, quel que soit son rôle, est à l’écoute « des souffrances qui ne savent pas se donner à voir en tant que telles.

51En tant que thérapeute, le psychologue clinicien est, effectivement, à l’écoute de la souffrance. En tant qu’expert, il n’entend pas autre chose, même s’il a à rendre compte à la Justice des moyens dont dispose un sujet pour se soutenir dans sa problématique existentielle, et pour se défendre ou composer entre son monde fantasmatique et la Loi. Il s’agit, le plus souvent, pour le psychologue, de dessiner comment, entre un individu donné et la réalité sociale pourrait s’instaurer une dialectique qui ne soit pas mortelle »12.

52« L’approche psychologique peut permettre à la Justice de nuancer son action, elle ne peut viser à irresponsabiliser le délinquant, à le déposséder de ses actes, même si elle en dévoile parfois un sens inattendu.

53Dans cette perspective, l’intervention du psychologue peut, bien au contraire, aider ce sujet-là à assumer ses actes, à leur donner un sens dans sa vie »13.

54Le diagnostic différentiel est à proposer et, si possible, à bien faire comprendre avec toute la relativité d’un « instantané toujours révisable » pris à propos d’un être en devenir et en recherche, dont il s’agit surtout de faire ressortir les potentialités de transformation qui restent mobilisables. Autrement dit, faire la différence, appréhender et donner à entendre la différence spécifiant le sujet consiste aussi à rendre compte du fait que le sujet diffère, reste toujours autre que ce que l’on dit qu’il est, de ce qu’on a pu déterminer diagnostiquement de sa personne, c’est-à-dire qu’il est en instance de changement, disposant de ressources à se différencier de ce qu’il lui est arrivé d’être et de faire.

55Et dans cette optique, la mesure la mieux indiquée est parfois de cesser d’intervenir.

Notes de bas de page

1 À ce propos, on pourra consulter par exemple : J. VAZEILLE, Psychiatre et juge d’enfants, in Sauvegarde de l’enfance, no 4, 1980 ; Justice et famille, in Thérapie familiale, vol. 9, no 4, Genève, 1988 ; Psychiatrie des jeunes. Éducation et justice, in L’information psychiatrique, vol. 56, no 2, février 1980.

2 C. DUFLOT-FAVORI, Le psychologue expert en justice, Paris, P.U.F., Le psychologue, 1988, p. 148.

3 Ibidem, p. 151.

4 Ibidem, p. 153.

5 J.-Y. HAYEZ, De quelques confusions de rôles dans le champ de la délinquance juvénile, in C. DETROY, F. TULKENS, M. van de KERCHOVE (éd.), Délinquance des jeunes. Politiques et interventions, Bruxelles, Story Scientia, 1987, p. 122.

6 F. TULKENS, Généalogie de la protection sociale. De la loi de 1912 à la loi des réformes institutionnelles de 1980, Louvain-la-Neuve, Document de travail no 26 de l’Ecole de criminologie de l’U.C.L., 1989, p. 19.

7 W. HOLLSTEIN, Une approche écologique : un tour d’horizon des problèmes sociaux et de la réaction des adolescents, in R.E. TREMBLAY, A.-M. FAVARD et R. JOST (éd.), Le traitement des adolescents délinquants, Paris, Fleurus, 1985, p. 208.

8 A.-M. FAVARD, Une approche évaluative clinique : la connaissance du fonctionnement des pratiques et le changement, in Le traitement des adolescents délinquants, op. cit.

9 R. CASTEL, Un glissement progressif ?, Convergence no 7, La fiancée systémique, Bruxelles, 1986.

10 M. LEBLANC, Une approche criminologique : vers un modèle différentiel d’intervention et de prise en charge, in Le traitement des adolescents délinquants, op. cit., pp. 173-174.

11 A. BRUEL, Psychiatrie et justice, in L’information psychiatrique, vol. 56, no 2, février 1980, p. 180.

12 C. DUFLOT-FAVORI, op. cit., p. 173.

13 Ibidem, p. 172.

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