La « petite » maison à différents portails
Les principales voies juridiques permettant le placement d’un mineur en institution psychiatrique ouverte et fermée
p. 17-24
Texte intégral
I. Introduction
1Une « petite » maison à différents portails, c’est ainsi qu’on pourrait symboliser une institution psychiatrique, quant à l’accès et la présence des mineurs d’âge. Il serait important de poser la question de savoir si les portails s’ouvrent des deux côtés de la même façon. Mais cette question ne sera pas traitée dans cet article, qui se centrera surtout sur les portails d’entrée. Les pistes existantes dans la législation belge qui peuvent autoriser le placement de mineurs en institution psychiatrique ouverte et fermée seront brièvement tracées.
2Une problématique peu connue ! Et pourtant, annuellement, plusieurs centaines de jeunes gens sont concernés.
3Cet article n’a cependant pas l’intention d’étudier à fond tous les éléments qui favorisent la psychiatrisation de tous ces mineurs.
4C’est ainsi que les motifs et les encouragements financiers, l’amplitude de l’offre résidentielle par rapport aux moyens existants en milieu ouvert et le credo dans la thérapie et/ou le traitement médical, qui semble encore à l’heure actuelle toujours bien présent, ne seront pas débattus. Néanmoins, tous ces éléments — et peut-être encore tant d’autres — peuvent être aussi décisifs dans le cheminement (du jeune) vers la psychiatrie, que l’élément qui retient notre attention ici, notamment les voies juridiques, administratives et « volontaires » existantes qui permettent le placement d’un mineur en psychiatrie.
5Ces voies sont nombreuses, très nombreuses même. Une petite maison à différents portails... rappelez-vous.
II. Loi sur la protection de la jeunesse : article 43
PISTE « JEUNESSE »
Voie judiciaire
Loi sur la protection de la jeunesse (8 avril 1965), art. 43 : collocation en établissement psychiatrique
• conditions : – le juge de la jeunesse doit être compétent,
– une expertise psychiatrique doit précéder,
– par décision motivée du juge de la jeunesse.
• particularités
pendant la durée de la collocation, la loi du 8 avril 1965 est suspendue. La loi sur le régime des aliénés (1850-1873) est appliquée.
6La loi sur la protection de la jeunesse (8 avril 1965) dispose dans son article 43 que « Lorsqu’en raison de l’état mental du mineur, son séjour dans un établissement psychiatrique est nécessaire, le tribunal de jeunesse peut, après expertise psychiatrique et par décision motivée, ordonner sa collocation (...) ». L’application de cette mesure judiciaire suspend la compétence du juge de la jeunesse dans le dossier et la loi sur le régime des aliénés (1850-1873), qui règle la collocation en général, doit être suivie.
7Cette collocation de mineurs est unique par la décision judiciaire qui doit la précéder. En effet, la collocation par application de la loi de 1850 se réalise par voie administrative et fait, par conséquent, l’objet de nombreuses critiques vu le manque absolu de garanties pour le colloqué1. Nous y reviendrons dans nos conclusions.
8Une analyse des développements de la loi sur la protection de la jeunesse (8 avril 1965) nous apprend que l’insertion d’une procédure de collocation réservée aux mineurs d’âge a été inspirée par les problèmes rencontrés lors de l’application simultanée de la loi sur la protection de l’enfance (15 mai 1912) et la loi sur le régime des aliénés. C’est la proposition de loi Terwagne, déposée le 22 juin 1960, qui reprend cette procédure unique pour mineurs pour la première fois. Elle sera reprise, légèrement modifiée dans le projet Vermeylen qui mènera à la loi de 1965.
9Dans son avis sur le projet Vermeylen (16 mai 1963), le Conseil d’État remarquait que la formulation de l’article 43 permettrait une application extensive. L’article ne vise en effet pas uniquement les jeunes délinquants mais tous les mineurs objets de la loi sur la protection de la jeunesse.
10Les statistiques venant de l’Office de la protection de la jeunesse nous apprennent cependant que la collocation par l’article 43 ne concerne annuellement qu’une trentaine de mineurs, dont la plupart sont des filles. En 1985, par exemple, la mesure était appliquée dans 26 cas, dont 20 dans l’arrondissement judiciaire de Louvain2.
11Voilà un mot d’explication quant à la procédure de collocation introduite par la loi sur la protection de la jeunesse, et réservée uniquement aux mineurs. Pourtant, l’ambition du législateur d’éviter par cette procédure la coexistence de plusieurs autres procédures de placement en institution psychiatrique semble actuellement loin d’être réalisée.
III. Pistes « Adultes »
PISTES « ADULTES »
1. Voie administrative
Loi sur le régime des aliénés (18 juin 1850-28 décembre 1873) :
• condition : dans tous les cas qui peuvent concerner les mineurs, la condition suivante est posée :
un certificat constatant l’état mental, délivré par un médecin non attaché à l’établissement et datant de quinze jours au maximum.
• à l’initiative de : 1) l’autorité locale du domicile de secours d’un aliéné indigent,
2) l’autorité locale compétente par application de l’article 95 de la loi communale,
3) toute personne intéressée (+ visa du bourgmestre de la commune où l’aliéné se trouvera),
4) la députation permanente du Conseil provincial.
2. Voie judiciaire
Loi de défense sociale à l’égard des anormaux et des délinquants d’habitude (9 avril 1930-1er juillet 1964)
• condition : dessaisissement du juge de la jeunesse (art. 38 de la loi sur la protection de la jeunesse).
• possibilités : – mise en observation (juge d’instruction),
– internement.
12Les pistes qui peuvent faire entrer un adulte en psychiatrie sont en principe encore toujours toutes sans restriction applicables aux mineurs.
3.1. Loi sur le régime des aliénés (18 juin 1850-28 décembre 1873)
13La loi sur le régime des aliénés (18 juin 1850-28 décembre 1873) mentionnée déjà, vise toute personne atteinte d’aliénation mentale. Les premières constatations faites à travers des contacts pris en vue de la préparation de ces journées semblent indiquer que les mineurs continuent à être l’objet de cette procédure administrative de collocation. Paradoxalement, ce sont les juges de la jeunesse qui paraissent se trouver à l’origine de cette démarche. Ce sont eux qui prennent l’initiative dans plusieurs cas.
3.2. Loi de défense sociale à l’égard des anormaux et des délinquants d’habitude (9 avril 1930-1er juillet 1964)
14Les mineurs d’âge traduits devant les juridictions pénales pour adultes peuvent en principe aussi être condamnés sur base de la loi de défense sociale à l’égard des anormaux et des délinquants d’habitude (9 avril 1930-1er juillet 1964). Il s’agit d’une possibilité qui doit être précédée par un dessaisissement du tribunal de la jeunesse. L’article 38 de la loi sur la protection de la jeunesse prévoit une pareille procédure (de dessaisissement) pour le mineur déféré en raison d’un tait qualifié infraction et âgé de plus de seize ans accomplis au moment du fait.
15Une mise en observation et un internement peuvent, dans ces cas limités, être ordonnés au mineur.
IV. Pistes « Jeunesse »
PISTES « JEUNESSE »
1. Voies administratives
Loi sur la protection de la jeunesse (8 avril 1965)
a) art. 2 : Comité de protection de la jeunesse : action sociale préventive
• condition : consentement des parents.
b) art. 39-41 : mise à la disposition du gouvernement.
2. Voies judiciaires
Loi sur la protection de la jeunesse (8 avril 1965)
a) Mesures à l’égard des parents
art. 31, al. 2,4°:
placement dans (...) un établissement approprié en vue de (...) son traitement...
• conditions : « exceptionnellement ».
• possibilités : (1) – par ordonnance,
– par jugement.
(2) – direct,
– indirect (loi sur l’enseignement spécial – 6 juillet 1970).
b) Mesures à l’égard des mineurs
1) art. 37, 3° : placement dans (...) un établissement approprié en vue de (...) son traitement...
• conditions : nihil.
• possibilités : – par ordonnance,
– par jugement.
2) art. 43 : collocation en établissement psychiatrique.
16La loi sur la protection de la jeunesse prévoit donc, en plus des voies identiques à celles des adultes et en plus de son propre article 43, quelques pistes supplémentaires autorisant le placement de mineurs en institution psychiatrique par décision administrative et par décision judiciaire.
4.1. Pistes administratives
17Les pistes administratives se limitent à l’article 2 dans le cadre de la protection sociale de la jeunesse, d’une part, et à la mise à la disposition du gouvernement (art. 39-41), d’autre part.
a. La protection sociale
18Dans son action sociale préventive, le comité de protection de la jeunesse peut (pouvait, quand on parle pour la Communauté flamande), à condition que les parents soient d’accord, renvoyer le jeune en danger vers une institution psychiatrique.
19En Flandre, le décret relatif à l’assistance spéciale à la jeunesse (27 juin 1985) a remplacé la loi de 1965 quant à la protection sociale. Les comités de sollicitude pour la jeunesse, institués dans chaque arrondissement administratif interviennent dans des situations d’éducation problématique. Un placement en psychiatrie peut découler d’une pareille intervention. Le décret ne l’empêche pas non plus. La seule différence réelle par rapport à la loi de 1965 semble la nécessité de l’accord du mineur dès qu’il a atteint l’âge de 14 ans.
b. La mise à la disposition du gouvernement
20La deuxième piste administrative concerne la mise à la disposition du gouvernement (art. 39-41). Après cette décision prise par le tribunal de la jeunesse, le ministre de la Justice ou les ministres compétents des deux Communautés linguistiques3 peuvent actuellement soumettre le mineur e.a. à la mesure prévue pour l’article 37,3° de la loi du 8 avril 1965 : le placement (...) dans un établissement approprié en vue de son traitement. Un institut psychiatrique pourrait être le moyen le plus approprié en vue d’accomplir cette finalité (c’est-à-dire le traitement).
4.2. Pistes judiciaires
a. Article 37, 3°
21Cette modalité de placement trouve donc son origine dans l’article 37, 3° de la même loi. Il s’agit d’une des mesures à l’égard des mineurs auxquelles le juge de la jeunesse peut faire appel dans ses ordonnances et dans ses jugements. Cet article peut autoriser le juge de la jeunesse à placer un mineur dans un institut psychiatrique sans conditions posées au préalable. Une expertise médicale et/ou psychiatrique n’est, par exemple, pas nécessaire.
b. Article 30-31
22L’assistance éducative, une des techniques innovatrices prévues par le législateur en 1965 est pour le mineur une deuxième entrée dans l’institution psychiatrique, dont la clef se trouve dans les mains de son juge.
23Bien qu’il s’agisse d’une mesure à l’égard des parents qui devrait s’effectuer en principe dans le milieu même du jeune, on a jugé quand même nécessaire de prévoir exceptionnellement l’obligation pour les parents de placer leur enfant. A nouveau, la loi mentionne un établissement approprié en vue de son (...) traitement comme modalité de placement.
24La loi sur l’enseignement spécial (6 juillet 1970) prévoit dans son article 10 cette même piste contraignante quand les parents refusent de suivre les conseils de la Commission consultative de l’enseignement spécial. Cette commission peut alors communiquer le dossier au juge de la jeunesse en vue de la possibilité d’appliquer une mesure d’assistance éducative.
V. Pistes « volontaires »
25A côté des pistes administratives et judiciaires, le placement « volontaire » des jeunes en psychiatrie est également à prendre en considération. Un grand nombre d’hôpitaux, par exemple, disposent d’une section K (service neuropsychiatrique pour enfants) (cf. loi du 23 décembre 1963 et l’A.R. du 3 août 1976), dans laquelle des jeunes touchés de troubles mentaux peuvent être accueillis « volontairement ».
26En 1985, par exemple, on notait 120 placements de ce type en Flandre4.
27Le Fonds 81, le fonds de soins médicaux, sociaux et pédagogiques réservé aux handicapés, favorise le placement de mineurs caractériels, atteints de troubles névrotiques et prépsychotiques (la catégorie 14). D’une part, ce Fonds prévoit la possibilité de financement d’un placement ordonné (par le tribunal de la jeunesse ou autres instances). D’autre part, le Fonds encourage le placement « volontaire » de mineurs.
28Dans les deux cas, le gouverneur de la province où le mineur a sa résidence doit au préalable accepter la demande d’être considéré comme « caractériel ». Cette demande peut être faite par le mineur même, ses tuteurs, le président du C.P. A.S, le président du C.P.J., et même le directeur de l’institut où le jeune est déjà placé.
29Des questions peuvent donc être posées quant au caractère volontaire d’un pareil placement pour le mineur.
VI. Conclusions
30Voilà la fin de la brève excursion tracée le long des sentiers (ou s’agit-il plutôt de boulevards) qui peuvent amener le jeune à l’institution psychiatrique ouverte ou fermée. Le texte essaie d’être le plus clair possible. C’est ainsi qu’on n’a pas pu toucher à tous les détails, souvent juridiques.
31On espère pourtant qu’il a démontré la multiplicité des voies légales autorisant la psychiatrisation de mineurs. Cette multiplicité de pistes administratives, judiciaires et « volontaires » devrait constituer un élément de réflexion indépendamment de toute discussion sur leur application effective.
32Même si aucun mineur n’était concerné, le constat de leur existence devrait suffire pour nous inquiéter. Aussi longtemps que les armes existeront, elles pourront servir à se battre. Aussi longtemps que les pistes envers la psychiatrie survivront, elles pourront être appliquées.
33Et qui parmi nous peut prétendre qu’il maîtrise tous les éléments qui pourraient un jour amener les seuils des institutions psychiatriques à être encombrés de mineurs ? Ce jour peut paraître lointain mais, toutefois, on peut se demander s’il n’est pas bien proche. La discussion autour de l’abrogation du placement des mineurs en prison semble en effet avoir déjà abouti dans quelques arrondissements judiciaires à une application plus élevée de la collocation par application de l’art. 43.
34L’impuissance existant au sein des tribunaux de la jeunesse face aux jeunes dits extrêmement difficiles, y retrouvera-t-elle son issue... ? Le législateur flamand semble le confirmer. Dans un avant-projet de décret relatif à la protection judiciaire, on retrouve parmi les mesures ordinaires applicables aux mineurs délinquants et mineurs en situation d’éducation problématique, la possibilité de placer le jeune en institut psychiatrique...
35Nous nous sommes posé la question de savoir si on devait intituler les voies autorisant la psychiatrisation de mineurs, des sentiers ou des boulevards. L’absence sur la plupart des pistes du moindre obstacle dirige notre préférence envers « le boulevard ». Les garanties prévues pour le mineur aux différents stades et sur les différentes pistes sont, par exemple, peu nombreuses ; de temps en temps, même inexistantes. Il s’agit là d’une problématique exemplaire du fonctionnement de notre système de protection de la jeunesse ; exemplaire aussi des rapports parfois peu respectueux de notre société face à ses jeunes, que l’on a encore tant de mal à considérer comme des êtres à part entière.
36Tout ceci pourrait également nuancer les plaidoyers menés depuis plus de vingt ans en Belgique en faveur d’une judiciarisation de la procédure de collocation des adultes. La finalité de cette proposition de réforme de la loi sur la collocation se trouve entre autres dans les garanties qu’une procédure judiciaire pourrait fournir... Le caractère conditionnel qu’on devrait attribuer à cette thèse, semble au moins être démontré par la protection de la jeunesse.
Notes de bas de page
1 La Cour Européenne des droits de l’homme soulignait dans un arrêt du 24 octobre 1979 (l’affaire WINTERWERP) ce manque de garanties et par conséquent la contradication avec la Convention Européenne des Droits de l’homme.
2 Les chiffres nous ont été fournis par le Ministère de la Justice, Office de Protection de la Jeunesse, Données Statistiques relatives à l’application de la loi du 8 avril 1965 pour les années 1967 à 1985.
3 Le Ministre de la Justice est compétent en matière de mesures prises à l’égard des mineurs ayant commis des faits qualifiés infraction (article 36,4°). Les Communautés sont compétentes dans tous les autres cas (mineure en danger, article 36,2° ; inconduite et indiscipline, article 36,1° ; vagabondage et mendicité, article 36,3°). Cfr Loi spéciale de réforme institutionnelle du 8 août 1988.
4 Ministère de la Santé, statistiques relatives à la population dans les hôpitaux psychiatriques en 1985.
Auteurs
Assistant à la Rijksuniversiteit Gent
Professeur à la Rijksuniversiteit Gent
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