Introduction
p. 9-13
Texte intégral
1Trois ans après avoir organisé les premières journées de formation en criminologie consacrées aux politiques et pratiques en matière de protection de la jeunesse, la Faculté de droit des Facultés universitaires Saint-Louis et l’École de criminologie de l’Université catholique de Louvain proposent aujourd’hui deux journées de formation consacrées au placement judiciaire des mineurs en institution psychiatrique ouverte ou fermée.
2Les membres du comité scientifique ont travaillé avec d’autant plus d’intérêt à la conception et à l’organisation de ces journées que ce thème leur a paru particulièrement pertinent dans la mesure où il fut très peu étudié jusqu’à présent. S’il a suscité de vives émotions et de nombreuses questions dans l’opinion publique à l’occasion de la polémique autour de la « Petite Maison » à Chastres, il faut bien reconnaître qu’il fut rarement envisagé par ceux qui s’intéressent à un titre ou à un autre aux questions que pose l’organisation du système de protection de la jeunesse dans notre pays et nos communautés. Nous voudrions, au cours de ces journées de formation, nous situer en dehors de ces polémiques et tenter de nous informer et de nous interroger sur la nature et les significations des pratiques de placement psychiatrique dans notre pays et dans nos communautés.
3Si de grands débats ont animé les chercheurs et les praticiens durant les années 1970, on constate que ceux-ci se sont développés, d’une part, dans le domaine de la psychiatrie et de l’antipsychiatrie et, d’autre part, à partir des revendications relatives aux droits des jeunes et à la recherche de leur autonomie. Mais ces débats ne se sont pratiquement jamais croisés ou rencontrés. Au cours de nos recherches, nous n’avons trouvé pratiquement aucun texte qui traite directement de la question des mineurs placés dans des établissements psychiatriques, à la demande du juge de la jeunesse ou d’autres instances. A en croire la littérature pourtant prolifique sur la protection de la jeunesse, on dirait qu’il s’agit d’une pratique quasi inexistante ou ne posant guère de problème. Et pourtant, ceux qui possèdent une expérience professionnelle le savent certainement, et nous allons le constater au cours des différents exposés qui vont suivre, la réalité apparaît comme extrêmement complexe, tant en ce qui concerne les diverses procédures de placement que les objectifs qu’elles poursuivent et les pratiques qu’elles entraînent.
4Ces journées de formation poursuivent un triple objectif : un objectif d’information théorique tout d’abord, un objectif d’analyse des pratiques ensuite, et enfin un objectif de réflexion et de discussion à propos des interrogations qui subsistent.
I. Objectif d’information
5Il s’agira d’éclairer le plus précisément et le plus exactement possible au sujet des voies juridiques qui organisent la pratique du placement des mineurs dans des établissements psychiatriques en Belgique aujourd’hui. Et ceci permet de délimiter le champ qui sera couvert au cours de ces journées : nous traiterons du placement psychiatrique, mais uniquement en tant que placement judiciaire et, plus précisément, dans le cadre de ce que l’on appelle la « protection de la jeunesse » et qui est organisé par les dispositions de la loi de 1965 sur la protection de la jeunesse.
61. Que signifie la notion de placement psychiatrique pour un mineur ? En quoi se distingue-t-elle du « simple » placement d’une part et des psychothérapies que l’on peut qualifier d’ambulatoires d’autre part ?
7Pour éclairer de manière complète cette question, il aurait sans doute fallu s’interroger sur la nature et la signification des multiples possibilités d’intervention psychologique et psychiatrique existant dans le cadre de la loi sur la protection de la jeunesse. Mais ceci est rapidement apparu comme constituant une problématique tellement complexe qu’elle devrait faire l’objet de journées d’études spécifiques. Nous avons dès lors décidé de nous limiter aux interventions qui aboutissent à une décision de placement.
82. Qui décide et dans quelles circonstances ? Quelles sont les procédures à suivre, quelles sont à cet égard les rôles respectifs du juge et de l’expert, psychiatre ou psychologue ? Comment chacun est-il acteur de ce processus et quelles sont ses responsabilités ? Au niveau du tribunal, des médecins, des experts, et des institutions de placement ?
93. Quelle est la différence entre la collocation et le placement en institution psychiatrique ?
10Si les statistiques montrent peu de décisions de collocation, que ce soit en application de la loi de 1965 ou de la loi sur la collocation de 1850, on rencontre cependant beaucoup de jeunes placés dans des établissements psychiatriques, par simple décision de placement. Et il ne s’agit cependant pas de se livrer à des querelles de chiffres, mais plutôt de se demander pourquoi les juges préfèrent une procédure à une autre, quel en est le sens et quels en sont les effets.
114. Dans quel type d’établissement peut-on placer un mineur que l’on souhaite faire traiter au point de vue psychiatrique ? Quelle peut être la durée d’un tel placement et qui en décide ? Quelles sont les conditions de sortie ? Etc.
II. Objectif d’analyse des pratiques actuelles
12A travers cet objectif, on tentera d’éclairer aussi précisément que possible, les situations concrètes en matière de placement des mineurs en institution psychiatrique. Les exposés et interventions des orateurs venus de différents horizons permettront de rendre compte des points de vue de chacun face à une réalité éminemment complexe et difficile à saisir.
13Quelles sont les procédures généralement utilisées pour placer un mineur en institution psychiatrique ?
14Quelle est la trajectoire de ces jeunes et quand prend-on de telles mesures à leur égard ?
15Dans quel type d’établissement trouve-t-on des mineurs qui font l’objet d’un traitement psychiatrique ?
16Quels sont les statuts de ces établissements ?
17Quels types de traitement proposent-ils ?
18Quels contacts gardent-ils avec le juge qui a décidé le placement ?
19A toutes ces questions, il ne sera pas possible d’apporter des réponses globales et valables pour l’ensemble de la communauté française. Même si une tentative de typologie des établissements psychiatriques a pu être réalisée, on verra que le développement des institutions et les règles de fonctionnement de celles-ci subissent des évolutions particulières et liées à des conjonctures spécifiques. C’est donc essentiellement sur base d’informations ponctuelles obtenues sur le terrain que nous tenterons d’analyser ces pratiques et d’en donner les principales caractéristiques telles qu’elles apparaissent aujourd’hui.
III. Objectif de réflexion et de discussion
20Dans le cadre de ces journées de formation, il nous semble très important de nous interroger sur la signification des textes et des pratiques ainsi que sur leurs enjeux, mais de le faire dans une perspective constructive qui permette à chacun, au terme de ces journées, d’avoir acquis les outils pour une meilleure évaluation de certaines situations et une appréciation des contradictions qu’elles peuvent recouvrir.
21En guise d’introduction et de manière non limitative, j’évoquerai trois groupes de questions qui soulèvent des problèmes difficiles et qui feront sans doute l’objet de débats entre tous les participants.
221. En premier lieu, se pose la question du sens des placements psychiatriques non volontaires au regard des principes des libertés fondamentales et plus particulièrement des droits qui devraient être reconnus aux mineurs.
23Quel peut être le sens et la fonction des pratiques de placement psychiatrique ? Quel peut être leur sens du point de vue du juriste tout d’abord, du juriste qui se veut garant des libertés individuelles que la Convention européenne des droits de l’homme rappelle ? Quel peut être leur sens du point de vue du psychologue ou du psychiatre qui agit dans l’intérêt du patient et pour accroître finalement sa liberté et son autonomie ? Quelle signification chacun donne-t-il à ce terme de liberté et quel dialogue est possible entre eux à ce sujet ? Quel rapport peut-on établir entre une liberté posée comme un principe ou fondement d’un système démocratique et une liberté vécue, ou un sentiment de liberté constitutif du sujet et de ses potentialités d’action ?
242. Un second ensemble de questions concerne la possibilité d’une action thérapeutique dans le cadre de placements non volontaires comme le sont la plupart de ces placements ?
25Se pose ici, bien que ce soit dans des termes assez nettement différents, un problème qui comporte des analogies avec celui de l’« aide-contrainte », souvent abordé par les équipes de milieu ouvert qui travaillent sur mandat judiciaire. Certes, il prend, dans le cadre qui nous préoccupe, des allures souvent plus dramatiques dans la mesure où le mineur placé l’est pour un temps indéterminé et que les thérapeutiques mises en place peuvent prendre des formes qui finissent par envahir la totalité de la personne et à supprimer toute possibilité de choix du sujet.
263. Enfin, un troisième type de problème mérite attention.
27Si l’on prend en considération les pratiques actuelles et les catégories de jeunes concernés, si l’on tient compte des membres de l’entourage des mineurs qui, dans certains cas et peut-être même assez souvent, souhaitent que les mineurs soient placés, on est amené à se poser la question suivante ; faut-il concevoir le placement en institution psychiatrique comme un traitement individuel proposé ou imposé à un jeune, dans l’intérêt de ce jeune, ou n’est-il pas plutôt une mesure de contrôle social ou, plus exactement, une réaction de la société qui exclut un de ses membres pour un temps plus ou moins long ? Car on peut se demander qui sont réellement ces jeunes placés en institution psychiatrique ? S’agit-il de jeunes malades mentaux ou bien de jeunes délinquants considérés comme dangereux dans leur milieu de vie ou dans l’institution dans laquelle ils étaient placés antérieurement ? Ce sont en effet, le plus souvent, des jeunes « en bout de course », des jeunes dont les comportements paraissent insupportables pour l’entourage. Faut-il dire alors que les « psychiatrisés », ce sont ceux que les autres ne peuvent plus tolérer et que le placement s’effectue autant dans l’intérêt de leur entourage, sinon plus, que dans celui du mineur ? Mais comment concevoir alors cet enfermement et comment le présenter au jeune qui en est l’objet ou la victime ? Comment en d’autres termes, gérer ces situations problématiques où, pour la sauvegarde d’un groupe et peut-être de lui-même, un jeune se voit temporairement exclu de la vie de ce groupe ? Comment se situer par rapport à cette question en tenant compte à la fois des intérêts du groupe et de celui qui en est exclu ? On a sans doute affaire à des intérêts qui peuvent devenir contradictoires mais qui posent en tout cas la question de l’« intérêt » du mineur, ou de la manière dont cet intérêt est pris en compte ? Comment, en d’autres termes, considérer le jeune qui fait l’objet d’un placement psychiatrique contre son gré comme un sujet et non comme un objet ?
28Voilà, très brièvement énoncées, quelques-unes des questions qui traverseront les différents exposés qui vont être présentés. Elles le seront avec la volonté de donner les informations les plus complètes et le moins de parti pris possible, même si chacun des intervenants aura à cœur de défendre son point de vue en fonction de ses connaissances, de sa position et de ses choix théoriques et éthiques.
29Les quatre thèmes proposés seront introduits par plusieurs orateurs de disciplines différentes ou qui appréhendent la question du placement psychiatrique à partir de points de vue différents : juriste, avocat, juge, psychologue, psychiatre, travailleur social, théoricien ou praticien. Les différentes interventions se répondent et introduisent à un dialogue avec tous les participants. Nous souhaitons en effet que chacun se sente interpellé, se constitue comme participant actif à ce processus de formation, qu’il puisse communiquer les informations dont il dispose et l’expérience qu’il a vécue. Qu’il puisse également faire part de son point de vue.
30Ces deux journées de formation auront atteint leur objectif si l’information parvient réellement à circuler entre tous, entre les intervenants et le public, si les exposés ne clôturent pas une question mais introduisent à un véritable débat qui amène chacun à se remettre en question et à approfondir sa réflexion sur un sujet difficile et complexe.
Auteur
Chef de travaux à l’Université catholique de Louvain
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