L’accès à la nationalité belge
p. 159-182
Texte intégral
Introduction
11. La nationalité a notamment été définie comme « l’appartenance juridique et politique d’une personne à la population constitutive d’un Etat »1.
2Il peut paraître paradoxal de parler de nationalité belge dans le cadre de journées consacrées au droit des étrangers. Pourtant, depuis plus d’une décennie, la nationalité se trouve régulièrement au centre de tout débat sur l’immigration en Belgique. Elle est souvent perçue comme instrument d’une meilleure intégration des jeunes immigrés dans la vie sociale du royaume. Certains milieux espèrent au contraire en renforcer les conditions d’octroi, dans l’illusion, sans doute, de mieux protéger les nationaux contre le « péril » étranger...
32. En Belgique, pays favorable au ius sanguinis, la nationalité procédait jadis traditionnellement de la filiation paternelle. Lorsqu’il s’agissait de l’accorder aux étrangers, elle était considérée comme une faveur pour ceux qui s’en montraient réellement dignes2. Entré en vigueur le 1er janvier 1985, le Code de la nationalité belge annonçait déjà une évolution profonde subie par le concept même de nationalité, depuis l’élaboration des lois antérieures.
4Cette mutation n’est pas étrangère au contexte économique et social dans lequel l’immigration s’est inscrite aux lendemains de la seconde guerre mondiale. L’immigration est d’abord une réalité essentiellement économique puisque la Belgique, comme ses voisins, fait appel à l’étranger pour pallier le manque de main-d’œuvre intérieur3. Elle devient ensuite familiale et durable4. Malgré l’avènement d’une crise économique grave, au début des années septante, avec son cortège de tensions sociales teintées parfois de xénophobie, l’idée naît que la nationalité ne doit plus être envisagée à la seule lumière de l’unité raciale, culturelle, morale et religieuse. Cette idéologie a peu à peu cédé la place à une « conception établissant que la nationalité [...] doit [...] correspondre à des liens socio-économiques effectifs entre l’individu et l’Etat en question »5.
5La loi du 28 juin 1984 relative à certains aspects de la condition des étrangers et instituant le Code de la nationalité belge, en était le premier témoin6. A peine sept ans plus tard, d’autres réformes constitutionnelles et législatives7 ont poursuivi, sans l’achever, la métamorphose du droit de la nationalité.
63. La présente contribution portera principalement sur les règles applicables à l’attribution de la nationalité belge aux immigrés des deuxième et troisième générations, depuis l’entrée en vigueur, le 1er janvier 1992, de la loi du 13 juin 1991 modifiant le Code de la nationalité belge et les articles 569 et 628 du Code judiciaire.
7Présentant à la Chambre le projet gouvernemental qui présida à l’élaboration des dispositions nouvelles, le Ministre de la Justice présuma bien de ce qui deviendrait la préoccupation essentielle du législateur, au cours des travaux préparatoires : « l’accession à la nationalité belge constitue un facteur parmi d’autres susceptible de favoriser le processus d’intégration. En effet, elle ne gomme pas toutes les discriminations, mais permet en tout cas d’échapper à celles qui sont basées sur la nationalité. »8
8Le texte proposé, même dans sa version finale, est conforme aux options de la Conférence interministérielle de la politique de l’immigration du 6 mars 1990 et ses principes de base s’inspirent profondément du premier rapport établi par le Commissariat royal à la politique des immigrés, présenté au Premier Ministre en novembre 19899.
9La lecture du texte de loi nous apprend que seuls, deux articles du Code sont révisés (art. 11 et 23) tandis que deux autres y sont insérés (art. 11bis et 12bis). Mais l’importance d’une réforme ne se mesure pas au nombre de dispositions légales modifiées... Cette année, l’accès à la nationalité belge par application du ius soli a acquis ses véritables lettres de noblesse puisqu’on peut désormais parler d’attribution « automatique » de la nationalité belge en raison de la naissance sur le sol belge, d’auteurs eux-mêmes, nés en Belgique10.
104. La naturalisation qui reste pour la première génération d’immigrés le moyen privilégié d’accéder à la citoyenneté belge ne retiendra qu’occasionnellement notre attention, même si elle fut également touchée par un vent de réforme, censé lui donner une nouvelle fraîcheur. L’archaïsme d’une naturalisation à deux vitesses (naturalisation ordinaire, grande naturalisation) avait été dénoncé avant même l’entrée en vigueur du Code de la nationalité belge de 1984. En 1991, c’est sans réel débat que la suppression de la distinction entre les deux formes de naturalisation a été adoptée tant son principe était déjà acquis à l’unanimité11. Il reste à présent à réviser toutes les dispositions légales qui consacrent encore la discrimination. Tel est l’objet du projet de loi déposé au cours de la législation précédente, qui fut relevé de caducité par la loi du 28 mars 199212. L’ouvrage est donc encore sur le métier. Il n’est pas interdit de penser qu’il doive y revenir encore car d’aucuns souhaitent ardemment que la compétence de décision en cette matière soit transférée au pouvoir judiciaire.
115. Avant de présenter les mesures nouvelles prévues par la loi du 13 juin 1991, nous tenterons de dégager les enjeux de l’obtention de la nationalité belge par les étrangers en séjour régulier et durable en Belgique, tant aux yeux des principaux intéressés que pour le législateur et donc, la société belge tout entière.
Section 1. La nationalité, condition, facteur ou conséquence de l’intégration ?
A. La position du Commissariat royal à la politique des immigrés
126. « Le rôle que peut jouer l’acquisition de la nationalité du pays d’accueil dans le processus d’intégration ne peut être ni sous-estimé, ni sur-estimé »13.
13Le Commissariat royal à la politique des immigrés s’est vu assigner pour mission en mars 1989, d’examiner et de proposer les mesures utiles qui, à son estime, contribueraient à la réalisation d’une cohabitation harmonieuse de tous les habitants du pays, notamment dans les relations entre immigrés et population belge14. Dans cette optique, le rôle que peut jouer l’attribution ou l’acquisition de la nationalité belge pour des étrangers établis dans le royaume de manière durable, n’a pas été négligé15. Toutefois, le Commissariat met dès l’abord en garde contre un enthousiasme exacerbé, qui inciterait à voir dans l’octroi de la nationalité belge, LA solution à toutes les tensions sociales, telles celles qui ont été vécues dernièrement dans plusieurs communes bruxelloises.
147. Selon le Commissariat royal, la fonction de l’acquisition de la nationalité du pays d’accueil dans le processus d’intégration ne peut être sur-estimée car celle-ci permet « seulement » d’échapper aux traitements différenciés fondés sur le seul critère de nationalité.
15On relèvera entre autres que l’accession à la nationalité n’a pas nécessairement d’influence sur l’attitude des Belges autochtones, d’autant que « pas plus que les frontières politiques des Etats ne s’observent sur la planète Terre, la nationalité d’une personne ne se devine sur son visage »16.
16L’acquisition de la nationalité belge, comme moyen d’intégration, ne peut non plus être sous-estimée, car elle signifie malgré tout, pour l’intéressé, l’exercice de droits (mais aussi de devoirs) qui lui étaient jadis refusés. Et le Commissariat royal de citer la sécurité de séjour, la pleine participation à la vie économique sans entraves administratives, les droits politiques17,...
17L’accession à la nationalité peut être pour certains un outil important d’intégration sociale, bien qu’insuffisant à lui seul, mais le Commissariat royal affirme ensuite avec force qu’elle n’est pas une condition sine qua non d’intégration : à cet égard, il distingue les étrangers communautaires et non-communautaires. Ceux-ci risquent, dans l’Union européenne, d’être marginalisés et leur intérêt à acquérir la nationalité belge augmente, tandis qu’il baisse en ce qui concerne les ressortissants CEE18.
188. L’obtention de la nationalité belge est donc certainement un moyen d’intégration sociale, mais pour le Commissariat royal, elle doit manifestement aussi en être parfois la conséquence, les prémisses fussent-ils présumés.
19En prônant l’octroi automatique de la nationalité belge aux immigrés de la troisième génération, ne suppose-t-il pas que le lien effectif existant entre l’individu et la société belge par delà trois générations est la preuve même de son attachement au pays, de son intégration ? Il soutient en tout cas qu’il est de l’intérêt de la société elle-même de ne pas maintenir en son sein, pendant plusieurs générations, une population étrangère composée « de citoyens de seconde zone »19.
209. La position du Commissariat royal à l’égard de la troisième génération immigrée — et, dans une moindre mesure, de la deuxième génération — sera ci-après plus amplement détaillée20. Elle va de pair avec la définition qu’il donne de l’intégration :
21« Ce concept d’intégration
221. part de la notion “d’insertion” répondant aux critères suivants :
- assimilation là où l’ordre public l’impose ;
- promotion conséquente d’une insertion la plus poussée conformément aux principes sociaux fondamentaux concernant la culture du pays d’accueil et tenant à la “modernité”, à l’“émancipation” et au “pluralisme confirmé” dans le sens donné par un Etat occidental moderne ;
- respect sans équivoque de la diversité culturelle en tant qu’enrichissement réciproque dans les autres domaines ;
232. va de pair avec une promotion de l’implication structurelle des minorités aux activités et objectifs des Pouvoirs Publics »21.
24Ainsi « intégration » n’est le synonyme ni d’« idonéité », ni d’« assimilation », notions courantes sous l’empire des lois coordonnées du 14 décembre 193222. Sous réserve du respect des principes fondamentaux inscrits ou, à tout le moins, acquis dans l’ordre juridique et social belge23, il faut admettre que l’étranger en séjour durable dans le royaume, puisse souhaiter continuer à vivre dans un schéma culturel différent24. Dans le même ordre d’idée, le Commissariat royal à la politique des immigrés envisage de manière favorable la bipatridie des enfants de la troisième génération, belges par le sol, et de nationalité étrangère par le sang. Il plaide pour que « dans un esprit de respect mutuel, les pays concernés se sentent tenus d’accepter et de reconnaître la conception belge en matière de nationalité »25.
B. L’évolution du concept de nationalité dans la législation
2510. Sous l’empire des lois coordonnées du 14 décembre 1932, l’étranger qui souhaitait acquérir la nationalité belge par option, devait notamment remplir une condition spécifique d’idonéité26. Les critères établissant cette idonéité n’ont pas été plus amplement définis. Le soin avait été laissé aux juridictions compétentes d’apprécier souverainement la condition d’idonéité sous le triple point de vue de la moralité, du loyalisme et de l’attachement de l’optant à la Belgique27.
26La doctrine et la jurisprudence majoritaires avaient généralement admis que lorsqu’étaient acquises les conditions objectives prescrites aux articles 6 et 8 des lois coordonnées, une présomption iuris tantum d’idonéité jouait en faveur de l’intéressé28.
27Certaines décisions de l’époque attestent par ailleurs que « l’assimilation de l’étranger à la communauté belge », quoique non expressément prévue par les dispositions législatives en vigueur, était clairement rangée parmi les conditions prouvant l'idonéité du candidat : « l’agréation d’option de patrie est une faveur et une marque de confiance qui ne peuvent être accordées sans garanties suffisantes d’assimilation totale au milieu belge. »29
28Avant 1985, l’accession à la nationalité belge était donc essentiellement perçue comme le couronnement du processus d’intégration, voire d’assimilation, de l’(ex-) étranger dans la communauté belge.
2911. Le Code de la nationalité belge a abandonné la notion d’idonéité et opté pour le critère d’intégration30. C’est la notion de volonté d’intrégration qui apparaît à l’article 15 § 2 du Code, relatif à l’option de patrie. Mission est donnée au tribunal de Première Instance de refuser l’agrément de l’option « s’il y a des raisons, qu’il doit également préciser, d’estimer que la volonté d’intégration du déclarant est insuffisante »31. L’article 16 § 2 qui traite de l’acquisition de la nationalité par le conjoint étranger d’une personne belge et l’article 21 § 1er alinéa 2, en matière de naturalisation, font également référence à cette volonté d’intégration.
30La différence la plus marquante entre le critère d’intégration et l’ancienne appréciation de l’idonéité réside dans le fait qu’il n’est plus exigé de l’étranger qu’il se « dénaturalise » et se coule dans un moule façonné à l’image du Belge de souche32. Il peut, s’il le souhaite, conserver sa nationalité d’origine, ses coutumes ou sa religion, pour autant qu’il affirme une volonté de vivre en harmonie avec la population autochtone33.
31Une fois encore, la nationalité est alors une conséquence de l’intégration réussie de l’individu dans la société belge.
3212. En revanche, l’article 11 du Code de la nationalité belge, en sa version ancienne, a innové remarquablement quant à l’enjeu de l’obtention de la nationalité belge. Il a démontré clairement la volonté du législateur d’user également de la nationalité comme moyen d’intégration. Cet article attribue la nationalité belge aux enfants de moins de douze ans issus de la troisième génération d’immigrés, sur simple déclaration d’un de ses auteurs et sans enquête préalable sinon la vérification des conditions objectives fixées par la loi.
33On peut y voir un pari sur le futur, un coup de pouce du législateur pour des chances accrues d’intégration34. Sans nécessairement nier les handicaps qui peuvent subsister dans le chef de l’immigré, même belge, il s’est surtout agi à notre avis, de lui conférer en droit, une nationalité qu’il possédait déjà en fait. La démarche volontaire du (des) parent(s) est alors confirmation de la présomption irréfragable d’intégration prévue par l’article 11 ancien.
3413. Mutatis mutandis, les mêmes réflexions peuvent être faites à propos des nouvelles dispositions entrées en vigueur le 1er janvier 1992. Certes, l’octroi automatique de la nationalité belge aux enfants de la troisième génération est un des moyens proposés par le Commissariat royal, pour assurer une meilleure harmonie entre la population belge et les immigrés et s’inscrit dans le cadre d’une politique globale visant à une meilleure intégration de la population immigrée. Mais il y a aussi à nouveau le sentiment que « le lien de l’enfant (de la troisième génération) avec la communauté nationale est de par l’insertion de sa famille dans celle-ci au plan économique, social et culturel, suffisamment étroit et donc effectif pour reconnaître dans le cadre de la nationalité, le principe de l’automaticité à la naissance »35.
Section 2. L’accès à la nationalité belge par les immigrés de la troisième génération depuis la loi du 13 juin 1991
A. Le double ius soli, une « obligatio soli »
3514. Selon l’alinéa 1er de l’article 11 nouveau du Code de la nationalité, « est Belge l’enfant né en Belgique d’un auteur né lui-même en Belgique et y ayant eu sa résidence principale durant cinq ans au cours des dix années précédant la naissance de l’enfant ».
36En son rapport, le Commissariat Royal a résolument plaidé pour une reconnaissance « automatique » de la nationalité belge, aux enfants de la troisième génération. Après avoir fait le simple calcul qu’au moment de la naissance de ces enfants, leur famille réside en Belgique, à tout le moins depuis une vingtaine d’années, il a insisté à plusieurs reprises, sur les « liens étroits existant objectivement entre l’enfant et la Belgique » et parallèlement, sur les « liens très lâches » qu’entretient encore la troisième génération avec le pays d’origine des parents. Mettant pleinement en œuvre le principe de la nationalité effective, le Commissariat Royal conclut que la nationalité belge doit être « imposée » aux enfants de la troisième génération36.
3715. En 1984, l’article 11 du Code de la nationalité belge avait déjà constitué l’une des innovations majeures du droit de la nationalité. Alors que les lois coordonnées du 14 décembre 1932 ne recouraient au ius soli que subsidiairement37, le Code introduisit la naissance en Belgique comme véritable mode d’acquisition de la nationalité : un enfant né en Belgique d’un auteur lui-même né en Belgique se voyait attribuer la nationalité belge sous réserve d’une démarche volontaire de l’un de ses parents au moins, effectuée avant qu’il atteigne l’âge de douze ans.
38Ce double droit du sol est sorti renforcé de la récente réforme du droit de la nationalité : le législateur s’est rallié à l’opinion émise par le Commissariat Royal et, en s’inspirant d’ailleurs de diverses législations étrangères38, il a consacré l’octroi automatique de la nationalité belge aux nouveaux-nés de la troisième génération.
3916. Ces enfants bénéficient donc d’une présomption irréfragable d’intégration dans la société belge, avant toute confrontation effective avec la vie sociale belge : depuis le 1er janvier 1992, ils sont belges de naissance, au même titre que tout autre enfant qui se voit attribuer la nationalité belge par le sang39.
40Dire qu’aucune discussion de principe n’eut lieu sur l’opportunité de cette mesure, serait mentir !
41En juin 1988 déjà, une proposition de loi, tentant un renforcement des conditions requises pour devenir belge, envisageait entre autres bouleversements, l’abrogation pure et simple de l’article 11 instauré par la loi du 28 juin 198440. Plus tard, tout au long des travaux parlementaires, plusieurs voix se sont élevées dans le même sens, faisant fi des multiples considérations contraires, contenues dans le rapport du Commissariat royal. Ainsi, trois sénateurs ont plaidé le retour « à la doctrine classique antérieure à la loi du 28 juin 1984 » selon laquelle la nationalité se transmettait avant tout par la filiation41. D’autres parlementaires, adoptant une position moins radicale, estimaient indispensable, le maintien, pour la troisième génération, d’une déclaration de volonté expresse — signe de l’attachement au pays et à la population — dont la sincérité serait soumise au contrôle des pouvoirs publics42. Mais tout amendement remettant en cause le principe du double ius soli et donc, la philosophie du projet, a été voué au rejet.
42Le vote de la loi du 13 juin 1991 n’a pas mis fin à la discussion : alors qu’elle n’avait que quelques mois d’existence effective, un parlementaire a espéré pouvoir la saborder, avec rétroactivité. La proposition de loi qu’il déposa en mai 1992, est justifiée de la manière suivante :
43« ...Elle [la loi du 13 juin 1991] a permis à environ 70.000 étrangers de devenir “Belges”. Il est évident qu’elle dénature l’essence même de la nationalité qui doit découler d’un lien de sang entre l’enfant et ses parents. (...) Donner notre nationalité à des gens qui souvent ne la veulent même pas n’a aucun sens. C’est un bradage inadmissible. Nous ne pouvons accepter que quelqu’un puisse acquérir la nationalité belge parce que c’est pratique tout en gardant d’ailleurs sa nationalité d’origine »43
44Gageons que cette proposition aura aussi peu d’avenir que ses soeurs jumelles, tant elle est contraire aux règles applicables en la matière, dans de nombreux Etats voisins.
4517. Les résistances au nouvel article 11 du Code, évoquées ci-dessus, ont eu principalement pour fondement la crainte d’une « nationalité bradée ». Une autre objection apparut également au cours des débats parlementaires, du point de vue, en tout cas prétendu tel, des intéressés eux-mêmes.
46Par le simple « bienfait de la loi »44, obligatoirement et sans consultation, ils se voient octroyer une nationalité qu’eux-mêmes ou leur famille ne revendiquent peut-être absolument pas... Le terme « bienfait » est-il alors réellement adéquat ?
47Plusieurs membres de la Commission de la Chambre ont souligné avec force « le droit de choisir une nationalité par l’adhésion à des valeurs communes et volontairement acceptées »45.
48Le débat n’est pas neuf. La loi du 28 juin 1984 a été précédée d’un projet qui, en sa version initiale, proposait également l’automaticité de la nationalité belge pour les étrangers de la troisième génération, âgés de dix-huit ans, moyennant une condition de résidence principale et continue en Belgique depuis l’âge de quinze ans. Cette disposition avait suscité maintes critiques au sein du parlement. Son bien-fondé avait été combattu par la doctrine qui rappela notamment l’observation faite en 1920, lors des discussions parlementaires ayant précédé la loi de 1922 : « Le principe de la liberté individuelle doit avoir un rôle important en matière de nationalité. Pourquoi faire entrer ou maintenir dans la Nation des personnes contre leur gré ? »46.
49Le Conseil Consultatif des Etrangers, associé au débat parlementaire, avait réagi dans le même sens et avait mis en garde contre le caractère automatique de la disposition, qui risquait d’être « de nature à provoquer dans l’opinion publique des réactions hostiles à l’encontre des étrangers devenus belges en application de l’article 11 et à occasionner ainsi des discriminations entre Belges »47.
50La règle avait dès lors été amendée dans le sens que l’on sait48 et le principe retenu en 1984, bien que perfectible, avait reçu l’aval de la doctrine49.
5118. Le Commissariat royal à la politique des immigrés n’a pas ignoré les arguments émis contre le projet évoqué ci-dessus mais il en a démonté le mécanisme : le principe qui impose de mettre en avant la volonté de l’intéressé dans l’hypothèse d’un changement de nationalité « au cours d’une vie », est louable mais il ne joue pas en cas d’attribution de la nationalité « à la naissance »50. Comme l’a relevé un auteur commentant la loi de 1984, « personne n’a reproché au ius sanguinis, le caractère automatique et contraignant qu’il a de toute évidence »51.
B. La condition de durée de résidence
5219. A l’estime du gouvernement, le lien étroit et effectif de l’enfant avec la communauté belge ne peut se déduire uniquement des deux événements ponctuels que constituent sa naissance et celle d’un de ses auteurs, sur le territoire belge. Ainsi, le projet gouvernemental avait proposé, dans un premier temps, de faire bénéficier des dispositions de l’article 11 du Code, tout enfant né en Belgique d’un auteur lui-même né en Belgique et « y ayant eu sa résidence principale durant les cinq années précédant la naissance de l’enfant ».
53La condition de résidence ainsi prévue avait pour but d’éviter qu’une naissance « accidentelle » en Belgique ne confère automatiquement la nationalité belge, en l’absence de lien réel à la Belgique. Pour illustrer semblable hypothèse, le ministre de la Justice a cité l’exemple « d’un étranger qui est né en Belgique et qui réside actuellement à l’étranger. Si cet étranger se trouvait accidentellement en Belgique au moment de l’accouchement, par exemple pour passer ses vacances auprès de sa famille, son enfant acquerrait automatiquement la nationalité belge »52.
54L’exigence de durée de résidence en Belgique avant la naissance de l’enfant a été longuement débattue en commission de la Chambre et suscita le dépôt de plusieurs amendements.
55Pour certains, le délai de cinq ans a semblé « excessif, inutile, voire discriminatoire » ; ils revendiquaient la simple suppression de cette condition53. D’autres, admettant le risque relevé par le gouvernement, proposèrent une durée moindre, soit une période d’« au moins un an au cours des deux années précédant la naissance de l’enfant »54. D’autres enfin ont envisagé une solution intermédiaire consistant à fixer la condition de résidence du parent dans une période de référence plus longue, permettant ainsi un éloignement momentané du pays, justifié par exemple, par des raisons professionnelles et n’impliquant pas nécessairement le déplacement des centres d’intérêt de l’immigré55.
56Cette dernière formule fut retenue en définitive. Le parent né en Belgique doit y avoir eu sa résidence principale durant cinq ans au cours des dix années précédant la naissance de l’enfant. Au terme de la circulaire du 8 novembre 1991 concernant la modification du Code de la nationalité56, le lieu de résidence principale doit être entendu comme étant le lieu de vie habituelle de l’intéressé. Il ne peut en tout cas être tenu compte que d’un séjour autorisé ; un séjour illégal, même d’une durée de cinq ans successifs, ne saurait être pris en considération57.
C. La perte de la nationalité belge
5720. Face aux critiques formulées par certains contre l’automatisme de l’octroi de la nationalité belge aux enfants de la troisième génération immigrée, nous doutons personnellement que ceux-ci, en tout cas s’ils sont d’origine non-communautaire, rechignent réellement à se la voir « imposer », compte tenu des avantages, fussent-ils purement administratifs, qu’elle suppose. A noter au surplus que la bipatridie reste possible et fut même prônée par le Commissariat royal à la politique des immigrés58.
58Il reste que si tel est leur souhait, par exemple parce que le lien socio-économique effectif avec la société belge, supposé dans leur chef, vient à disparaître, il leur est loisible de répudier la nationalité belge par simple déclaration, à condition de prouver qu’ils acquièrent ou conservent une autre nationalité59.
5921. La déchéance constitue un autre mode de perte de la nationalité belge et est prévue à l’article 23 § 1er du Code qui, avant la réforme, stipulait que « Les Belges qui ne tiennent pas leur nationalité d’un auteur belge au jour de leur naissance, peuvent, s’ils manquent gravement à leurs devoirs de citoyen belge, être déchus de la nationalité belge ».
60Le projet de loi soumis à l’examen des Chambres ne proposait pas la modification de cet article60. Au cours des débats, un amendement fut déposé en vue de l’abrogation de cette disposition car selon ses auteurs, toute possibilité de déchéance devait être bannie du Code, sous peine de maintenir une discrimination intolérable entre Belges, selon que ceux-ci tiennent leur nationalité du ius sanguinis ou du ius soli61.
61Le Ministre de la Justice s’est immédiatement montré hostile à une telle réforme en profondeur, à l’occasion d’un projet n’ayant trait qu’à la nationalité des immigrés des deuxième et troisième générations. Il invita d’ailleurs à relativiser le problème dans la mesure où, depuis l’après-guerre, aucune déchéance n’a été recensée62. Au terme d’une discussion animée, un nouvel amendement, plus restrictif que le premier, fut adopté : les Belges qui se sont vu attribuer leur nationalité en vertu de l’article 11 ne peuvent pas, pour quelque motif que ce soit, être déchus de la nationalité belge.
Section 3. L’accès à la nationalité belge par les immigrés de la deuxième génération depuis la loi du 13 juin 1991
A. Généralités
6222. Nés en Belgique de parents « nouveaux-arrivants », les immigrés de la deuxième génération n’ont pas bénéficié de la faveur retenue par le législateur pour ceux de la troisième génération. La loi du 13 juin 1991 améliore cependant leur sort, par rapport au système du Code, qui ne leur offrait que l’option de nationalité ou la naturalisation. En effet, on a repris pour ces immigrés de la deuxième génération, le principe de la déclaration d’acquisition de la nationalité belge. « Cette démarche témoignera de la volonté des parents ou de l’enfant lui-même de voir celui-ci s’intégrer dans notre société en assumant les devoirs qui en découlent tout en jouissant des droits liés à la nationalité »63.
63Cet acte volontaire accompli, la présomption d’intégration, déjà évoquée à plusieurs reprises, est également reconnue dans le chef des immigrés de la deuxième génération. On a pu parler, dans cette hypothèse, du caractère « quasi-automatique » de l’octroi de la nationalité belge64. Toutefois, la présomption est ici réfragable. Elle ne joue que s’il y a au préalable, une démarche volontaire de l’intéressé ou de ses parents ; des « faits personnels graves » notamment peuvent en outre être à la base d’une opposition du Procureur du Roi aux projets d’acquisition de la nationalité belge formés par l’immigré.
6423. Deux articles envisagent l’hypothèse. L’article 11bis règle l’octroi de la nationalité belge à l’enfant né en Belgique et âgé de moins de douze ans ; la déclaration réclamant pour lui cette citoyenneté émane de ses auteurs ou adoptants. L’article 12bis du Code vise quant à lui, l’étranger né en Belgique et âgé de dix-huit à trente ans, qui peut personnellement déclarer vouloir acquérir la nationalité belge.
65La place respective de ces articles dans l’ensemble du Code peut surprendre. L’article 3 de la loi du 13 juin 1991 insère dans le chapitre III « Acquisition de la nationalité belge », une nouvelle section première intitulée « Acquisition de la nationalité belge par déclaration » sous laquelle figure désormais l’article 12bis. L’article 11 bis pour sa part, se place à la suite directe de l’article 11 ci-dessus analysé, sous la section 3 du deuxième chapitre « Attribution de la nationalité belge en raison de la naissance en Belgique ».
66La nationalité belge octroyée dans l’un ou l’autre cas, serait-elle de « qualité » différente ? Un des membres de la commission l’a cru et déposa un amendement proposant de placer l’article 12bis dans une nouvelle section 5 au chapitre II du Code65. Il regrettait que les enfants de la deuxième génération qui font personnellement la déclaration prévue, ne soient pas considérés comme belges de naissance. C’était méconnaître la portée de la distinction opérée par le législateur belge entre l’attribution et l’acquisition de la nationalité66. Au terme de l’article premier du Code de la Nationalité, il y a acquisition et non attribution de la nationalité dès que celle-ci est subordonnée à un acte volontaire de l’intéressé tendant à cette obtention67. Tel est bien le cas dans l’hypothèse de l’article 12bis. Quant à la qualité de Belge de naissance, l’article 5, demeuré inchangé, la confère à toute personne qui a la nationalité belge « autrement que par naturalisation ou par déclaration souscrite en vertu de l’article 16 ».
67Le Ministre réfuta ainsi l’objection et l’article 12bis fut maintenu sous le chapitre III du Code.
B. L’enfant de moins de douze ans
1. Les conditions de résidence — la déclaration des auteurs
6824. « Est Belge l’enfant né en Belgique, dont les auteurs ou, en cas d’adoption, les adoptants font avant qu’il ait atteint l’âge de douze ans une déclaration réclamant pour lui l’attribution de la nationalité belge conformément au présent article. Ces auteurs ou adoptants doivent avoir leur résidence principale en Belgique durant les dix années précédant la déclaration et l’enfant doit y avoir eu la sienne depuis sa naissance » (art. 11bis, § 1er).
69On le constate, des conditions de résidence plus strictes que celles prévues à l’article 11 sont requises tant dans le chef des parents déclarants que dans celui du jeune enfant. Celui-ci doit bien sûr être né en Belgique mais aussi y résider depuis sa naissance. Les auteurs doivent, quant à eux, justifier d’une résidence principale en Belgique durant les dix années précédant la déclaration. La formule intermédiaire tendant à situer la période de résidence principale dans une période de référence plus longue n’a pas été retenue ici, ni même envisagée68.
70Pour le législateur, il convenait à nouveau de s’assurer d’un « lien suffisamment fort avec la société belge (...) garanti par des conditions de résidence et de naissance »69.
7125. Sous l’empire de l’ancien article 11, la déclaration réclamant pour l’enfant, l’attribution de la nationalité belge, pouvait émaner d’un seul de ses auteurs, pourvu que celui-ci soit né en Belgique. La doctrine s’est étonnée que l’accord des deux parents ne soit pas requis « pour une décision d’une telle importance »70 et a déploré l’absence de règles permettant de résoudre les éventuels conflits entre les deux auteurs (ou adoptants) de l’enfant71.
72A présent, la déclaration conjointe des auteurs est, en principe, exigée72. Là où la déclaration d’un seul auteur suffit (article 9, article 11, à présent remplacé), il s’agit chaque fois d’un auteur belge ou né en Belgique. Ce rattachement à la Belgique n’existe pas dans l’hypothèse visée à l’article 11bis du Code et compte tenu des incidences majeures de l’acte sur la personne de l’enfant, il était, selon le ministre de la Justice, souhaitable d’exiger une déclaration commune des auteurs ou adoptants73.
73Les conflits éventuels entre auteurs, les impossibilités de manifester le consentement, l’incidence de l’établissement de la filiation à l’égard de l’un des auteurs seulement, sont à présent expressément envisagés par le paragraphe 2 de l’article 11bis.
74Nous soulignerons l’une des hypothèses qui prête à la réflexion : si l’un des auteurs n’a plus sa résidence principale en Belgique mais consent à l’attribution de la nationalité belge, la déclaration de l’autre auteur ou adoptant suffit74. Or, il a été précisé aux cours des discussions que « celui qui n’a plus sa résidence principale en Belgique doit faire parvenir un acte par lequel il exprime son consentement. Cela permet à cette personne de ne pas se déplacer pour faire la déclaration devant l’officier de l’état civil. L’un des auteurs le fait pour les deux »75. Contrairement à la lettre du texte, il y a donc bien déclaration conjointe des auteurs, mais l’un d’eux s’exprime par procuration.
75Par ailleurs, il est possible que le législateur ait souhaité résoudre les problèmes nés de l’éclatement du couple conjugal demeuré néanmoins un couple « parental »76. Pourtant, cette disposition n’est manifestement pas compatible avec le paragraphe premier de l’article 11 bis qui exige des auteurs (ou adoptants), la preuve d’une résidence principale en Belgique durant les dix ans précédant immédiatement la déclaration.
2. La déclaration contentieuse
7626. Une procédure contentieuse a été mise en place par le paragraphe 7 de l’article 11bis en cas de refus de consentement de la part d’un auteur. Le tribunal de première instance, sur avis du Procureur du Roi, a reçu compétence pour se prononcer sur l’agrément de la déclaration ; « il l’agrée s’il estime le refus du consentement abusif et si la déclaration ne vise pas d’autre but que l’intérêt de l’enfant à se voir attribuer la nationalité belge »77.
3. Le Contrôle du Procureur du Roi
7727. On l’a dit, la présomption d’intégration, reconnue à l’enfant de la deuxième génération dès la déclaration de volonté exprimée par ses auteurs de lui voir attribuer la nationalité belge, n’est pas aussi forte que celle dont jouissent les immigrés de la troisième génération78. Cette présomption pourra être renversée par le Procureur du Roi « si la déclaration vise un autre but que l’intérêt de l’enfant à se voir attribuer la nationalité belge » (art. 11bis, § 3, al. 2)79.
78Le texte initial du projet gouvernemental prévoyait le déclenchement du mécanisme de l’opposition « s’il y a un empêchement résultant de faits personnels graves dans le chef du ou des déclarants ». De nombreux parlementaires se sont évidemment élevés contre cette disposition : « (...) il n’est ni justifié, ni défendable d’empêcher un enfant issu de l’immigration de devenir Belge parce que l’un de ses auteurs ou adoptants ou les deux, se voient reprocher des faits personnels graves dont l’enfant n’est en aucune manière responsable et dont celui-ci n’a donc pas à subir les conséquences au niveau de sa nationalité. Il n’existe, en effet, aucune loi génétique qui veuille que l’enfant d’un malfaiteur soit lui aussi un malfaiteur »80.
79Malgré la résistance du ministre de la Justice pour qui la situation de l’enfant est bel et bien influencée par des faits graves commis par ses parents car c’est par eux qu’il apprend à connaître ses droits et devoirs81, la disposition a finalement été amendée dans le sens précité.
4. La procédure
8028. La procédure réglant l’accès à la nationalité belge pour les enfants de moins de douze ans, issus de la deuxième génération, est détaillée aux paragraphes 3 à 7 de l’article 11bis.
81L’officier de l’état civil du lieu de la résidence de l'enfant reçoit la déclaration de ses parents. Ceux-ci auront soin de se munir d’un extrait d’acte de naissance de l’enfant et des attestations ou certificats qui leur permettront de prouver que les conditions de résidence requises dans leur chef et celui de l’enfant sont respectées.
82Une copie de la déclaration est immédiatement transmise au Procureur du Roi qui, le cas échéant, met en route la procédure d’opposition. A défaut d’opposition, la déclaration est inscrite dans les registres aux actes de naissance visés à l’article 25 du Code de la Nationalité et est mentionnée en marge de l’acte de naissance, dressé ou transcrit en Belgique82.
8329. Plusieurs parlementaires se sont inquiétés des lenteurs administratives qui pourraient affecter soit la communication de la copie de la déclaration au Procureur du Roi, soit la réponse de celui-ci83. C’est la raison d’être des mots « immédiatement » et « sans délai » insérés dans le corps du paragraphe 3, alinéa premier de l’article. Il a été souligné, en cours de débats, que ces précisions reflétaient en tout cas la volonté du législateur de voir cette procédure se dérouler sans retard. On a reconnu toutefois qu’une sanction resterait difficile à organiser84.
84Le législateur a à tout le moins souhaité pallier l’inertie, même involontaire, de l’administration. Le procureur du Roi peut s’opposer à l’attribution de la nationalité dans les deux mois de l’accusé de réception de la déclaration ; passé ce délai, il est réputé ne pas s’opposer et la déclaration est inscrite d’office dans les registres de l’état civil. Las... On se doute que dans l’exercice de son contrôle, le Procureur du Roi effectue une enquête sur le déclarant, notamment en s’adressant à des administrations, telles l’office des étrangers ou la sûreté de l’Etat. La pratique révèle déjà que sans réponse de ces services dans le délai requis, certain Parquet a décidé de s’opposer « à titre conservatoire » à l’attribution de la nationalité belge, quitte à retirer cette opposition dès réception de renseignements utiles et favorables à l’étranger...
C. L’étranger né en Belgique, âgé de dix-huit à trente ans
8530. Si l’étranger né en Belgique est âgé de dix-huit ans au moins et de trente ans au plus, il peut personnellement solliciter l’octroi de la nationalité belge, en faisant une déclaration devant l’officier de l’état civil du lieu de sa résidence.
86Les conditions de résidence à remplir dans son chef sont particulièrement lourdes. Ainsi, l’étranger doit être né en Belgique et y avoir sa résidence principale depuis sa naissance. En raison des conditions d’âge prévues par l’article 12bis du Code, il peut donc devoir justifier d’une résidence continue en Belgique de près de trente ans. Il conviendrait d’être particulièrement prudent dans l’appréciation de l’effectivité de cette résidence. « Des séjours parfois prolongés, effectués à l’étranger pour des raisons professionnelles ou d’études ne devraient pas (nécessairement) être considérés comme une interruption de la résidence principale »85.
8731. La procédure mise en place par le nouvel article 12bis du Code est calquée sur celle envisagée dans le cadre de l’article 11bis, dont nous avons dit quelques mots86. Pour l’immigré majeur, ce sont bien des faits personnels graves commis par le déclarant, qui peuvent être à la base de l’opposition du Procureur du Roi à l’acquisition de la nationalité belge. On a justifié cette possibilité d’empêchement en invoquant le renversement de la présomption d’intégration dont bénéficie l’intéressé. Il va de soi que la délinquance grave87 n’est pas l’apanage des seuls étrangers. Lier délinquance et non-intégration est trop artificielle. N’est-il pas plus honnête de dire que le législateur estime que l’immigré ne « mérite » plus la nationalité belge pour le mal commis en son pays d’accueil, même s’il s’y sent intégré ? Certes, on en revient alors à une nationalité belge perçue comme une faveur, une récompense offerte à l’étranger digne de la recevoir...
D. Les jeunes âgés de 12 à 18 ans
8832. Le Code reste muet sur le sort des enfants de la seconde génération, âgés de plus de douze ans et de moins de dix-huit ans. Ceux-ci auraient dû en principe se voir conférer la même présomption d’intégration que celle dont bénéficient désormais leurs cadets et aînés. Bien que la question ait été débattue au cours des travaux parlementaires, le législateur n’a manifestement pas souhaité l’approfondir.
89L’obstacle majeur à ce qu’on s’y attarde a été résumé comme suit : « à dix-huit ans, on estime une personne capable de prendre toutes les décisions elle-même, tandis qu’en dessous de douze ans, on considère qu’un enfant ne peut encore rien décider. Entre douze et dix-huit ans, le mineur se trouve dans une situation intermédiaire : on ne peut lui donner la possibilité de décider seul et il est trop tard pour confier encore aux seuls parents le pouvoir de décisions. De plus, la Convention des Droits de l’Enfant, récemment ratifiée par la Belgique, oblige, à partir de douze ans, à entendre l’enfant »88.
90Des solutions auraient pu pourtant être recherchées, en s’inspirant par exemple, des solutions retenues en matière d’adoption ou de filiation89.
Conclusion
9133. Reprenons notre interrogation de départ. L’accès à la nationalité belge est-il une condition nécessaire pour que l’immigré puisse pleinement s’intégrer dans sa communauté d’accueil ? Est-il en tout cas ou n’est-il que facteur d’intégration ? Le législateur ne prône-t-il l’octroi de la nationalité belge que s’il y a déjà signe ou preuve d’intégration ?
92Notre analyse nous incite à plagier la publicité d’un produit typiquement... belge et nous sommes tentée de dire « un peu de tout ».
93En son premier rapport, le Commissariat royal à la politique des immigrés a résolument inscrit la question de l’accès à la nationalité belge dans le cadre d’une politique globale visant à une meilleure intégration de la population immigrée dans la société belge. Sous son impulsion, le législateur de 1991 a modifié le Code de la nationalité dans le sens d’un assouplissement des conditions d’octroi de la nationalité aux immigrés installés de manière durable, sinon définitive, dans le royaume.
94Les principes désormais applicables dans la matière, doivent dans leur ensemble être approuvés. Certes, certains continueront à affirmer, de manière plus ou moins virulente, qu’il n’appartient pas au législateur ou à la société qu’il représente, d’offrir la citoyenneté belge à l’étranger, sans preuve qu’il y aspire ni surtout qu’il y fera honneur. Des voix résonneront encore pour souligner que la naturalisation ou l’option de patrie ont cela de bon qu’elles « obligent » l’étranger à dévoiler clairement ses intentions d’intégration dans le royaume. C’est oublier les lourdeurs et lenteurs de ces deux procédures, capables actuellement d’en décourager plus d’un...
95Il faut admettre et apprécier que dans une société qui, à l’aube de l’ère européenne, est en perpétuel mouvement, il y ait, à l’intérieur même de l’indigénat, diversité de races et de cultures.
96En revanche, il est, à notre estime, excessif et erroné de prôner, fût-ce au nom de la lutte contre le racisme, l’attribution automatique de la nationalité belge « à tous ceux qui résident légalement en Belgique depuis cinq ans »90.
97L’accès de la population immigrée à la nationalité belge, un espoir d’harmonie sociale ? Cela dépend... Pour le Commissariat royal à la politique des immigrés, cela dépend de l’intelligence91 de tous.
Notes de bas de page
1 M. LIÉNARD-LIGNY, A propos du Code de la nationalité belge, in Rev. b. dr. intern., 1984-1985, p. 650 ; P. LAGARDE, La nationalité française, Paris, Dalloz, 1975, p. 1, no 1.
2 Voir p. ex. A.R. 14 décembre 1932 coordonnant les lois sur la nationalité, art. 12, dernier al. : « La grande naturalisation peut être accordée, sans autre condition, pour services éminents rendus à l’Etat ou à l’ancienne colonie du Congo ».
3 Voy. M. VERWILGHEN, Le Code de la nationalité belge, Bruxelles, Bruylant, 1985, p. 70 et s. : il n’est pas si éloigné, le temps où l’étranger, entré irrégulièrement dans le royaume, voyait sa situation régularisée sans efforts excessifs, car il était « susceptible de rendre des services à l’économie belge » (Circ. no 33 C 30 du 22 avril 1965, cité par M. Verwilghen cité).
4 L’immigration en famille a d’ailleurs été encouragée par les pouvoirs publics : voy. « L’intégration : une politique de longue haleine », Rapport du Commissariat royal à la politique des immigrés, vol. I, p. 18.
5 Ibidem, vol. III, p. 305.
6 Voir infra, no 15.
7 - Loi du 1er février 1991, Mon. B., 15 février 1991.
- Loi du 17 avril 1991, Mon. B., 3 mai 1991.
- Loi du 22 mai 1991, approuvant la Convention de Strasbourg et ses deux protocoles sur la réduction des cas de pluralité de nationalités et sur les obligations militaires en cas de pluralité de nationalité et abrogeant l’art. 22, 2° du Code de la nationalité belge, Mon. B., 6 juillet 1991.
8 Doc. Parl. Ch., sess. ord. 1989-1990, no 1314/7 du 12 avril 1991, p. 2.
9 Ce rapport est constitué de trois volumes, d’un total de près de 750 pages.
10 Sous certaines conditions toutefois ; voy. infra, nos 14 et s.
11 Voir M. VERWILGHEN & C. DEBROUX, Le nouveau visage de la nationalité belge, in J.T., 1992, p. 3, nos 7 et s.
12 Doc. parl. Ch., sess. extraord. 1991-1992, no 560/1 du 1er juillet 1992.
13 Rapport du Commissariat royal à la politique des immigrés, vol. I, p. 52.
14 Ibidem, vol. I, pp. 5-6.
15 Plus de quarante pages du rapport y sont spécifiquement consacrées.
16 M. VERWILGHEN, Aux 40.000 nouveaux Belges de l’An Neuf, in Libre Belgique, 30.12.91, p. 1 et 2.
17 Rapport du Commissariat royal à la politique des immigrés, vol. I., p. 53 et vol. III, p. 301.
18 Ibidem, vol. I, p. 53.
19 Rapport du Commissariat royal à la politique des immigrés, vol. III, pp. 299 et 321.
20 Voy. infra, no 14.
21 Rapport du Commissariat royal à la politique des immigrés, vol. I, pp. 38-39.
22 Voy. infra, nos 10-11.
23 Tels que l’égalité entre l’homme et la femme.
24 Rapport du Commissariat royal à la politique des immigrés, vol. I, p. 43.
25 Ibidem, vol. III, p. 322. Cette position peut surprendre si l’on sait que la Belgique a récemment approuvé la Convention européenne et ses deux protocoles sur la réduction des cas de pluralité de nationalités et sur les obligations militaires en cas de pluralité de nationalités, conclue à Strasbourg le 6 mai 1963, ainsi que le Protocole portant modification de la Convention et le Protocole additionnel, relatif à l’échange de communications entre les Etats membres, faits à Strasbourg, le 24 novembre 1977 (Loi d’approbation du 22 mai 1991, Mon. B., 6 juillet 1991). Plus exactement, c’est l’approbation d’une convention vieille de près de trente ans, qui n’est plus dans l’air du temps, qui doit surprendre.
26 Art. 10, A.R. 14 décembre 1932, coordonnant les lois sur la nationalité.
27 Ann. parl. Ch., 1921, p. 1626.
28 Bruxelles, 29 octobre 1947, J.T., 1948, p. 77 ; Bruxelles, 19 mai 1948, Rev. Adm., 1948, p. 201.
29 Bruxelles, 13 mars 1954, J.T., 1954, p. 292.
30 Au cours des travaux préparatoires du Code, le concept d’idonéité a été critiqué comme étant non seulement abstrait mais « vide de toute indication, même succincte, sur l’esprit du système et sur les critères que le tribunal doit prendre en considération » : Rapport De Decker, Doc. parl. Ch., 756, no 21, p. 114.
31 A propos de la vérification de la volonté d’intégration du candidat, voy. notamment Civ. Brux., 24 octobre 1985, J.T., 1986, p. 50 ; Mons, 30 mars 1988, J.L.M.B., 1988, p. 924 ; Civ. Brux. 15 mars 1989, J.L.M.B., 1989, p. 750 ; Civ. Bruges, 10 octobre 1989, R.W., 1990-1991, col. 31 ; Civ. Namur, 2 mai 1990, J.L.M.B., 1990, p. 899.
32 M. VERWILGHEN, op. cit., p. 172, no 277.
33 Voy. notamment la circulaire ministérielle concernant le Code de la nationalité belge du 6 août 1984, Mon. B., 14 août 1984 - comp. supra, no 9.
34 M. VERWILGHEN, op. cit., p. 174, nos 280-282.
35 Doc. parl. Ch., sess. ord. 1990-1991, 1314/7, du 12 avril 1991, rapport fait au nom de la commission de la Justice par Mme Merckx-Van Goey, ci-après cité « Rapport Merckx-Van Goey ».
36 Rapport du Commissariat royal, vol. III, p. 317-321.
37 Art. 1er, 2°. Voy. toutefois M. VERWILGHEN, op. cit., p. 49 : l’auteur précise qu’il s’agit plus, dans les hypothèses visées, d’une présomption d’existence de lien du sang que d’une concession au ius soli.
38 Voy. art. 23 du Code français de la nationalité.
39 Voy. infra, no 21, à propos de la déchéance de la nationalité.
40 Doc. parl Ch., sess. extraord. 1988, no 468/l, du 24 juin 1988, cité par M. VERWILGHEN et C. DEBROUX, Le nouveau visage de la nationalité belge, in J.T., 1992, p. 2.
41 Doc. Parl., Sénat, sess. ord. 1990-1991, 1306-2, 7 mai 1991, Rapport fait au nom de la commission de la Justice par Mme Truffaut, ci-après cité « Rapport Truffaut », p. 14.
42 Rapport Merckx-Van Goey, p. 8.
43 Doc. parl. Ch., sess. extraord. 1991-1992, no 463/1, 19 mai 1992.
44 M. VERWILGHEN, « Aux 40.000 nouveaux Belges... », op. cit.
45 Rapport Truffaut, p. 14.
46 M. VERWILGHEN, op. cit., p. 184, no 303.
47 Rapport du Commissariat Royal, vol. III, p. 319.
48 Voy. supra, no 15.
49 Voy. M.-H. MARESCAUX et M. TAVERNE, Le droit des étrangers, moteur de la nationalité ?, in J.T., 1984, p. 627 ; M. VERWILGHEN, op. cit., p. 184, nos 302 et s. ; G.-H. BEAUTHIER, Le droit des étrangers et le Code de la nationalité, Bruxelles, Vie Ouvrière, 1984, p. 199.
50 Rapport du Commissariat royal, op. cit., vol. III, p. 323.
51 M. LIÉNARD-LIGNY, op. cit., p. 661.
52 Rapport Merckx-Van Goey, p. 16.
53 Doc. parl. Ch., sess. ord. 1990-1991, 28 janvier 1991, 1314/3, amendement no 7.
54 Ibidem, 29 janvier 1991, 1314/4, amendement no 17.
55 Ibidem, 14 mars 1991, 1314/5, amendement no 22.
56 Mon.B., 7 décembre 1991, p. 22717 à 27720.
57 Rapport Merckx-Van Goey, p. 22.
58 Voy. supra, no 9.
59 Art. 22 du Code de la Nationalité. Depuis le 16 juillet 1991, les bipatrides, encore soumis à l’obligation du service militaire, ne doivent plus, en cas de renonciation à la nationalité belge, demander l’autorisation royale requise autrefois (loi du 22 mai 1991, approuvant la Convention de Strasbourg, citée supra, no 9, note [23]).
60 En revanche, certaines propositions de loi relevant de la même philosophie y faisaient allusion. Voy. Doc. parl. Ch., sess. ord. 1989-1990, 13 novembre 1989, 964/1, p. 6 ; Doc. parl. Ch., sess. ord. 1989-1990, 14 mai 1990, 189/1, p. 8.
61 Doc. parl. Ch., sess. ord. 1990-1991, 28 janvier 1991, 1314/3, p. 5.
62 Rapport Merckx-Van Goey, pp. 40-43.
63 Rapport Merckx-Van Goey, p. 7.
64 Ibidem, p. 7.
65 Doc.parl. Ch., sess. ord. 1990-1991, 28 janvier 1991, 1314/3, amendement no 9.
66 Le terme « attribution » en droit français vise effectivement le caractère originaire de l’obtention de la nationalité (à la naissance) tandis que l’acquisition en marque le caractère différé.
67 C’est en raison de l’apparition de l’article 11 ancien (voir supra no 15) qu’il a été ajouté à la définition, la nuance qu’il fallait en ce cas, absence d’acte volontaire de l’interessé... lui-même, voy. G.H. BEAUTHIER, op. cit., pp. 190 et 200.
68 Voy. supra, no 19.
69 Rapport Merckx-Van Goey, p. 23.
70 M.-H. MARESCAUX et M. TAVERNE, op. cit., p. 627.
71 M. VERWILGHEN, op. cit., p. 297.
72 Art. 11bis, § 2, al. 1 du Code de la Nationalité.
73 Rapport Merckx-Van Goey, p. 23.
74 Art. 11bis, § 2 al. 2 du Code de la Nationalité.
75 Rapport Merckx-Van Goey, p. 32.
76 Rapport Merckx-Van Goey, p. 29.
77 Voy. infra, no 27.
78 Voy. supra, no 22.
79 La portée concrète de la formule est incertaine, voy. M. VERWILGHEN et C. DEBROUX, op. cit., p. 11, no 49 ; M. LIÉNARD-LIGNY, Nationalité belge : les lois de 1991, in R.D.E., 1991, no 65, p. 330.
80 Rapport Merckx-Van Goey, p. 27.
81 Ibidem.
82 L’article 11bis, § 3, al. 3 renvoie à l’article 22, § 4 du Code.
83 Rapport Merckx-Van Goey, p. 34.
84 Rapport Merckx-Van Goey, p. 33.
85 M. LIÉNARD-LIGNY, op. cit., R.D.E., 1991, p. 332.
86 Voy. supra, nos 26 à 29 ; voy. dans le cas présent, les paragraphes 2 à 5 de l’article 12bis.
87 Furent également cités l’espionnage, l’atteinte à la sûreté de l’Etat... voy. Rapport Merckx-Van Goey, p. 4.
88 Rapport Merckx-Van Goey, p. 31 et 32.
89 Voy. art. 348, § 3, C. civ. ; art. 319, § 3, C. civ.
90 Voy. la pétition « objectif 479.917 fois Non au racisme et au fascisme » circulant depuis octobre 1992.
91 « Intelligence » signifie aussi : bonne entente, union de sentiments...
Auteur
Avocat au Barreau de Bruxelles
Assistante à l’Université catholique de Louvain
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