Les écotaxes et le droit communautaire
p. 33-70
Texte intégral
Introduction
11. Cette étude vise à évaluer le livre III de la loi belge du 16 juillet 1993 sous l’angle de sa compatibilité avec le droit communautaire. Il s’agit, en somme, de mesurer la probabilité du prononcé d’une sanction par la Cour de justice des Communautés européennes, éventuellement saisie d’un recours en manquement introduit par la Commission — ou par un Etat membre — contre l’Etat belge1. Un tel contrôle pourrait également intervenir à l’occasion d’un litige porté devant un tribunal belge : on sait en effet que si une entreprise se laisse assigner par l’administration pour violation de la réglementation nationale, ou si elle agit contre l’Etat en invoquant le bénéfice du droit communautaire, il appartient au juge d’évaluer lui-même le degré de conformité de la législation nationale, au besoin après avoir posé à la Cour de justice une question préjudicielle en interprétation, et de déclarer celle-ci, le cas échéant, inapplicable au cas d’espèce, en vertu du principe de la primauté du droit communautaire sur le droit national.
2Il est vrai que l’établissement d’une telle probabilité a priori est délicate, puisqu’à défaut d’être passé au banc d’épreuve avant sa promulgation, le texte légal ne suffit pas à fournir à l’interprète un matériau suffisant pour prévoir l’ensemble des problèmes pratiques que l’application de la loi est susceptible de poser. Effectivement, l’expérience montre que c’est le plus souvent à l’occasion de la mise en œuvre de la règle de droit que tel aspect de la réglementation est susceptible d’une contrariété à une règle communautaire.
3Aussi cette analyse se limite-t-elle à une approche globale de la problématique, en ce sens qu’elle tend d’abord à fournir une méthode d’évaluation de la norme nationale, une grille de lecture permettant, tantôt au spécialiste de la technique des écotaxes, tantôt au justiciable confronté avec la mise en œuvre de cette réglementation, d’évaluer celle-ci à l’aune du droit communautaire.
42. Cette grille de lecture est fournie par le traité de Rome lui-même, tel qu’interprété par la Cour de justice. C’est dire que le droit communautaire ne dispose pas, à l’heure actuelle, de dispositions spécialement destinées à réglementer l’établissement d’écotaxes.
5Pour l’évaluation d’un comportement étatique susceptible d’entraver la circulation de biens, le droit communautaire général établit une distinction selon le caractère pécuniaire ou non des mesures en question. Il y ajoute certain devoir général de coopération de l’Etat affectant la procédure d’adoption de telles mesures.
6Il n’est pas inutile de rappeler préalablement certains postulats susceptibles de faciliter la compréhension de l’incidence exacte du contrôle du droit communautaire.
Chapitre I. Critères d’applicabilité du droit communautaire général
73. Le droit communautaire ne prétend pas étendre son emprise sur tout comportement d’un Etat membre. Trois types de considérations méritent un bref rappel.
Section 1. L’effet direct de la règle communautaire
84. Pour pouvoir être opposée à la réglementation nationale, la règle communautaire pertinente doit être de celles qui, selon la terminologie aujourd’hui bien établie du droit international public, bénéficient d’un « effet direct ». Pour remplir cette condition, la règle doit être suffisamment claire, précise et inconditionnelle pour être susceptible d’une application dans un cas concret soumis, par exemple, à un tribunal national, sans devoir faire l’objet au préalable d’une mesure d’exécution à prendre, soit par une institution communautaire, soit par une institution nationale.
9Les règles du traité de Rome organiques de la liberté de circulation des biens et des personnes bénéficient d’un tel effet direct depuis l’expiration de la période de transition qui a suivi l’entrée en vigueur du traité. C’est dire que des dispositions aussi brèves que celles de l’article 30 du traité par exemple, sont considérées depuis plusieurs décennies comme investies d’une force obligatoire qui s’impose au législateur national. C’est dire aussi que le concept juridique de « Marché intérieur » ou de « Marché unique » existe depuis cette date, et non pas depuis le 1er janvier 1993 seulement. Encore convient-il de préciser dès l’abord que ce concept ne signifie pas un droit absolu à la liberté de circulation. Et le principe de l’économie de marché — centré sur un objectif de bon fonctionnement du marché — et les postulats qui fondent une organisation sociale soucieuse du respect du droit — et singulièrement des droits fondamentaux de la personne — impliquent la faculté pour les pouvoirs publics — fussent-ils étatiques ou communautaires — d’entraver la liberté de commerce au nom de l’intérêt général, pourvu que cette intervention respecte une juste proportionnalité, c’est-à-dire qu’elle soit strictement nécessaire à la réalisation de l’objectif légitime poursuivi. Ce trinôme, que l’on peut qualifier de général dans un système étatique construit sur le modèle contemporain de l’Etat de droit, imprègne également le droit communautaire. Son caractère fondamental explique que l’Acte unique comme le traité de Maastricht n’y portent pas atteinte. En d’autres termes, même après l’échéance de 1993, le « Grand marché » continuera de tolérer certaines entraves à la circulation de biens ou de personnes.
Section 2. Le critère d’affectation du commerce communautaire
105. Le régime communautaire de la circulation des biens et des personnes n’intéresse pas toute réglementation susceptible d’entraver cette circulation. Le critère d’affectation, qui sert notamment à définir la sphère d’application du droit communautaire, revêt une double portée.
11D’un côté, le droit communautaire ne s’intéresse essentiellement qu’aux mesures, nationales ou même communautaires, susceptibles d’entraver les activités de nature économique. D’un autre côté, le critère d’affectation sert à définir l’applicabilité internationale ou spatiale de la règle communautaire : tout comme celle-ci n’est pas applicable aux mesures relatives aux produits mis en circulation dans un Etat tiers avant leur mise en libre pratique dans la Communauté, elle ne l’est normalement pas davantage aux opérations purement internes à un Etat membre dépourvues d’incidence sur une importation ou exportation de biens, dès lors que de telles opérations ne comportent aucun point de rattachement avec l’ordre juridique communautaire. C’est dire que l’Etat est libre de réglementer, aux conditions que permet le système juridique national, la production et la commercialisation de biens destinés à la consommation intérieure, lorsque cette réglementation, directement ou indirectement, ne porte pas ou n’est pas susceptible de porter sur des produits importés, ou n’intéresse pas des consommateurs étrangers. On remarque qu’il peut en résulter une réglementation à deux niveaux dans la Communauté, ce qui paraît contradictoire au concept de marché intérieur puisque ce phénomène conduit à constater un maintien de la notion de frontières intérieures. Susceptible de conduire à des discriminations dites à rebours lorsque la règle nationale impose aux producteurs nationaux des contraintes auxquelles échappent les importateurs, ce résultat est actuellement toléré par la Cour de justice. On peut encore en déduire que le terme « importation » ou « importateur » est toujours susceptible d’avoir un sens, même lorsqu’il porte sur des opérations intracommunautaires. Il est vrai que la contrainte de ce critère spatial d’affectation peut être dépassée lorsque la Communauté adopte, en une matière qui « affecte » le marché commun, des mesures d’harmonisation appelées à se substituer aux règles nationales applicables indifféremment aux situations internes et aux situations internationales.
Section 3. L’autonomie du droit communautaire
126. Le droit communautaire se présente comme un système juridique autonome par rapport à ceux des Etats membres. A ce titre, il produit ses propres classifications. En d’autres termes, lorsqu’il y a lieu d’appliquer le droit communautaire, le praticien se doit d’évaluer la solution juridique relativement aux subdivisons produites par le droit communautaire, en se détachant des critères de solution imposés par le droit national. C’est que le droit communautaire a pour spécificité de régler la circulation de richesses dans un espace qui, pour être qualifié d’intérieur, ne reste pas moins sous la maîtrise d’Etats, seuls sujets primaires ou souverains du droit international.
13L’autonomie des classifications du droit communautaire explique que, pour évaluer une mesure nationale comme la réglementation des écotaxes, il convient de suivre une grille qui distingue selon que, par son contenu, cette mesure, tantôt comporte des charges pécuniaires affectant un produit, tantôt établit des entraves techniques. C’est que, parmi les dispositions du traité relatives à la circulation des marchandises, une distinction fondamentale apparaît entre l’interdiction des droits de douanes — ou autres taxes d’effet équivalent — et l’interdiction de restrictions quantitatives à l’importation ou à l’exportation — ou autres mesures d’effet équivalent.
14Cette autonomie implique encore que la qualification donnée à une mesure nationale selon le droit national, est indifférente pour la qualification qu’il convient de donner à la même mesure selon le droit commuautaire. Ainsi, que le droit national définisse une mesure comme une taxe ou un impôt d’une catégorie spécifique n’exclut pas que le droit communautaire puisse la définir autrement pour les besoins de son application.
Chapitre II. Evaluation du contenu des mesures nationales
157. C’est le caractère pécuniaire ou non pécuniaire d’une mesure qui permet de faire entrer celle-ci dans la catégorie pertinente du droit communautaire. On précise que cette qualification est opérée à propos d’une mesure déterminée, ce qui signifie qu’une loi nationale, susceptible de comporter des mesures variées, peut, selon le contenu de celles-ci, relever à la fois, dans son ensemble, de l’une et de l’autre catégories.
16L’application de ces catégories communautaires présuppose que les mesures nationales soient constitutives, concrètement, d’une entrave à l’importation, étant entendu que ce concept est entendu largement comme couvrant toute difficulté que l’importateur est susceptible de rencontrer, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement2. Il n’en irait différemment que d’une mesure dont les effets restrictifs seraient trop aléatoires pour être de nature à constituer une entrave3.
17Cette condition est-elle remplie par la réglementation des écotaxes ? Les précédents soumis à la Cour de justice permettent de répondre par l’affirmative, dès lors que la loi n’exclut pas de son champ d’application les produits en provenance d’un autre Etat membre. A plusieurs reprises, la Cour a eu à connaître de « taxes parafiscales », nouvel instrument économique auquel l’Etat a recours, tantôt pour financer directement un organisme de droit public ayant pour mission de promouvoir un produit déterminé, tantôt encore moyen d’une politique tendant à préserver un objectif supérieur à la production économique, telle la protection de l’environnement4. De ces affaires, l’arrêt prononcé par la Cour le 11 mars 1992 à propos d’une mesure française tendant à limiter la consommation d’énergie, paraît le plus proche de la problématique des écotaxes belges5. Une taxe était perçue au profit d’une agence pour les économies d’énergie sur la vente de produits pétroliers en France. Cette taxe, qui avait pour objectif de limiter la consommation d’hydrocarbures, avait été instaurée pour compenser une baisse intervenue en France sur le prix de ces produits, suite à une baisse du cours du dollar.
§ 1. Régime des mesures pécuniaires
188. Il convient de considérer des dispositions différentes du traité selon que la mesure nationale constitue une charge pécuniaire et selon qu’elle est également susceptible de porter une aide pécuniaire à certains opérateurs économiques.
A. Régime des charges pécuniaires
199. Une mesure constitutive d’une charge pécuniaire frappant un produit est de soi susceptible d’être couverte par deux catégories de dispositions du traité, celles relatives aux droits de douane d’une part, celles relatives aux mesures fiscales d’imposition intérieure d’autre part. Cette classification appelle à de délicates qualifications.
20Ces dispositions ne sont pas applicables de manière cumulative6. Cela signifie qu’une écotaxe pourra relever de l’une de ces catégories, non des deux à la fois.
1°. Interdiction de droits de douane
2110. L’article 12 du traité est catégorique et ne souffre aucune exception. Il pose une interdiction pure et simple de nouveaux droits de douane. La simplicité du principe contraste avec la difficulté liée à la définition du droit de douane.
22Le traité suggère d’y donner un sens extensif puisqu’il cite aussi les taxes d’effet équivalent. L’extension est à double sens. D’un côté, l’interdiction vise toute charge quelle qu’en soit l’appellation, impôt, taxe, frais d’expertise, redevance. Elle porte donc sur une redevance destinée à financer un organisme de droit public, telle une agence pour les économies d’énergie7. D’un autre côté, il s’agit de contrôler toute mesure qui impose une charge en raison du seul passage de frontière. Cette appréciation-ci peut s’avérer délicate.
23Certes, l’article 12 interdit seulement une mesure qui affecte le produit importé à l’exclusion des produits nationaux. Mais la disposition peut également intéresser une mesure qui, formellement, est applicable indistinctement aux produits nationaux comme aux produits importés, comme c’est le cas de l’écotaxe : lors de l’application de la mesure, il faut examiner si le résultat concret de l’imposition aboutit à ne charger en fait que les produits étrangers à l’exclusion des produits nationaux. Cette appréciation sera fonction de l’affectation du produit de l’imposition. Si ce produit est ristourné aux produits nationaux imposés de manière à compenser totalement la charge qui les affecte, alors la mesure est considérée comme une taxe d’effet équivalent à un droit de douane, et son application est incompatible avec l’article 12 du traité. L’appréciation de la vérification de cette condition incombe au juge national8.
24Si l’écotaxe devait donc être considérée comme une charge pécuniaire au sens de l’article 12 du traité, elle paraîtrait à première vue comme compatible avec cette disposition puisqu’elle s’applique indistinctement aux produits nationaux et importés. Toutefois, la mise en œuvre de l’affectation des recettes pourrait cacher un droit de douane. Le critère d’affectation est déterminant9. Il est donc regrettable, sous l’angle du droit communautaire, que la question de l’affectation exacte des recettes ait été régulièrement éludée par les auteurs du projet, au prétexte que le caractère dissuasif de l’écotaxe serait de nature à empêcher la création de toute recette !
2°. Interdiction de mesures fiscales discriminatoires
2511. Lorsqu’une charge pécuniaire ne peut être qualifiée de droit de douane ou de taxe d’effet équivalent, pour le motif par exemple que l’affectation de la recette ne bénéficie pas aux produits nationaux imposés de manière à annuler la charge d’imposition dans leur chef, cette mesure peut encore être qualifiée de mesure d’imposition intérieure au sens des articles 95 à 99 du traité. Pour la Cour de justice, le caractère discriminatoire ou protecteur de la mesure constitue un « critère d’application » de ces dispositions10. Le terme est sans doute impropre. Au vrai, l’interdiction de discrimination apparaît comme l’élément essentiel du dispositif même de la norme.
26En matière de politique fiscale, les Etats membres ont retenu une grande partie de leur souveraineté. Ils conservent la maîtrise de leur politique et choisissent donc librement un objectif social légitime susceptible de fonder l’imposition de certaines catégories de produits11. Aussi le droit communautaire n’étend-il pas son contrôle à la détermination du montant de la taxation12.
27Cette souveraineté connaît cependant deux limites.
2812. La première limite consiste en l’interdiction de toute discrimination, directe ou indirecte, entre produits nationaux et produits importés, identiques, similaires ou concurrents. La discrimination est vérifiée si l’on constate qu’en fait la mesure fiscale avantage une catégorie de produits où l’on trouve majoritairement des produits nationaux13. Il en est de même s’il s’avérait qu’en fait les produits imposés sont, en raison des spécificités du marché, uniquement des produits importés alors que les produits nationaux similaires échapperaient de leur côté à l’écotaxe. Cette hypothèse devrait être distinguée de celle où une écotaxe porte exclusivement sur des produits étrangers en raison de l’absence de production nationale : cette hypothèse-ci ne serait pas discriminatoire dans la mesure où l’absence de production nationale peut précisément s’expliquer par l’existence du régime de taxation14.
29Si l’interdiction de discrimination est ici analogue à celle qui frappe les droits de douane, la répartition des domaines respectifs des articles 12 et 95 consiste en une variation de degrés dans la discrimination. L’évaluation de cette répartition se fera à l’aide du critère d’affectation des recettes de la mesure. Si cette affectation bénéficie spécialement aux produits nationaux imposés tout en ne leur accordant qu’une compensation partielle, la mesure n’est pas un droit de douane puisqu’elle frappe aussi les produits nationaux : l’imposition n’est donc pas due au passage de frontière. Il s’agit alors d’une mesure d’imposition intérieure. Mais elle revêt un caractère discriminatoire puisqu’elle avantage la production nationale. Encore convient-il de calculer strictement la compensation : la Cour de justice exige, pour que la discrimination puisse être évaluée de manière objective, une contrepartie pour le producteur national qui puisse être vérifiée, au cours d’une période de référence, par l’évaluation d’une « équivalence pécuniaire » entre les avantages globalement perçus sur les produits nationaux et les avantages dont ces produits bénéficient à titre exclusif15.
30L’observation faite ci-dessus au sujet de l’impossibilité de connaître pour l’heure l’affectation de l’écotaxe, vaut donc également ici. Cette situation soulève la question juridique de l’incidence d’une ignorance de l’affectation, singulièrement le problème de la charge de la preuve. D’aucuns ont émis l’hypothèse qu’une telle ignorance devait bénéficier à la mesure nationale16. Il y a plutôt lieu de croire que les règles générales relatives à la charge de la preuve sont applicables. En cas de recours en manquement, il incombe normalement au requérant, par exemple la Commission, de prouver que la prévention est établie17. Dans le cadre du renvoi préjudiciel en interprétation, la Cour de justice, tout en laissant formellement l’appréciation de l’application des conditions pertinentes au seul juge national, impose pratiquement à l’Etat de se défendre pour prouver que la mesure nationale n’enfreint aucune des exigences que pose le traité relativement aux entraves à la circulation18, mais il arrive aussi que dans le cadre d’une procédure en manquement l’Etat soit amené en fait à assumer le risque de la preuve19.
3113. La seconde limite procède de la règle générale de la primauté du droit dérivé sur le droit national. La mesure fiscale ne peut être contraire aux dispositions d’un acte adopté par le Conseil. En matière fiscale, il s’agit surtout de vérifier la compatibilité de l’écotaxe avec la directive no 92/12 du Conseil du 25 février 1992 relative au régime général, à la détention, à la circulation et au contrôle des produits soumis à accise20. En effet, le régime de l’écotaxe ne paraît pas permettre d’assimiler celle-ci à une taxe sur le chiffre d’affaires. Si c’était le cas, il y aurait lieu de constater que nulle imposition de ce type ne peut intervenir en dehors du régime de la T.V.A.
32La directive du 25 février 1992 laisse aux Etats la faculté d’introduire des impositions frappant les produits autres que ceux entrant dans son domaine d’application, à condition toutefois que ces impositions ne donnent pas lieu dans les échanges entre les Etats membres à des formalités liées au passage des frontières (art. 3, § 3). Le régime de l’écotaxe paraît respecter ces conditions.
B. Régime des aides pécuniaires
3314. La question de l’affectation du produit éventuel de l’écotaxe soulève la problématique du respect des règles du traité relatives aux aides d’Etat. On sait en effet que l’article 92 pose un principe d’interdiction, assorti d’exceptions, et que l’article 93 organise une procédure spécifique de contrôle de ces aides.
34La circonstance « qu’une mesure nationale satisfait aux exigences de l’article 95 n’implique pas qu’elle soit légitimée au regard d’autres dispositions, telles que celles des articles 92 et 93 »21. La pertinence de l’application de ces dispositions apparaîtrait à l’occasion d’une aide accordée à un produit non visé par l’écotaxe22.
35Les précisions qui suivent ont pour but d’attirer l’attention des pouvoirs publics nationaux ou régionaux sur la nécessité de respecter les exigences du droit communautaire en cette matière, sans détailler pour autant le droit des aides d’Etat.
1°. Notion d’aide étatique
3615. L’aide d’Etat reçoit une définition particulièrement large. Il suffit de préciser ici qu’elle est susceptible de couvrir l’affectation d’une taxe, même si celle-ci est versée par un organe décentralisé, telle une Région, ou par une société privée chargée de la gestion d’une politique d’intérêt public23.
37L’application du régime d’interdiction dépend encore de l’ampleur de l’aide. Il faut en effet que celle-ci soit susceptible d’affecter le commerce communautaire24.
2°. Régime des aides étatiques
3816. L’interdiction n’est ni absolue ni inconditionnelle. Le traité lui-même admet le principe de l’aide aux régions, de l’aide sectorielle ou de l’aide à des programmes d’intérêt européen commun.
39C’est ainsi que la recommandation du Conseil du 3 mars 1975 relative à l’imputation des coûts en matière d’environnement25 admet une aide étatique destinée à soutenir une politique structurelle ou régionale conforme aux exigences de l’article 92 du traité. De même, la Commission admet des aides « horizontales » tendant à la protection de l’environnement, si elles revêtent un caractère exceptionnel, c’est-à-dire si elles sont destinées à une entreprise incapable de faire face aux coûts de traitement et que l’aide est nécessaire pour éviter des difficultés économiques26. A titre de comparaison la directive no 75/439 du 16 juin 1975 concernant l’élimination des huiles usagées27 tolère les indemnités destinées aux entreprises de traitement si elles constituent une contrepartie des coûts du traitement.
40Un élément important du régime des aides est d’ordre procédural. L’article 93 impose une série de conditions, dont celle de ne pas exécuter une aide avant l’adoption par la Commission d’une décision sur la compatibilité de celle-ci avec le droit communautaire. Dans cette perspective, la Commission doit être tenue informée en temps utile des projets tendant à instituer ou à modifier une aide. La violation de cette procédure peut conduire à un recours en manquement contre l’Etat. Donne-t-elle lieu également à une sanction au profit du particulier ? Un tribunal national serait incompétent pour se prononcer sur l’incompatibilité de l’affectation du produit d’une taxe parafiscale, mais il pourrait constater que l’exécution de cette aide n’a pas été autorisée par la Commission et sauvegarder les droits du justiciable à l’encontre d’une telle exécution28.
§ 2. Régime des entraves techniques
4117. Lorsqu’une mesure ne relève pas du domaine d’application des articles 12 ou 95 du traité, elle est encore susceptible de constituer une restriction quantitative à l’importation ou à l’exportation au sens des articles 30 à 37 du traité. L’examen du degré de compatibilité du régime des écotaxes suppose une double vérification, relative à la fois à la définition des entraves visées par cette partie du traité et aux conditions d’appréciation d’une telle entrave.
A. Nature des entraves techniques
4218. Pour faire bref, l’on peut qualifier d’entrave technique toute mesure dont l’effet équivaut à celui d’une restriction quantitative, en ce sens que, quant au résultat de la mesure, celle-ci rend impossible ou plus difficile en fait l’opération d’importation ou d’exportation.
43Dans la réglementation des écotaxes, il convient de distinguer les dispositions fiscales des autres.
1°. Mesures d’ordre pécuniaire
4419. Des mesures d’ordre fiscal sont-elles susceptibles d’être visées par les articles 30 et suivants du traité ? La réponse est à première vue négative lorsque de telles mesures relèvent, tantôt de l’article 12, tantôt de l’article 9529. Il est indifférent de constater que ces dispositions, comme celles des articles 30 et suivants, ont pour objectif commun d’assurer la circulation des biens30.
45Toute mesure d’ordre pécuniaire n’échappe pas pour autant au domaine de l’article 30. D’abord, une réglementation publique de prix peut constituer une entrave technique lorsqu’elle rend plus difficile l’importation ou l’exportation, ne constituant pas une charge qui est imposée comme telle sur le produit31. Ensuite, les modalités d’une aide d’Etat non nécessaires à l’objet ou au fonctionnement de celle-ci, tels des avantages fiscaux à la presse, pourraient également être assimilées à une entrave technique32.
46L’exclusion de tout contrôle de l’écotaxe en raison de la nature pécuniaire de la mesure paraîtrait quelque peu artificielle. Plusieurs éléments plaident en faveur d’une extension de ce contrôle.
47En premier lieu, on observe que la redevance entend agir sur le prix du produit et relève à ce titre d’une politique de prix davantage que d’une politique fiscale33. Il est indéniable que l’objectif poursuivi par la mesure relève moins de la fiscalité que de la réglementation des prix : le montant de la redevance est calculé de telle manière que la hausse consécutive du produit sera de nature à générer une recette fiscale nulle. Une argumentation de ce type fut aussi présentée par la Commission lors de ses observations dans l’affaire de la taxe parafiscale sur les produits pétroliers. La Cour de justice ne l’a cependant pas suivie et a dénié que la mesure française puisse être évaluée sur base de l’article 30 du traité34. Cette affaire présentait évidemment une analogie avec le cas des écotaxes, puisque la mesure de prix avait un objectif non économique supérieur à celui de la circulation des biens.
48En second lieu, le mécanisme de redevance a pour objet d’agir sur la commercialisation des produits concernés. Si son caractère dissuasif est de nature à arrêter la consommation de ceux-ci, la mesure équivaut pratiquement à une interdiction de commercialisation. De fait, l’article 388 de la loi relatif aux missions de la Commission de suivi instituée par la loi évoque le « caractère dissuasif entraînant la réorientation des modes de production et de consommation ». Or, une mesure interdisant la commercialisation ou la rendant plus difficile relèverait certainement du domaine de l’article 30 du traité. Et si la loi a pour objectif d’encourager le système de la consigne, on n’est pas loin d’une réglementation technique d’imposition d’un tel système de consigne, mesure également susceptible de constituer une entrave technique35.
49De fait, plusieurs arrêts de la Cour de justice peuvent être invoqués comme permettant un contrôle sur base de l’article 30, de mesures pécuniaires « qui font obstacle aux courants d’importation » même si elles n’ont qu’« indirectement pour effet d’entraver la commercialisation », car « la circonstance que certaines de ces entraves doivent être examinées au regard de dispositions spécifiques du traité comme celles de l’article 95 en matière de discriminations fiscales, ne diminue en rien le caractère général des interdictions que comporte l’article 30 »36.
5020. D’autres considérations, étrangères à la nature même de la mesure, peuvent encore intervenir à propos d’une mesure fiscale indistinctement applicable aux produits nationaux et aux produits importés.
51D’un côté, si un produit était écotaxé dans son pays d’origine sans bénéficier d’une exonération à l’exportation, il subirait une charge plus lourde que les produits nationaux s’il devait subir une nouvelle écotaxe dans le pays d’importation : dans une telle hypothèse, il y aurait un certain sens à appliquer le test de proportionnalité pour tenir compte de l’équivalence de la mesure étrangère de protection de l’environnement37.
52D’un autre côté, lorsque la Cour de justice affirme que le caractère discriminatoire d’une mesure fiscale sert à déterminer le domaine d’application de l’article 9538, on devrait en déduire qu’une mesure fiscale indistinctement applicable échappe au domaine de cette disposition et que, dès lors, rien n’empêche de contrôler cette mesure sur base d’autres articles du traité, tel l’article 30. Mais l’argument est quelque peu spécieux, puisque l’article 95 a précisément pour résultat de tolérer les entraves fiscales indistinctement applicables.
2°. Autres mesures
5321. Outre l’imposition d’une redevance, la réglementation relative aux écotaxes prévoit d’autres dispositions susceptibles de constituer une entrave technique. On a cité la possibilité de donner cette qualification au mécanisme d’encouragement de la consigne. L’appréciation est encore plus certaine en ce qui concerne certaines mesures de marquage des produits prévue par la loi.
54Ainsi, les objets consignés doivent-ils « porter un signe distinctif visible » (art. 372, 3°, pour les récipients pour boissons, art. 378, 3°, en ce qui concerne les piles, art. 380, 3°, pour les récipients contenant certains produits industriels). En outre, un « signe distinctif » doit être apposé sur tout récipient ou produit soumis à une écotaxe, pour faire apparaître qu’il est écotaxé, qu’il est exonéré ou qu’il fait l’objet d’une consigne — auquel cas le montant de celle-ci doit être indiqué (art. 391).
55L’entrave consiste dans la nécessité pour les importateurs d’adapter l’étiquetage de leurs produits pour les conformer à la réglementation belge. Cette soumission au contrôle de l’article 30 ne signifie pas pour autant, comme on le verra, qu’une telle mesure doit être considérée comme contraire à cette disposition.
5622. Le législateur a eu soin d’exonérer les récipients et autres produits, notamment, dans le cas d’exportation (art. 392). Cette exonération semble concerner toute exportation, tantôt vers un Etat membre de la Communauté, tantôt vers un Etat tiers. En toute hypothèse, il en résulte que la réglementation des écotaxes n’est pas susceptible de constituer une entrave à l’exportation au sens de l’article 34 du traité.
57L’exonération résulte sans doute de l’emprunt fait par la loi au régime des accises pour déterminer les modalités de perception de la taxe. En effet, la législation sur les accises ne porte que sur les produits mis à la consommation sur le territoire.
5823. Une mesure nationale pourrait encore apparaître comme une entrave à la commercialisation en considérant moins son contenu que le processus de son application. En effet, si une disposition législative ou ses mesures d’exécution sont à ce point complexes parce qu’assorties de multiples conditions ou de critères non objectivables, que la prévisibilité de son application n’apparaît pas à ses destinataires, l’opérateur économique, singulièrement une entreprise étrangère, peut être découragé de commercialiser un produit. En d’autres termes, tout comme il lui appartient d’assurer au justiciable les garanties de recours juridictionnel dans les procédures dont celui-ci peut faire individuellement l’objet, le législateur se doit d’établir des actes généraux susceptibles d’assurer la sécurité juridique39.
59L’appréciation de la vérification d’une telle condition sera fonction, notamment, du degré de précision des mesures d’exécution qu’appelle la législation relative aux écotaxes.
B. Conditions d’appréciation des entraves techniques
6024. Lorsqu’une mesure relève du domaine de l’article 30 et qu’il est établi qu’elle entrave l’importation de produits en provenance d’un autre Etat membre, il s’en déduit une interdiction de principe. La mesure nationale sera alors inapplicable par le juge national, ou pourra donner lieu à un arrêt en constatation de manquement de la Cour de justice.
61Cette interdiction n’est cependant pas inconditionnelle. Même si le texte du traité n’est pas très clair à ce sujet, la jurisprudence de la Cour de justice permet de dégager assez nettement quatre conditions auxquelles toute mesure doit se soumettre pour constituer une entrave licite. En d’autres termes, une entrave nationale sera considérée comme compatible avec l’article 30 si elle respecte cumulativement ces quatre conditions : la violation de l’une d’elles emporte condamnation de la mesure.
1°. Respect du droit communautaire dérivé
6225. L’existence d’une mesure communautaire d’harmonisation des législations nationales dont l’objet correspond en tout ou en partie à celui de la mesure nationale en cause, joue un rôle déterminant pour l’analyse de celle-ci. En effet, le contenu de la règle harmonisée s’impose à l’Etat, et la Cour de justice va même jusqu’à considérer qu’en ce cas les articles 30 et suivants du traité ne sont pas applicables40. Le propos, pour être clair, ne semble pas moins excessif : le droit dérivé ne saurait porter d’atteinte au contenu du droit primaire, tels les articles 30 et suivants du traité41.
63Ce principe connaît toutefois une exception, introduite à l’occasion de la révision du traité par l’Acte unique de 1986. Cette exception peut prendre deux formes. D’abord, un Etat peut décider d’appliquer des dispositions nationales contraires, si elles poursuivent l’un des objectifs énoncés à l’article 36 du traité ou la protection de l’environnement ou du milieu de travail ; de telles mesures doivent cependant être notifiées à la Commission, qui décide de leur confirmation (art. 100 A, § 4). L’article 130 T confirme, en matière d’environnement, cette faculté laissée à l’Etat : « les mesures de protection arrêtées en vertu de l’article 130 S ne font pas obstacle au maintien et à l’établissement, par chaque Etat membre, de mesures de protection renforcées ». Ensuite, c’est l’acte même d’harmonisation qui doit prévoir, dans les cas appropriés, la faculté pour l’Etat de prendre une mesure de sauvegarde ponctuelle en vue de la protection de l’un des intérêts énoncés à l’article 36, mais cette mesure doit avoir un caractère temporaire et être soumise à une procédure de contrôle communautaire (art. 100A, § 5). On observe qu’assez curieusement cette faculté-ci n’existe qu’en relation avec l’un des objectifs que cite l’article 36, ce qui ne couvre pas la protection de l’environnement en tant que tel mais bien « la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou [...] la préservation des végétaux » !
64On voit qu’en matière de protection de l’environnement, l’Etat pourrait déroger à une directive communautaire s’il l’estime nécessaire pour cette protection. Pareille mesure dérogatoire resterait néanmoins sous le contrôle des règles générales du traité, c’est-à-dire des trois conditions analysées ci-dessous. Une telle précision est donnée par l’article 130 T précité, aux termes duquel « ces mesures doivent être compatibles avec le présent traité ».
6526. Encore convient-il d’examiner avec précision, dans chaque cas d’espèce, quelle est l’étendue de l’harmonisation. Il ne suffit pas de constater par exemple qu’une directive porte sur un produit soumis à écotaxe pour en déduire que celle-ci ne saurait être examinée qu’en fonction de celle-là. La directive peut se contenter d’harmoniser certains aspects de la réglementation relative au produit, tout en laissant intactes, pour le reste, les législations nationales (cas d’une harmonisation partielle). Elle peut également, pour les matières mêmes qu’elle vise, prévoir que ses dispositions n’empêchent pas l’Etat de prendre des mesures plus restrictives, en vue de la protection d’un intérêt qu’elle détermine (cas d’une harmonisation optionnelle ou minimale).
66A propos de la législation relative aux écotaxes, il y aurait alors lieu d’examiner, produit par produit, ou récipient par récipient, si ceux-ci ne sont pas couverts par une directive. Celle-ci peut être, soit de type vertical en ce sens qu’elle porterait sur un produit déterminé, soit de type horizontal, portant alors sur un aspect déterminé d’un ensemble de produits.
67Un examen systématique supposerait une étude assez technique faisant appel à une expertise propre à chacun des produits concernés. Aussi dépasse-t-il les possibilités de cette étude. Tout au plus est-il utile de fournir certaines orientations générales. Celles-ci concernent la commercialisation des piles et des produits phytopharmaceutiques, ainsi que l’élimination des déchets. Il y a également lieu de considérer la problématique des emballages, ceux-ci faisant l’objet, pour les liquides alimentaires, de la directive générale no 85/339 du Conseil du 27 juin 1985, dont l’abrogation est envisagée en vue de son remplacement par une directive portant sur l’ensemble des emballages42. Il est renvoyé sur ce point au rapport de M. de Sadeleer.
a) La commercialisation des produits phytopharmaceutiques
6827. La directive no 91/414 du Conseil du 15 juillet 1991, fondée sur l’article 43 du traité relatif aux produits de l’agriculture, concerne la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques43. Elle trahit l’ambivalence de tels produits, à la fois dangereux pour l’environnement et facteurs de productivité agricole au sens de l’article 39 du traité.
69Le contenu de la directive est classique. Il établit une obligation d’agrément et harmonise les conditions techniques que doivent remplir les produits pour obtenir l’agrément. Un produit conforme à ces conditions peut alors être considéré comme suffisamment sûr. Par conséquent, l’Etat ne saurait entraver la mise sur le marché d’un produit agréé.
70Cette directive paraît catégorique. Abstraction faite de la portée qu’il convient de reconnaître aux dispositions générales de l’article 100 A, § 4, du traité, on peut croire que l’imposition d’une redevance suffisamment dissuasive pour empêcher la commercialisation est contraire à la directive. On observe cependant que la législation sur les écotaxes exclut ou exonère de la redevance bon nombre d’opérations, de sorte que le risque d’incompatibilité n’est sans doute susceptible de concerner qu’une catégorie très marginale de produits. Cette circonstance est au demeurant de nature à mettre en doute la proportionnalité de la mesure appliquée à ces produits44.
b) L’élimination des déchets
7128. La directive no 91/156 du Conseil du 18 mars 1991 relative aux déchets est fondée sur l’article 130 S du traité, au titre de la politique de l’environnement45. Complétant la directive no 75/442 du 15 juillet 1975 relative à l’« élimination » des déchets46, elle oblige l’Etat à promouvoir « en premier lieu » la prévention ou l’élimination des déchets, notamment par la promotion de technologies alternatives ou l’élimination de substances dangereuses, « en deuxième lieu » la valorisation des déchets par leur recyclage, réemploi ou récupération. Un plan doit être établi à cette fin, qui permet d’organiser le ramassage. En vertu du principe du pollueur-payeur, le coût de l’élimination est supporté par le détenteur.
72A la différence de la précédente, cette directive peut être qualifiée d’horizontale. Puisqu’abordant le produit sous la problématique de son statut après utilisation, elle est susceptible de couvrir tout récipient ou produit visé par la législation sur les écotaxes47.
73A première vue, cet acte communautaire n’est guère susceptible d’affecter la réglementation relative aux écotaxes. Il tend essentiellement à l’établissement d’un processus affectant le produit après sa commercialisation et consommation. Pourtant, en incitant à des mesures d’élimination et de valorisation, il cautionne une mesure nationale préventive, celle-ci s’exprimât-elle dans une disposition de nature parafiscale ou dans l’encouragement à l’utilisation d’un système de consigne. De fait, la directive, selon la Cour de justice, ne s’oppose pas à ce que l’Etat interdise de commercialiser un produit visé en vue de la protection de l’environnement, car son but est de « favoriser les mesures nationales susceptibles de prévenir la formation de déchets » et que l’interdiction est susceptible de contribuer à ce but48.
c) La commercialisation des piles
7429. La directive no 91/157 du Conseil du 18 mars 1991 — qui dit compléter la directive de 1975 relative aux déchets — concerne les « piles et accumulateurs contenant certaines matières dangereuses »49. Fondée sur l’article 100 A, elle vise à la fois à faciliter la circulation des produits visés et à assurer la protection de l’environnement.
75L’Etat doit prendre des mesures en vue de la collecte séparée des produits, soit pour leur valorisation, soit pour leur élimination, imposer un marquage indiquant que le produit est soumis à collecte, établir un programme de réduction des matières dangereuses dans les produits, interdire certaines piles contenant du manganèse, veiller à un système efficace de collecte ou de consigne.
76La mise sur le marché des produits conformes à la directive ne peut faire l’objet d’une entrave supplémentaire.
77L’Etat peut toutefois encourager le recyclage des produits par l’établissement d’« instruments économiques » appropriés, terme qui peut comprendre un système de consigne selon le préambule de la directive ou encore, selon des commentaires plus généraux, un système de redevances50. Mais la directive impose des conditions : l’instrument doit faire l’objet d’une consultation préalable des parties intéressées, il doit reposer sur des critères écologiques et économiques valables et il doit éviter des distorsions de concurrence.
78Non seulement la réglementation des écotaxes ne tend-elle pas à mettre en œuvre cette directive, mais encore introduit-elle une réglementation susceptible d’influencer la commercialisation de piles, au risque de constituer une entrave nouvelle à leur importation. L’attitude du législateur n’est sans doute pas conforme à l’esprit du texte communautaire51. Alors que celui-ci n’interdit formellement que les produits dangereux, la loi ne prévoit pas une telle restriction mais étend la redevance de caractère « dissuasif » à d’autres catégories de piles. De plus, la directive entend bien éliminer la cause du caractère dangereux du produit et, partant, permettre la commercialisation de tout produit conforme à ses dispositions. Si l’éventualité d’instruments économiques nationaux est prévue, c’est sous des conditions dont le respect doit être vérifié.
2°. Poursuite d'un objectif légitime
7930. De manière générale, une mesure restrictive des échanges, qu’elle soit nationale ou communautaire, peut constituer une entrave acceptable si elle repose sur un objectif légitime. Celui-ci correspond à la poursuite par l’Etat ou par la Communauté des missions d’intérêt général que requiert la conduite des affaires publiques. C’est admettre que le principe général de la liberté de commerce et d’industrie peut céder devant un principe qui lui est supérieur, de nature non économique.
80L’article 36 du traité traduit un tel concept, non sans certaine ambiguïté. Une liste de caractère exhaustif y énumère les buts que l’Etat peut invoquer pour justifier sa mesure. Si cette disposition fait à certains égards figure d’une réserve de souveraineté formulée par les Etats lors de la conclusion du traité, sa mise en œuvre n’est pas moins sous contrôle communautaire. De plus, le droit communautaire affirme progressivement et de manière de plus en plus nette l’apparition de valeurs proprement communautaires, telle la protection de la santé52 : dans cette perspective, l’article 36 pourrait être vu aujourd’hui, du moins pour certains des objectifs énoncés, comme une délégation faite aux Etats de prendre les mesures d’exécution appropriées en vue de la protection des intérêts concernés, dans l’attente d’une intervention communautaire.
81On sait, depuis l’arrêt « Cassis de Dijon » du 20 février 1979, que la Cour de justice a admis, de façon prétorienne, l’adjonction d’une liste complémentaire d’objectifs légitimes, qualifiés d’« exigences impératives d’intérêt général »53. Avec quinze années de recul, il reste malaisé de dissocier, quant leur nature, les objectifs de la seconde liste de ceux de la première liste. A tout le moins, la Cour de justice impose cette dissociation, un objectif ne pouvant relever des deux listes à la fois54. Il est cependant clair que l’on peut y trouver des intérêts supérieurs « du droit communautaire », singulièrement celui de la protection de l’environnement55. Ceux-ci peuvent certes être poursuivis par l’Etat, mais ils ne cessent pas pour autant d’appartenir aussi au système communautaire.
8231. A ce titre, on peut comprendre que la Cour de justice, gardienne des valeurs fondamentales inhérentes au système communautaire, tienne à promouvoir avec une force particulière la préservation de ces intérêts dont la supériorité sur ceux du commerce est par ailleurs avérée par la consécration d’une politique communautaire de l’environnement dans l’Acte unique de 1986. C’est dans cette perspective que l’on peut sans doute situer l’appréciation pour le moins libérale donnée par la Cour à la condition de non-discrimination dans l’affaire des déchets wallons56.
83Il est donc très clair, non seulement que l’Etat belge pourrait fonder les entraves éventuelles liées à la législation sur les écotaxes, sur un objectif de protection de l’environnement, mais encore que la poursuite d’une telle politique pourrait recevoir l’encouragement de la Cour. Ce facteur d’appréciation pourrait encore se voir amplifié s’il pouvait être établi que l’application du principe de subsidiarité — déjà présent à l’article 130 R, § 4, du traité dans sa version de 1986 et consacré plus généralement par l’article 3 B, alinéa 2, du traité de Maastricht — devait conduire à préférer l’action des Etats à celle de la Communauté. Ce pourrait être le cas si le recours à des instruments économiques de nature parafiscale devait apparaître comme le moyen le plus efficace pour réduire le risque d’atteintes à l’environnement.
3°. Respect du principe de non-discrimination
8432. Cette condition résulte de l’article 7 du traité, auquel l’article 30 comme tel ne déroge pas. La mesure nationale ne peut donc imposer un traitement qui défavorise, de quelque manière que ce soit, un produit étranger par rapport à un produit national. En d’autres termes, la mesure doit être indistinctement applicable aux produits nationaux et aux produits importés. La Cour de justice a certes admis, en des termes peu motivés, qu’une mesure poursuivant l’un des objectifs énoncés par l’article 36, telle la protection de la santé, pouvait être discriminatoire57. Une telle dérogation ne nécessite pas d’examen dans le cadre de cette étude, puisque la réglementation des écotaxes poursuit un objectif extérieur à l’article 36.
85Il convient de préciser que la discrimination que prohibe l’article 7 du traité est uniquement celle qui est basée sur la nationalité, c’est-à-dire, pour les produits, sur l’origine de ceux-ci. Cela signifie que le traité n’interdit pas toute discrimination entre des opérateurs économiques. L’interdiction a donc une portée plus restreinte que celle que porte l’article 6 de la Constitution belge. Normalement donc, la disposition ne saurait être invoquée avec succès par une entreprise dont les produits sont visés par une écotaxe pour le seul motif que des produits concurrents en sont exonérés.
8633. Certaines mesures indistinctement applicables en apparence peuvent toutefois être discriminatoires en fait, quant au résultat de leur application concrète. Ainsi peut-on se demander si un système d’encouragement à la consigne ne revêt pas ce caractère. Ce pourrait être le cas s’il a pour effet de contraindre l’entreprise étrangère à des coûts supplémentaires comparativement à l’entreprise nationale, ou s’il s’avérait qu’un système de consigne n’est praticable que lorsque la distance géographique entre le point de consommation et le point de conditionnement ou de reprise est réduite, nécessitant pratiquement la présence d’un établissement — fût-ce sous la forme d’une agence — sur le territoire. C’est en ce sens qu’avait conclu l’avocat général Slynn dans l’affaire du conditionnement de la bière, mais la Cour de justice n’a pas cru devoir le suivre58.
87La possibilité pour le contribuable d’obtenir une déductibilité fiscale correspondant au montant de la redevance acquittée est-elle susceptible de comporter un effet discriminatoire indirect ? La question mérite en soi d’être posée si la déductibilité n’est accessible qu’aux personnes résidant sur le territoire national, en ce sens qu’une entreprise étrangère pourrait se voir refuser la déductibilité aux fins d’imposition par l’Etat de son établissement.
4°. Respect du principe de proportionnalité
8834. Il ne suffit pas qu’une mesure nationale, telle l’écotaxe, poursuive un objectif légitime de manière indistinctement applicable aux produits nationaux et aux produits importés. Encore faut-il que soit établi un degré de nécessité entre la mesure et l’objectif.
89Ce contrôle oblige à apprécier le contenu même des dispositions nationales en cause. Cette appréciation appartient moins à la Cour de justice qu’à l’autorité chargée de veiller à l’application du droit communautaire, à savoir le juge national. Il y va d’une évaluation souveraine d’éléments de fait, qui appelle le plus souvent, il faut bien le dire, un niveau d’expertise technique qui échappe au juriste. Cette évaluation pourra notamment tenir compte des habitudes de consommation dans le pays du marché. On aperçoit aussi l’importance de fait accordée par la Cour de justice, tantôt aux résultats de la recherche scientifique internationale, tantôt à une comparaison entre les mesures techniques adoptées par l’ensemble des Etats de la Communauté. Une mesure nationale isolée de ce point de vue a peu de chance de passer l’examen de proportionnalité.
90Cette caractéristique explique pourquoi il est tellement difficile de circonscrire les contours de ce contrôle. Son importance n’échappe pourtant à personne. Principe général non écrit du droit communautaire, la proportionnalité apparaît de plus en plus comme le principal outil d’évaluation de la conformité d’une mesure nationale. Aujourd’hui en effet, celle-ci sera très rarement discriminatoire et la jurisprudence « Cassis de Dijon », en étendant la liste des objectifs légitimes, a eu pour résultat logique de réduire la sévérité de ce contrôle-là.
91Cette difficulté n’empêche pourtant pas de dégager des critères constants d’appréciation, à la lumière de la jurisprudence de la Cour. Sous l’angle du résultat recherché, le contrôle tend à vérifier en somme si une mesure moins sévère aurait pu être adoptée et si, plus fondamentalement, l’Etat poursuit effectivement l’objectif affiché ; ce contrôle-ci peut revenir, en quelque sorte, à contester l’existence d’un objectif légitime, notamment en présence d’une mesure réellement discriminatoire. Sans doute aussi convient-il, en matière d’environnement, d'apprécier ces critères en tenant compte de la nécessité de viser « un niveau de protection élevé », exigence d'ailleurs nouvellement introduite à l’article 130 R, § 2, par le traité de Maastricht à propos des compétences communautaires.
92Sous un angle plus technique, on observe que la Cour pratique — ou recommande au juge national de pratiquer — un double test de proportionnalité, celui de l’efficacité de la mesure et celui de l’interchangeabilité de celle-ci.
93Ce double test est cumulatif. Il doit être effectué, non pas sur la législation nationale dans son ensemble, mais mesure par mesure. Ainsi convient-il sans doute de distinguer, pour chacun de ces tests, les dispositions légales relatives à la redevance, à la consigne et au marquage.
a) Le test d’efficacité de la mesure
9435. Le test d’efficacité est sans doute le plus subtil et le plus diffus. Globalement, il tend à établir que la mesure est utile, qu’elle remplit bien le but poursuivi. Plus spécifiquement, elle consiste aussi à examiner si la mesure n’est pas le simple doublet d’une mesure étrangère équivalente. Le test d’efficacité comprend donc lui-même un double contrôle.
1. Le contrôle de l’utilité de la mesure
9536. A propos de la législation sur les écotaxes, plusieurs éléments sont susceptibles d’influencer l’appréciation de l’utilité de la mesure.
La vérification peut porter sur le domaine de l’entrave. Celle-ci n’est crédible que si elle concerne effectivement une catégorie suffisante de polluants susceptibles d’être théoriquement affectés. Si elle ne touche qu’une catégorie marginale, on peut en déduire que la mesure, soit est inutile, soit poursuit en réalité un but distinct de celui qui est prétendu59. Ce critère d’appréciation pourrait concerner l’imposition des produits phytopharmaceutiques, seule une catégorie assez restreinte étant soumise à l’écotaxe. De plus, l’exclusion des exportations pourrait porter atteinte à la crédibilité de la mesure : de même qu’il n’appartient pas à l’Etat — ni à la Communauté — d’autoriser l’exportation de produits dangereux ou toxiques, on ne voit guère en soi pourquoi libérer sans contrainte l’exportation de produits écotaxables. La justification peut tout au plus résider dans la configuration technique de la mesure, dont le caractère fiscal appelle, dans l’état actuel du droit communautaire comme du droit international public général, l’application du principe de territorialité, que la législation sur la perception des accises concrétise par le lieu de la mise à la consommation.
La vérification pourrait porter sur le calcul du montant de l’imposition. L’objectif de protection de l’environnement suppose son caractère suffisamment dissuasif. C’est bien sous cet angle que le législateur belge a établi le montant de la redevance. Il reste évidemment à vérifier si cet instrument économique est effectivement en mesure de modifier de manière sensible le comportement du consommateur. Il est probable que l’appréciation pourrait varier selon que le produit imposé connaît ou non un produit de substitution, non imposable. Mais encore le mode de calcul du montant devrait-il respecter le test d’interchangeabilité, évoqué ci-dessous.
La redevance peut-elle porter sur un ensemble indifférencié de produits, sans considérer le caractère plus ou moins nocif de certaines catégories spécifiques en fonction de la composition de ceux-ci ? Une telle vérification pourrait être effectuée à propos de la redevance frappant les piles. A titre de comparaison, la directive du 18 mars 1991 ne concerne que les piles dangereuses60.
2. Le contrôle de l’équivalence des mesures
9637. Ce contrôle-ci procède d’une spécificité de l’ordre juridique communautaire — le rapprochant de la discipline du droit international privé — qui, traitant de la circulation de biens dans un espace caractérisé par une disparité des législations nationales, s’attache à déterminer, parmi les réglementations en présence, celle qu’il convient d’appliquer. Le postulat de la liberté de circulation implique qu’une préférence de principe joue en faveur de la réglementation de l’Etat d’origine du produit, étant entendu que celle de l’Etat du marché n’a de titre à s’appliquer que si la précédente est insuffisante à réaliser l’objectif légitime poursuivi par l’un et l’autre législateurs.
97Ce processus suppose que différentes conditions soient remplies pour qualifier la mesure nationale d’inefficace : (1) les réglementations nationales en présence poursuivent un objectif légitime identique, telle la protection de l’environnement ; (2) l’Etat d’origine du produit édicte une réglementation qui réalise efficacement cet objectif ; et (3) le contenu de la réglementation de l’Etat du marché, tout en recourant à d’autres moyens que la réglementation correspondante de l’Etat d’origine, ne sert pas plus efficacement cet objectif de protection.
98L’inefficacité de la mesure nationale résulte ainsi d’une « équivalence » de la réglementation de l’Etat d’origine, laquelle requiert une « reconnaissance mutuelle » des normes et autorisations nationales.
9938. Comment appliquer ce contrôle à la législation sur les écotaxes ?
100La réponse dépend évidemment d’une analyse du droit comparé, qui ne devrait pas se limiter à un examen des législations étrangères relatives à un système analogue de redevances ou d’organisation de collectes mais devrait s’étendre à la réglementation technique relative à la composition des produits. C’est dire si la présente étude n’est pas à même de conclure sur ce point.
101A titre d’exemple, si un fabricant étranger se voyait imposer une charge équivalente dans son pays d’origine tendant à prévenir le risque d’atteinte à l’environnement, telle une redevance due sur l’opération de fabrication, il ne devrait pas se voir imposer une seconde charge ne tenant aucun compte de la première61.
b) Le test d’interchangeabilité de la mesure
10239. Il appartient au juge national d’évaluer si, plutôt que la mesure intervenue, il eût été possible d’en adopter une autre, moins restrictive des échanges intra-communautaires. Ce test-ci fait appel à l’imagination du législateur. Il suppose que celui-ci ne dispose plus d’une appréciation discrétionnaire des moyens de sa politique, mais qu’il doit, entre toutes les alternatives possibles, choisir celle qui, tout en restant pleinement efficace, est la moins sensible pour les échanges. Ainsi formulé, ce test n’est pas sans rappeler l’obligation générale de coopérer de l’Etat, que consacre l’article 5 du traité.
103L’expérience communautaire en matière d’environnement fournit plusieurs éléments d’évaluation.
Les premiers travaux faisaient état de la difficulté de décider laquelle des techniques d’élimination — préventive ou a posteriori — ou de revalorisation — récupération ou recyclage — est préférable : les unes et les autres contribuent également à prévenir les atteintes à l’environnement62. Si les travaux les plus récents tendent à établir une liste prioritaire, c’est pour considérer comme les moins favorables la mise en décharge et l’élimination a posteriori, un ordre de préférence étant établi pour la prévention, la réutilisation et le recyclage, non sans discussion toutefois63. Confrontées l’une avec l’autre, les techniques de consigne et de recyclage sembleraient à tout le moins assez proches en termes d’efficacité64. La législation sur les écotaxes, de son côté, avantage nettement la technique de la consigne par rapport à celle du recyclage.
L’application de la méthode du moindre coût économique65 conduit à s’interroger sur le calcul du montant de la charge imposée sur le produit. Certains travaux communautaires plaident en faveur d’une adéquation entre ce montant et la gravité de l’atteinte ou le coût de l’opération de traitement nécessaire à la réutilisation ou au recyclage66. La législation sur les écotaxes, qui recherche d’abord un effet dissuasif, ne paraît pas se conformer strictement à ce critère.
Le critère du moindre coût incite également les autorités communautaires à choisir pour alternative à la charge pécuniaire, une mesure pécuniaire d’allègement. Celle-ci est qualifiée de méthode « la plus efficace »67. Elle permet de réaliser une politique de « neutralité fiscale », qui se garde d’augmenter la charge fiscale dans son ensemble, dans le double but de favoriser un comportement favorable à l’environnement et de préserver la croissance et la lutte contre l’inflation68. La législation sur les écotaxes réalise-t-elle cet objectif de neutralité ? Elle comporte certes l’incitant de la consigne, mais celui-ci ne vaut pas pour tous les produits écotaxables.
Le choix de l’instrument fiscal accentue le phénomène de frontière, dans l’état actuel du droit fiscal international, fondé sur le principe de la territorialité69. Il est vrai que la Communauté elle-même songe à cet instrument en matière de protection de l’environnement. Mais il s’agit ici d’une mesure uniforme — non pas unilatérale — et il est significatif que l’entrée en vigueur du régime proposé serait conditionnée par l’existence d’un régime analogue dans les pays de l’O.C.D.E.70.
Une politique d’encouragement de la consigne a été considérée comme conforme au principe de proportionnalité dans l’arrêt de la Cour, assez peu motivé à cet égard, sur le « Conditionnement de la bière », dans la mesure où il apparaît comme une « restriction inévitable » pour la protection de l’environnement71.
Des politiques alternatives, recourant à des moyens non pécuniaires, doivent également être envisagées, tantôt parce que l’instrument économique serait insuffisant, tantôt parce que de tels moyens pourraient être moins restrictifs des échanges. On peut songer à une politique d’information et d’éducation des consommateurs, qui peut se traduire notamment par des exigences d’étiquetage approprié des récipients et produits, par exemple l’apposition de la marque « nuit gravement à l’environnement », ou d’un signe indiquant une valorisation72. De plus, la plupart des initiatives de la Communauté plaident en faveur de la mise en place de procédures de retour comme moyen principal de protection, la redevance ne figurant que comme outil accessoire. Le législateur belge n’agit-il pas avec précipitation en ne cherchant pas à renforcer d’abord par des mesures techniques de gestion les premières dispositions relatives aux déchets ?
Une norme de marquage des récipients ou produits, telle l’apposition d’un signe distinctif indiquant l’existence d’une consigne, ne constitue pas de soi une mesure disproportionnée. A lire la jurisprudence de la Cour de justice, elle constitue par excellence une mesure non interchangeable, étant le moins susceptible d’entraver les échanges73.
Chapitre III. Evaluation de la procédure d’adoption des mesures nationales
10440. Indépendamment du contenu des mesures adoptées, le comportement de l’Etat au regard du droit communautaire peut également être évalué selon qu’il traduit un esprit de coopération loyale vis-à-vis de la Communauté. De fait, la Cour de justice a pu déduire de l’article 5 du traité une véritable obligation juridique de coopération74.
105Cette obligation peut amener l’Etat à faire preuve de prudence lorsqu’il décide d’élaborer une réglementation susceptible d’affecter la circulation des marchandises. Certes, l’Etat conserve en cette matière un pouvoir souverain de légiférer, l’intervention normative relevant de la compétence concurrente de l’Etat et de la Communauté. De plus, la consécration du principe de subsidiarité donne une préférence au premier : l’obligation pour la Communauté de n’intervenir qu’après qu’elle a établi qu’une action serait inefficace au niveau des Etats montre bien que c’est à ceux-ci qu’il appartient d’agir en ordre principal.
106Ce principe n’empêche pas qu’il y soit dérogé. C’est le cas lorsqu’il est décidé, en une matière particulière, que l’Etat cesse de prendre une initiative normative unilatérale sans concertation avec les autres Etats ou avec la Communauté. Cette décision peut intervenir par un acte de nature politique, ou par une mesure établissant une véritable procédure de coopération.
107Dès l’adoption du premier programme en matière d’environnement, le Conseil a établi le principe selon lequel les Etats n’agiraient pas isolément75. A la même époque, les Etats ont passé entre eux un accord tendant à établir une obligation d’information sur tout projet environnemental susceptible d’avoir « une incidence directe sur le fonctionnement du Marché commun », si ce projet concerne un programme communautaire ou s’il comporte des effets sur d’autres Etats membres. Une procédure d’information est prévue. Il ne peut y être dérogé que « à titre exceptionnel », en cas d’« urgence » et pour des « motifs graves » de sécurité et de santé76.
108Il ne suffit pas de constater que de tels actes ne sont pas des actes typiques obligatoires au sens de l’article 189 du traité pour en déduire qu’ils ne sauraient faire naître aucune obligation juridique dans le chef d’un Etat. La Cour de justice a admis que de telles mesures puissent revêtir une portée juridique dès lors qu’elles entendent agir sur le comportement de leurs destinataires77.
10941. Plusieurs directives établissent une procédure de coopération lorsque l’Etat décide de prendre une réglementation susceptible d’intéresser la Communauté. On connaît, à propos de l’adoption de normes techniques, la directive générale no 83/189 du 28 mars 1983, mais son application aux écotaxes peut prêter à discussion78.
110De son côté, la directive du 15 juillet 1975 relative aux déchets prévoit une telle procédure. Il en va de même de la proposition de directive relative aux emballages, qui dit compléter sur ce point la directive no 83/189.
11142. Une violation éventuelle — hypothèse que cette étude n’a pas cherché à vérifier — de telles dispositions est susceptible d’entraîner une condamnation de l’Etat par la Cour de justice, à l’issue d’un recours en manquement introduit par la Commission ou par un autre Etat membre. Une telle condamnation n’entraînerait pas directement la nullité de la réglementation nationale. Elle implique seulement que l’Etat concerné prenne les mesures qui s’imposent éventuellement, dans un délai raisonnable.
112Il semble donc que si le seul reproche qui puisse être fait soit la violation d’une règle de procédure non destinée à protéger le particulier, à l’exclusion d’une atteinte à d’autres dispositions du droit communautaire, le particulier ne puisse pas s’en prévaloir pour écarter l’application de la loi nationale79.
Conclusion
11343. L’appréciation de la législation relative aux écotaxes ne se réduit pas à une approbation ou à une critique globale. Les nuances s’imposent, non seulement en raison des distinctions qu’appelle le contenu de la loi, selon les mesures prises et selon les produits concernés, mais aussi en raison de certaines limites du droit communautaire.
114Une première nuance porte sur la délimitation du domaine d’application dans l’espace du droit communautaire : celui-ci n’étend son contrôle sur le comportement de l’Etat que si ce dernier « affecte » le commerce intracommunautaire.
115Une seconde nuance concerne la nature des produits visés, selon qu’ils font ou non l’objet d’une mesure communautaire d’harmonisation des législations nationales. Alors que la directive générale sur les déchets, susceptible d’intéresser la plupart des produits écotaxables, ne paraît pas s’opposer à la technique de l’écotaxe, il y aurait lieu d’être plus attentif à la conformité de la loi belge aux directives relatives aux piles et aux produits phytopharmaceutiques. Quant à la conformité de la réglementation avec les mesures communautaires relatives aux emballages, il y a lieu de se reporter à l’étude de M. de Sadeleer.
116Une troisième nuance, déterminante, est fonction du contenu de la mesure nationale. A cet égard, trois types de mesures doivent être distinguées, selon les qualifications propres au droit communautaire.
117Si les mesures apparaissent comme de pures charges pécuniaires, il y a lieu de les évaluer au regard des seules dispositions prohibitives de droits de douane ou de mesures fiscales discriminatoires. Le contrôle n’est alors guère étendu. Il ne porte pas sur les entraves sur les échanges que serait susceptible de créer une mesure indistinctement applicable aux produits nationaux et aux produits importés. L’on a montré que l’appréciation du caractère réellement discriminatoire de la législation belge dépendrait étroitement de l’affectation exacte du produit de l’imposition. Il est donc regrettable que, jusqu’à présent, les autorités politiques soient restées évasives sur ce point.
118Si les mesures devaient, en termes d’affectation des recettes, se traduire par une aide à des entreprises, il y aurait alors lieu de considérer le respect des règles du traité portant un principe d’interdiction de telles aides.
119Le contrôle du droit communautaire est, en revanche, plus étendu si la mesure nationale en cause peut être qualifiée de mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative à l’importation. On a suggéré que s’il pouvait effectivement en être ainsi à propos des normes de marquage, le doute était a priori permis, au regard de la jurisprudence de la Cour de justice, à propos du système de la redevance. Par son objectif pourtant, de caractère résolument dissuasif, la législation devrait pouvoir être qualifiée de mesure d’effet équivalent à une entrave technique aux échanges.
12044. S’il en était ainsi, l’élément de contrôle décisif du régime général de la circulation des marchandises porterait sur le respect du principe de proportionnalité. A cet égard, la mesure nationale doit répondre à la double exigence du test d’efficacité et du test d’interchangeabilité. Or, abstraction faite de la norme de marquage — technique a priori conforme à cette exigence — il n’apparaît pas que toutes les pistes aient été examinées par le législateur pour mettre en place un régime dont l’efficacité soit optimale. Sous l’angle de l’interchangeabilité, on observe certes que le système de la redevance est moins restrictif que celui de l’interdiction ou de la norme obligatoire, à moins que le caractère dissuasif de son montant — révélant alors au moins son efficacité — ne conduise au même résultat. Les travaux de la Communauté ne montrent pas moins plusieurs constantes, telle l’adaptation du montant de la charge pécuniaire à la gravité de l’atteinte à l’environnement ou au coût du traitement, ou l’équivalence entre la technique de la consigne et celle du recyclage, ou encore le caractère seulement complémentaire de l’instrument économique. Il paraît alors singulier, de ce seul point de vue — sans autre considération de stratégie politique, liée éventuellement à la structure fédérale de l’Etat, qui n’altère pas l’étendue des 69 obligations de la Belgique vis-à-vis de l’ordre juridique communautaire — que l’instrument fiscal ait été mis en avant par anticipation, sans être accompagné de nouvelles mesures structurelles d’élimination ou de valorisation, ni d’une politique d’information et d’éducation du consommateur. En cela, l’esprit des travaux communautaires pourrait ne pas avoir été respecté.
121De telles réserves suffiraient-elles à mettre en cause la compatibilité du mécanisme global de la loi avec le droit communautaire ? Les précédents relatifs aux mesures de type parafiscal ou aux mesures de consigne incitent plutôt à la négative. De plus, la Commission comme la Cour de justice des Communautés européennes ne considèrent pas les seules exigences de la conformité au droit, mais exercent aussi, à des degrés variables, une responsabilité de nature politique. La Commission elle-même ne répugne pas de songer à l’instrument économique. De son côté, la Cour de justice ne cache pas sa sympathie pour la protection de l’environnement, valeur supérieure du droit communautaire — ni d'ailleurs certaine irritation vis-à-vis d'« opérateurs » économiques [qui] invoquent de plus en plus l'article 30 du traité pour contester toute espèce de réglementations qui ont pour effet de limiter leur liberté commerciale »80. Et si l’adoption de mesures harmonisées doit lui paraître préférable, le meilleur moyen de forcer le Conseil peut consister, comme le montrent certains précédents, à admettre des entraves nationales qui soient de nature à provoquer une réaction du législateur communautaire. Il est vrai que la réalisation de la politique de l’environnement, surtout au moyen de l’instrument fiscal ou parafiscal, risque de créer à terme des disparités de législations aussi sensibles que celles observées naguère dans le secteur des normes techniques. Et la consécration d’une sphère d’intervention communautaire ne suffit certes pas à assurer l’adoption de mesures communautaires, dont la nature uniforme répond normalement mieux qu’une mesure nationale aux exigences d’une situation transfrontière. Faut-il s’en inquiéter ? Après tout, la réalisation de l’espace communautaire est moins souvent le fruit d’une politique volontariste que le résultat d’une accumulation d’interventions ponctuelles, fréquemment dues au hasard d’une saisine de la Cour de justice qui, avec constance, tisse sa toile.
Notes de bas de page
1 L'article 388, § 3, de la loi évoque l’hypothèse, faisant obligation au ministre des Finances d’informer la Commission de suivi de l’existence de tels recours.
2 C.J.C.E., aff. 8/74, 11 juillet 1974, Dassonville, Recueil, 1974, 837.
3 C.J.C.E., aff. C-93/92, 13 octobre 1993, CMC Motorradcenter, non encore publié. Il en irait de même, selon la Cour, de toute mesure indistinctement applicable qui limite ou interdit « certaines modalités de vente » (C.J.C.E., aff. C-267/91 et C-268/91, 24 novembre 1993, « interdiction de revente à perte », non encore publié.
4 Voy. sur ce thème : A. Autrand, Fiscalité et environnement : les voies de l’avenir, in Rev.M.C., 1992, 894-899.
5 Aff. C-78/90, Compagnie commerciale de l’Ouest, Recueil, 1992. Voy. encore, parmi les affaires de la première catégorie citée : C.J.C.E., aff.C-114/91, 16 décembre 1992, O.N.D.A.H., Recueil, 1992, 1-6559 ; aff. C-266/91, 2 août 1993, CELBI, non encore publié.
6 C.J.C.E., aff. C-149/91, 11 juin 1992, Sanders, Recueil, 1992, 1-3899.
7 C.J.C.E., 11 mars 1992, précité note 5.
8 Arrêt précité.
9 A. Autrand, précité note 4.
10 C.J.C.E., 16 décembre 1992, précité note 5.
11 C.J.C.E., aff. 252/86, 3 mars 1988, Bergandi, Recueil, 1988, 1343.
12 C.J.C.E., aff. 140/79, 14 janvier 1981, Chemial Farmaceutici, Recueil, 1981, 1.
13 C.J.C.E., aff. 243/84, 4 mars 1986, Walker, Recueil, 1986, 875.
14 C.J.C.E., aff. 78/76, 22 mars 1977, Steinike & Weinlig, Recueil, 1977, 595 ; aff. C-132/88, 5 avril 1990, Grèce, Recueil, 1990, I-1567.
15 C.J.C.E., 2 août 1993, précité note 5.
16 Conclusions de l’avocat général Gulmann dans l’affaire CELBI, précitée note 5, non sans avoir précisé préalablement qu’au nom de l’obligation générale de coopérer établie par l’article 5 du traité, il appartient à l’Etat de soumettre au juge national toutes les informations disponibles ; dans ses conclusions relatives à l’affaire Lornoy (aff. C-17/91, arrêt du 16 décembre 1992, Recueil, 1992, 1-6523), l’avocat général Tesauro avait imposé au justiciable la charge de la preuve de l’existence d’une compensation pour les produits nationaux, et à l’Etat celle de l’ampleur de cette compensation.
17 Voy. par exemple, C.J.C.E., aff. 290/87, 5 octobre 1989, Pays-Bas, Recueil, 1989, 3083.
18 Voy. par exemple, C.J.C.E., aff. C-13/91, 4 juin 1992, Debus, Recueil, 1992, 1-3617.
19 Voy. par exemple C.J.C.E., aff. 45/87, 22 septembre 1988, Irlande, Recueil, 1988, 4929 ; aff. 228/91, 25 mai 1993, non encore publié.
20 J.O.C.E., 1992, L 76, censée être transposée pour le 1er janvier 1993.
21 C.J.C.E., aff. 47/69, 25 juin 1970, « Taxe parafiscale sur les produits textiles », Recueil, 1970, 487.
22 Avocat général Gulmann dans l’affaire CELBI, précitée note 5.
23 C.J.C.E., 11 mars 1992, précité no 7.
24 Voy. par exemple C.J.C.E., aff. 296/82, 13 mars 1985, Leeuwarder Papierwarenfabriek, Recueil, 1985, 809 ; aff. 47/69, 25 juin 1970, « Taxe parafiscale sur les produits textiles », Recueil, 1970, 487.
25 J.O.C.E., 1975, L 194.
26 Dixième rapport sur la politique de concurrence.
27 J.O.C.E., 1975, L 194.
28 C.J.C.E., 16 décembre 1992, précité note 5.
29 C.J.C.E., aff. 252/86, 3 mars 1988, Bergandi, Recueil, 1988, 1343 ; aff. 74/76, 22 mars 1977, lanelli & Volpi, Recueil, 1977, 557.
30 C.J.C.E., aff. 18/84, 7 mai 1985, « Avantages fiscaux pour la presse », Recueil, 1985, 1339.
31 Voy. la présentation de A. Mattera, Le marché unique européen, Paris, Jupiter, 1990, 396 et s.
32 C.J.C.E., 7 mai 1985, précité.
33 En ce sens plus généralement pour les mesures parafiscales, A. Autrand, précité note 4.
34 C.J.C.E., 11 mars 1992, précité note 5.
35 Voy. par exemple C.J.C.E., aff. 302/86, 20 septembre 1988, Danemark, « Conditionnement de la bière », Recueil, 1988, 4607.
36 C.J.C.E., aff. 45/87, 22 septembre 1988, Irlande, Recueil, 1988, 4929 ; Voy. aussi C.J.C.E., aff. 18/84, 7 mai 1985, « Avantages fiscaux pour la presse », Recueil, 1985, 1339, à propos d’une mesure nationale supprimant un avantage fiscal pour une opération effectuée à l’étranger, ce régime fiscal ayant un effet sur l’option de l’entreprise en ce qui concerne la fabrication de ses produits.
37 Sur ce test, voy. infra, no 37.
38 C.J.C.E., 16 décembre 1992, précité note 5.
39 A propos de la transposition d’une directive, voy. CJCE, aff. C-59/89, 30 mai 1991, Allemagne, Recueil, 1991, I-2607 ; à propos d’un acte communautaire, voy. CJCE, aff. 325/91, 16 juin 1993, France c. Commission, non encore publié.
40 C.J.C.E., aff. C-37/92, 12 octobre 1993, Baudoux combustibles, non encore publié.
41 C.J.C.E., aff. C-128/89, 12 juillet 1990, Italie, Recueil, 1990, 1-3239.
42 J.O.C.E., 1985, L 176. Voy. la proposition du 24 août 1992, J. O. C.E., 1992, C 263.
43 J.O.C.E., 1991, L 230.
44 Voy. infra, no 36.
45 J.O.C.E., 1991, L 78/32.
46 J.O.C.E., 1975, L 194/47.
47 Sur la question de la définition du déchet, qui reçoit dans la directive une acception plutôt lâche, voy. B. Jadot, Le statut juridique des déchets, au regard de la protection de la santé de l’homme et de l’environnement, in L’entreprise et la gestion des déchets, Bruxelles, Bruylant, 1993, 17-61.
48 C.J.C.E., aff. 380/87, 13 juillet 1989, Enichem Base, Recueil, 1989, 2491. L’affaire concernait une mesure italienne d’interdiction d’utiliser des sacs d’emballage en plastique non biodégradable. La Cour refusa de statuer sur l’interprétation de l’article 30 du traité, le tribunal national ayant limité sa question à l’interprétation de la directive de 1975.
49 J.O.C.E., 1991, L 78/38.
50 Autrand, précité note 4, citant les travaux de l’O.C.D.E.
51 Seule la Région de Bruxelles-Capitale a transposé à ce jour la directive : arrêté de l’Exécutif du 17 juin 1993, M.B., 6 août 1993.
52 Voy. par exemple, C.J.C.E., aff. C-128/89, 12 juillet 1990, Allemagne, Recueil, 1990, 1-3239.
53 Aff. 120/78, Recueil, 1979, 649.
54 C.J.C.E., aff. C-l/90, 25 juillet 1991, Aragonesa de Publicitad, Recueil, 1991, 1-4151
55 C.J.C.E., aff. 240/83, 7 février 1985, « Brûleurs d’huile », Recueil, 1985, 531 ; aff. 302/86, 20 septembre 1988, « Conditionnement de la bière », Recueil, 1988, 4607.
56 C.J.C.E., aff. C-2/90, 9 juillet 1992, « Déchets wallons », Recueil, 1992, 1-4431.
57 C.J.C.E., aff. C-l/90, 25 juillet 1991, Aragonesa de Publicitad, Recueil, 1991, 1-4151.
58 C.J.C.E., aff. 302/86, 20 septembre 1988, précité note 55. Voy. aussi, dans le sens de l’avocat général, la Résolution du Conseil du 17 mai 1977 portant un deuxième programme en matière d’environnement (J.O.C.E., 1977, C 139).
59 Comp. la résolution du Conseil du 3 mars 1975 relative à l’imputation des coûts (J.O.C.E., 1975, L 194) : le principe du pollueur-payeur doit être appliqué par l’Etat « à l’égard de toutes les formes de pollution à l’intérieur de son pays sans établir de différence selon que la pollution affecte ce pays ou un autre ».
60 Voy. supra, no 29.
61 Comp. cependant : C.J.C.E., aff. C-72/92,27 octobre 1993, Scharbatke, non encore publié, à propos d’une taxe parafiscale imposée lors de l’inspection des viandes de porcs abattus à des fins commerciales, dont le produit était versé à un fonds de promotion de la production agricole, alors que dans l’Etat d’origine ces viandes avaient été soumises à une taxe destinée au financement de mesures de production des produits nationaux. Même si l’une et l’autre mesures nationales poursuivaient dans cette affaire un but analogue, il ne s’agissait cependant pas d’un but légitime supérieur et commun, comme la protection de l’environnement.
62 Résolution du Conseil du 17 mai 1977 portant un deuxième programme en matière d’environnement, J. O. C.E., 1977, C 139.
63 Voy. les travaux relatifs aux emballages, cités par N. de Sadeleer. Plus généralement, la Résolution du Conseil du 19 octobre 1987 portant un quatrième programme en matière d’environnement (J.O.C.E., 1987, C 238) entend « encourager le recyclage » : l’action la plus importante à long terme « serait peut-être d’atteindre un taux de réutilisation et de recyclage » plus élevé qu’actuellement (point 5.3.8). La proposition de directive publiée en 1992 (J.O.C.E., 1992, C 263), se fondant sur la résolution du Conseil du 7 mai 1990 sur la politique en matière de déchets (J.O.C.E., 1990, C 122), n’établit pas de « hiérarchie » entre réutilisation et recyclage, « solutions de même valeur », étant essentiel que l’Etat organise un « retour » des emballages.
64 Directives du 18 mars 1991 sur les piles et sur l’élimination des déchets ; directive no 85/339 du 27 juin 1985 sur les emballages de liquides alimentaires (J. O. C.E., 1985, L 176 ; cette directive ne dit rien de la problématique des instruments économiques) ; conclusions de l’avocat général Slynn dans l’affaire du « Conditionnement de la bière », arrêt du 20 septembre 1988. En faveur de systèmes de reprise et de consigne, voy. en Belgique B. Jadot, précité note 47, p. 27.
65 Résolution du Conseil du 17 mai 1977 portant un deuxième programme, précitée.
66 La résolution du Conseil du 3 mars 1975 relative à l’imputation des coûts voit dans la redevance une fonction principale d’incitation, qui requiert une adaptation du montant au degré de pollution, et une fonction incidente de redistribution, qui suppose une participation aux frais d’épuration et un montant global « égal à la somme des charges collectives d’élimination des nuisances ». Voy. aussi la directive du 16 juin 1975 sur les huiles, qui permet d’imposer au revendeur d’huile une redevance dont le montant corresponde au coût de traitement. Selon B. Jadot, précité note 47, p. 58, « l’un des éléments irréductibles du principe du pollueur-payeur réside dans la nécessité de l’existence d’un lien suffisant entre la charge pesant sur un individu et la part qu’il prend effectivement dans la nuisance. Appliquée à l’établissement des taxes imposées aux ‘pollueurs’, cette idée signifie que l’assiette et le taux de la taxe doivent être proportionnels à la nuisance à laquelle contribue le redevable : sans cet élément, le pollueur n’est pas le payeur ». Et de préciser qu’un régime forfaitaire ne remplirait pas cette exigence, à la différence — curieusement — d’une « taxe dont le taux est tellement élevé qu’il a pour effet de dissuader l’adoption de comportements radicalement opposés aux principes de la politique des déchets » (p. 59).
67 Proposition de directive sur les taux d’accises relatifs aux carburants pour moteur d’origine agricole (directive « biocarburants », J.O.C.E., 1992, C 73), préconisant une réduction des taux d’accises sur les carburants les moins polluants. A. Autrand, précité note 4, insiste également sur l’importance de l’incitant fiscal.
68 Proposition de directive instaurant une taxe sur les émissions de dioxyde de carbone et sur l’énergie (directive « CO2 », J.O.C.E., 1992, C 196), qui, tout en imposant une taxe, prévoit pour incitant fiscal une réduction qui est fonction des dépenses d’investissement de l’entreprise.
69 Voy. le rapport de M. Marchal. Comp. l’évaluation de la Cour de justice à propos des limites de déductibilité fiscale imposées par un Etat membre : aff. C-204/90, 28 janvier 1992, Bachmann, Recueil, 1992, I-249.
70 Comp., à propos de la taxe sur les cigarettes, l’effort d’une imposition uniforme par la directive n° 92/79 du 19 octobre 1992, J.O.C.E., 1992, L 316, prévoyant l’obligation d’une imposition minimale.
71 C.J.C.E., aff. 302/86, 20 septembre 1988, « Conditionnement de la bière », Recueil, 1988, 4607.
72 La directive no 85/339 du Conseil du 27 juin 1985, précitée note 64, place l’information du consommateur en tête de la liste des mesures à prendre.
73 Voy., outre la jurisprudence constante de la Cour de justice, notamment depuis l’arrêt « Cassis de Dijon » du 20 février 1979 (précité note 53), notamment la directive sur les piles et la proposition de directive sur les emballages. Sur l’importance de la politique d’information sur le produit, voy. surtout : C.J.C.E., aff. C-362/88, 7 mars 1990, GB-INNO-BM c. C.C.L., Recueil, 1990,I-683, qui, après avoir affirmé l’importance de l’information du consommateur, rappelle les mérites de l’étiquetage approprié par rapport à une mesure d’interdiction (§ 17).
74 Voy. en général, notamment, J. Temple Lang, Community constitutional law : Article 5 EEC Treaty, in Common Market L.R., 1990, 645-682.
75 Résolution du 22 novembre 1973, J.O.C.E., C 112 : « des aspects importants de la politique de l'environnement ne doivent plus être prévus et réalisés de façon isolée dans différents pays. Les programmes nationaux dans ces domaines devraient être coordonnés et les politiques harmonisées dans la Communauté, sur la base d'une conception à long terme commune » (point 11).
76 Accord des représentants des gouvernements réunis au sein du Conseil du 5 mars 1973, J.O.C.E., 1973, C 9.
77 C.J.C.E., aff. 141/78, 4 octobre 1979, Royaume-Uni, Recueil, 1979, 2923 ; aff. 804/79, 5 mai 1981, Royaume-Uni, Recueil, 1981, 1045.
78 J.O.C.E., 1983, L 109. Parce que le texte vise notamment les spécifications obligatoires « de facto » — expression effectivement sibylline —, d’aucuns y incluent les incitants fiscaux à l’achat de produits conformes à des normes en matière d’environnement (A. Mattera, Le Marché unique européen, Paris, Jupiter 1990, p. 148).
79 A propos de la directive no 75/442 relative aux déchets, voy. C.J.C.E., aff. 380/87, 13 juillet 1989, Enichem Base, Recueil, 1989, 2491, constatant que la procédure instituée ne prévoit pas de suspension de l’exécution de la mesure ni de pouvoir de la Commission de s’opposer directement à celle-ci, la directive ne concernant alors que les relations entre l’Etat et la Commission et n’engendrant pas de droits en faveur des particuliers. Contra A. Mattera, citant la Communication de la Commission relative à la directive no 83/189 (J.O.C.E., 1986, C 245) ainsi que l’effet direct vertical reconnu à l’interdiction d’exécuter une aide dont l’adoption n’a pas respecté la procédure visée à l’article 93 du traité. On observe toutefois que dans le cas des aides, l’interdiction d’exécuter découle du texte même du traité, tandis que la directive no 83/189 ne contient aucune disposition d’une portée analogue. Il est vrai, comme le relève Mattera, que les dispositions de la directive sont claires, précises et inconditionnelles, mais ces qualités ne suffisent pas : encore faut-il que la règle juridique procure un droit aux particuliers. Il reste vrai que nier un effet direct reviendrait à immuniser l’Etat en situation de manquement, mais cette observation découle des limites inhérentes à l’arrêt en constatation, qui ne sauraient être corrigées qu’en modifiant le régime des sanctions adressées à l’Etat.
80 C.J.C.E., 24 novembre 1993, précité note 3.
Auteur
Chargé de cours à l’Université catholique de Louvain
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