Les droits de l'homme, fondements de la loi du 26 juin 1990
p. 13-24
Texte intégral
1La loi du 26 juin 1990 sur la protection de la personne des malades mentaux est intervenue à la suite d'un long processus entamé au début des années 1970 et qui s’inscrit dans la montée de la défense des droits individuels pour certaines catégories de personnes, telles les femmes, les personnes âgées, les prisonniers, les handicapés ou les malades.
2Les droits de l'homme constituent la référence privilégiée de cette nouvelle législation et plus particulièrement la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales signée à Rome le 4 novembre 1950 et approuvée par la loi belge du 13 mai 1955.
3Cette nouvelle loi a ainsi abrogé celle du 18 juin 1850 sur le régime des aliénés et modifié l'article 43 de la loi du 8 avril 1965 relative à la protection de la jeunesse.
4La loi de 1850 tendait à réaliser trois objectifs : protéger les citoyens contre les accidents que pouvaient occasionner les aliénés laissés en liberté ; garantir la liberté individuelle en prévenant les séquestrations fondées sur une aliénation mentale supposée ; pourvoir aux traitements et aux besoins que réclame la guérison des aliénés.1
5Le premier objectif que s'était assigné cette loi faisait écho à une préoccupation antérieure : assurer l'ordre public. En effet, un décret des 16-24 août 1790 disposait : "il appartient aux corps municipaux d'obvier ou de remédier aux événements fâcheux qui pourraient être occasionnés par les insensés laissés en liberté, et par la divagation des animaux malfaisants ou féroces". Ce texte sera repris in extenso dans la loi communale du 30 mars 1836 modifiée sur ce point par la loi du 27 mai 1989. Un souci identique amènera encore le législateur à prévoir à l'art. 556 du code pénal de 1867 une singulière contravention de deuxième classe pour le fait d'un particulier : "d’avoir laissé divaguer des fous ou des furieux étant sous leur garde ou des animaux malfaisants ou féroces". Cette disposition est d'ailleurs toujours d'application et elle constitue la base légale sur laquelle les tribunaux de police se fondent actuellement pour prononcer des condamnations du chef de "divagations de chiens ou de bétails"…
6Quant au second objectif, il était de permettre la garantie des libertés individuelles. M. van de KERCHOVE a souligné qu'il fut le plus négligé. C'est essentiellement en fonction de telles critiques que la loi du 18 juin 1850 sur le régime des aliénés a fait l'objet d'une mise en cause radicale et plus particulièrement au sujet du régime de nature essentiellement administrative relatif au mode d'entrée et de sortie de l'hôpital psychiatrique où était dirigé un individu déclaré malade mental.
7Cette remise en question fondamentale doit être également considérée par rapport au troisième objectif que la loi de 1850 avait initialement consacré et qui a donné lieu à ce que, sommairement, nous pourrions qualifier de "médicalisation de la folie". Cette tendance qui n'a cessé de s'amplifier a été à l'origine d'un véritable pouvoir médical de fait.
8Ainsi, ce n'était plus tellement l'arbitraire possible d'une collocation comme instrument entre les mains du pouvoir politique ou familial qui était attaqué, mais plutôt la possibilité d'un arbitraire médical s'appliquant à des malades qui devaient être défendus dans leurs droits. Dès lors lorsqu'étaient dénoncées les collocations appliquées à des personnes ne présentant aucun trouble, on a souligné moins les intérêts malhonnêtes qu'auraient servis de telles collocations que la preuve qu'elles apportaient de l’absence de garantie pour les malades eux-mêmes et de l'arbitraire dont ceux-ci pouvaient faire l’objet.
9L'évolution du processus critique que nous venons d'évoquer s'est accélérée à la suite de la jurisprudence de la Cour européenne de Strasbourg qui, dans une affaire célèbre, l'arrêt WINTERWERP du 24 novembre 1979, a eu l’occasion de préciser quelles étaient les conditions à respecter au regard de la Convention européenne en matière de détention d'un aliéné.
10Cette décision une fois rendue, il apparut clairement que la loi du 18 juin 1850 était manifestement contraire à la Convention et qu'il y avait lieu d’envisager rapidement une refonte complète de la matière en droit belge qui tienne effectivement compte de la jurisprudence de la Cour.
11Il nous a dès lors semblé essentiel de rappeler ces présupposés sur la base desquels est entièrement articulée la nouvelle loi du 26 juin 1990 et dont on ne pourrait ignorer les véritables tenants au risque, pensons-nous, de la dénaturer.
Chapitre 1 : L'état mental requis
12La loi du 18 juin 1850, à l'instar de la loi française, disposait que pour être colloqué il fallait être aliéné. On observera que ce dernier terme n'est plus repris comme tel dans la loi du 26 juin 1990.
13Traditionnellement, en Belgique, le terme aliéné, selon une jurisprudence déjà ancienne, était employé dans un sens général pour désigner ceux qui ont des facultés intellectuelles oblitérées, qui sont atteints d'égarement d'esprit ou d’aliénation mentale, que leur infirmité soit passagère ou incurable, et quels qu'en soient la cause et le caractère spécial.2
14Cette conception ne semble pas avoir été fondamentalement remise en question par la jurisprudence actuelle.3
15Il convient de faire observer, cependant, qu'actuellement "le vocabulaire médical et administratif tente à ne plus utiliser ce terme pour désigner les personnes atteintes d'altération de leurs facultés mentales. On lui préfère l'expression malade mental qui a une signification plus générale et répond à la tendance de la psychiatrie qui considère le malade atteint de troubles mentaux comme un malade qui a le droit d'être traité de la même manière que tout autre malade".4
16L'on relèvera que les seuls termes de malade mental ont été utilisés par la nouvelle loi du 26 juin 1990 alors que le terme "aliéné" figure à l'art. 5, § 1er, e de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui dispose : "toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf les cas suivants et selon les voies légales (…) s'il s'agit de la détention régulière (…) d'un aliéné (…)"
17Dans son arrêt WINTERWERP, la Cour européenne a estimé que le terme "aliéné" ne pouvait se prêter à une interprétation définitive, étant donné que son sens ne cessait d'évoluer avec les progrès de la recherche psychiatrique, la souplesse croissante du traitement et les changements d’attitude de la communauté envers les maladies mentales, notamment dans la mesure où se répand une plus grande compréhension des problèmes des patients. La Cour a tenu à souligner qu'en tout cas on ne saurait considérer qu'une telle exception autorise à détenir quelqu'un du seul fait que ses idées ou son comportement s'écarte des normes prédominantes dans une société donnée.
18L'on retiendra également, à ce sujet, que le Comité des ministres des États membres du Conseil de l'Europe, dans une recommandation d'octobre 1983 sur la protection juridique des personnes atteintes de troubles mentaux et classées comme patient involontaire, a réaffirmé ce principe en décidant (art. 2) que : "les difficultés d'adaptation aux valeurs morales, sociales, politiques ou autres, ne doivent être considérées en elles-mêmes, comme un trouble mental".
19Cette idée fondamentale figure également dans la loi belge relative à la protection de la personne des malades mentaux du 26 juin 1990.
20Retenons ainsi que le concept d'aliénation est donc susceptible de faire l’objet d'un débat quant à sa signification, sa portée et ce, dans chaque cas d'espèce, au sens où la Convention européenne des droits de l’homme entend ce terme. Il ne pourrait donc se comprendre uniquement et exclusivement en fonction de données d'ordre médical. L’on observera, enfin, l’aspect idéologique, dirions-nous, du concept puisque, selon la Cour, il convient aussi de prendre en compte "le changement d'attitude de la communauté" à l'égard de l'aliénation ou de la maladie mentale."
Chapitre 2 : La restriction de liberté d’un aliéné en raison de son état mental
Section 1 : Le principe
21La Convention énonce en son art. 5, § 1er un principe général : "nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales…".
22Cela revient à dire que pour tout individu, qu'il soit majeur ou mineur, peu importe, la liberté est la règle et l'enfermement l'exception. C’est dès lors, à juste titre que la loi du 26 juin 1990 a répercuté ce caractère d'exception que revêtait la privation de liberté d’un malade mental en précisant à l'art. 2 : "les mesures de protection ne peuvent être prises, à défaut de tout autre traitement approprié…"
23Concrètement, cela revient à dire qu'en pratique, tout débat judiciaire visant à l'adoption d'une telle mesure, doit faire l'objet d'un examen préalable concernant la possibilité de recourir, en l’espèce, à d’autres solutions que l’enfermement proprement dit.
24La Cour européenne dans l’arrêt WINTERWERP a eu l'occasion de préciser que l’objet et le but de l'art. 5, § 1er étaient d'assurer que "nul ne soit arbitrairement dépouillé de sa liberté". La Cour s'est également prononcée en ce qui concerne plus particulièrement le champ d'application de cette disposition consacrant un "droit à la liberté". Il faut entendre par là que l'art. 5 vise "la liberté individuelle dans son acception classique, c'est-à-dire la liberté physique de la personne…" Il ne concerne pas les simples restrictions à la liberté de circuler lesquelles relèvent de l'art. 2 du protocole no 4 intervenu à la suite de la signature de la Convention.5
25Le droit de circuler, au sens où le protocole visé l’entend, porte sur un autre objet que celui qui nous occupe et nous ne l'examinerons donc pas. Nous noterons également que la Commission, pour sa part, a déclaré que l'art. 5, § 1er s'appliquait également à une privation de liberté de courte durée.6 A cet égard, dans son arrêt du 28 mai 1985, la Cour a fait observer que "la distinction entre privation et restriction de liberté n'est qu'une distinction de degré ou d'intensité, mais pas de nature ou d'essence".7
Section 2 : Les exceptions
26L'art. 5, § 1er de la Convention prévoit, en ce qui concerne notre sujet, une exception au principe général qu’il énonce, à savoir : "s'il s'agit de la détention régulière d'une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d'un aliéné, d'un alcoolique, d’un toxicomane ou d'un vagabond" (al. e)
27Nous noterons, tout d'abord, que cette exception concerne tous les aliénés, qu'ils soient majeurs ou mineurs, aucune distinction n'existe dès lors à ce niveau.8
28A l'occasion de l’arrêt WINTERWERP, des précisions notables ont été apportées par la Cour en ce qui concerne deux notions figurant à l'art. 5, § 1 1er, e, à savoir, d'une part, "la détention régulière d’un aliéné" et, d'autre part, la "détention décidée selon les voies légales".
a. La détention régulière d'un aliéné
29La Cour a souligné que l'adjectif régulier doit nécessairement englober à la fois la procédure et le fond. Le but poursuivi est ainsi d'éviter qu'une détention arbitraire puisse jamais passer pour régulière. Il s’en déduit donc, pour cette haute juridiction, qu'on ne saurait enfermer quelqu'un comme aliéné sans des preuves médicales révélant chez lui un état mental propre à justifier une hospitalisation forcée. Pour priver quelqu'un de sa liberté sur la base de l'art. 5, § 1er de la Convention, il faut donc que son état d'aliénation ait été établi de manière probante. La nature même de ce qu'il faut démontrer devant l'autorité nationale compétente, un trouble mental réel, appelle en conséquence une expertise médicale objective. En outre, le trouble doit revêtir un caractère ou une ampleur légitimant l’enfermement. Qui plus est, ce dernier ne peut se prolonger valablement sans la persistance de pareils troubles.
b. La détention selon les voies légales
30En vertu du prescrit de la Convention, la détention d’un aliéné doit être non seulement régulière mais également décidée selon les voies légales. La Cour européenne des droits de l'homme dans l'arrêt WINTERWERP a estimé que les mots "selon les voies légales" se réfèrent pour l'essentiel à la législation nationale et il convient donc de suivre la procédure fixée par celle-ci. Toutefois, il faut que le droit interne se conforme lui-même à la Convention, y compris les principes généraux énoncés ou impliqués par elle. Il s'agit de la notion de procédure équitable et adéquate et l'idée que toute mesure privative de liberté doit émaner d’une autorité qualifiée, être exécutée par une telle autorité et ne pas revêtir un caractère arbitraire. De surcroît, devant une telle autorité, il faut que les droits de la défense puissent s'exercer dans toute leur plénitude, à l'occasion notamment d'un débat contradictoire effectif (art. 6 de la Convention).
31Récemment, la Cour européenne a eu l'occasion d'apporter des précisions au sujet de la mise en œuvre concrète des principes que nous venons d'examiner. En effet, dans son arrêt van der LEER du 21 février 1990, la Cour a rappelé qu'en vertu de l'art. 5, § 1er, e de la Convention, l'aliéné avait le droit d’être entendu par l'autorité avant que celle-ci ne décide son internement et que de surcroît, celui-ci devait être immédiatement informé de la décision le concernant ainsi que des raisons de celle-ci9.
32L'on relèvera à cet égard que la doctrine reconnaissait déjà en Belgique, dans certaines circonstances, le droit pour une partie de prendre personnellement part aux débats qui la concernaient. Telle est, par exemple, l'opinion de A. KOHL : "Lorsque l'impression personnelle des parties sur le tribunal et l'obtention d'informations sur leur mode de vie, peuvent avoir une incidence sur la décision à prendre".10
33L'auteur cite en exemple les litiges relevant du droit de la famille, dont la procédure d'interdiction.11
34Selon la jurisprudence de la Cour européenne, il convient dès lors d’avoir non seulement égard au fait de la conformité de la législation nationale aux principes énoncés dans la Convention mais aussi, le cas échéant, alors même que cette conformité existerait, à la manière dont concrètement et pratiquement, dans un cas d'espèce, les principes ont été mis en œuvre.
35Autrement dit, ce n'est pas parce que une législation nationale répondrait formellement aux vœux de la Convention que pour autant son application ne pourrait donner lieu à une violation de cette dernière compte tenu, par exemple, d'une application formaliste qui ne permettrait pas de répondre au but qu'elle doit poursuivre, à savoir protéger effectivement l'individu contre l'arbitraire.
Chapitre 3 : le traitement
Section 1 : l'exécution forcée des traitements
36Dans la mesure où un aliéné a été privé de sa liberté et qu'il incombe de le soigner dans un établissement approprié à son état, il va de soi que des traitements peuvent être prodigués sous la contrainte. Cette dernière constitue en quelque sorte le prolongement de la décision initiale de privation de liberté. En Belgique le principe ne semble pas devoir être contesté. En revanche, il n'implique pas que l'on puisse imposer n'importe quel traitement.
Section 2 : les conditions d'exécution des mesures privatives de liberté
37A l'occasion de l'examen de l'art. 5 de la Convention, nous avons précisé ce que signifiait la notion de "détention régulière d'un mineur ou d'un aliéné".
38Nous avons signalé tout particulièrement qu'il convenait d'appliquer le principe général selon lequel la régularité de la détention d'un aliéné imposait la conformité au but des restrictions autorisées par l'art. 5.
39Un tel principe est d'ailleurs énoncé à l'art. 18 de la Convention qui dispose : "les restrictions qui. au terme de la présente Convention, sont apportées aux dits droits et libertés ne peuvent être appliquées que dans le but pour lequel elles ont été prévues."
40Ainsi, à l’occasion de l'affaire WINTERWERP, la Cour a souligné tout particulièrement que la régularité d'une détention d'un aliéné devait exister non seulement au niveau de l'adoption de la mesure, ce que nous avons examiné dans les chapitres précédents, mais aussi lors de son application.
a. Le lieu de l'exécution de la mesure
41L'arrêt WINTERWERP mentionne "qu'il faut un certain lien entre d'une part le motif invoqué pour la privation de liberté autorisée et le lieu de détention".
42Ainsi, la détention d'un malade mental pourra être considérée comme régulière si elle se déroule dans un hôpital ou une clinique.
43En revanche, le simple fait d'être retenu dans un établissement psychiatrique n'est pas encore nécessairement suffisant pour que l'on puisse conclure à la régularité de la détention d'un aliéné. Encore faut-il qu'il y soit effectivement traité. Sur ce point, nous pensons que la Cour européenne des droits de l'homme a consacré de manière explicite un véritable droit au traitement d'un aliéné privé de sa liberté. C’est ainsi que dans un arrêt ASHINGDANE déjà cité, la Cour a nettement affirmé que : "l'enfermement d'un malade mental a pour but le traitement en vue d'une guérison, en même temps que la protection des tiers contre les malades vraiment dangereux. La tâche et le devoir de l'administration sont donc avant tout de concourir au traitement médical et de rechercher le meilleur moyen d'assurer la guérison…".
44Enfin, il convient de rappeler que l'arrêt WINTERWERP a retenu également comme une des conditions de la régularité de la détention d'un aliéné, l'interdiction de la prolonger valablement sans la persistance constante du trouble qui a justifié son adoption. Autrement dit, il convient qu'à tout instant de l'exécution de la mesure, il puisse être prouvé que le trouble continue à revêtir un caractère et une ampleur légitimant l'internement. Dans la loi du 26 juin 1990, un tel principe s'illustre par le caractère particulièrement souple de la révision des mesures de restriction de liberté et leur limitation d'office dans le temps.
b. Le régime de l'exécution de la mesure
45L'on sait que la loi du 18 juin 1850 n'avait rien prévu en ce qui concernait l'obligation d'informer le malade des raisons de sa privation de liberté.
46Cette obligation a été tout particulièrement mise en évidence par la Commission à l'occasion d'une affaire X/ROYAUME UNI qui a précisé que l’art. 5, § 2 de la Convention s'appliquait en matière de maladie mentale selon lequel : "toute personne arrêtée doit être informée dans le plus court délai et dans une langue qu’elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle…"
47La Commission a toutefois précisé que "les modalités de l'information pouvaient varier en fonction des circonstances de l'espèce" mais qu'elle devait en toute hypothèse être donnée "promptement", c’est-à-dire au plus tard à l'arrivée du malade à l’hôpital. C'est ce que traduit l’art. 8, § 2 de la loi du 26 juin 1990 qui confère au greffier la mission de notifier le jugement décidant d'une mesure de privation de liberté au malade, à la personne de confiance de celui-ci, ainsi qu'à son représentant légal.
Section 3 : Les conditions de séjour d'un aliéné privé de sa liberté dans un établissement approprié
48Divers textes, élaborés dans le cadre des institutions des Nations unies et du Conseil de l'Europe, consacrent le principe du respect de la dignité de la personne humaine, notamment celui de sa vie privée, dans tout milieu thérapeutique. L'on y insiste aussi sur la nécessité de recevoir les malades dans des conditions de vie satisfaisante, permettant de vivre dans la dignité et le bien-être.12
49Citons également la déclaration de Hawaï selon laquelle le "respect dû à la dignité à laquelle ont droit tous les êtres humains" constitue une condition de la thérapeutique susceptible d'être appliquée.
50Traditionnellement, cette question se règle, en droit, par l'adoption d'un règlement d'ordre intérieur au sein de l’établissement.
51A la suite de la loi du 18 juin 1850, un arrêté royal du 1er juin 187413 modifié par l'arrêté royal du 23 octobre 196414 a prévu que tous les établissements psychiatriques destinés à recevoir des aliénés colloqués devaient adopter un règlement d’ordre intérieur portant sur les points suivants : le service économique, la surveillance et les permissions de sortie des aliénés, l'organisation du travail, du service religieux, les distractions, les moyens de contrainte, les punitions, la correspondance et les visites que les aliénés peuvent recevoir.
52L'article 30 de l'arrêté royal du 1er juin 1874 prescrit également la tenue "d'un registre de contrainte" coté et parafé par le procureur du Roi. Ce registre doit mentionner :
- les cas de "séquestration absolue, de punitions ou de contraintes" et leur durée ;
- le visa quotidien du médecin ;
- les observations éventuelles du médecin.
53Par la suite, des circulaires ministérielles "recommanderont" de fouiller les malades et, particulièrement de leur enlever leur carte d'identité, dès l'entrée dans l'établissement15.
54Il faudra attendre l'arrêté royal du 12 janvier 1970 pour que soit imposé aux établissements psychiatriques, le respect de la liberté pleine et entière d’opinion, philosophique, religieuse et politique.
55L’on se souviendra que la loi du 18 juin 1850 avait expressément garanti en son article 35 l’exercice du droit de plainte. Des circulaires ministérielles de 1872 et 1893 prescrivent même le placement d’une boîte aux lettres destinée à recevoir les missives adressées par les colloqués à l’extérieur ainsi qu'aux autorités.
56Si, toutefois, la libre correspondance n’était pas explicitement garantie, il convient d’observer que la loi ne prévoyait aucune exception à cet égard et, de ce fait c'étaient les articles 22 de la Constitution belge et 8 de la Convention qui devaient s'appliquer. Autrement dit, sur la base de ces dispositions, le respect de la libre correspondance du malade avec l'extérieur devait être absolu.
57Enfin, en ce qui concernait les visites, le principe instauré par l'arrêté royal du 12 janvier 1970 est que les visites ne pouvaient être systématiquement interdites mais simplement réglementées.
58La loi du 26 juin 1990 prévoit en son article 32 les conditions dans lesquelles un aliéné privé de sa liberté doit être traité et hébergé dans un établissement approprié. Ces conditions s’inspirent tout d'abord de ce qui existait déjà et consacrent en outre de nouvelles garanties en vue par exemple, d'assurer "l'épanouissement culturel du malade". Il est également prévu que le "malade peut recevoir la visite de son avocat, du médecin de son choix et, conformément au règlement d'ordre intérieur, de la personne de confiance ou, sauf contre-indication médicale, de toute autre personne".
59De telles dispositions sont manifestement édictées en vue de sauvegarder les relations sociales de la personne privée de sa liberté et l'exercice effectif de ses droits de défense. Dans ce dernier ordre d'idée, il est prévu que "le médecin choisi par le malade et son avocat peuvent se faire présenter le registre prévu à l'article 10"16. Ceux-ci peuvent obtenir du médecin du service tous renseignements utiles de nature à apprécier l'état du malade. En outre, le médecin choisi par le malade peut prendre connaissance du dossier médical en présence du médecin du service.
60Le malade mental privé de sa liberté peut en outre revendiquer l'exercice de ses droits fondamentaux consacrés par la Constitution belge, la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
61Cette dernière, qui a des effets directs en droit interne, consacre à cet effet de véritables normes :
- les droits à l'intimité : le droit au respect de la vie privée (art. 8), l'interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (art. 3) ;
- le droit au respect de la vie familiale (art. 8), le droit au respect de la correspondance (art. 8) ;
- les droits intellectuels : le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion (art. 9) ;
- les droits à la sûreté de la personne : le droit à la liberté et à la sûreté en général et le droit de n'être privé de liberté que dans certains cas et selon les lois légales (art. 5, § 1er).
62De tels droits, qualifiés encore de fondamentaux, se retrouvent également énoncés dans la Constitution, et sont même protégés par des dispositions inscrites dans le Code pénal :
- le droit à la vie et à l'intégrité physique (art. 434 à 437) ;
- la liberté des cultes (art. 142 à 146) ;
- le secret des lettres (art. 460 et 460 bis) ;
- la liberté d'association (art. 20 de la Constitution et loi du 24 mai 1921).
63Nous pensons que le respect scrupuleux de ces dispositions fondamentales doit ainsi constituer l'une des conditions de l'octroi et du maintien de tout agrément d'un établissement psychiatrique en vue de recevoir des aliénés privés de leur liberté. Quand bien même cet acte d'agrément ne le mentionnerait-il pas explicitement, l'on pourrait soutenir, croyons-nous, que de telles dispositions y sont contenues implicitement. Il en irait de même, par exemple, en l'absence d’un règlement d’ordre intérieur d'une institution.
64Traditionnellement, l'agrément concernait des problèmes matériels relatifs aux locaux dans lesquels séjournent les malades qui sont pris en compte (dimensions des chambres, nombre de lits, température, installations sanitaires, etc….). Si effectivement, ces questions sont importantes et relèvent de la nécessité d’aménager pour le malade un cadre de vie conforme à la dignité humaine il n'en demeure pas moins qu'elles ne pourraient être l'unique souci de l’autorité chargée de délivrer l'acte d’agrément. Il lui incombe en effet de veiller au bon fonctionnement d'un établissement susceptible d'exécuter la "détention régulière" d'un aliéné, ce qui implique, avons-nous écrit, également et nécessairement la garantie du respect de tous ses droits fondamentaux.
Section 4 : Les modalités d'administration des traitements
a. L'obligation d'informer le malade privé de sa liberté au sujet du traitement qu'il va subir
65Nous ne pensons pas que cette obligation viendrait à disparaître par le seul fait qu'un aliéné a été privé de sa liberté. Nous estimons, tout au contraire, qu'une telle situation est sans aucune incidence. C'est ainsi que le principe général inscrit à l'article 29 du Code de déontologie médicale subsiste : "le médecin doit s'efforcer d'éclairer son malade sur les raisons de toute mesure diagnostique ou thérapeutique proposée".
66Bien plus, nous soutenons que ce devoir d'information est d'autant plus prégnant que la personne est privée de sa liberté et par voie de conséquence dans une situation de dépendance toute particulière. La seule question qui se pose est de déterminer la ou les personnes, les autorités le cas échéant, qu'il convient de contacter en vue de leur exposer les tenants et aboutissants et la thérapeutique envisagée. S'il s'agit d'un mineur, le médecin veillera tout particulièrement à s’adresser à ses représentants légaux ou à l’instance judiciaire compétente (juge de la jeunesse, parquet).
67Ce devoir d'information au sujet du traitement est d’autant plus indispensable lorsque des thérapeutiques importantes ou risquées sont prévues. Un tel devoir perdure, pensons-nous, tout au cours de la mise en œuvre du traitement et se traduit alors, plus concrètement, par l'obligation pour le médecin de répondre aux questions qui lui seraient posées à ce sujet.
68La justification de ce devoir d'information découle de l'exigence générale de régularité que doit nécessairement revêtir la détention d'un aliéné. Nous avons souligné que la notion de régularité devait s'apprécier par rapport aux buts poursuivis. Il doit s'agir, notamment, de la mise en œuvre de soins appropriés en vue de guérir l'aliéné privé à cet effet de sa liberté.
69Cet objectif étant central et prioritaire, sa détermination, de même que sa réalisation, doivent demeurer transparentes et connues de la part du malade lui-même si possible ou, à défaut, de ses représentants légaux. Ainsi, le manquement à ce devoir d'information pourrait être tout particulièrement retenu à l'occasion d'une mise en cause de la responsabilité professionnelle du médecin chargé de soigner le malade privé de sa liberté.
b. La notion de traitement inhumain et dégradant
70L'art. 99 du Code de déontologie médicale contient un principe fondamental autour duquel s'articule la matière : "le médecin doit respecter les droits imprescriptibles de la personne humaine Nous avons déjà eu l'occasion de préciser ce qui, en droit, constituaient les données de ces droits imprescriptibles.
71Ainsi quelles que soient les nécessités d'un traitement d'un aliéné privé de sa liberté, elles ne pourront jamais autoriser par principe des atteintes à sa vie privée, son intimité, ses convictions philosophiques, ses croyances religieuses, c'est-à-dire tous les droits fondamentaux garantis par la Convention, la Constitution et les lois belges particulières.
72Nous pensions que si tel était le cas, ces traitements pourraient être considérés comme inhumains au sens de l'article 3 de la Convention qui dispose que : "Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants".
73L'on a souligné à juste titre le caractère absolu de cette disposition, ne comportant aucune exception et ne souffrant aucune dérogation, y compris en cas de guerre.17
74La Commission a eu l'occasion de préciser au sujet de la notion de traitement inhumain et dégradant qu'elle était susceptible de s'appliquer "isolément à des situations différentes et très diversifiées". Il ne devrait donc pas nécessairement s’agir de violences physiques mais pourrait porter sur toute pratique qui tendrait par exemple " à créer chez des individus des sentiments de peur, d'angoisse ou d'infériorité propres à les humilier, à les avilir et à briser éventuellement leur résistance physique ou morale".18
75La notion de pratique utilisée par la Commission mérite également d’être précisée. Ainsi, pour la Cour, il pourrait s'agir "d'une accumulation de manquements de nature identique ou analogue, assez nombreux et liés entre eux pour ne pas se ramener à des incidents isolés ou à des exceptions et pour former un ensemble du système".
76Certes des aménagements peuvent être trouvés selon les circonstances et les cas d’espèce. L'on se souviendra, à cet égard, de la manière dont la Cour a estimé devoir procéder dans chaque situation particulière à l'évaluation d'équilibres qui s'imposent entre les diverses nécessités relevées en vue d'assurer l'efficience des libertés et droits fondamentaux par rapport aux buts poursuivis. Cette méthode a pour objectif essentiel d'éviter, en définitive, qu'il ne soit porté atteinte à la "substance" même de ceux-ci.
Notes de bas de page
1 M. van de KERCHOVE, Le juge et le psychiatre. Evolution de leurs pouvoirs respectifs, in Fonction de juger et pouvoir judiciaire. Transformations et déplacements, sous la direction de Ph. GERARD, F. OST et M. van de KERCHOVE, Bruxelles 1983, p. 332 et références citées, notamment : Doc. parl., chambre, 1848-1849, no 215, p. 4
2 Par exemple Cass., 19 janvier 1894, Pas. 1894, p. 118.
3 Par exemple Corr. Nivelles, 15 mars 1962, Rev. dr. pén., 1961-1962, p. 890.
4 P. MARCHAL, Les incapables majeurs, in Répertoire notarial, t. 1, Les personnes, Bruxelles, 1984, p. 170, no 268.
5 Affaire Engel, série A, 8 juin 1976, p. 25.
6 Décision et rapport de la Commission européenne des droits de l'homme no 18, p. 154 et 156.
7 Affaire Ashingdane, série A, 28 mai 1985, p. 19, § 41.
8 J. GILLARDIN, D'un traitement psychiatrique à l'autre : les jeunes et les droits de l'homme, in Le placement des mineurs en institution psychiatrique, sous la direction de F. Digneffe, J. Gillardin et Fr. Tulkens, Bruxelles 1990, p. 105 et s.
9 J. GILLARDIN, Une étape nouvelle dans la protection des droits fondamentaux des aliénés, obs. sous Cour européenne des droits de l'homme, 21 février 1990, in Rev., trim. dr. h., 1990, p. 404 et s..
10 A. KOHL, Implication de l'art. 6, aider de la Convention européenne des droits de l'homme en procédure civile, in J.T., 1987, p.467, no 13
11 Ibidem et les références citées dont l'arrêt Winterwerp, cité supra.
12 Par exemple la Déclaration adoptée par les Nations unies lors de son assemblée générale du 9 décembre 1975 (Résolution 3452/XXX) et celle du 10 décembre 1984 qui a donné lieu à la Convention contre la torture et autres peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants ; la Déclaration de Stockholm sur l'environnement, adoptée également par la conférence des Nations unies en 1972 ; l'article 3 de la déclaration des droits des personnes handicapées ; la Recommandation (83) no 2 du comité des ministres du Conseil de l’Europe sur la protection juridique des personnes atteintes de troubles mentaux.
13 Articles 4 et 29.
14 L'annexe de cet arrêté.
15 Circulaires ministérielles des 21 décembre 1923, 4 mars 1927 et 31 janvier 1929.
16 Cet article 10 prévoit la tenue d'un registre dans lequel sont inscrites : l'identité du malade, ses admissions et sorties, les décisions relatives aux mesures de protection dont il fait l'objet et la personne de confiance choisie par lui.
17 G. COHEN-JONATHAN, La Convention européenne des droits de l'homme, Paris, 1989, p. 286. Cet auteur utilise l'expression "du noyau dur des droits de l'homme" à propos de cet article 3.
18 Affaire Tyrer, Rapport de la Commission, 14 décembre 1976, no 24, par.27 et s. ; affaire Hilton contre Royaume Uni, Rapport de la Commission, 6 mars 1978, par. 80 et 87.
Auteur
Maître de conférences aux Facultés Universitaires Saint-Louis
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Soigner ou punir ?
Un regard empirique sur la défense sociale en Belgique
Yves Cartuyvels, Brice Chametiers et Anne Wyvekens (dir.)
2010
Savoirs experts et profanes dans la construction des problèmes publics
Ludivine Damay, Denis Benjamin et Denis Duez (dir.)
2011
Droit et Justice en Afrique coloniale
Traditions, productions et réformes
Bérangère Piret, Charlotte Braillon, Laurence Montel et al. (dir.)
2014
De la religion que l’on voit à la religion que l’on ne voit pas
Les jeunes, le religieux et le travail social
Maryam Kolly
2018
Le manifeste Conscience africaine (1956)
Élites congolaises et société coloniale. Regards croisés
Nathalie Tousignant (dir.)
2009
Être mobile
Vécus du temps et usages des modes de transport à Bruxelles
Michel Hubert, Philippe Huynen et Bertrand Montulet
2007